Tome 1 – Livre  2 –Chapitres 1 - 30

 p.204 – p.348

Révélations Célestes de Sainte Brigitte de Suède
les Apparitions, extases et locutions sont approuvées par trois papes et par le concile de Bâles,

 

INDEX :

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Chapitre 1

 

Le Fils de Dieu instruit l’épouse contre le diable. La réponse du Fils à l’épouse. Pourquoi il ne retire pas les pécheurs de » ce monde avant qu’ils pèchent, et en quelle matière le royaume des cieux est donné à ceux qui, étant baptisés, n’arrivent point à l’âge de la discrétion.


Le Fils de Dieu parlait à l’épouse , lui disant :
Quand le diable vous tente, dites-lui ces trois choses :

1° Les paroles de Dieu ne peuvent être que vraies ;

2° Rien n’est impossible à Dieu ;

3° Ô diable , vous ne pouvez me donner une telle ferveur d’amour que Dieu me donne.

Derechef, Notre-Seigneur dit à l’épouse : je vois en l’homme trois choses :

1° comment le corps disposé extérieurement ;

2° je vois à quoi et comment la conscience tient intérieurement à quelque chose ;

3° qu’est-ce que son cœur désire : car comme l’oiseau qui regarde un poisson dans la mer, considère la profondeur de la mer, ses orages et ses tempêtes, de même je sais toutes les voies des hommes, et je considère  ce qui est dû à chacun, car ma vue pénètre plus intimement et sait plus clairement tout ce qui le touche, que lui même ne se connaît. Donc, puisque je vois et sais toutes choses, vous me pouvez demander pourquoi je n’ôte pas de ce monde les pécheurs avant qu’ils soient dans l’abîme profond de leurs péchés. A quoi je vous réponds :Je suis le Créateur de toutes choses, et toutes les choses qui ont été et qui seront, sont en ma présence ; je les vois et les connais ; mais bien que je puisse et sache tout, cependant la justice ne veut pas que je fasse moins contre la disposition naturelle du corps que contre celle de l’âme.

 

De fait, tout homme subsiste selon la naturelle disposition du corps, qui est en ma prescience éternelle. Quant à ce que l’un vit plus qu’un autre, cela provient de la force ou infirmité, et des dispositions naturelles. Quant à ce que l’un est boiteux et l’autre aveugle ou quelque autre chose semblable, cela ne se fait pas sans que je le voie, puisque je prévois en telle sorte toutes choses, que ma prévoyance ne les fait pas pires, ni rien ne peut nuire à ma prévoyance, ni elle ne consiste pas dans le cours des éléments ni en leur arrêt, mais en ma justice occulte et cachée en la disposition et conservation de la nature, car le péché et l’indisposition de la nature causent diversement la difformité des membres. Partant, il ne se fait pas parce que je le veux, mais d’autant que ma
justice permet qu’il soit fait ; et bien que je puisse toutes choses, néanmoins, je ne résiste pas à la justice. Donc, la raison pourquoi quelqu’un vit plus ou moins est prise de la disposition de la nature forte ou infirme, qui est en ma prescience, laquelle est infaillible. Vous pouvez entendre le semblable par une supposition.

Supposons qu’il y eût deux voies et qu’en ces voies, il y eût des fosses innombrables l’une contre l’autre et l’une devant l’autre, et que la fin d’une de ces voies tendît directement en bas et l’autre en haut, et qu’au carrefour de ces voies il fût écrit : Quiconque marche par cette voie, la commence avec délectation et volupté de la chair, et la termine avec grande misère et confusion ; mais celui qui marche par ces autres voies, la commence avec un petit labeur , et la finit avec une très grande joie et une très grande consolation..

 

Or celui qui marchait par la voie qui aboutissait aux deux voies, était entièrement aveugle ; mais étant arrivé au carrefour, il y voyait et lisait un écriteau sur lequel était imprimé la fin de ces deux voies ; et pendant qu’il la lisait, la considérait et délibérait à part soi ; soudain apparurent deux hommes auprès de lui, à la garde desquels ces deux voies étaient confiées, lesquels considérant l’homme au carrefour et parlant entre eux dirent : Considérons avec soin par quelle voie il aimera mieux  aller , et il sera plus propre à la voie qu’il choisira. Or, le voyageur, considérant en soi la fin de ces voies et leurs mérites, se servit de conseil et de prudence, choisissant plutôt la voie dont l’entrée portait quelque peu de labeur, et la fin une grande joie, que celle qui commençait par la joie et finissait en la douleur, car il croyait qu’il était plus tolérable et plus raisonnable d’être au commencement lassé par quelque médiocre labeur , et se reposer assurément à la fin.

Ne savez vous pas ce que toutes ces choses signifient ? Certainement, je vous le dirai.
Ces deux voient sont le bien et le mal qui sont devant l’homme. Il est écrit que quand il sera arrivé à l’âge de discrétion,  il est en la puissance de son libre arbitre de choisir ce qu’il aimera le mieux. Il y a une voie qui conduit à ces voies de l’élection du bien ou du mal, à savoir : l’âge de l’adolescence , qui conduit à l’âge de discrétion. Celui qui marche par cette première voie est presque comme aveugle, car jusqu’à ce que l’homme soit parvenu de l’adolescence à l’âge de discrétion, il ne sait discerner le bien du mal, la vertu du vice, le commandement de la défense. Donc, l’homme, marchant en son âge puéril, est comme un aveugle ; mais quand il sera arrivé au carrefour de ces voies, c’est-à-dire à l’âge de discrétion, alors les yeux de l’esprit lui seront ouverts,  car alors il sait considérer quel est le meilleur, savoir bien endurer une petite douleur , et jouir d’une joie éternelle, ou prendre un petit plaisir, et puis souffrir une éternelle douleur . Et alors, en la voie qu’il choisira, on comptera tous ses pas.

Or, en ces voies, il y a plusieurs fosses l’une contre l’autre et l’une devant l’autre, car l’un meurt bientôt, l’autre bien tard, l’un dans la jeunesse, l’autre dans la vieillesse. La fin de cette vie est donc bien à propos comparée à une fosse, à laquelle tous les hommes se rendent sans faillir, les uns d’une manière, les autres d’une autre, selon que leur naturelle disposition l’exige et selon qu’il est en ma conscience.  Car si j’appelais quelqu’un contre la disposition naturelle, le diable prendrait soudain occasion de dire que je fais contre la justice ; c’est pourquoi je ne fais non plus rien contre la disposition du corps que de l’âme. Toutefois, considérez attentivement ma bonté et ma miséricorde, car comme dit le Maître et Seigneur, je rends forts, puissants et vertueux, ceux qui n’ont ni force, ni vertu. Je donne,  par un excès d’amour, le royaume de Dieu à tous ceux qui sont baptisés et qui meurent avant l’âge de discrétion, en la manière qu’il est écrit. Il a plu aussi à votre Père de donner à ceux-là, le royaume des cieux.

D’ailleurs,  ma piété fait cette miséricorde aux enfants des païens qui meurent avant l’âge de discrétion , car bien qu’ils soient privés de la vision de ma face, néanmoins, ils viendront en un lieu  qu’il n’est pas loisible que vous sachiez, où ils seront  sans peine. Mais quant à ceux  qui, de la première voie de l’adolescence sont parvenus à l’âge de discrétion du bien et du mal, il est alors en leur puissance de choisir le bien ou le mal ; et à quoi ils inclineront leur volonté, leur mérite ou démérite suivra la récompense : d’autant qu’alors, ils savaient lire ce qui était écrit au carrefour , à savoir : qu’il valait mieux endurer au commencement un peu de douleur, et en la sortie avoir la joie ; qu’avoir au commencement la joie, et à la fin la douleur éternelle.  Néanmoins, il arrive souvent que quelques-uns sont pris et élevés avant que l’exige la disposition naturelle, comme sont ceux qui meurent par homicide, ivrognerie ou autrement, attendu que la malice du diable est si grande qu’il ne peut souffrir que la peine des hommes soit si longue dans le monde.

 

Et partant, ma justice et ses fautes l’exigeant aussi, quelques- uns sont pris avant que la disposition naturelle l’exige, aussi cela a été éternellement prévu par ma prescience, laquelle il est impossible de contrevenir ; de même souvent les bons sont appelés avant que la disposition naturelle l’exige, d’autant que l’excès de l’amour que je leur porte , la ferveur de leur dilection, et la peine qu’ils ont à retenir et réprimer leur corps, font qu’ils sont emportés, comme je l’avais prévu de toute éternité, ma justice l’exigeant ainsi. Donc, je ne fais pas plus contre la disposition naturelle du corps que contre celle de l’âme.
 

Chapitre 2

 

Plainte du fils de Dieu en présence de l’épouse, à raison d’une âme qui serait damnée. Réponse de Jésus-Christ  au diable, pourquoi il permet qu’elle touche et reçoive son précieux corps.

 

Dieu comme en colère dit : L’œuvre de mes puissantes mains me méprise d’autant plus que je l’ai constituée en plus grand honneur. Cette âme dont mon amour avait eu un grand soin, m’a fait trois choses : elle détournait ses yeux de moi pour regarder son ennemi ; elle a collé sa volonté au monde ; elle croyait qu’elle pouvait librement m’offenser .

Partant, puisqu’elle ne s’est pas souciée de jeter ses yeux sur moi, je lui ferai une très prompte justice Or, d’autant qu’il a roidi sa volonté contre moi et s’est confié dans les choses vaines, je lui ai ôté son désir.

Alors le diable s’écrie, disant :O juge ! cette âme est à moi.

 

Le juge répondit : Quelles raisons allègues-tu contre elle ?

 

Il répondit : Votre plainte me sert d’accusation contre elle : ne vous a-t-elle pas méprisé, vous qui êtes son Créateur, et en cela même, n’a t elle pas été faite ma servante ? Et parce qu’elle a été subtilement enlevée, comment pouvait elle vous apaiser ? car quand elle a vécu dans le monde saine de corps, elle ne vous servait pas avec un cœur sincère, mais elle aimait avec plus de ferveur et de transport les créatures, endurait avec impatience les fâcheries, et ne considérait pas comme elle devait ses actions pernicieuses ; et à la fin, elle ne brûlait pas du feu d’amour ; et d’autant qu’elle a été subitement emportée, par la même raison, elle est à moi.

Le juge répondit : On ne condamne pas une fin soudaine, si les œuvres sont en conflit. La volonté n’est pas damnée éternellement, sans une mûre et diligente délibération.

Alors la mère de Dieu, venant là dessus , dit :
Mon Fils, le serviteur négligent qui a un ami familier de son maître, n’implorera-t-il pas pour lui ? ne le doit-il pas sauver pour l’amour de lui ?

 

Le juge répondit : Toute justice doit être avec miséricorde et sagesse : avec miséricorde afin de retenir la rigueur de la justice ; avec sagesse, afin de garder en tout l’équité. Que si la faute est si abominable qu’elle ne soit digne de pardon, néanmoins, la justice demeurant toujours entière, peut aucunement s’adoucir.

La mère de Dieu dit alors : Ô mon fils très doux ! cette âme m’a eue toujours en mémoire, m’a toujours honorée, et était bien aise de solenniser mes fêtes, bien qu’elle fût froide à votre égard : Partant, faîtes-lui miséricorde.

 

Le Fils répondit de nouveau : Vous savez et vous voyez toutes choses en moi, Ô ma Mère bienheureuse ! Que si cette âme se souvient de vous, c’est plutôt pour un bien temporel que pour un  bien spirituel, car elle n’a pas traité comme elle devait, mon corps , qui est très pur. Sa bouche puante a empêché mon amour. L’amour du monde et la dissolution de la chair lui ont empêché de voir et de connaître ce que j’avais souffert pour les âmes. La trop grande présomption que je lui pardonnerais , et l’inconsidération de sa fin, ont avancé ses jours. Et bien qu’elle me reçût tous les jours, pour cela elle n’est pas devenue meilleure, attendu qu’elle ne se disposait pas comme elle devait à une si grande réception. En effet, celui qui veut recevoir un bon hôte et seigneur, doit, non seulement préparer le logis, mais disposer tous les ustensiles.

Le prêtre dont il est ici parlé n’en a pas fait de même, car bien qu’il ait nettoyé la maison, néanmoins, il ne l’a pas bien disposée, épurée ; il n’en a pas jonché le pavé de fleurs de vertus ; il n’a pas gardé l’abstinence en ses membres.

Partant, vous voyez tout ce qu’il faut faire et ce qu’il a mérité, car bien que je sois incompréhensible et inviolable, et que je sois partout par ma Divinité;  néanmoins, mes plaisirs sont d’être avec ceux qui sont purs et nets, bien que j’entre dans les bons et les damnés ; car les bons reçoivent mon corps qui a été crucifié, qui est monté au ciel, et qui était figuré par la manne et par la farine de la veuve. Les bons et les mauvais me recevront, mais avec cette différence : les bons pour se fortifier davantage, et les mauvais pour un plus terrible jugement, d’autant qu’en étant indigne, ils osent s’en approcher.

 

 Le diable répondit : S’il s’approchait de vous si indignement, et si son jugement s’augmentait davantage, pourquoi permettiez-vous qu’il s’en approchât, touchant indignement un corps si digne et si auguste ?

Le Juge lui répondit : Tu ne raisonnes pas selon la charité, parce que tu n’en as pas, mais parce que tu y es contraint par ma vertu, pour l’amour de cette mienne épouse qui entend ceci : car comme les bons et les mauvais ont touché à mon humanité, pour montrer que j’avais une vraie et non feinte humanité, l’humilité et la patience, de même les bons et les mauvais me reçoivent à l’autel, les bons pour une grande perfection, et les mauvais, afin qu’ils ne croient être damnés, d’autant que m’ayant reçu, ils peuvent changer la volonté et se convertir, s’ils veulent. Hélas ! quelle charité plus grande pourrais-je montrer que moi, qui suis très-pur, j’entre dans un vase immonde, bien que je ne puisse être souillé par aucun, non plus que le soleil matériel, quand il jette ses rayons sur les choses immondes ! Or, vous et vos amis méprisez une telle charité, d’autant que vous vous êtes roidis contre la charité.

La Mère de Dieu dit de nouveau : O mon Fils très-bon, tout autant de fois qu’il s’est approché de vous, ç’a été avec crainte, bien que non pas autant qu’il le devait. Il s’est aussi repenti de vous avoir offensé, quoiqu’imparfaitement. Que cela donc, ô mon Fils, lui profite pour l’amour de moi.

Le fils répondit derechef : Je suis, comme dit , dessus le soleil matériel : le soleil matériel ne pénètre point les montagnes ni les esprits, mais moi je puis le faire. Si donc les montagnes empêchent le soleil matériel de porter ses rayons aux terres voisines, qu’est-ce qui empêche, dans cette âme, que les rayons de mon amour ne la touchent sinon le péché ? Que si on retirait une partie de cette montagne, il faudrait qu’on évacuât la chaleur des lieux circonvoisins : de même si j’entre en une partie d’un esprit pur, quelle consolation en aurais-je, si , de l’autre part, on sent une grande puanteur? Partant, il faut chasser ce qui est sordide et sale, et après, la beauté suivra le plaisir.

 La Mère de Dieu répondit : Que votre volonté soit faite avec toute sa miséricorde.

 

DECLARATION.

Ce prêtre fut souvent averti et repris de son incontinence, et il ne voulait pas s’amender. Comme il sortait un jour en un pré pour voir son cheval, la foudre le tua, tout le corps demeura entier, excepté les parties honteuses, qui furent entièrement brûlées. Alors l’Esprit de Dieu dit à sainte Brigitte : Ma fille, voilà ce que méritent en l’âme ceux qui sont enveloppés en semblables misères et délectations.
 

Chapitre 3

 

Paroles admirables de la Mère de Dieu à l’épouse par lesquelles il traite comme en ce monde il y a cinq maisons dont les habitants sont cinq sortes de personnes, savoir :
les chrétiens infidèles,
les juifs endurcis, les païens d’eux-mêmes, ceux qui sont tout ensemble juifs et païens et les amis de Dieu.

Il y a dans ce chapitre des choses très utiles

 

C'est chose tout à fait exorbitante que le Seigneur de toutes choses et le Roi de gloire soit méprisé, disait la Sainte Vierge Marie. Il est allé, comme un pèlerin terrestre, de lieu en lieu, et comme un voyageur, heurtant de porte en porte, afin d'être reçu. Le monde en effet était comme un fonds ou il y avait cinq maisons.

 

Maison N°1 les chrétiens infidèles

Or, quand mon Fils vint en la première maison en habit de pèlerin, heurtant à la porte, il parla en ces termes :
Mon ami, ouvrez-moi ; introduisez-moi en votre repos et comme une habitation, de peur que les bêtes farouches ne me nuisent, que la rosée ou la pluie ne tombe sur moi. Donnez-moi de vos vêtements, pour qu'ils me réchauffent, car j'ai froid, pour qu'ils me couvrent, car je suis nu.
Donnez-moi de vos viandes pour rassasier ma faim, de votre boisson pour étancher ma soif, et recevez-en la récompense de votre Dieu.

 

Alors, celui qui était dans cette maison répondit :
Vous êtes trop impatient : partant, vous ne pouvez vous accorder ni habiter avec nous.
Vous êtes trop grand, c'est pourquoi nous ne pouvons vous habiller.
Vous êtes trop cupide et trop gourmand, nous ne saurions vous rassasier :
votre cupidité n'a point de fond.

 

Notre-Seigneur, qui était dehors comme un pèlerin répondit derechef :
Mon ami, faites-moi entrer joyeusement et franchement, car je n'occupe guère de place.

Donnez-moi de vos habits : il n'y a en votre maison, ni pauvre vêtement qui ne suffise pour m'échauffer.
Donnez-moi de vos viandes, car une miette me peut rassasier, et une gouttelette d'eau me rafraîchira et me fortifiera.

 

Celui qui était dans la maison lui répondit derechef :
Nous vous connaissons très bien : vous êtes humble en paroles et importun en demandes.

Vous paraissez modeste et facile à contenter, mais néanmoins, vous êtes trop insatiable pour être rempli.
Vous être très frileux et très difficile à couvrir. Allez-vous-en, je ne vous logerai point.

 

Maison N°2 les  juifs endurcis

Alors il alla à la deuxième maison, et dit :
Mon ami, ouvrez-moi et regardez-moi, car je vous donnerai tout ce dont vous aurez besoin.

Je vous défendrai de vos ennemis.

 

Celui qui était dedans répondit :
Mes yeux sont débiles, votre présence leur nuirait.
Je suis riche en tout ; je n'ai point affaire de ce que vous avez ;
je suis puissant et fort : qui pourrait me nuire ?

 

Maison N°3 les païens  

Alors, venant à la troisième maison, il dit :
Mon ami, écoutez-moi ; étendez votre main et touchez-moi ; ouvrez votre bouche et goûtez-moi.

 

Celui qui était dans la maison lui dit : Criez plus haut, et je vous entendrai.
Si vous êtes doux, je vous toucherai ;
si vous êtes gracieux, je vous recevrai ;
si vous êtes agréable, je vous retirerai.

 

Maison N°4 ceux qui sont tout ensemble juifs et païens

Alors, il alla à la quatrième maison, dont la porte était à demi ouverte, et il dit :
Mon ami, si vous considériez que votre temps est mal employé, vous me recevriez en votre maison.
Si vous pouviez ouïr ce que j'ai fait pour vous, vous compatiriez avec moi.
Si vous considériez avec attention combien de fois vous m'avez offensé, vous gémiriez et me demanderiez pardon.

 

Il répondit :
Nous sommes comme morts de désir et d'attente de vous voir, compatissez donc à nos misères, et nous vous donnons librement ce que vous nous demandez.
Regardez notre misère et considérez l'angoisse de notre corps, et nous serons préparés à tout ce que vous voudrez.

 

Maison N°5 les chrétiens fidèles

Alors il vint à la cinquième maison, qui était entièrement ouverte, et il dit :
Mon ami, je veux entrer ici fort librement ; mais sachez que je cherche un repos plus grand que celui que l'on peut prendre sur la plume [plume dont on fait les matelas de literie];
une chaleur plus fervente que celle que la laine peut entretenir ;
une viande plus fraîche que celle que les animaux peuvent donner.

 

Ceux qui étaient au dedans lui répondirent :
Il y a des marteaux à nos pieds, avec lesquels nous briserons nos os des pieds et des cuisses, et nous vous en donnerons la moelle pour votre repos.
Nous vous ouvrirons franchement nos entrailles : entrez en elles, si vous voulez car comme il n'y a rien de si mou pour vous que nos moelles, aussi n'y a-t-il rien de meilleur pour vous échauffer que nos entrailles.
Notre coeur est plus frais et recru que celui des animaux : nous le taillerons pour votre viande.
Entrez seulement. Vous êtes doux pour être goûté et désirable pour en jouir.

 

[Explication de la comparaison]
Les cinq habitants de ces maisons signifient cinq sortes d'état des hommes :

 

Sur les chrétiens infidèles

les premiers sont des chrétiens infidèles, qui disent que :
-  les jugements de mon Fils sont injustes,
-  ses promesses fausses et
-  ses commandements intolérables.

Ce sont ceux-là qui disent aux prédicateurs de mon Fils :
-  ils disent selon leurs pensées ;
-  ils prêchent selon leur intelligence ;
-  ils disent des blasphèmes.
-  S'il était tout puissant, il se vengerait des injures ;
-  il est si loin qu'on n'y saurait atteindre;
-  il est si haut et si large qu'il ne pourrait être vêtu ;
-  si insatiable qu'il ne peut être repu ;
-  si impatient qu'il ne peut cohabiter avec personne.

 

Ils l'appellent éloigné, d'autant qu'ils ne s'efforcent, à raison de leur pusillanimité en oeuvre et en amour, de venir à sa bonté ;
ils le nomment large, attendu que leur lubricité n'a ni borne ni mesure ;
ils l'estiment défectueux et soupçonnent mal de lui avant qu'il vienne ;
ils l'accusent d'insatiabilité, parce que le ciel et la terre ne lui suffisent pas, que même il exige que l'homme donne tout ce qu'il a de meilleur pour l'âme,
selon son précepte très sot, réputant un grand dommage peu de chose en ce qui touche le corps.[passage manquant dans l'édition du Lion de Juda, Brigitte Baudonnel,  novembre 1991]
Ils l'estiment très impatient, d'autant qu'il hait les vices et verse les lumières et sentiment du contraire dans les volontés. Ils ne réputent rien être beau ni utile, si ce n'est ce que leur volonté corporelle suggère.[passage manquant dans l'édition du Lion de Juda, Brigitte Baudonnel,  novembre 1991]

 

Or, mon Fils est maintenant tout puissant au ciel et en la terre, créateur de toutes choses, et n'est créé d'aucune, étant avant toutes choses, et après lui, il n'y a rien de futur.
De fait, il est très loin, très haut et très large en toutes choses et par-dessus toutes choses.

 

Or, bien qu'il soit si puissant, néanmoins il désire par amour le ministère des hommes, qui n'a besoin de vêtement, qui revêt toutes choses, qui est vêtu lui-même éternellement et immuablement d'honneur et de gloire continuelle.

 

Celui qui est le pain des anges et des hommes, qui rassasie toutes choses et qui n'a besoin de rien,
désire d'être repu de l'amour des hommes.
Il demande la paix aux hommes, lui qui est lui-même le réformateur et l'auteur de la paix.

Donc, quiconque le voudra retirer, il le pourra rassasier d'un esprit joyeux et d'une bonne volonté ;
il lui donne une seule miette de pain ; un seul filet suffit pour le vêtir si la charité est ardente ; une seule gouttelette le pourra abreuver, si l'amour est pur et droit.

 

Celui qui a une dévotion fervente et constante, le peut recevoir en son coeur et lui parler, car Dieu est un esprit.

 

Partant, il veut changer les corporelles en spirituelles, et les passagères en éternelles.
Il répute aussi être fait à lui-même tout ce qu'on fait à ses amis, ni ne considère pas seulement l'oeuvre et la puissance, mais la volonté fervente, et avec quelle intention l'oeuvre a été faite,
mais plus mon Fils crie en ceux-ci par de secrètes et intelligibles inspirations ; plus il les avertit par ses prédicateurs, plus ils endurcissent leur volonté et raidissent leur esprit contre lui.
Ils ne l'écoutent point, ni ne lui ouvrent point la porte de leur coeur, ni ne l'introduisent point par les oeuvres amoureuses et charitables.

 

Partant, le temps viendra que la fausseté sur laquelle ils s'appuient, sera réduite à néant, que la vérité sera exaltée, et que la gloire de Dieu sera manifestée.

 

 

 

Sur les Juifs endurcis

Pour la deuxième sorte de personnes : il leur semble être en tout raisonnables ;
ils ont leur sagesse pour leur justice légale ;
ils prêchent eux-mêmes leurs oeuvres et les préfèrent à toutes,
S'ils entendent les actes de mon Fils, ils les réputent vils et méprisables ;
s'ils entendent ses paroles et ses commandements, ils s'en indignent ; voire

ils s'estiment pécheurs et contaminés, s'ils considèrent et entendent ce qui touche à mon Fils.
Ils se réputent aussi plus malheureux et plus misérables, s'ils imitaient ses oeuvres.

 

Or,tant qu'ils vivront, ils s'estimeront très heureux;
tant qu'ils seront en santé, ils croiront être très puissants en leurs propres forces.
Partant, leur espérance sera réduite à néant, et leur gloire se changera pour eux en confusion.

 

Sur les païens

La troisième sorte sont les païens. Quelques-uns d'eux crient en se moquant : Qu'est-ce Christ ?
S'il est doux et facile à donner les choses présentes, nous le recevrons franchement ;
s'il est clément à pardonner les péchés, nous l'honorerons librement.

Mais ceux-ci ont clos l'oeil de leur intelligence, pour ne pas comprendre la justice et la miséricorde divine ; ils bouchent leurs oreilles afin de ne pas ouïr ce que mon fils a fait pour l'amour d'eux et pour l'amour de tous , ils serrent leur bouche et ne s'enquièrent point de ce qui leur est utile et expédient ; ils plient leur mains et ne veulent pas travailler ; ils ne veulent pas chercher la voie par laquelle ils pourraient fuir le mensonge et trouver la vérité.

Partant, puisqu'ils ne veulent pas entendre et se donner garde, en ayant le temps, ils tomberont avec leur habitation, et ils seront ensevelis en la tempête.

 

Sur ceux qui sont tout ensemble juifs et païens

La quatrième sorte, seraient volontiers chrétiens, s'ils savaient les manières d'agréer à mon Fils, et si quelqu'un les aidait et les instruisait. Ceux-ci voient des voisins , et entendent par les clameurs intérieures de l'amour et par d'autres signes, combien mon Fils a souffert pour tous. C'est pourquoi ils crient en leur conscience à mon fils, disant :

O Seigneur ! nous avons ouï que vous avez promis que vous vous donneriez à nous, nous vous attendons. Venez donc et accomplissez votre promesse, car nous voyons bien qu'en ceux qui servent les faux dieux, il n'y a aucune vertu divine, nulle charité pour les âmes, nulle chasteté signalée, mais nous avons trouvé en eux l'amitié corporelle et la dilection de l'honneur du monde.

 

Nous avons aussi entendu quelque chose de votre loi, et ouï vos merveilles prodigieuses en miséricorde et en justice.
Nous avons appris par les paroles des prophètes, qu'ils attendaient celui qu'ils avaient prophétisé.
Donc, ô Seigneur pieux et clément ! venez, car nous nous donnerons volontiers tout à vous ; car nous avons ouï qu'en l'amour des âmes, sont l'usage discret de toutes choses, la pureté parfaite et la vie éternelle. Venez donc vite, car nous sommes presque morts à force de vous attendre. Venez et illuminez-nous.

 

C'est de la sorte que ceux-ci crient à mon Fils et c'est pourquoi aussi la porte leur est demi-ouverte.
En effet, ils ont une parfaite volonté pour le bien, mais elle n'est pas encore sortie en effet.

Ce sont ceux-ci qui méritent d'avoir la grâce et la consolation de mon Fils.

 

Sur les chrétiens fidèles

En la cinquième maison sont mes amis et mes enfants ;
la porte intérieure de leur esprit est entièrement ouverte à mon Fils.
Ceux-ci entendent franchement l'appel et la vocation de mon Fils, et non-seulement ils lui ouvrent quand il heurte,
mais ils lui vont au-devant avec joie quand ils le voient venir ; ils rompent et cassent, par les marteaux des préceptes divins, tout ce qui n'est pas juste et droit en eux, et préparent à mon Fils un repos, non en un lit de plume mais en la mélodie et l'accord des vertus, en la mortification des propres affections, qui sont les moelles des vertus.

