Tome II - LIVRE 4
p.122 – 432 Tome III, p. 1 – 17 = 327 pages
Révélations Célestes de Sainte Brigitte de Suède
les Apparitions, extases et locutions sont approuvées par trois papes et par le concile de Bâles,
Chapitres : 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 10 – 11 – 12 – 13 – 14 – 15 – 16 – 17 – 18 – 19 – 20 – 21 – 22 – 23 – 24 – 25 – 26 – 27 – 28 – 29 – 30 – 31 – 32 – 33 – 34 – 35 – 36 – 37 – 38 – 39 – 40 – 41 – 42 – 43 – 44 – 45 – 46 – 47 – 48 – 49 – 50 – 51 – 52 – 53 – 54 – 55 – 56 – 57 – 58 – 59 – 60 – 61 – 62 – 63 – 64 – 65 – 66 – 67 – 68 – 69 – 70 – 71 – 72 – 73 – 74 – 75 – 76 – 77 – 78 – 79 – 80 – 81 – 82 – 83 – 84 – 85 – 86 – 87 – 88 – 89 – 90 – 91 – 92 – 93 – 94 – 95 – 96 – 97 – 98 – 99 – 100 – 101 – 102 – 103 – 104 – 105 – 106 – 107 – 108 – 109 – 110 – 111 – 112 – 113 – 114 – 115 – 116 – 117 – 118 – 119 – 120 – 121 – 122 – 123 – 124 - 125
Chapitre 1
Saint Jean l’évangéliste dit à l’épouse qu’aucune œuvre n’est sans récompense. Comment la bible excelle sur toutes les écritures. Du roi écumeur de mer, traître, prodigue, etc. Du conseil que saint Jean donna à ce roi, et en quelle manière il doit mépriser les richesses et les honneurs pour l’amour de Dieu.
Il apparut à l’épouse un homme, dont les cheveux étaient tondus en opprobre et moquerie, dont le corps était oint d’huile tout nu sans honte, qui dit à l’épouse : L’écriture, vous appelez saint, parle en ces termes : Aucune œuvre ne sera sans récompense, C’est cette Écriture qui est appelée parmi vous Bible ; mais en nous, elle est éclatante comme un soleil qui luit incomparablement plus que l’or ; fructifiante comme la semence qui porte le centuple fruit : car comme l’or excelle par-dessus tous les métaux, de même l’Écriture, que vous appelez sainte et qu’au ciel nous appelons dorée, excelle par-dessus toutes les écritures, d’autant qu’en elle Dieu est publié et honoré : les œuvres des patriarches y sont redites ; les infusions des prophètes y sont exposées. Donc, d’autant qu’il n’y a aucune œuvre sans récompense, écoutez ce que je vous dis:
Ce roi, pour lequel vous priez devant Dieu, c’est un larron, un traître et trompeur des hommes, un prodigue, dissipateur des richesses. Partant, comme il n’y a traître pire que lui, qui se montre diligent, de même il trompe plusieurs spirituellement, aimant charnellement les justes, exaltant et rehaussant injustement les impies, en déprimant les justes, et dissimulant de corriger les excès.
En second lieu, il n’y a écume de mer pire que lui, qui trahit celui qui met et abaisse sa tête en son sein. De même, toute la terre étant quasi en son sein, ce roi l’a misérablement ruinée, en permettant que les biens d’autrui en soient emportés, en imposant aux autres des subsides intolérables, et en exerçant trop lâchement la justice.
En troisième lieu, il n’y a larron pire que celui qui dérobe, lorsqu’on lui a donné et confié les clés, contre la volonté du maître. De même celui-ci prend les clés de la puissance et de l’honneur, desquelles il a usé injustement et prodigalement, non à l’honneur de Dieu.
Partant, d’autant qu’il a fait quelque chose pour l’amour de moi. Je lui conseille trois choses :
1- qu’il retourne comme celui de l’Évangile, qui, ayant laissé les auges des pourceaux, retourna a son père. De même, qu’il méprise les richesses et les honneurs, qui, au regard des choses éternelles, ne sont que des gousses de fèves, et qu’il retourne avec humilité et dévotion a Dieu son Père.
2- qu’il laisse aux morts ensevelir les morts, et qu’il suive la voie étroite du Crucifix de Dieu.
3- Qu’il laisse le poids lourd et pesant de ses péchés, et qu’il entre par cette voie qui est étroite au commencement, mais qui, à la fin, est toute pleine de contentement.
Vous aussi, voyez et entendez que je suis celui-là qui a pleinement entendu les Écritures dorées, et qui, en les connaissant, les a augmentées. Je fus dépouillé ignominieusement. Mais d’autant que je souffris le tout patiemment, Dieu a revêtu mon âme d’un vêtement immortel. J’ai aussi été mis et plongé dans l’huile bouillante : c’est pourquoi maintenant je me réjouis de l’huile de joie éternelle, Je suis aussi après la Mère de Dieu, je suis décédé d’une douce mort, d’autant que j’ai été gardien de la Mère de Dieu, et mon corps est en lieu sûr et en grand repos.
Chapitre 2
p.123
D'une vision admirable et remarquable faite à l'épouse. Comment Dieu l'explique, en laquelle explication, les baptisés sont signifiés par l'animal, les gentils par les poissons, et les amis de Dieu par trois troupes.
Apres tout ceci, l'épouse voyait comme deux balances posées près de la terre, dont les sommités et cordelettes allaient jusques aux nuées.
Ces petits cercles pénétraient le ciel. En la première balance, il y avait un poisson, dont les écailles étaient aigues comme des rasoirs : sa vue était comme celle d'un basilic; sa bouche comme un alicor qui verse du venin; ses oreilles comme des lames de fer. En l'autre balance, il y avait un animal dont la peau était comme un caillou; il avait une grande bouche qui vomissait des flammes ardentes. Ses
paupières étaient comme des glaives d'un fort acier; ses oreilles étaient si dures qu'elles jetaient des sagettes acérées, comme un arc bien tendu.
Apres ceci, apparurent trois troupes de peuple en terre : la première était petite, la deuxième moindre; la troisième très petite, auxquelles éclata une voix du ciel, disant : O mes amis, je désire grandement le cœur de cet animal admirable, s'il se trouvait quelqu'un qui me le présentât. Je désire aussi , avec très grande ferveur le sang de ce poisson, pourvu qu'il se trouvât un homme qui me l'apportât.
p.124
Une voix de la troupe répondit, comme de la bouche de tous : Oyez, dit-elle, O notre Créateur,
comment nous pourrons vous présenter le cœur d’un si grand animal, dont la peau est plus dure que les cailloux, Si nous voulons l’approcher, sa bouche nous enflammera de ses feux. Si nous voyons ses yeux, nous serons outrés des scintilles et sagettes qu’il envoie. Et si peut-être il y avait quelque espérance d’avoir cet animal, on pourrait aussi prendre ce poisson, dont les écailles, les ailes et les plumes sont plus aiguës que des pointes ; dont les yeux éteignent notre vue ; dont la bouche épand en nous un venin mortifère.
Une voix répondit du ciel, disant : O mes amis ! Cet animal et ce poisson vous semblent invincibles, mais en moi cela est facile.
Quiconque donc cherchera les voies pour abattre l’animal, je verserai du ciel la sapience pour le faire et la force pour l’exécuter. Quiconque est disposé à mourir pour moi, moi-même je me donnerai à lui en récompense.
La première troupe répondit : O Père souverain, vous êtes l’auteur de tout bien, et nous sommes vos créatures ; nous vous donnerons franchement notre cœur pour votre honneur et gloire ; tout le reste
qui est hors de notre cœur, nous en disposerons pour la sustentation et réfection de notre corps. Et d’autant que la mort nous semble dure, l’infirmité de la chair onéreuse, notre science petite, nous
désirons être gouvernés intérieurement et extérieurement, et recevez en bonne part ce que nous vous offrons, et rendez-nous en récompense ce qu’il vous plaira.
La deuxième troupe répondit à cette voix : nous connaissons nos infirmités, et nous nous attendons ainsi aux vanités et variétés du monde. C’est pourquoi librement nous vous donnerons votre coeur, et nous laisserons notre volonté dans les mains d’autrui, d’autant que nous aimons plus obéir que posséder tout le monde ni tant soit peu de monde.
La troisième troupe dit : Oyez, ô Seigneur, qui désirez le cœur de l’animal et avez soif du sang du poisson, nous vous donnerons franchement notre cœur, et nous sommes prêts à mourir pour vous.
Donnez-nous la sagesse, et nous chercherons la voie pour trouver le cœur de l’animal.
Après ceci, résonna une voix du ciel, disant : O ami, si vous désirez trouver le cœur de l’animal, percez vos mains au milieu avec une tanière fort pointue ; prenez ensuite des paupières de la
baleine, et collez-les fortement aux vôtres ; prenez aussi une lame d’acier, et appliquez-la à votre cœur, de sorte que la longueur et la largeur de la lame soient proches de votre cœur. Bouchez aussi
l’ouverture des narines, attirant les respires vers vous, et de la sorte, ayant bouché la bouche et enfermé le respire allez hardiment contre la cruauté de l’animal ; et quand vous serez à l’animal,
prenez de vos deux mains ses deux oreilles, dont les sagettes ne vous nuiront pas, mais passeront par les trous de vos deux mains. D’ailleurs, allez au-devant de l’animal la bouche close, et l’approchant, soufflez sur lui tout votre respire, à l’arrivée duquel ses flammes ne vous nuiront pas, mais retourneront sur le même animal et le brûleront.
Remarquez aussi diligemment que les pointes des couteaux sortiront des yeux de l’animal, auxquels vous conjoindrez vos yeux munis des paupières de la baleine ; de la forte et mutuelle conjonction d’iceux, il arrivera, ou qu’ils se ploieront, ou bien qu’ils rentreront dans l’animal jusques à son cœur.
Considérez aussi attentivement le battement du cœur de l’animal, et la enfoncez puissamment la pointe de votre acier, et outre perçant la peau plus dure qu’un caillou, si alors sa peau est déchirée, sachez que l’animal mourra bientôt, et son cœur sera à moi. Que s‘il pèse un talent, j’en donnerai cent à celui qui me l’apportera. Que si sa peau n’est percée, mais que l’animal nuise à l’homme, je le
guérirai, et s’il est mort, je le ressusciterai.
Or, celui qui me voudra présenter le poisson, qu’il aille au rivage, ayant un rets en ses mains, qui sont fait, non de fil, mais d’airain fort. Qu’il entre donc en l’eau, mais non pas plus avant que jusques aux genoux, de crainte que les ondes émues par les tempêtes ne le noient, et qu’il arrête son pied en lieu ferme et où est le sable sans boue ; après qu’il ferme un de ses yeux et qu’il se tourne vers le poisson, la vue duquel, qui est venimeuse comme celle du basilic, ne lui fera alors aucun mal. Qu’il prenne aussi un bouclier d’acier en son bras, et lors il ne lui nuira point par sa morsure serpentine. Tout soudain après, qu’il étende son rets sur lui si puissamment et si prudemment que le poisson ne le puisse rompre ou dépecer par ses rasoirs, ni s’en débarrasser par aucune force ni émotion ; que s’il sent que le poisson y est embrouillé et enveloppé, qu’il tire en haut les rets. Que s’il le peut tenir dix heures hors de l’eau, ce poisson mourra ; et l’apportant au rivage, qu’il le regarde, et il verra qu’il n’avait point de bouche ; qu’il l’ouvre au dos, où il doit y avoir plus de sang, et le présente de la sorte à son Seigneur. Or, si le poisson s’évadait ou nageait à l’autre rivage, nuisant à l’homme par son venin, je puis guérir celui qui en est infecté, et il n’aura pas moindre récompense du sang du poisson que du cœur de l’animal.
Dieu parle derechef : Ces balances signifient pardon, patience.
Attendez et faites miséricorde. Comme quelqu’un, voyant l’injustice d’un autre, l’avertirait afin qu’il cessât de mal faire, de même, moi, Dieu et créateur de toutes choses, je fais comme une balance,
tantôt descendant vers l’homme, l’avertissant qu’il se retire du péché, lui pardonnant et l’éprouvant par des tribulations ; quelquefois montant, illuminant l’esprit, enflammant le cœur des hommes, et les visitant par des grâces extraordinaires.
Les lies de la balance qui sont en haut, signifient les nuées qui montent, c’est-à-dire, que moi, Dieu, le soutien de tous, illumine et visite de mes faveurs tant des Gentils que les chrétiens, tant les amis que les ennemis, si toutefois il s’en trouvait quelques-uns qui voulussent répondre à mes grâces, en retirant leur volonté et leurs affections du mal.
L’animal signifie ceux qui ont reçu le baptême, et qui, parvenus aux ans de discrétion, n’imitent pas les paroles de l’Évangile, desquels le cœur et la bouche penchent toujours vers la terre, et n’ont jamais considéré les choses éternelles et spirituelles.
Le poisson signifie les Gentils, agités et vagabonds par les tempêtes de la concupiscence, desquels le sang, c’est-à-dire, la foi est petite et l’esprit petit vers Dieu. C’est pourquoi je désire le cœur de l’animal et le sang du poisson, si toutefois se trouvait quelqu’un qui me les daignât présenter.
Les trois troupes sont mes amis : les premiers, qui usent et se servent du monde raisonnablement ; les seconds, qui ont laisse tout ce qu’ils avaient, obéissant humblement ; les troisièmes, qui sont
disposés à mourir pour l’amour de Dieu.
Chapitre 3
Colloque admirable par manière d’interrogation et réponse entre Dieu et l’épouse, au sujet du roi, du droit héréditaire du roi et de ses successeurs. En quelle manière il faut demander quelque chose des successeurs du royaume, et de ce qu’il ne faut pas demander.
O Seigneur, dit l’épouse, ne vous indignez pas si je parle.
L’Écriture m’apprend qu’il ne faut rien acquérir par l’injustice et ne retenir rien contre l’équité. Or, ce roi possède une terre que quelques-uns disent qu’il tient justement, les autres injustement ; et partant, c’est merveille que vous tolériez en celui-ci ce qui est réprouvé en autrui.
Dieu répondit : Après le déluge, aucun homme ne fut sauvé, sinon ceux qui étaient en l’arche de Noé; et de ceux-là une race sortit, qui vint en Orient, et quelques-uns d’eux vinrent en Suède ; et
l’autre vint en Occident ; de là aussi quelques-uns sont venus en Dacie. Or, ceux qui furent les premiers possesseurs de cette terre, qui n’était point entouré d’eau, ne s’appropriaient rien de la terre
qui était au delà des eaux, ni de ceux qui habitaient les îles, mais chacun se contentait de ce qu’il avait, comme il est écrit de Loth et d’Abraham : Si vous allez à droite, dit-il, j’irai à gauche ; comme s’il disait : Tout ce que vous vous approprierez sera vôtre et de vos héritiers.
Après, quelque temps s’étant écoulé, les juges et les rois vinrent, qui, étant contents de leurs pourpris, n’occupaient point les terres de ceux qui habitaient au delà des eaux et dans les îles, mais chacun demeurait dans les bornes et les limites des anciens.
La servante répondit : Et si quelque partie du royaume était aliénée du royaume par quelque donation, ne faudrait-il pas que le successeur la redemandât?
Dieu répondit : En un royaume on gardait une couronne qui appartenait au roi.
Le peuple, considérant qu’il ne pouvait subsister sans roi, élut un roi, lui donnant la couronne, afin de la garder et de la consigner en son temps au roi futur. Si donc ce roi, élu de la sorte, voulait aliéner ou diminuer quelque chose de la couronne, certainement le roi futur pourrait et devrait la redemander, car aucune diminution ne doit être faite en la couronne ; le roi ne peut diminuer ni aliéner quelque partie de la couronne du royaume, si ce n’est peut-être pour quelque cause raisonnable durant sa vie ; car qu’est-ce autre chose la couronne, sinon la puissance royale ; et qu’est-ce autre chose le royaume, sinon le peuple qui lui est sujet ; qu’est-ce que le roi, sinon le médiateur et le conservateur de son peuple ? Donc, le conservateur et le protecteur de la couronne ne doit être diminué ou divisé au dommage du roi futur.
L’épouse répondit :Et si le roi était contraint, ou par nécessité, ou par violence, d’en aliéner une part?
Dieu répondit : Si deux hommes disputaient, et que l’un fût plus puissant que l’autre et ne lui voulût faire grâce qu’il ne lui donnât le doigt, certes le doigt, bien qu’il fut coupé , appartiendrait toujours à celui à qui il a été coupé. Il en est de même du royaume : si quelque roi diminuait quelque partie du royaume ou par nécessité ou captivité, certainement le roi futur le pourrait redemander avec équité, car le roi n’est pas seigneur de la couronne, mais recteur, ni la nécessité ne fait pas de loi.
Sainte Brigitte répondit : Si un roi donnait à quelque seigneur quelque partie de sa couronne, le roi étant mort, ce seigneur et ses successeurs tenant et possédant cette couronne en propriété, ne faudrait-il pas que les successeurs du roi redemandassent cette partie-là ?
Oui, vraiment, dit Notre-Seigneur, cette part doit retourner à son légitime successeur.
Sainte Brigitte répliqua : Que si une partie de la couronne était donnée en engagement à raison de dettes, et si celui qui la tenait, en ayant plusieurs années levé et cueilli les fruits, venait à mourir, et qu’après cette terre fut possédée par un autre qui n’aurait ni donné de l’argent ni rien, et néanmoins ne la voulût point quitter qu’on ne rendît l’argent qu’on a donné pour l’engagement ; que faudrait-il donc faire alors ?
Si quelqu’un, dit Notre-Seigneur, avait un globe d’or en sa main, et disait à l’assistant : Ce globe est à vous, si vous me rendez ce que je vous ai prêté ; si vous le désirez avoir, rendez-moi autant de livres que je vous en ai prêté, et certainement on les lui devrait rendre. De même quand une terre est occupée avec puissance et paix, il la faut sagement recevoir, ayant rendu l’argent qu’on en a reçu.
Or, maintenant, comme un roi élu et élevé sur une pierre au spectacle du peuple, montre et manifeste qu’il a quelque domaine et possession dans les parties plus grandes du royaume, de même aussi cette terre, posée dans les parties inférieures et plus basses du royaume, par droit héréditaire, emption et rédemption, appartient au roi : c’est pourquoi le roi l’ayant obtenue, qu’il la conserve, de crainte que, faisant autrement, il n’en perde le domaine, et qu’elle ne soit séparée de la couronne.
D’ailleurs, l’épouse sainte Brigitte dit à Notre-Seigneur : Ne vous indignez pas si encore une autre fois ce roi a deux enfants et deux royaumes. En un des royaumes, le roi est élu par droit héréditaire,
en l’autre, selon la faveur du peuple. Or, maintenant, le contraire a été fait, car l’enfant le plus jeune a été pris et établi en roi héréditaire, et le plus grand a été élu au royaume, qui est dû par élection.
Dieu répondit : En ces électeurs, il y avait trois inconvénients, et le quatrième était plus grand que tous : l’amour désordonné, la prudence dissimulée, la flatterie des fous, et la défiance de Dieu et de la communauté. C’est pourquoi leur élection a été contre la justice, contre Dieu, contre le bien de la république et contre l’utilité de la communauté.
Partant, pour avoir la paix et pour l’utilité de la communauté, il faut que l’enfant aîné ait le royaume
héréditaire, et que le jeune vienne par l’élection. Autrement, si on ne retrait ce qu’on a fait auparavant, le royaume en pâtira, la communauté en sera affligée, les dissensions y naîtront, les jours
des enfants y seront en amertume et les royaumes ne seront point royaumes ; mais comme il est écrit: Les puissants passeront de leurs sièges, et ceux qui marchent sur la terre seront rehaussés.
Voici un exemple de deux royaumes : en l’un était l’élection, en l’autre la succession héréditaire. Le premier, où était l’élection, est détruit et affligé, d’autant que le vrai héritier n’était pas élu. Ceci a été fait par les parties de ceux qui devaient faire l’élection et par la cupidité des brigands. Dieu donc n’afflige point l’enfant pour les péchés du père, ni ne s’en courrouce point éternellement, mais fait et garde la justice dans le ciel et sur la terre ; c’est pourquoi son royaume n’est pas arrivé à sa première
gloire et à son heureux état, jusqu’à ce que le vrai héritier sera établi par la succession du père ou de la mère.
Chapitre 4
Dieu parle à son épouse sainte Brigitte du bon et du mauvais esprit, d’une guerre admirable et utile née en l’esprit d’une dame par les inspirations du bon esprit et par les tentations du malin esprit. Ce
qu’il faut choisir en ceci.
Notre- Seigneur parle à son épouse, disant : Les considérations et influences sont suggérées ou versées en nos cœurs par deux esprits immondes : le bon pousse l’homme à la considération des choses célestes et à n’aimer les terrestres ; le mauvais pousse à l’amour des choses visibles, et à rendre ses péchés légers et petits. Il allègue les infirmités et propose les exemples des infirmes. Voici
que je vous porte en exemple comment ces deux esprits enflamment le cœur de la reine que vous connaissez et dont je vous ai parlé autrefois, et vous ai dit que le bon esprit lui dirait ces choses et les lui suggérerait en son cœur. Les richesses sont onéreuses ; l’honneur du monde est comme l’air ; les délices de la chair sont comme un songe ; les joies y sont passagères, et toutes les choses mondaines, vanité ; que le jugement futur était aussi inévitable, que les tortures et les supplices étaient durs et amers.
C’est pourquoi il m’est fâcheux de tenir compte des richesses passagères, d’avoir un déshonneur spirituel pour l’air et le vent ; de souffrir un tourment éternel pour un plaisir momentané, et de rendre raison à celui à qui toutes choses sont connues avant qu’elles soient faites. Partant, il est plus assuré de laisser plusieurs choses et d’en faire peu de compte, que de s’embrouiller en plusieurs choses, et
être tenu de rendre une longue et étroite raison.
Le malin esprit répond au contraire à ces inspirations : Laissez telles pensées, car Dieu est doux et s’apaise facilement. Possédez les biens sans craindre. Donnez ce dont vous possédez largement.
Vous êtes née à cela que vous soyez louée et que vous donniez des biens à ceux qui vous en demandent, car si vous laissez vos richesses, vous servirez à ceux qui vous servent ; votre honneur
diminuera et le mépris croîtra, car une personne pauvre va sans consolation.
Il vous serait dur et amer de vous accoutumer à de nouvelles coutumes, de dompter la chair par des façons étranges et de vivre sans être servie.
C’est pourquoi, demeurez ferme et constante en l’honneur que vous avez accepté ; tenez votre état royalement ; disposez et ordonnez votre maison louablement, de crainte que, changeant votre état, vous ne soyez inconstante ; mais demeurez en ce que vous avez commencé, et vous serez glorieuse
devant Dieu et devant les hommes.
p.134
Derechef le bon esprit suggère dans l’esprit de la reine ces choses qui sont éternelles : le ciel et l’enfer.
Or, tous ceux qui aiment Dieu par-dessus toutes choses, n’entreront point en enfer ; mais celui qui n’aime pas Dieu, n’entrera point dans le ciel. Dieu fait que l’homme a marche par ce chemin au ciel, et l’a confirmé par des signes et par la mort.
Oh ! Que glorieuses sont les choses célestes ! Oh ! Qu’amère est la malice diabolique ! Oh ! Que sont vaines les choses terrestres !
La Mère de Dieu et tous les saints ont imité Dieu ; embrassant toute sorte de peines, ils voulurent perdre toutes choses, voire se méprisèrent eux-mêmes, plutôt que de perdre les choses célestes et
éternelles. Partant, il est plus assuré de laisser de bonne heure les honneurs et les richesses que les retenir jusqu'à la fin, de peur que la douleur se rengrégeant et augmentant en l’éternité, la mémoire de nos péchés ne diminue, et que ceux qui se soucient peu de leur salut, ne lui ravissent et emportent ce qu’elle avait amassé.
Nous sommes des hommes infirmes, et Jésus-Christ est Dieu et homme. Nous ne devons point comparer nos œuvres avec les œuvres de saints, qui avaient une plus grande familiarité avec Dieu et une plus grande grâce.
Qu’il nous suffise d’espérer le ciel, de vivre selon notre infirmité, et de racheter nos péchés par des aumônes et des prières, car c’est faire comme les enfants et les fous que d’entreprendre des choses non accoutumées et ne les pouvoir accomplir.
p.135
Le bon esprit répondit derechef : Je suis indigne d’être comparé aux saints, mais néanmoins, il est grandement bon et assuré de s’efforcer peu à peu d’arriver à la perfection. Car qu’est-ce qui
m’empêche que je n’entreprenne ce qui ne m’est accoutumé ? Dieu est tout-puissant pour m’aider. Or, il arrive souvent que quelque pauvre suive la voie du maître puissant et riche ; et bien que le maître arrivé plus tôt au logis, jouisse des viandes plus délicieuses, et repose en un lit plus mou, le pauvre néanmoins arrive au même logis, bien plus tard ; et toutefois, il participe aux mêmes viandes, bien que ce soit de ses restes. Que s’il n’eût suivi le chemin du maître, il eût passé ou gauchi le logis; il n’eût mangé des mêmes viandes.
J’en dis maintenant de même : bien que je sois indigne d’être comparé aux saints, néanmoins, je veux entreprendre d’aller par la voie qu’ils sont allés, afin qu’au moins je puisse participer à
leurs mérites. Car il y a deux choses qui me sollicitent en l’âme :
1- que si je demeure au pays, l’orgueil me dominera ; l’amour de mes parents, qui demandent toujours que je leur aide, abat mon esprit ; la superfluité de me famille et de mes vêtements m’est grandement à charge. C’est pourquoi il me plaît et m’est plus prudemment fait de descendre du siège de superbe, et en pélerinant, d’humilier mon corps, que de demeurer en l’état d’honneur et d’amonceler péché sur péché.
2- La pauvreté du peuple et son cri m’y sollicitent, du peuple que je charge partout où je le devais soulager par ma présence. Partant, un bon conseil m’est nécessaire.
La mauvaise et diabolique suggestion répondit : Aller en pèlerinage n’appartient qu’à un esprit inconstant, puisque la miséricorde est plus agréable à Dieu que le sacrifice : car si vous vous retirez du pays, les hommes ambitieux et cupides, ayant ouï votre renommée, vous dépouilleront et vous prendront. Et lors, au lieu de liberté, vous ressentirez la captivité ; au lieu de richesses, pauvreté ; au
lieu d’honneur, mépris ; au lieu de repos, tribulation.
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Le bon esprit répliqua derechef en inspirant : Écoutez, dit-il, quelque captif enfermé dans une tour, qui a eu plus de consolation en sa captivité et dans les ténèbres, qu’il n’en eût jamais en l’abondance et consolation temporelles. Partant, s’il plaît à Dieu que je sois affligée, il me sera en plus grand mérite, car Dieu est clément et pieux pour me consoler et prompt à me secourir, principalement si je sors de ma patrie, sinon pour mes péchés et pour mériter les feux du divin amour.
La mauvaise et diabolique suggestion répliqua encore : Que sera-ce, dit-il, si vous êtes indigne des consolations divines, et que vous soyez impatiente à supporter la pauvreté et l’humilité ? Lors vous
vous repentirez d’avoir embrassé la rigueur ; lors vous aurez en la main un bâton au lieu d’un anneau, un petit voile au lieu d’une couronne, et un sac vil au lieu de pourpre.
Le bon esprit répliqua encore : J’ai ouï que sainte Élisabeth, fille du roi de Hongrie, nourrie délicatement, mariée noblement, avait souffert une grande pauvreté, vileté et déjection ; qu’elle a obtenu de Dieu une plus grande consolation en la pauvreté et une plus grande couronne que si elle eût demeure en l’honneur et consolation du monde.
Le mauvais esprit répliqua encore : Que ferez-vous si Dieu vous abandonne aux mains des hommes, et que vous soyez violée ?
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Pourrez-vous subsister de honte ? Ne serez-vous pas dolente immédiatement de votre folie ? et toute votre maison scandalisée pleurera et se lamentera toujours. Lors, certainement, l’impatience vous saisira ; lors les anxiétés presseront votre cœur, et vous serez ingrate à Dieu ; lors vous désirerez de finir vos jours. Et quand vous serez diffamée de tous, oserez-vous paraître ?
La bonne inspiration répondit encore : j’ai ouï que sainte Luce, Vierge, fut conduite dans des lieux infâmes pour être violée, fut constante en la foi, et étant confiante en la bonté divine, dit :
Qu’on vexe tant qu’on voudra mon corps, néanmoins, je serai toujours vierge, et on me redoublera mes couronnes. Dieu, regardant sa foi, la conserva inviolable : de même je vous dis que Dieu, qui ne permet qu’aucun soit tente par-dessus ses forces, gardera mon âme, ma foi et ma volonté, car je me commets toute à lui. Que sa volonté soit faite en moi.
D’autant donc que cette reine est assaillie de ces pensées et tentations, dit Dieu à sainte Brigitte, je l’avertis de trois choses :
1- qu’elle réduise en mémoire à quel honneur elle a été élue et choisie ;
2-quel amour Dieu lui avait manifeste en son mariage ;
3-combien bénignement elle a été conservée en cette mortalité.
Derechef, qu’elle prenne aussi sagement garde à trois choses :
1- qu’elle rendra raison et compte à Dieu de tous les biens temporels, jusqu'à savoir comment une obole a été levée et donnée ;
2- que son temps est grandement bref et ne sait quand elle tombera ;
3-que Dieu ne pardonne pas non plus à la dame qu’à la servante.
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Partant, conseillez-lui trois choses :
1-de se repentir des péchés , fautes et offenses qu’elle a commis , d’amender avec fruit ce que vous avez confessé , et d’aimer Dieu de tout son cœur.
2° Je lui conseille de fuir avec raison les peines du Purgatoire : car comme celui qui n’aime Dieu de tout son cœur est digne d’un grand supplice , aussi celui qui n’amende ses péchés quand il peut , est digne d’endurer les peines du purgatoire.
3° je lui conseille de laisser les amis charnels pour quelque temps pour l’amour de Dieu , Et de venir au lieu où est l’abrégé entre le ciel et la mort , pour éviter les peines du purgatoire , car là , il y a des indulgences qui sont des élévations et des rédemptions des âmes , que les Saints pontifes ont données et que les saints de Dieu ont méritées .
Chapitre 5
Saint Pierre parle à l’épouse du désir qu’il a eu De sauver les peuples . Comment il lui enseigne d’avoir bonne mémoire. Des grandes merveilles qui se doivent encore accomplir en la Ville de Rome Pour la fête de saint Pierre
Saint Pierre parle à l’épouse de Jésus-Christ, disant : ma fille , vous m’avez acquis un soc qui fait les sillons larges et arrache les racines. Cela a été certainement vrais , car j’ai été si fervent contre les vices et si adonné aux bonnes mœurs, que, si j’eusse pu convertir tout le monde à Dieu, je n’eusse aucunement épargné ma vie ni mon labeur pour cela , Dieu m’a été toujours doux en ma pensée , doux en ma parole , doux en mon œuvre , de sorte que toutes chose étaient amères à mes pensées, hors Dieu.
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Néanmoins , Dieu me fut encore amère , non de soi, mais de moi-même, car tout autant de fois que je considérais combien je l’avais offensé et en quelle manière je l’avais nié , j’ai pleuré amèrement , car je connaissais et savais parfaitement aimer. Mes larmes m’ont été plaisantes comme la viande m’était douce.
Quand à ce que vous me priez que je vous donne mémoire , je vous réponds ; N’avez-vous pas ouï que j’étais oublieux , ayant été de fait pleinement instruit de la voie de Dieu ? Je me suis obligé par jurement de demeurer et de mourir avec Dieu . Mais interrogé par la parole d’une femme , j’ai nié la vérité , et pourquoi ? d’autant que Dieu me laissa à moi-même .et je ne me connaissais pas moi même, mais que fis-je alors ? Certainement, je considérai que je n’étais rien de moi ; je me levai et courus à Dieu . La vérité même imprima tellement la mémoire de son nom dans mon cœur , que je ne le pouvais oublier , ni devant les tyrans , ni entre les fouets , ni en la mort . Faites-en de même: levez-vous par humilité et allez au maître de la mémoire, et demandez-lui de la mémoire , car c’est Lui seul qui peut toutes choses. Quand à moi , je vous aiderai , afin que vous soyez participante de la semence plantureuse que j’ai jetée en terre .
