PRÉFACE

POUR LA VIE ET LES GESTES DU DIVIN
CONTEMPLATEUR J. RUSBROCH


    Le Monde est inondé de Livres, s'écrie le traducteur, en langue latine, de l'Oeuvre merveilleuse de J. Rusbroch, surnommé, à cause de la sublimité de sa doctrine, le divin Contemplateur; et il semble que nous soyons arrivés aux temps prédits par le Prophète Daniel lorsqu'il annonce : la Science aura des aspects multiples : Multiplex erit scientia.

    Ce que disait Surius au commencement du dix-septième siècle (époque raisonnable, si on la compare à la nôtre) est beaucoup plus vrai en ce temps de négation et d'athéisme pratique, suite nécessaire et logique d'une longue période de rationalisme et d'indifférentisme religieux, où chacun discutait sans savoir et méprisait sans comprendre.

    Oui, la science a des aspects multiples, si l'on peut appeler science toutes les élucubrations de l'esprit humain dévoyé. Le monde est inondé de livres et de quels livres !.. et chacun jure par la Science que l'on prétend déverser à flots dans les masses populaires, fausse science, basée sur la négation des principes, et par conséquent destructive de la vraie science ; puisqu'ayant commencé par tuer la foi dans beaucoup d'âmes, elle aveugle à tel point les esprits superficiels, qu'ils s'imaginent désormais pouvoir se suffire à eux-mêmes, en se passant de Dieu ; sans s'apercevoir, au milieu des ténèbres épaisses où les éducateurs, nouveau style, les ont plongés, que Dieu seul est la source de toute science, et que, hors de lui, il n'est qu'aveuglement et folie.

    Mais, continue Surius : « Si le nombre des livres est infini, leur utilité est moindre ; car, dans cette avalanche d'auteurs, il n'en est guère d'inspirés. » - Si beaucoup sont vains et futiles, les pernicieuses doctrines des autres, loin de rendre les hommes meilleurs ou plus heureux et d'engendrer la vertu, excitent les instincts pervers, et produisent des fruits de mort pour les peuples comme pour les individus, si aisément entraînés dans les sentiers fleuris de l'erreur et de la perdition ; car l'homme  recherche beaucoup plus l'agréable que l'utile, il aime davantage le plaisant que le sévère :
    Le temps paraît bien long qu'il consacre au devoir...
    Il est toujours trop court, s'il le donne au plaisir.

    C'est pourquoi les écrivains jaloux de leur honneur et de la véritable gloire, se sont toujours efforcés de contrebalancer l'influence néfaste des adeptes de Satan, les semeurs d'ivraie, les propagateurs de la fausse science, en répandant par tous les moyens qui sont en leur pouvoir, la bonne parole, la doctrine divine, puisée à la source d'eau vive qui jaillit pour la vie éternelle, et contenue dans ces réservoirs inépuisables, livres merveilleux et inconnus des foules, que nous ont légués dans le langage des anges, de sublimes penseurs, (comme le divin Contemplateur Rusbroch) qui, voyant Dieu partout, puisqu'il est partout, (1) essayaient, dans leurs Contemplations suaves, de nous dire ce qu'ils découvraient dans cette vision constante de l'auteur de toutes choses, en écartant un peu, devant nos yeux ravis, le voile du mystère qui nous cache toujours les abîmes de l'infini.

    L'amour de Dieu et le zèle des âmes nous commandent de nous vouer entièrement à la diffusion de ces oeuvres maîtresses, et de les mettre à la portée des humbles, pour leur montrer combien puissant et doux est le souffle divin - O quam suavis est, Domine, spiritus tuas ; combien suave est le joug de celui qui allume dans les âmes aimantes de tels foyers de lumière, qu'elles se répandent en des hymnes d'allégresse et d'amour, faible écho des éternels concerts qu'elles ont ouïs dans l'extase de la prière : jugum meum suave est et onus meum leve.

    Le Livre dont nous offrons les premières pages traduites en notre langue si souple, au lecteur avide et désireux de s'élever, malgré les ricanements de la foule insensée, vers les sommets de Perfection Chrétienne, où tous les hommes devraient aspirer, en s'éloignant des folies du siècle, pourrait, si l'on y prenait garde, et si l'on était vraiment disposé à recueillir cette manne céleste, donner aux âmes mystiques un avant-goût des joies paradisiaques.

    Sans doute, l'auteur de ces Contemplations divines a pris ses confidences dans le ciel, et ce sont les anges eux-mêmes qui ont chanté à son oreille le cantique de l'amour, dont il nous donne les diverses strophes harmonieuses, écrites en une langue forte et savoureuse, comme doit l'être celle des chérubins de flamme qui agitent l'encensoir d'or devant le trône de l'Agneau.

    Cela fait du bien de méditer ces pages qui prouvent, tout à la fois, la grandeur de l'homme, lorsqu'il se rapproche de son principe et se rattache à l'infini par les liens de la foi, de la prière et de l'amour, et sa petitesse, lorsqu'il se ravale dans le néant de ce qui passe, sans songer au Créateur.

    Aux monstrueuses doctrines qui tendent à avilir toujours davantage l'homme matière : animalis homo non percipit ea quae sua sunt, et dont s'enorgueillit une science vaine, nous devons opposer la Doctrine irréfutable, quoi qu'en dise la libre pensée, qui tend à faire monter l'homme divinisé : vos dii estis - jusqu'à ces hauteurs insoupçonnées des âmes vulgaires, où il nous est donné de contempler, comme à travers les rayons de la gloire de Dieu, les merveilles de la création, la sublimité et le néant de notre nature, les profondeurs du mystère ; et, dans des rêves magnifiques, bien inférieurs à la réalité, de nous envoler jusqu'aux régions séraphiques, pour y entrevoir un
peu, ce qu'est le bonheur des saints, entendre les harmonies célestes, tremper nos lèvres desséchées et avides à la coupe des éternelles voluptés.

    Ah ! combien pâlissent les heureux de la terre si on les compare aux bienheureux du ciel ! Que sont les progrès chimériques tant vantés qui doivent donner un bonheur illusoire aux mortels dégénérés, pour les plonger dans l'abîme de la perdition, devant les merveilles de l'au-delà, entrevues dans les extases de la prière, dans la cour du Roi immortel des siècles, vision qui procure dès ici-bas des joies ineffables à ceux qui aspirent, sans se décourager jamais, à la conquête du ciel !.. L'oeil de l'homme n'a jamais vu ce que Dieu réserve à ceux qui l'aiment.

R. CHAMONAL.

(1) In ipso vivimus movemur et sumus.