 

Ceux-ci aussi donnent à mon Fils une chaleur non causée par la laine mais par l'amour fervent ; et d'ailleurs, ils lui préparent une réfection plus fraîche que la viande, et qui est que, dans leur coeur, ils ne désirent rien et n'aiment rien que Dieu.

 

Dans leur coeur habite le Seigneur du ciel, et Dieu, qui repaît tout le monde, est repu de leur amour.
Ceux-ci ont toujours les yeux à la porte, de peur que leur ennemi n'entre, les oreilles au Seigneur,
et les mains pour combattre l'ennemi.

 

Imitez ceux-ci ma fille, autant que vous pourrez, car leur fondement est bâti en la pierre ferme.
Mais les autres maisons sont fondées sur la boue, et partant, elles tombent au premier souffle de vent.
 

Chapitre 4

 

Parole de la Mère de Dieu adressées à son Fils, pour l’amour de l’épouse sainte Brigitte. de la manière dont Jésus-Christ est préfiguré par Salomon, et de la sentence cruelle qui est fulminée contre les faux chrétiens.

 

La Mère de Dieu parlait à son Fils, disant:
Mon Fils, voici que votre épouse pleure, d'autant que vous avez force ennemis et peu d'amis.

 

Salomon figure Jésus fut méconnu, les 2 sont méconnus par les leurs

Le Fils répondit :
Il est écrit que les enfants du royaume seront jetés dehors, et que les étrangers le possèdent en héritage.  Il est aussi écrit qu'une reine est venue des parties éloignées de la terre pour voir les richesses de Salomon et pour ouïr sa sagesse; et quand elle l'eut vue, elle en fut comme ravie.  Or, ceux qui étaient en son royaume [les juifs vivant avec Salomon] ne pensaient pas à sa sagesse ni n'admiraient ses richesses.

 

Or, je suis le vrai Salomon préfiguré, mais beaucoup plus riche et plus sage que lui, attendu que toute sagesse est de moi, et cela même que quelqu'un soit sage; mes richesses font la vie éternelle et la gloire indicible.
J'ai promis tout cela aux chrétiens, et le leur ai donné comme à mes enfants, afin que, s'ils m'imitaient et croyaient à mes paroles, ils possédassent ces richesses éternellement.

 

Les Païens recevront ce que les Mauvais chrétiens méprisent

Or, ceux-ci ne considèrent point ma sagesse, méprisent mes œuvres et estiment pour néant et mes promesses et mes richesses.

 

Qu'est-ce donc que je leur dois faire ?
Certes, puisque les enfants ne veulent pas avoir mon héritage, les étrangers, c'est-à-dire, les païens le posséderont; car eux, comme une reine étrangère et comme des âmes infidèles, viendront et admireront les richesses de ma gloire, et de mon amour qui les enflammera de telle sorte qu'ils se videront de l'infidélité et se rempliront de mon Esprit.

 

Les Mauvais chrétiens iront en enfer- image du potier

Or qu’est-ce que je ferai aux enfants de mon Royaume ? Je me comporterai en leur endroit comme un sage potier, qui, n’ayant pas considéré la boue de laquelle il a fait le pot, trouvant qu’elle n’est pas belle et bonne, la jette par terre et la brise en menus morceaux.

 

Je ferai de la sorte aux chrétiens, qui, quand ils devraient être à moi, les ayants faits et formés à mon image et ressemblance et rachetés par mon sang, se sont rendus sales et méprisables.
Partant, je les foulerai aux pieds comme boue et les précipiterai dans l’enfer.

[conforme 1859]

 

Chapitre 5

 

Paroles de Dieu en la présence de l'épouse, où il parle de sa magnificence; et en figure, il traite comment Jésus-Christ est préfiguré par David; les juifs, les païens et les mauvais chrétiens, par les trois enfants de David; et enfin comment l'église a sept sacrements.

 

Je suis Dieu, non de pierre ou de bois, non créé par quelqu'un, mais créateur adorable de toutes choses, étant sans commencement et sans fin.
Je suis celui qui est venu à la Vierge sans perdre ma Divinité. 

 

Mais moi  je suis celui qui était pour l'humanité en la Vierge, demeuré en la Vierge, sans perdre ma Divinité.
Mais Moi je suis celui qui étais pour l'humanité en la Vierge, sans laisser ma Divinité.

Je suis la même chose avec le Père et le Saint-Esprit, qui régnais au ciel et sur la terre par ma Divinité ; j'enflammais aussi par mon Esprit la Sainte Vierge, non pas que mon Esprit qui l'enflammait fût séparé de moi, mais le même Esprit qui l'enflammait était la même chose avec le Père et avec moi, qui suis le Fils, et le Père et le Fils étaient en lui, et ces trois personnes ne sont pas trois Dieux, mais un seul Dieu.

 

Je suis semblable au roi David, qui a eu trois fils:
l'un d'eux s'appelait Absalom, qui pourchassait à mort son père;
le deuxième, qui était Adonias, le voulait débouter de son royaume ;
le troisième obtint le royaume, savoir, Salomon.

 

Absalon représente les juifs

Le premier marque les juifs, qui me pourchassaient à mort et méprisaient mes conseils : partant, maintenant, ayant connu leur ingratitude, je puis dire d'eux ce que disait David de son Fils après son décès : O mon fils Absalom, c'est-à-dire, ô juifs, qui êtes mes enfants, où sont maintenant votre désir et votre attente ? ô mes enfants, où est maintenant votre fin ?
Je compatissais avec vous, lorsque vous désiriez ma venue, qui vous a été annoncée par tant et tant de signes donnés, lorsque vous désiriez les choses passagères qui vous étaient déjà échappées toutes.
Mais maintenant, je compatis plus avec vous, comme un autre David, qui réitérait souvent la dernière parole, disant: O mon fils Absalom! ô Absalom mon fils! attendu que je vois maintenant votre fin en la misère de la mort, c'est pourquoi encore avec un grand amour je dis comme David :

O mon Fils, qui me donnera cette faveur de mourir pour vous ?

 

Or, David sut bien que par sa mort il ne pouvait pas ressusciter son fils, mais en cela, il montrait l'amour paternel, et sa bonne volonté prompte à mourir pour le ressusciter, s'il eût été possible.
J'en dis de même maintenant: O juifs, mes enfants, bien que vous ayez eu une mauvaise volonté contre moi, et ayez fait le pis que vous avez pu, s'il était pourtant possible et que cela plut à mon Père, je mourrais volontiers encore une fois pour l'amour de vous, tant j'ai compassion de votre misère, que vous-mêmes avez acquise, ma justice le permettant ainsi;  car je vous ai dit par parole ce qu'il fallait faire et vous l'ai montré par exemple.
Je vous ai précédés comme une poule, vous échauffant sous les ailes de mon amour; mais vous avez tout méprisé. C'est pourquoi tout ce que vous avez désiré s'est enfui de vous: votre fin est en la misère, et votre labeur est vain.

 

En Adonias, second fils de David, sont signifiés les mauvais chrétiens.

Adonias offensa son père en sa vieillesse, car il pensa ainsi à part soi: Mon père est vieux; la force lui manque.
Si je lui parle de quelque chose de sinistre, il ne répondra pas; si je fais quelque chose contre lui il ne s'en vengera pas; si j'attente quelque chose contre lui, il le supportera patiemment; partant, je ferai ce que je voudrai.

 

Il monta en une forêt où il y avait peu d'arbres, avec une poignée de serviteurs de son père, pour régner là.  Mais la sagesse de son père éclatant, et ses volontés lui étant manifestées, ses conseils ont été changés, et ceux qui étaient avec lui ont été méprisés et rendus contemptibles.
De même font les chrétiens: ils pensent de moi en la manière, disant:  "Les signes de Dieu et ses jugements ne nous sont point connus;
nous pouvons maintenant, comme devant, dire ce que nous voudrons, car il est miséricordieux et ne s'en avise point. Faisons ce qu'il nous plaira, car il pardonne facilement. "

Ils se défient de ma toute puissance, comme si j'étais maintenant plus infirme qu'auparavant pour faire ce que je veux; ils pensent que mon amour s'est diminué, comme si je ne voulais en avoir non plus de miséricorde que de leur pères; ils estiment mes jugements moquerie et ma justice vanité,
c'est pourquoi ils montent dans les forêts avec quelques serviteurs de David pour régner confidemment.

 

Quelle est cette forêt où il y a si peu d'arbres, sinon la sainte Eglise, qui subsiste par les sept sacrements, comme par autant d'arbres ?
Ils entrent dans cette Eglise avec quelques serviteurs de David, c'est-à-dire, avec quelques petites bonnes oeuvres, afin que confidemment ils obtiennent le royaume de Dieu; car ils font quelques petites bonnes oeuvres, dans lesquelles ils se confient tant que, bien qu'ils soient en quelque péché et en quelque crime que ce soit, bien que détestables, ils croient pourtant avoir le ciel comme par un droit héréditaire.
Mais comme le fils de David, qui voulait avoir le royaume de son père, a été déshonorablement repoussé, attendu que, tout injuste qu'il était il voulait se l'arroger injustement et il a été donné à un plus sage et meilleur: de même ces chrétiens seront repoussés de mon royaume, et mon royaume sera donné à ceux qui font la volonté de David, car autre ne pourra obtenir le royaume céleste que celui qui aura la charité, ni autre ne pourra s'approcher de ma pureté, qui ne soit pur selon mon coeur.

 

Le troisième fils de David était Salomon, qui signifie les païens

 

Bersabée ayant ouï qu'un autre que Salomon était élu pour régner, à qui néanmoins David avait promis le royaume, alla vers David et lui dit:

Mon Seigneur, vous m'avez juré que Salomon régnerait après vous; or, maintenant un autre est élu; si cela passe de la sorte, je serai condamnée au feu comme une adultère, et mon fils sera illégitime.

David ayant ouï ces choses, se leva et dit: je jure de la part de Dieu que Salomon règnera après moi.  Et il commanda à ses serviteurs qu'ils élevassent Salomon au trône de son royaume, et qu'on ne publiât roi que celui que David avait élu; lesquels accomplissant le commandement de leur seigneur, exaltèrent Salomon avec une grande puissance; et tous ceux qui avaient été de l'avis de son frère, furent chassés et faits serviteurs.

 

Quelle est cette Bersabée, laquelle sera réputée pour adultère si on élit un autre roi, si ce n'est la foi de païens ? car il n'y a pas de plus pernicieux adultère que de se retirer de Dieu et de la foi droite, et croire quelqu'autre Dieu que le Créateur de toute chose; mais comme une autre Bersabée, quelques gentils viennent à Dieu, disant d'un coeur humble et contrit: Seigneur, vous nous avez promis qu'à l'avenir nous serions chrétiens : accomplissez donc votre promesse.  Si un autre roi, c'est-à-dire, une autre foi est née parmi nous; si vous vous séparez de nous, nous marcherons misérables, et nous mourrons comme des adultères qui ont pris pour un légitime mari un adultère.  Et bien que vous viviez éternellement vous mourrez pour nous, et nous à vous, puisque, par la grâce, vous vous éloignez de nos coeurs, et nous nous opposons à vous par notre défiance.

Partant, accomplissez votre promesse; confortez notre infirmité et illuminez nos ténèbres, car si vous différez, c'est-à-dire, si vous vous éloignez de nous, nous périrons.

Ayant ouï ces choses, comme un autre David, je les veux élever par ma grâce et miséricorde.  Je jure donc par ma Déité, qui est avec mon humanité, et par mon humanité, qui est en mon Esprit, et par mon Esprit, qui est en ma Déité et en mon humanité, (et les trois ne sont pas trois dieux, mais un Dieu)  que j'accomplirai ma promesse.  J'enverrai mes amis afin qu'ils introduisent Salomon, mon fils, c'est-à-dire, les païens, dans l'Eglise, qui subsiste par les sept sacrements comme par sept arbres: le Baptême, la Pénitence, la Confirmation, l'Eucharistie, l'Ordre, le Mariage et l'Extrême-onction; et ils se reposeront en mon siège, c'est-à-dire, en la foi droite de la sainte Eglise. Mais les mauvais chrétiens seront leurs serviteurs; ils se réjouiront de l'héritage perpétuel et de la douceur que je leur préparerai. Or ceux-ci gémiront leur misère, qui commencera en ce monde et ne finira pas en l'autre. Partant, ô mes amis! Ne dormons pas, et ne nous fâchons pas quand il est temps de veiller, car une récompense glorieuse suivra nos travaux.

 

Chapitre 6

 

Paroles du Fils de Dieu en présence de l’épouse, traitant de quelque roi assis en un champ avec ses amis à la droite et ses ennemis à la gauche; et en quelle manière Notre-Seigneur est signifié par un tel roi, qui a les chrétiens à la droite et les païens à la gauche; et comment, ayant rejeté les chrétiens, il envoie des prédicateurs aux païens.

 

Le Fils de Dieu disait: Je suis comme un roi qui est aux champs, à la droite duquel sont ses amis, et à sa gauche ses ennemis, où tous assemblés, une voix de quelqu’un qui criait, vint à la droite, où tous assistaient armés, ayant leur heaumes liés et leur face tournée vers Notre-Seigneur.

Or, cette voix criait ainsi: Tournez-vous vers moi et croyez-moi. J’ai de l’or à vous donner.

Lesquels, entendant cela, se tournèrent vers lui, et la voix leur dit pour une seconde fois: Si vous voulez voir l’or, déliez vos heaumes, et si vous le désirez posséder, j’attacherai derechef vos heaumes selon ma volonté; lesquels condescendants, il leur attacha les heaumes ce qui est devant derrière, de sorte qu’ils n’y voyaient pas; et ainsi criant, il les amenait après lui.

 

Ces choses étant faites, quelques amis du roi l’annoncèrent à leur seigneur, disant que les hommes étaient méchamment séduits par les ennemis. Le seigneur dit à ses amis: Allez avec eux, et criez ainsi: Déliez vos heaumes, et voyez, car vous êtes déçus. Convertissez-vous à moi, et je vous recevrai en paix.

 

Or, ils ne le voulurent point ouïr, mais ils s’en moquèrent. Ce que voyant, les serviteurs l’annoncèrent à leur seigneur, qui dit: D’autant donc qu’ils m’ont méprisé, allez-vous-en vite à leur gauche, et dites-leur ces trois choses:

La voie qui conduit à la vie vous est toute prête; la porte est ouverte, et notre seigneur en personne veux vous aller au-devant. Croyez donc que la voie vous est préparée; espérez fermement et constamment que la porte vous sera ouverte et que ces paroles sont vraies. Allez au-devant du seigneur avec amour, et il vous recevra avec charité, et il vous conduira au repos éternel.

Or, entendant les paroles de ceux qui étaient envoyés, ils crurent et furent reçus en paix.

 

Je suis ce roi, dit Notre-Seigneur, qui ai les chrétiens à ma droite et qui leur ai préparé un bien éternel. Leurs heaumes étaient alors liés, et leurs visages tournés contre moi; ils ont eu une ferme et parfaite volonté d’accomplir la mienne, d’obéir à mes commandements, et de porter leurs désirs au ciel.

 

Enfin, la voix du diable, c’est-à-dire la voix de la superbe, résonna au monde, leur enseignant les richesses du monde et la volupté charnelle, à laquelle ils se convertirent avec affection, et consentirent à leur superbe, pour la quelle alors ils posèrent leurs heaumes, quand ils accomplirent en effet leurs brutales affections, et préférèrent les choses temporelles aux choses spirituelles. 

Ayant donc posé les heaumes des volontés divines et les armes des vertus, la superbe prévalut tellement en eux, qu’elle les obligea si entièrement qu’ils eussent voulu pécher toujours, et eussent voulu vivre éternellement pour éternellement pécher. Cette superbe les a tellement aveuglés qu’elle leur a mis les yeux derrière la tête. Que sont les trous du heaume, sinon la considération des choses passées et une sage circonspection des choses présentes?

Par le premier trou, ils devraient considérer les récompenses éternelles, et combien elles sont délectables, et combien les supplices futurs sont horribles, et combien sont terribles les jugements de Dieu.

Par le deuxième trou, ils devraient considérer ce que Dieu commande et ce que Dieu défend, combien ils s’éloignent des commandements de Dieu, et en quelle manière ils pourraient s’amender. Mais hélas! Les trous sont au derrière de la tête, où on n’y voit rien, car la considération des choses célestes est ensevelie dans l’oubli; l’amour de Dieu s’est refroidi en eux, et l’amour du monde est si doucement considéré et embrassé, qu’il les conduit où ils veulent, comme une roue bien ointe.

 

Vraiment, mes amis, voyant qu’ils me déshonorent, considérant la chute des âmes et le domaine du diable, crient à moi tous les jours, par leurs instantes et humbles prières, lesquelles ont pénétré les cieux et percé mes oreilles; et moi, fléchi par leurs prières, je leur ai envoyé mes prédicateurs; je leur ai montré des signes et ai multiplié en eux mes grâces. Mais méprisant tout, ils ont ajouté un péché à un autre.
 
Partant, je dirai à mes serviteurs, et en vérité, je l’accomplirai maintenant: Mes serviteurs, allez à ma gauche, c’est-à-dire, vers les païens, qui ont été jusqu’à aujourd’hui en mépris; allez, dis-je, et parlez en ces termes: Le Seigneur du ciel et le Créateur de toutes choses vous fait dire que la voie du ciel est ouverte: ayez volonté d’y entrer avec une foi ferme. La porte du ciel vous est ouverte; espérez fermement, et vous entrerez. Le Roi du ciel et le Seigneur des anges vous veut aller lui-même au-devant, vous donner la paix et perpétuelle bénédiction: allez-lui au-devant, et recevez-le avec la foi qu’il vous a montrée, par laquelle la voie du ciel est préparée. Recevez-le avec espérance, par laquelle vous attendez que vous posséderez le ciel qu’il vous veut donner. Aimez-le de tout votre cœur, et accomplissez par effet cet amour. Entrez à Dieu par les portes du ciel; les chrétiens qui ne veulent pas entrer par elles et s’en rendent indignes par les œuvres, en seront repoussés.

 

Je vous dis en vérité que j’accomplirai mes paroles, et je n’y manquerai pas. Je vous recevrai pour mes enfants, et je vous serai Père que les chrétiens ont méprisé.

 

Vous donc, mes amis, qui êtes au monde, marchez sûrement; criez et annoncez-leur ma volonté, et aidez-les, afin qu’ils puissent accomplir mes volontés. Je serai dans votre cœur et dans votre bouche. Je serai votre conducteur en la vie, et votre conservateur en la mort. Allez sûrement, je ne vous laisserai point. La gloire croît par le labeur, car je pourrais toutes choses en un moment et en une parole, mais je veux que du combat croisse votre couronne, et que de votre courage croisse mon honneur.
 
N’admirez pas ce que je vous dit, car si un homme sage pouvait considérer ceci dans le monde, combien d’âmes descendent tous les jours dans l’enfer, il verrait qu’il y en a plus que du sable dans la mer et que de petits cailloux au rivage, car la justice et l’équité veulent que ceux qui se sont séparés de Dieu soient conjoints avec le diable. Partant, afin que le nombre du diable soit diminué, qu’on voie le péril présent et que mes troupes soient augmentées. Je parle ainsi, afin que, par aventure, s’ils entendent, ils s’amendent.

Chapitre 7

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse, traitant de la manière dont la Divinité est comparée à une couronne. Comment est désigné l’état des clercs et laïques par saint Pierre et saint Paul. Des moyens qu’il faut tenir avec les ennemis, et des conditions qu’il faut avoir avec les soldats de ce siècle.

 

Le Fils de Dieu parlait à son épouse, lui disant: Je suis le Roi des couronnes. Ne savez-vous pas pourquoi je suis appelé Roi des couronnes? Certainement, ma Divinité est sans commencement et sans fin. Ma Divinité est comparé à une couronne, d’autant qu’elle est sans commencement et sans fin; car comme en un royaume, on garde toujours une couronne pour le roi futur, de même ma Divinité était réservée à mon humanité pour en être couronnée. Or, j’ai eu deux domestiques: l’un était clerc et l’autre était laïque; l’un était Pierre, ayant office de clerc, et Paul était comme laïque;

 

Pierre était lié au mariage; mais voyant que le mariage ne pouvait s’accorder avec l’office de clerc, et considérant que sa pure intention périclitait en l’incontinence, il se sépara tant seulement de l’usage du mariage, afin qu’il fût uni à moi plus librement. Mais Paul garda la chasteté, et se conserva pur du lit de noces.

 

Voici quelle charité j’ai faite au monde avec ces deux: j’ai donné à Pierre les clefs du ciel, de sorte que ce qu’il lie et délie en terre est lié et délié au ciel. J’ai donné à saint Paul cette faveur, qu’il fût semblable à saint Pierre en gloire et en honneur: car comme en terre ils ont été égaux et unis ensemble, de même maintenant au ciel, ils sont conjoints et glorifiés en la gloire perpétuelle. Mais bien que j’aie nommé ces deux expressément, néanmoins, j’entends avec eux les autres qui sont nos amis; car comme autrefois, en la loi, je parlais à un seul Israël comme à un homme, entendant parler en ce seul mot de tout le peuple d’ Israël, de même maintenant, en ces deux, j’entends parler de plusieurs, que j’ai remplis de gloire et d’amour.

 

Or, le temps allant en avant, les maux ont commencé de se multiplier, et la chair de se rendre infirme et d’être plus que de coutume encline au mal. Partant, à l’un et l’autre état des clercs et laïques, signifiés en Pierre et en Paul, ayant regard à ma miséricorde, j’ai permis aux clercs d’avoir modérément des biens de l’Église pour l’utilité du corps, afin qu’ils en fussent plus fervents et plus fréquents à mon service; j’ai permis aux laïques le mariage selon les cérémonies de l’Église.

 

Entre les clercs, il y avait un bon homme qui considérait à part soi ceci: La chair m’entraîne aux perverses volontés, le monde à l’usage pernicieux; le diable me tend plusieurs embûches pour me faire tomber dans le péché.

Partant, afin que je ne sois pas supplanté par la chair et par la volupté, je mettrai un moyen en toutes mes actions: je modérerai ma réfection; je tempérerai mon sommeil; je garderai le temps qui est dû au travail et à l’oraison; je châtierai ma chair par des jeûnes.

En deuxième lieu; afin que le monde ne m’arrache de l’amour de Dieu, je veux laisser tout ce qui est du monde; car tout est périssable; il est plus sûr de suivre en pauvreté Jésus-Christ.

En troisième lieu, afin que le diable ne me trompe ( car il montre toujours le faux pour le vrai), je me soumets à l’obéissance et au gouvernement d’autrui, et me montrerai disposé à faire tout ce qu’on me commandera.

 

C’est celui-là le premier qui a institué la vie monastique, et qui, persévérant louablement en elle, a laissé aux autres l’exemple vif de sa vie pour le suivre et l’imiter.

 

L’état des laïques fut bien disposé pour quelque temps. Quelques-uns d’eux cultivaient la terre et étaient fidèles au labourage des champs. Les autres allaient par mer, transportant les marchandises aux autres régions, afin que la nécessité d’une région fût soulagée par la fertilité de l’autre. Quelques autres s’adonnaient aux ouvrages d’art. De ceux-là, quelques-uns étaient défenseurs de mon Eglise, qui sont maintenant appelés curieux; qui ont pris les armes pour venger les injures qu’on fait à mon Eglise et pour combattre ses ennemis. Entre ceux-là, il apparut un bon homme, mon ami, qui considérait à part soi: Je ne cultive pas la terre comme un laboureur; je ne traverse pas les mers comme un marchand; je ne m’adonne pas aux ouvrages comme un ouvrier excellent. Qu’est-ce donc que je ferai,ou par quels ouvrages apaiserai-je mon Dieu? Même, je ne suis pas généreux à défendre l’Église. Mon corps est débile et mou pour souffrir les plaies; ma main est lâche pour frapper ses ennemis, et mon esprit dégoûté pour considérer les choses célestes. Que faut-il donc faire maintenant? Certainement, je sais ce que je ferai: je me lèverai, et je m’obligerai, avec serment ferme et stable sous un prince temporal, à défendre la foi de la sainte Église aux dépens de mon sang, à bien faire.

 

Or, ce mien ami venant à ce prince, lui dit: Seigneur, je suis un des défenseurs de l’Église; mon corps est trop lâche pour souffrir les plaies; mes mains sont trop faibles pour blesser; mon esprit est inconstant pour la considération des choses bonnes et pour faire de bonnes oeuvres; ma volonté propre me plaît; mon repos ne me permet pas de résister et de combattre courageusement pour la maison de Dieu. Partant, je m’oblige avec jurement public, sous l’obéissance de la sainte Église et de la vôtre, ô princes! À la défendre tous les jours de ma vie, afin que si, peut-être, mon esprit et ma volonté sont lâches pour combattre, je sois obligé par jurement de bien agir et opérer. Le prince lui répondit: J’irai avec vous en la maison de Dieu, et serai témoin de votre promesse et de votre jurement.

 

Or, tous deux venant à l’autel, mon ami, ayant fléchi le genou devant l’autel, dit; Je suis tout faible et infirme en ma chair pour souffrir des blessures; ma volonté propre m’est trop chère, et ma main est trop lâche pour frapper. C’est pourquoi maintenant, je promets obéissance à mon Dieu, et à vous, qui êtes chef, m’obligeant avec jurement à défendre l’Église contre ses ennemis et à aider ses amis; à faire du bien aux veuves, aux orphelins et à ceux qui sont fidèles à Dieu; à ne faire jamais rien contre l’Église ni contre sa foi. D’ailleurs, je m’oblige à votre correction, s’il advient que j’erre, afin qu’obligé d’obéir, je pèche moins, résiste à ma propre volonté, et avec plus de ferveur et de facilité, je suive la volonté de Dieu et la vôtre; et que je sache que désormais il me sera d’autant plus damnable, et me rendrai par-dessus les autres d’autant plus contemptible, si, ayant violé vos commandements, je présume d’y contrevenir.

 

Or, ayant fait cette promesse devant mon autel, le prince, le considérant sagement, lui prépara un habit différent et distinct de celui du monde, en signe qu’il avait renoncé à la propre volonté, et afin qu’il sut qu’il avait un supérieur et qu’il lui devait obéir. Ce prince lui donna aussi en sa main un glaive tranchant, lui disant: Vous taillerez en pièces les ennemis de Dieu et les tuerez. Il mit aussi en ses bras un bouclier, lui disant: Défendez-vous avec ce bouclier des dards des ennemis, et souffrez patiemment les coups, de sorte que votre bouclier soit plutôt mis en pièces avant que vous finissiez.

 

 

Ce mien ami promit d’observer et de garder fidèlement ses promesses en la présence de mon clerc, qui l’ouït. Or, ce clerc lui donna mon corps pour force et fermeté, afin que mon ami, m’étant uni par mon corps, ne fût jamais séparé de moi. Tels ont été mon ami Grégoire et plusieurs autres; tels certes devraient être les chevaliers, qui devraient avoir le nom pour dignité, l’habit pour l’oeuvre et pour défense de la foi sainte. Oyez maintenant ce que mes ennemis font contre ce que mes amis ont fait.

 

Enfin, mes amis entraient dans le monastère par crainte discrète et par amour. Mais hélas! Ceux qui sont dans le monastère vont au monde, poussés par la superbe et la cupidité, pour assouvir leur propre volonté et pour satisfaire aux contentements du corps. Ceux qui meurent en une si pernicieuse volonté, la justice veut qu’ils ne goûtent ni n’obtiennent les joies célestes, mais bien, dans l’enfer, les peines et les supplices sans fin. Sachez aussi que ceux qui vivent dans les cloîtres, s’ils sont contraints d’être prélats contre leur volonté, et sont portés seulement par l’amour divin, ne font pas le nombre avec ceux-là. Les chevaliers aussi, qui portaient mes armes et ont été prêts à donner leur vie pour la justice et à répandre leur sang pour la sainte foi, défendant justement les pauvres, humiliaient et déprimaient les mauvais. Mais maintenant, écoutez comment ils me sont contraires: il leur plaît plus de mourir en la guerre pour la superbe, la cupidité et l’envie, suivant les suggestions diaboliques, que de vivre selon mes commandements pour obtenir la joie éternelle. Donc, récompense sera donnée à tous ceux qui mourront en une telle volonté par le jugement de ma justice rigoureuse, savoir: aux âmes de ceux-là, une éternelle conjonction avec le diable; mais ceux qui me servent doivent avoir une récompense incorruptible, sans fin, avec les troupes célestes.