D’ailleurs , je vous dis que cette cité de Rome était la cité des combattants ; ses places étaient décorées d’or et d’argent . Or , maintenant , ses pierres et ses saphirs sont couverts de boue ; ses habitants vertueux sont en petit nombre , l’œil droit desquels est arraché , et leur main droite est coupée : les hiboux et les vipères habitent avec eux , et à cause de leur venin mortifère , les animaux doux et traitables n’osent s’en approcher ni apparaître , ni mes poissons lever la tête .
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C’est pourquoi les poissons s’y assembleront . Que s’ils ne s’y assemblent avec une si grande multitude comme autrefois , ils seront néanmoins aussi doux et courageux , de sorte que de leur jeu mutuel , les crapauds et les grenouilles s’en iront ; les serpents se changeront en agneaux , et les lions seront à leurs fenêtres comme des colombes
Il ajouta encore : je vous dit en outre qu’en vos jours on ouïra : Vive le vicaire de saint Pierre ! et vous le verrez de vos yeux , car je fouirai la montagne de délices ; et ceux qui sont assis en elle descendront . Or , ceux qui ne voudront venir volontairement , y seront contraints, contre l’espérance de tous d’autant que Dieu veut être exalté avec vérité et miséricorde .
Chapitre 6
D’un bon discours que saint Paul fit à sainte Brigitte , épouse de Dieu .de la manière dont il fut appelé de Dieu par les prières de saint Etienne. Du loup fait agneau . Comme il est bon de prier pour tous .
Saint Paul parle à l’épouse de Jésus-Christ ,disant : ma fille , vous m’avez comparé à un lion
qui a été nourri entre les loups, mais il a été admirablement affranchi des loups, Vraiment ,
ma fille, j’étais un loups . ravisseur ; mais de loup Dieu m’a fait agneau , et cela pour deux choses :
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1° à raison de sa grande charité , qui fait des vases pour roi des choses les plus indignes , et ses amis des pécheurs.
2° A raison des prières de saint Etienne , premier martyr , car je vous veux montrer quelle intention j’avais, quand saint Etienne fut lapidé, et pourquoi j’ai mérité ses prières.
Je ne me réjouissais point de la peine de saint Etienne , ni n’enviais sa gloire , mais je désirais qu’il mourût à raison qu’il me semblait que ,selon mon intention , il n’avait point la vraie foi ; et le voyant fervent outre mesure et patient a supporter les douleurs , je fus extrêmement marri qu’il était infidèle, bien qu’en vérité il fût très fidèle ; et étant tout aveugle ; infidèle et compatissant à lui, je priai de tout mon cœur que sa peine amère lui réussît à la gloire et à la couronne .
Partant , des que son oraison m’eut profité , je fus affranchi d’une multitude de loups , et je fus fait un agneau doux et mansuet. C’est pourquoi il est bon de prier pour tous, d’autant que l’oraison du juste profite à ceux qui sont disposés pour recevoir les grâces.
Or, maintenant, je me plains que cet homme , si éloquent entre les doctes, si patient entre ceux
qui le lapidèrent , soit effacé maintenant des cœurs et de la mémoire de plusieurs , et
principalement de ceux qui s’en devraient souvenir jour et nuit , car ceux-là lui apportent des vases ,
mais hélas ! cassés , vides, sales et abominables. C’est pourquoi, comme il est écrit, ils seront saisis d’une double confusion et honte , et seront chassés de la maison de plaisir et de volupté.
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Vision admirable d’une âme qui devait être jugée. Accusations du diable , défenses de la Sainte Vierge Marie . Explication de cette vision, où le ciel est désigné par un palais, Jésus-Christ par le soleil , la Vierge par la femme , le diable par l’Ethiopien , l’ange par un soldat ; où sont rapportés trois remèdes et plusieurs autre choses admirables, et principalement des suffrages .
Une certaine personne , veillant en oraison et ne dormant pas, voyait en esprit un palais d’une grandeur incompréhensible , où se trouvait une innombrable multitude d’homme vêtus de vêtements blanc et éclatants, et chacun d’eux semblait avoir un siége propre . il y avait principalement en ce palais un siége signalé , comme un soleil pour juge , et la splendeur qui sortait du soleil était
incompréhensible en longueur , largeur et profondeur . Une vierge aussi était debout auprès du siége, ayant la tête ceinte d’une couronne.
Tous servaient celui qui était assis sur le siége , le louant avec des hymnes et des cantiques. Après , on voyait un Ethiopien terrible à voir , qui marquait en ses gestes être plein d’envie et enflammé d’une grande colère. Il s’écriait , disant : O juge , jugez cette âme ; oyez et voyez ses œuvres , car il lui reste peu à vivre . permettez-moi aussi de punir le corps avec l’âme , jusqu’à ce que la séparation en soit faite .
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Ce qu’ayant été dit , il semblait qu’un homme était devant le siége , comme un soldat armé , pudique et sage en ses paroles et modeste en ses actions , qui disait :O Juge, voici les bonne œuvres qu’il a faites jusques à cette heure .
Et soudain on ouït une voix sortant du soleil du siége, disant : Il y a là plus de vices que de vertus. Il n’est pas juste et équitable que le vice soit conjoint à la souveraine vertu.
L’éthiopien répondit ; Il est donc juste que cette âmes soit conjoint à moi, car comme elle a quelque vice en elle, de même en moi il y a toute sorte de méchancetés.
Le soldat répondit : La miséricorde de Dieu suit toute sorte de personnes jusqu’à la mort , voire jusqu’au dernier période de la vie ; et après , le jugement se fait. En l’homme dont il est maintenant question, l’âme et le corps sont encore conjoints ensemble, et la discrétion et la raison sont encore
entièrement en lui.
L’éthiopien répondit : L’Ecriture, qui ne peut mentir, dit . Vous aimez Dieu sur toutes choses et votre prochain comme vous même .Voyez donc que toutes les œuvres de celui-ci sont faites par l’esprit de crainte, et non par l’amour, comme il le devait ; et quand aux péchés dont il s’est confessé, vous trouverez qu’il s’en est confessé avec une petite contrition .C’est pourquoi il mérite l’enfer , car il a démérité le paradis. Et partant , les péchés sont ici manifestés devant la justice divine, car il n’a jamais obtenu de la divine charité la contrition des péchés qu’il a commis.
Le soldat répondit : Il a certainement espéré d’obtenir la contrition avant de mourir .
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L’Ethiopien répliqua : Vous avez amassé tout ce qui a fait du bien ;vous connaissez si toutes ces paroles pieuses profitent à son salut ; toutes ces choses , quelles qu’elles soient , ne sauraient entrer en comparaison avec la grâce, qui est appelée contrition , qui sort de la charité avec la foi et l’espérance , laquelle il n’a pas . Partant , tout cela ne saurait effacer ses péchés, car la justice est en Dieu de toute éternité, qui veut qu’aucun n’entre au ciel qui n’aura eu la parfaite contrition .
Il est donc impossible que Dieu juge contre l’ordre et la disposition qu’il a prévus de toute éternité.
Donc , il faut que cette âme soit jugée à l’enfer , et il faut la joindre avec moi aux peines éternelles.
Ces choses étant dites et représentées , le soldat ne sut que dire à ces paroles.
Après ceci ,on vit une multitude innombrable de diables semblables à des étincelles courantes d’un grand feu excité ; et ils criaient tous d’une voix, disant à celui qui était assis sur le trône comme un soleil : Nous savons que vous êtes un Dieu en trois personnes ; que vous êtes sans commencement ni fin ;que vous êtes le même amour auquel la miséricorde et la justice sont conjointes .
Vous avez été en vous-même de toute éternité .Vous n’avez rien qui vous diminue en vous ni hors de vous, qui vous transporte ,comme il est décent et convenable à Dieu ; rien n’a joie sans vous.
C’est pourquoi votre amour a fait les anges de rien par votre puissance, et a créé les âmes par votre sagesse, comme votre miséricorde voulait.
Mais après que l’orgueil, l’envie et la cupidité nous eurent embrasés, soudain votre amour, qui aime la justice nous précipita du ciel avec le feu de notre misère dans l’abîme incompréhensible et ténébreux , qui est maintenant appelé enfer.
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C’est de la sorte que votre charité se gouverne , lorsqu’elle ne se sépare pas encore de votre juste jugement , soit qu’il soit fait selon la miséricorde, soit selon l’équité.
Nous disons bien davantage: si ce que vous aimez pardessus tout, qui est la Sainte Vierge qui vous a enfanté , qui n’a jamais offensé , eût offensé Dieu mortellement et qu’elle fût morte sans la contrition divine , vous aimez tellement la justice qu’elle n’eût jamais obtenu le ciel , mais elle serait avec nous dans l’enfer !
Pourquoi donc , ô Juge , ne nous adjugez-vous pas cette âme , afin que nous la punissions selon ses œuvres ?
Après , on ouït un son comme d’une trompette , et tous ceux qui l’ouïrent se turent , et soudain une voix leur disait : Silence ! écoutez , ô vous , anges , âmes et diables , ce que dit la Mère de Dieu !
Et à l’instant , la Mère de Dieu , paraissant devant le siége du juge , et ayant sous son manteau comme quelques choses grandes et cachées , dit : O ennemis , vous poursuivez la miséricorde et aimez la justice sans amour : bien que dans les bonne œuvres , il y apparaisse du défaut , pour lesquels cette âme ne doive obtenir le ciel , voyez néanmoins ce que j’ai sous mon manteau .
La Sainte Vierge ayant ouvert des deux côtés son manteau , d’un côté apparut comme d’une petite église où on voyait quelques moines ; en l’autre côté apparurent des femmes et des hommes , amis de Dieu , religieux et autres, qui criaient d’une voix , disant : Miséricorde , ô Dieu miséricordieux !
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Puis on fit un grand silence , et la Sainte Vierge parlais disant : L’Ecriture dit que celui qui a la foi parfaite peut transporter les montagnes .
Que doivent et que peuvent donc faire ces voix des justes qui ont eu l’amour ? que feront les amis de Dieu pour cette âme qui les a priés de prier Dieu pour elle , afin qu’elle pût éviter l’enfer et obtenir le ciel , ni n’a jamais cherché autre récompense de ses bonnes œuvre que le ciel ? Eh quoi ! toutes les prières et les larmes de tous ces saints ne pourraient-elles pas lui obtenir , avant sa mort , la vraie contrition avec l’amour ? D’ailleurs , j’ajouterai mes prières aux prières de tous les saints qui sont au ciel , que cette âme avait en singulière recommandation et honneur spécial .
Et derechef , la Sainte Vierge dit : O diables ! je commande en la puissance du Juge d’être attentifs à ce que vous voyez maintenant en la justice.
Lors tous répondirent comme d’une voix : Nous voyons qu’au monde il y a un peu d’eau et force air; on apaise l’ire de Dieu , et même de votre oraison il apaise la miséricorde avec l’amour .
Soudain on ouït une voix sortant du soleil , disant : Pour les prières de mes amis , celui-là obtiendra , avant de mourir , la contrition divine , de sorte qu’il ne descendra point dans l’enfer,
Mais il sera purifié avec ceux qui , ayant commis de grands péchés , endurent une grande peine dans le purgatoire . Et cette âme , étant purifiée , aura la récompense au ciel avec ceux qui ont eu en terre la foi et l’espérance avec quelque petite charité . Ces choses étant dites , les démons s’enfuirent .
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Après , il semblait à l’épouse sainte Brigitte qu’elle voyait un lieu fort terrible , formidable et obscur qui s’ouvrait , où apparut en dedans une fournaise ardente ; et ce feu n’avait autre chose pour brûler que les démons et les âmes toutes vivantes ; et sur cette fournaise apparut cette âme , de laquelle nous avons ouï ci-dessus le jugement . Or les pieds de cette âme s’étaient attachés à la fournaise , et cette âme demeurait debout comme une seule personne . Or , elle n’était pas debout au sommet de la fournaise ni au plus bas , mais comme il a été dit , la forme en était terrible et admirable . Or , le feu de la fournaise semblait se pousser en haut vers les pieds de cette âme , comme quand l’eau est poussée en haut par le tuyau , de sorte que ses pores étaient comme des veines ouvertes d’où sortait le feu . Ses oreilles semblaient comme des soufflets qui émouvaient son cerveau . Ses yeux paraissaient détournés et enfoncés , et semblaient comme noués et attachés au derrière de la tête. Sa bouche était tout ouverte , et sa langue était tirée par les trous du nez et pendait sur ses lèvres . Ses dents étaient comme des clous de fer attachés au palais de la bouche . Ses bras étaient si étendus qu’ils allaient jusques aux pieds . De ses mains aussi semblait s’égoutter quelque graine avec une poix ardente . La peau , qui semblait être sur l’âme comme sur un corps , était comme une chemise de lin toute sale et vilaine . Cette chemise était tellement froide que tous ceux qui la voyaient en frémissaient ; et il procédait d ‘elle comme une certaine gale , une puanteur si horrible qu’on ne la saurait comparer à une plus infecte et plus pernicieuse puanteur .
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Ayant donc vu cette effroyable calamité , elle ouït la voix de cette âme qui dit cinq fois : Malheur ! criant de toutes forces avec un déluge de larmes .
1° Malheur , dit-elle , que j’aie aimé si peu Dieu pour ses très-grandes vertus et pour les grâces dont il m’a comblée !
2° Malheur à moi de n’avoir craint la justice comme je devais !
3° Malheur à moi d’avoir aimé les voluptés et les plaisir de mon corps , qui m’ont induite au péché ! 4° Malheur à moi pour avoir été ambitieuse des richesses et pour mon orgueil !
5° Malheur à moi de vous avoir vus , vous ,ô Louis et Jeanne !
Et alors l’ange me dit : Je vous veux déclarer cette vision . Ce palais que vous avez vu est une figure du ciel . la multitude de ceux qui étaient assis , vêtus de vêtements blancs et éclatants , sont les anges et les âmes des saints . Le soleil signifie Jésus-Christ en sa Déité ; la femme , la Vierge qui a enfanté Jésus-Christ . L’Ethiopien signifie le diable qui accuse l’âme ; le soldat , l’ange qui dit les bonnes œuvres de l’âme ; la fournaise , l’enfer qui brûle en telle sorte que , bien que tout ce qui se voit et tout ce qui est au monde brûlât , néanmoins , il n’entrerait en comparaison de la grandeur de ce feu . En cette fournaise , on entend diverses et différentes voix , toutes contre Dieu , et toutes commencent par Malheur ! et finissent par Malheur ! Les âmes y apparaissent comme des hommes dont les membres sont étendus sans consolation , sans jamais avoir repos . Sachez aussi que le feu que vous voyez en la fournaise brûle dans les ténèbres éternelles , et les âmes qui y brûlent n’ont pas toutes une peine égale . Or , les ténèbres qui apparurent à la fournaise sont appelées les limbes , qui procèdent des ténèbres qui sont dans la fournaise , et toutes sont quasi un lieu et un enfer .
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Quiconque descendra là-bas ne demeurera jamais avec Dieu . Sur ces ténèbres , les âmes souffrent les peines du purgatoire ; et outre ce lieu il y en a encore un autre , où il y a moindre peine ,qui n’est autre qu’un défaut de force en la force , et de beauté et autres choses semblables , comme par exemple , si quelqu’un était infirme , et l’infirmité et la peine cessant , n’aurait point de forces , jusqu’à ce qu’il les recouvrât peu à peu .
Le troisième lieu , qui est plus haut que celui-ci , est celui où il n’y a autre peine qu’un désir de parvenir à Dieu . Et afin que vous entendiez mieux en votre conscience ce que c’est , je vous dis par exemple : Si l’airain se mêlait avec l’or , et tous deux brûlaient ensemble en un feu ardent , où il devait se purifier longtemps , jusqu’à ce que l’airain en fût consommé , et où l’or demeurerait pour or tout autant que l’airain serait fort et épais : tout autant serait-il nécessaire d’un grand feu , jusqu’à ce que l’or fût liquide comme de l’eau et qu’il fût tout ardent ; après , l’orfèvre porterait l’or en un autre lieu , jusqu’à ce qu’il eût la couleur d’or à la vue et la bonté à l’attouchement ; après , il le mettrait en un troisième lieu , où il serait gardé pour être présenté à son possesseur . De même en est-il dans les choses spirituelles . En premier lieu , la très grande peine du purgatoire , ce sont les ténèbres , où vous avez vu cette âme être purifiée , où il y a l’attachement des diables . Là en figure paraissent des vers vénéneux et des animaux farouches . Là est la chaleur , là est le froid en extrémité ; là sont les ténèbres et la confusion , qui sortent des peines de l’enfer . Là quelques âmes ont une grande peine , les autres une petite , selon que les péchés ont été amendés pendant que le corps était avec l’âme .
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Après , le maître , c’est-à-dire , la justice divine , porte les âmes en un autre lieu où il y a quelque défaut de forces , lieux où elles demeureront jusqu’à ce que le réfrigère éternel leur arrive , ou par les prières de leur amis spéciaux , ou par les continuelles œuvres de la sainte Eglise , car l’âme , plus elle sera aidée de ses amis , plus tôt sera-t-elle soulagée et affranchie de ce lieu .
Après , l’âme est portée en un troisième lieu , où elle n’endure point de peine , mais où elle désire d’arriver à Dieu et à la vision béatifique . En ce lieu demeurent plusieurs et très longtemps , d’autant qu’il y en a peu qui , pendant qu’ils ont vécu , aient eu un parfait désir de parvenir à la présence de Dieu et à la vision béatifique . Sachez aussi qu’il y en a au monde qui vivent si justement et si innocemment , qu’ils arrivent soudain à la présence et vision de Dieu , quelques-uns ayant tellement amendé leurs péchés par des bonnes œuvres , que leurs âmes n’endurent aucune peine . Mais il y en a qui n’arrivent au lieu où les âmes ont des désirs de parvenir . Partant , toutes les âmes qui arrivent en ces trois lieux et y demeurent , participent aux prière de la sainte Eglise et aux bonnes œuvres qui se font par tout le monde , principalement à celles qu’elles ont faites pendant qu’elles ont vécu , et de celles qui se font par leurs amis après la mort . Sachez aussi que , comme les péchés sont de plusieurs et de diverses sortes , de même aussi les peines sont diverses et différentes . Partant , comme le famélique se réjouit de la viande qui vient à sa bouche , le sitibonde de la boisson , le triste de la joie , le nu du vêtement , l’infirme de trouver un lit , de même les âmes se réjouissent et participent aux biens qui se font pour eux dans le monde .
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Ensuite l’ange ajouta : béni soit celui qui , étant dans le monde , aide les âmes par ces oraisons , par ses bonne œuvres et par le travail de son corps ! car la justice de Dieu ne peut mentir , elle qui dit que les âmes se doivent purifier après la mort par la peine du purgatoire , ou être bientôt affranchies par les bonnes œuvres de leurs amis .
Après cela , on entendait plusieurs voix du purgatoire , disant : O Seigneur Jésus-Christ , juste Juge , envoyez votre amour et votre charité en ceux qui , dans le monde , ont une puissance spirituelle , car lors , nous y participerons avec plus d’abondance qu’a leur chant , lecture et oblation . Or , sur l’espace d’où était ouïe cette plainte on voyait comme une maison en laquelle on oyait plusieurs voix qui disaient que Dieu récompense ceux qui nous envoient du secours en nos besoins .
On voyait encore en cette maison comme une aurore qui allait croissant peu à peu ; sous l ‘aurore apparut une nuée qui n’avait rien de la lumière de l’aurore , d’où il sortit une grande voix , disant ; O Seigneur Dieu , donnez de votre incompréhensible puissance à un chacun une centième récompense à ceux , qui , étant au monde , nous élèvent avec leurs bonnes œuvres en la lumière de votre Divinité et à la vision de votre face .
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L’ange parle à sainte Brigitte , épouse de Jésus-Christ , de
l‘intercession de la peine de l’âme que Dieu nous a montrée au susdit chapitre , et de la rémission de la peine , d’autant qu’il pardonna à ses ennemis avant de mourir .
Pour le jour de l’ange gardien
L’ange parle encore disant : Cette âme , dont vous avez vu la disposition et ouï le jugement , est en la plus grande peine du purgatoire , d’autant qu’elle ne sais si elle viendra au repos ou à l’enfer après cette purification ; et cela , la justice divine l’ordonne quelquefois ainsi , car cet homme abusait corporellement de la conscience et de la discrétion spirituellement pour une fin mondaine , d’autant qu’il a oublié et négligé Dieu tandis qu’il vivait . C’est pourquoi son âme pâtit l’ardeur du feu et tremble de froid ; elle est aveuglée des ténèbres , effrayée de la vue horrible des diables , sourde de leurs clameurs , famélique et sitibonde intérieurement, et extérieurement , elle est revêtue de confusion . Néanmoins , Dieu lui a fait une grâce après la mort : il l’a affranchie de l’attouchement des démons , d’autant qu’elle a pardonné , pour le seul honneur de Dieu , de grands péchés à ses mortels ennemis , et a fait amitié avec son capital et mortel ennemi . Sachez aussi que tout le bien qu’il a fait , tout ce qu’il a promis et donné de biens bien acquis , et principalement les prières qu’il a faites à Dieu , diminuent et soulagent sa peine , selon qu’il a été défini et résolu par la justice divine . Mais les biens qu’il a donnés , qui n’étaient pas bien acquis , profitent spirituellement à ceux qui en avaient la possession , ou corporellement , s’ils en sont dignes selon l’ordre que
Dieu y a mis.
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Chapitre 9
L’ange parle a l’épouse du jugement de la justice divine contre l’âme susdite , et de la satisfaction qu’il fallait faire en cette vie pour elle , qui était au purgatoire .
L’ange parle encore : Vous avez ouï que , pour les prières des amis de Dieu , cette âme avait obtenu la contrition amoureuse de ses péchés , quelque peu de temps avant de mourir , laquelle contrition l’arracha de l’enfer . C’est pourquoi la justice divine a jugé qu’après la mort , elle devait brûler dans le purgatoire durant six âges (1) , qu’elle a eus depuis l’heure où elle commit sciemment le premier péché mortel , jusqu’à ce que , par la divine charité , elle fit pénitence fructueuse , qu’elle en obtint
de Dieu la grâce de la faire par les prières des amis de Dieu .
Le premier âge donc a été qu’elle n’a pas aimé Dieu , de ce que Jésus-Christ avait enduré en son précieux corps tant de peines et de tribulations , voire la mort pour le salut des âmes .
La deuxième fut qu’elle n’aima pas son âme comme un chrétien doit , ni ne rendit pas grâces à Dieu du baptême , et de ce qu’elle n’était ni juive ni païenne .
Son troisième âge fut d’autant qu’elle sut bien ce que Dieu avait commandé de faire , mais elle eut peu d’affection à le parfaire .
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Le quatrième âges fut qu’elle sut bien ce que Dieu défend à ceux qui veulent aller au ciel , et impudemment elle se porta contre cela , suivant , non la syndérèse et remord de la conscience , mais bien sa volonté et ses affections brutales .
(1) Jusques au jour du jugement universel , qui se fera le sixième âge .
L’âge cinquième fut qu’elle ne s’est pas servie comme il faut de la grâce et de la confession , en différant si longtemps .
Le sixième âge fut qu’elle se souciait peu du corps de Jésus-Christ , ne le voulant recevoir souvent , car elle ne voulait quitter ses péchés , ni n’eut amour à sa réception avant la fin de sa vie .
Après ceci , apparut quelqu’un comme un homme grandement modeste en sa vue , les vêtements duquel étaient blancs et éclatants , une étole rouge au col et sous ses bras , qui commençait ses paroles en cette manière : vous qui voyez ceci , considérez , remarquez et retenez en votre mémoire tout ce que vous entendez et tout ce qu’on vous dit , car vous qui êtes vivants au monde , ne pouvez en cette manière entendre et concevoir la puissance de Dieu , et ce qu’il a ordonné avant le temps , comme nous qui sommes avec lui , car ce qui se fait en Dieu en un instant , cela ne peut être compris de vous , si ce n’est par paroles et similitudes conformes aux façons du monde .
Je suis donc de ceux que cet homme , jugé au purgatoire , honorait de ses dons pendant qu’il vivait ; c’est pourquoi Dieu ma donné par sa grâce , que si quelqu’un voulait faire ce dont je les avertis , lors cette âme serait transférée en un lieu plus sublime , où elle recouvrerait sa vraie forme , et ne sentirait autre peine que comme celui qui aurait eu une grande maladie et serait exempt de toute sorte de douleurs, et serait gisant comme un homme sans forces .
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Néanmoins il se réjouirait , d’autant qu’il saurait certainement qu’il parviendra à la vie éternelle
Partant , comme vous avez ouï que cette âme a crié cinq fois : Malheur ! c’est pourquoi je lui dis cinq choses de consolation .
Le premier malheur fut qu’elle aima peu Dieu . Partant , afin qu’elle soit affranchie , qu’on célèbre trente messes , dans lesquelles on offre le sang de Notre-Seigneur , et que Dieu y soit plus honoré .
Le deuxième malheur fut qu’elle n’eut crainte de Dieu ; c’est pourquoi , pour la délivrer de la peine , qu’on choisisse trente prêtres dévots selon le jugement des hommes , et que chacun d’eux dise , quand il le pourra , trente messes : neuf des martyrs , neuf des confesseurs , neuf de tous les saints , vingt-huit des anges , vingt-neuf de la Sainte Vierge , et la trentième de la sainte Trinité , et que tous prient pour l’intention d’icelle , afin que l’ire de Dieu soit apaisée ,et que sa justice soit fléchie à la miséricorde.
Le troisième malheur fut pour sa superbe et sa cupidité . Partant , pour abolir ce crime , qu’on prenne trente pauvres , desquels on lave les pieds avec humilité , et qu’on leur donne à manger , argent , vêtement , pour leur consolation : et tant celui qui les lave que celui qui est lavé , prient Dieu humblement , afin que , par humilité et la passion de Jésus , il pardonne à l’âme la superbe et la cupidité qu’il a commises.
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Le quatrième malheur fut à raison de la volupté lubrique . Partant , si quelqu’un donnait pour faire entrer une vierge en un monastère et une veuve aussi , et pour marier une fille , leur donnant à toutes autant qu’il en serait besoin pour leur vivre et pour leur vêtement , lors Dieu pardonnerait le péché qu’elle a commis en chair , car ce sont les trois voies de vie que Dieu a établies et élues en ce monde .
Le cinquième malheur fut de ce qu’il avait commis plusieurs péchés au dommage et affliction de plusieurs , savoir , quand il employa toutes ses forces pour que deux proches parents se mariassent ensemble , ce qu’il fit plus en sa propre considération que pour l’utilité du royaume , faisant cela sans permission du pape contre l’ordre louable de la sainte Eglise .
Pour ce fait , il y a eu plusieurs martyrs , ne voulant souffrir qu’un tel acte se fit contre Dieu , contre l’Eglise et contre les mœurs et coutumes chrétiennes : disant que si quelqu’un voulait absoudre un tel péché , il fallait aller au pape , disant qu’un homme a commis un tel péché , sans nommer la personne ; et néanmoins , à la fin , il s’en repentit et en obtint l’absolution , la faute n’est pas amendée .
Imposez-moi donc telle pénitence que vous voudrez , pourvu que je la puisse porter , car je suis prêt à amender pour lui le péché .
Vraiment , si l’on n’eût imposé à celui-ci qu’un Pater noster , il aurait profité pour la diminution de la peine du purgatoire .
Chapitre 10
Notre-Seigneur Jésus-Christ se plaint des romains à son épouse , et lui parle de la cruelle sentence qui est prononcée contre eux , s’ils meurent en leurs péchés .
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Le Fils de Dieu dit ces paroles : O Rome , vous me rendez une mauvaise récompense pour tous les bienfaits dont je vous ai comblée . je suis Dieu , qui ai créé toutes choses , et ai manifesté et témoigné mon très grand amour par la très dure et cruelle mort et passion que j’ai souffertes volontairement pour le salut des âmes .
Il y a trois voies par lesquelles je veux que vous soyez ouïe , et véritablement en toutes , vous m’avez voulu tromper . En la première voie , vous avez suspendu une grande pierre sur ma tête , afin qu’elle m’écrasât . En la deuxième , vous avez une lance fort aiguë , qui ne me permet d’aller à vous . En la troisième , vous m’avez creusé une fosse , afin qu’y tombant à l’improviste , je fusse suffoqué . Or , ce que je dis maintenant se doit entendre spirituellement , non corporellement . Certainement , je parle aux habitants de Rome qui font trois choses , mais non pas à mes amis , qui ne suivent point ses œuvres .
La première voie donc par laquelle j’ai accoutumé de venir au cœur des hommes , est la vraie crainte de Dieu , sur laquelle l’homme suspend une grande pierre , c’est-à-dire , une grande présomption d’un cœur endurci , ne craignant le Juge auquel pas un ne peut résister . Mais hélas ! il dit en son cœur : Si la crainte de Dieu m’arrive , la présomption la brisera dans mon cœur .
La deuxième voie par laquelle je viens , est l’infusion de mon divin conseil , qu’on reçoit souvent dans les prédications et les enseignements . Or , l’homme met lors une lance contre moi en la voie , quand il pèche avec délectation contre mes préceptes , proposant de persévérer fermement en ses péchés jusques à ce qu’il ne puisse plus pécher . Certainement , c’est cette lance-là qui empêche que la grâce de Dieu ne vienne à lui .
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La troisième voie est l’illumination du Saint-Esprit dans les cœurs de chaque homme , par laquelle l’homme peut entendre et considérer quelles choses et combien j’ai fait pour l’amour de lui , et ce que j’ai souffert en moi-même pour l’amour de lui . Certainement , il m’a creusé en cette voie une fosse fort profonde , parlant en ces termes en son cœur : tout ce qui me plaît m’est plus cher que la charité , et me satisfait de penser les choses qui me plaisent en cette vie ; et de la sorte , la charité divine avec ses œuvres sont suffoquées par lui comme une fosse profonde .
Véritablement , les habitants de Rome me font tout cela , et montrent vraiment cela par paroles et par œuvres , réputant pour néant mes paroles et mes œuvres , prenant pour jouet moi ; ma Mère et mes saints , ce qui est sérieux en risée , me maudissant par colère , m’offrant des contumélies pour des actions de grâces . Certainement , ils ne vivent point selon la coutume des chrétiens , comme la sainte Eglise le commande , car ils n’ont pas plus grande charité que les diables , qui aiment mieux souffrir éternellement leurs misères et retenir leur malice , que me voir et qu’être unis avec moi en gloire éternelle . Vraiment , tels sont ceux qui ne veulent point recevoir mon corps , qui est ce pain transubstantiel en mon corps par les paroles de la consécration que j’ai instituées , la réception duquel est grandement contre les tentations diaboliques .
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Oh ! que misérables sont ceux qui , pendant qu’ils sont sains , rejettent et abhorrent un tel secours comme un venin , et ne veulent se retenir de pécher . Je viendrai donc maintenant à eux par une voie inconnue avec la puissance de ma déité , faisant la vengeance des outrages qu’ils ont faits à mon humanité , et contre ceux qui la méprisent . Et comme ils m’ont préparé en la voie trois obstacle , je leur en préparerai aussi trois autres , dont l’amertume sera ressentie en la vie et après la mort . La pierre que je leur suspendrai est la mort soudaine qui les écrasera , en telle sorte que tout ce qu’ils ont pour leur joie sera laissé , et leur âme seule sera contrainte de comparaître en jugement . Ma lance est ma justice , qui les éloignera tellement de moi qu’ils ne goûteront jamais ma bonté . Je les ai créés et rachetés , ils ne verront jamais ma beauté . Ma fosse est obscurité profonde de l’enfer , en laquelle ils tombent , vivant en misère éternelle . Tous mes anges et tous mes saints au ciel les condamneront ; tous les démons et toutes les âmes damnées les maudiront . Mais je parle de ceux-là qui vivent comme nous avons dit ci-dessus , soit qu’ils soient religieux , soit qu’ils soient clercs séculiers , soit laïques , soit femmes , soit leurs enfants , qui seront arrivés à l’usage de raison , pour connaître ce que Dieu a défendu tous les péchés desquels néanmoins ils s’enveloppent volontairement , bannissant l’amour de Dieu et méprisant sa crainte .
Néanmoins , j’ai la même volonté que j ‘avais quand j’étais pendu en croix ; je suis le même que j’étais quand je pardonnai au larron et lui ouvris les portes du ciel , quand il demandait miséricorde . J’ouvris aussi l’enfer à l’autre qui me méprisait , l’enfer où il est tourmenté éternellement pour ses péchés .
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Chapitre 11
Sainte Agnès loue et bénit la glorieuse Vierge Marie . Comment elle la prise pour sa fille . Douce réponse de Notre-Seigneur , et de la Vierge grandement excellente pour consoler l’épouse , et en quelle manière le monde est désigné par lui .
Pour le jour de l’Annonciation de la Sainte Vierge .
Sainte Agnès dit : O Marie , Mère , et Vierge des vierges ! vous pouvez être appelée à bon droit Aurore que Jésus-Christ , le vrai soleil , illumine . Mais est-ce que je ne vous appelle pas aurore à
cause de votre race royale , ou pour les richesses et honneurs ? Nullement , mais à bon droit vous êtes nommée aurore à raison de l’humilité , à raison de l’illumination de la foi et à raison du vœu
singulier de votre chasteté . Vous êtes l’avant-courrière du soleil et sa productrice , la joie des justes , la chasse des diables , la consolation des pécheurs . Je vous en prie par les noces que Dieu a faites en vous à cette heure , que votre fille sainte Brigitte se puisse arrêter en l’honneur , et en l’honneur de Jésus-Christ .
La Mère de Dieu répondit : Comment entendez-vous ces noces ? Dites-le pour l’amour de cette fille , qui vous entend .
Sainte Agnès répondit : Vraiment , vous êtes Mère de tous deux , Vierge et épouse , car des noces très belle ont été faites en vous à cette heure , quand Dieu s’est fait homme en vous par un saint
mariage , et alliance , et union , sans confusion ni diminution de la Divinité . La virginité et la maternité se sont assemblées en un , sans blesser la candeur de la virginité .
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Vous avez été faite mère et fille tout ensemble de votre Créateur , car vous avez engendré corporellement celui qui est éternellement engendré du Père , et fait toutes choses avec le Père ; car le Saint-Esprit a été en vous , hors de vous , et partout avec vous ; il vous a rendue féconde et consentant au noce de Dieu . Le même Fils de Dieu , qui est né ce jourd’hui de vous , était en vous par grâce avant que son messager arrivât à vous , c’est pourquoi faites miséricorde à votre fille , car elle ressemble à ces pauvres femmes , qui , habitant dans les vallées , n’ont que peu de chose pour vivre , comme par exemple , une geline , une oie qui est encore au seigneur , qui habite en la montagne au pied de laquelle est la vallée , car tout ce qu’elle avait , elle l’offrait avec amour à Dieu en la montagne .
Notre-Seigneur lui répliqua : Je surabonde en toutes choses : ce que vous avez ne m’est pas nécessaire ; mais peut-être donnez-vous peu afin de recevoir beaucoup .
Elle répondit : Je ne l’offre point pour cette fin et intention , et ne pense pas que vous en ayez nécessité ; mais parce que vous avez fait habiter une si pauvre en votre montagne et suis honorée de vos serviteurs , c’est pourquoi je vous offre ce peu qui m’est à grande consolation , afin que vous voyiez que j’offrirais de plus grandes choses , si je pouvais , et pour n’être ingrate à vos grâces .
Notre-Seigneur repartit : parce que vous m’aimez d’une si grande charité , je vous élèverai en ma montagne , et je donnerai à vous et aux vôtres des vêtements et des vivres annuellement . C’est en cette sorte que votre fille sainte Brigitte est maintenant disposée , car elle vous a laissé tout ce qu’elle a de vie , c’est-à-dire , l’amour du monde et celui de ses enfants . C’est pourquoi c’est à votre piété de la pourvoir et de l’aider .
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La Mère répondit à l’épouse de son fils , disant : Cette fille est constante . je prierai mon Fils , qui vous donnera les vivres annuels , et vous colloquera en la montagne , où mille et mille anges vous serviront ; car si on comptait tous les hommes qui sont nés depuis Adam jusqu’au dernier qui naîtra à la fin du monde , il se trouverait plus de dix anges pour chaque homme . Certes , le monde est comme un pot sous lequel est le feu ; la cendre , ce sont les amis du monde ; mais les amis de Dieu sont comme la bonne viande qui est dans le pot . Donc , quand la table sera préparée , lors on présentera la viande douce à Notre-Seigneur , et il se plaira en elle , et on cassera le pot , mais on n’éteindra point le feu .
Chapitre 12
Notre Dame la Vierge , Mère de Dieu , parle à sa fille de la Révélation des amis de Dieu en ce monde , qui sont maintenant en tribulation spirituelle , maintenant en consolation . Qu’est ce que la tribulation spirituelle et consolation , et en qu’elle manière les amis de Dieu se doivent consoler et se réjouir temporellement .
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La Mère de Dieu parle : Les amis de Dieu disent : on voit le monde maintenant en tribulation spirituelle , maintenant en consolation spirituelle . La consolation spirituelle est une infusion du Saint-Esprit , une considération des grandeurs des œuvres de Dieu , une admiration de sa patience, et quand toutes ces choses sont accomplies par œuvre avec plaisir . la tribulation spirituelle est celle-ci: quand les pensées mauvaises , immondes et par trop importunes, troublent l’esprit ; quand l’esprit s’angoisse des déshonneurs qu’on fait à Dieu et du dommage des âmes ; quand l’esprit est contraint de s’envelopper dans les soins temporels .
De même les amis de Dieu se peuvent quelquefois consoler par des consolations temporelles , comme des paroles d’édification , des récréations honnêtes , ou en parlant des vertus de quelqu’un sans en médire , ni dire rien de déshonnête , comme vous le pourrez mieux comprendre par un exemple : car comme si le poing était tenu toujours fermé les nerfs se retireraient ou la main se débiliterait , de même en est-il dans les exercices spirituels , car si l’âme demeurait incessamment en la contemplation , ou s’oubliait elle-même , elle s’évanouirait par la superbe , ou la couronne de gloire dominerait .
C’est pourquoi les amis de Dieu sont consolés , quelquefois par l’infusion du Saint-Esprit , quelquefois sont affligés par la permission divine ; car les tribulations et les racines du péché étant arrachées , les fruits de justice prennent racine ; néanmoins , Dieu , qui voit les cœurs et comprend toutes choses , modère les tentations de ses amis , afin qu’elles leur soient à leur avancement , car il fait et permet toutes choses en poids et mesure .
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Partant , vous , qui êtes appelée en l’Esprit de Dieu , ne soyez en sollicitude de la longanimité de Dieu , car il est écrit qu’aucun ne vient à Dieu si le Père ne l’attire ; car comme le pasteur attire et allèche les brebis à la maison avec un faisceau de fleurs , bien qu’elles courent tout à l’entour de la maison qui n’a point de sortie , d’autant qu’elle est entourée de murailles , que le toit est haut et que les portes sont closes , c’est pourquoi les brebis s’accoutument à manger le foin , et se rendent si douces que même elles mange le foin dans la main du pasteur . La même chose a été faite en vous , car ce qui auparavant vous semblait difficile et insupportable , vous est maintenant doux et facile , de sorte que rien ne vous plaît que Dieu .
Chapitre 13
Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à son épouse quelles sont les larmes qui sont agréables à Dieu , et qu’elles non . De quelles choses il faut faire aumône aux pauvres pour les âmes des défunt , et du conseil et gouvernement de Jésus vers son épouse .
Le Fils de Dieu dit (à sainte Brigitte) : vous admirez pourquoi je n’exauce celui que vous voyez répandre plusieurs larmes , et donner beaucoup aux pauvres pour mon honneur . Je vous réponds au premier : Là où deux fontaines ruissellent fréquemment , il arrive que , s’assemblant , si l’une est trouble , l’autre en sera salie , bien qu’elle sorte d’une claire fontaine ; que si elle est salie , qui en pourra boire ? Il est de même des larmes de plusieurs , car les larmes de quelques-uns procèdent de l’humiliation de la nature inclinée à cela .
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Quelquefois , la tribulation du monde et la crainte de l’enfer rendent telles larmes boueuses et puantes , car elles ne sortent pas de l’amour de Dieu ; mais ces larmes me sont agréables qui procèdent de la considération des bienfaits de Dieu , de la méditation de ses péchés et de l’amour de Dieu . Telles larmes élèvent l’âme de la terre au ciel , et régénèrent l’homme à la vie éternelle , car il y a double génération : la génération charnelle et la génération spirituelle .
La génération charnelle engendre l’homme de l’immondicité à la mondicité ; elle pleure les dommages et les détriments de la chair , et souffre joyeusement les labeurs du monde . Le fils de telles sorte de gens n’est pas fils de larmes , car par telles larmes , on n’acquiert pas la vie éternelle ; mais celle-là engendre un fils de larmes , qui déplore les détriments de l’âme , qui est soigneuse que son fils n’offense Dieu . Une telle mère est plus proche parente de son fils que celle qui l’a engendré charnellement , car par une telle génération , on peut acquérir la vie bienheureuse .
Au deuxième : qu’il donne des aumônes aux pauvres , je réponds : Si vous achetiez une chemise à votre fils avec l’argent de votre serviteur , de droit la chemise serait-elle à votre fils ou à celui à qui était l’argent ? Certainement , elle serait au serviteur . De même en est-il dans les choses spirituelles, car quiconque charge ses sujets ou son prochain , afin que , de leur argent , il secoure les âmes de ses chers amis , provoque plus ma colère qu’il ne m’apaise , car ce qui est offert injustement , profite seulement à celui à qui les dons appartenaient , et non à celui qui les donne . Néanmoins , parce que celui-ci vous a fait du bien , il lui en faut faire , et corporellement , et spirituellement ; spirituellement , faisant prières pour lui , car personne ne peut comprendre combien plaisent à Dieu les prières des humbles , comme je vous le montrerai par un exemple .
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Si quelqu’un offrait au roi un grand prix d’argent , et s’il disait aux assistants : Ceci est un grand don et présent , que s’il lui disait un pater , il s’en moquerait . Le contraire est bien devant Dieu , car quiconque offre à Dieu pour l’âme d’autrui un Pater noster , etc . lui est plus agréable qu’un grand poids d’or . Le même paraît en ce bon Grégoire , qui , par ses prières , éleva César infidèle à un grand et sublime degré du bien . En second lieu , dites-lui ces paroles : Parce que vous m’avez bien fait , je prie Dieu , rémunérateur de toutes choses , qu’il vous le rende selon sa grâce . D’ailleurs , dites-lui et parlez-lui en ces termes : Mon cher ami , je vous conseille une chose et vous prie d’une autre : je vous conseille d’ouvrir les yeux de votre cœur , considérant l’inconstance et la vanité du monde , méditant combien la charité de Dieu s’est refroidie en votre cœur ; combien dure et amère est la peine , et horrible le jugement futur , et attirez l’amour de Dieu en votre cœur , disposant tout votre temps , les biens temporels , les affections et les pensées à l’honneur de Dieu . Donnez aussi vos enfants à l’ordre et à la disposition divine , ne dominant en rien de l’amour de Dieu pour leur considération . Je vous supplie en deuxième lieu de vous efforcer d’obtenir par vos prières que Dieu , qui peut toutes choses , vous donne la patience et remplisse votre cœur de son amour .
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Notre-Seigneur Jésus-Christ dit des paroles de consolation à son épouse , plongée dans l’affliction , lui disant qu’elle ne doit pas craindre ce qu’elle a vu et ouï , d’autant que ces choses sont du
Saint-Esprit . Comment le diable est signifié par le serpent et par le lion , et la consolation du
Saint-Esprit par la langue . En quelle manière il faut s’opposer au diable .
Le Fils de Dieu dit à sainte Brigitte : pourquoi craignez-vous et êtes vous en anxiété , de ce que le diable mêle quelque chose aux paroles du Saint-Esprit ? N’avez-vous pas ouï qu’on garde sa langue entière , bien qu’on l’ait mise entre les dents des lions rugissants ? Et quelqu’un ne suce-t-il pas le doux miel de la queue du serpent ? nullement . Mais qui est ce lion ou ce serpent , si ce n’est le diable , qui est lion à cause de sa malice , et serpent à raison de sa finesse ? Et la langue est la consolation du Saint-Esprit . Qu’est-ce que mettre la langue entre les dents du lion , sinon dire les paroles du Saint-Esprit , qui apparut en espèce de langue , pour avoir les faveurs et les louanges humaines ?
Quiconque donc dit les louanges de Dieu pour plaire aux hommes , celui-là certainement se trompe et sera mordu par le serpent , car bien que ces paroles soient de Dieu , elles ne procèdent pourtant pas de la charité et de la bouche enflammée par l’amour de Dieu , et la langue , c’est-à-dire , la consolation du Saint-Esprit , lui sera ôtée .
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Or , celui qui ne désire que Dieu , toutes choses mondaines lui sont fâcheuses ; son corps n’affectionne de voir ni ouïr , sinon ce qui est de Dieu ; son âme se réjouit en l’infusion du Saint-Esprit . Celui-là ne peut être déçu ni trompé , attendu que l’esprit mauvais cède au bon ni n’ose s’en approcher . Or , que signifie sucer le miel de la queue du serpent , si ce n’est attendre les consolations du Saint-Esprit , les suggestions du diable , ce qui ne se peut , car le diable aimerait mieux se laisser tuer mille fois , s’il se pouvait , que de donner la moindre consolation à l’âme , dont la fin est la vie éternelle ? Ne craignez donc point , car Dieu , qui a commencé le bien , le conduira à une parfaite fin .
Néanmoins , sachez que le diable est comme un chien de chasse échappé de la laisse : quand il vous voit ne recevoir les influences du Saint-Esprit , il court à vous par ces tentations et ses suggestions ; mais si vous lui opposez quelque chose de dur et d’amer , que ses dents y soient agacées , il se retirera soudain de vous et ne vous nuira point . Or , qu’est cela de dur qu’on oppose au diable , sinon l’amour de Dieu et l’obéissance à ses commandements ? Quand il verra parfaits et accomplis en vous cet amour et cette obéissance , soudain ses assauts , ses efforts et ses volontés , seront vains et brisés , car il considère que vous voulez pâtir toutes les choses qui vous contrarient , plutôt que de contrevenir aux commandements de Dieu .
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Jésus-Christ dit à son épouse pourquoi les bons sont affligés en cette vie , et pourquoi les mauvais prospèrent . En quelle manière Dieu prouve par exemple que quelquefois il promet des choses temporelles , et qu’elles sont entendues les spirituelles . Comment Dieu n’a pas prédit toutes choses en détail à chaque heure , bien que toutes les heures et tous les moments lui soient connus .
Notre-Seigneur parle , disant : Vous admirez que l’ami de Dieu , qui devrait être honoré , est affligé , et que l’ennemi de Dieu est honoré , que vous pensiez devoir être fait comme il avait été dit en l’autre vision . Je vous réponds : Mes paroles doivent être entendues spirituellement et corporellement , car la tribulation du monde n’est autre chose qu’une préparation et élévation à la couronne , et la prospérité du monde n’est autre chose à l’homme qui abuse de la grâce , qu’une descente à la perdition . Être donc affligé au monde est une vraie exaltation à la vie , et prospérer au monde est , pour un homme injuste , un descendant en enfer . Partant , pour instruire votre patience aux parole de Dieu , je vous rapporterai un exemple .
Supposons qu’il y eût une mère qui eût deux enfants , dont l’un fût né dans les obscurités d’une prison , ne sachant ni n’ayant ouï parler que des ténèbres et du lait de sa mère , et que l’autre fût né en une pauvre loge , ayant de bonnes viandes pour nourriture , repos en son lit et service d’une servante .
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Or , cette mère dit à celui qui était né en prison : Mon Fils , si vous voulez sortir des ténèbres , vous aurez une viande fort délicate , un lit mollet et un lieu plus assuré . L’enfant , entendant cela , sortirait soudain , car si la mère lui eût promis de plus grandes choses , comme chevaux courants , maisons d’ivoire , ou une ample famille , il ne l’eût pas cru , car il ne connaissait rien que les ténèbres et le lait de sa mère.
De même en fait Dieu : il promet souvent de petites choses , par lesquelles il entend des choses éminentes , afin que l’homme , par les choses temporelles , apprenne à considérer les choses éternelles .
La mère dit à l’autre fils : Mon fils , quelle utilité avez-vous de demeurer en cette vile loge ? Oyez et écoutez donc mon conseil , et il vous profitera . Je sais deux cités : en la première , il y a de la joie pour ceux qui y habitent , mais joie indicible et éternelle , et un honneur sans fin . En la deuxième , il y a un grand exercice pour ceux qui combattent , où tous ceux qui combattent deviennent rois , et tous ceux qui y sont surmontent et triomphent . Son enfant , entendant cela , est sorti pour se présenter à la lice ; et étant sorti , il a dit à sa mère : J’ai vu , en cette lice , un grand et admirable jeu: les uns y tombaient et y étaient foulés aux pieds ; les autres y étaient dépouillés et mortifiés , et néanmoins , tous se taisaient , tous jouaient , et aucun ne levait la tête ni la main contre ceux qui étaient prosternés .
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La mère répondit : Cette cité que vous avez vue , ce n’est que les faubourgs de la cité de gloire , car Dieu éprouve en ce faubourg ceux qui y sont pour entrer après en cité de gloire . Et ceux qu’il verra plus vigilants au combat , il les couronnera en la gloire avec plus d’éminence et de grandeur . C’est pourquoi ceux qui résident en ce faubourg , doivent être éprouvés et couronnés un jour en la gloire . Quand à ceux que vous avez vus prosternés être dépouillés , fouettés , et qui ne disent mot , c’est parce que nos habits sont tachés et souillés des ténèbres de notre vile loge , où il faut un grand combat et labeur afin qu’ils soient bien nettoyés .
L’enfant répondit : C’est une chose dure d’être foulé aux pieds et ne dire mot ; selon mon jugement , il me vaut mieux retourner à ma vile loge .
La mère repartit : Si vous demeurez en notre vile loge , il sortira de nos ténèbres et puanteurs des vermisseaux et des serpents , des sifflements desquels votre ouï aura horreur , de la morsure desquels votre vertu sera toute brisée , et vous aimerez mieux n’être pas né que de demeurer avec eux .
Cet enfant , oyant ceci , et désirant le bien corporel , que néanmoins la mère avait entendu spirituellement , fut paisible en son cœur , et il s’efforçait tous les jours d’acquérir la couronne .
De même en fait Dieu , car souvent il promet et donne des choses temporelles , par lesquelles il entend des choses spirituelles , afin que l’esprit s’excite , par les présents reçus , à la ferveur divine , et que , par l’intelligence spirituelle , il s’humilie , afin qu’il ne présume de soi-même , comme Dieu fit à Israël : car en premier lieu , il lui promit et lui donna des richesses temporelles , et fit avec eux de grandes merveilles , afin que , par eux , ils fussent instruits aux choses spirituelles .
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Après , la connaissance de la Déité étant plus grande en leur esprit , il leur disait avec les prophètes des paroles plus obscures et plus difficiles à entendre , entremêlant quelques choses de consolation et quelques choses joyeuses , savoir : il promit au peuple le retour en sa patrie , la paix perpétuelle , et de rétablir et réédifier tout ce qui était ruiné . Et bien que le peuple entendît tout ceci charnellement et le voulût aussi posséder , Dieu néanmoins avait ordonné et disposé quelques choses selon la chair, et d’autres selon l’esprit .
Mais vous me demanderez pourquoi Dieu , à qui toutes les heures et tous les moments sont connus , n’a pas prédit en détail toutes choses , et à quelle heure ou pourquoi il a dit quelque choses et a seulement marqué quelques autres . Je vous réponds : Israël était en la chair et désirait tout selon la chair , et ne pouvais connaître ni atteindre les choses invisibles que par les visibles . C’est pourquoi il plut à Dieu d’instruire son peuple en plusieurs manières , afin que ceux qui croyaient aux promesses de Dieu fussent plus éminemment couronnés à raison de leur foi ; afin que avançant vers le bien , ils fussent plus fervents ; afin que les lâches et les paresseux fussent excités et allumés avec plus de ferveur d’amour envers Dieu ; afin que les transgresseurs cessassent d’offenser Dieu si librement ; afin que les affligés tolérassent leurs misères avec plus de patience ; afin que ceux qui travaillent subsistassent avec plus de plaisir , et afin que les attendants par les promesses obscures et cachées , fussent couronnés plus sublimement et plus glorieusement .
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Car si Dieu eût seulement promis aux hommes charnels ce qui était seulement spirituel , tous se fussent dégoûtés de l’amour de ce qui est céleste . Que s’il leur eût seulement promis ce qui était charnel , qu’elle différence il y eût eu alors entre l’homme et les juments ? Mais Dieu , pieux et sage, a donné à l’homme ce qui est corporel , afin qu’il gouvernât son corps avec modération et équité , afin qu’il désirât ce qui est céleste : il lui a manifesté ses bienfaits et ses miracles signalés , et afin qu’il eût peur du péché , il lui a manifesté ses jugements terribles et leur a envoyé des messages par les anges mauvais , afin que celui qui donne effet et lumière aux promesses , et celui qui est l’auteur de la sapience , fût attendu et désiré , et c’est aussi pour cela qu’il mêlait se qui était obscur et douteux avec quelques consolations .
Dieu juge les jugements spirituels aujourd’hui en même manière par des similitudes corporelles ; et parlant d’un honneur corporel , il entend un honneur spirituel , afin qu’on attribut à Dieu toute sorte de doctrine . Car qu’est l’honneur du monde sinon vent , labeur et diminution de la consolation divine ? Qu’est-ce que tribulation , sinon une préparation et disposition aux vertus ? Donc , promettre au juste l’honneur du monde , n’est autre chose que le priver des commodités spirituelles ; et lui promettre des tribulations du monde , qu’est-ce autre chose qu’un antidote et un médicament à une grande infirmité ?
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Partant , ô ma fille ! les paroles de Dieu se peuvent entendre en plusieurs manières , et néanmoins , pour cela , il ne faut pas considérer quelque changement en Dieu , mais bien l’immobilité de son admirable et formidable sagesse . Car comme , dans les prophètes , j’ai dit plusieurs choses corporellement et qui s’accomplissaient corporellement , j’ai dit aussi plusieurs choses corporellement , qui s’entendaient et qui s’accomplissaient spirituellement . J’en fais de même maintenant , et quand cela arrive , je vous en montrerai la cause .
Chapitre 16
La Sainte Vierge Marie parle a sa fille sainte Brigitte . Comment le diable amène finement et souvent , sous prétexte de dévotion , quelques-uns d’entre les serviteurs de Dieu pour les troubler , auxquels les indulgences sont données .
Comment la disposition de l’Eglise est désignée par une oie , et Dieu par une poule , et qui sont ceux qui sont dignes d’être appelés poussins de Dieu .
La Mère de Dieu , dont la grandeur , en qualité de Mère , n’aura jamais d’égale, parle à l’épouse de son fils : Pourquoi , dit-elle , avez-vous logé celui dont la langue est babillarde , la vie inconnue et les mœurs mondaines ?
Elle répondit : D’autant que je le croyais être bon , et qu’il ne fût confus , si , étant d’un langage connu , il était méprisé . Néanmoins , si j’eusse su de déplaire à Dieu , je ne l’eusse non plus logé qu’un serpent venimeux .
La Mère répliqua : Votre bonne volonté a gardé et retenu sa langue et son cœur , afin qu’il ne vous troublât tous . Le diable , fin et rusé , vous a conduit le loup au milieu des brebis , afin de trouver occasion de vous solliciter et de se jouer avec vous .
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Elle répliqua : Il nous apparaît qu’il est dévot pénitent , qu’il visite les saints , et dit qu’il se veut abstenir de pécher .
La Mère répondit : Où on trouve de l’oie avec des plumes , mange-t-on la chair ou les plumes ? Les plumes ne sont-elles pas abominables à l’estomac ? et la chair ne rassasie t-elle pas , ne conforte-t-elle pas ? En telle sorte est la disposition spirituelle , la constitution de la sainte Eglise , car elle est comme une oie en laquelle est le corps de Jésus-Christ , comme une chair très récente . Les sacrements sont comme l’intérieur de l’oie . Les ailes signifient les vertus et les actes des martyrs et des confesseurs . Les plumes marquent la charité et la patience des saints ; mais les plumes signifient les indulgences que les saints ont données et méritées . Donc , celui qui vient gagner les indulgences à cette intention , afin qu’il soit absous des péchés passés et pour demeurer néanmoins en sa première et vicieuse coutume , celui-là certainement a les plumes d’une oie , desquels l’âme n’est nourrie ni confortée , mais même ce qu’elle prend n’est que pour être rejeté . Or , ceux qui viennent gagner les indulgences avec intention de fuir et d’éviter désormais le péché ; de restituer ce qu’ils ont pris injustement ; de satisfaire à ceux qu’ils ont injustement offensés ; de n’acquérir avec un lucre vilain , pas même une obole ; de ne vouloir pas vivre un seul jour , sinon selon la volonté de Dieu ; de soumettre leur volonté à la volonté divine , tant en adversité qu’en prospérité , et de fuir les honneurs et les amitiés du monde , celui-là véritablement obtiendra abolition et rémission de tous ses péchés , et il est semblable à l’ange de Dieu , devant Dieu .
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Or , celui qui se réjouit de l’absolution de ses péchés , ni n’a pas pourtant volonté de quitter ses vanité ni les affections déréglées de son cœur , mais qui veut retenir ce qu’il a injustement acquis , aimer le monde en soi et en ce qu’il possède , avoir honte de l’humilité , ne fuir les mauvaises habitudes , ne mortifier sa chair des choses superflues , à celui-là les indulgences pourront profiter , non à pardon , mais à quelque disposition pour obtenir la contrition et pour se confesser : par le moyen desquelles il pourrait chasser le péché et acquérir la grâce , et s’envolerait , comme par des ailes , des griffes de Satan au sein de Dieu , si toutefois il voulait changer ses mauvaises volontés et coopérer à la grâce .
Elle répliqua : O Mère de miséricorde , priez pour lui , afin qu’il trouve grâce devant votre Fils .
Elle repartit : Le Saint-Esprit la visite ; mais il y a quelque chose dans son cœur comme une pierre , qui empêche que la grâce de Dieu n’y entre ; car Dieu fait comme une poule qui échauffe les œufs d’où sont éclos des poussins vivants . Tous les œufs qui sont sous la poule sont échauffés de sa chaleur naturelle , et non d’aucune autre étrangère ; la mère ne casse point la coque de l’œuf , mais le poussin même le casse avec son petit bec . La mère , voyant cela , lui prépare un lieu plus chaud où elle le pose . Dieu fait de même , car il nous visite tous par sa grâce .
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Mais ceux qui pensent en leur cœur de s’abstenir de leur péché et de s’efforcer d’aller à la perfection, autant qu’ils pourront , le Saint-Esprit les visite plus souvent , afin qu’ils puissent être plus parfaits . Mais ceux qui commettent et résignent leur volonté à Dieu , ne voulant pas faire la moindre chose contre la volonté de Dieu , mais suivent et imitent ceux qui tendent à la perfection , et se gouvernent selon le conseil des hommes humbles , résistant discrètement aux mœurs corrompues de la chair , Dieu les couvre et les échauffe comme une poule , leur rendant le joug doux et suave , les consolant en leurs difficultés .Mais ceux qui suivent leur propre volonté , pensent à de petits biens , qui rendent , devant Dieu , l’homme digne de quelque récompense , ni ne s’efforcent d’aller à une plus grande perfection , mais s’arrêtent en ce que leur esprit ce plaît , excusant leur fragilité par l’exemple des autres , et rendant leurs fautes légères en comparaison des grandes fautes d’autrui , telles personnes ne sont pas poussins de Dieu , car elles n’ont pas la volonté de briser la dureté et la vanité de leur cœur ; mais si elles pouvaient , elles aimeraient mieux vivre longtemps , afin de pouvoir persévérer en leur péché .
Ce bon Zachée n’en fit pas de la sorte , ni la Magdelène aussi ; mais d ‘autant qu’ils avaient offensé Dieu en tous leurs membres , ils lui donnèrent tous leurs membres pour satisfaire avec tous , pour toutes les offenses commises ; et d’autant qu’ils étaient mortellement montés aux honneurs du monde , ils descendirent humblement , en les méprisant , car il est difficile d’aimer Dieu et le monde tout ensemble , si ce n’est qu’on fût comme cet animal qui avait des yeux devant et derrière ; et celui-là , bien qu’il eût tout le soin qu’on peut imaginer , sera néanmoins affligé . Mais ceux qui font comme Zachée et la Magdelène , choisissent la meilleur part .
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DECLARATION .
L’homme dont il est parlé en ce chapitre , fut un avocat d’Osgie , qui était venu à Rome l’an du jubilé , plus par crainte que par amour . Celui qui a évité quelque danger doit prendre garde de retomber au premier état de son office ; autrement , s’il ne s’en donne de garde , il perdra ce qu’il désire , et les étrangers emporteront ce qu’il aura amassé . Ses enfants n’auront pas l’héritage , et lui mourra avec les étrangers avec de grandes douleurs . S’en étant retourné , il reprit son office , et tout se perdit comme il avait été prédit .
Chapitre 17
Il est ici traité d’une bonne doctrine que sainte Agnès donne à sa Fille pour bien et louablement vivre , et pour éviter une mauvaise vie , qui est ingrate à Dieu , en laquelle la force et la patience sont désignées par le chariot et par les quatre roues , ces quatre vertus : laisser parfaitement toutes choses pour l’amour de Dieu ; l’humilité ; aimer Dieu sagement ; mortifier et retenir la chair discrètement . On y traite aussi quelque choses pour les religieux .
Pour le jour de sainte Agnès .
Sainte Agnès parle à l’épouse de Jésus-Christ : Vous avez vu aujourd’hui , dit-elle , madame la Superbe sur le carrosse de l’orgueil .
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L’épouse lui répondit : Je l’ai vue et j’en sèche d’ennui , car la chair et le sang , la poudre et la fiente cherchent les louanges là où elle se devrait humilier , car qu’est autre chose cette ostentation , sinon une prodigue dissipation des dons de Dieu , une admiration vulgaire , une tribulation des justes , une désolation des pauvres , une provocation de l’ire de Dieu , un oubli de soi-même , un horrible et formidable jugement et une ruine des âmes ?
Sainte Agnès répondit : Réjouissez-vous , ô ma fille ! car vous êtes exempte de telles choses : c’est pourquoi je vous veux d’écrire un chariot , dans lequel vous vous pourrez mettre avec assurance . Le chariot donc sur lequel vous devez vous asseoir ; c’est la force et la patience dans les tribulations
En effet , quand l’homme commence de retenir la chair et de soumettre sa volonté à Dieu , ou la superbe le sollicite , élevant l’homme en soi et par- dessus soi , comme s’il était semblable à Dieu et aux hommes justes , ou bien l’impatience et l’indiscrétion le saisissent , et c’est , ou pour le ramener à ses premières habitudes, ou pour l’affaiblir tout à fait , et pour le rendre inutile au service de Dieu . Partant , il est besoin de patience et de discrétion , afin qu’il ne recule par l’impatience et ne persévère par indiscrétion , mais qu’il se conforme à ses forces et au temps .
Or , la première roue de ce chariot est une volonté parfaite de laisser toutes choses et ne désirer que Dieu , car il y en a plusieurs qui laissent les biens afin de s’affranchir des adversités , voulant néanmoins que rien ne leur manque pour entretenir la volupté et leur utilité . La roue de ceux-là ne tourne pas bien , car quand la pauvreté presse , ils désirent la suffisance ; quand l’adversité les talonne , ils souhaitent la prospérité : quand l’abaissement les éprouve , ils murmurent de l’ordre et de la disposition divine et affectent les honneurs ; quand on leurs commande ce qui les contrarie , ils cherchent leur propre liberté . Cette volonté est donc agréable à Dieu , qui ne désire avoir rien du sien , en prospérité ni en adversité .