 

Moi, Jésus, qui suis vrai Dieu et vrai homme, un Dieu avec mon Père et mon Saint-Esprit, j’ai dit ces paroles.

 

Chapitre 8

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse, par lesquelles il traite de quelque chevalier qui s’était retiré de la vraie milice, c’est-à-dire, de l’humilité, obéissance, patience, foi, etc. allant à la fausse, c’est-à-dire, à la superbe; et aussi au contraire de l’expérience de la damnation, et de la damnation qu’il a encourue, tant à raison de ses mauvaises volontés que pour ses oeuvres méchantes.

 

Je suis le vrai Dieu. Il n’y a de fait, il n’y a eu, il n’y aura seigneur plus grand que moi, car mon domaine dépend de moi. Partant, je suis le vrai Seigneur, et autre ne doit être ainsi appelé que moi seul, d’autant que toute puissance est de moi.

 

Je vous ai dit que j’avais des domestiques, dont l’un entreprit virilement et consomma glorieusement une vie louable, que plusieurs imitèrent et suivirent après, en même vie et en même milice. Qui vous dira maintenant qui est celui-là qui, le premier, s’est retiré de la profession de la milice instituée par mon ami? Je ne vous dis pas son nom, car vous ne le connaissez pas; par le nom, je vous montrerai quel il était par son intention et par son affection.

 

Quelqu’un, voulant être chevalier, s’en vint à mon Église; à l’entrée, il ouït une voix qui lui disait: Si vous voulez vous enrôler en cette milice, il faut que vous ayez trois choses: 1 vous devez croire la substance du pain que vous voyez en l’autel, être le vrai Dieu et homme, Créateur du ciel et de la terre. 2 Vous devez- vous plus abstenir de votre propre volonté, après avoir péché, qu’auparavant. 3. Vous ne devez vous soucier de l’honneur du monde, et je vous donnerai la délectation divine et l’honneur éternel.

Ce soldat, ayant ouï ces trois choses, et délibérant de les suivre , ouït soudain en son esprit une autre pernicieuse voix qui lui disait trois choses contraires à ce que dessus: Si vous me voulez servir: je vous donnerai en possession tout ce que vous voyez; je vous ferai ouïr tout ce qui plaît aux hommes, et vous ferai obtenir tout ce que vous désirez.

 

Ce chevalier, oyant ces choses, considéra à part soi: Ce premier seigneur me commande de croire ce que je ne vois pas, me promet ce que je ne sais pas, me défend les plaisirs que je désire et que je vois, et veux que je mette mon espérance en des choses qui sont incertaines en moi. L’autre me promet le monde et l’honneur que je vois, la délectation que je souhaite, ne me défend ni l’ouie ni la vue des choses délectables. Certainement, il vaut mieux suivre le maître que je vois, et jouir de ce qui est sensible; jouir des choses dont je suis certain, que mettre mes espérances en des choses incertaines.

 

Cet homme, considérant les choses de la sorte, commença de se retirer de la milice, renonça à sa vraie profession, enfreignit sa promesse, jeta le bouclier de patience devant mes pieds, rejeta de ses mains le glaive par lequel il défendait la foi, et ainsi de mon Église, à qui cette pernicieuse voix avait dit: Si, comme je vous ait dit, vous voulez être à moi, vous devez aller au camp avec toute sorte d’orgueil, et par les places, avec toute sorte de vanité, car comme ce premier maître vous a commandé l’humilité en toutes choses, de même, étant à moi, il n’y doit avoir genre de superbe que vous n’expérimentiez. Et comme lui est entré avec subjection et obéissance, de même ne souffrez point qu’aucun de vous soit supérieur; ne faites pas la révérence à pas un par esprit d’humilité.

 

Prenez le glaive en main pour répandre le sang de votre prochain et de votre frère, pour posséder ses moyens ; mettez votre bouclier au bras, afin de donner librement votre vie pour l’honneur. Pour la foi qu’il vous recommandait, aimez le temple de votre corps, afin que vous ne vous priviez d’aucune volupté, mais que vous les goûtiez toutes.

 

Ce misérable attachant à ces choses son intention et sa volonté, son prince lui mit la main à son col en un lieu destiné pour cela, car le lieu, quel qu’il soit, ne nuit à personne, si on a bonne volonté, ni ne profite, si l’intention est mauvaise. Or, ayant profané les paroles qu’on use pour confirmer quelqu’un en sa milice, l’exerçant pour la superbe du monde, misérable qu’il était ! faisant peu de compte de ce qu’il avait été appelé à de plus grandes choses qu’auparavant, parce qu’il était obligé à une vie plus austère de misères quasi infinies, il suivit et accueillit ce chevalier, pour suivre les superbes, et descend plus profondément en enfer, à raison de la profession qu’il fait de la milice.

 

Mais vous me pouvez demander que plusieurs veulent s’agrandir au monde et être appelés grands, mais néanmoins, n’y peuvent pas arriver. Ceux-ci ne seront-ils pas punis, à raison de leur mauvaise volonté, comme seront ceux à qui tous les souhaits réussissent ?

 

A cela je vous réponds : Quiconque a une entière volonté, et fait tout ce qu’il peut, afin d’être élevé aux honneurs du monde et être appelé d’un nom vain, et néanmoins, par un occulte jugement de la Divinité, en est privé, je vous dis pour certain que celui-là sera puni comme celui qui a acquis les honneurs, s’il ne fait pénitence. Voici que de deux hommes connus à plusieurs, je vous donne un exemple, l’un desquels prêchait selon sa volonté, et obtenait presque tout ce qu’il désirait ; l’autre avait les mêmes ambitions dans le cœur, ou le cœur dans les ambitions, mais il n’a pu en avoir l’accomplissement. Le premier a acquis les honneurs du monde ; il a aimé le temple de son corps avec toute sorte de voluptés ; il dominait comme il voulait, et profitait en tout ce qu’il entreprenait.

L’autre lui était semblable en volonté, mais dissemblable en effet ; il a acquis moins d’honneurs, bien qu’il eût cent fois répandu pour cela le sang de son prochain pour assouvir et accomplir ses cupidités. Il a donc fait ce qu’il a pu et a accompli sa volonté selon son désir. Ces deux-ci sont égaux en l’horreur du supplice, et bien qu’ils ne soient pas morts en un même temps et en une même heure, tous deux néanmoins sont en même damnation, car à tous deux a été faite la même voix en la séparation de leur âme d’avec leur corps.

 

L’âme donc, étant séparée du corps, parlait au corps en ces termes : Dis-moi, où est maintenant la vision délectable de tes yeux, que tu m’avais promise ? Où est la volupté que tu m’as montrée ? Où sont les paroles délectables dont tu me faisais user ?

 

Le démon fut présent soudain et répondit : Les vues promises, elles ne sont qu’en la poudre ; les paroles, elles ne sont qu’en l’air ; la volupté n’est que fiente et pourriture ; elles ne profitent de rien maintenant.

 

Alors l’âme s’écria : Hélas ! Hélas ! Que je suis misérablement déçue ! Je vois trois choses : je vois que celui qui promettait de se donner à moi sous les espèces du pain, est le Roi des rois le Seigneur des seigneurs. Je vois que ce qu’il a promis est indicible et admirable. Je comprends que l’abstinence qu’il me persuadait est très-utile. Après, elle s’écria plus haut, disant : Malheur! Malheur ! Que je sois née, malheur ! Que ma vie ait été si longue sur la terre, malheur ! d’autant que je dois vivre d’une vie qui est une mort éternelle, sans fin ni relâche. Voilà de combien de misères seront accablés ceux qui pour une félicité fausse et passagère, auront méprisé leur Dieu. Partant, O mon épouse, rendez-moi grâces de ce que je vous ai affranchie de tant de misères ! Obéissez à mon Esprit et à mes élus.

 

Chapitre 9

 

Paroles de Jésus-Christ à son Épouse, par lesquelles il lui déclare le chapitre précédent ; comme le diable a attaqué ce chevalier susdit, et de l’horrible condamnation que la justice divine en fit.

 

Tout le temps de cette vie n’est quasi qu’une heure devant moi. C’est pourquoi ce que je vous dis maintenant a été de toute éternité en ma présence.
Je vous ait dit en premier lieu qu’il y en avait un qui avait commencé la vraie milice, et un autre qui s’en était misérablement retiré, et avait jeté son bouclier devant mes pieds et son glaive à mon côté,
quand il enfreignit sa profession sainte et sa promesse.

 

Or, qu’est-ce que signifie le bouclier qu’il a jeté, sinon la foi droite, qu’il devait défendre contre les ennemis de la foi et de son âme ?
Quels sont mes pieds, avec lesquels je vais à l’homme, si ce n’est la délectation divine, avec laquelle j’attire à moi les hommes, et ma patience, avec laquelle je les souffre patiemment ?

 

Or, il jeta ce bouclier, lorsqu’entrant dans le temple, il pensait à part soi : Je veux suivre ce Seigneur,
qui ne me conseille ni ne me commande aucune abstinence ; qui me donne ce que je désire ; qui me permet d’ouïr ce qui me plaît à mes oreilles.

 

 

C’est ainsi qu’il jeta le bouclier de la foi, quand il aima mieux suivre sa volonté propre que moi,
quand il aima plus la créature que le Créateur : car s’il eût eu une foi droite, s’il m’eût cru tout-puissant, juste juge, et celui qui donne la gloire éternelle, il n’eût désiré autre chose que moi, il n’eût craint autre chose que moi.

 

Or, il a jeté ma foi devant mes pieds, quand, ayant méprisé la foi et l’ayant réputée pour néant, il ne cherchait ni mes plaisirs ni ne considérait ma patience.

Après, il a jeté son glaive à mon côté.
Que marque le glaive, sinon ma crainte, que le vrai soldat doit avoir continuellement en ses mains, c’est-à-dire, en ses œuvres ?
Qu’est-ce que signifie mon côté, sinon ma garde et ma protection, sous lesquelles je fomente et défends mes enfants comme une poule défend ses poussins, afin que le diable ne leur nuise et que les périls intolérables ne les accueillent?

 

Mais lui, il a rejeté le glaive de crainte de Dieu, quand il ne s’est soucié de pécher à ma puissance, ni ne considérait mon amour et ma patience.
Or, il l’a rejeté à mon côté, comme s’il disait : Je ne crains point ni ne me soucie de votre protection ; tout cela vient de mon industrie et de mon sang noble et illustre.

 

Il a aussi enfreint la promesse qu’il m’avait faite.
Quelle est cette promesse vraie que l’homme est obligé de faire à Dieu, sinon l’œuvre d’amour, afin que tout ce qu’il fera, il le fasse par le mouvement de l’amour de Dieu ?
Mais il a violé cette promesse, quand il a converti l’amour de Dieu en l’amour propre, préférant sa volupté aux délectations éternelles.

 

C’est de la sorte qu’il se sépara de moi et sortit du temple de l’humilité, car tous les corps des chrétiens dans lesquels règne l’humilité, sont mon temple ; les corps dans lesquels la superbe domine, ne sont pas mon temple, mais le temple du diable, qui les conduit, selon sa volonté, aux appétits désordonnés du monde.

 

Or, étant sorti du temple de l’humilité, y ayant rejeté le bouclier de la foi et abandonné le glaive de ma crainte, il monta au champ, enflé et bouffi de superbe ;
il s’exerça et s’adonna à toute sorte de volupté et appétits de sa volonté, méprisant ma crainte, se plongeant de plus en plus dans les abîmes du péché, et s’ensevelissant dans les sales voluptés.

 

Or, étant arrivé au dernier période de sa vie, quand son âme s’exhalait de son corps, les diables s’emparèrent avec une grande impétuosité, et soudain trois voix résonnèrent de l’enfer contre elle.

 

La première dit : Eh quoi ! N’est-ce pas celui-ci, qui, se retirant de l’humilité, nous a suivis en toute sorte de superbe ? Et s’il eût pu même nous surpasser en orgueil et en superbe, il l’eût fait librement.
L’âme lui répondit : Vraiment, c’est moi.
La justice lui répondit : La récompense de votre superbe est que vous tombiez d’un démon en un autre, jusqu’à ce que vous soyez plongée au plus profond abîme de l’enfer. Et comme il n’y a pas de démon qui ignorât sa peine être certaine et le supplice qu’il fallait infliger à cette âme misérable pour toutes ses pensées inutiles et ses mauvaises œuvres, de même il n’y aura aucun supplice dont vous ne subissez la violence.

 

La deuxième voix criait et disait : N’est-ce pas celui-ci qui s’est séparé de la milice de Dieu, qu’il avait professée, et s’est enrôlé en notre milice ?
L’âme répondit : Je suis vraiment celle-là.
Et la justice dit : Telle sera la source de votre récompense, que tous ceux qui suivront votre malice par leur malice et par leur peine, augmenteront votre peine et rengrégeront votre douleur ; et quand ils viendront où vous êtes, ils vous perceront comme d’une plaie mortelle. Car comme celui qui a une plaie cruelle, si on lui ajoutait plaie sur plaie jusqu’à ce que le corps fût couvert de plaies, serait affligé de douleurs intolérables et s’écrierait : Malheur ! Malheur sur moi ! c’est de la sorte qu’une misère attirera sur vous un monde de misères. Votre douleur se renouvellera sur toute autre douleur ; votre peine ne cessera jamais, et votre malheur ne diminuera point.

 

La troisième voix disait : N’est-ce pas celui-ci qui a vendu le Créateur pour la créature, son amour pour son propre amour ? L’âme répondit : Certainement je le suis. C’est pourquoi, que deux portes lui soient ouvertes : par l’une en toute  peine et toute douleur, infligées pour le plus petit péché jusques au plus grand, attendu qu'il a  vendu son Créateur pour sa volupté propre. Par la seconde entrent en lui toute sorte de labeurs et confusion, et jamais n’entreront en lui; ni consolation ni amour divin, car il s’est aime au lieu d'aimer son Créateur .

 

Partant, sa peine durera sans fin et vivra sans jamais mourir, d'autant que tous les saints lui détourneront leur face.

Voila, o mon épouse combien misérables seront ceux qui me méprisent, et quelles peines et quelles douleurs ils achètent  et souffrent pour une petite et passagère volupté.

 

Chapitre 10

 

Parole de Jésus-Christ a son épouse, avec lesquelles il montrent comment est désigne  par le buisson que Moise vit le corps de la Vierge Marie par Pharaon le diable et par le peuple d"Israël les chevaliers nouveaux; et en quelle manière les chevaliers et les nouveaux évêques préparent n ces nouveaux temps des demeures au diable.

 

Il est écrit en la loi de Moise, que Moise gardant les troupeaux au désert, voyant le buisson enflammé et qui ne brûlait point, frémit de peur et voila. son. visage. ‘La voix sortant du buisson lui dit L’affliction de mon peuple est venue jusques à mes oreilles; j’ai compassion d’eux, d’autant qu’ils sont aggravantes, voire opprimés sous un joug dur et pesant. Je suis cette voix qui crie du buisson et qui parle avec vous. La misère de mon peuple est venue jusques à mes oreilles.

 

Quel était-il, mon peuple, sinon Israël? Par mon  peuple , j‘entends les chevaliers qui dans le monde ont fait profession de ma milice, qui devraient être à moi, mais ils sont trop affligés par le monde. Qu’est-ce que Pharaon a fait à mon peuple Israël en Egypte ? Certainement trois maux le premier, qu’il ne faisait point donner de la paille à ceux qui bâtissaient les maisons pour faire cuire la brique , mais il fallait qu’eux-mêmes, contre toute sorte de droit, en amassant là ou  ils pouvaient. Le deuxième, qu’on ne remerciait point de leur labeur les architectes, bien qu’ils eussent fait tout ce qu’on leur avait commandé. Le troisième , ils étaient grandement affligés par les commissaires , s’ils manquaient d’accomplir et parfaire le nombre et la quantité qu’on leur avait commandés. Le peuple a édifié à Pharaon deux villes avec grand travail et peine.

 

Qui est ce Pharaon, si ce n’est le diable, qui afflige mon peuple, c’est-à-dire, les chevaliers qui sont obligés d’être mon peuple? Je vous dis en vérité que si mes chevaliers eussent persisté et persévéré en la constitution et disposition que mon cher ami leur avait commandées, ils seraient maintenant entre mes chers amis, car comme Abraham, ayant reçu le premier le commandement de la circoncision et m’obéissant , a été mon très cher ami, et  tous ceux qui ont suivi sa foi et ses oeuvres, ont été participants de sa dilection et de sa gloire, de même les chevaliers , entre les autres ordres, m’ont principalement plu , d’autant qu’ils m’ont voué ce qu’ils avaient de plus cher, savoir, de répandre leur sang pour l’amour de moi.  Par ce voeu , ils m’avaient grandement  plu , comme Abraham par sa circoncision et se purifiaient tous les jours en l'observance de leur profession  et réception de la sainte charité. Or, maintenant , les chevaliers  sont approuvés par la misérable servitude de Satan de sorte que le diable, les frappant d’une plaie mortelle  les abîme  encore dans les supp1ice et les douleurs.

 

Les évêques aussi; comme les enfants d'Israël , édifient deux villes au diable: la première est le labeur  du corps, une sollicitude superflue,  la deuxième est une inquiétude, une perturbation d’esprit des appétit du monde, qui ne leur donne point   de repos,   le labeur est en l’extérieur , et l’inquiétude et l’anxiété sont en l’intérieur, rendant les  choses spirituelles onéreuses.  Mais comme Pharaon ne donnait point à mon peuple ce qui était pour faire les briques; comme les greniers n’étaient pleins de froment, ni les caves de vin; comme tout le reste de ce qui était utile leur manquait; comme avec  labeur et peine d’esprit, il s’acquérait lui-meme  leur vie : de même  maintenant le diable fait de ceux-ci: bien qu’ils travaillent de toutes leurs forces, et que de toute leur industrie  ils s’adonnent au monde, néanmoins, ils ne peuvent avancer ni profiter en ce qu’ils désirent, ni étancher la soif de leur ardente cupidité. Partant, ils brûlent intérieurement par un feu de douleur, et extérieurement par le 1abeur , à raison de quoi j’ai grande compassion de leur affliction et de ce que mes chevaliers et môn peuple bâtissent  des demeures au diable , et travaillent incessamment pour cela; qu’ils ne puisse accomplir leurs désirs, et qu’ils se peinent  et s’affligent pour des choses vaines, et qu’ils ne cueillent aucun fruit de bénédiction de leur peine, mais une récompense de confusion éternelle.

 

Partant , quand Moïse fut envoyé au peuple, Notre-Seigneur lui donna un signe pour une triple raison, d’autant que , premièrement en Egypte, chacun adorait particulièrement son Dieu , et il y avait des dieux innombrables il était donc nécessaire qu’il y eût un signe , afin qu’ayant manifesté ce signe admirable et la puissance divine, ils adorassent un seul Dieu, et crussent par le signe qu’il était créateur de toutes choses, et qu’on éprouvât que les idoles étaient toutes vaines.

 

Il était, en deuxième lieu, donné ce signe à Moïse en figure et représentation de mon corps futur. Que signifiait en effet le buisson ardent sans être brûlé , sinon une Vierge faite féconde par l’opération du Saint-Esprit, et qui enfante sans douleur? Certainement, j’ai pris chair humaine de ce buisson et pris mon humanité de la chair virginale. Semblablement aussi , le serpent de Moïse donné en signe, signifiait mon coeur.

 

En troisième lieu, il fut donné ce signe à Moïse pour affermir la vérité de ce qui se devait faire et s’accomplir par la figure des signes, afin que la vérité de Dieu fût connue être autant certaine et infaillible qu’on verrait être en leur temps évidemment accomplies , les choses que les signes nous présageaient. Or, maintenant , j’envoie mes paroles aux enfants d’Israël et aux chevaliers , auxquels il n’est pas besoin de faire des signes, pour trois raisons : la première , d’autant que maintenant on croit et on adore un seul Dieu, auteur et créateur de toutes choses, connu par les saintes Ecritures et par plusieurs signes passés. La deuxième, parce qu’ils n’attendent plus ma naissance, car ils savent que vraiment je suis ne et incarné sans corruption, car toute l’Ecriture est accomplie.

 

Certes ,on ne doit pas croire une foi meilleure et plus certaine que celle qui a été publiée  et prêchée  par moi et par mes prédicateurs  Néanmoins j‘ai fait trois choses avec vous,, par lesque1les  on peut croire:  la première  , que mes paroles sont:vraies et ne sont point contraires à la foi vrai ; la deuxième, d’autant qu'à ma parole,1e diable s’est retire d’un homme obsédé, la troisième, parce que j'ai donné à un même homme des volontés contraire  pour reformer la charité  mutuelle.  Partant, ne doutez pas de ceux  qui. croiront  en moi, car ceux qui croient en moi croient à  mes paroles. A ceux auxquels je délecte , mes paroles délectent,  c’est pourquoi il est écrit  que Moise, ayant parlé a Dieu, voilait sa face; mais vous ne devez point voiler votre face, car de fait., je vous  ai ouvert les yeux spirituels, afin que vous voyiez les choses spirituelles; je vous ai ouvert  les oreilles, afin que:vous entendiez les choses spirituelles, enfin, je vous montrerai l'édifice de mon corps tel qu'il a été en ma passion, après ma passion, et. quel après ma résurrection  tel que Magdalène, Pierre et les autres  l’ont vu.

Vous :entendrez aussi ma voix, qui a par1é à Moïse dans le .buisson  ardent. La même voix vous parle maintenant au fond de votre âme.

 

Chapitre 11

 

La Mère de Dieu avertit son épouse de se souvenir tous les jours de la passion douloureuse du Fils de Dieu, car à cette heure de la passion, toute choses s’étaient troublées, l’humanité, la Mère, les anges et tous les éléments , et les âmes des vivants et des morts, voire les démons.
 
 Pour le jour de la Passion.

 

La Mère de Dieu parle à son épouse, disant : En la mort de mon Fils, toutes choses s’étaient troublées, car la Divinité, qui ne s’est séparée jamais, non pas même en cette heure de la mort, en laquelle il semblait que la Divinité compatît, bien que la Divinité ne puisse souffrir ni douleur ni peine, d’autant qu’elle est impatible et immuable, le Fils pâtissait une douleur très amère en tous ses membres, et voire même dans le cœur, qui, néanmoins, était immortel selon la Déité. Son âme était aussi immortelle et pâtissait beaucoup en la séparation. Les anges aussi assemblés, semblaient se troubler de voir Dieu pâtir en l’humanité/

 

Mais comment les anges se peuvent-ils troubler, étant immortels ? Certainement, comme le juste, voyant son ami pâtir quelque chose dont il lui revenait une grande gloire, se réjouirait de l’acquisition de la gloire, et s’affligerait de ce qu’il pâtît, de même les anges se contristaient de sa peine, bien qu’ils soient impatibles, et se réjouissaient de la gloire et du mérite de sa passion.

 

Tous les éléments aussi se troublèrent : le soleil et la lune perdirent leur splendeur ; la terre trembla ; les pierres se fendirent ; les sépulcres s’ouvrirent à l’heure de la mort de mon Fils. Tous les Gentils se troublaient en tous lieux où ils étaient, car il y avait alors en leur cœur comme une pointe de douleur, bien qu’ils ignorassent d’où en venait le sujet ; Le cœur aussi de ceux qui le crucifiaient, se troubla à cette heure, mais, non certes à leur gloire. Les malins esprits étaient encore troublés à cette heure, et étaient comme assemblés en un. Or, ceux qui étaient dans le sein d’Abraham, étaient beaucoup troublés, en telle sorte qu’ils eussent mieux aimé être éternellement en l’enfer que de voir une si horrible peine en leur Seigneur. Mais moi, Vierge Marie, sa Mère, j’étais devant mon Fils. Pensez aussi quelle était ma douleur ! Certes, personne ne le peut comprendre.

 

Partant, ô ma fille ! souvenez-vous de la passion de mon très cher Fils. Fuyez l’inconstance du monde, qui n’est qu’une vue passagère et une fleur qui se fane et se flétrit soudain.

 

Chapitre 12
 

J’ai reçu toute la peine pour l’amour de vous, et vous ai fait le chemin pour éviter la peine et pour venir à moi. La justice vraiment veut que vous n’entriez en paradis que vous n’ayez satisfait à vos crimes. J’ai souffert en moi-même cette peine, d’autant que vous êtes incapables de les souffrir et d’y satisfaire sans moi. Je vous ai montré par les prophètes tout ce qui devait arriver, et n’ai pas laissé passer un point que je n’aie accompli tout ce que les prophètes avaient prédits de moi. Je vous ai manifesté autant d’amour que je pouvais manifester, afin que vous vous convertissiez à moi. Mais d’autant que vous vous êtes détournés de moi et que vous avez méprisé ma justice, vous êtes dignes de mes fureurs.

 

Mais néanmoins, je suis encore si miséricordieux que, s’il était possible de souffrir derechef  les mêmes peines que j’ai endurées en la croix, je les souffrirais encore pour l’amour de vous, avant de permettre que vous fussiez jugés à telles peines. Mais ma justice dit: Il est impossible que vous mouriez une autre fois. Ma miséricorde dit: S’il était possible, je mourrais franchement pour l’amour de vous. Voyez donc comment je suis miséricordieux et charitable, même envers les damnés, car tout ce que je fais, je le fais pour manifester mon amour, car dès le commencement, j’ai aimé l’homme. voire même lorsque je semblais être en colère. Mais aucun ne considère mon amour ni ne s’en soucie.

 

Donc, maintenant, d’autant que je suis juste et miséricordieux, j’avertis ceux qui sont appelés chevaliers, afin qu’ils cherchent ma miséricorde, de peur que ma justice ne les trouve, qui est stable comme une montagne, ardente

 

comme un feu, horrible comme le tonnerre, prompte et rapide comme une flèche poussée par un arc bien tendu. Je les avertis en trois manières: 1° comme un père ses enfants, afin qu’ils retournent à moi, qui suis leur Père et leur Créateur, et leur donnerai le patrimoine qui leur est dû par droit paternel. Qu’ils retournent donc, car bien qu’ils m’aient méprisé, néanmoins, je les recevrai avec joie et leur irai au-devant avec amour. En deuxième lieu, je les prie comme frères, afin qu’ils se souviennent de mes labeurs et de mes plaies. Qu’ils reviennent, et je les recevrai comme frères. En troisième lieu, je les prie comme Seigneur, afin qu’ils se retirent à leur seigneur, à qui ils doivent la foi, à qui ils sont obligés par obéissance et engagés par jurement.

 

Partant, ô soldats! retournez à moi, votre Père, qui vous ai nourris et élevés avec amour. Considérez que je suis votre frère, qui me suis fait semblable à vous pour l’amour de vous. Retournez à votre Seigneur clément et pieux, car c’est être déloyal et infidèle que de donner la foi à un autre, et de lui rendre l’obéissance que vous me devez. Vous m’avez donné une foi, promettant que vous défendriez mon Église, que vous aideriez aux misérables, et voici que vous secourez mon ennemi et lui obéissez. Vous ôtez mon étendard, et dressez et érigez celui de mon ennemi. Partant, ô chevaliers! retournez à moi avec une vraie humilité, puisque la superbe vous a retirés de moi. S’il vous semble dur et amer de souffrir quelque chose pour l’amour de moi, considérez ce que j’ai enduré pour l’amour de vous. Je suis allé, pour l’amour de vous, les pieds sanglants à la croix; j’ai eu les pieds et

les mains percés pour l’amour de vous; je n’ai épargné aucune parties de mon corps pour l’amour de vous: je n’ai pardonné à aucune. Est-il possible que néanmoins vous méprisiez tout cela, en vous retirant de moi!

 

Retournez donc, et je vous donnerai trois choses pour vous y aider: la première sera la force contre les ennemis corporels et spirituels; la deuxième, la magnanimité, que vous ne craindrez autre chose que moi, et que rien ne vous sera plaisant et agréable que travailler pour moi. En troisième lieu, je vous donnerai la sagesse, par laquelle vous concevrez la vraie foi et la volonté divine.

 

Donc, retournez et soyez constants et généreux, car moi, qui vous en avertis, je suis celui que les anges servent, qui ai affranchi de misères vos parents obéissants, qui ai condamné les rebelles et humilié les superbes. J’ai été le premier au combat et le premier à la passion. Suivez-moi donc, de peur que vous ne vous fondiez et liquéfiiez comme la cire auprès du feu. Pourquoi rescindez-vous et faussez-vous votre promesse? Pourquoi méprisez-vous le jurement que vous en avez fait? Eh quoi! Suis-je moins ou plus indigne que votre ami temporel, à qui vous ne faussez pas la foi promise? Et à moi, qui suis l’auteur et le donateur de la vie et de l’honneur, et le conservateur de la santé, vous me faussez promesse coup à coup! Partant, ô bons soldats! rendez-moi votre promesse. Que si vous ne pouvez par effet, rendez-la-moi par désir, car moi, ayant compassion de votre servitude, sous laquelle le diable vous opprime, je recevrai votre volonté pour l’effet. Si vous retournez à moi avec amour, travaillez pour la foi de mon Église; et moi, comme un père plein de piété et de clémence, je vous irai au-devant et vous donnerai pour salaire cinq sortes de bien:

1° l’honneur éternel ne se retirera jamais de votre ouïe;

2° la face et la gloire de Dieu seront toujours devant vos yeux;

3° la louange de Dieu ne sortira jamais de votre bouche;

4° votre âme jouira de l’accomplissement de tous ses désirs et n’en désirera d’autres;

5° vous ne serez jamais séparés de Dieu, mais votre joie durera sans fin, et sans fin votre vie sera en joie.

 

Voyez, ô chevaliers! quelle sera votre récompense, si vous défendez la foi et si vous travaillez plus pour mon honneur que pour le vôtre. Souvenez-vous, si vous avez de l’esprit, quelle patience j’exerce en votre endroit, et quelles calomnies vous vomissez sur moi, que vous ne voudriez souffrir. Mais bien que je puisse toutes choses et que ma justice crie vengeance contre vous, néanmoins, ma miséricorde, qui est en ma sagesse et bonté, vous pardonnera encore. Partant, cherchez ma miséricorde, car je vous donne par amour ce qu’on devrait me demander très-humblement.


Chapitre 13

 

Il est ici traité des paroles de la puissance de Jésus-Christ à son épouse, contre les chevaliers de ce temps; de la forme qu’il faut tenir en leur création, et en quelle manière Dieu leur donne la force et l’aide quand il faut agir.

 

Je suis un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, trine en personnes; l’un n’est pas séparé ni divisé de l’autre, mais le Père est dans le Fils et dans le Saint-Esprit, et le Fils dans le Père et dans le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit en tous deux.

 

 

Dieu envoya son Verbe à la Vierge Marie par son ange Gabriel; néanmoins, le même Dieu envoyait et était envoyé de lui-même, et était avec l’ange en Gabriel, et devant Gabriel en la Vierge. Mais la parole étant dite par l’ange, le Verbe a été fait chair en la Vierge.

 

Je suis ce Verbe qui vous parle. Le Père avec le Saint-Esprit m’a envoyé de soi-même dans le ventre de la Vierge, non pas en telle sorte que les anges aient perdu la vision divine et sa présence; mais moi, Fils, qui ai été avec le Père et le Saint-Esprit dans le ventre virginal de la Vierge, j’étais le même au ciel avec le Père et le Saint-Esprit en la vision des anges, gouvernant toutes choses et soutenant toutes choses, bien que mon humanité, prise par moi seul, Fils, se soit reposée au ventre virginal de Marie.

 

Je suis donc en Déité et humanité un seul Dieu. Pour montrer mon amour et pour fortifier la foi sainte, je ne dédaigne pas de parler avec vous. Et bien que mon humanité semble être auprès de vous et vous parler, néanmoins, il est plus vraisemblable que votre âme et votre conscience sont avec moi et en moi, car rien ne m’est impossible ni difficile dans le ciel et sur la terre. Certes, je suis comme un roi puissant, qui, venant en quelque ville avec ses armes, remplit et occupe tout: de même ma grâce vous remplit toute et vous fortifie toute. Enfin, je suis en vous intérieurement et extérieurement, et bien que je parle avec vous, je suis pourtant la même gloire. Quoi me serait difficile à moi,


Qui, de ma puissance, soutiens toutes choses ; qui, de ma sagesse, dispose de toutes choses, et les surmonte toutes de ma force et de ma vertu ? Je suis donc un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, sans commencement et sans fin, qui, pour le salut des hommes, ai souffert en l’humanité, que j’avais prise sans faire tort à ma Divinité, les peines et la mort. Je suis ressuscité et suis monté au ciel; et maintenant, je parle avec vous.

 

Je vous ai parlé ci-dessus de la milice qui me fut autrefois agréable, à raison qu’elle était liée avec moi par le lien d’amour et de charité, car les chevaliers de cette milice s’obligeaient par vœu de donner leur chair pour ma chair, leur sang pour mon sang : c’est pourquoi je les approuvais et les aimais, et les avais liés à moi par un saint lien, et attaché par une sainte société.

 

Mais maintenant, je me plains d’eux, qui sont obligés d’être à moi, et ne sont point à moi, car je suis leur Créateur adorable, leur Rédempteur, leur aide et leur secours. J’ai créé leur corps et leur âme, et tout ce qui est au monde pour leur utilité et profit. Je les ai rachetés par le prix de mon sang ; je leur ai racheté un héritage éternel par ma douloureuse passion. Je les défends contre toutes sortes de dangers ; je leur donne la force pour agir et faire. Mais maintenant, ils me sont en tout contraires ; ils réputent à néant ma passion ; ils négligeant mes paroles puissantes et douces, par lesquelles leur âme se devait plaire et repaître ; ils me méprisent, et choisissent à dessein, et d’affection, ils veulent donner leur chair à déchirer pour la louange humaine, vaine et trompeuse, répandre leur sang pour assouvir leur cupidité misérable, et franchement mourir pour des paroles mondaines diaboliques et vaines.

Néanmoins, bien qu’ils me soient si contraires, ma justice et ma miséricorde les attendent. En effet, par la bonté de ma miséricorde, je les conserve, afin qu’ils ne soient tout à fait en la puissance du diable, et par ma justice, je les souffre patiemment. Que s’ils voulaient revenir, je les recevrais joyeusement, et je leur irais au-devant avec contentement.

 

Dites-lui donc que celui qui veut convertir sa milice en moi, peut me plaire en gardant ces formes. Quiconque veut être chevalier doit venir à mon Eglise, et laisser son cheval et sa suite au cimetière ; car le cheval n’est pas créé pour servir la superbe de l’homme, mais pour l’utilité de la vie, pour sa défense et pour combattre les ennemis de Dieu. Après, qu’il prenne son manteau, le lien duquel il faut mettre sur le front, afin, que, comme le diacre prend l’étole en signe d’obéissance et de patience divines, de même le chevalier prenne le manteau, et mette son lien sur le front, en signe qu’il a professé la milice et l’obéissance, à laquelle il s’est engagé pour la défense de ma croix. Il faut aussi que l’étendard de la puissance séculière le précède, afin qu’il sache qu’il doit obéir à la puissance mondaine, en tout ce qui n’est pas contre Dieu. Or, lui étant entré dans le cimetière, les ecclésiastiques lui vont au-devant avec la bannière de l’Eglise de Dieu et sa foi, et obéir à ses prélats.
 

Or, quand il entre dans l’église, que l’étendard de la puissance séculière demeure au hors de l’église, et que le mien aille devant lui, quand il y entre, en signe que la puissance divine va devant la séculière, et qu’il faut plus se soucier des choses spirituelles que des choses temporelles. Mais la messe étant dite, jusqu’à l’Agnus Dei, que le plus digne, à savoir, le roi, aille auprès de l’autel et qu’il lui dise : Voulez-vous être chevalier ? S’il répond oui, qu’il ajoute et lui dise : Promettez-vous à Dieu et à moi que vous défendrez la foi de la sainte Eglise, et d’obéir à ses prélats en tout ce qui est de Dieu ? S’il répond oui, qu’il lui baille l’épée en sa main et qu’il lui dise :

 

Voici que je vous donne l’épée en vos mains, afin que vous n’épargniez pas votre vie pour la foi et pour l’Eglise de Dieu ; afin que vous opprimiez les ennemis de Dieu et défendiez ses amis. Après, qu’il lui donne le bouclier, et qu’il lui dise : Voici que je vous donne le bouclier, afin que vous vous défendiez contre les ennemis de Dieu, afin que vous soyez l’aide et l’appui des veuves et des orphelins, et que vous augmentiez l’honneur et la gloire de Dieu. Tout de suite il lui met la main au cou, disant : Voici que vous êtes sujet à l’obéissance et à la puissance : prenez donc garde que vous vous êtes lié par cette profession, que de même vous l’accomplissiez par œuvre et par effet. Enfin, qu’il mette son manteau et son lien, pour qu’il se souvienne continuellement du vœu qu’il a fait à Dieu, et qu’il est obligé par sa profession, à la face de l’Eglise, de défendre, avant tous les autres, l’épouse de Dieu, qui est l’Eglise.

 

Ces choses étant parachevées et l’Agnus Dei étant dit, que le prêtre qui célèbre la messe lui donne mon corps, afin qu’i défende la foi de mon Eglise sainte et sacrée. Je serai en lui et il sera en moi. Je lui donnerai les forces et l’enflammerai des feux de mon amour, afin qu’il ne veuille ni ne désire autre que moi, et qu’il ne craigne autre que moi, qui suis son Dieu. Que si par aventure, il est dans le camp, qu’il s’y enrôle dans la milice pour mon honneur et pour défendre ma foi ; et que si son intention est droite en tout, il profitera et méritera toujours. Enfin, je suis partout par ma puissance, et tous ceux qui ont une bonne et droite intention, me plaisent partout. Je suis la charité même, et aucun ne peut venir à moi, si ce n’est ceux qui ont la charité : c’est pourquoi je n’ai pas commandé, mais conseillé cette milice, car on m’y eut servi par crainte. Mais qui voudra de la sorte s’enrôler en ma milice, me pourra plaire et agréer. Certes, il serait digne et raisonnable que celui qui s’est retiré de la profession de la milice par la superbe, y retournât par l’humilité.

 

( On croit que ce chevalier a été le fils de sainte Brigitte.)

 

 

 

Chapitre 14

En quelle manière Notre-Seigneur Jésus-Christ est signifié par un ouvrier, et les paroles de Dieu, par l’or. Comment il faut préférer telles paroles, la charité et la bonne conscience, aux sentiments désordonnés ; et comment les prédicateurs de la parole de Dieu doivent être soigneux, et non paresseux, de vendre cet  or, c’est à dire, de prêcher la parole de Dieu.

 

Je suis comme un orfèvre qui envoyant son serviteur pour vendre son or par le monde, lui dit : vous devez faire trois choses :

1° vous ne devez bailler mon or à pas un, si ce n’est à ceux qui ont les yeux clairvoyants ;

2° ne le donnez point à ceux qui ont mauvaise conscience ;

3° Vendez mon or pour dix talents, le pesant deux fois, car celui qui ne le voudra pas peser deux ou trois fois, n’aura point mon or.

 

Or, mon ennemi a trois choses contre toi  desquelles tu te dois prendre garde :

1° Il te veut rendre fainéant et paresseux à montrer l’esprit et la valeur de mon or ;

2° Il veut mélanger quelque chose d’impur en mon or, afin que ceux qui le verront et l’éprouveront, croient que mon or n’est que boue et pourriture ;

3° Il met en la bouche de ses amis les moyens de résister à vos desseins et de faire hautement et impudemment dire que mon or n’est pas bon.

 

Je suis l’ouvrier qui ni fait tout ce qui est au ciel et sur la terre, non avec des marteaux et des instruments, mais avec ma puissance adorable et mon admirable vertu ; et toutes choses ont été, sont et seront en ma présence, car le moindre vermisseau et le moindre grain ne sont pas sans moi ni ne peuvent subsister sans moi, ni chose, quelque petite qu’elle puisse être, ne se peut cacher de ma présence, car toutes choses sont de moi et dépendent de moi.

 

Néanmoins, entre toutes les choses que j’ai faites, les paroles que j’ai dites de ma bouche sont plus dignes que toutes ces choses susdites, comme l’or est plus éminent que tous les métaux. Partant, mes amis familiers, à qui j’envoie l’or de ma parole par les terres étrangères, doivent faire trois choses :

 

1° qu’ils ne communiquent point l’or de ma parole à ceux qui n’ont pas les yeux clairvoyants. Mais vous pourriez me demander : Que veut dire les yeux clairvoyants ?

Certes, celui-là voit clairement qui a la sapience divine avec son amour. Mais comment faut-il connaître cela ? Vraiment, cela est manifeste, car celui qui vit comme il sait ; qui se retire de la vanité du siècle et de la curiosité du monde ? qui ne cherche rien avec tant de passion que Dieu ? oui celui qui vit de la sorte est illuminé et clairvoyant, et c’est à celui-là qu’il faut communiquer et commettre l’or de ma parole divine.

Or celui qui a la science et non pas l’amour divin, et fait ce qu’il connaît, celui-là est semblable à un aveugle, qui semble avoir les yeux tournés vers Dieu. Mais il n’en est pas ainsi, car il regarde le monde des yeux de son esprit, et tourne le dos à Dieu.

 

2° Il ne faut pas communiquer l’or de ma parole à celui qui n’a point bonne conscience. Or, qui est celui qui a bonne conscience, sinon celui-là qui dispose les choses périssables pour l’éternité ; qui a l’esprit dans le ciel et le corps sur la terre ? qui pense incessamment à la manière dont il faut sortir de la terre, et comme il sera fidèle à Dieu en toutes ses actions ? C’est à celui-là qu’il faut communiquer et commettre l’or de ma parole.

 

3° Il doit avoir mon or vénal pour le poids de dix talents pesés deux fois, ce qui est marqué en la balance en laquelle on ne pèse autre chose que la conscience. Quelle sera la main qui la pèsera, sinon la bonne volonté et l’ardent désir ? Que faut-il peser, sinon les œuvres corporelles et les œuvres spirituelles ? Donc, celui qui voudra acheter mon or, c’est-à-dire, mes paroles, doit examiner sa charité en la balance de sa conscience, et considérer avec une bonne volonté, afin qu’on lui rende dix talents pour ses œuvres, pesées selon ma volonté.

 

Le premier talent est la vue de l’homme sage et modeste ; afin qu’il pense combien de distance il y a de la vue corporelle à la vue spirituelle ? quelle est l’utilité de la vue et beauté corporelle ? quelle honnêteté est en la beauté et l’honneur des anges et des vertus célestes, qui surpassent en éclat les astres du firmament ; quelle douceur et quelle joie d’esprit sont dans les commandements de Dieu ou à l’honorer. Ce talent, savoir, la vue corporelle et spirituelle, qui est dans les commandements de Dieu, dans la chasteté et la pudeur ; ne peut se peser avec une balance égale, car la vue spirituelle surpasse de beaucoup la vue corporelle, parce qu’il faut ouvrir les yeux aux nécessités corporelles et spirituelles, et les clore aux choses vaines et légères.

 

Le deuxième talent est une bonne ouïe. Que l’homme donc considère à quoi profitent les paroles légères et vaines, à quoi les ineptes et excitant : le rire : certes, elles ne sont que vanité et un air qui passe, fuit et se perd. Il doit donc ouïr les louanges de Dieu, ses cantiques, et ce que mes saints ont fait et dit : Il doit écouter ce qui est nécessaire au corps et à l’âme pour l ‘édification de tous deux, car ouïr ceci doit plus peser en la balance que ce qu’on a ouï de vain et de léger. Que cela donc pèse grandement, et que ceci s’évanouisse dès l’instant.

 

Le troisième talent est le talent de la bouche. Que l’homme pèse dans la balance de sa conscience les paroles d’édification et de modestie ? combien elles sont utiles et honnêtes, et qu’il considère aussi combien sont nuisibles les paroles vaines et oiseuses, afin qu’il laisse les paroles vaines et qu’il aime les bonnes.

 

Quatrième talent : qu’est autre chose le goût du monde, si ce n’est misère en son commencement, labeur en son progrès, fâcherie et amertume à la fin ? Que l’homme pèse diligemment et considère attentivement le goût spirituel avec le temporel, et que le spirituel surpasse le temporel, car le goût spirituel n’a jamais de bornes, n’apporte jamais de dégoût et ne se diminue jamais en soi. Ce goût spirituel commence en cette vie, en la mortification fidèle des voluptés, en la prudente et sage disposition et règlement de sa vie, et dure sans fin dans le ciel avec la jouissance et la douceur de Dieu.

 

Le cinquième talent est l’attouchement. Que l’homme pèse quelle sollicitude et misère il ressent de son corps ? quelle inquiétude du monde ? quelle contrainte du prochain et quelle misère partout. Qu’il considère de quel repos jouissent une âme et un esprit bien morigénés ? quelle douceur de n’être sollicité des choses superflues, et lors, il ressentira partout et en tout une grande consolation. Que celui donc qui voudra bien peser ceci, mette en la balance l’attouchement spirituel et corporel, et fasse en sorte que le poids de l’attouchement des choses spirituelles l’emporte sur celui des choses corporelles. Cet attouchement spirituel prend son commencement, son avancement et ses progrès en la patience de ce qui nous contrarie, en la persévérance des commandements de Dieu, et dure éternellement en la paix et repos. Or, celui qui a plus de poids en la balance de l’attouchement des choses corporelles et mondaines, des joies temporelles que des éternelles, n’est pas digne de toucher mon or ni de jouir de ma joie.

 

Les œuvres des hommes sont le sixième talent : Que l’homme pèse diligemment en la balance de sa conscience, les œuvres spirituelles et corporelles : celles-là conduisent au ciel et celles-ci au monde ; celles-là à la vie éternelle sans supplice, et celles-ci aux tribulations cuisantes avec des supplices horribles. Mais que celui qui désire mon or fasse plus d’œuvres spirituelles en mon amour et dilection, pour mon honneur et gloire, que d’œuvres corporelles, car les spirituelles demeurent, et les corporelle périssent.

 

Le septième talent est la disposition du temps: L’homme partage le temps, tant pour vaquer aux choses spirituelles, tant pour la nécessité du corps, sans laquelle il ne peut être, ce qui est au nombre des choses spirituelles quand on le fait avec raison, tant pour l’exercice et l’utilité du corps. Et d’autant que l’homme doit rendre compte et raison de son temps et de ses œuvres, il doit faire en sorte que son temps soit si bien disposé et si bien examiné, que le poids des œuvres spirituelles soit plus grand que celui des œuvres corporelles.

 

Le huitième talent est une égale dispensation des biens temporels que Dieu leur a donnés, de sorte que celui qui est riche en départe aux pauvres avec charité et à proportion de ses richesses. Mais vous pourriez vous enquérir à quoi est tenu et obligé le pauvre qui n’a rien : il doit avoir une bonne volonté de donner. Qu’il pense en soi-même : si j’avais quelque chose, j’en élargirais franchement aux pauvres ; car cette volonté est réputée par l’effet. Or, si le pauvre a une telle volonté que, s’il était riche comme les autres, et qu’il n’en voulût donner aux pauvres que peu, et encore des choses les plus viles, cette volonté lui sera réputée pour une œuvre fort petite. Donc, que l’homme riche qui a des biens, en distribue charitablement, et que celui qui n’en a point, ait volonté d’en donner, et cela lui profitera. Or, celui qui entasse plus de choses corporelles que de choses spirituelles, qui me donne un denier, cent au monde, et à soi mille, ne mesure pas bien également, et celui-là est indigne d’avoir mon or, car moi, qui ai donné toutes choses et qui puis les ôter, je mérite la plus grande part.

Or, les choses temporelles sont créées, non pour la superfluité de quelques-uns , mais pour l’utilité de tous les hommes.

 

Le neuvième talent est une diligente considération du temps passé. Que l’homme considère ses actions, quelles elles ont été, en quel nombre, quantité et qualité ; comment et combien dignement elles ont été amendées, étant vicieuses ; qu’il voie aussi si ses bonnes œuvres sont moindres que les mauvaises et en plus petit nombre ? qu’il prenne la ferme résolution de s’amender, et qu’il s’excite à une vraie et poignante contrition des fautes et offenses commises. Que s’il fait ceci, en vérité il sera devant Dieu de plus grand prix que tous les péchés n’étaient horribles.

 

Le dixième talent consiste en la considération et disposition du temps qui est à venir. Si l’homme a une telle intention de ne vouloir rien aimer ni chérir que Dieu et celui qui lui appartient, rien désirer que ce qui plaît à Dieu, de pâtir et souffrir franchement même les peines horribles de l’enfer, si Dieu le voulait ainsi, il aurait un talent très excellent, et on éviterait facilement par celui-là toutes les rencontres mauvaises, et les choses difficiles nous seraient faciles.

 

Quiconque donc donnera ces dix talents aura l’or de mes paroles. Mais que ceux qui apportent l’or de mes paroles prennent garde que l’ennemi les en veut empêcher, comme j’ai dit, par trois manières: il les veut rendre lâches et paresseux. Il y a deux lâchetés : l’une est corporelle, et l’autre spirituelle.

 

La lâcheté corporelle, c’est quand le corps se dégoûte du travail, se fâche de se lever, et n’est point prompt aux exercices divins.

 

La lâcheté spirituelle, c’est quand l’homme spirituel, sentant la douceur et la pureté de mon Esprit et de ma grâce, aime mieux se reposer en cette douceur qu’aller aider les autres, afin qu’ils participent avec lui à la même douceur. Eh quoi ! saint Pierre et saint Paul ne ressentirent-ils pas une grande et indicible douceur de mon Esprit ? Que si la suavité intérieure qu’ils ressentaient, m’eût été plus acceptable que la conversion des âmes, ne se fussent-ils pas plutôt cachés dans la terre que d’aller parmi le monde ?

 

Néanmoins, afin de faire les autres participants des douceurs indicibles qu’ils ressentaient, et pour les gagner et les attirer à Dieu, ils aimèrent mieux sortirent, pour l’avancement d’autrui et pour leur grande gloire, que de demeurer seuls et ne pas consoler les autres des grâces dont Dieu les avait comblés. De même aussi maintenant, mes amis, bien qu’ils voulussent, être seuls, et se réjouissent  des joies qu’ils ressentent, sortent néanmoins afin de rendre les autres participants des suavités et des douceurs dont ils tressaillent. Car comme celui qui foisonne en richesses temporelles, ne s'en réjouit  pas seulement tout seul , mais aussi les communique aux autres, de même mes grâces et mes faveurs ne doivent pas être cachées , mais doivent être communiquées à tous , afin qu’eux et les autres en soient édifiés.

 

Car il y a trois sortes de personnes que mes amis doivent aider et secourir:

Les premières sont les damnés selon la présente justice ;

les secondes sont les pécheurs qui tombent et se relèvent ;

les troisièmes sont les bons, qui persistent en la bonté.

Mais vous pouvez demander: Comment est-ce qu’on peut aider les damnés , puisqu’ils sont indignes de ma grâce et qu’il leur est impossible d’y revenir? A quoi je veux vous répondre par un exemple.

 

Si , dans un profond abîme il y avait des fosses infinies, par lesquelles il faudrait que passât celui qui y tomberait, si quelqu’un bouchait une de ces fosses , celui-là ne descendrait pas aussi bas qu’un autre, si aucune fosse n’était bouchée: il en est de même des damnés ; car bien que par ma justice, à cause de leur malice , ils doivent être damnés à temps fixe et déterminé, leur supplice ne serait pas si dur et si horrible s’ils étaient retenus par quelqu’un des méchancetés qu’ils commettent, et s’ils étaient incités à quelque bien. Voyez combien miséricordieux je suis, même envers les damnés. .Et combien ma justice leur voudrait pardonner ma justice néanmoins et leur malice s'y opposeraient.

 

En deuxième lieu, ils peuvent aider ceux qui tombent et ceux qui se relèvent , s’ils leur enseignent comment il faut se relever , s’ils les avertissent des danger de chopper, s'ils leur enseignent les manières d’avancer et de résister à leurs cupidités.              

 

En troisième lieu, ils peuvent profiter au justes et au parfaits, car ne les voyons-nous pas tomber? Oui, vraiment mais pour leur plus grande gloire et pour la plus grande confusion du diable; car comme le soldat qui est légèrement frappé à la guerre , est plus excité et animé contre ses ennemis, il en est de même de mes élus, qui s'excitent  et s‘encouragent étant importunés par les tentations diaboliques, aux labeurs spirituels et à l'humilité et: s'efforcent d'autant plus d'acquérir la couronne de gloire. Que mes paroles donc ne soient pas cachées à mes amis, car ayant ouï parler de mes grâces et de mes faveurs, .ils peuvent être excités davantage à la vraie dévotion.

 

Quant au deuxième, que l'ennemi  fasse en sorte que mon or ressemble à de la boue , par quelque déception et tromperie c’est pourquoi quand l'écrivain  transcrit quelque chose, il prend deux hommes fidèles ou bien un d'une  bonne conscience, pour examiner ce qui est écrit , ce qu’il communique après à qui il veut, de peur que si , par aventure cet: écrit tombe entre les mains des  ennemis , on y ajouta  quelque chose de faux, dont la parole de vérité pu être dénigrée devant les  simples.

 

Quant au  troisième, qui est que mon  ennemi, met dans la bouche  de ses amis des suggestions pernicieuses afin de résister à l'or de ma parole , mes amis diront à ceux qui contredisent:ces paroles: Dans les paroles qui nous sont montrées il n'y  a quasi que trois mots, car elles enseignent  droitement, d’aimer pieusement, et de désirer sagement les choses célestes.

Examinez ces paroles et voyez-les; et si vous les trouvez autrement, contredisez-les.

 

Chapitre 15

 

Des paroles de Jésus  à son épouse où il parle de la voie du paradis ouverte  à son avancement; de l’ardente charité qu’il nous  a manifestée , souffrant, depuis le jour de sa naissance jusqu’au jour de sa mort , tant de peines et de travaux, et le tout, pour l’amour de nous. En quelle manière la. voie de l’enfer est large, et celle du paradis étroite.

 

Vous admirez avec étonnement pourquoi je dis et pourquoi je vous ai montré tant de choses. Pensez-vous que ce soit seulement pour votre seule édification ? Certes , je ne l’ai pas fait pour votre seul salut, mais pour enseigner et sauver les autres , car le monde était jadis comme une vaste solitude en laquelle il  n’y avait qu’une seule voie, qui conduisait au grand et profond abîme. (Math. 25.)

 

Or, dans cet abîme, il y avait deux réceptacles : l’un était si profond qu’il n’avait point de fond, dans lequel celui qui tombait une fois n’en sortait jamais. L’autre n’était pas si profond ni si horrible que le premier, mais quiconque y descendait, attendait secours, avait des désirs et quelque dilection , mais ne ressentait pas les misères ; il expérimentait les ténèbres et non les peines.

Or, ceux qui étaient en ce second réceptacle, criaient tous les jours à quelque très bonne cité qui leur était contiguë,  qui était pleine de toute sorte de biens et de plaisirs.

Or, ils criaient hautement, car ils savaient la voie pour aller à cette cité; mais la solitude était si profonde, la forêt si touffue et si épaisse, qu’ils étaient empêchés d’aller à raison de la diversité et de l’épaisseur; ils n’avaient pas même la force de se frayer un chemin. Mais ceux qui criaient, criaient en cette sorte.: O  Dieu! venez; donnez-nous votre secours, montrez-nous la voie et illuminez-nous, nous vous attendons il n'y a de salut qu’en vous.

 

Cette clameur déplorable et entrecoupée montait au ciel entrait en mes oreilles elle m’a attiré à faire miséricorde. Or, étant apaisé par une si grande clameur, je suis venu en cette solitude comme en. pèlerin. Mais avant que je commençasse  d’aller et de travailler, une voix résonna et me dit: La cognée est maintenant à l’arbre.

 

Quelle a été cette voix sinon celle de saint Jean-Baptiste., qui devant moi envoyé au désert , s'écriait: La cognée est maintenant à l’arbre? Comme s'il  disait : Que l’homme soit préparé;. maintenant , puisque la cognée est préparée, et il est  venu, celui qui préparera la voie au ciel, coupant tous les empêchements et obstacles.