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La deuxième roue est l’humilité , par laquelle l’homme se répute indigne de tout , mettant à toute heure ses péchés devant ses yeux , s’estimant coupable devant Dieu.
La troisième roue est aimer Dieu sagement . Celui-là aime Dieu sagement , qui , se regardant soi-même , a haine de ses péchés ; qui s’afflige des péchés du prochain et de ses parents , et se réjouit de leur progrès et avancement spirituel ; qui ne désire pas que son ami vive pour sa propre utilité et commodité propre , mais afin qu’il serve Dieu , et craint son avancement mondain , craignant qu’il n’offense Dieu . Une telle dilection est donc sage , qui hait le vice et fomente la vertu , et aime plus ceux qu’il voit plus fervents en l’amour de Dieu .
La quatrième roue est mortifier et retenir la chair avec discrétion , car quiconque est marié et pense ainsi : Voici que la chair m’entraîne désordonnément . Si je vis selon la chair , infailliblement j’offenserai le Créateur de la chair , qui peut blesser , rendre infirme , qui occira et jugera : c’est pourquoi , pour l’amour de Dieu , je veux refréner et mortifier ma chair , vivre comme je dois et avec ordre , pour l’honneur de Dieu .
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Quiconque pense de la sorte , demandant aide à Dieu , sa roue sera agréable à Dieu . Que s’il est religieux et pense en cette sorte : Voici que la chair m’emporte aux délices . Le temps , le lieu et l’occasion s’en présentent , et l’âge est apte à prendre mes plaisirs : néanmoins , je ne veux pas pécher par la grâce de Dieu , à raison de ma sainte profession , et pour avoir un bien passager et une délectation momentanée . Certes , ce que j’ai voué à Dieu est grand . Je suis entré pauvre , je veux sortir plus pauvre . Je dois être jugé de toutes choses ; partant , je me veux abstenir d’offenser Dieu , de scandaliser mon prochain et de me faire parjure .
Une telle abstinence est digne d’une grande récompense . Que si quelqu’un , étant en honneur et délices , pensait de la sorte : Voici que j’abonde de tout et que le pauvre manque de tout , et néanmoins , il n’y a qu’un Dieu pour tous ; qu’est-ce que j’ai mérité et qu’est-ce que j’ai démérité ? Qu’est-ce que la chair , sinon la pâture des vers ? Que sont tant de délices , sinon dédain et occasion d’infirmité , perte de temps et induction au péché ?
C’est pourquoi je retiendrai ma chair afin que les vers ne s’y engraissent , que je ne sois jugé plus rigoureusement , que je n’emploie le temps de pénitence en vain , et que si , par aventure la chair mal nourrie ne peut facilement être fléchie aux choses grossières comme un pauvre , je lui soustrairai néanmoins peu à peu quelques délices , sans lesquelles elle peut bien subsister , afin qu’elle ait la nécessité , et non la superfluité ; quiconque considère de la sorte et s’efforce de le faire autant qu’il peut , celui-là peut être appelé confesseur et martyr , car c’est un genre de martyre d’avoir des délices et n‘en user point , d’être en honneur et mépriser l’honneur , d’être grand devant les hommes et se sentir petit ; c’est pourquoi cette roue plaît grandement à Dieu
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Voyez , ma fille , que je vous ai figuré le chariot . Le cocher est votre ange , si toutefois vous n’ôtez son frein ni ne rejetez le joug , c’est-à-dire , si vous ne laissez en arrière les inspirations salutaires , relâchant vos sens et votre cœur aux choses vaines et babillardes .
Or , maintenant , je veux vous parler du chariot sur lequel cette dame (la superbe) était assise . Son chariot était impatience contre Dieu , contre son prochain et contre elle-même : contre Dieu , jugeant ses occultes jugements mal à propos , d’autant qu’ils ne réussissent point selon ses appétits et ses désirs ; maudissant le prochain , parce qu’elle ne pouvait avoir ses biens ; contre elle-même , manifestant extérieurement la fureur cachée de son cœur .
La première roue de ce chariot est l’orgueil , se préférant aux autre et jugeant les autres , méprisant les humble et désirant les honneurs .
La deuxième roue est la rébellion et la désobéissance aux commandements de Dieu , induisant en son cœur qu’elle est infirme , s’excusant par là et amoindrissant sa faute , couvrant la présomption de son cœur et défendant sa malice .
La troisième roue est la cupidité des richesses du monde , qui induit son cœur à la prodigalité et profluité dans les dépenses , qui est négligente et oublieuse de soi et des choses futures , et tiède et lâche en l’amour de Dieu .
La quatrième roue est l’amour-propre , par lequel elle bannit de soi la révérence et la crainte de Dieu, et ne considère sa fin ni son jugement .
Le cocher de ce chariot est le diable , qui la rend audacieuse et joyeuse à faire tout ce qu’il lui suggère dans son cœur .
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Les deux chevaux qui traînent le chariot sont l’espérance d’une longue vie et une volonté de péché jusqu’à la fin . Leur frein est la honte de se confesser , qui , certainement , entraîne et emporte tellement l’âme sous l’espoir d’une longue vie , et la charge tellement de péchés qu’elle ne sait en sortir , ni par honte , ni par crainte , ni par avertissements salutaires . Mais quand elle pensera être assurée , elle tombera dans l’abîme , si la grâce de Dieu ne l’en préserve .
ADDITION
Notre-Seigneur parle de la même dame , disant : Elle est une vipère qui a sa langue lubrique , le fiel du dragon dans son cœur , un venin mortifère en sa chair , c’est pourquoi ses œufs sont vénéneux Heureux sont ceux qui n’éprouvent sa charge lourde et pesante !
Chapitre 18
Sainte Brigitte loue la sainte et glorieuse Vierge .Réponse gracieuse de la Vierge à sa fille , d’autant que , par elle , plusieurs filles , apôtres et saints , sont allumés en l’amour , et de plusieurs autres biens .
O douce Vierge Marie ! dit l’épouse , bénie soyez-vous d’éternelle bénédiction , car vous êtes vierge avant l’enfantement , vierge après , vierge avec l’époux , vierge aussi sans doute , lors même que l’époux (saint Joseph) est en doute ! Partant , bénie soyez-vous , puisque vous êtes vierge et mère ; puisque par-dessus toutes , vous êtes très-chère à Dieu : puisque vous êtes très-pure par-dessus les anges ; puisque vous êtes pleine de foi avec les apôtre ; puisque vous avez été très pleine d’amertume ; puisque vous êtes très signalée en abstinence par-dessus les confesseurs , très excellente en continence et chasteté par-dessus les vierges !
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Partant , que ce qui est au ciel et ce qui est en la terre vous bénisse , puisque par vous , Dieu Créateur est fait homme . Par vous , le juste a trouvé grâce , le pécheur pardon , la mort la vie , et le banni retourne en sa patrie .
La Sainte Vierge répondit : Il est écrit que Pierre rendant témoignage que mon Fils était Fils de Dieu, il lui a été répondu : Bienheureux êtes-vous , saint Simon , car la chair et le sang ne vous l’on pas révélé ! J’en dis de même maintenant : l’âme charnelle ne vous a pas révélé cette salutation , mais celui qui est sans commencement et sans fin . Partant , soyez humble , car je vous serai miséricordieuse ; saint Jean-Baptiste , comme il vous l’a promis , vous sera très doux ; saint Pierre vous sera mansuet , et saint Paul vous sera fort comme un géant ; et lors saint Jean vous dira : Ma fille , soyez assise sur mes genoux ; saint Pierre vous dira : Ouvrez la bouche et je vous repaîtrai d’une viande douce , et saint Paul vous revêtira et vous armera des armes de l’amour ; et moi , qui suis la Mère , je vous présenterai à mon fils .
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Vraiment , ma fille , vous pouvez entendre ceci spirituellement , car en Jean , qui signifie grâce de Dieu , est marquée la vraie obéissance , car il était doux : doux à ses parents , à cause de sa grâce admirable ; doux aux hommes , à raison de son excellente prédication ; doux à Dieu , pour l’obéissance et la sainteté de sa vie . Il a enfin obéi en sa jeunesse ; il a obéi en prospérité et en adversité ; il a obéi avec humilité , pouvant être honoré , et il a obéi en sa mort . C’est donc l’obéissance qui dit : Asseyez-vous sur mes genoux , c’est-à-dire , descendez aux choses humbles , et vous monterez aux hautes ; laissez les amères , et vous obtiendrez les douces ; laissez la propre volonté , si vous voulez être petite ; méprisez les choses terrestres ,et vous serez céleste , retranchez les superflues , et vous jouirez d’une abondance spirituelle .
En Pierre est marquée la foi de la sainte Eglise , car comme la foi de Pierre a persévéré jusqu'à la fin, de même la foi de la sainte Eglise demeurera permanente jusqu’à la fin . Donc , Pierre , c’est-à-dire , la sainte foi , vous dit : Ouvrez la bouche , et vous goûterez une viande très bonne ; c’est-à-dire , ouvrez l’entendement , et vous trouverez en la sainte Eglise une viande très douce , c’est-à-dire , le précieux corps de Notre-Seigneur , au saint et auguste sacrement de l’autel . Vous y trouverez la vieille et nouvelle loi , les explications des docteurs , la patience des martyrs , l’humilité des confesseurs , la chasteté des vierges et le fondement de toutes les vertus . Partant , cherchez en l’Eglise de saint Pierre la sainte foi , et l’ayant trouvée , retenez-la en mémoire et consommez-la par œuvres .
En saint Paul est marquée la patience , car lui fut fervent contre ceux qui combattaient la sainte foi , se réjouissant dans les tribulations , dans l’espérance , patient en ses infirmités , compatissant avec les tristes , humble en ses vertus , hospitalier aux pauvres , miséricordieux aux pécheurs , maître et docteur de tous , persévérant jusqu’à la fin en l’amour de Dieu .
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Donc Paul , c’est-à-dire , patience , vous armera des armes de vertu , car la patience est vraiment affermie et fondée par les exemples ; et la patience de Jésus-Christ et de ses saints , a allumé l’amour de Dieu en son cœur , et embrasé son âme pour faire de grandes choses ; elle a rendu son âme humble , douce , miséricordieuse et fervente aux choses célestes , ayant soin de son avancement et de persévérer en ce qu’il avait entrepris .
Tout homme donc que l’obéissance nourrit au genou de l’humilité , la foi le nourrit d’une viande douce , et la patience le revêt des armes des vertus . C’est celui-là que moi , Mère de miséricorde , introduis à mon Fils , qui le couronnera de la couronne de sa douceur , car en lui il y a une force incompréhensible , une incomparable sagesse , une vertu puissante , une charité admirable , et pas un ne le ravira à sa main .
Néanmoins , ma fille , bien que je vous parle à vous seule , j ‘entend pourtant par vous tous les hommes qui suivent la foi sainte par les œuvres de charité , car comme en un homme Israël , j’entendais tout le peuple d’Israël , aussi par vous sont entendus tous les vrais fidèles .
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Sainte Brigitte parle à Notre-Dame , de la vertu ,de la louange , De la beauté . Réponse de la Vierge, confirmant sa louange . Manière dont le Fils compare la Vierge à un orfèvre .
Pour le jour de la fête de la Nativité de la Sainte Vierge .
O douce Marie ! beauté toute nouvelle , beauté toute resplendissante , venez à mon aide , afin que ma laideur et ma difformité soient ôtées , et que la charité s’allume en moi , car votre beauté donne trois choses à la tête :
1° elle purifie la mémoire , afin que les paroles de Dieu entrent doucement et avec goût ;
2° afin que ce qu’on a ouï soit retenu avec délectation ;
3° afin qu’on le communique au prochain avec amour .
Votre beauté donne aussi au cœur trois choses : 1° elle ôte le faix de la paresse et de la lâcheté , si on considère votre charité et votre humilité ; 2° elle donne des larmes aux yeux , si on contemple votre pureté et votre patience ; 3° elle donne aux cœur , pour l’éternité , la ferveur de douceur si sincèrement qu’on pense à votre beauté . Vous êtes vraiment Dame , beauté très précieuse , beauté très désirable , car vous vous êtes donnée pour secours aux infirmes , en soulas aux affligés , et à tous en médiatrice .
Tous ceux donc qui oiront que vous naîtrez ou que vous êtes née , peuvent bien dire : Venez , ô beauté très éclatante , et ôtez notre opprobre ! Venez , ô beauté très douce , et adoucissez notre aigreur ! Venez , ô beauté très puissante , et affranchissez notre captivité ! Venez , ô beauté très honnête , et effacez notre laideur ! Bénie et vénérable soit une telle beauté , que tous les patriarches désiraient voir , de laquelle tous les prophètes ont chanté les louanges , et de laquelle tous les élus se réjouissent !
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La Mère de Dieu répondit : béni soyez-vous , mon Dieu ! Ma Beauté vous a fait dire ces paroles . Partant , je vous dis que la beauté très ancienne , éternelle et très éclatante , qui m’a faite et créée , vous confortera . La beauté très ancienne et nouvelle , renouvelant toutes choses , qui a été en moi et qui est sortie de moi , vous enseignera des merveilles . La beauté très désirée , réjouissant toutes choses , enflammera votre âme de son amour . Partant , confiez-vous en Dieu , car quand la beauté céleste apparaîtra , toute la beauté terrestre sera confondue et sera réputée comme fiente.
Après , le fils de Dieu dit à sa Mère : O Mère bénie , vous êtes semblable à l’orfèvre qui prépare un bel ouvrage . Tous ceux qui verront cet ouvrage s’en réjouiront , et alors , ils offriront leurs pierres précieuses , ou bien de l’or pour parfaire cet ouvrage . De même vous , ma Mère bien-aimée , vous donnez secours à tous ceux qui s’efforcent de venir à Dieu et ne laissez aucun vide de vos consolations . Partant , vous pouvez être très bien appelée le sang de mon cœur , car comme , par le sang , tous les membres du corps sont vivifiés , confortés et corroborés , de même , par vous , tous ressuscitent du péché et se rendent fructueux pour Dieu .
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Chapitre 20
Sainte Agnès instruit sainte Brigitte , sa fille spirituelle , de ne reculer jamais et de n’avancer plus qu’on ne doit . De la manière dont il se faut garder aux abstinences qu’on commence et en celles qui sont commencées , et quelle continence est agréable à Dieu .
Sainte Agnès parle à sainte Brigitte , sa fille , disant : Ma fille , soyez ferme et constante , et ne reculez pas , car le serpent mordant et mortifère vous talonne ; ni aussi , n’avancez pas plus qu’il ne faut , car la pointe de la lance est devant vous , de laquelle vous serez blessée , si vous avancez plus qu’il n’est juste et raisonnable . Or qu’est-ce que reculer , sinon se repentir ès tentations d’avoir pris l’austérité et les choses salutaires , et vouloir retourner aux habitudes accoutumées , et se plaire à penser de sales pensées ? Que si telles choses délectent l’esprit , elles aveuglent à toute sorte de biens , et peu à peu retirent de tout bien . Vous ne devez pas aussi avancer plus qu’il ne faut , c’est-à-dire , vous affliger par-dessus vos forces , ou imiter les autres en leur bonnes œuvres par-dessus les forces de la nature , car de toute éternité , Dieu a disposé que le ciel serait ouvert aux pécheurs par les œuvres de charité et d’humilité , la mesure et la discrétion étant gardées partout .
Or , maintenant , le diable envieux suggère aux imparfaits de jeûner par-dessus leurs forces , de faire des choses inouïes et insupportables , de vouloir imiter ce qui est plus parfait , sans considérer ses forces et ses infirmités , afin que les forces manquant , l’homme continue ce qu’il a mal commencé , pour la honte des hommes plus que pour l’amour de Dieu , ou bien qu’il défaille plus tôt qu’il n’aurait fait , à raison de son indiscrétion et de son infirmité . C’est pourquoi mesurez-vous en vous même , c’est-à-dire , considérez vos forces et votre infirmité, car les uns sont de leur nature débiles , les autres forts ; les uns sont fervent par la grâce de Dieu , les autres joyeux de leur bonne inclination
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Partant , gouvernez votre vie selon le conseil de ceux qui craignent Dieu , de peur que , par inconsidération , le serpent ne vous morde , ou que la pointe du glaive vénéneux , c’est-à-dire , la suggestion pestiféré du diable , ne décerne votre esprit , que vous vouliez être vue ce que vous n’êtes pas , ou que vous désiriez être ce qui surpasse vos forces et votre vertu . Car il y en a quelques-uns qui croient obtenir le ciel par leurs mérites , lesquels Dieu préserve des tentations de Satan par une occulte dispensation . II y en a d’autres qui pensent plaire et satisfaire à Dieu par leurs bonnes œuvres pour les excès qu’ils ont commis , l’erreur desquels est tout à fait damnable . Que si l’homme tuait son corps cent fois , il ne pourrait avec mille répondre à un , car c’est lui qui donne le pouvoir et le vouloir , le temps et la santé ; c’est lui qui remplit nos désirs de toute sorte de biens , qui donne des richesses et la gloire ; c’est lui qui mortifie et vivifie , qui exalte et humilie , et toutes choses sont en sa main ; partant , c’est à lui seul qu’il faut rendre l’honneur , et les mérites des hommes (1) ne sont d’aucun prix devant Dieu .
(1) Qui sont faits sans la charité .
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Quand à ce que vous admirez de la Dame qui , venant aux indulgences , a été corrompue , je réponds: Il y a des femmes qui ont la continence , mais qui n’ont point d’amour , chez lesquelles la délectation n’est pas grande ni la tentation violente , et qui , si on leur présentait des partis honorables , les accepteraient ; mais parce qu’il ne s’en présente pas de grands , elles méprisent les petits . De là vient que , de leur continence ,sortent une superbe et une présomption , à raison de quoi il arrive par la permission divine qu’elles tombent comme vous avez ouï . Que s’il s’en trouve quelqu’une qui , pour tout le monde , ne voudrait être corrompue , il est impossible qu’une telle soit abandonnée aux choses sales . Néanmoins , s’il arrivait qu’une telle tombât , ma justice occulte et cachée le permettant ainsi , cela lui réussirait à mérité et non à péché , pourvu que cela fût contre sa volonté .
Partant , sachez pour certain que Dieu est comme un aigle qui regarde d’en haut les choses basses : que s’il voit quelque chose s’élever de la terre , soudain il abaisse cela même ; que s’il voit quelque chose de vénéneuse contre lui , il le perce comme une sagette ; que si quelque chose d’immonde distille de plus haut sur lui , il le secoue fortement comme une oie , et le jette loin de lui . De même en fait Dieu . S’il voit les cœurs des hommes se dresser contre lui , ou par la fragilité de la chair , ou par les tentations du diable , et néanmoins contre la volonté de l’esprit , soudain , comme une fronde , il met cela à néant par l’inspiration de componction ou de pénitence , et fait retourner l’homme à soi-même et à Dieu .
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Que s’il voit que le venin de la cupidité de la chair ou des richesses entre dans le cœur , tout à l’instant il outreperce la volonté de la sagette de son amour , afin que , si l’homme vient à persévérer dans le péché (1) , il ne soit séparé tout à fait de Dieu . Que si quelque chose immonde du péché de superbe , ou quelque sale luxure , vient à solliciter l’esprit , tout aussitôt comme une oie , il le chasse par la constance de la foi et de l’espérance , afin que l’âme ne s’endurcisse dans les vices , ou que l’âme unie avec Dieu ne soit coupablement souillée . Partant , ô ma fille ! considérez en toutes vos œuvres et toutes vos affections , la miséricorde et la justice , et pensez à la fin .
(1) C’est-à-dire , à la tentation , qui est appelée tentation , à raison qu’elle induit à péché , y consentant .
Chapitre 21
L’épouse parle à Dieu de sa vertu et magnificence . Réponse de La Vierge à sa fille , la consolant . Comment les bons serviteurs de Dieu ne doivent jamais cesser de prêcher et d’avertir les hommes , soit qu’ils se convertissent , soit que non , ce qu’ils prouve par un exemple .
Pour le jour de saint Jérôme .
Béni soyez-vous , mon Dieu , qui êtes un et trine , trine en personnes et un en nature ! Vous êtes la même bonté et la même sagesse , la même beauté et puissance , la même justice et vérité , par lesquelles toutes choses sont , vivent et subsistent . Vous êtes semblable à la fleur qui croît singulièrement dans les champs ; tous ceux qui s’en approchent , en sentent l’odeur à l’odorat , l’allègement au cerveau , le plaisir aux yeux , la force en tout le reste des membres : de même tous ceux qui s’approchent de vous sont rendu beaux par le délaissement du péché , sont faits plus sage , suivant , non par la volonté de la chair, mais la vôtre ; ils sont fait plus justes , suivant l’utilité de l’âme et l’honneur de Dieu .
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Partant , ô Dieu très pieux ! faites-moi la grâce d’aimer ce qui vous plaît , de résister courageusement aux tentations , de mépriser toutes les choses mondaines , et de me souvenir de vous incessamment .
La Mère répondit : Saint Jérôme vous a mérité cette salutation , lui qui , se retirant de la fausse sagesse , a trouvé la vraie ; qui , méprisant l’honneur terrestre , a gagné Dieu même . Heureux un tel Jérôme ! Heureux ceux qui imitent sa doctrine et sa vie ! Il a été le protecteur des veuves , le miroir des avançants et le docteur de toute pureté . Mais dites-moi , ma fille , qu’est-ce qui sollicite et touche votre cœur ?
Elle répondit : Une pensée me vient souvent en la mémoire , qui me dit : Si vous êtes bonne , votre bonté vous suffit . Que vous importe de promouvoir les autres , d’enseigner les meilleurs , qui ne sont ni de votre ordre ni de votre condition ? Cette pensée obscurcit tellement mon esprit qu’il s’oublie soi- même et se refroidit entièrement de la charité .
La Mère répondit : Cette pensée en éloigne plusieurs de Dieu , car le diable empêche les bons qu’ils ne parlent aux mauvais , de crainte qu’ils ne les convertissent . Il empêche aussi qu’on ne parle aux bons , de peur qu’ils ne soient élevés à un plus haut degré de perfection , car les bons , oyant la doctrine des bons , sont poussés et attirés à plus grande perfection et à plus grands mérites .
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Comme cet eunuque , lisant Isaïe , tomba aux peines petites de l’enfer , saint Philipe , lui allant au-devant , lui enseigna le chemin abrégé pour aller au ciel , et l’éleva à un lieu plus heureux , de même saint Pierre fut envoyé à Cornélius . Si Cornélius fût auparavant mort , il fût arrivé , à cause de sa foi, au réfrigère , mais saint Pierre , venant , le mit à la porte de vie . De même saint Paul vint à saint Denis , et le conduisit aux récompenses bienheureuses .
Donc , les amis de Dieu ne se doivent rendre lâches au service de Dieu , mais travailler afin que le méchant devienne bon , et que le bon parvienne à la perfection , car quiconque aurait une bonne volonté de mettre dans les oreilles de tous les passants que Jésus-Christ est vrai Fils de Dieu , et s’efforcerait autant qu’il pourrait de convertir les autres , bien qu’aucun ou bien peu se convertissent , néanmoins , en obtiendrait autant de récompense que si tous s’étaient convertis . Comme je vous dis par exemple : si deux mercenaires , par le commandement de leur maître , avaient foui une montagne fort dure , que l’un trouvât de l’or tout épuré et que l’autre ne trouvât rien , ces deux , à raison de leur labeur et bonne volonté , seraient dignes d’une récompense égale ; comme saint Paul , qui en a converti plus que les autres apôtres , qui en convertissaient peu , tous néanmoins en avaient une même volonté et désir ; mais l’ordre , la disposition occulte et cachée en ce fait , le permettait autrement : c’est pourquoi il ne faut pas cesser de prêcher , bien que peu ou pas un ne reçoive la parole divine , car comme l’épine conserve la rose et l’âme porte son maître , de même le diable , épine du péché , profite aux élus par les tribulations , comme les épines conservent la rose , afin que , par la présomption intérieure , ils ne s’évaporent en vanité , et comme un âne , il le porte aux consolations divines et aux plus grandes récompenses .
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Chapitre 22
Il est ici parlé de la manière dont la malice des hommes de ce temps surpasse les ruses de Satan . Comme les hommes maintenant sont plus prompts à pécher que le diable à tenter .
De la sentence qui est fulminée contre telle sorte de personnes. En quelle sorte les amis de Dieu doivent courageusement travailler à prêcher , et de la science infuse en ses amis .
Le Fils de Dieu parle , disant : Si je me pouvais troubler , à bon droit et raison dirais-je maintenant : Je me repens d’avoir fait l’homme , car l’homme maintenant est comme un animal qui court franchement dans les pièges ; et bien qu’on l’en avertisse , néanmoins il y court toujours , suivant les appétits de sa volonté . Il ne faut pas non plus maintenant en imputer la faute au diable , qu’il trahisse et violente l’homme , puisque l’homme prévient sa malice . Il fait comme les chiens de chasse : au commencement , on les mène accouplés , et puis , étant accoutumés à la chasse , à prendre et à dévorer les animaux , ils préviennent le chasseur , en chassant et en courant : de même maintenant , l’homme accoutumé à pécher est plus prompt à pécher que le diable à tenter . Ni n’est pas de merveilles s’il y a longtemps que le siège apostolique ne plaît pas à Dieu en sainteté de vie , comme il faisait en la primitive Eglise : c’est pourquoi le reste de ses membres se sont rendus débiles et languissants . Ni on ne considère pas pourquoi Dieu riche s’est fait pauvre , afin qu’il enseignât à mépriser les choses périssables et à aimer les choses célestes . Mais que l’homme , pauvre de sa nature , ait été fait riche des fausses richesses , c’est ce que tous désirent d’imiter , et il s’en trouve bien peu qui ne le suivent.
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C’est pourquoi le laboureur viendra du très puissant affiné par le très sage , qui ne cherche pas les terres et la beauté corporelle , qui ne craint point la force et la puissance des plus forts ni les menace des princes , qui n’a point d’acception de personnes , qui sèmera les terres des corps des hommes , et ruinera les bâtiments de l’esprit , qui donnera les corps à la vermine , et les âmes à ceux qu’elles ont servis .
C’est pourquoi , que mes amis auxquels je vous enverrai travaillent vitement et généreusement , car au dernier jour , il ne sera pas temps de faire ce que je dis , mais bien maintenant ; et les yeux de plusieurs qui vivent maintenant , le verront , afin que ce qui est écrit soit accompli : Que leurs femmes soient veuves ; que leurs fils soient sans père , et que tout ce qui est désirable leur soit ôté . Néanmoins , quiconque vient vers moi avec humilité , moi , qui suis Dieu miséricordieux , je le reçois avec joie . Or , ceux qui auront accompli par œuvres les fruits et devoirs de la justice , à ceux-là je me donnerai moi-même , car il est juste et équitable que la maison soit nettoyée , en laquelle le roi doit entrer ; que le verre soit nettoyé , afin qu’on y voie clairement la boisson ; qu’on frappe et qu’on batte le blé , afin qu’il se sépare de l’arête .
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Néanmoins , si après l’hiver vient l’été , quand à moi , après l’affliction ,je donnerai la consolation à ceux qui désirent être petits , et qui considèrent et estiment plus les choses célestes que les choses terrestres . Néanmoins , comme la naissance et la mort de l’homme ne sont pas en même temps , de même toutes choses s’accompliront maintenant en leur temps .
Sachez aussi que je me veux comporter avec quelques-uns selon la maxime commune :Frappez-le au col , et il courra , et la tribulation le contraindra de se hâter . Avec les autres , je ferai comme il est écrit : Ouvrez votre bouche , et je la remplirai . Aux autres , je dirai en les consolant et les inspirant : Venez , ô idiots et simples , et je vous donnerai parole et sagesse , auxquelles les babillards ne pourront résister . J’en ai fait de même ces jours passés : je remplis les simples de ma sagesse , et ils résistent aux doctes . J’ai arraché ces grands discoureurs et puissants , et soudain ils se sont évanouis, ni n’est de merveille , car j’ai dit aux sages , qu’ils coupassent les langues des serpents , comme vous avez ouï , et ils n’ont pas voulu mourir ; ni la Mère , qui a été la Vierge , n’a pas voulu boucher la bouche pour éteindre le feu de la cupidité allumé dans le cœur de ses enfants , comme j’ai dit , c’est pourquoi je les ai ôtés et ai coupé leurs langues .
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Saint Jean l’Evangéliste parle à la Sainte Vierge Marie d’un hypocrite fin et méchant . Réponse de la Vierge . De quelle manière il est devenu tel . Des illusions que le diable lui donne . Comment , par sept signes , un bon esprit est connu , et par autant , le malin esprit .
Saint Jean l’Evangéliste dit à la mère de Dieu : Oyez , ô Vierge et Mère d’un Fils unique , Mère du Fils unique de Dieu , Créateur et Rédempteur de tous , oyez , combien celui-ci est trompé du diable , combien il se peine pour acquérir ce qui est impossible ; de combien de choses il est instruit par l’esprit de mensonge ; combien il s’éloigne de Dieu en espèce de brebis et en forme de lion . J’ai enseigné qu’il y a trois choses qui donnent témoignage au ciel et en terre : le Père , le Fils et le Saint-Esprit . Or , à celui-là , le malin esprit lui porte témoignage qu’il est tout saint , non en effet , mais par tromperie de Satan et dissimulation , lequel le Père ne fortifie point par sa puissance , le Fils ne vivifie point par sa sagesse ,ni le Saint-Esprit n’enflamme , point par son amour : ce n’est pas de merveille , car il aspire à la puissance contre la puissance du Père ; il veut être sage contre la sagesse du Fils ; il est enflammé , mais d’un autre amour que du
Saint-Esprit .
Partant , dit saint Jean à la Sainte Vierge Marie , priez votre Fils , ou afin qu’il soit bientôt enlevé , afin qu’il ne perde les autres , ou qu’il soit soudain humilié pour ses fautes .
p 199
La Mère de Dieu répondit : Oyez , vous , ô homme vierge ! Vous êtes celui qu’il a plu à Dieu d’appeler de ce monde par une mort si douce qu’elle s’approchait de la mienne , car je m’endormis quasi en la séparation de l’âme et du corps , et m’éveillai en une joie perpétuelle . Ni cela n’est pas de merveille , d’autant que j’ai souffert plus de peine et d’amertume à la mort de mon Fils ; c’est pourquoi il a plu à mon Dieu de me tirer du monde avec une mort fort douce et très glorieuse . Or , vous , entre tous les apôtres , m’avez approchée de plus près et avez expérimenté des signes d’un plus grand amour par-dessus les autres . La passion de mon Fils vous a été autant amère par-dessus les autres , que vous l’avez de plus près et plus clairement regardée ; et d’autant que vous avez vécu plus retiré et plus loin de vos frères , et quasi en leur éloignement , vous avez été martyr ; c’est pourquoi il a plu à Dieu de vous appeler du monde , par la plus douce mort après la mienne ; et d’autant que la Vierge vous fut recommandée , à vous qui êtes vierge , c’est pourquoi ce que vous avez demandé sera fait et ne sera point différé .
Toutefois ; mon fils , je veux vous montrer l’état et la manière de celui dont nous parlons : il est comme le serviteur d’un batteur de monnaie , c’est-à-dire , du diable , qui fond et bat monnaie (c’est-à-dire ,celui qui le sert) par des suggestions et tentations , jusques à ce qu’il l’ait attiré à ses vouloirs.
Quand il a corrompu les volontés des hommes , et les a inclinées aux délectations de la chair et de l’amour du monde , soudain il imprime en lui comme un cachet gravant sa forme et son inscription , car lors il paraît assez , des signes extérieurs . qu’il aime de tout son cœur ; Or , quand l’homme accomplit par œuvre les désirs de son cœur , et s’enveloppe plus dans les affaires du monde que son état et sa condition ne permettent , et ferait , s’il pouvait , comme il veut , lors on connaît que c’est la parfaite monnaie du diable .