 

Or moi, étant venu, j’ai travaillé dès la pointe du jour jusques au soleil couchant,  c'est-à-dire, dès mon incarnation ineffable jusques à ma passion et à ma mort odieuse sur la croix. J’ai opéré  le salut des hommes-; fuyant dès le commencement en cette solitude à raison qu'Herode me pourchassait . J'ai été tenté du diable et ai souffert des persécutions des hommes. Après, j'ai souffert et enduré un nombres infini d'opprobres. Je mangeais et je buvais , et j’ai accompli le reste des nécessités de nature sans pécher , pour l’institution de la foi , et pour marquer et manifester que j’avais pris d’une manière ineffable la nature humaine, préparant la voie pour aller à cette cité céleste, et détruisant la contraire, les épines poignantes ont cruellement percé ma tête, et les clous ont douloureusement blessé mes mains; mes pieds et mes mains, mes dents et mes joues ont été frappés cruellement. Or, moi, souffrant tout cela patiemment, je n’ai pu reculer, mais j’ai avancé avec plus de ferveur.

 

Comme un animal pressé par la faim,  voyant que l’homme lui tend la lance, se rue sur cette lance, pour le désir qu’il a de dévorer l’homme; et plus l’homme enfonce sa lance dans le ventre de l’animal , d’autant plus l’animal se pousse contre la lance pour approcher de l’homme le plus près , jusqu’à ce que ses entrailles, son ventre et son corps soient tout percés, de même moi, j’ai brûlé d’un feu d’amour si grand envers l’âme, que plus l’homme se portait volontairement à me tuer, plus j’étais ardent à pâtir pour le salut des âmes.

 

C’est donc de la sorte que je marche en la solitude de ce monde, en labeur et misère, et ai préparé la joie du ciel, en mon sang et en ma sueur. Certainement, le monde pouvait être appelé à juste raison une solitude, attendu qu’il n’y avait pas une seule vertu , et seulement les vices s’en étaient emparés , et il n’y avait qu’une voie par laquelle tous descendaient en enfer , les damnés à la damnation , les bons allaient seulement aux ténèbres. Exaucent donc miséricordieusement les longs et ardents désirs d’un salut futur, je suis venu comme un pèlerin , pour travailler et étant inconnu, selon ma Puissance et ma Divinité, j'ai préparé et disposé la voie qui conduit. au ciel. Mes amis voyant  cette voie, et considérant mes labeurs et mes peines, et la générosité de mon esprit, m'ont suivi fidèlement  et joyeusement un long temps. Mais maintenant, la voix qui criait : Soyez prêts  s’est changée, et ma voie  aussi; et derechef,  les épines et lés broussailles ont crû dans cette solitude, de sorte que personne n'y marche  plus.            .

 

La voie de l’enfer est ouverte, plusieurs passent par elle. Toutefois, afin que ma voie ne fut point mise en oubli , un petit nombre de mes amis, atteints et touchés du désir de la patrie céleste passent encore par ma voie, à guise des oiseaux qui vont de branche en branche et de buisson en buisson et comme servant par crainte et en cachette. Il semble à tous que c'est un bonheur aussi de passer par la voie du monde. Et parce que ma voie et étroite et celle du monde large, je crie maintenant dans la  solitude c'est-à-dire , dans le monde, à mes amis, afin qu'ils arrachent les épines et les broussailles de la voie qui conduit au ciel, et qu'ils la disposent à ceux qui y marchent; car il est écrit: Bienheureux ceux qui m'ont cru et ne m'ont pas vu; de même bienheureux ceux qui maintenant croient à mes paroles et accomplissent par œuvres ce qu'ils croient.

 

Vraiment , je suis comme une mère qui, va au-devant de son fils qui est errant et vagabond,  qui lui donne de la lumière en la  voie, afin qu’il voie le chemin; elle lui va au-devant, poussée par l'amour, abrégeant son chemin, et s’en étant approchée, elle l’embrasse, se congratulant avec lui. J’en fais de même à tous ceux qui reviennent à moi, et j’irai avec amour au-devant de tous mes amis, et j’illuminerai leur esprit et leur âme à la sagesse divine. Je les veux embrasser avec toute sorte de gloire, et avec toutes mes troupes célestes, où il n’y a point de ciel en bas, ni terre, mais la vision divine; où il n’y a point de viande ou boisson, mais une divine délectation. Or, aux mauvais , la voie de l’enfer est ouverte; ceux qui entrent dans l’enfer n’en sortent jamais ; ils seront privés de la gloire et de la joie, et seront remplis de misère et d’éternels opprobres. C’est pourquoi je dis ces paroles et vous manifeste mon amour , afin que ceux qui se sont retirés de moi reviennent à moi et me reconnaissent pour leur Créateur, lequel ils ont oublié.

 

Chapitre 16

 

Ici Jésus-Christ parle à son épouse. Pourquoi il parle plus à elle qu’à d’autres meilleurs qu’elle?. De trois commandements que Jésus Christ fait à l’épouse. De trois choses défendues , de trois choses permises, et de trois documents très excellents.

 

Plusieurs s’étonnent pourquoi je parle avec vous, et non pas avec les autres, qui sont d’une meilleure vie et m’ont servi plus longtemps que vous. Je leur réponds par un exemple.

Un Seigneur avait plusieurs vignes et en plusieurs lieux, et le vin sentait et avait le goût du terroir de chaque vigne. Or, quand le vin fut foulé et coulé, le maître de la vigne en but du médiocre et du plus petit, et point du meilleur. Que si quelques-uns de ceux qui sont présent et assistants lui  demandent pourquoi il a fait de la sorte; le maître de la vigne leur dira: Parce que ce vin était alors de son goût et lui semblait le plus doux et pourtant, le maître de la vigne ne répand pas  le meilleur, ni ne le méprise, mais il le  garde à son temps et saison pour lui faire honneur et lui porter de l'utilité, donnant un chacun à son propre temps.

 

Je vous en ai fait de même. J’ai plusieurs amis dont la vie m’est plus douce que le miel, plus délectable que le vin et plus luisante devant mes yeux que le soleil. Néanmoins d'autant qu'il m'a plu de la sorte de vous élire en mon Esprit, non pas parce que vous étiez meilleure, ou que vous leur était égale, ou que vous étiez plus digne qu'eux en mérite, mais parce que je l'ai voulu ainsi; car des insensés j'en fais des sages; des pécheurs j'en fais des justes;  ni parce que je vous ai fait une telle grâce, je ne les méprise pas, mais plutôt je me les réserve pour mon utilité et honneur, selon que ma justice l'exige. C'est pourquoi, humiliez-vous en toute chose et ne vous mettez en peine que de vos péchés. Aimez tout le monde, voire même ceux qui vous semblent vous haïr le plus et ou détracter le plus, car ceux-là vous offrent et vous donnent  de plus grandes occasions  de couronnes. Je vous défends de faire trois choses; je vous  permets de faire trois choses;  je vous conseille de faire trois choses.

 

D’abord, je commande de faire trois choses, la première, de ne rien désirer que Dieu; en deuxième lieu, de repousser toute sorte de superbe et d’arrogance, en troisième lieu , de fuir perpétuellement la luxure charnelle.

 

Je vous commande de ne. pas faire trois choses: la première, de n’aimer point les paroles vaines et plaisantes ; la deuxième, de ne point chercher les superfluités des viandes et des autres choses ; la troisième, de fuir la légèreté du monde et ses joies.

 

Je vous permets de faire trois choses : la première , de prendre un sommeil modéré pour avoir une bonne complexion ; la deuxième de veiller tempérament pour l’exercice du corps, la troisième , de manger des viandes avec modération pour fortifier et sustenter le corps.

 

Je conseille trois choses : la première , le labeur dans les jeûnes et les bonnes oeuvres, auxquelles est promis le royaume des cieux; la deuxième, que vous disposiez bien de tout ce qui redonde à l’honneur et à la gloire de Dieu; la troisième , je vous conseille de considérer continuellement deux choses eu votre coeur : la première , ce que j’ai fait pour vous , souffrant et mourant pour vous. Cette pensée excite l’amour envers Dieu; la deuxième: considérez ma justice et mon horrible jugement, car cela excite à la crainte.

 

Enfin ce que je vous commande, ce que je vous mande , ce que je vous conseille et vous permets , c’est que vous obéissiez comme vous êtes tenue de le faire. Je vous commande cela d’autant que je suis votre Dieu. Je vous mande cela, afin que vous le fassiez, car je suis votre Dieu. Je vous permets cela, parce que je suis votre Epoux. Je vous conseille cela, attendu que je suis votre ami.

 

Chapitre 17

 

Jésus-Christ parle à son. épouse de la manière dont, la Divinité doit être appelée vraiment vertu ;

d’ une multitude de déceptions  de l'homme  suggérées par le diable , et de  la multitude de remèdes  que Jésus-Christ a donnés pour aider et secourir l’homme.

 

Le  Fils de Dieu, parlant à son épouse lui disait : croyez-vous  fermement  que ce que le prêtre tient en ses mains  soit le corps du Fils de Dieu?

Elle répondit : Je crois fermement que, comme le Verbe qui a été envoyé à la Sainte Vierge, a été fait chair et sang  dans son ventre, de même, maintenant ce  que je vois. dans les mains du prêtre, je crois que c’est le vrai Dieu et le vrai homme

 

Notre-Seigneur lui répondit : Je suis le même qui parle avec vous, étant  en la Divinité de toute éternité , et humanisé dans le temps , au sein de la très Sainte Vierge, sans néanmoins perdre ma Divinité . Ma Divinité peut  être appelée à bon droit vertu, attendu qu’en elle il y à deux choses l’une est une puissance très-puissante, de laquelle dépend toute puissance;  l’autre, une sagesse très-sage de laquelle dérive toute sagesse. Car en ma Divinité, toutes les choses qui subsistent ont été raisonnablement et sagement ordonnées, car il n’y a pas au ciel une des plus petites choses qui n’ait été faite, constituée et prévue par elle; il n’y a pas un atome en terre ni une petite étincelle en enfer, qui ne soient contenus dans les bornes de son ordonnance , et qui se puissent cacher aux yeux de sa providence.

 

N’admirez que j’ai dit qu’il n’y avait pas au ciel un petit point sans mon su. Enfin, comme le point est la perfection du verbe glosé, de même le Verbe divin est la perfection de toutes choses et est pour l’honneur de toutes choses. Pourquoi pensez-vous qu’il n’y a pas un atome en terre que je ne voie, si ce n’est parce que toutes les choses terrestres sont périssables et néanmoins , elles ne sont pas hors de la disposition et ordre de la providence divine, mais elle les sait et les enveloppe. Pourquoi ai-je dit qu’il n’y avait pas une petite étincelle de feu dans l’enfer sans mon su , si ce n’est d’autant que, dans l’enfer, il n’y a qu’envie .Car comme l’étincelle procède du feu, de mène toute malice et envie proviennent des esprits immondes , de sorte qu’eux et leurs fauteurs sont incessamment rongés d’envie, et ne sont point émus d'amour ni de charité.

Donc, d’autant qu’en Dieu, il y a une parfaite science et puissance, partant, toutes choses sont si bien rangées que personne ne lui peut résister ni prévaloir; il ne peut même arriver à elle aucun évènement irraisonnable, mais toutes choses sont faites avec autant de raison qu’il en était convenable à une chacune.

 

Sachez donc aussi que la Divinité peut véritablement être appelée vertu. Il l’a manifestée être très grande en la création des anges , car il les a créés pour son honneur et pour leur délectation et plaisir, et afin qu’ils l’aimassent et lui obéissent , qu’ils l’aimassent en telle sorte que leur amour ne fut que divin, et qu’ils lui obéissent en tout et partout.

 

Contre. ceci , il y eut deux des anges qui , errants , portèrent leur volontés directement contre les volontés divines de sorte que tout ce que Dieu avait en horreur, leur était cher, et la vertu leur était odieuse. Et par ce mouvement déréglé ils méritèrent la chute, non pas que la Divinité les eut inclinés à la chute en les créant, mais eux-mêmes par l'affection désordonnée et déréglée de leur beauté , ils se causèrent leur chute

 

Quand Dieu donc vit qu'en ses troupes célestes il y avait du déchet, à raison de leur faute, Dieu créa l'homme avec le corps et l'âme, et lui donna deux sortes de biens, savoir : la liberté de bien faire et d'omettre le mal; car puisque plusieurs autres anges ne devaient être crées, il était juste et raisonnable que l'homme eut la liberté de monter, s'il voulait, à la dignité des anges. Dieu donna aussi  à l'âme de l'homme , deux sortes de biens, savoir :la raison pour discerner les choses contraires des contraires, et les meilleures des très-bonnes, et la force pour persister dans le bien. Mais lorsque le diable vit que Dieu , par son amour, avait communiqué à l'homme de si grands biens, poussé d'envie, il pensa à part soi en cette sorte : Voici que Dieu a fait une chose nouvelle, qui peut monter en notre lieu et dignité, et en combattant, surmonter et posséder ce que nous avons perdu négligemment. Si nous le pouvions supplanter et  décevoir il defaudra  en la bataille, et alors, il ne montera  point à une si grande dignité. Après, ayant pensé au moyen et au conseil de le tromper, ils le déçurent , et par ma juste permission , ils ont prévalu sur soi.

 

Mais quand et comment a-t-il été vaincu ? Certes, ce fut lorsqu’il abandonna la vertu, enfreignit mon commandement, et lorsque la promesse du serpent lui porta plus de plaisir que mon obéissance. Donc à cause de cette rébellion , il ne doit pas être au ciel, car il a méprisé Dieu; ni en enfer, car l’âme, considérant ce qu’elle avait commis, eut contrition de sa faute:

 

Partant , Dieu , qui est la puissance même voyant la misère dont l’homme était assailli , disposa pour lui une prison et un lieu de captivité , afin que là l’homme expérimenta ses misères et ses infirmités, et pleurât sa désobéissance , jusqu’à ce qu’il méritât de monter à la dignité qu’il avait perdue. Le diable, considérant de nouveau cela, voulut tuer I’âme de l’homme par l’ingratitude ; mettant de la fiente en son âme , il obscurcit tellement son esprit, qu’il n’avait amour ni crainte de Dieu, car la justice divine était mise en oubli, et partant , on ne la craignait point ; sa bonté et ses dons étaient oubliés , et partant, il n’était pas aimé. Mais la conscience étant ainsi endurcie et obscurcie, les hommes vivaient misérablement, et plus misérablement ils tombaient.

Et bien que l’homme fut ainsi , néanmoins, la vertu et la force divine ne lui manquaient pas voire même il leur manifesta sa miséricorde et sa justice : sa miséricorde , quand il manifesta à Adam et à ceux qui étaient bons, qu’au temps déterminé par les. arrêts et décrets de la providence divine, ils obtiendraient le secours. Cette promesse excitait en eux la ferveur et l’amour envers Dieu. Il leur manifesta sa justice , savoir au déluge de Noé, par 1equel la crainte de Dieu et l’effroi saisirent les coeurs des hommes.

 

Après ceci , le diable ne cessa pas d’inquiéter encore l’homme , mais il l’assaillit par deux autres sortes de maux: 1° il lui suggéra la perfidie; 2° le désespoir : la perfidie, afin que les hommes ne crussent en la ruse du diable par parole divine, et qu’ils rapportassent au destin toutes ces merveilles; le désespoir, afin qu’ils n’attendissent plus de salut ni de pouvoir acquérir la gloire qu’ils avaient perdue.

 

Contre ces deux maux, le Dieu des vertus ne manqua pas de donner deux remèdes : en effet contre le désespoir, il donna l’espérance, nommant le nom d’Abraham, promettant de naître de sa semence, et de le ramener à l’héritage perdu, lui et tous ceux qui suivraient sa foi parfaite.

 

D’abondant, il institua des prophètes auxquels il manifesta les manières de sa rédemption, les lieux et le temps de sa passion; contre la perfidie,Dieu parlait à Moïse, et lui montra sa loi et sa volonté,et accomplissait  sa parole par signes et miracles. Ces choses étant accomplies, la malice du diable ne se désista point : mais poussant l'homme à des choses pires, il suggéra à son cœur d'autres choses : la première de penser que la loi et l’inquiétude de son observance étaient intolérables ; la seconde, qu’il était tout, à fait, incroyable, que Dieu eût voulu mourir d’amour et souffrir par amour. Contre ces deux suggestions,

 

Dieu donna derechef deux autres remèdes : le premier, afin que l’homme ne s’inquiétât point en la rigueur de la loi, il envoie son Fils pour prendre chair humaine dans le ventre virginal de Marie, en laquelle il accomplit tout ce qui était de la loi; et après, il adoucit 1ui-meme cette loi. Contre le second, Dieu lui manifesta une grande vertu , car le Créateur est mort pour la créature, le juste est affligé pour l'impie , et l’innocent tourmenté, jusqu’au dernier période de sa vie, ainsi qu’il avait été prédit par les prophètes.

 

La malice du diable ne cessa point encore, mais il s’éleva contre l’homme , lui suggérant deux autres choses car en premier lieu, il suggéra à son coeur d’avoir mes paroles en dérision , et en second lieu , que mes oeuvres fussent mises en oubli.

 

Contre ces deux choses la puissance divine montra encore deux autres remèdes le premier, qu’on eût mes paroles en honneur et mes oeuvres en imitation. C’est pourquoi Dieu vous a conduit en son esprit et a manifesté par vous sa volonté à ses amis, spécialement à raison de deux choses la première afin que la miséricorde divine soit manifestée par laquelle les hommes, étant ramenés, se souviennent de mon amour et de ma passion; la seconde, afin qu’on ne néglige pas la justice divine et qu’on craigne la sévérité de ses jugements.

 

Partant, puisque vous avez appris et savez que ma miséricorde est maintenant venue, manifestez-la au jour , afin que les hommes la recherchent et qu’ils prennent garde à mes terribles jugements. D’ailleurs , dites-leur bien que quoique mes paroles soient écrites, elles doivent néanmoins être publiées , et de la sorte, venir aux oeuvres qu’elles nous recommandent de faire , comme vous le pourrez comprendre par, un exemple.

 

Quand Moïse devait recevoir la loi , la verge était toute prête, et les tables étaient dolées et disposées. Néanmoins, il ne fit point de merveilles avec la verge avant que la nécessité le demandât et que le temps fut venu ; or, lors les miracles ont été faits et manifestes , et mes paroles ont été déclarées par œuvres, de même la loi nouvelle venant, mon corps croissait et profitait à l’age parfait, et mes paroles étaient écoutées. Néanmoins , bien que mes paroles fussent écoutées, elles n’avaient pas en elles-mêmes la force , avant que les oeuvres arrivassent , elles n ‘avaient pas leur complément  jusqu’à ce que toutes choses ont été accomplies par ma passion , comme elles avaient été prophétisées. De même en est-il maintenant, car bien que les paroles de mon amour soient écrites et qu’elles doivent être portées au monde, néanmoins, elles ne pouvaient point avoir la force avant qu’elles vinssent à la lumière pleine et parfaite.

 

Chapitre 18

 

De trois merveilles que Jésus-Christ a faites avec son épouse. Comment la vision des anges est intolérable à cause de l’éclat de leur beauté, et celle des diables , à raison de leur laideur. Pourquoi Jésus-Christ a daigné loger cette veuve, sainte Brigitte.

 

J’ai fait trois merveilles avec vous, car vous voyez de vos yeux spirituels, vous entendez de vos oreilles spirituelles, vous sentez d’une main corporelle que mon Esprit vit en votre coeur. La Vision que vous avez, ne l’appréhendez pas comme elle est, car si vous pouviez voir l’éclat et la beauté spirituelle des anges et des âmes bienheureuses , votre corps ne les pourrait supporter, mais il romprait en deux, comme un vase puant et corrompu, à raison de la joie que l’âme recevrait de cette vision. Si aussi vous voyiez les démons comme ils sont , vous vivriez avec une grande douleur, ou vous mourriez subitement à raison de leur horreur et laideur; c’est pourquoi vous voyez les choses spirituelles comme corporelles; vous voyez les anges et les âmes comme des hommes qui ont l’âme et la Vie, car les anges vivent par leur esprit. Les démons vous semblent des morts, ou comme des hommes mortels , ou comme des animaux ou autres créatures , car ces animaux ont un esprit mortel; car leur chair mourant , leur esprit meurt aussi.

 

Or, l’esprit des diables ne meurt point ils meurent sans fin et vivent sans fin. Or mes paroles spirituelles vous sont dites et représentées avec similitudes, car votre esprit ne saurait autrement les comprendre ; mais entre toute autre chose, celle-ci est des plus admirables, que vous ressentez que mon Esprit s’émeut en votre coeur.

 

Lors elle répondit : O mon Seigneur et Fils de la Vierge! comment est-ce que vous daignez loger et visiter une veuve si vile, qui suis pauvre en toute sorte de bonnes oeuvres, sans esprit, et consommée en toute sorte de péchés, dans lesquels j’ai croupi longtemps?

 

Il lui répondit J’ai trois choses :1° je puis enrichir le pauvre, faire sage l’insensé, et donner un grand esprit et intelligence à ceux qui en ont peu. Je puis aussi renouveler la vieillesse : car comme le phénix, étant arrivé à l’age décrépit , porte et amasse dans une vallée de petites bûchettes sèches , et entre autres, d’un arbre dont le bois est extérieurement sec de sa nature , et chaud intérieurement, et qui, soudain que la chaleur et les rayons du soleil le touchent , s’enflamme et fait enflammer et brûler toutes les autres bûchettes , de même il vous faut amasser toute sortes de vertus, afin que par elles vous puissiez être rajeunie de la vieillesse du péché ; entre lesquelles vous devez avoir une sorte de bois, qui est chaud intérieurement, et extérieurement sec, c’est-à-dire, un cœur pur intérieurement et sec extérieurement de toute sorte de délectation mondaine, et au-dedans, empli du feu d’amour et de charité, de sorte que vous ne vouliez ni désiriez autre chose que moi.

Alors, viendra le feu de mon amour, qui allumera en vous le feu et l’ardeur de toute sorte de vertus, par lesquelles tous vos péchés seront consommés, et desquels vous serez purifiée ; et vous vous renouvellerez comme un oiseau se renouvelle, ayant déposé la peau de la délectation sensuelle.

 

Chapitre 19

 

Jésus-Christ enseigne à son épouse la manière dont Dieu parle à ses amis par ses prédicateurs et par les tribulations. Comment Jésus-Christ est désigné par le possesseur des mouches à miel, l’Eglise par la ruche, et les chrétiens par les mouches ; et en quelle sorte on permet que les mauvais chrétiens vivent entre les bons.

 

Je suis votre Dieu. Mon Esprit vous a introduite en moi pour vous faire ouïr, voir et sentir : ouïr mes paroles, voir des visions et sentir mon Esprit avec joie et dévotion de l’âme. En moi est toute miséricorde avec justice, et justice avec miséricorde. Je suis comme celui qui voit ses amis tomber en la voie où il y a un horrible et formidable chaos, d’où il est impossible de sortir quand on y est tombé une fois. Je parle à mes amis par ceux qui ont l’intelligence de l’Ecriture ; je leur parle par les fléaux des angoisses et des tribulations ; je les avertis des dangers dans lesquels ils se vont plonger, mais eux vont au contraire , ne se souciant pas de mes paroles. Mes paroles ne sont quasi qu’une parole, c’est-à-dire, convertir le pécheur à moi ; car ils marchent périlleusement ; car bien que leur ennemis ne marchent que de jour, néanmoins, ils sont cachés aux ténèbres de l’esprit, et ils ne les voient pas comme ils sont.

Cette mienne parole est méprisée et cette mienne miséricorde est négligée : néanmoins, bien que je sois si miséricordieux que d’avertir les pécheurs, je suis aussi si juste que, quand même tous les anges les attireraient, ils ne seraient pourtant si convertis, si eux-mêmes n’émeuvent leur volonté à la pénitence et au bien. Or s’ils tournent leur volonté vers moi et consentent à moi avec amour, tous les diables de l’abîme ne sauraient les retenir.

Il y a un vermisseau qui est appelé apis, non à raison de la possession de son seigneur, mais à raison que les mouches rendent à leur roi trois sortes de révérences et prennent de lui trois sortes de vertu : 1° les mouches apportent à leur roi toute la douceur qu’elles peuvent fleureter de toutes les plantes ; 2° elles lui obéissent comme il veut, et soit qu’elles aillent ou qu’elles s’arrêtent, elles sont toujours portées d’amour et d’affection envers leur roi ;

3° elles le suivent, s’unissent à lui et lui obéissent.

Elles ont aussi de leur roi un triple bien :

1° de sa voix, elles savent le temps où il faut sortir et où il faut travailler ;

2° elles ont de lui le régime et mutuelle charité entre elles, car de sa présence, principauté et amour qu’il a envers elles et elles envers lui, toutes sont conjointes ensemble par amour et par charité. Chacune se réjouit de l’avancement de l’autre, et elles s’en congratulent ensemble.

3° Par la charité et la joie qu’elles ont avec leur chef, elles sont fécondes et fructueuses.

 

Car comme les poissons en la mer font leurs œufs en se jouant, lesquels, tombant en la mer, fructifient, de même les abeilles par leur mutuelle charité, amour et joie qu’elles ont avec leur chef, sont rendues fertiles et fécondes, de l’amour desquelles  et de ma vertu procède quelque semence comme morte qui prend vie de ma bonté. Mais le seigneur, c’est-à-dire, le maître des mouches, est soigneux d’elles ; il en parle à son serviteur, lui disant qu’il lui semble que quelques mouches sont malades et qu’elles ne peuvent voler.

Le serviteur répond : Je n’entends point cette maladie ; mais si cela est ainsi, je demande comment cela se peut savoir.

Le maître répond : Vous pourrez savoir leurs défauts et infirmités par trois signes :

Le premier : elles sont invalides et paresseuses à voler, et cela vient de ce qu’elles ont perdu leur roi, duquel elles avaient leur soulas et leur soutien.

Le deuxième est d’autant qu’elles sortent à des heures incertaines et hors de saison, et cela, parce qu’elles n’entendent point la voix de leur chef ;

La troisième, attendu qu’elles n’ont point d’amour à leur ruche : c’est pourquoi étant rassasiées, elles s’en retournent à leur ruche, sans porter rien dont elles se puissent sustenter à l’avenir.

Or, les mouches qui, saines et bien disposées, sont constantes et fortes en leur vol, gardent et observent le temps convenable d’entrer et de sortir, rapportant de la cire pour faire leurs petites logettes, et du miel pour s’en nourrir.

Alors, le serviteur répondit à son maître : Si elles sont donc infirmes, pourquoi souffrez-vous qu’elles vivent encore, puisqu’elles ne profitent de rien ?

Le maître répondit : Je les souffre pour trois raisons, car elles apportent trois commodités, mais non pas de leur vertu.

Elles occupent, en premier lieu, leurs ruches, de peur que les chenilles n’y entrent, inquiétant celles qui sont saines et utiles ;

En second lieu ; afin que les autres soient fructueuses, se roidissant au travail, voyant la malice et la négligence des autres ; car les bonnes mouches voyant les mauvaises ne travailler que pour leur assouvissement, s’excitent d’autant plus d’être auprès de leur roi et de travailler avec plus de ferveur. Elles profitent aussi, en tant qu’elles défendent les bonnes mutuellement, car il y a un vermisseau qui a coutume de manger les mouches, lequel venant, toutes les mouches bonnes et mauvaises s’unissent avec une haine mortelle qu’elles lui portent, pour le combattre et l’abattre tout à fait. Car autrement, si les mouches mauvaises et malades étaient ôtées et que les bonnes fussent seules, bientôt le vermisseau les auraient vaincues ; et c’est pourquoi, dit le maître, je les souffre.

 

Néanmoins, quand l’automne viendra, j’aurai soin des mouches saines ;  je les séparerai des mauvaises ; car si on les mettait maintenant dehors, elles mourraient de froid. Que si elles sont dans leur ruche et n’amassent rien, elles périront de faim, puisqu’elles n’ont pas amassé quand elles pouvaient.

Moi, qui suis Seigneur et Créateur de toutes choses et maître des mouches ; moi, de mon intime charité et par le sang que j’ai répandu, j’ai fondé mes ruches, c’est-à-dire, mon Eglise, en laquelle les chrétiens devaient demeurer et s’assembler par l’unité de la foi. Ces lieux sont leurs cœurs, dans lesquels doit loger la douceur des bonnes pensées et des saintes affections, qui devraient sortir de la considération de mon amour infini à les créer, à les racheter , et à souffrir pour eux, et de ma miséricorde, en les ramenant et les renouvelant dans cette ruche, c’est-à-dire, dans mon Eglise, en laquelle il y a deux sortes de gens, comme il y a deux espèces de mouches.

Les premiers sont les mauvais chrétiens, qui n’amassent rien pour moi, mais tout pour eux ; qui s’en retournent vides et qui ignorent leur chef, ayant quelque stimule de quitter ma douceur et sentent quelques désirs de ma charité.
Mais les bonnes mouches sont les bons chrétiens, qui m’offrent une triple révérence :

1° ils me tiennent toujours pour leur chef et pour leur Seigneur, me présentant le miel de leur douceur, c’est-à-dire, leurs œuvres de charité, qui me sont très douces et à eux très utiles.

2° Leurs volontés dépendent de ma volonté ; leur volonté est conforme à la mienne, leurs pensées sont liées à ma passion, et les œuvres n’ont autre fin que mon honneur et gloire.

3° Ils me suivent et m’obéissent en tout et en tous lieux, soit dedans, soit dehors, soit en tribulation, soit en joie ; leur cœur est toujours dans mon cœur ; c’est pourquoi ils ont de moi trois vérités :

 

la première, la voix de l’inspiration et de la vertu, le temps convenable et dû, savoir : la nuit au temps de la nuit, et la lumière au temps de lumière ; voire même ils changent la nuit en lumière, c’est-à-dire, la joie du monde en la joie éternelle, et les plaisirs caducs et périssables en l’éternel bonheur et félicité.

Ceux-ci sont en tout raisonnables, car ils se servent des choses présentes pour la nécessité, et non pour la volupté ; ils sont constants en l’adversité, sages dans la prospérité, modérés dans le soin de leurs corps, soigneux et circonspects en tout ce qu’il faut.

 

La deuxième : comme les mouches saines ont entre elles une bonne et mutuelle charité, de même les bons chrétiens ont tous un même cœur, uni au mien, aiment leur prochain comme eux-mêmes, et moi sur toutes choses et par-dessus eux-mêmes. En troisième lieu, je les rends fructueux. Qu’est-ce être fructueux, si ce n’est avoir mon Esprit et en être rempli ? car celui qui n’a point le Saint-Esprit, et qui ne ressent point ses douceurs, est infructueux, tombe, est inutile et va au néant.

Or, le Saint-Esprit, Esprit d’amour, enflamme celui dans lequel il demeure par son amour, et lui ouvre et transporte l’esprit. Il extirpe, chasse et ruine la superbe et l’incontinence ; il excite l’esprit à l’honneur de Dieu et au mépris du monde. Les mouches, c’est-à-dire, les âmes infructueuses, ignorent cet Esprit, c’est pourquoi elles fuient l’obéissance et le gouvernement d’autrui, l’utilité et la société charitable. Elles sont vides de toute bonne œuvre ; elles changent les lumières en ténèbres, la consolation en pleurs, la joie en douleurs.

 

Néanmoins, je souffre qu’elles vivent, à raison de trois choses :
1° De peur que les infidèles n’entrent en leur place, car si les méchants hommes étaient ôtés tous ensembles ; il en demeurerait pur, car les bons sont en petit nombre, à cause de quoi les infidèles et les païens, qui sont en grand nombre, les surmonteraient bientôt et molesteraient les bons habitants avec eux.
2° Je les souffre pour la probation des bons, car la malice des méchants éprouve la constance des bons ; car en l’adversité, on voit combien la patience d’un chacun est grande, et en prospérité, on connaît combien on est constant et modéré. Mais d’autant que les justes pèchent souvent et que les vertus les élèvent, c’est pourquoi je permets que les mauvais vivent avec les bons, de peur que les bons ne se réjouissent par trop et se rendent paresseux, et afin qu’ils aient toujours les yeux vers Dieu, car là où le combat est petit, la récompense est petite.
3° Je les patiente pour le secours même des bons, de peur que les païens et les infidèles ne nuisent aux bons, mais les craignent d’autant plus qu’il semble y en avoir un grand nombre. Et comme les bons résistent aux mauvais, poussées et émus de l’amour et de la justice divine, de même les mauvais résistent aux bons pour défendre leur vie et pour penser éviter la fureur d’un Dieu tout-puissant ; et de la sorte, les bons et les mauvais s’aident entre eux, et les mauvais sont supportés pour l’amour des bons, et les bons sont couronnés plus éminemment, à raison de la méchanceté des mauvais.

Les gardiens de ces mouches sont les prélats et princes vigilants de la terre, soit bons ; soit mauvais. Je parle pourtant aux bons gardiens, lesquels, moi, Dieu, leur protecteur et gardien, je les avertis de garder mes mouches. Qu’ils considèrent leur entrée et sortie ; qu’ils voient si elles sont infirmes ou saines.

 

Que s’ils ne les savent connaître, je leur marque trois signes par le moyen desquels ils discerneront si les mouches sont inutiles, paresseuses ou lâches à voler en leur saison, et vides à apporter la douceur des fleurs. Ceux-là sont lâches à voler qui ont plus de soin des choses temporelles que des choses éternelles ; qui craignent plus la mort corporelle que la mort spirituelle ; qui parlent de cette sorte à part soi : Pourquoi prendrais-je de l’inquiétude, puisque je puis être en repos ? Pourquoi me ferais-je mourir, puisque je puis vivre ?

Misérables ! ils ne considèrent pas que moi, Roi tout-puissant, ait embrassé les misères et les infirmités qui n’étaient point péché. Je suis aussi très paisible, voire je suis la vraie paix, et néanmoins, j’ai pris pour l’amour d’eux les inquiétudes, dont je les ai affranchis par ma mort.

 

Mais eux sont grandement indisposés en ce temps, puisque leurs affections cherchent les choses terrestres ; leurs paroles ne sont que bouffonneries, leurs œuvres que leur propre intérêt, et leur temps se passe selon les désirs de leur corps et de leurs sentiments.

Or ceux-là n’ont point d’amour à leur ruche, qui est l’Eglise, ni n’amassent de la douceur, car ils ne font point de bonnes œuvres par amour, mais seulement par la crainte du supplice. Et bien qu’ils aient quelques bonnes œuvres pieuses, ils ne laissent pas pourtant leur propre volonté ; ils veulent avoir Dieu en telle sorte qu’ils ne laissent jamais le monde, et ne veulent souffrir ni privations ni troubles. Ceux-ci s’encourent à la maison, ne portant que fiente en leurs pieds ; ils volent, mais non pas par les ailes de la véritable et raisonnable charité.

Partant, quand l’automne viendra, c’est-à-dire, le temps de séparation, les mouches inutiles seront séparées des bonnes, qui, pour leur amour-propre, seront éternellement, tourmentées d’une faim perpétuelle et enragées. Pour le mépris qu’elles ont eu de Dieu et le dégoût qu’elles ont ressenti du bien, elles seront affligées d’un froid excessif, sans jamais mourir.

 

Néanmoins, mes mais se doivent donner de garde de la malice des mauvaises mouches,

1° afin que leur puanteur ne vienne à leurs oreilles, car elle est vénéneuse et pestiféré ; car le miel étant ôté, elles sont sans douceur, au lieu de laquelle abonde une amertume mortifère ;

2° qu’ils se gardent la prunelle de leur yeux et leurs ailes, car elles sont aiguës comme des aiguilles ; 3° qu’ils gardent leurs corps, et qu’ils ne l’exposent pas à elles tout nu, car elles ont de poignants aiguillons avec lesquels elles percent cruellement.
Qu’est ce que tout ceci signifie ? Les sages le savent expliquer, qui considèrent leurs mœurs et leurs affections. Or, ceux qui ne le savent expliquer, qu’ils craignent le danger, qu’ils fuient leur compagnie et qu’ils ne suivent leur exemple, autrement ils apprendront à leur dommage et expérimenteront ce qu’ils n’ont pas voulu savoir en écoutant.

Après la Sainte Vierge Marie parlait, disant : Béni soyez-vous, mon Fils, qui êtes, qui avez été et qui serez éternellement ! Votre miséricorde est douce et votre justice est grande.

Il me semble, mon Fils, parlant par comparaison, que la miséricorde ressemble à une nuée qui monte au ciel avec vous, et qu’un air léger va au-devant de la justice.

Or, la nuée apparaissait comme quelque chose d’obscur et de ténébreux, mais qui était hors de la maison, et qui ressentait la douceur de l’air ; il éleva les yeux, et vit l’obscurité épaisse de l’air ; et la considérant, il dit en soi-même : L’obscurité de cette nuée me semble présager la pluie, et soudain, suivant son conseil, il se retira à couvert. Mais les autres, qui étaient aveugles, ou qui peut-être ne s’en souciaient point, faisant peu d’état de la légèreté variable de l’air, ni ne craignant l’obscurité de la nuée, expérimentèrent ce que ces nuées signifiaient. Ces nuées croissant par tout le ciel, vinrent fondre comme un torrent impétueux avec tonnerres horribles et épouvantables feux, de sorte qu’ils perdirent la vie d’effroi et de crainte. Après, toutes choses de l’homme, tant intérieures qu’extérieures, seront consommées par le feu, de sorte que rien n’y demeurera.

Cette nuée, ô mon Fils ! c’est vos paroles, qui semblent obscures et incroyables à plusieurs, d’autant qu’elles n’ont pas été ouïes souvent, ni administrées aux ignorants, ni déclarées par signes. Ma demande précède ces paroles, et votre miséricorde va au-devant d’elles, avec laquelle vous pardonnez à tout le monde, et les alléchez à vous, comme une mère attire ses enfants. Cette miséricorde est douce en patience et souffrance, comme l’air est chaud en amour, car vous attirerez comme le feu à se servir de votre miséricorde ceux qui vous provoquent à colère et indignations, et présentez chose admirable à ceux qui méprisent votre piété et votre clémence.

Donc, que tous ceux qui entendront ces paroles élèvent les yeux, et ils verront en leur intelligence d’où procèdent mes paroles. Qu’ils s’enquièrent si mes paroles publient la miséricorde et l’humilité ; qu’ils soient attentifs si elles prêchent les choses présentes ou futures, la vérité ou la fausseté.

Que s’ils les trouvent vraies, qu’ils s’enfuient du mal et se retirent à l’humilité avec l’amour divin, car quand la fureur de la justice viendra, alors l’âme sera séparée du corps de crainte et d’effroi.

Le feu enveloppera l’âme qui n’a pas bien vécu, et la brûlera intérieurement et extérieurement sans la consommer.

 

Partant, moi qui suis Reine de miséricorde, je crie aux mondains afin qu’ils élèvent leurs yeux et voient ma miséricorde. Je vous avertis et vous prie comme Mère, et vous conseille comme Dame et Maîtresse, car quand la justice viendra en sa fureur, il sera impossible de résister. Croyez donc fermement ; regardez et éprouvez en vos consciences cette vérité ; changez vos volontés, car alors, celui qui montrera les paroles de charité montrera aussi les œuvres et les signes d’amour.

Après, le Fils de Dieu me parlait, disant : Je vous ai montré ci-dessus que les mouches retiraient trois sortes de biens de leur malice. Je vous dis maintenant que telles mouches devraient être de ceux qui portent la croix (Les religieux de Notre-Dame de la Merci, Trinitaires et Mathurins.), que j’ai mis aux fins du monde.

Or, eux, maintenant combattent contre moi, car ils ne se soucient point du salut des âmes, n’ont point de compassion, ni ne travaillent point à convertir les dévoyés à la foi catholique, et à les tirer de l’erreur dans laquelle ils sont plongés, car ils les oppriment de labeurs, les privent de leur liberté, ne les instruisent point en la foi, les frustrent des sacrements , et avec une plus grande douleur, les envoient dans l’enfer comme s’ils étaient encore en leur paganisme. Ils ne combattent point non plus, si ce n’est pour dilater les branches de leur insupportable superbe et augmenter leur insatiable cupidité.
C’est pourquoi le temps viendra qu’on leur cassera les dents ; on leur coupera la main droite, et on arrachera les nerfs de leur pied droit, afin qu’ils vivent et qu’ils connaissent l’état de leurs misères.

 

 

 

 

Chapitre 20

 

Dieu se plaint de trois choses qui se passent maintenant dans le monde. En quelle manière Dieu a choisi dès le commencement trois états : le clergé, la noblesse et le laboureur. De la peine préparée aux ingrats, et de la gloire gratuitement donnée aux hommes.

 

On voyait une belle et grande compagnie céleste, à laquelle Notre-Seigneur parlait en ces termes : Bien que vous voyiez et sachiez en moi toutes choses, néanmoins je me plains de trois choses devant vous :

1° de ce que ces lieux si agréables sont vides au ciels, desquels les mouches inutiles sont déchues,

2° de ce que l’abîme insatiable de l’enfer, à qui les pierres, ni les arbres ne touchent, est toujours ouvert, dans lequel les âmes tombent comme la neige sur terre. Et comme la neige se résout en eau en présence des rayons du soleil, de même les âmes sont privées de toute sorte de biens, accablées et opprimées de toute sorte de maux.

3° Je me plains de ce qu’il y a si peu d’âmes qui considèrent attentivement ces places vides, d’où les anges ont prévariqué et d’où est venue la chute des âmes. C’est pourquoi je m’en plains avec raison, car j’ai élu dès le commencement trois hommes, par lesquels j’entends trois états dans le monde. En premier lieu, j’ai élu le clergé, afin qu’il publiât à tous par sa voix qu’il fallait faire ma volonté, et qu’il montrât cela même par la fidélité des œuvres. En second lieu, j’ai choisi un défenseur, qui défendît mes amis aux dépens de sa vie, et fût disposé à répandre son sang pour l’amour de moi en tout et partout. En troisième lieu, j’ai choisi le roturier, afin qu’il labourât la terre de ses mains, et qu’il repût les corps de son labeur.

Le premier état, qui est le clergé, est maintenant lépreux et muet, car tous ceux qui recherchent l’éclat et la beauté des mœurs, et l’ornement des vertus en lui, s’en retournent mal édifiés ; ils se troublent de l’avoir vu et ont horreur de s’en approcher, à raison de la laideur et horreur de la lèpre de superbe insupportable et d’insatiable cupidité. D’abord, s’ils désirent l’ouïr, ils le trouvent muet pour chanter mes louanges, et babillard à se louer soi-même. Comment donc ouvrira-t-on alors la voie et les chemins pour s’approcher de si grandes suavités, si celui qui devrait procéder est débile ? et si celui que devrait crier est muet, comment entendra-t-on les raisonnables et douces  mélodies du ciel ?

Le deuxième état, qui est le défenseur du peuple, tremble ; son cœur est lâche et vide de vertu, n’a rien en la main , et a toujours peur de perdre l’honneur mondain. Il n’a rien en ses mains, d’autant qu’il ne fait aucune œuvre divine, mais tout ce qu’il fait est pour le monde.

Qui défendra donc mon peuple, si celui qui en est le chef tremble d’effroi ?
Le troisième est comme un âne qui abaisse la tête contre terre, et demeure sans rien faire, joignant les quatre pieds. Vraiment, ce peuple, est comme un âne, qui ne désire que les choses terrestres ; qui néglige les choses célestes et se lie aux choses périssables. Celui-là a comme quatre pieds, de qui la foi est petite,
l’espérance vide, qui ne fait point de bonnes œuvres, et dont la volonté est plongée dans le péché. De là vient qu’ils ont toujours la bouche ouverte à la gourmandise et à la cupidité. Voici, ô mes amis ! comment est-ce qu’on peut, par telles personnes, amoindrir cet insatiable abîme, et comment le paradis pourra être rempli.

 

Lors, la Sainte Vierge répondit : Béni soyez-vous, mon Fils ! Votre plainte est juste. Moi, ni vos mais n’avons point d’excuse pour défendre le genre humain, si ce n’est une parole que nous vous voulions dire, par laquelle le genre humain pourra être sauvé. Cette parole est : Miséricorde, ô Jésus-Christ, Fils de Dieu ! C’est ce que je vous demande, c’est de quoi vos amis vous supplient.
Le Fils répondit : Vos paroles sont douces à mes oreilles, suaves à ma bouche, et entrent avec amour dans mon cœur. J’ai un clerc et défenseur et un paysan. Le premier m’est agréable comme une épouse, que l’époux très doux et courtois désire amoureusement de tout son cœur. La voix de celui-ci me sera comme la voix qui résonne mélodieusement dans les bois. Le deuxième sera prêt et disposé à donner sa vie pour l’amour de moi, et ne craindra point d’opprobre du monde ; j’armerai celui-là des armes du Saint-Esprit. Le troisième aura une foi si ferme qu’il parlera en ces termes : Je crois aussi fermement comme si je voyais ce que je crois. J’espère aussi toutes choses que Dieu a promises ; il aura la volonté de bien faire, de profiter au bien, et d’omettre toute sorte de maux.

Je mettrai en la bouche du clerc trois paroles :

1° il dira à celui qui a la foi, qu’il fasse par œuvres ce qu’il croit ;

2° à celui qui espère fermement, qu’il soit établi en toute sorte de biens ;

3° à qui aime parfaitement et amoureusement, qu’il désire voir avec ferveur ce qu’il aime.
Le défenseur, qui est noble, sera comme un lion fort au travail, industrieux pour découvrir les embûches et constant en la persévérance.
Le troisième sera sage comme un serpent, qui demeurera sur sa queue et élèvera sa tête au ciel. Ceux-ci accompliront ma volonté et d’autres les suivront ; et bien que je n’en nomme que trois, néanmoins, j’entends plusieurs.
Après il parlait à son épouse très aimée, disant : Demeurez stable et constante ; ne vous souciez point du monde ni des opprobres, car je suis votre Dieu et Seigneur, qui ai ouï et enduré toute sorte d’opprobres.

 

Chapitre 21

 

La glorieuse Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte de la manière dont il fallut tirer Notre-Seigneur de la croix ; de l’amertume et douceur en la passion de son Fils. Comment l’âme est désignée par la Vierge, et l’amour de Dieu et du monde, par deux jouvenceaux. Des conditions qu’une âme doit avoir comme une vierge.

 

Ma fille, disait la Sainte Vierge Marie, vous devez penser à cinq choses :
1° tous les membres de mon Fils se refroidirent à la mort, et le sang se congela en eux.

2° Sa passion fut si amère, qu’étant pressé dans son cœur, et percé si immiséricordieusement, que celui qui lui donna le coup de lime ne s’arrêta que quand il eut atteint les côtes de l’autre côté.

3° Méditez et pensez en quelle manière il fût descendu de la croix.

Ces deux qui l’ôtaient et le descendaient de la croix, appliquaient trois échelles : l’une aux pieds, la deuxième au bras, la troisième au corps. Le premier monta et le tenait au milieu. Le deuxième, montant par l’autre échelle, arracha un des clous de la main ; après, ayant appliqué son échelle de l’autre part, il arracha l’autre clou de sa main, ces clous qui passaient outre la croix. Celui donc qui soutenait le corps descendait peu à peu, comme il pouvait, pendant que l’autre montait à l’échelle des pieds, et arracha les clous des pieds ; et s’approchant de la terre, un d’eux soutint le corps par la tête.

 

 

Or, moi, qui étais sa Mère, je le tenais par le milieu ; et ainsi nous trois, Notre-Dame, Joseph et Nicodème, le portâmes à une pierre que j’avais couverte d’un linge blanc et net, dans lequel nous enveloppâmes le corps ; mais je ne cousis point le linceul : je savais certainement qu’il ne pourrirait point dans la sépulture.

 

Après, la Marie-Magdelène et les autres saintes femmes vinrent à nous voir ; même les anges y furent un nombre innombrable, faisant service à leur Créateur. Or, quelle fut alors ma tristesse ? Il n’y en a pas un qui le puisse dire, car j’étais comme une femme qui enfante, de laquelle tous les membres tremblent après l’enfantement ; laquelle, bien qu’à peine elle puisse respirer à raison de la douleur, néanmoins se réjouit intérieurement autant qu’elle peut, sachant que l’enfant qui lui est né ne se trouvera jamais en semblable misère ; de même, bien que je fusse extrêmement triste à raison de la mort de mon Fils, néanmoins, je me réjouissais, d’autant que je savais que mon Fils ne mourrait jamais plus, mais qu’il vivrait éternellement ; et de la sorte, ma tristesse était mélangée de joie. Vraiment je puis dire que mon Fils étant enseveli, deux cœurs furent dans un sépulcre. Eh quoi! ne dit-on pas que là où est votre trésor là est votre cœur ? De même mon cœur et ma pensée étaient toujours dans le sépulcre de mon Fils, mon trésor et mon cœur.

 

Après, la Sainte Vierge Marie ajouta : Je vous parlerai de ceci par manière d’exemple : comment et en quelle posture il avait été mis, et en quelle manière il est maintenant posé. Représentez-vous une vierge épousée à quelqu’un, et que devant elle fussent deux jouvenceaux, l’un, desquels, appelé par la vierge, lui dit : Je vous conseille de ne vous arrêter point à celui que vous avez épousé, car il est rude en ses œuvres, tardif en récompenses, avare en présents. Croyez donc à mes paroles, et je vous en montrerai un autre qui n’est pas rude, mais doux, et en tout, qui vous donnera soudain ce que vous désirerez, qui vous le donnera abondamment, et satisfera amoureusement à tous vos désirs.

 

La vierge, ayant ouï cela, pensa soudain en elle-même et dit : Vos paroles sont douces à ouïr ; vous êtes grandement attrayant, et beau pour allécher et ravir mon cœur. Il me semble que je dois suivre votre conseil.

 

Et pendant qu’elle ôtait l’anneau de son doigt pour le donner à ce jouvenceau, elle vit au-dessus un écrit contenant ces trois paroles ;

la première était : Quand vous serez arrivée à la cime de l’arbre, donnez-vous garde de prendre une branche sèche pour vous y soutenir de peur de tomber.

La deuxième : Donnez-vous garde de prendre conseil de vos ennemis.

La troisième : Ne mettez point votre cœur entre les dents des lions.

 

Or, la vierge, considérant ceci, retira la main et retint l’anneau, pensant que peut-être ces trois choses lui marquaient que celui qui la désirait prendre en épouse n’était pas fidèle. Il me semble que c’est un flatteur qui est plein de haines et qui me tuera.

 

Et pensant à cela, derechef elle leva les yeux et vit une autre écriture qui contenait aussi trois paroles;

la première était : Donnez à celui qui vous a donné.

La deuxième : Donnez sang pour sang.

La troisième : N’aliénez pas au possesseur ce qui lui appartient.

 

 

Ayant vu et considéré ces choses, elle pensa derechef en elle-même que les trois premiers mots lui enseignent comment elle doit fuir la mort, les trois suivants, comment elle peut obtenir la vie. Il est donc juste de suivre plutôt les paroles de vie.

Lors, cette vierge, se servant du sage conseil, appela à elle son serviteur, qu’elle avait auparavant épousé, et s’approchant d’elle, le cajoleur et trompeur se retira d’eux.

 

Telle est l’âme de celle qui a épousé Dieu. Ces deux jouvenceaux, qui étaient devant elle, sont l’amour de Dieu et l’amour du monde, car les amis du monde s’approchaient plus près d’elle jusques à maintenant, et lui parlaient des richesses, vanités et honneurs du monde, à quoi elle eût consenti et leur eût donné l’anneau de ses affections. Mais par la grâce de mon Fils survenant en ce fait, l’âme a vu l’écriture, c’est-à-dire, elle a ouï les paroles de miséricorde dans lesquelles elle a vu trois choses : 1° qu’elle se donnât de garde que, voulant monter plus haut, et s’appuyant aux choses périssables, une chute plus grande ne l’attendit.

2° Elle entendit qu’il n’y avait rien au monde que sollicitude et douleur.

3° Elle comprit que la rétribution du diable était mauvaise.

 

Après, elle vit une autre écriture pleine de consolation, qui lui disait qu’en premier lieu, elle donnât tout à Dieu, de qui elle avait tout reçu. En second lieu, qu’elle rendît service à celui qui avait répandu son sang pour elle. En troisième lieu, qu’elle n’aliénât point son âme de son Dieu, qui l’avait créée du néant et rachetée par son sang.

 

Ces choses étant ouïes et considérées attentivement, les serviteurs de Dieu s’approchèrent de lui et lui agréèrent, et les serviteurs du monde s’enfuirent.

 

Mais maintenant, son âme est comme une vierge qui est nouvellement sortie des bras de son époux, qui est obligée d’avoir trois choses :

1° de belles robes, de peur qu’elle ne soit méprisée des serviteurs du roi, s’ils voyaient quelque déformité en ses vêtements.

2° Elle doit être morigénée selon les volontés de son époux, de peur que, s’il se trouvait quelque chose de moins honnête aux mœurs de l’épouse, l’époux en fût déshonoré.

3° Elle doit être très-pure, afin que l’époux ne trouve en elle aucune souillure qui la puisse faire répudier ou mépriser. Après, qu’elle ait des docteurs auprès du lit de son époux, de peur qu’elle ne s’écarte ou qu’elle n’erre. Mais celui qui conduit doit avoir deux qualités : 1° qu’il soit vu de celui qu’il conduit ; 2° qu’on entende ce qu’il enseigne, et la fin qu’il prétend en sa doctrine.

 

Or, celui qui suit le conducteur doit avoir trois choses :

1° qu’il ne soit paresseux et lâche à suivre ; 2° qu’il ne se cache du conducteur ; 3° qu’il considère attentivement les pas de son conducteur, et qu’il le suive soigneusement. Donc, afin que cette âme parvienne au lit de son époux, il est nécessaire qu’elle soit conduite par un directeur qui la conduise heureusement à Dieu, son époux.

 

Chapitre 22

 

La glorieuse Vierge Marie enseigne à sa fille sainte Brigitte tout ce qui touche la sapience spirituelle et temporelle, quelle d’icelles on doit suivre, et en quelle manière la sapience spirituelle, après quelques labeurs, conduit l’homme aux consolations éternelles, et la temporelle à la damnation perpétuelle.

 

Il est écrit, disait la vierge Marie, que celui qui veut être sage doit apprendre la sagesse de l’homme sage : d’où vient que, comme par exemple, je vous dis qu’il y avait quelqu’un qui, voulant apprendre la sagesse, vit deux maîtres devant soi, auxquels il dit : J’apprendrais franchement la sagesse, si je savais où elle me conduirait, quelle utilité j’en retirerais, et à quelle fin elle me conduirait.

 

Un des maîtres lui répondit : Si vous voulez suivre ma sapience, elle vous conduira en une haute montagne ; mais par la voie, on trouve des pierres si dures sous les pieds, qu’elle en est difficile et l’ascendant inaccessible. Si vous travaillez à acquérir cette sapience, vous serez tout plein de ténèbres extérieurement, mais intérieurement vous serez tout illuminé. Si vous la gardez, assurément vous aurez ce que vous demandez. Elle tourne comme un cercle ; elle vous attirera ; voire elle vous allèchera de plus en plus par ses douces forces, jusqu’à ce que vous tressailliez de joie.

 

Le second maître dit : Si vous suivez ma sapience, elle vous conduira en une vallée florissante, agréable en toute sorte de fruits ; la voie est douce et ne meurtrit point les pieds ; il y a seulement un peu de labeur au descendant. Si vous persistez en cette sagesse, vous aurez tout ce qui est éclatant extérieurement. Mais quand vous en voudrez jouir, elle s’enfuira ; vous aurez aussi ce qui dure si peu et finit soudain, et quand vous aurez lu le livre qui traite de cette, sapience, le livre et la lecture se perdront, et vous demeurerez vide et privé de tous les deux.

 

Ce qu’ayant ouï, il pensait attentivement à part soi ces deux merveilles. Si je monte, mes pieds se débiliteront et mon dos s’affaissera ; et, si j’obtiens, ce qui est obscur par dehors, que me profitera-t-il ? Que si je me peine à acquérir ce qui n’a point de fin, quelle consolation en aurai-je ? L autre maître me promit aussi tout ce qui était éclatant par dehors, mais qui ne demeurerait point en moi, mais que la sapience avec la lecture se perdrait. Mais quelle utilité aurai-je en ceci, s’il n’y a point de stabilité ?