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Néanmoins , autre est la monnaie du diable , autre celle de Dieu . La monnaie de Dieu est d’or , luisante , précieuse et de bon aloi . De même toute âme en laquelle Dieu a imprimé son cachet , est reluisante de la divine charité , habituée à la patience , précieuse par la persévérante continuation aux bonnes œuvres . Donc , toute âme qui est bonne est faite par la vertu de Dieu telle , et est éprouvée par plusieurs tentations , par lesquelles l’âme , venant à penser à son origine et à ses défauts , et par la patience et pitié que Dieu en a , devient autant précieuse devant Dieu qu’elle est humble , patiente, et soigneuse de son salut . Or , la monnaie du diable est de cuivre et de plomb : de cuivre , d’autant qu’elle a quelques rapports avec l’or , en ce qu’il en a la couleur , et qu’il est flexible, bien que non pas comme l’or . De même l’âme de l’injuste juge tout le monde ; elle se préfère à tous , mais elle est inflexible à l’humilité et aux œuvres d’humilité , molle en ses œuvres , difficile à être rappelée de ses pensées , admirable au monde , contemptible à Dieu . La monnaie du diable est aussi de plomb ,d’autant qu’elle est difforme , molle , flexible et pesante . De même l’âme de l’injuste est difforme en ses voluptueuses affections , pesante en la cupidité du monde , flexible et changeante comme un roseau , à tout ce que le diable suggère à son esprit ; voire , quelquefois , elle est plus facile à mal faire que le diable à tenter .
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De même est le serviteur du monnoyeur , qui , ennuyé de persévérer dans les observances régulières qu’il avait vouées , songea à des voies pour plaire au monde par la simulation de sa sainteté , pour nourrir plus largement sa chair ; et soudain le diable mit en son esprit quelques songes et mensonges noirs et impossibles , et qui n’arriveront jamais , car sa vie sera abrégée et n’aura point l’honneur qu’il désire vraiment .
Quand on trouve quelque nouvelle monnaie , en quelque lieu que ce soit , il la faut envoyer à quelque homme sage qui en sache le poids et le cachet . Mais où trouvera-t-on celui-là ? Que si on en trouve , il se soucie bien peu , voire nullement de voir et considérer si cette monnaie est vraie ou fausse . Partant , en telles choses , il n’y a qu’un seul conseil que je vous vais donner par un exemple. Si on donnait de l’argent à un chien , il ne le recevrait point ; mais si on lui jetait un lopin de chair , sans doute il le prendrait . De même , si quelqu’un s’approche d’un autre et qu’on lui dise : Il est hérétique , on ne s’en soucie point , tant la charité est refroidie . Que si on dit : Il a de l’argent , tout le monde y court . Partant , soudain arrivera ce que saint Paul dit : J’anéantirai la sagesse des sages ; je les humilierai , et j’exalterai les humbles .
Vous pourriez , ma fille , connaître et discerner l’esprit immonde d’avec l’Esprit Saint , par sept choses :
1° l’Esprit de Dieu fait que l’homme méprise l’honneur du monde , et ne l’affectionne pas plus dans son cœur que du vent .
2° L’âme aime chèrement Dieu , et les délectations de la chair se refroidissent en elle .
3° Il lui inspire la patience dans les adversités et la seule glorification en Dieu .
4° Il incite l’esprit , et excite la volonté à l’amour du prochain et à la compassion , voire des ennemis
5° Il lui inspire la chasteté entière , voire l’abstinence de ce qui lui est licite .
6° Il la fait confier en Dieu en toute ces tribulations et se glorifier en elles .
7° Il lui donne un désire de vouloir mourir , et être plutôt avec Jésus-Christ , que de demeurer au monde avec danger , en prospérant avec danger de s’y salir .
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Au contraire , le malin esprit fait sept autres choses :
1° il rend le monde doux et dégoûté du ciel .
2° Il fait désirer les honneurs et s’oublier soi-même .
3° Il excite la haine dans son cœur et l’impatience .
4° Il fait l’audacieux contre Dieu , et l’opiniâtre , et adheurte ès pensées de son esprit .
5° Il rend les péchés petits , et les excuses en se justifiant .
6° Il suggère l’inconstance de l’esprit et l’impureté de la chair .
7° Il fait croire qu’on vivra longtemps , et excite la honte de confesser ses fautes . Partant , soyez soigneuse et attentive à vos pensées , de peur d’être trompée et déçue par cet esprit .
DECLARATION .
L’homme dont il est parlé en ce chapitre , fut un prêtre de l’ordre de Cîteaux , qui , après avoir été apostat dix-huit ans , étant contrit , dolent et repentant de sa faute , retourna à son monastère , où il disait qu’il était impossible que quelqu’un fût damné , que Dieu ne parlait à aucun de ce monde , et qu’aucun ne pouvait voire la face de Dieu avant le jour du jugement .
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Sainte Brigitte voyant cela , le Saint-Esprit lui dit : Allez à ce frère , et dites-lui : Oh ! vous ne voyez pas comme je vois . Comment encore en votre vieillesse , le démon occupe-t-il votre esprit et tient liée votre langue ? Dieu est éternel , et éternelles sont ses récompenses . Partant , retournez vitement à Dieu sans délai et avec un cœur parfait , car sans doute vous ne lèverez pas de la maladie ni du lit où vous êtes gisant . Si vous croyez , vous serez un vase honorable à Dieu .
Ce bon religieux , oyant ceci , fondit en larmes et rendit grâces à sainte Brigitte . Il corrigea si parfaitement sa vie qu’ayant fait assembler ses frères , il leur dit à l’heure de la mort : O mes frères , il m’a été certifié que Dieu m’a fait miséricorde , a reçu ma contrition , et qu’il me pardonnera . Priez pour moi , car je crois tout ce que croit la sainte Eglise , notre Mère . Et de la sorte , ayant reçu les saints sacrements , il décéda .
Chapitre 24
La Sainte Vierge Marie dit à sa fille sainte Brigitte comment il se faut comporter entre les serviteurs de Dieu , contre les impatients , et comment la superbe est signifiée par un muid de vin .
La sainte Mère de Dieu parle : Quand un muid de vin est chaud et bouillant , il croît et s’enfle , et quelques exhalaisons et écumes montent , tantôt s’enflant , tantôt diminuant tout à coup . Or , tous ceux qui sont auprès du tonneau , considérant que ces exhalaisons s’enflent soudain , et que tels transports et bouillons viennent de la ferveur du vin et marquent la chaleur qui est au dedans , attendent patiemment . La fin de cela est que le vin soit parfait .
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Or , tous ceux qui environnent le tonneau , qui approchent par trop le nez de ces bouillons de vin , éprouvent en eux deux choses : ou ils éternuent par trop , ou leur cerveau y est par trop blessé .
De même en est-il dans les choses spirituelles , car il arrive quelquefois que les cœurs de quelques-uns s’enflent de vanité et bouffissent d’orgueil et d’impatience . Les hommes de vertu solide , considérant ces élèvements , disent qu’infailliblement ils procèdent , ou de l’incompétence de l’esprit , ou des mouvements charnels non retenus . C’est ce qui leur fait aussi attendre la fin et souffrir les paroles pour en voir l’origine , sachant qu’après la tempête , le calme arrivera , et que la patience est plus forte que celui qui surmonte les villes , d’autant qu’elle surmonte soi-même , ce qui est plus difficile . Or , ceux qui sont trop impatients et rendent également parole pour parole , sans avoir égard aux récompenses glorieuses promises à la patience , et sans considérer combien contemptible et méprisable est la faveur mondaine , ceux-ci tombent en infirmité d’esprit , par les tentations dont ils sont assaillis et pour l’impatience , car ils s’approchent de trop près de l’émotion du tonneau , c’est-à-dire , du bruit des paroles qui ne sont que vent , et néanmoins les prennent trop à cœur .
Partant , quand vous verrez quelques-uns être impatients , mettez-vous , pour aide et secours , Dieu pour garde à votre bouche , et n’abandonnez jamais les œuvres que vous avez bien commencées pour les paroles d’impatience , mais dissimulez autant qu’il est juste ce que vous avez ouï , comme si vous ne l’aviez ouï , jusqu’à ce que ceux qui veulent trouver l’occasion d’impatience , expriment par parole ce qu’ils ont dans leur cœur .
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La Sainte Vierge Marie , Mère de Dieu , avertit sa fille que L’homme ne doit se soucier des désirs de la chair , mais bien nourrir le corps , selon une modérée nécessité ; et en quelle manière l’homme est auprès de son corps , et non dans son corps .
La Mère de Dieu parle à sainte Brigitte , lui disant : Vous devez être comme une épouse qui est devant le marchepied , laquelle , dès qu’elle est appelée par l’époux , se montre préparée et disposée à suivre ses volontés .
Ce marchepied est le corps qui couvre l’âme : il le faut laver continuellement , l’éprouver et le tenter, car le corps est comme un âne ayant besoin d’une nourriture modérée , afin qu’il ne soit luxurieux ; d’un labeur discret , afin qu’il ne s’enorgueillisse ; d’un fouet continuel , afin qu’il ne soit lâche .
Demeurez donc auprès du marchepied , c’est-à-dire , auprès de votre corps , et non pas dans le corps, sans vous soucier des désirs charnels , mais seulement de le nourrir selon les nécessités , car celui-là est auprès du corps , et non dans le corps , qui retient son corps , non de la nécessité des viandes , mais de la volupté d’icelles . Demeurez aussi auprès du marchepied , méprisant les voluptés de la chair , honorant Dieu , et vous employant toute pour l’honneur de Dieu .
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C’est de la sorte qu’exposèrent pour Dieu leurs corps comme des vêtements , ces deux qui , à toute heure , étaient disposés à faire la volonté de Dieu , quand il plaisait à Dieu de les appeler , car ils n’avaient pas besoin de faire un long chemin pour trouver celui qu’ils avaient partout présent ; les charges lourdes et pesantes n’opprimaient pas leur épaules , car méprisant tout , ils étaient au monde seulement de corps : c’est pourquoi ils se sont fraîchement envolés au ciel , car rien ne les empêchait que quelque aride vêtement très bien discipliné , duquel s’étant dépouillés , ils obtinrent l’accomplissement de leur désirs . De même celui-ci est tombé périlleusement , s’est relevé sagement, s’est défendu virilement , a combattu constamment et a persisté avec persévérance , c’est pourquoi il sera couronné éternellement , et sera éternellement en présence de Dieu
Chapitre 26
La Sainte Vierge Marie dit à sa fille sainte Brigitte quelles sont les œuvres vertueuses qui méritent la vie éternelle , et quelles non . Du très grand mérite de l’obéissance .
Il y a plusieurs fleurs en un arbre , mais toutes n’apportent pas de fruit . De même il y a plusieurs bonne œuvres , mais toutes ne méritent pas récompense céleste , si elles ne sont faites avec discrétion , car jeûner , prier , visiter les lieux saints , sont des œuvres vertueuses ; mais si l’homme ne les fait à cette intention et avec cet esprit , qu’il espère que , par l’humilité , il pénètrera les cieux , qu’il croit qu’il est en tout serviteur inutile ,et qu’il ait en toutes choses une grande discrétion , car autrement , elles profitent bien peu pour le ciel .
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Représentez-vous deux hommes , l’un libre , et l’autre obligé à obéir . Si celui qui est libre jeûne , il a le mérite simple du jeûne . Que si celui qui est obligé à l’obéissance , mange de la viande selon l’obéissance de la règle , il jeûnerait néanmoins par dévotion , si l’obéissance le permettait : celui-là aura double mérite , l’un de l’obéissance , l’autre pour n’avoir effectué ses désirs et pour n’avoir fait sa volonté .
Partant , demeurez comme une épouse qui prépare d’abord son lit nuptial avant que l’époux vienne . En premier lieu , soyez comme une mère qui prépare ses vêtements avant que l’enfant naisse ; en deuxième lieu , comme un arbre qui pousse plus tôt les fleurs que les fruits ; en troisième lieu , soyez comme un vase pur , disposé à recevoir la liqueur avant qu’on l’y verse .
Chapitre 27
Ici la Sainte Vierge Marie se plaint à sa fille sainte Brigitte de quelque dévot feint qu’elle compare à celui qui porte les armes en guerre corporelle , et est mal armé .
La Sainte Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : Celui-là dit qu’il m’aime ; mais quand il me sert , il me tourne le dos . Or , quand je lui parle , il me dit : Que dit-vous ? et détourne ses yeux de moi , et les jette à ce qui lui plaît le plus . Il est admirablement armé comme celui qui est exposé à une guerre corporelle , le heaume duquel aurait les yeux derrière la tête , le bouclier duquel serait aux épaules au lieu de l’avoir au bras ; duquel les gaines et le fourreau seraient vides , ayant jeté l’épée et le couteau ; la cuirasse duquel , qui doit couvrir le corps et la poitrine , serait sur la selle , les sangles de laquelle seraient lâchées : de même cet homme est spirituellement armé devant Dieu , et c’est pourquoi il ne sait discerner entre ami et ennemi , ni ne sait offenser son ennemi .
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L’esprit avec lequel il combat est semblable à celui qui raisonne en son esprit , disant : Je veux être le dernier au combat , afin que je puisse voir si les premiers perdront . Que s’ils surmontent, je viendrai avec tant d’impétuosité que je serai compté des premiers . Partant , celui qu’il a envoyé à la guerre a suivi la sagesse charnelle , et non Dieu .
La Sainte Vierge Marie parle à sa fille de trois sortes de tribulations qui sont désignées par trois sortes de pains .
La sainte Mère de Dieu parle : Là où se trouve de la pâte pour faire du pain , là il faut grandement considérer et travailler . Mais Notre-Seigneur apporte et met à table du pain de froment , et on donne à la communauté un mauvais pain . Il y a une troisième sorte de pain pire que l’on donne aux chiens. Par la considération , il faut entendre la tribulation , car l’homme spirituel et dévot s’afflige grandement qu’on ne lui rende l’honneur qu’on lui doit , et qu’on ait si peu d’amour en son endroit .
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Tous ceux donc qui sont affligés de la sorte , sont ce blé qui réjouit Dieu et tous les citoyens célestes. Or , tous ceux qui se troublent pour les adversités du monde , ceux-là sont comme un méchant pain , néanmoins il profite à plusieurs pour obtenir le ciel ; mais ceux qui s’affligent pour ne pouvoir faire le mal qu’ils désirent , ceux-là sont le pain des chiens qui sont en enfer .
Chapitre 29
La Sainte Vierge Marie dit à sa fille comment il y a des démons qui veulent précipiter les hommes , quelques autres pour les retarder , quelques autres pour les tenter en leurs abstinences , et de la manière qu’il faut tenir contre eux .
La Sainte Mère de Dieu parle à sainte Brigitte : Tous ceux que vous voyez qui vous entourent , sont vos ennemis spirituels , savoir , l’esprit du diable , car ceux qui ont des perches esquelles vous voyez des lacets , ce sont ceux qui vous veulent précipiter dans les péchés mortels . Ceux que vous voyez avoir des crochets en leurs mains , ce sont ceux qui vous veulent retarder du service de Dieu , afin que vous soyez oisive à bien faire . Ceux qui ont des instruments où il y a plusieurs dents comme des fourches , avec lesquels on pousse ou on retire ce que l’homme désire , ce sont ceux qui vous suggèrent d’entreprendre des biens par-dessus vos forces , savoir , dans les veilles , jeûnes , oraisons , labeurs , ou en d’irraisonnables dépenses d’argent . Or donc , ces esprits sont désireux de vous nuire ; soyez donc constante à ne vouloir offenser Dieu et à demander son secours contre leur cruauté , et alors , leurs menaces ne vous nuiront point .
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La Sainte Vierge parle à sa fille sainte Brigitte , lui disant que les choses belles et précieuses du monde , ne nuisent point aux serviteurs de Dieu , quand ils en usent pour l’honneur de Dieu, à l’exemple de saint Paul .
Il est écrit que saint Paul , ce grand apôtre , dit devant ce prince qui tenait captif saint Pierre , qu’il était sage , et appela saint Pierre pauvre . Et il ne pécha pas en cela , d’autant que ses paroles tendaient à l’honneur et à la gloire de Dieu . Il en est de même de ceux qui veulent parler aux grands: que s’ils n’y peuvent entrer sans être bien habillés , ils ne pèchent point , pourvu que les pierre précieuses , l’or et l’argent , ne soient non plus en affection et estime dans leurs cœurs , que leurs vêtements ordinaires , car tout ce qui apparaît beau , précieux et luisant , n’est que terre .
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La sainte Mère de Dieu montre à sainte Brigitte , et prouve par exemple que les prédicateurs et amis de Dieu sont non moins couronnés devant Dieu , s’ils ne convertissent les hommes , que s’ils les convertissaient , ayant la droite et pure intention de le faire .
La Mère de Dieu parle , disant : Celui qui conduit les ouvriers au travail , disant ; Portez du sable du rivage , et regardez grain à grain si vous trouverez quelque grain d’or , celui-là n’aurait pas moins de récompense de n’en avoir pas trouvé que d’en avoir trouvé .Il en est de même aussi de celui qui , par, parole et par exemple , tâche d’avancer le salut des âmes , car il n’aura pas moins de récompense de n’en avoir converti pas un que d’en avoir converti plusieurs ; car comme le maître dit par exemple : Le combattant qui , au commandement de son maître , va à la guerre avec désir de batailler fortement et généreusement , s’en retournant blessé sans aucun captif , n’en obtiendrait pas moins de récompense d’avoir été vaincu que s’il eût vaincu , à raison de sa bonne volonté : de même en est-il avec les amis de Dieu , car pour chacune des paroles qu’ils auront dites , pour chacune des œuvres qu’ils auront faites pour l’amour de Dieu et pour l’amendement des âmes , et pour chaque heure de tribulation qu’ils endurent pour l’amour de Dieu , ils sont couronnés , soit que plusieurs se convertissent , soit que pas un ne se convertisse .
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Chapitre 32
La Sainte Vierge Marie , Mère de Dieu , parle à sainte Brigitte de son infinie miséricorde à l’endroit des pécheurs , et à l’endroit de ceux qui la louent et qui l’honneur
La sainte Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : C’est une maxime qui court parmi vous : Il ne peut sortir de mon pays avec un tel . J’en dis de même maintenant qu’il n’y a pas tel et si grand pécheur au monde , qui dit de cœur que mon Fils est Créateur et Rédempteur de tous , qu’il est son ami intime et de cœur , que soudain je ne sois disposée à venir à lui , comme une mère charitable vient à son fils , l’embrassant et lui disant : Qu’est-ce qu’il vous plaît , ô mon fils ? Et quand même il aurait mérité les peines horribles de l’enfer , et qu’il aurait volonté de ne soucier des honneurs du monde , ni des cupidités et affections de la chair , que l’Eglise déteste , et qu’il ne désirerait rien plus que son seul entretien , lors lui et moi serions aussitôt amis .
Dites donc à celui qui compose un chant et une hymne à ma louange , non à sa louange ni récompense propre , mais pour la louange de celui qui , à raison de toutes ses œuvres , est digne de louange , que , comme les princes du monde donnent des récompenses à ceux qui les louent , de même je les récompenserai spirituellement ; car comme une syllabe a sur soi plusieurs notes , de même Dieu se plaît à lui donner autant de couronnes pour chaque syllabe qui est au chant ; et on dira de lui : Voici venir celui qui loue , qui n’a point dicté ni composé le chant pour quelque bien temporel , mais seulement pour l’honneur de Dieu
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DECLARATION .
Celui-ci , étant tenté sur le mystère de la sainte Trinité , étant ravi en extase , vit comme trois faces de femmes.
Le première lui dit : j’ai été mariée plusieurs fois . Je n’ai jamais vu celui qui est un et trine .
La seconde répondit : S’ils sont trois et un , il est nécessaire que l’un soit premier et l’autre dernier , ou que deux soient en un .
Et la troisième ajouta : Ils ne peuvent pas se faire eux-mêmes : qui les a donc faits ? Et alors le Saint-Esprit dit clairement : nous viendrons à lui et demeurerons avec lui . Et s’éveillant , il a été délivré de la tentation .
Après ceci , Jésus-Christ dit à sainte Brigitte : Je suis Dieu , qui est trine en personne et un en essence . Je vous veux montrer quelle est la puissance du Père , quelle la sagesse du fils , quelle la vertu du Saint-Esprit . Et cette révélation a été accomplie là ou il parle du pupitre . D’ailleurs , Notre-Seigneur lui dit : Dite-lui qu’il méritera plus devant moi par son infirmité que par sa sainteté , car le Lazare a été plus beau et plus éclatant par sa douleur , et Job plus aimé par sa patience , et néanmoins , mes élus ne me déplaisent point quand ils sont saints , car leur cœur est toujours avec moi , et leur corps est toujours retenu par une discrète abstinence et labeur .
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Chapitre 33
Sainte Brigitte , épouse , dit ici des choses notables de la ville de Rome , proposant comme par question les consolations , ordres , dévotions , dont jouissaient anciennement tous les Romains , tant clerc que laïques , etc . Pourquoi maintenant tout cela est changé , hélas ! en désolation , désordre et abomination , comme il paraît ès susdites choses . Combien malheureuse est Rome corporellement et spirituellement .
Mon révérend Seigneur , je vous prie qu’entre autre choses , on avertisse le pape , qu’on lui dise combien faible est l’état de Rome , qui était autrefois heureux corporellement et spirituellement , mais maintenant malheureux en ces deux manières : corporellement , d’autant que ses princes séculiers , qui devaient être sa défense et sa protection , lui sont des larrons très cruels .
C’est pourquoi plusieurs de leurs maisons sont détruites , plusieurs églises entièrement ruinées et désolées , dans lesquelles il y a plusieurs ossements de saints qui reluisent en plusieurs miracles , les âmes desquels sont éminemment couronnées au royaume de Dieu . Leurs temples , aussi tout découverts et dont les murailles sont abattues , sont changés en décharges des hommes des champs et des bêtes .
Spirituellement , cette ville est malheureuse , d’autant que plusieurs constitutions et ordonnances , que plusieurs papes inspirés du Saint-esprit avaient faites , sont maintenant effacées de l’Eglise , au lieu desquelles , ô malheur trop funeste ! plusieurs nouveaux abus se sont introduit par la suggestion du diable , contre la révérence de Dieu et le salut des âmes.
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La constitution de l’Eglise était que les clercs allassent aux ordres sacrés , ayant une vie dévote et bienheureuse , servant Dieu incessamment et dévotement , montrant aux autres par bonne œuvres la voie du paradis ; et à tels on donnait les rentes de l’Eglise . Mais maintenant , un abus est notre Eglise , que les laïques ont les biens de l’Eglise , qui ne se marient point , pour porter le nom de chanoine , mais impudemment ; ils ont le jours des concubines en leurs maisons , et la nuit en leurs lits , disant audacieusement : Il ne nous est pas loisible d’avoir des femmes , car nous sommes chanoines .
Autrefois aussi , les prêtres , diacres et sous-diacres avaient grandement en horreur l’infamie d’une vie immonde . Or , maintenant , quelques-uns d’iceux , au lieu d’en rougir , en tirent vanité . Partant, telle sorte de prêtres doivent plus justement être appelés lions du diable , que clercs ordonnés de Dieu souverain .
Les saint Pères , comme saint Benoît et autres , ont fait des règles par licence des souverains pontifes , bâtissant des monastères , où les abbés avait coutume de demeurer avec leurs frères , célébrant dévotement les heures du jour et de la nuit , informant et instruisant soigneusement les moines à bien vivre . Lors certainement , il leur était à joie et à contentement de visiter leurs monastères , quand , jour et nuit , les moines rendaient à Dieu , en chantant , l’honneur et la gloire . Les criminels se corrigeaient par l’éclat de leur bonne vie , et les bons étaient affermis en leurs résolutions par la divine doctrine des prélats , voire les âmes qui étaient en purgatoire en étaient affranchies par leur dévotes prières .
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Lors le moine qui observait très bien sa règle , était en un grand honneur devant Dieu et devant les hommes , et celui qui ne l’observait pas , savait qu’il encourait le dommage et le scandale de tous . Lors , un chacun pouvait discerner par l’habit quel moine il était . Mais contre cette honnête coutume, est né en plusieurs un abus détestable , car les abbés demeurent souvent en leurs châteaux , dans les villes , où il leur plaît . C’est pourquoi il est sanglant et douloureux de visiter maintenant les monastères , car on voit si peu de moines au chœur , à l’heure où il faut dire les heures , ou voire quelquefois aucun ne s’y trouve , où aussi on lit si peu , et souvent on n’y chante rien , et on demeure plusieurs jours sans y dire la sainte messe. Les bons sont molestés et moqués de la mauvaise volonté de ces religieux , et les méchants se rendent pires de leur mauvaise conversation . Il faut aussi craindre que peu d’âmes reçoivent de leur prières du soulagement dans leurs peines .Il y a aussi dans la ville plusieurs habitations de moines , et chacun a sa maison pour soi ; et quelques-uns baisent un enfant à l’arrivée de leurs amis , disant : Voici mon fils .
A grand’peine aussi peut-on connaître un moine par l’habit , car la tunique , qui autrefois tombait sur les pieds , maintenant couvre à peine les genoux ; leurs manches , qui étaient autrefois grande et larges , sont maintenant étroites et tirées . On porte maintenant un glaive au lieu de tablettes et d’un style , et à grand ‘peine peut-on trouver maintenant un habit par lequel on puisse connaître un moine, hormis le scapulaire , qu’on cache souvent , afin qu’on ne le voie , comme si c’était scandale de porter un habit monacal .
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Quelques autres n’ont point de honte de porter une cuirasse et des armes sous leur tunique , afin qu’après le crépuscule , ils puissent faire ce qui leur plaît .
Il y a aussi de grands saints qui ont abandonné de grandes richesses , embrassant une règle avec la pauvreté , qui rejetèrent toute sorte de cupidités , ne voulant avoir rien de propre . Ils abhorraient toute sorte de superbe et de pompe du monde , se couvrant de pauvres habits , détestant et ayant en abomination la concupiscence de la chair , c’est pourquoi ils ont vécu purement . Or , ceux-ci et leur frères sont appelés mondains , les règles desquels les souverains pontifes ont confirmées , se réjouissant que quelques-uns voulussent embrasser une telle manière de vivre pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes ; mais maintenant , ce leur est un grand regret au cœur de voir leurs règles changées en des abus détestables ,et n’être aucunement gardées , comme celles de saint Augustin , de saint Dominique et de saint François , qu’ils avaient dictées par l’Esprit de Dieu, et que plusieurs hommes riches et nobles avaient exactement gardées . Car de fait , on trouve maintenant plusieurs hommes qui sont appelés riches , qui sont aussi pauvres dans leurs coffres que ceux qui ont fait vœu de pauvreté , comme la renommée en est partout . C’est pourquoi plusieurs d’entre eux ont de propre ce que leurs règles ont défendu , se réjouissant plus de leur propre exécrable que de la sainte et glorieuse pauvreté . Ils se glorifient aussi , d’autant que leurs habits sont d’étoffes aussi riches et précieuses que ceux des évêques riches .D’ailleurs , il y a des monastères érigés par saint Grégoire et par d’autres saints , à cette fin et intention que les femmes y seraient tellement recluses qu’à peine on les pourrait voir en toute leur vie .
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Or , maintenant , il y a des abus si détestables , en ce qu’on donne indifféremment l’entrée à clercs laïques et aux sœurs auxquelles on se plaît ; voire leurs portes sont même ouvertes la nuit . Et partant ces lieux sont maintenant plus semblables aux lieux infâmes qu’à des monastères , à des cloîtres saints et sacrés .
Il y avait aussi une autre constitution en l’Eglise , qui défendait qu’aucun ne prendrait de l’argent pour ouïr les confessions , mais seulement des lettres qu’on leur dépêchait , comme il était juste d’en recevoir , quand le pénitencier en avait extrêmement besoin . Mais entre ceux-ci un autre abus s’est glissé : c’est que les riches , ayant fait leur confession , offrent et donnent ce qui leur plaît . Mais avant la confession , on pactise avec les pauvres . Et certainement , les pénitenciers n’ont point honte de mettre leur argent en leur bourse pendant qu’ils absolvent .
Il a été ordonné en l’Eglise ,
1° que chaque personne laïque se confesserait une fois l’an , et pour le moins , recevrait le corps de Notre-Seigneur , car les clercs et les cloîtrés le font plus souvent en l’année .
2° Il fut ordonné que ceux qui ne pouvaient être continents se marieraient ;
3° que tous les chrétiens jeûneraient au carême , les Quatre-Temps , et à toutes les vigiles des fêtes , ce qui est assez connu d’un chacun , excepté de ceux qui sont atteints d’une grande infirmité ou qui sont en de grandes douleurs .
4° Il fut ordonné que chacun s’abstiendrait , les jours de fête , de tout labeur mondain et manuel .
5° Il fut aussi ordonné qu’aucun ne gagnerait par usure .
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Mais au lieu de ces cinq ordonnances très bonnes , se sont glissés cinq autres abus déshonnêtes et grandement nuisibles :
1° il y a à Rome cent personnes parvenues à l’âge de discrétion , qui meurent sans jamais avoir fait leur confession , et n’avoir non plus reçu le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ que de vrais idolâtres . J’en excepte les prêtres et religieux , et quelques femmes de dévotion , qui se confessent et communient souvent .
2° Plusieurs prennent en mariage des femmes légitimes . Que s’ils ont des discussions avec elles , ils les laissent autant qu’il leur plaît , sans avoir recours à la puissance ecclésiastique , prennent pour femmes des adultères , les ayant en honneur et les aimant . Quelques autres n’ont point horreur d’avoir en leurs maisons l’adultère avec la femme légitime , se réjouissant de les voir en même maison .
3° Plusieurs personnes saines mangent de la viande dans le carême , et parmi une grande multitude , il y en a peu qui soient contentes d’un seul repas le jour . On en trouve aussi d’autre qui , le jour , s’abstiennent de la viande , mange des viandes de carême , mais qui , la nuit , en quelque logis , se saoulent de chair . Certainement , les clercs et les laïques font cela , et sont semblables aux Sarrasins, qui jeûnent le jour , et qui , la nuit , se remplissent de chair .
4° Bien que quelques ouvriers ne travaillent point les jours de fête , néanmoins , les riches en tels jours envoient leurs valets travailler à leurs vignes , labourer aux champs , couper du bois en leurs forêts et l’apporter en leurs maisons , et de la sorte , les pauvres valets n’ont pas plus de repos les fêtes que les autres jours .
5° Les chrétiens exercent l’usure comme les Juifs , et en vérité , les usuriers chrétiens sont plus insatiables et plus cupides que les Juifs !
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Il a été encore ordonné dans l’Eglise que ceux qui auraient introduit tels abus seraient anathématisés. Il y en a plusieurs qui abhorrent autant la malédiction que la bénédiction , et bien qu’ils sachent qu’ils sont excommuniés publiquement , n’évitent point de rentrer dans l’Eglise ni de parler avec les hommes , car il y a peu de prêtres qui défendent l’entrée de l’Eglise aux excommuniés ; peu aussi ont en abomination la conversation des excommuniés , s’ils sont conjoints par quelques liens d’amitié ; ils ne refusent pas non plus la sépulture aux excommuniés , pourvu qu’ils soient riches .
N’admirez dons point , mon Seigneur , si j’ai appelé malheureuse la ville de Rome , à raison de tels abus , et de plusieurs autres choses contraires aux saints décrets de l’Eglise . C’est pourquoi il faut craindre que la foi catholique dépérira bientôt , si ce n’est que quelqu’un arrive qui aime Dieu par-dessus toutes choses , et son prochain comme soi même , abolissant tous les abus avec une foi non feinte . Afin que le clergé aime Dieu de tout son cœur , abhorrant les coutumes pernicieuses , compatissez donc avec l’Eglise et le clergé , qui , à cause de l’absence du pape , ont été comme des orphelins , et néanmoins ont défendu en amour d’enfants le siège de leur père , et ont sagement résisté aux traités , persévérant en la défense , au milieu de plusieurs tribulations
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Il est traité ici d’une vision que sainte Brigitte , épouse , eut des peines diverses qu’on préparait à une âme qui était encore dans le corps , et en quelle manière tout ce genre de peines se devait changer en un très grand honneur et gloire , si elle se fût convertie avant de mourir .