Or, tandis qu’il roulait de la sorte tout ceci en son esprit, soudain à l’improviste un homme entre deux maîtres vint, qui parla en ces termes : Bien que la montagne soit haute, difficile et inaccessible, ce semble, à monter, néanmoins, au coupeau de la montagne, il y a une nuée lumineuse, d’où vous aurez un grand réfrigère et soulagement. Que si ce qu’on vous promet est noir et obscur à l’extérieur, il se peut rompre, casser et dissiper, et aussi avoir l’or qui est caché au-dedans, et le posséder éternellement avec joie. Ces deux maîtres ont deux diverses sagesses : L’une est spirituelle et l’autre charnelle. La spirituelle consiste à laisser à Dieu sa propre volonté, à soupirer et aspirer de tous ses désirs et par de bonnes œuvres au ciel, car en vérité, on ne peut pas appeler sagesse les paroles qui ne conviennent ni ne répondent aux œuvres ; cette sagesse conduit à la vie vivante et bienheureuse ; mais cette sagesse est inaccessible et il est difficile d’y parvenir. Certes, il est dur, et difficile de résister à ses affections ; il est inaccessible de fouler aux pieds les plaisirs et de n’aimer point les honneurs du monde.

 

Or, bien que cela soit ainsi difficile, néanmoins, à qui considère mûrement que le temps est bref, que le monde finira, et à qui affermira constamment son cœur en Dieu, la nuée apparaîtra au sommet de la montagne, c’est-à-dire, il jouira des consolations du Saint-Esprit. Enfin celui-là sera digne de consolation qui, ne cherche autre consolateur que Dieu ; car comment les élus de Dieu entreprendraient-ils des choses si dures et si difficiles, si l’Esprit de Dieu n’eût coopéré à la volonté de l’homme comme à un bon instrument ? Or, leur bonne volonté leur a attiré cet Esprit. La charité et l’amour divin qu’ils avaient envers Dieu les avaient alléchés à cet Esprit, attendu qu’ils travaillent d’une bonne volonté et affection, jusqu’à ce qu’ils fussent forts par les œuvres. Or, ayant joui des consolations de l’Esprit et acquis soudain l’or de la divine délectation et amour, non seulement ils souffraient force contrariétés, mais en les souffrant, et considérant les excellentes récompenses qui les attendaient, ils y prenaient un grand plaisir. Cette délectation semble fort amère aux amateurs du monde et ténébreuse aux aveugles ; mais à ceux qui aiment Dieu, elle est plus lumineuse que le soleil, plus éclatante que l’or, d’autant qu’ils dissipent les ténèbres des vices, et montent à la montagne de pénitence, contemplant les nuées de consolation, lesquelles ne finissent jamais, mais commencent ici et s’augmentent toujours jusqu’à ce qu’elles soient animées à leur entière perfection. Or, la sagesse du monde conduit à la vallée de misère, qui rit et semble florissante en l’abondance des choses pleines d’aménités en honneurs, agréables en voluptés. Cette sagesse finit soudain et n’apporte aucune, autre utilité, si ce n’est une vue et une ouïe vaines.

 

Partant, ma fille, cherchez la sagesse de l’homme sage, c’est-à-dire, de mon Fils, car il est la sagesse, et la source inépuisable d’où dépend toute sagesse ; il est ce cercle qui ne finit jamais. Je crie à vous comme une mère à son fils, disant : Aimez la sagesse, qui est au-dedans comme un or méprisé au dehors ; intérieurement, fervente d’amour ; extérieurement, laborieuse en travaux, fructueuse en œuvres, bien que pesante. L’Esprit de Dieu en est le consolateur. Approchez-vous, et efforcez-vous comme un homme qui veut entrer avec la presse ; ne reculez pas, accoutumez-vous d’aller de plus en plus jusqu’à ce que vous soyez arrivé au sommet de la montagne, car il n’y a rien de si difficile qui ne soit rendu facile par la constante, raisonnable et non interrompue continuation ; il n’y a rien de si honnête au commencement de l’entreprise, qui, par l’imparfaite conformation ne soit couvert de ténèbres.
 

Approchez-vous donc de la sapience spirituelle : celle-ci vous conduira aux peines corporelles, au mépris du monde ; aux petites tribulations et aux consolations perpétuelles. Or, la sapience du monde est fallacieuse et pleine de pièges : elle conduit à entasser des ruches temporelles aux honneurs présents, mais enfin, elle conduit à de très grands malheurs, si on ne s’en donne soigneusement garde.

 

Chapitre 23

 

La Sainte Vierge Marie déclare son humilité à sa fille sainte Brigitte. Comme l’humilité est désignée par le manteau. Des conditions de la vraie humilité et de ses fruits admirables.

 

Plusieurs s’étonnent et admirent pourquoi je parle avec vous : en vérité je le fais afin de manifester mon humilité ; car comme le cœur ne se réjouit point d’un membre pourri qu’il ne soit remis en sa première santé, de même je ne me réjouis point d’un homme pécheur quel qu’il soit, s’il ne retourne à moi de tout son cœur et avec un vrai amendement, et soudain alors je serai prête à le recevoir favorablement. Je ne m’arrête pas à considérer combien il a péché, mais avec quel amour, volonté et intention il retourne. Je suis appelée de tous Mère de miséricorde. Vraiment, ô ma fille ! la miséricorde de mon Fils m’a rendue miséricordieuse ; et moi, ayant vu ses miséricordes, j’ai été compatissante. Partant, celui -là sera misérable qui ne s’approche de la miséricorde, le pouvant faire.

 

Partant donc, ô ma fille ! venez, et cachez-vous sous mon manteau : il est contemptible au dehors, mais au-dedans, il est grandement utile, à raison de trois choses :

1° d’autant qu’il met à l’abri des vents et des tempêtes orageuses ;

2° il défend de l’inclémence du temps et de la rigueur du froid ;

3° il nous met à couvert des nuées et des pluies. Ce manteau n’est autre que mon humilité : elle semble fort contemptible aux amateurs du monde, et superstitieuse à imiter ; car qu’y a-t-il de si contemptible qu’être appelé insensé, que ne se mettre en colère quand on est offensé, et ne rendre parole pour parole ? Qu’y a-t-il de si méprisable que de laisser tout et avoir besoin de tout ? Qu’y a-t-il de si douloureux et de si cuisant parmi les mondains que de dissimuler les injures reçues, se croire, se sentir et se tenir le plus humble et le plus indigne de tous ? Telle, ô ma fille ! était mon humilité, telle ma joie, telle était ma volonté de plaire à mon Fils seulement.

 

Véritablement, cette humilité profite à trois choses à tous ceux qui m’imitent :

1° Elle profite pour défendre des tempêtes et des orages, des opprobres des hommes et de leurs mépris ; car comme le vent fort et impétueux pousse l’homme à la part qu’il veut et le rend froid, de même les opprobres abattent facilement l’homme impatient et qui ne considère les événements du monde, et relâchent en lui la ferveur de l’amour. Mais quiconque aspire à mon humilité, qu’il considère comment moi, qui suis Dame de tout le monde, j’écoute tout, et qu’ainsi, il cherche ma louange et non la sienne. Qu’il considère que les paroles ne sont que vent, et que soudain, après les avoir écoutées humblement, il en aura la consolation. Car pourquoi pensez-vous que les mondains sont si impatients à souffrir les paroles et les opprobres, si ce n’est parce qu’ils recherchent plus leur louange propre que celle de Dieu, et qu’il n’y a en eux aucune humilité ? Car ils ont la bouche et l’œil à leurs péchés.

 

Partant, ma fille, revêtez-vous de cette humilité autant qu’il vous sera possible. Les femmes du monde portent des manteaux superbes au-dehors, et quelque peu vil au dedans: fuyez entièrement ces vêtements,  car vous ne pourrez jamais avoir le manteau de l’humilité que premièrement l’amour du monde ne soit vil ; que vous n’ayez mûrement  considéré la miséricorde divine et votre ingratitude ; que vous n’ayez pensé et examiné ce que vous avez fait, ce que vous faites, et quelle condamnation vous en mériterez le jour du jugement. Pourquoi pensez-vous que moi, Vierge et Mère de Dieu, me suis tant humiliée (d’ou j’ai mérité une si grande grâce), si ce n’est que j’ai toujours pensé et su que je n’avais rien de moi-même, et que rien de bon ne venait de moi comme de moi? C’est pour quoi je n’ai point voulu en être louée, mais je l’ai rapporté à mon Dieu, qui en est l’auteur et le Créateur.          

 

Partant, ô ma fille ! fuyez-vous-en au manteau de mon humilité , et pensez que vous êtes plus pécheresse que toutes les créatures du monde; car bien que vous voyiez quelques-uns être mauvais, vous ne savez pas ce qu’ils pourront devenir demain ; vous ne savez aussi avec quelle vue et intention ils font leurs actions ; si c’est expressément ou par infirmité, Partant , ne vous préférez à aucun , et ne jugez personne en votre coeur.

 

Chapitre 24

 

La Sainte Vierge Marie exhorte sa fille, sainte Brigitte , se plaignant du petit nombre d'amis. De la manière dont Jésus-Christ parle à son épouse disant que, par les fleurs, sont entendues les mamelles sacrées. comment il faut fructifier de ses paroles.

 

La Sainte Vierge Marie parlait par un exemple très clair : Quiconque, disait-e11e, aurait le dos chargé d’un faix lourd et pesant, les bras affaissés, les yeux pleins de larmes , et passerait par une grande troupe, regarderait sans doute si quelqu’un d’eux compatirait avec lui, et le soulagerait du poids qui l’écrase. de même faisais-je,  étant accablée d’afflictions dès le  même jour de la naissance de mon Fils, jusques au jour de sa mort douloureuse. J'ai  porté un grand faix sur mon dos, et demeurait instamment assidue aux peines de  mon Fils et souffrais patiemment tous  les mépris et adversités.

J’apportais entre mes bras un  faix lourd, et supportais des douleurs et des tribulations si cuisantes, que jamais créature ait supportées. J ‘avais mes yeux pleins de larmes, lorsque je considérais sur les mains et sur les pieds de mon Fils les trous des clous, et lorsque je voyais que la passion douloureuse, qui avait été prédite par les prophètes, allait s’accomplissant en lui. Mais maintenant je regarde tous ceux qui sont dans le monde, pour voir s’il n’y en a pas un qui en ait compassion et qui considère mes douleurs, et j’en trouve bien peu qui pensent à mes tribulations et douleurs si amères qu’elles n’ont point d’égales

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Partant , ma fille, bien que je sois en oubli, voire méprisé de plusieurs, ne m’oubliez pas; considérez mes douleurs, et imitez-les aussi fidèlement que vous pourrez. Voyez mes peines et mes larmes ; ayez-en douleur, car j’ai peu d’amis. Soyez constante. Voici que mon Fils vient , qui, dès qu’il sera venu, dira: Je suis votre Dieu et votre Seigneur qui parle à vous.. Mes paroles sont comme les fleurs d’un bon arbre ; et bien que toutes les fleurs sortent d’une même racine , néanmoins , toutes les fleurs ne portent pas leur fruit.

 

De même, bien que mes paroles soient comme quelques fleurs qui prennent source de la racine de l’amour divin, que plusieurs écoutent et reçoivent, néanmoins, elles n’apportent pas en tous les fruits, ou si elles les portent , ils ne viennent point à leur parfaite maturité, d’autant que quelques-uns les reçoivent et les retiennent pour quelque temps, et puis après les rejettent, d’autant qu’ils en sont ingrats et méconnaissants ; quelques-uns les reçoivent et les retiennent, attendu qu’ils sont pleins de charité, et ceux-ci font un grand fruit de dévotion et de saintes oeuvres.

 

Donc, vous, ô mon épouse! qui êtes à moi par droit divin, il faut que vous ayez trois maisons: en la première, vous devez avoir ce qui est nécessaire au corps; en la deuxième, les vêtements qui couvrent le corps extérieurement; en la troisième, vous devez avoir les instruments nécessaires et utiles à la maison. En la première, vous devez avoir pain, boisson et tout ce qui est bon à manger ; en la deuxième , vêtement de laine, de lin et de soie; en la troisième , des vases pour tenir les liqueurs, et écuries pour tenir chevaux, ânes, etc. et des instruments manuels.

 

Chapitre 25

 

Jésus-Christ  avertit l'épouse  des provisions  qu’il faut qu’elle fasse en ces trois maisons. Comment, par le pain, est signifiée la bonne volonté; par la boisson la méditation divine, et par les viandés  bonnes à manger, la sagesse divine. En quelle manière la sapience divine n’ est pas en la lettre, mais  dans le coeur et en la banne vie.

 

Moi-même qui vous parle, suis le Créateur de toutes choses et ne suis créé d'aucun.  Devant moi, il n’y avait rien, ni après moi. Sans moi rien ne pouvait être, d’autant. que je suis de toute éternité et suis toujours. Je suis le Seigneur à la puissance. duquel personne ne peut résister, et duquel dépendent, toute puissance et toute domination. Je vous parle comme un homme parle à son épouse.

 

Mon épouse, nous devons avoir. trois maisons en l’une, il faut avoir du pain , de la boisson, et d’autres viandes pour manger.. Mais vous me pourriez demander ce que j’entends par ce pain n’est-ce pas le pain qui est à l’autel ? Oui, vraiment. Mais les paroles étant dûment prononcées : Ceci est mon corps, il n’est pas pain, mais mon corps que j’ ai pris du ventre virginal de Marie, et qui a été crucifié. C’est de ce pain que j’entends que vous devez avoir en la maison. Mais le pain que nous devons amasser en la maison, est une bonne et sincère volonté.

 

Le corporel , s’il est pur , fait deux biens :

1° il conforte et renforce les veines, les artères et les nerfs; 

2° il chasse toute la pourriture intérieure , la fait descendre , et ainsi l’homme est purifié.

Il en est de même de la volonté pure :

1° elle conforte  l’homme, car si l’homme ne veut que ce que Dieu veut, il ne se travaille point et ne se trouble point, mais il cherche l’honneur et la gloire de Dieu; il désire de tout son coeur de sortir du monde et d’être avec Dieu. Cette volonté conforte l’homme au bien, augmente l’amour de Dieu, lui cause l’horreur du monde, fortifie la patience, affermit l’espérance d’acquérir la gloire, de sorte qu’il porte et souffre joyeusement toute sorte de rencontres.

2° Une bonne volonté arrache et repousse toute pourriture.

 

Quelle est la pourriture qui nuit à l’âme , si ce n’est la superbe, la cupidité et la luxure ?  car quand la pourriture de la superbe et de quelque autre vice, saisit l’esprit de l'homme , il la chasse , s’il considère en cette sorte la superbe est vaine , car il n’est pas décent que l’homme se loue de ce qu’il reçoit mais bien il est juste que celui qui le donne en soit loué. La cupidité est vaine, car tout ce qui est terrestre nous laissera le jour de la mort. La luxure n’est qu’une puanteur extrême, partant, je l’abhorre, et veux suivre la volonté de mon Dieu , dont le prix ne finira jamais , dont les biens ne vieillissent jamais.

Lors , la tentation de la superbe et cupidité se retire , et la bonne volonté demeure permanente au bien.

 

La boisson que nous devons avoir en nos maisons , est la divine préméditation en tout ce que nous devons faire, car la boisson corporelle apporte deux biens:  1° elle fait une bonne digestion, car quiconque propose de faire quelque bien, s’il considère à part soi et le ballotte diligemment, voyant les tendants et aboutissants avant de l’exécuter, pour voir quel honneur en réussira pour Dieu, quelle utilité pour le prochain , quel profit pour l’âme, et il le veut faire, qui ne voit qu’en son entreprise  il y a quelque utilité divine?

 

Lors s'il se rencontre quelque indiscrétion. Lors cette œuvre aura un bon progrès comme une bonne digestion.:Lors, s’il se rencontre quelque indiscrétion en l’exécution de son oeuvre, il la découvre soudain. Lors, s’il trouve quelque chose injuste, il la corrige dès l’instant, et lors son oeuvre sera droite, juste, raisonnable et pleine d’édification devant les hommes car qui n’a en ses oeuvres la préméditation de Dieu, ne cherche ni l’utilité de l’âme ni l’honneur de Dieu ; et bien que son oeuvre ait quelque heureux progrès pour quelque temps, à la fin néanmoins, s il ne s’en corrige, son intention sera pour néant.

 

En second lieu , la boisson éteint la soif

quelle soif est pire que le péché des cupidités perverses et le vice de colère?  Que  si l‘homme préméditait quelles sont 1es utilités qui peuvent provenir de ses péchés; combien misérablement il finit; quelle récompenses on obtient, si on résiste à cette méchante et insatiable soif des vices; cette soifs soudain par la grâce divine; l’ardeur de la charité divine et des bons désires s'embrase; la joie s’éveille de ce qu’il n’a pas fait le mal qui lui était venu à l’esprit; il cherché l’occasion comme il pourra désormais se garder de ce qui l’aurait supplanté, si la méditation ne l’eut secouru, et ne l’eût rendu soigneux de s’en donner garde à l’avenir. Telle est la boisson, ô mon épouse ! Que nous devons mettre en notre revenu.

 

En troisième lieu , on y doit avoir des viandes à manger, qui font deux effets :

1° elles rendent les autres choses savoureuses à la bouche , et conviennent mieux au corps que le pain seul;

2° elles font le sang meilleur que le pain et le vin seuls.

De même en fait la viande spirituelle. Or, quelle est cette viande , si ce n’est la sagesse divine ?

Car quiconque a une bonne volonté, ne voulant rien de plus , sinon ce qui est de Dieu et la divine méditation de ses mystères , ne faisant rien sans qu’il y connaisse l’avancement de l’honneur de Dieu , celui-là est grandement sage.

 

Maintenant vous ne pourriez demander quelle est la divine sagesse, car plusieurs sont simples; qui ne savent que le Pater noster, et encore à grand’peine bien; d’autres grandement savants:

n’est-ce pas cela la sagesse divine? nenni, car la sagesse divine n’est pas précisément dans les lettres, mais dans le coeur et dans la bonne vie.

 

Quiconque considère sérieusement la voie qui nous conduit à la mort, la qualité de la mort et le jugement d’après la mort, celui-là est sage. Quiconque se retire des vanités fallacieuses du monde, se dépouille des superfluités, se contente des nécessités, et s’adonne autant qu’il peut à l’amour de Dieu, celui-là a l’aliment de la sagesse, qui rend la bonne volonté et la préméditation plus savoureuse: car quand l’homme considère la mort , et en la mort, le dépouillement entier de toutes choses; quand il pèse attentivement les formidables et terribles jugements de Dieu; qu'il  voit que rien ne lui est caché, que rien ne demeure impuni ; et quand il pense à l’instabilité, à l’inconstance , à la vicissitude du monde et de ses vanités, ne se réjouit-il pas d’avoir résigné sa volonté à la volonté de Dieu, et d’avoir fui les péchés? La chair n’est pas lors consolée, le sang renouvelé ( c’est-à-dire , l’infirmité de l’âme qui n’est autre que la dissolution des mœurs, laquelle elle chasse d’elle généreusement, et lors le sang de la divine charité se renouvelle , car il considère qu’il est plus raisonnable d’aimer ce qui est éternel que ce qui est périssable.

 

Donc, la divine sagesse n’est pas précisément dans les Ecritures , mais dans les bonnes oeuvres , car il y en a plusieurs qui sont sages selon le monde et selon leurs désirs , mais entièrement fous pour l’observance des commandements de Dieu, de ses volontés , et pour mortifier leurs corps; et ceux-ci ne sont pas sages, mais sont des fous aveugles, car ils savent que tout cela est caduc et périssable , utile pour un moment, et méprisent et oublient ce qui est éternel. D’autres ne sont point sages et habiles pour rechercher les plaisirs du monde, ni les honneurs, mais fort sages pour considérer ce qui est de Dieu , et sont fermes à son service: ceux-ci vraiment sont sages,  car ils goûtent les commandements de Dieu et ses volontés ceux-ci sont en vérité illuminés et ont les yeux ouverts car ils considèrent toujours comment ils pourront parvenir à la vraie vie et à la vraie lumière. Les autres marchent en ténèbres, et il leur est plus agréable d’y être plongés que de rechercher  la lumière par laquelle ils pourraient parvenir à la vie.

 

Partant, ô mon épouse! amassons et entassons en nos greniers ces trois choses, savoir une bonne volonté, la préméditation divine et la sagesse de Dieu , car en ces trois choses, nous tous devons réjouir, bien que je vous avertisse, vous et tous mes élus, que l’âme du juste est mon épouse, car je suis le Créateur et le Rédempteur.

 

Chapitre 26.

 

Notre Seigneur Jésus-Christ et la Vierge Marie, sa mère, avertissent l’épouse des vêtements qu’il faut avoir a en la deuxième maison. Comment, par ces vêtements, la paix avec Dieu et le prochain , la miséricorde divine et l’abstinence pure , sont dénotées, et d’une très-excellente déclaration de ce que dessus.

 

La Sainte Vierge disait à sainte Brigitte : Imprimez en votre coeur le riche ornement de la passion très-amère de mon Fils, comme un saint Laurent, car ce saint considérait incessamment en son esprit ce qui suit: Mon Dieu et mon Seigneur , Jésus-Christ a été dépouillé et moqué:

comment serait-il donc décent que moi , qui suis serviteur, sois sans douleur ni infliction ? Lors donc qu’il fut étendu sur les brasiers, que sa graisse fondue coulait dans le feu , et que le feu embrasait et enflammait tout son coeur, il tourna ses yeux vers le ciel , disant Béni soyez-vous, mon Dieu, mon Créateur Jésus-Christ. Je connais que je n’ai pas bien vécu les jours passés ; je vois aussi que j’ai fait peu pour votre honneur et gloire : partant, puisque votre miséricorde est très grande, je vous supplie de me traiter miséricordieusement ; et son âme a été séparée du corps, disant ces paroles:

Voyez , ma fille , que celui qui a tant aimé mon Fils , qui a tant souffert pour son honneur, dit qu’il est encore indigne d’obtenir le ciel : comment donc en sont dignes ceux-là qui vivent selon les appétits de leur volonté ?

 

Partant, considérez incessamment la passion de mon Fils et de ses saints, car ils n’ont pas tant pâti sans sujet, mais bien pour donner exemple de bien vivre aux autres, et afin de montrer avec quelle sévérité mon Fils exigera le compte des péchés, car il ne veut qu’aucun péché, pas même le plus petit, soit sans amendement.

 

Après, le Fils, étant arrivé, parla à l'épouse, disant : Je vous ai dit tout ce qu'il fallait en nos maisons. Entre autres choses, vous devez avoir trois sortes d'habits : le premier, c'est un vêtement de lin, qui croît de la terre; le deuxième de peaux, qui viennent des animaux ; Le troisième de soie, qui se fait des vers.

Le vêtement de lin porte deux biens : 1 - il est mou et doux à la peau ; 2 - il ne perd jamais sa couleur, mais plus il est lavé, plus il est blanc.

Le deuxième vêtement de peaux a aussi deux autres biens : il couvre les hontes et tient chaud contre le froid.

Le troisième vêtement de soie a aussi deux utilités : 1 - il est grandement beau et délicat; 2 - il est grandement cher. L'habillement de lin, qui est propre pour couvrir un corps nu, marque la paix et la concorde. L'âme pieuse et dévote doit avoir cette paix avec son Dieu, ne voulant que ce qu'il veut et en manière qu'il le veut ; ne le fâchant point par ses péchés, d'autant qu'entre Dieu et l'âme, il n'y a point de paix, si elle ne laisse le péché et retient sa concupiscence. Elle doit aussi avoir la paix avec son prochain, ne lui nuisant point, le secourant et le souffrant s'il a péché contre lui ; car qu'y a-t-il de

si malheureux que le péché ? L'âme qui désire de pécher n'est jamais remplie ni contente du péché ;

elle le désire incessamment et elle n'a jamais de repos.

 

Qu’y a-t-il de plus amer et qui pique plus cruellement l'âme qui se courrouce contre son prochain, et lui envie ses avancements et ses perfections ? De ce fait l'âme doit avoir la paix avec Dieu et son prochain, car il n'y a pas de plus grand repos au monde que cesser de pécher, et n'être sollicité ni embrouillé dans le monde. Il n'y a aussi rien de si doux que le séjour du bien, l'avancement de son prochain, et que de lui désirer ce qu'on désire pour soi-même.

 

Ce vêtement aussi de lin, qui doit adhérer à la peau, signifie que, dans le cœur où Dieu veut reposer, la paix, entre autres vertus, y doit être plus proche et la plus signalée, car cette vertu introduit Dieu dans le coeur et l'y conserve et retient. Cette paix et la patience sortent de la considération de son infirmité, comme le lin vient de la terre, car l'homme, qui est de la terre doit considérer son infirmité, en tant que soudain il est offensé, il se courrouce, il se plaint dès l'instant, et dit qu'il est lésé. S'il pensait comme il faut à soi, il n'aurait garde de faire à autrui ce qu'il ne peut supporter lui-même, car son prochain est aussi infirme que lui ; comme il ne veut pâtir telles peines, ni lui aussi. Lors la paix ne perd point sa couleur, c'est-à-dire, sa stabilité, mais elle devient plus constante, car la considération de l'infirmité de son prochain avec la sienne, fait que l'homme souffre patiemment les injures. Or, si, par impatience, la paix est souillée et noircie quelque peu, elle est d'autant plus blanche devant Dieu qu'elle est soudain lavée par la pénitence. Elle est aussi d'autant plus gaie et plus forte à souffrir, qu'elle est plus éprouvée et souvent lavée, parce qu'elle se réjouit de l'espérance des récompenses que l'âme attend, à raison de la paix, et d'autant plus elle est sur ses gardes qu'elle ne tombe par impatience.

 

Le deuxième vêtement, savoir, celui de peaux, marque les oeuvres de miséricorde ; et de fait, ces vêtements sont de peaux des animaux morts. Qui sont ces animaux morts, sinon mes saints, qui sont fort simples ? L'âme doit être couverte de leurs peaux, c'est-à-dire, elle doit imiter et faire les oeuvres de miséricorde qu'ils font. Ces vêtements servent à deux choses, 1 - à couvrir la nudité de l'âme pécheresse, et à la purifier des souillures, afin qu'elle apparaisse pure devant moi ; 2 - ils défendent du froid : quel est le froid de l'âme, sinon l'opiniâtreté au péché et l'endurcissement aux sentiments de mon amour ? Les oeuvres de miséricorde chassent puissamment ce froid, attendu qu'elles revêtent l'âme, afin qu'elle ne périsse de froid. Par elle Dieu visite l'âme, et elle s'approche d'autant plus de Dieu.

 

Le troisième vêtement de soie, qui est fait de vers, qui coûte beaucoup à l'acheteur, marque l'abstinence, car elle est belle devant Dieu, devant les anges et les hommes. Elle coûte aussi beaucoup à celui qui l'achète, car hélas ! il est dur et difficile à l'homme de retenir et réfréner sa langue de trop vainement parler. Il lui est amer de mortifier les concupiscences de la chair, de se priver des superfluités et de quitter ses plaisirs ; il lui est aussi difficile de rompre et contrevenir à ses volontés. Mais bien qu'il soit dur, amer et difficile, il est néanmoins en toute manière utile et excellent de le faire.

 

Partant, mon épouse, par laquelle j'entends tous les fidèles, amassons et entassons en notre deuxième maison la paix avec Dieu et avec le prochain, compatissant et aidant aux misérables par les oeuvres de miséricorde. L’abstinence des concupiscences, comme elle est plus chère que les autres, est aussi plus belle que toutes, attendu que, sans elle, les autres ne semblent point avoir leur éclat et leur beauté.

 

Cette abstinence doit être prise des vers, c’est-à-dire, de la considération des excès contre Dieu, de la considération de mon humilité et abstinence, moi qui ai été semblable au vermisseau pour l’amour de l’homme, qu’il voie en son âme comment et combien de fois il a péché contre moi, et en quelle manière il s’est amendé, et il connaîtra clairement qu’il n’y a abstinence ni labeurs qui puissent satisfaire à ses offenses. Qu’il considère mûrement mes peines, mes labeurs et ceux de mes saints, pourquoi ils ont tant souffert, et il entendra vraiment que, si j’ai exigé tant de rigueur de moi et de mes saints, qui m’obéissaient parfaitement, sera grande la vengeance que je prendrai de ceux qui ne m’obéissent point.

Donc, que l’âme qui est bonne embrasse courageusement et franchement l’abstinence ; qu’elle se souvienne combien ses péchés sont malicieux, et qu’ils rongent son âme de vers ; et de la sorte, de vermisseaux vils et abjects, elle en fera une soie précieuse, de laquelle tous ses membres seront revêtus par cette abstinence et considération, de laquelle Dieu et toute la milice céleste se réjouissent, et pour l’amour de laquelle elle jouira de la gloire et de la joie éternelles, et sans l’aide de laquelle elle aurait eu les pleurs éternels.

 

Chapitre 27

 

Jésus-Christ parle à son épouse des instruments qu’il faut mettre en la troisième maison. Comment, par ces instruments, sont désignées les bonnes pensées d’un sens bien réglé. Et une bonne confession; de leur entière déclaration, et de la clôture générale de ces maisons.
 
Le Fils de Dieu, engendré avant le temps, parlait à son épouse, disant : Je vous ai avertie qu’en la troisième maison devraient être les instruments, en triple différence qu’aux premiers, il fallait mettre les liqueurs ; en la deuxième, les instruments avec lesquels on préparait la terre, comme le râteau la cognée, etc. Qui se peuvent réparer, quand ils sont rompus, en la troisième partie du logis, les chevaux, les ânes, etc. Dont on se sert pour porter les choses animées et inanimées. En la première maison, en laquelle sont les liqueurs, il faut qu’il y ait deux sortes d’instruments : les premiers dans lesquels on verse les liqueurs fort liquides et douces, comme l’eau, le vin, l’huile, etc. Dans les autres, on met les liqueurs amères, épaisses, comme la moutarde, etc.

 

Ne sauriez-vous pas entendre ce que tout cela signifie ?

Les liqueurs signifient en vérité les pensées bonnes et mauvaises de l’âme, car la bonne pensée est comme l’huile douce et comme le vin plaisant et délectable. La mauvaise pensée est amère comme la moutarde, car elle rend l’âme amère et la trouble. Et comme l’homme a quelquefois

 

besoin des liqueurs épaisses, lesquelles, bien qu’elles ne profitent pour soutenir le corps, servent néanmoins à purger le cerveau et le corps et pour la santé, de même aussi les mauvaises pensées, bien qu’elles n’engraissent et ne rassasient l’âme comme l’huile des bonnes pensées, néanmoins, profitent pour purifier l’âme, comme la moutarde purge le cerveau ; car si les mauvaises pensées ne nous arrivaient souvent, l’homme serait alors, non homme, mais un ange, et penserait que toutes choses viendraient de lui, voire que la force que je lui ai donnée serait de lui-même. Il est donc nécessaire que mon infinie miséricorde permette quelquefois qu’il soit assailli des mauvaises pensées, qui, si l’homme n’y consent, lui servent pour purifier son âme et pour conserver ses vertus. Et bien qu’elles soient amères comme la moutarde, néanmoins, elles guérissent grandement l’âme et la conduisent à la vie éternelle, santé qu’on ne peut acquérir sans amertume.

 

Qu’on prépare donc les vases de l’âme, où l’on met les bonnes pensées. Qu’on les tienne diligemment. Il est même utile que les mauvaises pensées nous assaillent pour nous éprouver et pour nous faire mériter davantage ; que l’âme néanmoins se prenne garde diligemment de n’y consentir ou de s’y délecter autrement. La douleur et l’avancement de l’âme s’épandront et se perdront, et la seule amertume de l’âme demeurera.

 

En la deuxième maison, il faut avoir aussi des instruments de deux sortes : les premiers sont extérieurs, par lesquels on prépare et cultive la terre pour la semer, et on arrache les épines, comme sont le soc, etc. ; les autres, qui servent au dedans et au dehors, comme la coignée, etc. ; les instruments avec lesquels on cultive la terre, signifient les sens de l’homme qui ont été ordonnés à l’utilité du prochain, comme le soc pour cultiver la terre, car les hommes mauvais sont comme la terre maudite, attendu qu’il ne pensent qu’aux choses terrestres, car il sont arides en componction et contrition de leurs péchés, d’autant qu’ils ne pensent à la gravité d’iceux, mais croient que c’est peu de chose. Ils sont froids en l’amour divin, car ils ne cherchent qu’à accomplir leurs volontés et leurs sales appétits. Ils sont pesants et fainéants pour faire le bien, et agiles pour les ambitions et les honneurs du monde.

 

Partant, l’homme de bien doit se perfectionner, et perfectionner les autres, commençant par les sens extérieurs, comme le laboureur cultive la terre par le soc. Il les doit cultiver par sa bouche, leur disant des paroles utiles à l’âme, les formant et instruisant à la vraie vie ; après, il doit tâcher de faire ce qu’il dit autant que faire se pourra, afin que le prochain soit instruit par parole et excité à bien faire par l’exemple. D’abondant, qu’il compasse et compose à la modestie le reste des sens, tant les siens que ceux de son prochain, afin que les yeux simples et modestes ne se portent à voir des choses impudiques, et que le prochain garde en tous ses membres une sainte modestie. Qu’il mortifie ses oreilles, afin qu’il n’écoute des choses ineptes, et qu’il excite les pieds de ses affections pour se porter joyeusement aux œuvres de charité. Cette terre de nos sens étant de la sorte cultivée, je lui donnerai la terre de ma grâce par le labeur de celui qui la cultive ; et celui qui travaille se réjouira des fruits de la terre, qui auparavant était aride et stérile, quand il la verra plantureusement germer.

 

Mais quant aux instruments qui sont nécessaires pour préparer ce qui est intérieur a la maison, comme sont la coignée, etc. ils signifient la droite discrétion, pure intention, et divine discussion, que nous devons  avoir aux oeuvres de Dieu, car l’homme ne doit rien faire pour acquérir les honneurs et pour la louange des hommes, mais pousse d’amour, il doit agir pour posséder une éternelle récompense.

 

Partant, que l’homme examine diligemment et exactement ses œuvres, avec quelle intention, pour quelle fin et pour quelle récompense il les a faites. Que s’il trouve en ses œuvres quelque vanité, qu’il l’ôte soudain avec la coignée de discrétion, afin que, comme au dehors il cultive son prochain, qui est comme étranger de la maison, c’est-à-dire, hors la compagnie de mes amis, à raison de ses péchés, que de même au-dedans, il fructifie à soi-même par la charité divine ; car comme l’œuvre d’un rustique qui n’avait point des instruments propres pour réparer et rétablir ce qui était ruine, se perdit bientôt, de même, si l’homme n’examine ses œuvres et ne considère comme il les faut soulager, si elles sont lourdes et laborieuses ; en quelle manière il faut rétablir, si elles sont en ruine, ne parviendra jamais a la perfection. Partant, il faut, non-seulement labourer efficacement a l’extérieur, mais il faut encore soigneusement considérer comment et avec quelle intention on agit et on travaille.

 

En la troisième maison, on doit avoir des instruments animés pour porter ce qui est mort et vivant, comme sont les chevaux, etc. Les instruments signifient la vraie confession, car c'est elle qui fait aller les vivants et les morts.

Que signifie vivant, sinon l'âme que ma Divinité a créée et qui vit éternellement ? car par la confession, elle s'approche de plus en plus de Dieu ; car comme l'animal qui est plus souvent et mieux nourri, est plus fort pour porter et plus beau à regarder, il en est de même de la confession : plus elle est fréquente et plus elle est exacte, tant des grandes que des petites fautes ; elle plaît d'autant plus à Dieu qu'elle introduit l'âme dans le coeur de Dieu.

 

Or, qu'est-ce que signifie morte que la confession fait vivre, si ce n'est les bonnes oeuvres mortes par le péché mortel? Car les bonnes oeuvres, mourant pour le mérite de la gloire, par le péché mortel, sont mortes devant Dieu; car aucun bien ne peut plaire à Dieu que premièrement, le péché ne soit corrigé et amendé, ou par une parfaite volonté, ou par effet; car des deux liqueurs, l’une suave, l’autre puante, ne conviennent point en un vase. Or, si quelqu’un a mortifié ses bonnes oeuvres par les péchés mortels; s’il a une vraie contrition des fautes commises avec un ferme propos de s’en amender et de s’en garder à l’avenir, soudain elles revivent par la confession et par la vertu de l’humilité, qui avaient été auparavant mortifiées, et lui et elles profitent pour la vie éternelle. Si l’homme meurt sans contrition ou sans une vraie confession, ses bonnes oeuvres, qui ne peuvent mourir en elles ou se perdre, néanmoins, à cause du péché mortel, ne méritent la gloire céleste, elles servent pour lui soulager la peine ou pour le salut des autres si toutefois il a fait ces mêmes œuvres en pureté d’intention pour l’honneur de Dieu, que s’il a fait ces bonnes œuvres pour acquérir la gloire du monde et pour son propre intérêt ; lors, l’auteur de ces œuvres mourant, elles meurent, car il a reçu sa récompense du monde, pour l’amour duquel il a travaillé.

 

Partant, ô mon épouse, par le nom de laquelle j'entends tous mes amis bons et fidèles, amassons et entassons en nos maisons les choses dont Notre-Seigneur Dieu se veut spirituellement délecter en l'âme sainte.

En la première maison, amassons,

1 - le pain d'une sincère volonté, ne voulant que ce que Dieu veut ;

2 - le breuvage de la divine préméditation, ne faisant rien sans y penser et voir l'honneur de Dieu ;

3 - la viande de la divine sagesse, considérant toujours ce qui nous doit arriver, et comment il faut ranger et ordonner les choses présentes.

 

Nous devons amasser en la seconde maison,

1 - la paix avec Dieu, délaissant le péché, et la paix avec le prochain, fuyant toutes noises et dissensions ;

2 - les oeuvres de miséricorde, par lesquelles nous sommes utiles au prochain ;

3- l'abstinence parfaite, par laquelle nous retenions, et contenions tout de qui veut troubler notre paix.

 

En la troisième maison, nous devons amasser :

1 - de bonnes et raisonnables pensées, pour enrichir et ennoblir notre maison intérieurement ;

2 - les sens bien composés et mortifiés, pour édifier extérieurement nos amis ;

3 - une vraie et bonne confession, par laquelle, si nous sommes morts, nous puissions revivre.

 

Mais bien qu'ils aient des maisons, néanmoins il ne savent garder en elles ce qu'ils ont amassé, si ce n'est qu'ils aient des portes, qui ne peuvent être suspendues sans gonds ni être fermées sans serrures.

 

Partant donc, afin que ce qu'on a amassé soit assuré, il faut avoir en la maison une porte, qui est l'espérance ferme et assurée, qui ne soit débilitée par les adversités, espérance qui doit rouler sur ces deux points, savoir : qu'elle ne désespère de pouvoir acquérir la gloire ni d'éviter les supplices de l'enfer, mais qu'en toute adversité, se confiant toujours en la miséricorde divine, il espère des choses meilleures. La serrure de cette porte est la charité divine, par laquelle la porte doit être gardée, afin que l'ennemi n'entre en la maison, car que profite-t-il d'avoir une porte sans serrure ? quoi ? d'avoir l'espérance sans charité, car si quelqu'un espère les choses présentes et éternelles, et désespère de la miséricorde divine, il ne craint ni n'aime Dieu ; il a une porte, mais sans serrure, et par laquelle l'ennemi entre quand il veut, massacre et tue. Or, l'espérance juste et droite est que celui qui espère, fasse aussi le bien qu'il pourra, sans lequel il ne peut jouir des choses célestes, s'il a su et pu faire le bien et ne l'a pas fait. Si quelqu'un a excédé ou qu'il ait manqué à faire le bien qu'il pouvait, qu'il ait une bonne volonté de faire le bien qu'il pourra, et quand il ne pourra le faire, qu'il espère fermement qu'il pourra s'approcher de Dieu par la bonne volonté et charité divine.

 

Que la porte donc, c'est-à-dire, la charité divine, soit munie de charité, afin que, comme la serrure a au-dedans plusieurs ressorts afin que l'ennemi ne l'ouvre, de même en la charité on ait un grand soin que Dieu ne soit offensé et qu'on ait une crainte filiale et amoureuse de ne s'éloigner de Dieu. Qu'on ait aussi une ferveur enflammée comment on aimera Dieu, et un grand soin comment on l'imitera. Qu'on ait une douleur qu'on ne puisse faire autant de bien qu'on voudrait et qu'on sait y être obligé. Qu'on ait aussi l'humilité, par laquelle l'homme répute pour néant ce qu'il fait considérant ses péchés. Que la serrure soit munie des ressorts, de peur que le diable n'ouvre facilement la serrure de la charité, où Dieu verse son amour. Or, la clé, par laquelle on ferme et on ouvre la serrure, doit être le désir en un seul Dieu, qui doit être avec la charité et l'oeuvre divine, de sorte que l'homme ne veuille rien que Dieu, bien qu'il fût en sa puissance d'en avoir, et cela, à raison d'un très grand amour de Dieu, car le désir enferme Dieu dans nos coeurs, et nos coeurs en Dieu, d'autant qu'il n'y a qu'une seule volonté en tous deux.

 

Or, l'épouse et l'époux doivent seulement apporter cette clé, savoir, Dieu et l'âme, afin que toutes les fois et quand Dieu voudra entrer dans nos coeurs et se réjouir dans les biens et les vertus de

l'âme, il en ait un libre accès par la clé de ses fermes et constants désirs ; tout autant de fois aussi que l'âme voudra entrer dans le cœur de Dieu, elle le puisse faire franchement, car elle ne désire que Dieu.

 

Cette clé se garde aussi par la vigilance de l’âme, et par le soin de l’humilité, qui rapporte a Dieu tout le bien qu’elle a. Cette clé garde aussi par la puissance de Dieu et par la charité divine, afin que l'âme ne soit supplantée par le diable.

 

Voyez, ô mon épouse ! quel est l'amour que Dieu porte à l'âme. Demeurez donc ferme et faites ma volonté.

 

Chapitre 28

Jésus-Christ parle à son épouse de son immutabilité ; de la perfection de ses paroles, bien que l’effet ne s’ensuive dès l’instant. Comment il faut commettre notre volonté en tout et partout à la volonté divine.

 

Le Fils de Dieu éternel parlait à son épouse, disant : Pourquoi vous troublez-vous de ce que ce faussaire a dit que mes paroles étaient fausses ? Eh quoi ! Suis-je pire par ses blâmes ou meilleur par ses louanges ? Certainement, je suis immuable ; je ne puis être diminué, ni être augmenté, ni n’ai besoin de louanges. Mais l’homme, en me louant, profite de ma louange à soi-même, et non à moi ; et il n’est jamais sorti et il ne peut sortir de ma bouche aucune fausseté, car je suis la vérité même ; car tout ce que j’ai dit par mes prophètes, ou bien par quelques-uns de mes amis, soit spirituellement ou corporellement, s’accomplira comme je l’ai entendu ; et ce que j’ai dit n’est pas faux, d’autant que j’ai dit une chose une fois, une autre une autrefois, l’une clairement, l’autre obscurément ; car en
preuve de la constance de ma foi et de la sollicitude de mes amis, j’ai manifesté plusieurs choses, qui, selon les divers effets de mon esprit, peuvent être entendues diversement, bien et mal par les bons et par les mauvais, comme l’on converse en une diversité d’états. Car comme en ma Déité j’ai pris mon humanité en une personne, de même quelquefois je parlais de la part de mon humanité en tant qu’elle était sujette à la Divinité, quelquefois de la part de la Déité, en tant qu’elle avait créé l’humanité comme il paraît par l’Evangile. Et ainsi, bien que mes paroles semblent diverses à ceux
qui les calomnient et qui les ignorent, néanmoins, elles sont vraies et sont selon la vérité. Ce n’est pas non plus sans raison que j’ai baillé quelques choses fort obscurément, car ma justice l’exigeait
de la sorte, afin que mon conseil fût aucunement caché aux mauvais, et qu’un chacun des bons attendit avec ferveur ma grâce, et que, pour son attente, il en reçut le prix, de peur que mes conseils
eussent été déclarés, et qu’insinués en quelque certain temps, tous ne se désistassent de leur attente et poursuite amoureuse à raison de la largeur du temps.

 

J’ai promis aussi plusieurs choses que j’ai retirées en ce temps, à cause de l’ingratitude, car s’ils se fussent désistés de leur malice, certainement j’aurais exécuté ce que je leur avais promis.
Partant, vous ne devez vous troubler si les méchants accusent de fausseté mes paroles, car tout ce qui est impossible à l’homme m’est possible.

 

Mes amis admirent aussi pourquoi, après les paroles, les oeuvres ne suivent point, car ceci n’est pas sans raison. Mais quoi ! Moïse n’a-t-il pas été envoyé à Pharaon ? et soudain toutefois, les signes
n’ont pas été faits. Pourquoi ? car si soudain les signes fussent venus et les œuvres eussent été faites, l’obstination et l’endurcissement de Pharaon n’eussent pas été manifestes, ni la puissance divine, ni les merveilles déclarées ; néanmoins, Pharaon, à raison de sa malice, eût été damné, bien que Moïse n’y eût été, bien que endurcissement n’eût été si manifeste. Il s’en fait de même maintenant.

 

Partant, demeurez constante, car bien que le soc soit traîné par les bœufs, néanmoins, il est gouverné selon la volonté du laboureur : de même, bien que vous ayez et sachiez mes paroles, néanmoins, elles ne vont et ne viennent pas selon votre volonté, mais selon la mienne, car je sais quelle est la terre qui est disposée et comment il la faut cultiver. Or, vous, commettez mes volontés à moi, et dites: Que votre volonté soit faite.
 

Chapitre 29

 

Saint Jean-Baptiste avertit l’épouse de Jésus, sainte Brigitte, comment sont désignés et signifiés en figure, Dieu par les poussins, le corps par le nid du monde, les délectations par les animaux
farouches, la superbe par les oiseaux de rapine, et la joie du monde par les lacets.

 

Saint Jean-Baptiste parlait à l’épouse de Jésus-Christ, disant : Notre-Seigneur Jésus vous a appelée des ténèbres à la lumière, des immondices à la pureté, des angoisses aux latitudes d’amour ? Qui
pourrait donc expliquer ou satisfaire aux obligations que vous lui avez de l’en remercier. Véritablement, faites tout autant que vous pourrez.

 

Il y a un oiseau qui se nomme une pie, qui aime grandement ses petits, d’autant que les œufs dont ses petits sont éclos, ont été en son ventre.

Cet oiseau fait son nid des choses vieilles et rompues, à raison de trois choses :

1- pour le repos ;

2-pour se mettre à couvert de la pluie et des extrêmes chaleurs ;

3-pour y pour y nourrir ses poussins, qui ont été produits des œufs ; car cet oiseau, pour l’amour qu’il porte à ses petits, couve les œufs et fomente les poussins.

Or, quand ils sont nés et grandelets, la mère les allèche à voler en trois manières :

1-par l’administration de la viande dont elle se nourrit ;

2- par la fréquente voix ;

3- par l’exemple de son vol.

Mais les poussins, qui aiment leur mère, accoutumés à la viande de leur mère, s’élèvent peu à peu, suivant leur mère sur le nid ; puis après, selon que les forces s’augmentent, ils vont plus avant, jusqu’à ce que l’usage et l’art les aient rendus parfaits à voler.

 

Cet oiseau nous représente Dieu, qui est de toute éternité et ne change point, et de lui dépendent toutes les âmes raisonnables, comme d’un ventre. A chaque âme est préparé un nid des choses les
plus usées, d’autant que le corps terrestre est uni à l’âme, dans lequel Dieu nourrit l’âme de la viande des bonnes affections, le défend des oreilles des mauvaises pensées, et la met à repos et à couvert de la pluie des mauvaises actions.

Or, chaque âme est jointe au corps, afin qu’elle le régisse et qu’elle ne soit point régie de lui, qu’elle l’excite au labeur et qu’elle en ait soin raisonnablement. Donc, Dieu, comme une bonne mère, enseigne l’âme à profiter et à avancer dans les choses meilleures ; il l’enseigne à sortir de ce qui est étroit, pour se dilater à ce qu’il faut faire et avoir horreur de ce qu’il faut fuir.

 

Premièrement, pour la viande, lui donnant des lumières, raison et intelligence selon la capacité d’un chacun, leur montrant ce qui est commandé et ce qui est défendu, ce qu’il faut faire et ce qu’il faut fuir. Mais comme la mère enseigne et élève ses poussins sur le nid, de même l’homme apprend, en premier lieu, à considérer les choses célestes ; à penser aussi combien serré et vil est le nid du corps, combien éclatantes et lumineuses sont les choses célestes, et combien est plaisant et détestable ce qui est éternel.

 

Dieu aussi conduit l’âme par sa voix, quand il dit : Celui qui me suit aura la vie ; celui qui m’aime ne mourra point. Cette voix conduit au ciel ; qui ne l’oit, ou il est sourd ou ingrat à la dilection de la mère.

 

En troisième lieu, Dieu conduit et attire l’âme par le vol, c’est-à-dire, par l’exemple de son humilité. L’humanité glorieuse de Jésus-Christ a eu comme deux ailes :

1- d’autant qu’en elle était toute pureté ;

2- parce qu’elle a fait toute sorte de biens.
L’humanité de Jésus volait au monde avec ces deux ailes.

 

Que l’âme donc suive le vol de ces deux ailes autant qu’elle pourra. Que si elle ne le peut par œuvre, pour le moins qu’elle le fasse par

amour et désir. Quand les poussins volent, ils se doivent donner de garde de trois choses :

1- des animaux farouches, et qu’ils n’habitent après d’eux, car ils ne pourraient résister à leur force; 2- des oiseaux de rapine, car les poussins n’ont pas l’aile forte pour voler vite comme ceux-là : il sera donc plus assuré pour eux de demeurer cachés ;

3- qu’ils ne désirent jamais la proie où est le lacet.

 

Ces animaux dont je viens de parler ne sont autres que les délectations et les cupidités du monde. Que l’âme se donne de garde de celles-ci, car elles semblent douces au sentiment, bonnes à la
possession et belles à la vue. Mais hélas ! Quand on les pense tenir, elles s’enfuient vitement. Quand on y pense prendre plaisir, elles mordent sans miséricorde.

En deuxième lieu, qu’elle se garde des oiseaux de rapine, qui ne sont autres que la superbe et l’ambition, car elles désirent incessamment de monter de plus en plus, de précéder les autres et de les avoir en haine.

 

Or, que l’âme, ce poussin, se donne bien de garde de ces deux vices, et qu’elle désire insatiablement de demeurer dans les cachots d’une humilité inconnue et profonde. Qu’elle ne soit orgueilleuse des
grâces que Dieu lui a données ; qu’elle ne méprise point ses inférieures, et qu’elle ne pense être meilleure que ceux qui ont une moindre grâce qu’elle. En troisième lieu, qu’elle se donne bien de
garde de la proie en laquelle le lacet est attaché. Cette proie qui déçoit n’est autre chose que la joie du monde, car la joie semble bonne à la bouche, délectable au corps, mais en ces choses-là mêmes,
les pointes mordantes du lacet y sont cachées. Certes, un ris immodéré apporte une joie déréglée. La volupté du corps nous conduit à l’inconstance de l’âme, dont s’ensuit la tristesse pressante, ou en la mort et devant elle , ou quand on est en adversité.

 

Hâtez-vous donc, ma fille, de sortir souvent de votre nid par les désirs et les soupirs des choses célestes. Donnez-vous de garde des oiseaux de rapine, oiseaux d’ambitions, de cupidité et d’orgueil ;
donnez-vous de garde de la proie d’une joie vaine et pétulante. Après, la sainte Mère de Dieu parla à cette épouse: Gardez-vous, dit-elle, de l’oiseau qui est teint de poix, car tous ceux qui le touchent se souillent. Cet oiseau n’est autre que l’amitié immodérée du monde, qui est inconstante comme l’air, sale et vile en la poursuite des honneurs, et abominable en ses compagnies. Ne vous souciez point des honneurs mondains ; ne considérez point les faveurs passagères ; ne regardez point si on vous loue ou si on vous blâme, car de tout cela proviennent l’inconstante de l’esprit et le refroidissement de l’amour divin. Soyez donc constante et ferme. Confiez-vous que Dieu, qui a commencé de vous tirer du nid, vous repaîtra jusqu'à la mort. Après la mort, vous n’aurez point faim. Il vous préservera des peines ; il vous défendra tant que vous vivrez, et après la mort, vous ne craindrez rien.
 
Chapitre 30

 

Ce chapitre est une prière que la Mère de Dieu fait à son Fils pour l’épouse sainte Brigitte et pour un autre saint. Comment la prière de la Mère de Dieu est acceptée par le Fils, et de la vraie ou fausse sainteté de l’homme pendant qu’il vit.
 

La Vierge Marie parlait à son Fils, disant : Mon Fils, donnez à votre nouvelle épouse cette faveur, que votre corps soit enraciné dans son cœur, afin qu’elle soit changée en vous et soit remplie de
vos indicibles plaisirs. Ce saint ( saint Prinuphe, évêque, comme il paraît par le chapitre 108), tant qu’il a vécu, a été constant en la foi comme une montagne, laquelle l’adversité n’ébranle ni la
prospérité n’allèche ; il a été flexible comme l’air à condescendre à vos volontés car il se portait où le poussait l’impétuosité de votre Esprit. Il fut d’ailleurs ardent en charité, comme le feu
échauffant les froids et consumant les méchants. Or, maintenant, son âme est en la gloire avec vous ; mais son vaisseau, le corps, qui a servi d’instrument aux bonnes œuvres, n’est pas selon la décence
qu’il faut : il gît en un lieu trop vil.

Partant, O mon Fils ! Donnez à son corps un honneur plus grand et un bien plus honorable, puisqu’il vous a honoré selon son pouvoir ; rehaussez-le, puisqu’il vous a loué autant qu’il a pu.

 

Le Fils répondit à sa Mère la Sainte Vierge : Bénie soyez-vous, vous qui ne laissez en arrière rien qui touche à vos amis ! Il n’est pas décent, ma Mère, qu’une si bonne viande soit parmi les loups. Il
n’est pas raisonnable que celui qui est un saphir en pureté, conservant en son entier ce qui est saint et rétablissant ce qui est infirme, gise maintenant parmi la boue et la fange. Il est aussi convenable que cette lumière soit illuminée pour illuminer les aveugles. Car de fait, cet homme, comme il a été constant en la foi et fervent en l’amour, ainsi a-t-il été continent et conforme à mes volontés. C’est pourquoi il m’a plu comme une viande très bonne, qui a été cuite dans le feu de toute sorte de patience et de tribulation ; il m’est fils doux et bon en volonté, et meilleur en l’effort des bonnes œuvres et à avancer généreusement dans la sainte perfection, et très-bon et très-doux en sa louable fin et consommation de sa vie.

Partant, il n’est pas à propos qu’une telle viande soit si hautement prisée et exaltée devant les loups, la cupidité desquels ne peut être rassasiée, la délectation et sensualité desquels fuient la vertu des herbes, et sont sitibondes et faméliques après les charognes pourries, et desquels la voix rusée, douce et emmiellée, nuit à tout le monde.

 

Il a été aussi comme un saphir enchâssé dans l’anneau par la fin et par l’éclat de sa vie, par laquelle il s’est montre époux de son Église, ami de son Seigneur, conservateur d’une foi sainte et
contempteur du monde. Partant, ma très chère Mère, il n’est pas décent que celui qui avait tant d’amour au bien, soit touché des immondes, comme un époux du monde, et que les amateurs du monde s’approchent de celui qui a tant aimé l’humilité.

 

Il a été encore, en troisième lieu, comme une lumière mise sur le chandelier par l’exécution et l’observance de mes commandements, et par la doctrine de sa bonne vie ; par elle, il a affermi les autres, afin qu’ils ne tombassent ; par elle, il a relevé ceux qui étaient tombés; par elle, il a excité la postérité à venir à moi. Ceux qui sont aveugles en leurs amours ne peuvent dignement discerner cette
lumière ; les chassieux de superbe ne les peuvent toucher de leurs mains galeuses, car cette lumière est trop odieuse aux ambitieux, désireux et amateurs de leurs volontés. Partant, avant que cette
lumière soit élevée, il est juste et raisonnable que ceux qui sont aveugles soient éclairés.

 

Quand a cet homme, que les hommes de la terre appellent saint, il y a trois choses qui ne le montrent point saint :

1- d’autant qu’avant sa mort, il n’imitait point la vie des saints ;

2- parce qu’il n’a pas eu une joyeuse volonté d’endurer le martyre pour l’amour de moi ;

3- attendu qu’il n’a pas eu une charité fervente et bien ordonnée comme mes saints l’ont eue.

 

Il y a aussi trois choses qui le font réputer saint du peuple :

1- le mensonge fallacieux et plaisant ;

2- la facile croyance des fous ;

3- la cupidité et la tiédeur des prélats et des examinateurs.

 

Or, si cet homme est en enfer ou non, il ne vous est pas encore licite de le savoir, mais vous saurez
quand il sera temps d’en parler.
                                                          Fin du tome premier.

 
 

 

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