Il me semblait que je voyais des hommes debout , qui préparaient , les uns des cordes , les autres des chevaux ; les autres dressaient un supplice ; et tandis que je voyais ceci , il apparut une vierge comme troublée , me disant si j’entendais ceci ; et moi répondant que je ne l’entendais point , elle me dit : Tout ce que vous voyez , c’est une peine spirituelle qu’on prépare à cette âme que vous connaissez . Ces cordes serviront pour lier le cheval qui traînera cette âme , et ces forces serviront pour déchirer le nez , les yeux , les oreilles et les lèvres , et la fourche est pour la pendre . Et lorsque je me troublais de toutes ces choses , cette vierge me dit derechef : Ne vous troublez pas , car il est temps encore : si elle veut elle peut rompre les cordes , renverser les chevaux , faire fondre les forces comme de la cire , et ôter le poteau . Et davantage , elle peut avoir une si ardente charité envers Dieu, que tous ces signes de peines lui réussiront à un très grand honneur , de sorte que les cordes dont elle devait être liée , se changeront en des ceintures d’or ; au lieu des chevaux avec lesquels elle devait être traînée par les rues , on lui enverra des anges qui la conduiront devant Dieu : au lieu des forces avec lesquelles elles devait être déchirée , on donnera à son nez des odeurs suaves , à sa bouche de bonnes saveurs , à ses yeux de beaux objets , à ses oreilles une agréable et délectable mélodie .
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DECLARATION .
Celui-ci fut Marséalons , roi , qui , venant à Rome , fut tellement humble , humilié et marri de ses offenses , qu’il fit souvent les stations tête nue , priant Dieu et le faisant prier de ne retourner point en son pays , s’il devait retomber en ses fautes passées . Dieu exauça sa voix , car sortant de Rome , et arrivé à Monte Fiasco , il tomba malade et mourut , duquel fut faite une autre révélation . Voyez , ma fille , ce qu’a fait la miséricorde de Dieu , et ce que fait une bonne volonté . Cette âme a été en la gueule des lions , mais sa bonne volonté l’a affranchie de leurs dents ; et maintenant , elle est en la voie qui conduit à la patrie , et sera participante de tous les biens qui se font en l’Eglise .
Chapitre 35
L’épouse sainte Brigitte parle à Jésus-Christ du désir du salut des âmes , et de la réponse qui lui a été faite par le Saint-Esprit , que les excès et superfluités des hommes , tant au boire qu’au manger , résistent aux visites envoyées par le Saint-Esprit .
O doux Jésus , Créateur de toutes les choses , plût à Dieu que ceux-ci connussent et comprissent les feux de l’amour du Saint-Esprit ! car certainement , ils désireraient alors davantage les choses célestes , et auraient en horreur et en abomination les choses terrestres et soudain il m’a été répondu en esprit ; leurs excès et superfluités résistent aux visites du Saint-Esprit , car l’excès dans les viandes ; dans la boisson et dans les convives , empêche que le Saint-Esprit ne soit doux en eux , et qu’ils ne soient rassasiés des délectations mondaines ; et l’excès en l’or , argent , en vases , vêtements et rentes , empêche que le feu de mon amour n’enflamme et n’allume leurs cœurs .
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L’excès aussi de la famille , des serviteurs , chevaux et animaux , empêche que le Saint-Esprit ne s’en approche ; voire mes anges , leurs serviteurs , s’éloignent d’eux , et les diables trompeurs s’en approchent , c’est pourquoi ils ne ressentent point la douceur des visites , dont moi , qui suis Dieu , visite les saints et mes amis .
Chapitre 36
Dieu parle à son épouse de la crainte et de l’amour de Dieu , avec lesquels anciennement les religieux entraient dans les monastères . Et maintenant les ennemis de Dieu , c’est-à-dire , les faux religieux , vont au monde , poussés à ce faire par la superbe et l’inique cupidité ; et de même en font les soldats en leur milice .
Oyez maintenant ce que maintenant mes ennemis font contre ce que mes amis avaient fait autrefois . Enfin , mes amis entrent dans les monastères de l’amour divin et d’une crainte discrète ; mais ceux qui sont maintenant dans les monastères , vont par le monde , poussés par la superbe et la cupidité , ayant leur propre volonté , et faisant et accomplissant leurs plaisirs .
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Ceux donc qui meurent en une telle volonté , la justice de Dieu veut qu’ils ne jouissent des joies célestes , mais qu’il souffrent sans fin des peines effroyables dans l’enfer. Sachez aussi que ceux qui vivent dans les cloîtres , qui sont contraints , contre leur volonté , d’être prélats , ne sont pas du nombre . Les soldats aussi , qui autrefois portaient les armes , étaient préparés et disposés à donner leur vie pour la justice , et à répandre leur sang pour la sainte foi ; ils dénonçaient les indignes à la justice , et faisaient déprimer , humilier et abaisser les méchants . Mais maintenant , écoutez comment ils sont contraires à ceci : en vérité , ils aimaient mieux mourir à la guerre pour l’orgueil , cupidité et envie , selon les suggestions diaboliques , que de vivre selon mes commandements , et en ce faisant , obtenir les joies éternelles .
Donc , tous ceux qui meurent en telle volonté , on leur donnera la récompense selon le jugement de la justice , c’est-à-dire , ils seront donnés au diable en solde éternelle ; mais ceux qui me servent auront leur solde bienheureuse , qui sera sans fin avec la milice céleste .
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Jésus-Christ parle à son épouse sainte Brigitte , lui demandant comment est-ce que le monde est . Réponse de l’épouse : Le monde est comme un sac dilaté , auquel tous courent indiscrètement . Juste et cruelle sentence contre ceux-là .
Le Fils de Dieu parle , demandant à sa fille comment le monde va , et elle répond : C’est comme un sac dilaté et étendu , auquel tous courent , et comme un homme qui court sans se soucier de ce qui suit .
Notre-Seigneur lui répondit : C’est pourquoi la justice veut que j’aille avec le soc sur le monde , sans pardonner à jeune ni vieux , pauvre ni riche , gentil ni chrétien ; mais je jugerai un chacun selon qu’il mérite , et un chacun mourra en son péché , et la maison sera délaissée , avec les habitants d’icelle ; néanmoins , je ne la perdrai pas encore tout à fait .
Et elle dit : O Seigneur ! ne vous indignez pas si je parle . Envoyez quelqu’un de vos amis qui les avertisse des périls proches et infortunés qui pendent sur leur tête .
Il est écrit , dit Notre-Seigneur , que le mauvais riche , désespérant en enfer de son propre salut , demanda qu’on envoyât quelqu’un pour avertir ses frères , afin qu’ils ne se perdissent comme lui , et il lui a été répondu : Cela ne se fera point , car ils ont Moïse et les prophètes par lesquels ils peuvent être enseignés . J’en dis maintenant de même : ils ont les évangiles , les prophéties , les exemples et les paroles des docteurs ;
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Ils ont la raison et l’intelligence : qu’ils en usent , et ils seront sauvés , car si je vous envoie , vous ne pourrez pas crier si haut que vous soyez entendue . Si j’y envoie mes amis , ils sont si petits en nombre que , s’ils crient , à grand peine les oiront-ils . Néanmoins , j’enverrai mes amis à ceux qu’il me plaira , et ils prépareront la voie de Dieu .
Chapitre 38
Jésus-Christ dit à son épouse sainte Brigitte de n’ajouter point foi aux songes , et il s’en faut bien donner garde , bien qu’ils soient tristes ou joyeux . Comment le diable y mêle souvent la fausseté avec la vérité , d’ou vient qu’au monde il y a plusieurs erreurs . Les prophètes n’ont pas erré , d’autant qu’ils ont dirigé toutes choses à Dieu .
Le Fils de Dieu parle , disant : Pourquoi les songes joyeux vous élèvent-ils de la sorte , et pourquoi les tristes vous dépriment-ils si bas ? Ne vous avais-je pas dit que le diable était envieux , et que , sans la permission divine , il ne vous pouvait pas plus vous faire du mal qu’un fétus devant vos pieds . Je vous ai dit aussi qu’il était le père , l’auteur et l’inventeur du mensonge , et qu’en toutes ses faussetés , il mêle quelque vérité . Partant , je vous dis que le diable ne dort pas , mais vous environne , afin qu’il trouve quelque occasion contre vous ; partant , il vous faut donner de garde qu’il ne vous déçoive , car par la subtilité de sa science , il entre dans l’intérieur par les mouvements intérieurs ; car quelquefois , il met dans le cœur des choses tristes , afin qu’étant abattue , vous laissiez à bien faire ce que vous pourriez faire , et afin qu’avant vos misères , vous soyez misérable et dolente .
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Souvent aussi le diable met dans le cœur déçu , trompé et qui veut plaire au monde , plusieurs faussetés par lesquelles plusieurs sont déçus , comme les faux prophètes . Cela arrive à celui qui aime plus quelque autre chose que Dieu . Et partant , cela arrive , attendu que , parmi tant de faussetés , il s’y trouve quelque vérité , car autrement , le diable ne saurait jamais tromper , s’il ne mêlait la vérité avec la fausseté , comme vous avez vu en ce possédé ,qui , bien qu’il confessât y avoir un seul Dieu , était néanmoins impudique en son geste , et ses paroles montraient quelque chose d’étranger , d’autant que le diable était en lui et le possédait .
Or , maintenant , vous pouvez me demander pourquoi je permets que le diable mente . Je le permets et l’ai permis à raison des péchés du peuple et des clercs , qui ont voulu savoir ce que Dieu voulait cacher , ou qui désiraient prospérer où Dieu voyait que leur salut ne s’avançait pas . C’est pourquoi Dieu permet des malheurs à raison des péchés , qui n’arriveraient jamais , si l’homme n’abusait des grâces et de la raison . Mais les prophètes , qui ne désiraient et ne respiraient que Dieu , ni ne voulaient parler que pour l’amour de Dieu , ne se trompaient point , mais ils ont aimé et parler les paroles de vérité .
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En vérité , comme il ne faut pas recevoir tous les songes , de même il ne faut pas les mépriser tous , d’autant que Dieu quelquefois inspire de bonnes choses aux mauvais , afin qu’ils s’amendent et se corrigent de leurs fautes .Quelquefois aussi , il inspire aux bons de bonnes choses , afin qu’ils s’approchent plus Dieu . Partant , quand et tout autant de fois que cela vous arrivera , n’y opposez votre cœur , mais pesez-les et discernez-les avec vos amis spirituels , ou bien laissez-les et bannissez-les de votre cœur , d’autant qu’en telles choses on se délecte , on se trompe souvent et on s’y trouble .
Soyez donc constante en la foi de la sainte Trinité . Aimez Dieu de tout votre cœur . Soyez obéissante , tant en prospérité qu’en adversité . Ne vous préférez à pas un , ni par pensée , ni par effet , mais craignez toujours , même en bien faisant . Ne préférez pas votre sens au sens d’autrui , et résignez votre volonté à Dieu , disposée à tout ce que Dieu voudra . Lors vous ne devez point craindre les songes , car s’ils sont joyeux , ne les croyez pas ni ne les désirez pas , si ce n’est que de là dépende l’honneur de Dieu ; que s’ils sont tristes , ne vous abattez pas , mais abandonnez-vous toute en Dieu .
Après , la Sainte Vierge Marie parlait , disant : Je suis la Mère de miséricorde , qui prépare les vêtements à ma fille qui dort , et lui dispose les viandes quand elle est habillée : et quand elle travaille , je lui prépare les couronnes et les biens .
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La Saint Vierge Marie parle de l’épouse à son Fils . Réponse de Jésus-Christ à sa Mère . Après suivent les paroles de la Mère , qui sont désignées par le lion et par l’agneau . Comme Dieu permet que plusieurs choses arrivent aux hommes , qui n’arriveraient point , si ce n’était à raison de leur impatience et ingratitude .
La Mère de Dieu parle à son fils , disant : Notre fille est comme un agneau qui met sa tête en la gueule du lion . Il vaut mieux , dit Jésus-Christ , que l’agneau mette sa tête en la gueule du lion , et qu’il soit avec le lion une même chair et un même sang , que non pas si l’agneau suce le sang du lion, d’où arriverait que le lion s’indignerait et s’affaiblirait , attendu que sa pâture n’est pas le sang, mais le foin . Néanmoins , ô ma Mère très-chère ! d’autant que vous avez porté en votre ventre toute la sapience et la plénitude de la prudence , faites entendre à celle-ci qu’est-ce que le lion et qu’est-ce que l’agneau .
La Mère répondit : Béni soyez-vous , mon Fils , qui , demeurant éternellement avec le Père , êtes descendu à moi , et néanmoins vous ne vous êtes jamais séparé de mon Père ! vous êtes ce lion de la tribu de Juda ; vous êtes cet agneau sans souillure que saint Jean a montré avec le doigt . Celui-là met la tête en la bouche du lion , qui résigne sa volonté en Dieu , et ne voudrait faire la sienne , bien qu’il pût , si ce n’est qu’il sut que cela vous plût .
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Or , suce le sang du lion celui qui s’impatiente de vos dispositions et ordonnances , et s’efforce de contrevenir à ce que vous lui avez commandé , et voudrais plutôt changer d’état , s’il pouvait , que vous être agréable , bien que cela lui fût expédient . Dieu ne s’apaise pas de telles choses , mais elles provoquent son ire et son indignation , car comme la pâture de l’agneau est le foin , de même l’homme devrait se contenter de choses basses et humbles . C’est pourquoi Dieu permet beaucoup de choses qui n’arriveraient point contre le salut des hommes , s’ils n’étaient ingrats , colères et impatients . Partant , ô ma fille ! donnez votre volonté à Dieu ; et que si quelquefois vous êtes moins patiente qu’il ne faut , levez-vous soudain par la pénitence , car la pénitence est comme une bonne lavandière qui ôte les souillures , et la contrition est comme celle qui blanchit parfaitement .
Chapitre 40
Jésus-Christ parle à son épouse de la mort des chrétiens . Comment l’homme meurt bien ou mal , et pourquoi les amis de Dieu ne se doivent troubler , s’ils voient les serviteurs de Dieu mourir cruellement selon le corps .
Le Fils de Dieu parle , disant : Ne craignez point , ma fille ! cette malade ne mourra point , car ses œuvres m’agréent . Or , étant morte , le Fils de Dieu dit derechef : Voyez , ma fille : ce que je vous ai dit est vrai : elle n’est pas morte , car sa gloire est grande , d’autant que la séparation de l’âme du corps des justes n’est qu’un sommeil , duquel ils s’éveillent pour une vie éternelle . Il faut appeler mort seulement celle-là , que , l’âme étant séparée du corps , vit en une mort éternelle .
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Plusieurs , considérant les choses futures , désirent mourir d’une mort chrétienne , car qu’est-ce autre chose , une mort chrétienne , si ce n’est mourir comme je suis mort , innocemment , volontairement et patiemment ? Eh quoi ! suis-je à mépriser , d’autant que ma mort était dure et vile? Ou pour cela , mes élus auraient-ils des fous , pour avoir pâti des choses contemptibles ? Ou la fortune aurait-elle voulu cela , ou le cours des astres ? nenni . Mais moi et mes élus avons pâti des choses contemptibles , afin que , par parole et par exemple , nous montrions que les voies du ciel sont dures et âpres , afin que les méchants considérassent incessamment combien de pureté leur était nécessaire , puisque mes innocents et élus ont souffert des choses si âpres et si dures . Sachez donc que celui-là est mal et misérable , qui , vivant dissolument , meurt en volonté de pécher ; qui , ayant en poupe les faveurs du monde , désire de vivre plus longuement et ne sait rendre grâces à Dieu .
Or , celui qui aime Dieu de tout son cœur , souffre et méprise la mort , ou est affligé par longues infirmités . Celui-là vit et meurt heureusement , car la mort dure et âpre diminue le péché et la peine du péché , et augmente les couronnes . Je vous fais souvenir de deux qui , selon le jugement des hommes , moururent d’une mort vile et méprisable, que , s’ils n’eussent obtenu de ma miséricorde un tel genre de mort, ils n’eussent point été sauvés . Mais d’autant que Dieu ne punit pas deux fois ceux qui sont contrits de cœur , c’est pour cela aussi qu’ils sont arrivés à la couronne .
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C’est pourquoi les amis de Dieu ne se doivent point affliger , s’ils sont affliges temporellement, ou s'ils meurt d'une mort amère, car c'est une chose heureuse de pleurer une heure et d'être affligé au monde et n'être pas durement afflige dans le purgatoire, où on ne peut fuir et où on n'est pas donne le temps de travailler.
Chapitre 41
La Sainte Vierge Marie dit à sa fille que les prêtres, ayant la juridiction, peuvent absoudre des péchés, bien qu'ils soient pécheurs et consacrer.
La sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parle disant : Allez à celui qui a juridiction d'absoudre, car bien que le portier soit lépreux, il peut pourtant ouvrir la porte, s'il a les clefs, aussi bien qu'un qui est sain. Il en est de même de l'absolution et du saint sacrement de l'Eucharistie, car quelque soit le prêtre, il peut absoudre des péchés pourvu qu'il ait la juridiction. Partant, il ne faut pas en mépriser aucun.
Néanmoins je vous avertis de deux choses: 1° Celui qui désire quelque chose charnellement, ne l'aura pas. 2° sa vie sera courte. Et comme la fourmi, portant jour et nuit le grain, quelque fois s'approchant du trou, tombe et meurt à l'entrée, le grain demeurant au dehors, de même celui-là, quand il pensera arriver au fruit de son labeur, mourra, sera confus et puni pour son labeur , vain et superflu.
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La Sainte Vierge parle à sa fille de la manière dont les bonnes mœurs et les œuvres de justice sont désignées aux amis de Dieu par les portes, et comment les bons serviteurs de Dieu se doivent donner garde de la médisance.
La Sainte Mère de Dieu parle , disant: Mes amis sont compares à deux portes par lesquelles les autres doivent entrer. C'est pourquoi il faut se donner garde diligemment qu'il n'y ait rien de dur et d'âpre qui empêche ceux qui veulent entrer, ou qui les presse. Or que signifient ces portes, sinon les mœurs bien compassées, les œuvres de justice et les paroles d'édification qui apparaissent journalièrement ès amis de Dieu? Partant, qu'on prenne attentivement garde qu'en la bouche de mes amis, il n'y ait quelque chose de dur, c'est-à-dire, médisance et bouffonnerie; qu'on ne remarque en leurs bonnes œuvres quelque mondanité; à raison de quoi ceux qui veulent entrer en soient repoussés; et ceux qui sont entrés les aient en abomination.
Chapitre 43
La Sainte Mère de Dieu parle à sa fille. En quelle manière les pasteurs de l'Eglise sont comparés au
vermisseau qui ronge les racines de l'arbre
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La Mère de Dieu parle à Sainte Brigitte, disant : Les mauvais pasteurs sont semblables au vermisseau qui, voyant une bonne semence, ne se soucie point que l'épi périsse ou tombe, pourvu qu'il puisse ronger les racines, ou ce qui est auprès de la terre : de même en font-ils, ne se souciant point que les âmes périssent, pourvu qu'ils fassent leur lucre temporel. C'est pourquoi mon Fils en fera justice , et ils en seront bientôt enlevés.
Sainte Brigitte répondit: Tout le temps n'est-il pas devant Dieu comme une minute, bien qu'il soit long quant à nous ? C'est pourquoi la patience de votre Fils est grande, même sur les mauvais.
La Mère repartit : Je vous le dis en vérité , leur jugement ne sera pas prolongé ; mais hélas ! ce qui est horrible leur arrivera ; ils seront arrachés de leurs délices et portés en la confusion
Chapitre 44
Jésus-Christ parle à son épouse. Comment le corps est signifié par un navire, et le monde par la mer
En quelle manière la volonté est libre pour conduire, avec la grâce, les âmes au ciel, ou avec le péché, en enfer, et comment la beauté terrestre est comparée a la vitre.
Le Fils de Dieu parle : Oyez, vous qui désirez le port après tant de tempêtes. Quiconque est en la mer ne doit rien craindre, s'il a avec lui celui qui peut arrêter les vents, afin qu'ils ne soufflent; qui commande à tout ce qui nous peut nuire; qui sait amollir les rochers et les écueils, calme les orages, afin que ceux qui voguent en la mer soient conduits au port et au repos. De même il y en a dans le monde qui conduisent les corps comme des navires par les eaux du monde, les uns en consolation, les autres en désolation, car la volonté des hommes libres conduit, avec la grâce divine, quelques âmes au ciel et quelques autres, par le péché, dans les abîmes de l'enfer.
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Cette volonté donc qui ne désire rien avec plus de ferveur que d'ouïr que Dieu est honore, ni ne veut vivre que pour pouvoir servir Dieu, oui, celle-la plait a Dieu, car Dieu demeure en une telle volonté avec délices et contentement, et détourne tous les dangers qui la menacent, rend les écueils doux, au milieu desquels une âme serait autrement souvent en danger.
Or, que sont les écueils, sinon les mauvais désirs ? Car il est plaisant et délectable de voir les professions du monde, de les avoir et de se contenter des honneurs corporels, et de goûter tout ce qui délecte la chair, car en telles choses, l'âme se met souvent en danger. Mais lorsque Dieu est dans le navire, toutes choses se calment, et l'âme méprise les écueils et les orages.
Toute beauté terrestre est semblable à une vitre peinte par dehors , qui est au-dedans toute pleine de terre. Or, la vitre étant cassée, ne sert à rien plus qu'à retourner à sa première nature, qui est terre noire, qui n'est créée pour autre fin que pour en acheter le ciel.
Partant, tout homme qui ne désire non plus ouïr ses louanges ni celles du monde qu'ouïr souffler un air pestiféré, qui mortifie son corps et ses appétits, et déteste la volupté abominable de la chair, peut demeurer en repos et veiller joyeusement, car Dieu est à toute heure avec lui.
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Sainte Brigitte se plaint devant la Majesté impériale de ce que quatre sœurs , filles du Roi Jésus-Christ : l’humilité , l’abstinence , la pauvreté et la charité (hélas ! quel malheur !) sont maintenant réduites à néant , et les sœurs , filles du diable ; la superbe , la délectation , la superfluité et la simonie , sont appelées dames , etc .
Je me plains , non-seulement de ma part , mais aussi de la part de plusieurs élus de Dieu , et ce , devant votre Majesté royal . Il y avait quatre chères sœurs du Roi tout puissant , une chacune desquelles avait son siège et sa puissance en son patrimoine . Quiconque jetait les yeux sur leur beauté et sur leur éclat , recevrait une indicible consolation , un grand contentement de leurs bons exemples et de leur dévotion .
La première s’appelait sœur Humilité , duite en la disposition et ordre de tout ce qu’il fallait faire . La deuxième sœur s’appelait sœur Abstinence , exempte et affranchie de toute pernicieuse conversation .
La troisième sœur était nommée Contente de peu , exempte de toute sorte la superfluités .
La quatrième sœur est Charité , qui paraît en toutes les tribulations du prochain .
Or , maintenant , ces quatre sœurs sont méprisées et bannies de leurs héritages , aux trônes et siège desquelles ont succédé quatre sœurs illégitimes , qui sont engendrées de la volupté , et sont maintenant appelées dames .
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La première de celle-ci s’appelle Superbe , qui s’occupe à plaire au monde .
La deuxième est Plaisir , suivant les appétits déréglés de la chair .
La troisième est Superfluité , par dessus toute nécessité .
La quatrième dame est Simonie , de la déception de la quelle peu de gens se gardent , car soit que ce qu’elle reçoit soit juste ou injuste , elle reçoit tout avec une cupidité insatiable .
Ces quatre dames parlent contre les commandements de Dieu , les voulant rendre vains et les annuler, et donnent à plusieurs âmes occasion de se perdre éternellement . Partant , mes sœurs , faites , par un mouvement d’amour et de charité , comme Dieu fit pour vous , et aidez à ces quatre sœurs qui s’appellent vertus , qui sont sorties de la vertu de Jésus-Christ , souverain Roi , qui sont maintenant opprimées en la sainte Eglise , qui est le patrimoine de Jésus-Christ , afin qu’elles soient bientôt élevées et exaltées en leurs trônes , et afin que les vices , qui sont appelés dames au monde , soient déprimés , abaissés et anéantis , qui sont traîtres des saintes âmes , d’autant que ces dames sont nées du vice , ce diable traître et méchant .
Chapitre 46
Sainte Brigitte avertit quelque seigneur de faire restitution de ce qu’il avait injustement acquis . De la voix de l’ange qui fulminait un arrêt cruel et formidable contre lui .
Seigneur je vous avertis du danger proche où est votre âme , vous remettant en mémoire ce qu’on lit en la sainte Ecriture , au vieux Testament , d’un roi (Achab) qui , ayant désiré la vigne d’un autre homme (Nabot) . lui en donnait le prix et la valeur ; mais d’autant que le possesseur la vendait à regret , le roi , indigné de cela , usurpa la vigne par violence et par injustice , et le Saint-Esprit lui parla par la bouche d’un prophète , condamnant à une mort très cruelle et misérable le roi et la reine , pour avoir commis une telle injustice , ce qui fut entièrement accompli en eux ; et ses enfants ne se sont pas réjouis de la possession de cette vigne .
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Maintenant donc , puisque vous êtes chrétien ; puisque vous avez l’intégrité de la foi , et savez que le même Dieu qui était alors , est encore , et qu’il est aussi puissant et juste qu’il l’était alors , vous devez savoir sans doute qu’il vengera puissamment , et jugera justement ce que vous tiendrez injustement , ou en contraignant le possesseur à vendre contre sa volonté , et le payant aucunement . Vous devez craindre avec douleur et anxiété qu’un si formidable jugement ne vous arrive tel qu’il arriva à cette reine (Jésabel) , et que vos enfants n’en soient pas plus riches , mais bien plus pauvres et affligés .
Je vous exhorte donc , par la passion de Jésus-Christ , qui a racheté votre âme par son sang , que vous ne la perdiez pour des choses passagères et périssables , mais que vous restituiez et satisfassiez pleinement tout ce que vous aurez mal acquis , pour la consolation du prochain qui en est incommodé , et pour l’exemple d’autrui ,si vous voulez obtenir l’amitié de Dieu .
Dieu m’est témoin que je ne vous écris pas ceci de moi , car je ne vous connais point ; mais je vous écris ce qui a été révélé à une personne qui a été contrainte de vous l’écrire par compassion divine , car cette personne ne dormait pas , mais elle veillait et elle a ouï en ses oraisons la voix de l’ange disant : Ourse , Ourse , que vous êtes trop audacieuse contre Dieu et sa justice ! Votre volonté a vaincu en vous la conscience , de sorte que votre volonté parle et opère , et votre conscience se tait . Partant , vous viendrez bientôt devant le jugement de Dieu , et votre volonté tiendra silence ; votre conscience parlera , et vous jugera elle-même selon la justice et l’équité .
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Chapitre 47
Le Fils de Dieu dit à son épouse sainte Brigitte comment nous nous devons donner garde des tentations du diable , et en quelle manière le diable est désigné par l’ennemi ;Dieu par la
poule ; sa puissance et sa sagesse par les ailes ; sa miséricorde par les plumes , et les hommes par les poussins .
Jésus-Christ parle : Quand l’ennemi heurte à la porte , vous ne devez pas faire comme les chèvres , qui courent aux murailles , ni comme les béliers , qui se battent avec leurs cornes ; mais soyez
comme les poussins , qui , voyant en l’air l’oiseau de rapine , s’enfuient sous les ailes de la poule , leur mère , pour s’y cacher et y être protégés ; qui , bien qu’il ne puissent prendre qu’une plume et se cacher sous elle , s’en réjouissent grandement .
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Or , quel est cet ennemi , sinon le diable qui porte une envie enragée à toutes nos bonnes actions , l’office duquel est de pousser à mal l’esprit de l’homme , et de l’émouvoir par des tentations et des suggestions malheureuses ? Il le pousse par colère , quelquefois par impatience , par médisance et jugements téméraires , qui sont réservés à Dieu seul , quand toutes choses ne succèdent selon ses désirs ; voire fréquemment il l’émeut , le pousse et l’inquiète importunément
par des pensées diverses et innombrables , afin que , par icelles , il puisse arracher , ou bien distraire les âmes du service de Dieu , et afin que les bonnes œuvres soient cachées devant Dieu .
Partant , quelles que soient vos pensées , vous ne devez quitter votre place ni être semblable aux chèvres courant aux murailles , c’est-à-dire , demeurer en l’endurcissement de votre cœur , ou bien juger les œuvres d’autrui dans vos cœurs , car souvent , celui qui est mauvais aujourd’hui sera bon demain . Mais vous devez abaisser votre puissance , l’arrêter et écouter les volontés divines , en vous humiliant et craignant , ayant patience en vos adversités , et priant Dieu afin que ce qui a été mal commencé finisse bien .
Vous ne devez pas non plus être comme les béliers , qui secouent et éventent leurs cornes , c’est-à-dire , rendre parole pour parole , opprobre pour opprobre , mais vous vous devez arrêter constamment sur vos pieds et vous taire , en retenant fortement les passions déréglées de la chair , afin qu’en parlant et répondant , vous ayez prémédité ce que vous dites , et fais violence avec patience et paix aux passions ; car c’est aux hommes justes de se vaincre eux-mêmes , et de s’abstenir des paroles licites , pour éviter le babil , l’offense et le péché ; car celui qui , se trouvant et se sentant intérieurement ému , épanche par parole ou quelque autre action , son sentiment , semble en quelque manière s’être vengé de soi-même , et avoir manifesté la légèreté et l’inconstance de son esprit. C’est pourquoi il sera privé de la couronne , puisqu’il n’a voulu avoir patience pour quelque peu de temps , par laquelle il eût gagné son frère qui offensait , et eût préparé pour lui une plus grande couronne .
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Or , que sont autre chose les ailes , sinon la puissance et la sagesse divines ? car je suis comme une poule qui défend puissamment des lacets du diable , provoque et excite sagement au salut par mes inspirations , les poussins qui courent en désirant la protection de mes ailes . Que signifie la plume , sinon ma miséricorde ? Qui l’obtiendra sera autant en sûreté qu’un poussin qui est échauffé sous les ailes de sa mère . Soyez donc comme des poussins courant à mes volontés : en toutes les tentations et contradictions , dites : La volonté de Dieu soit faite , tant en mes parole qu’en mes œuvres , car je défends de ma puissance ceux qui se confient en moi ; je les recrée et les réjouis de ma miséricorde ; je les soutiens de ma vertu , les visite de mes consolations , et les récompense au centuple par mon amour .
Chapitre 48
Jésus-Christ parle à son épouse de quelque roi ; comment il doit augmenter l’honneur de Dieu et dilater son amour et sa charité aux âmes . De la sentence , s’il ne le fait pas .
Le Fils de Dieu parle , disant : Si ce roi me veut honorer , qu’il diminue en premier lieu le déshonneur qu’il me fait , et qu’il augmente mon honneur . Mon déshonneur est en cela que ma parole et mes commandements sont méprisés et tenus pour néant par plusieurs .
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Si donc il me veut aimer , qu’il ait maintenant plus de charité pour les âmes de tous , pour lesquelles j’ai amoureusement répandu mon sang pour leur ouvrir le ciel . Or , qu’il désire plus le repos qu’on a avec Dieu que de dilater et amplifier son patrimoine , car de la sorte , il aura plus de plaisir , plus de grâces et de secours que s’il avait reconquis Jérusalem , où mon corps a été enseveli .
Dite-lui encore , vous qui oyez ceci , que je permets qu’il soit couronné ; c’est pourquoi il doit plus que tous suivre mes volontés , plus que tous m’honorer et m’aimer sur toutes choses . Que s’il ne le fait pas , ses jours seront abrégés . Ceux aussi qui l’aiment charnellement seront séparé de lui avec peine et tribulation , et son royaume sera partagé et divisé en plusieurs parcelles .
Chapitre 49
La vision de l’épouse sous la figure de l’Eglise . Son explication , où sont expliqués les moyens et l’état que le pape doit tenir à l’égard des autres cardinaux et prélats de notre sainte Mère l’Eglise , et principalement de l’état d’humilité .
Il semblait à une personne qu’elle était en un grand chœur , ou apparurent un grand soleil éclatant et deux sièges , et comme un prêcheur , l’un à gauche , l’autre à droite , éloignés du soleil d’une grande distance ; et deux rayons sortaient du soleil , dardant sur les chaires . Lors on oyait une voix du siège qui était à gauche , disant : Salut éternellement au Roi , Créateur , Rédempteur et juste Juge ! Voici votre vicaire , qui est assis en votre siège au monde . Il a mis son siège au lieu où était anciennement le siège de saint Pierre , premier pape et prince des apôtres .
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La voix qui sortait du siège qui était à droite , répondit , disant : Comment pourra-t-il entrer dans l’Eglise , où les trous des gonds sont tout plein de rouillure et de terre ? C’est pourquoi les portes sont comme abattues à terre car dans les trous , il n’y a point de lieu où les crochets se puissent attacher pour soutenir les portes ; les crochets sont aussi tout droits , sans être courbés pour s’accrocher aux portes . Le pavé est plein de grands fossés , comme de puits qui n’ont point de fond . Le toit est enduit de poix et brûlé d’un feu de soufre , distillant comme une pluie épaisse . Les murailles sont si noires et si difformes de la noirceur épaisse qui s’élève de l’abîme des fossés et de ce qui distille du toit , qu’elles semblent peintes de sang corrompu et d’une pourriture puante , c’est pourquoi l’ami de Dieu ne doit point habiter en un tel temple .
La voix qui était à gauche répliqua : Exposez-nous et expliquez-nous spirituellement ce que vous avez dit corporellement .
Lors la voix dit : Le pape est signifié par les poteaux et leur est comparé . Par les trous des gonds est marquée l’humilité , qui doit être tellement vide de toute superbe , qu’il n’y ait point d’autre apparence que l’humilité pontificale , de même que le trou doit être entièrement vide de rouillure . Mais maintenant , les trous , c’est-à-dire , les livrées et les marques insignes de l’humilité , sont pleins de superfluités , de richesses et d’acquisitions , qui ne servent à autre chose qu’à nourrir la superbe , où rien d’humble ne paraît , mais toute l’humilité est couverte et changée en pompe mondaine .
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Partant , ce n’est pas de merveille si le pape est comparé aux portes : il est tout penché vers les choses mondaines , marquées par la rouillure et par la terre . Partant , que le pape commence d’embrasser l’humilité en soi-même , en son apparat , en ses vêtement , en l’or , en l’argent , en ses vases , en ses chevaux et autre ustensiles , prenant de tout cela le seul nécessaire , donnant le reste aux pauvres , et spécialement à ceux qu’il connaîtra être amis de Dieu . Après , qu’il ordonne sa maison avec modération ; qu’il ait des serviteurs autant qu’il en est nécessaire pour garder sa vie , car bien qu’il soit en la main de Dieu de l’appeler en jugement quand il voudra , il est néanmoins juste et équitable qu’il ait des serviteurs pour affermir la justice , afin que ceux qui s’élèvent contre Dieu et L’Eglise soient humiliés .
Les cardinaux sont signifiés par les crochets qui sont conjoints aux portes , qui sont étendus et diffus autant qu’ils peuvent dans les amplitudes de la superbe , cupidité et volupté de la chair .
Que le pape donc prenne le marteau et les ciseaux , et qu’il fléchisse les cardinaux à ses volontés , ne leur permettant pas d’avoir tant de vêtements , tant de serviteurs et tant de meubles ,
sinon tout autant que la nécessité le requiert et que l’usage de la vie le demande . Qu’il les fléchisse avec les ciseaux , c’est-à-dire , qu’il leur parle doucement , avec le conseil divin , avec une paternelle charité . Que s’ils ne veulent obéir , qu’il prenne le marteau , leur montrant sa sévérité , faisant tout ce qu’il pourra , pourvu qu’il ne soit contre la justice , jusqu’à ce qu’ils obéissent à ses volontés .
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Les évêques sont signifiés par le pavé , comme aussi les clercs , la cupidité desquels n’a point de fond , de la superbe et de la vie luxurieuse desquels sort une fumée , à raison de quoi ils sont abominables à tous , aux anges au ciel , et aux amis de Dieu en terre . Le pape peut amender en plusieurs évêques tous ces débordement , permettant à un chacun d’avoir seulement le nécessaire et non le superflu , et qu’il commande aux évêques d’avoir soin de la vie des prêtres et de les tenir continents ; qu’il les prive de leur prébendes, s’ils ne s’amendent.
Certainement ,Dieu aime plutôt qu’en ce lieu il n’y ait point de messes , que si des mains polluées touchent le corps de Dieu .
Chapitre 50
Il est ici traité d’une vision admirable que sainte Brigitte eut du jugement de plusieurs personnes qui vivaient encore , ou elle ouït que si les hommes amendaient leurs péchés , Dieu adoucirait son jugement .
Il me semblait comme si un roi était assis en son tribunal de justice , et que toute personne vivante était auprès de lui , ayant des deux côtés comme deux hommes : l’un semblait un soldat armé , l’autre comme un Ethiopien noir . Devant le jugement était un pupitre ou était un livre en même disposition que je l’ai vu au Livre VIII , chapitre XLVIII . J’ai vu aussi que quasi tout le monde était devant ce pupitre . Lors j’ouïs le Juge , qui disait au soldat armé : Appelez celui-là que vous avez servi avec tant de charité . Et soudain tombèrent tous ceux qui furent nommés , dont quelques-uns demeurèrent longtemps gisants à terre , quelques autres moins , avant que leurs âmes fussent privées du corps .
p 246
Or , je n’ai pu comprendre ni ne puis dire tout ce que je vis et j’entendis , car j’ouïs la sentence et le jugement de plusieurs qui vivaient encore , qui seront appelés bientôt . Néanmoins , le Juge me l’a dit avec condition que si les hommes amendaient leurs péchés , il adoucirait son jugement . J’en vis aussi juger plusieurs , quelques-uns au purgatoire ; quelque autres furent condamnés aux malheur éternels .
Chapitre 51
Il est ici traité d’une vision terrible et formidable d’une âme présentée devant le Juge ; des oppositions de Dieu ; du livre du jugement contre elle ; des réponses de l’âme contre elle-même , et des diverses et étonnantes peines qu’elle endure dans le purgatoire .
Il me semblait qu’une âme était comme présentée devant le Juge par le soldat et par l’Ethiopien que j’avais vus ci-dessus , et il m’a été dit : Tout ce que vous voyez maintenant en ce chapitre , tout cela s’exécuta sur cette âme , dès qu’elle fut séparée du corps . L’âme , ayant été présentée devant le Juge, demeurait seule , car elle n’était au mains d’aucun de ceux qui la présentaient . Elle était aussi toute nue et toute dolente , ne sachant que devenir . Après , il me semblait que toutes les paroles qui étaient écrites dans ce livre , répondaient d’elles-mêmes à tout ce que l’âme disait .
p 247
Donc , en la présence du Juge et en l’assistance de ses troupes , ce soldat armé parla en ces termes :
Il n’est point de droit et de justice qu’on reproche en opprobre à l’âme les péchés qu’elle a confessés. En vérité , moi , qui voyais ceci , je connus parfaitement le tout , et le soldat qui parlait connaissait toutes choses en Dieu , mais il parlait , afin que je l’entendisse . Lors une réponse a été faite du livre de justice , que quand l’âme faisait pénitence , elle n’avait pas la contrition digne à tels péchés , ni une vraie satisfaction . C’est pourquoi elle doit maintenant endurer , pour n’avoir pas amendé ses fautes quand elle le pouvait . Ce qu’ayant été dit , l’âme fondit en larmes
avec une telle abondance qu’elle semblait s’y abîmer . Néanmoins , on ne voyait point les larmes et on entendait point de voix .
Après , le Roi parlait à l’âme , disant : Que la conscience dise et déclare maintenant les péchés dont vous n’avez pas fait digne satisfaction .
Lors , l’âme éleva si haut la voix qu’elle pouvait être quasi ouïe par tout le monde , disant : Malheur à moi , car , je n’ai pas fais et vécu selon les commandements de Dieu , que j’ai ouïs et connus ! Et s’accusant elle-même , elle ajouta : Je n’ai pas craint les jugements de Dieu .
Il lui fut répondu du livre : C’est pourquoi maintenant vous devez craindre les diables .
Et soudain l’âme , craignant et frémissant comme si elle était toute perdue , dit : Je n’ai eu quasi aucune charité envers Dieu , c’est pourquoi j’ai fait peu de bien .
Il lui répliqua soudain du livre : La justice veut , et le droit du diable est de vous rendre selon que vous avez fait avec peine et tribulation .
L’âme dit : Il n’y a rien en moi , de la pointe des pieds jusques au sommet de la tête , que je ne l’ai revêtu de vanité et de superbe , car j’ai inventé de nouveau quelques vains et superbes habits , et j’ai suivi quelques autres , selon la coutume du pays .
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J’ai aussi lavé mes mains et ma face , non-seulement pour les avoir nettes , mais afin qu’on les louât comme belles .
Il lui fut encore reparti du livre : La justice dit que c’est le droit du diable de vous rendre selon que vous méritez , car vous vous êtes ornée et habillée selon qu’il vous suggérait .
L’âme répondit derechef : Ma bouche était souventefois ouverte aux cajoleries et bouffonneries , car je voulais grandement plaire aux autres , et mon ami désirait grandement toutes les choses d’où il n’encourrait la honte de l’opprobre du monde .
On lui répondit encore du livre : C’est pourquoi votre langue et vos dents doivent être arrachées , et on doit vous en appliquer d’autres qui vous déplairont beaucoup . On vous doit ôter tout ce qui vous plaît .
L’âme dit : je me réjouis grandement de ce que plusieurs imitent mes actions et mes mœurs .
On lui répond encore du livre : C’est pourquoi la justice veut que celui qui sera appréhendé en même péché duquel vous êtes
punie , subisse les mêmes peines que vous et soit amené à vous .
Lors , quand quelqu’un arrivera où vous êtes , qui aura suivi vos vaines inventions , vos peines augmenteront .
Ces choses ayant été dites , il me semblait que quelque lien était attaché au chef de l’âme , comme une couronne qui serrait si fort que le devant et le derrière de la tête se joignaient ensemble . Ses yeux étaient tombés de leur place , pendants par leur racines tout le long des joues . Les cheveux semblaient avoir été brûlés par le feu .
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Son cerveau coulait par le nez et par les oreilles . On lui étendait la langue et on lui cassait les dents ; on lui serrait les os des bras avec des cordes , et ses mains écorchées étaient liées au col . La poitrine et le ventre étaient si fortement serrés et conjoints au dos que , les côtes étant cassées , le cœur et toutes les parties intérieures crevèrent . les cuisses pendaient aux côtés , et on tirait les os cassés comme on a accoutumé de plier un fil délié en un peloton .
Ces choses ayant été vues , l’Ethiopien répondit : O juge , les péchés de l’âme sont maintenant condamnés selon la justice : conjoignez-nous donc ensemble , moi et l’âme , en telle sorte que
nous ne nous séparions jamais .
Le soldat armé répondit : Oyez , ô Juge ! vous qui savez toutes choses , c’est aussi à vous d’ouïr la dernière pensée et affection que cette âme avait pour la fin de sa vie . En vérité , au dernier point de sa vie , elle pensait que si Dieu me voulait donner quelque temps pour vivre , j’amenderais librement mes péchés , et le servirais tout le cours de ma vie , ni ne voudrais jamais plus l’offenser .
Le Juge considérait et voulait ces choses : Souvenez-vous aussi , ô seigneur , que cette personne n’a pas tant vécu qu’elle ait pu pleinement entendre la conscience : c’est pourquoi , ô Seigneur , considérez sa jeunesse et faites-lui miséricorde .
Lors une réponse fut ouïe du livre de justice : L’enfer n’est pas dû à telles pensées à la fin de la vie .
Et lors le Juge dit : Par ma passion ! le ciel sera ouvert à cette âme , ayant auparavant fait la satisfaction , et s’étant purifiée pour autant de temps qu’elle est obligée , si ce n’est que les hommes la secourent par leurs bonnes œuvres pendant qu’ils vivront .
p 250
DECLARATION .
Cette femme avait voué sa virginité dans les mains d’un prêtre et puis après , elle se maria , et était en danger de mourir en l’enfantement .
Chapitre 52
Il est ici traité d’une vision terrible que sainte Brigitte , épouse , eut d’un homme et d’une femme , et comment l’explication a été faite par l’ange , où sont contenues plusieurs merveilles .
Je voyais un homme dont les yeux étaient arrachés et pendaient encore aux joues avec deux petits nerfs . Il avait les oreilles comme un chien , le nez comme un cheval , la bouche comme un loup farouche , ses mains comme de grands pieds d’un bœuf , et ses pieds comme les serres d’un vautour .
Je voyais aussi une femme qui était auprès de lui , les cheveux de laquelle étaient comme un buisson d’épines ; ses yeux étaient au derrière de la tête , ses oreilles coupées ; son nez était plein de pourriture et de puanteur ; ses lèvres étaient comme les dents du serpent . IL y avait en sa langue un aiguillon vénéneux . Les mains étaient comme deux queues de renard , ses pieds comme deux scorpions .
p 251
Tandis que je voyais ceci , non en dormant , mais en veillant , je dis : Hélas ! qu’est ceci ? Et soudain une douce et mélodieuse voix me parla avec tant de consolation , que toute la crainte et l’effroi se retirèrent de moi disant : Vous qui voyez ceci , que pensez-vous que ce soit là ?
J’ignore , dit-elle , si ceux que je voix sont diables , hommes ou bêtes , engendrés ainsi de quelque espèce de bête , ou des hommes que Dieu ait formés de la sorte .
La voix me répondit : Ce ne sont point des diables , car ils n’ont pas de corps , comme vous voyez que ceux-ci ont , ni ne sont des bêtes , car ils sont de la race d’Adam ; ni aussi Dieu ne les a pas créés de la sorte , mais ils apparaissent et sont faits ainsi difformes en leurs âmes par le diable , et ils vous semblent tels corporellement . Je vous montrerai qu’est-ce qu’ils signifient spirituellement .
p. 252
Les yeux de cet homme vous semble arrachés et pendants par deux petit nerfs . Par les deux nerfs , vous entendrez deux choses :
1° que cet homme a cru que Dieu vivait éternellement ;
2° il a cru aussi que son âme , après cette vie , vivrait éternellement en bien ou en mal.
Par les deux yeux , vous entendez aussi deux autre choses :
1° qu’il devait considérer comment il devait éviter les péchés ;
2° comment il pouvait , par ma grâce , parfaire et accomplir les bonnes œuvres . Les deux yeux sont pour cela arrachés , d’autant qu’il n’a pas fait de bonnes œuvres , poussé du désir de la gloire céleste, ni fui le péché que par la crainte des supplices éternels .
Il a aussi des oreilles de chien , car comme un chien , il ne s’est non plus soucié du nom de Dieu ni d’autre que du sien propre , s’il l’oyait nommer . C’est aussi en cette manière qu’il s’est soucié autant de l’honneur de Dieu que de l’honneur de son propre nom .
Il a aussi un nez de cheval , car comme le cheval débridé , ayant jeté sa fiente , se plaît à y approcher le nez , il en fait de même , car ayant commis le péché , qui est très vil devant Dieu comme une fiente , il lui semble retirer quelque douceur misérable de sa puanteur quand il y pense .
Il a aussi la bouche comme un loup farouche , qui , ayant rempli son ventre et sa bouche , désire encore dévorer ce qui est encore en vie . De même en fait celui-ci , car s’il possédait tout ce qu’il a vu des yeux , il désirerait encore posséder tout ce qu’il oit que les autres possèdent .
Il a aussi les mains comme un bœuf très fort , qui , étant courroucé , foule aux pieds celui qu’il peut surmonter à cause de la véhémence de sa colère , ne se souciant ni des intestins ni de la chair , pourvu qu’il lui puisse ravir la vie . De même en fait celui-ci, car quand il est en colère , il ne se soucie point que l’âme de son ennemi descende en enfer , ni que son corps endurât quelque tourment que ce fût , pourvu qu’il lui pût ôter la vie .
Il y a aussi les pieds comme un vautour , qui a quelque chose en ses griffes qui lui est à goût : il la serre tellement avec son pied , que les forces manquant au pied à cause de la grande douleur , il est contraint de laisser aller ce qu’il tenait . De même en fait celui-ci , car il veut tenir injustement jusques à la mort ce qu’il a pris d’autrui , quand même les forces lui manquent , et est contraint de lâcher prise quand il n’en peut plus .
p 253
Les cheveux de cette femme ressemblaient à un buisson d’épines . Or , les cheveux , qui sont au sommet de la tête , qui ornent la face , signifient la volonté qui désire sommairement plaire à Dieu tout souverain , car cette volonté orne et enrichit l’âme devant Dieu . Mais d’autant que la volonté de cette femme est portée à plaire sommairement à ce monde plus qu’à Dieu souverain , c’est pourquoi ses cheveux sont comme un buisson d’épines .
Ses yeux paraissent au derrière de la tête , car elle détourne les yeux de l’esprit de ce que Dieu lui a donné en la créant , en la rachetant, et en la favorisant utilement en diverses sortes de manières . Or , elle regarde fort attentivement les choses passagères , et desquelles elle s’approche tous les jours , jusques à ce qu’elles se soient évanouies de sa présence .
Ses oreilles apparaissent coupées spirituellement, d’autant qu’elle se soucie peu de la doctrine du saint Evangile , ou d’ouïr
les prédications .
Ses narines sont pleines de pourriture , car comme par les narines on attire au cerveau la suavité des odeurs , afin que , par elles , le cerveau soit fortifié , de même , par ses affections déréglés , elle attire toutes les pourritures qui plaisent au corps , aux affections délectables et misérables .
Ses lèvres sont comme les dents du serpent , et en sa langue paraissait un aiguillon vénéneux , car quand le serpent serre fortement les dents , de peur que son aiguillon ne soit rompu par quelque accident , néanmoins l’écume s’écoule entre la séparation des dents . De même elle serre les lèvres en la confession vraie , de peur de n’émousser la délectation du péché , qui est l’aiguillon vénéneux de son âme . Néanmoins , la laideur et la difformité du péché paraissent évidemment devant Dieu et devant les saints .
p 254
Je vous ai parlé d’un mariage qui avait été fait contre les décrets et arrêts de l’Eglise . Maintenant , je vous en parlerai plus amplement . Or , vous avez vu les mains de cette femme comme une queue de renard , et ses pieds comme des scorpions . Cela est parce qu’elle était déréglée et désordonnée en toutes ses actions , membres et affections ; aussi poignait-elle l’âme de son mari par la légèreté de ses mains , et par sa démarche débordée , qui provoquait sa chair aux voluptés , plus durement et plus cruellement que la morsure du scorpion .
Et voici qu’en même instant l’Ethiopien apparut ayant en sa main un trident , et en l’un des pieds comme trois griffes aiguës , et criant et disant : O juge , c’est maintenant mon heure . J’ai attendu , j’ai gardé le silence ; il est temps que j’agisse .
Et soudain , le Juge séant avec une milice innombrable , un homme et une femme nus m’apparurent ; et le Juge leur dit : Dites tout ce que vous avez fait , bien que je le sache .
Premièrement , l’homme répondit : Nous avons ouï parler du décret et de la défense que l’Eglise fait de tels mariages , mais nous n’en avons pas tenu compte et l’avons méprisé .
Le Juge répondit : Puisque vous n’avez pas voulu suivre Dieu , la justice veut que vous sentiez les peines des bourreaux .
Et soudain l’Ethiopien enfonça son ongle dans le cœur de tous deux , et les pressa tellement qu’on aurait dit qu’ils étaient dans une presse .
p 255
Et le juge dit : Ma fille (Brigitte) , ceux-là méritent telles choses qui s’éloignent de leur Créateur pour s’approcher de la créature . Le Juge dit encore à tous deux : Je vous ai donné un sac pour les remplir de mes délices . Qu’est-ce que vous m’apportez maintenant ?
La femme répondit : O Juge , nous n’avons cherché que les délices du ventre , et nous n’emportons que la confusion misérable .
Lors le Juge dit au bourreau : Rendez ce qui est juste .
Le bourreau , dès l’instant , enfonça son ongle dans le ventre de tous deux , et les blessa si fortement que tous les intestins furent déchirés .
Et le Juge dit : Voilà ce que méritent les violateurs et les infracteurs de mes commandements , et qui au lieu de médecine , désirent le venin . Et il leur dit encore : Ou est le trésor que je vous avais prêté pour le faire gagner ?
Tous deux répondirent : Nous l’avons foulé aux pieds , car nous avons cherché un trésor terrestre , et non un trésor éternel .
Lors le Juge dit au bourreau : Donnez ce que vous savez et devez rendre .
Le bourreau enfonça soudain son troisième ongle dans le cœur , dans leur ventre et dans leurs pieds , de sorte qu’ils ressemblaient à un petit globe .
Et l’Ethiopien dit : Où irai-je avec eux ?
Le Juge lui dit : Ce n’est pas à toi de monter ni de te réjouir .
Ce qu’ayant été dit , soudain l’homme et la femme disparurent , et le Juge dit derechef : Réjouissez-vous , ma fille , de ce que vous êtes séparée de telles choses .
p 256
La Saint Vierge parle à l’épouse , lui disant en quelle manière elle est disposée , elle , les vierges , les veuves et les mariées qu’elle voit demeurer en leur juste résolution , à aimer son Fils sur toutes choses .
La sainte Mère de Dieu dit : Ecoutez , ô vous qui priez Dieu de tout votre cœur , afin que vos enfants plaisent à Dieu , car il n’y a point de mère qui aime mon Fils sur toutes choses , et qui , si elle demande le même avec tant de promptitude à ses enfants , ne me trouve aussitôt préparée et disposée à l’aider à l’effet de sa demande . Ni aussi il n’y a point de veuve qui demande constamment à Dieu le secours de perfection en sa viduité jusques à la mort , pour l’honneur et la gloire de Dieu , que je ne sois soudain plus disposée à accomplir sa volonté avec elle ; car j’ai été comme veuve , d’autant que j’ai eu en la terre un Fils qui n’avait point de père charnel . Il n’y a aussi aucune vierge qui désire garder sa virginité à Dieu jusques à la mort , que je ne sois plus disposée à la défendre , à la consoler et à l’affermir , car je suis vraiment cette vraie Vierge . Vous ne devez pas admirer pourquoi je dis cela , car il est écrit que David désirait la fille de Saül quand elle était vierge ; et de fait , il la prit , étant même veuve . Et d’ailleurs , il eut la femme d’Urie , quand même son mari vivait . Néanmoins , la concupiscence de David ne fut pas sans péché , mais la délectation spirituelle de mon Fils , qui est seigneur de David est sans aucun péché .
p 257
Partant , comme ces vies de virginité , viduité et mariage , ont plu corporellement à David , de même elles plaisent spirituellement à mon Fils en la délectation spirituelle ; c’est pourquoi ce n’est point de merveille si , en les aidant , j’attire leur délectation spirituelle en la délectation de mon Fils , car son plaisir est de prendre d’une manière toute sacrée ses plaisirs avec elles .
Chapitre 54
La sainte Vierge Marie parle à sa fille d’une nativité spirituelle de quelqu’un nourri dans les péchés infâmes , laquelle il a obtenue par les prières et les larmes des serviteurs de Dieu .
Voyez le fils de larmes qui est maintenant né du monde spirituellement tout de nouveau , qui était premièrement né de la mère charnellement , car comme la sage femme , qui tire l’enfant du ventre de la mère , tire premièrement la tête , après les mains , et puis tout le corps jusques à ce qu’il tombe à terre , de même en ai-je fait en la naissance spirituelle , pour les prières et les larmes que mes amis m’ont faites pour lui . En vérité , je l’ai tiré du monde , de sorte qu’il est spirituel comme un enfant nouvellement né ; c’est pourquoi on le doit nourrir corporellement et spirituellement , car celui à qui je vous ai envoyée , doit le nourrir par ses prières , et le garder par ses bonnes œuvres et ses conseils: Cette femme , dont il vous a été parlé , priera Dieu pour lui et le gardera spirituellement , ayant soin qu’il ait aussi les nécessités corporelles , car il était tellement tombé dans les péchés mortels , que tous les diables de l’enfer avaient dit de lui ; Ouvrons notre bouche. Si par aventure il vient, serrons-le entre nos dents et avalons-le. Etendons aussi nos mains sur lui, afin que nous le déchirions. Allons avec une grande promptitude, foulons-le aux pieds et déchirons-le avec nos éperons. C'est pourquoi il vous a été dit qu'il était né spirituellement, car il est maintenant délivré et affranchi de la puissance effroyable du diable, comme vous le pouvez colliger des paroles que vous avez ouies : qu'il aime Dieu de cœur et de corps sur toutes choses.
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La Sainte Mère de Dieu parle à sa fille, lui disant qu'elle veut aimer quelque enfant, à raison des prières des serviteurs de Dieu, et le veut munir des armes spirituelles.
Souvenez-vous de ce qui est écrit de Moise que la fille du roi le trouva sur les eaux et l'aimait comme son fils. Il est aussi écrit dans les histoires ecclésiastiques, que le même Moise surmonta la terre par les oiseaux qui consommèrent les serpents vénéneux.
Je suis la fille du Roi de la race de David, qui veut aimer cet enfant que j'ai trouve entre les ondes des larmes qui ont été épandues pour le salut de son âme, qui est enclose en l'arche de son corps. Que ceux-la dont j'ai parle le nourrissent jusques a ce qu'il soit parvenu a l'usage de raison. Lors, je le veux armer et envoyer conquérir la terre du Roi du ciel. Mais la manière dont cela se doit faire, vous est inconnue, et elle m'est claire et évidente, car je le préparerai en telle sorte qu'on dira de lui : Il a vécu comme un homme, il est mort comme un géant, et il est venu au jugement comme un soldat.
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ADDITION.
Le Fils de Dieu parle : Où l’âme famélique est chassée de l’aliment et de sa nourriture, elle attend de loin pour y revenir, si elle peut, ou autrement, elle se retire en sa tanière. De même en ai-je fais à ce prince de la terre, car je l’ai averti par mes dons et mes faveurs ; je l’ai averti par mes paroles et par les verges. Néanmoins, il se rend autant ingrat et oublieux que je me montre envers lui doux et mansuet. Partant, maintenant, je l’appellerai sous la couronne, et non sur la couronne, mais sur l’escabeau des pieds, puisqu’il n’a pas voulu demeurer en la couronne, et j’enverrai à lui et à ses complices un aspic cruel, engendré d’une vipère et d’un renard fin et rusé, qui troublera les habitants et plumera les simples ; qui montera au plus haut de la terre, abaissera, et foulera aux pieds les superbes. Je conduirai cet enfant, que ses parents ont nourri et élevé, par d’autres voies, jusques à ce qu’il arrive à la gloire.
Le Fils de Dieu dit derechef : On dira encore de cet enfant qu’il a vécu comme un homme et qu’il a bataillé comme un généreux soldat, et sera couronné comme un ami de Dieu. O ma fille ! Que croient les femmes qui se glorifient que leurs enfants avancent à l’orgueil et à la superbe ? Cela n’est pas gloire, mais confusion, puisqu’elles imitent le roi de superbe. Mais celle-là est la gloire, et celui-là est un soldat de gloire, qui se glorifie de faire ce qui honore Dieu, et s’efforce d’en faire de plus grandes choses pour m’honorer, et il est disposé de pâtir ce que Dieu veut qu’il pâtisse. Un tel est
bon soldat à Dieu, et un tel sera couronné avec les soldats du ciel.
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La sainte Vierge Marie dit à sa fille qu’elle ne doit pas ses contrister de ce qu’elle est corrigée et reprise.
La sainte Mère de Dieu dit : Pourquoi celui-là se trouble ? car de fait, le père frappe quelquefois le fils avec des verges assez douces ; il ne faut pas que le fils s’en contriste.
Chapitre 57
La sainte Mère de Dieu parle à sainte Brigitte de la manière dont Rome doit être purifiée de la zizanie, la première fois par un fer aigu, la deuxième par le feu, et la troisième par une paire de bœufs.
La Mère de Dieu parle, disant : Rome est comme un champ sur lequel la zizanie a crû grandement, c’est pourquoi elle doit premièrement être purifiée par le fer aigu, après par le feu, et en troisième lieu elle doit être labourée par une paire de bœufs. Je me comporterai avec vous comme celui qui transplante les arbres en un autre lieu, car on prépare à cette ville comme si le Juge commandait : Arrachez-lui toute sa peau ; épuisez-lui tout son sang ; hachez sa chair en petits morceaux et cassez-lui les os en telle sorte que les moelles en coulent.
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Jésus-Christ parle à son épouse de la manière dont Notre-Seigneur est signifiée par un seigneur pèlerin ; son corps par le trésor ; l’Église par la maison, et les prêtres par les gardiens, lesquels Notre-Seigneur a honorés au centuple par-dessus les autres. Comment Notre-Seigneur se plaint de ce qu’ils le vitupèrent au centuple, et en quelle sorte ils convertissent en sept vices les sept vertus dont ils devraient être enrichis.
Le Fils de Dieu dit : Je suis semblable au seigneur, qui, combattant fidèlement en la terre dès son pèlerinage, retourne avec joie en sa terre natale. Ce seigneur a un trésor grandement réjouissent, les tristes s’en consolent, les infirmes s’affermissent, et les morts ressuscitent. Mais afin que ce trésor fût honnêtement et assurément gardé, on a fait et parfait une maison en magnificence et en gloire, ayant une hauteur décente, et sept degrés par lesquels on montait à icelle et au trésor. Or, Dieu a donné ce trésor à voir à ses serviteurs, à le ménager fidèlement et à le garder purement, afin que la charité du seigneur fût approuvée envers ses serviteurs, et la fidélité des serviteurs envers le seigneur. Or, quelque temps s’étant écoulé, on commença à mépriser le trésor ; on fréquentait rarement la maison ; les gardiens s’attiédirent, et on négligeait l’amour de Dieu.
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Lors le seigneur, prenant conseil de ses familiers, leur demanda ce qu’il fallait faire sur une si grande ingratitude. Un d’eux dit : Il est écrit que les juges et gardiens du peuple, étant négligents, doivent être pendus, le visage tourné au soleil ; mais la miséricorde est à vous et en vous, et le jugement aussi ; mais bous pardonnez à tous, car tout est à vous, et vous faites miséricorde à tous.
Je suis ce seigneur, qui ai apparu en terre par humilité comme un pèlerin, étant néanmoins puissant en la terre et au ciel selon la Déité ; car en vérité, j’ai eu en terre un si grand combat que tous les nerfs de mes mains et de mes pieds étaient rompus pour le salut des âmes . Et laissant le monde et montant au ciel, d’où je ne suis jamais parti selon ma Déité, j’ai laissé au monde un mémorial très digne, savoir mon corps très saint ; car comme la loi ancienne se glorifiait de l’arche, de la manne, des tables du testament, et autres cérémonies, de même l’homme nouveau se réjouit d’une loi nouvelle, savoir, de mon corps crucifié, qui était figuré en la loi. Mais afin que mon corps fût en gloire et honneur, j’ai institué la maison de la sainte Église, où il serait gardé et conservé. Les prêtres sont ses gardiens spéciaux, qui sont en quelque manière en excellence par-dessus les anges, car celui que les anges craignent de toucher par une crainte de révérence, c’est celui-là même que les prêtres touchent de leurs mains et de leur bouche.
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J’ai aussi honoré les prêtres de sept sortes d’honneurs comme d’autant de degrés :
1-ils doivent porter la marque de prêtrise, et être mes signalés amis par la pureté de l’esprit et du corps, car la pureté est le premier degré pour aller à Dieu, à qui rien de corrompu ne convient ; car si aux prêtres de la loi était permis l’usage du mariage, tandis qu’ils ne sacrifiaient pas, ce n’est pas de merveille, car eux n’avaient que l’écorce et non le noyau. Or, la figure ayant cessé par l’arrivée de la vérité, il faut qu’ils s’adonnent tous à la pureté, car le noyau est plus doux que l’écorce. En signe de cette continence, on leur coupe les cheveux, afin que la volupté ne domine la chair ni l’esprit.
2. Les clercs sont institués pour qu’ils soient hommes angéliques par toute sorte d’humilité, d’autant que, par l’humilité de corps et d’esprit, on pénètre le ciel, et la superbe du diable est surmontée ; et en ce degré, les prêtres sont établis pour chasser les diables, car l’homme humble est élevé au ciel, d’où la superbe a fait tomber le diable.
3. Les prêtres sont ordonnés, parce qu’ils doivent être disciples de Dieu par la continuelle lecture de l’Écriture sainte ; c’est pourquoi elle leur est donnée par les prêtres, comme l’épée au soldat, afin qu’ils sachent ce qu’il faut faire, et qu’ils tâchent d’apaiser l’ire de Dieu par l’oraison et par la méditation, afin que le peuple ne périsse.
4.Les prêtres sont institués gardiens du temple de Dieu et spéculateurs des âmes ; c’est pourquoi l’évêque leur donne les clefs, afin qu’ils soient soigneux du salut des âmes de leurs frères, qu’ils les avancent par paroles et par exemples, et qu’ils incitent les infirmes à ce qu’il y a de plus parfait.
5. Ils sont établis dispensateurs et curateurs de l’autel, afin que, servant à l’autel, ils vivent de l’autel, et qu’ils ne s’occupent aucunement en terre, si ce n’est à ce qui concerne leur charge ecclésiastique.
6-Ils sont ordonnés pour qu’ils soient hommes apostoliques, prêchant la vérité évangélique, conformant leurs mœurs à ce qu’ils prêchent.
7- Ils sont institués afin qu’ils soient médiateurs entre Dieu et l’homme, par le sacrifice de mon corps. En ce degré, les prêtres sont en quelque manière au-dessus de la dignité des anges.
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Or, maintenant, je me plains que tous ces degrés sont grandement dissipés, car la superbe est aimée au lieu de l’humilité, l’impureté au lieu de la continence. On en s’entend plus aux livres de Dieu, mais à ceux du monde. La négligence paraît aux autels ; la sapience divine est réputée folie. On ne se soucie point du salut des âmes, ni tout cela ne leur suffit pas, mais encore ils jettent mes vêtements et méprisent mes armes.
Certainement j’ai montré à Moïse en la montagne de Sinaï, les vêtements dont les prêtres se devaient servir, non pas qu’en la céleste habitation de Dieu, il y ait quelque chose de matériel, mais d’autant que nous ne pouvons comprendre les choses spirituelles sans les matérielles. C’est pourquoi je montre ce qui est spirituel par le corporel, afin qu’on sache combien la pureté est requise à ceux ont la même vérité, et non la figure, savoir est mon corps, si ceux qui portaient l’ombre de ce corps et la figure de cette vérité avaient tant de pureté et de révérence.
Mais pour quelle fin ai-je montré à Moïse un si grand éclat d’habillements matériels, si ce n’est afin que, par eux, on comprît l’éclat et la beauté de l’âme ? car comme les vêtements du prêtre sont au nombre de sept, de même l’âme qui s’approche du corps de Dieu doit avoir sept vertus, sans lesquelles il n’y a point de salut.
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Donc, le premier vêtement de l’âme est la contrition de ses péchés ;
le deuxième, l’amour de Dieu et de la chasteté,
le troisième, le labeur pour l’honneur de Dieu et la patience en l’adversité ;
le quatrième, ne se soucier ni du blâme ni des louanges des hommes, mais de l’honneur de Dieu ; le cinquième, l’abstinence de la chair avec vraie humilité ;
le sixième, penser aux bienfaits de Dieu et avoir crainte de ses jugements ;
le septième, ce sont la charité et l’amour de Dieu sur toutes choses, et la persévérance en ce qu’on a commencé.
Or, maintenant, ces vêtements sont bien changés et méprisés, car en vérité, on aime à s’excuser, à se justifier, à rendre ses fautes légères, au lieu de se confesser simplement. On aime les continuelles cajoleries au lieu de chasteté : le labeur de l’utilité corporelle, au lieu du soin du salut des âmes ; l’ambition et la superbe du monde, au lieu de l’honneur et de l’amour du monde ; la superfluité en toutes choses, au lieu de la sobriété louable en toutes choses ; la présomption et le jugement des jugements de Dieu, au lieu de la crainte de Dieu, et l’ingratitude des clercs est sur tous, au lieu de l’amour de Dieu sur toutes choses. Partant, je viendrai en mon indignation, comme j’ai dit par mon prophète, et la tribulation leur donnera d’esprit.
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Lors la Mère de miséricorde, assistant là, dit : Béni soyez-vous, mon Fils ! Je vous parle par mon droit et justice. Vous savez toutes choses. Je vous prie pour cette épouse, à laquelle vous vouliez faire entendre les choses spirituelles, ce qu’elle ne peut pourtant, si vous ne lui donnez des similitudes matérielles : donnez-lui-en quelques-unes, car vous avez dit en votre Déité, avant que vous eussiez reçu de moi l’humanité, que, s’il se trouvait dix hommes justes en une cité, vous pardonneriez à toute la cité pour ces dix. Or, maintenant, il y a une infinité de prêtres qui vous plaisent par les oblations de votre corps : faites donc miséricorde à cause de ceux-là, à ceux qui ont peu de bien. Je vous prie pour cela ; je vous en conjure par l’humanité, en laquelle je vous ai engendré ; et tous vos élus vous demandent cela même avec moi.
Le Fils répondit : Bénie soyez-vous, et bénie soit la parole de votre bouche ! Vous voyez que je leur pardonne triplement, à raison d’un triple bien que contient l’obligation de mon corps ; car comme de la présomption de Judas, trois biens ont été manifestés en moi, de même trois biens proviennent aux âmes de l’oblation de ce saint et auguste sacrifice. Enfin, ma puissance est louée,
1- de ce que, sachant que Judas me trahirait, je n’ai pas rejeté sa conversation ;
2- que ce traître étant présent, je les renversai tous de ma seule parole dans le Jardin des olives, où ma puissance fut grandement manifestée ;
3- d’autant que je convertis toute sa malice et celle du diable au salut des âmes, où ma sagesse et mon amour furent manifestés.
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De même, trois biens proviennent de l’oblation des prêtres :
1- ma patience est louée de toute la milice céleste, car je suis le même entre les mains d’un bon et d’un mauvais prêtre, d’autant qu’en moi il n’y a point acception de personnes, ni les mérites des hommes ne font pas ce sacrement, mais bien mes paroles.
2- Parce que cette oblation est utile à tous, quel que soit le prêtre qui l’offre.
3.Attendu qu’elle profite aussi à ceux-là mêmes qui l’offrent, bien que mauvais, car comme d’une même parole que je dis : JE SUIS, tous mes ennemis tombèrent à la renverse, de même, ayant dit cette parole : CECI EST MON CORPS, les diables s’enfuient, et cessent de tenter les âmes qui font ces saintes et sacrées oblations, ni n’osèrent retourner à elles avec tant d’audace, si l’affection ne s’ensuivait.
C’est pourquoi ma miséricorde pardonne à tous et les souffre tous ; mais ma justice crie vengeance, d’autant que je crie toujours ; et combien plusieurs me répondent, vous le voyez assez.
Néanmoins, j’enverrai encore ma parole : ceux qui l’écouteront accompliront et consommeront leurs jours en joie si grande qu’on ne le peut dire ni penser à raison de sa douceur ; mais ceux qui ne l’écouteront point, les sept plaies arriveront à leurs âmes, comme il est écrit, et sept en leur corps, afin que, lisant et considérant ce qui a été fait, ils frémissent d’horreur en les expérimentant.
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Chapitre 59
Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à son épouse comment les prêtres sont obligés à trois choses : 1- à consacrer le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; 2. à avoir la pureté de la chair et de l’esprit ; 3. à avoir le soin de leur paroisse. Ils sont aussi tenus d’avoir un livre et de l’huile. Comment le prêtre est l’ange de Dieu ; voire son office est plus grand que celui des anges.
Le Fils de Dieu parle : Le prêtre est obligé à trois choses : 1. à consacrer le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; 2. à avoir la pureté du corps et de l’esprit ; 3. à pourvoir à sa paroisse.
Mais vous me pourriez demander à quoi il profite d’avoir une église, si l’on n’a une paroisse.
Je réponds : Le prêtre qui a volonté de profiter à tous, et de prêcher pour l’amour de Dieu, a une aussi ample paroisse que s’il avait tout le monde, car s’il pouvait parler à tout le monde, il n’épargnerait pas sa peine ; c’est pourquoi sa bonne volonté est prise pour l’effet, car Dieu exempte souvent ses élus du labeur de la prédication, à raison de l’ingratitude des auditeurs, et néanmoins, ils ne sont pas frustrés de la récompense, à raison de leur bon désir.
Le prêtre doit avoir aussi un livre et de l’huile : un livre pour instruire les imparfaits, et de l’huile sainte pour oindre les infirmes ; car comme dans le livre est contenue la doctrine du corps et de l’esprit, de même le prêtre doit avoir la sagesse pour modérer et retenir la chair, de peur que l’intempérance ne la relâche, d’où les paroissiens soient scandalisés, fuyant les ambitions et les cupidités du monde, par lesquelles l’éclat et la beauté ecclésiastique sont vilipendés ; évitant les mœurs du siècle, par lesquelles la dignité des prêtres est déshonorée.
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La science spirituelle est pour instruire les ignorants, corriger les dissolus et pour exciter les avancés. Or, en l’huile sont marqués la douceur de l’oraison et les bons exemples, car comme l’huile est plus grasse que le pain, de même l’oraison d’amour et de charité, et les exemples d’une bonne vie, sont plus efficaces que toute autre chose pour attirer les hommes à Dieu et pour apaiser Dieu.
En vérité je vous dis, ma fille, que le nom de prêtre est grand, d’autant que c’est un ange et un médiateur ; mais plus grand est son office, d’autant qu’il touche Dieu incompréhensible, et que les choses saintes sont en ses mains.
Chapitre 60
L’épouse parle à Dieu de la manière agréable pour le prier.
Béni soyez-vous, mon Créateur et mon Rédempteur ! Ne vous indignez pas si je vous parle comme celui qui, étant malade, parle à son médecin, comme l’affligé parle à son consolateur, et comme le pauvre à celui qui est riche et opulent.
En effet, celui qui est malade et blessé dit : O médecin, ne m’abandonnez pas, car vous êtes mon frère. O très bon consolateur, ne me méprisez pas, car je suis affligé, mais donnez repos à mon cœur et consolation à mes sens.
Et le pauvre parle en ces termes : O vous qui êtes riches et qui n’avez besoin de rien, regardez-moi, car je me meurs de faim ; voyez que je suis tout nu, et donnez-moi des vêtements qui puissent me réchauffer.
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De même je vous en dis, ô Seigneur très bon et très puissant ! Je considère les plaies de mes péchés, desquelles je suis blessée dés mon enfance, et je me lamente d’avoir inutilement employé mon temps. Mes forces se suffisent aux labeurs, car elles ont été épuisées dans les vanités. Partant, vous qui êtes la fontaine de toute bonté et miséricorde, je vous en supplie, ayez miséricorde de moi ! Touchez mon cœur de la main de votre dilection, car vous êtes un très bon médecin. Consolez mon âme, puisque vous êtes un bon consolateur.
Chapitre 61
Il est ici traité de la manière dont le diable apparut à l’épouse à l’élévation du corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lui disant et voulant prouver par raisons que ce qu’on élevait n’était pas le corps de Notre-Seigneur. Soudain l’ange de Dieu lui apparut, la confortant et lui disant : Ne le croyez pas, etc. Et comment Notre-Seigneur, apparaissant, contraint le diable de dire la vérité devant sa fille, et en quelle sorte le corps de Notre-Seigneur est pris des bons. Du remède convenable du corps de Jésus-Christ à nos tentations, pour nous en délivrer.
Un homme très cruel apparut à l’épouse, pendant l’élévation du corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et lui dit : Croyez-vous, folle que vous êtes ! que le corps de Jésus-Christ soit tous ce gâteau de pain ?
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Il serait consumé il y a longtemps, quand même il serait aussi grand que la montagne des montagnes. En vérité, il n’y a aucun des sages Juifs auxquels Dieu a donné la sagesse, qui le croie, ni aussi personne ne croira que Dieu se laisse toucher et manier par un prêtre qui a le cœur adonné à la chair et plongé dans les voluptés charnelles. Et afin que vous éprouviez ce que je dis, je vous déclare que ce prêtre est à moi, lequel j’emporterai quand je voudrai, voire en un instant.
Lors soudain l’ange, apparaissant, dit : O fille, ne répondez follement selon sa folie, car celui qui vous est apparu est le père du mensonge, mais préparez-vous, car votre époux approche.
Jésus-Christ, l’époux, venant, dit au diable : Pourquoi troubles-tu ma fille et mon épouse ? Je l’appelle fille, d’autant que je l’ai créée, et épouse, d’autant que je l’ai rachetée et l’ai unie à moi-même par amour.
Le démon repartit : Je parle, car il m’est permis de la refroidir en votre service.
Notre-Seigneur repartit : C’est ce qu’elle a expérimenté cette nuit, quand tu lui as pressé les yeux et les autres parties du corps ; et tu eusses fait davantage, si cela t’eût été permis. Mais toutes les fois qu’elle résiste, la couronne lui est redoublée. Néanmoins, ô diable ! d’autant que tu as dit qu’il y a longtemps que je serais mangé, bien que je fusse une montagne, dis intelligiblement, ma fille l’entendant ( puisqu’elle est corporelle) : L’Écriture dit que, le peuple se perdant, on érigea le serpent d’airain, lequel étant vu, tous ceux qui étaient mordus du serpent étaient guéris. Par quelle vertu étaient-ils guéris ? Est-ce, ou par la force de l’airain, ou par l’image du serpent, ou par la bonté de Moïse, ou par la vertu divine ?
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Le diable répondit : Cette vertu de guérir n’est d’autre que de la vertu propre de Dieu, et de la foi du peuple, qui obéissait, qui croyait si fermement que Dieu, qui avait fait éclore du néant toutes choses, pouvait aussi faire tout ce qui n’avait point été.
Dieu dit derechef : Dis, démon : quand la verge a été faite serpent, cela a-t-il été fait par le commandement de Moïse ou de Dieu, ou bien parce que Moïse était saint, ou parce que Dieu l’avait dit ainsi ?
Le démon repartit : Qu’était Moïse, sinon un homme infirme de foi, mais juste par la grâce de Dieu, à la parole duquel, par le commandement de Dieu, la verge a été faite serpent, Dieu commandant vraiment, et Moïse obéissent comme instrument ; car avant le commandement, la verge était verge, et Dieu commandant, la verge a été faite serpent, de sorte que Moïse même en avait peur.
Lors Notre-Seigneur dit à l’épouse qui voyait ceci : De même en est-il maintenant à l’autel, car avant les paroles sacramentelles, le pain mis à l’autel est pain ; mais ces paroles étant dites : CECI EST MON CORPS, il est fait mon corps, lequel prennent et touchent aussi bien les bons que les mauvais prêtres, aussi bien un que mille, en même vérité, mais non pas en même affection, d’autant que le prêtre bon le reçoit pour la vie éternelle, le mauvais pour son jugement.
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Quant à ce que le démon dit que Dieu est sali par l’immondicité de celui qui l’offre, cela est véritablement faux, car comme si un lépreux donnait les clefs à son maître, ou de l’infirme offrait des confections d’herbes très fortes, cela ne nuirait en rien à celui à qui elles sont administrées, puisque la même vertu est en elles, par qui que ce soit qu’elles soient administrées, de même Dieu n’est pas mauvais de la malice du mauvais prêtre, ni n’est pas meilleur de la bonté d’un bon prêtre, car il est immuable et est toujours le même, Or, quant à ce que le démon dit que ce prêtre mourra bientôt, il connaît cela par la subtilité de sa nature et des causes extérieures, néanmoins, il ne peut l’enlever que par ma permission.
En vérité, ce prêtre est du diable, s’il ne se corrige, et cela à raison de trois choses, car le diable dit qu’il a les membres puants et le cœur charnel, d’autant qu’il est en vérité tout pourri et tout fébricitant, car il a une chaleur extérieure et un froid intérieur, une soif intolérable, une langueur des membres, un dégoût du pain et une abomination à toute douceur, car il est chaud pour le monde et est froid pour Dieu ; il désire les voluptés charnelles, et a en horreur l’éclat et la beauté des vertus ; il est dégoûté de l’observance des commandements de Dieu ; il est fervent pour tout ce qui est de la chair. Partant, ce n’est pas de merveille s’il ne goûte mon corps, si ce n’est comme du pain cuit au four, car il ne considère ni ne goûte l’œuvre spirituelle, mais l’œuvre charnelle.
Partant, l’Agnus Dei étant dit, et ayant pris et reçu mon corps dans son corps, la puissance du Père et la douce présence de mon Fils se retirent de lui. Et ayant déposé les habits sacrés, la bénignité du Saint-Esprit se retire de lui, qui est le lien de l’union, mais la seule forme et mémoire du pain demeurent en lui seulement.
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Vous ne devez pas pourtant penser que celui-là ou quelque autre que ce soit, soit sans Dieu, recevant le saint sacrement, que Dieu s’en retire seulement, ne versant en lui de plus grandes consolations. Je demeure néanmoins en lui, le souffrant et le défendant du diable.
Quant à ce que le diable objecte qu’aucun des Juifs qui sont sages n’ont voulu croire cela, je réponds que les Juifs sont disposés comme ceux qui ont perdu l’œil droit ; c’est pourquoi ils clochent de chaque pied spirituel : et partant, ils sont fous et le seront jusqu’à la fin. Ce n’est donc pas de merveille que le diable aveugle leur esprit, endurcisse leur cœur, et leur suggère ce qui est impudique et contre la foi. Partant, toutes fois que telle pensée assaillira votre esprit, rapportez-la et découvrez-la à vos amis spirituels. Soyez permanente en la foi, et sachez sans doute que CECI EST MON CORPS, que j’ai reçu de la chair virginale, qui a été crucifié et qui règne au ciel ; ceci même est sur l’autel, et les mauvais et les bons le reçoivent. Car comme je me suis montré aux disciples allant à Emmaüs, en une autre forme étant néanmoins vrai Dieu et vrai homme, entrant à mes disciples, les portes étant fermées, de même je me montre aux prêtres sous une autre forme, afin que la foi ait son mérite, et que l’ingratitude des hommes paraisse ; ni n’est pas de merveille, car je suis le même maintenant qui ai montré la puissance de ma Déité par des signes terribles ; et néanmoins encore alors, les hommes ont dit : Faisons-nous des dieux qui nous précèdent
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J’ai aussi montré aux Juifs ma vraie humilité, et ils l’ont crucifiée. Je suis tous les jours sur l’autel, et on dit : Nous avons dégoût et tentation sur cette viande. Quelle plus grande ingratitude se pourrait-on imaginer que vouloir comprendre par raison Dieu et ses occultes jugements, et oser juger les mystères qu’il possède en sa main propre ? C’est pourquoi je veux montrer aux idiots et aux humbles, par un effet invisible et par une forme visible, qu’est la forme visible du pain sans pain et sans substance : qu’est la substance en la forme, et quelle la division de la forme sans substance, ou pourquoi je souffre des choses si indignes et si difformes en mon corps, afin que les humbles soient exaltés et les superbes confondus.
Chapitre 62
Notre-Seigneur reprend quelque prêtre qui ensevelissait quelqu’un qui était mort avec patience en la présence de l’épouse. Comment Dieu vient aux mauvais prêtres avec sept plaies corporelles et avec sept plaies spirituelles. En quelle manière tout cela, étant souffert patiemment, leur obtient la gloire.
Quand quelque prêtre ensevelissait quelque mort qui avait demeuré trois ans et demi gisant au lit, lors l’épouse ouït l’Esprit qui parlait en ces termes : Mon ami, que faites-vous ? Pourquoi présumez-vous de toucher le mort, vu que vos mains sont sanglantes ? Pourquoi criez-vous pour lui, puisque votre voix est quasi comme celle des grenouilles ? Pourquoi présumez-vous d’apaiser le Juge pour lui, vu que, par vos gestes, vous ressemblez plutôt à un joueur de farces qu’à un prêtre dévot ? Partant, la vertu de mes paroles, et non vos paroles, profitera au mort ; sa foi constante et sa longue patience l’introduiront à la couronne.
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D’ailleurs, le Saint-Esprit dit à l’épouse : Les mains de ce prêtre sont sanglantes, car toutes ses œuvres sont charnelles, qui ne peuvent toucher le mort, d’autant qu’elles ne peuvent aider de leurs mérites, mais bien par la dignité du sacrement, car les bons prêtres profitent aux âmes en deux manières, savoir : en vertu du corps de Notre-Seigneur et en vertu de l’amour dont ils brûlent. Sa voix est quasi comme celle des grenouilles, car elle sort des œuvres souillées ; tout sort de la volupté de la chair ; c’est pourquoi elle ne monte pas à Dieu, qui veut être apaisé par une voix humble, par la confession et la contrition.
Ses œuvres sont aussi comme celles des cajoleurs, car que font-ils autre chose, sinon se conformer aux mœurs des mains ? Que chantent-ils autres choses, sinon : Mangeons, buvons, et jouissons des délices pendant que nous vivons ? De même en fait celui-ci, car il se conforme à tous en ses vêtements et en ses actions, afin de plaire à tous par son pernicieux exemple et par son excès aux choses superflues. Mangeons, buvons, et jouissons des délices en cette vie, car elles sont les joies du Seigneur. Que notre force nous suffise pour arriver aux portes de la gloire ; que s’il m’en défend l’entrée, je serai content de demeurer en la porte de la gloire. Je ne veux point être parfait.
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Cette voie est trop pénible, et cette vie est trop lourde et trop pesante ; personne n’arrivera à la porte de la gloire, sinon celui qui sera parfait ou qui sera purifié parfaitement ; et pas un ne possédera la gloire, sinon celui qui la désire parfaitement, ou qui travaillera parfaitement à l’acquérir. Néanmoins, moi Seigneur de toutes choses, j’entre dans ce prêtre, mais je n’y suis pas enclos et caché ; j’y entre comme un époux ; j’en sors comme un juge qui doit juger le mépris qu’il me fait en me recevant.
Partant, comme j’ai dit, je viendrai aux prêtres avec sept plaies, car ils seront privés de toutes les choses qu’ils ont aimées ; ils seront jetés loin de la présence de Dieu ; ils seront jugés en son ire ; ils seront donnés au diable ; ils souffriront sans repos ; ils seront méprisés de tous ; ils auront nécessité de toutes choses, et seront assaillis de toute sorte de maux. De même aussi ils seront affligés de sept autres maux corporels ; ils seront flagellés comme Israël.
Partant, vous ne devez pas vous émerveiller si je souffre les mauvais, ou si quelques choses indignes sont manifestées en mon saint sacrement, car je les souffre jusqu’à la fin pour manifester ma patience et pour faire voir leur détestable ingratitude. Vous ne devez pas non plus penser qu’une telle indignité soit en mon corps, comme vous avez ouï du vomissement, mais ces espèces sensibles montrent ce qu’elles sont, savoir, qu’elles peuvent cesser d’être, et néanmoins, paraissant, elles marquent et découvrent au jour l’ingratitude des hommes, et les font voir à tous indignes et coupables d’une sainte participation et réception sacrée.
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Derechef, l’Esprit dit à l’âme du mort : O âme, tressaillez de joie, car votre foi vous a séparée du diable ; votre simplicité vous abrégera le long cours du purgatoire ; votre patience vous a conduite aux portes de la gloire , et ma miséricorde vous y introduira et vous couronnera .
Chapitre 63
Il est ici traité de la manière dont le diable apparut à l’épouse , la voulant décevoir au saint sacrement de l’autel par des raisons apparentes . En quelle manière Jésus-Christ fut au secours de
l’épouse , contraignant le diable de dire la vérité devant elle , et de la conformation et utile instruction de Jésus-Christ à son épouse , concernant son corps dans le saint et auguste sacrement .
Un démon , qui avait le ventre long , apparut à l’épouse sainte Brigitte , et lui dit : Que croyez-vous , ô femme ! et que considérez-vous de grand ? car moi aussi , je sais plusieurs choses ,et veux prouver avec des raison évidentes ce que je dis . Je vous conseille de ne croire ce qui est incroyable et de croire à vos sens : ne voyez-vous pas de vos yeux l’hostie ? n’oyez-vous pas de vos oreilles le bruit qu’elle fait quand on la rompt ? Vous l’avez vu vomir , être touchée , être déshonnêtement jetée en terre , et lui être faites plusieurs autres choses indignes que je ne souffrirais aucunement en moi . Que s’il était possible que Dieu fût en la bouche du juste , comment descendrait-il et viendrait-il aux injustes , dont l’avarice est sans fond et sans bornes ?
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Elle répondit à l’humanité de Jésus-Christ , qui apparut soudain après la tentation , disant : O Seigneur Jésus-Christ , je vous rends grâces pour toutes les faveurs dont vous m’avez comblée, mais spécialement pour trois : 1° d’autant que vous revêtez mon âme , lui inspirant la pénitence , et la contrition , par lesquelles tout péché est effacé . 2° Vous nourrissez l’âme , y versant votre charité , et la mémoire de votre passion , par laquelle l’âme se nourrit et se délecte comme en sa viande très bonne . 3°Parce que vous consolez tous ceux qui vous invoquent
en tribulation .
Miséricorde donc , ô mon Seigneur et aidez-moi , car bien que je sois digne d’être livrée aux moqueries et aux illusions du diable , je crois néanmoins qu’il ne peut rien sans vous , ni votre permission n’est pas sans consolation .
Lors , Notre-Seigneur dit au diable : Pourquoi parle-tu à mon épouse nouvelle ?
Le diable lui répondit : D’autant qu’elle sera liée à moi , et j’espère l’envelopper dans mes filets .
Or , elle sera lors liée à moi , quand ; consentant à moi , elle me plaira davantage et s’étudiera
à suivre plus mes conseils que les vôtre qui êtes son Créateur , car je prends garde à ses voie , et elles ne sont pas encore échappées de ma mémoire .
Notre-Seigneur repartit : Tu es donc un négociateur de la vie des âmes ?
Oui , dit le diable , mais en ténèbres car vous m’avez fait ténébreux .
Comment y vois-tu , dit Notre-Seigneur , et en quelle manière as-tu été fait ténèbres ?
J’ai vu ; dit-il , un démon , quand vous me créâtes fort beau ; mais d’autant que témérairement je me suis jeté en votre beauté , j’ai été aveuglé comme un basilic par l’éclat de votre splendeur .
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Je vous vis (1) quand je désirais votre beauté ; je vous vis en ma conscience , et vous connus quand vous m’avez jeté du ciel . Je vous ai aussi connu quand vous avez eu pris la chair et ai fait ce que vous m’avez promis . J’ai connu quand , en ressuscitant , vous m’avez dépouillé de mes captifs . Je connais tous les jours votre puissance , avec laquelle vous me confondez .
Et Notre-Seigneur lui dit : Si tu connais et sais de moi la vérité , pourquoi mens-tu à mes élus , quand tu sais la vérité être de moi ? N’ai-je pas dit que celui qui mange ma chair vivra éternellement? et tu dis que c’est mensonge , et que personne ne mange ma chair ! Mon peuple serait donc plus idolâtre que celui qui adore les pierres et le bois ! Néanmoins , d’autant que je sais toutes choses , réponds en sorte que mon épouse l’entende , car elle ne peut entendre les choses spirituelles que par les similitudes . Thomas , qui me toucha après la résurrection , savait-il ce qu’il touchait , s’il était corporel ou spirituel ? car s’il était corporel , comment pouvait-il entrer en la chambre , les portes étant fermées ? Que s’il était spirituel , comment était-il visible aux yeux corporels ?
Le diable répondit : Il est difficile de répondre là-dessus , où celui qui parle est suspect à tous et contraint de dire la vérité . Néanmoins , puisque j’y suis contraint , je parlerai . En ressuscitant , vous étiez corporel et spirituel . Partant , à cause de la vertu éternelle de votre Divinité , et à raison de la prérogative spirituelle de votre chair glorifiée , vous entriez partout .
(1) Il faut entendre , non de la vision du matin , mais de celle du soir , par réflexion des créatures de Dieu
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Dieu dit derechef : La verge de Moïse , quand elle était convertie en serpent , était-elle seulement similitude de serpent , ou était-elle serpent dehors et dedans ? ou les fragments de pain étaient-ils tout pain , ou seulement semblance ?
Le diable répond : Tout ce qui était en la verge était le serpent ; tout ce qui était un fragment du pain était pain , et tout a été fait votre corps par votre vertu et par votre puissance .
Notre-Seigneur repartit : M’est-il maintenant plus difficile de faire un semblable miracle , ou un plus admirable , s’il me plaît ? Que si alors la chair glorifiée a pu entrer , les portes étant closes où les apôtres étaient , pourquoi maintenant ne pourra-t-il être dans les mains des prêtres ? Peut-être ma divinité aurait-elle quelque peine de joindre les choses basses aux hautes , et les terrestre aux célestes ; point , mais véritablement , ô père du mensonge , comme ta malice est très grande , de même mon amour est et le sera sur tous ,car bien que ce sacrement auguste et sacré fût vu brûlé par l’un et foulé aux pieds par l’autre , je sais néanmoins la foi de tous , et dispose toutes choses en mesure et patience , moi qui fais de rien quelque chose , et d’une chose visible une invisible , et qui manifeste en signes et formes quelque chose visible , bien que néanmoins sous le signe soit vraiment une autre chose invisible , et qu’on voie une autre chose visible.
Le diable repartit : J’expérimente tous les jours la vérité de ceci , quand les hommes qui étaient mes amis s’éloignent de moi , s’approchent de vous et sont fais vos amis . Mais que dirai-je davantage ? Le serf affranchi montre assez en ses volontés ce qu’il ferait actuellement , si on le lui permettait .
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Lors , Notre-Seigneur parla derechef , disant : Croyez-le , ma fille ! je suis le restaurateur de la vie , et non le traître ; la vérité et la source de la vérité , et non le mensonge ; la puissance éternelle , sans laquelle il n’y aurait rien eu et il n’y aurait rien ; car si vous avez la foi et croyez que je suis dans les mains du prêtre , bien que le prêtre en doutât , néanmoins , à raison de la foi de ceux qui croient et assistent ici , je vous ai instruite trois fois , et vous ai dit
Que vraiment j’étais en leurs mains par la vertu des parole sacramentelles , que j’ai personnellement prononcées ,et tous ceux qui me reçoivent , reçoivent la Déité , l’humanité et la forme du pain . Car qu’est-ce Dieu , si ce n’est vie et douceur , lumière illuminante , bonté délectable , justice qui juge et miséricorde qui sauve ? et mon humanité est une chair angélique , conjointe avec Dieu et l’homme ,et le chef de tous les chrétiens .Donc, tous ceux qui croient en Dieu et reçoivent mon corps , reçoivent l’humanité , par laquelle Dieu et l’homme sont conjoints ; il reçoit et la forme du pain , attendu que , sous cette forme , est pris celui qui est caché sous icelle pour l’augmentation de la foi . Semblablement , le mauvais homme prend la même Déité comme juge , et non comme douceur et attrait ; il prend aussi l’humanité , mais non pas pour lui être placable . Il prend aussi la forme du pain , attendu que , sous cette forme visible , il reçoit la vérité cachée , mais non pas la suavité douce et attrayante , car quand il aura joint sa bouche à ma bouche , et m’aura reçu , le sacrement étant accompli , je m’en retirerai avec ma déité et humanité , ne lui restant que la seule forme du pain , non pas que vraiment je ne sois aussi bien avec les bons qu’avec les mauvais , à raison de l’institution du saint sacrement , mais parce que les bons et les mauvais n’en ont pas un même effet .
p 283
Enfin en ce sacrement , la vie de l’homme est offerte , savoir , Dieu , et la vie de Dieu entre dans l’homme , mais elle ne demeure pas avec les méchants , car ils ne laissent pas le mal ; et partant , la seul forme de pain demeure à leurs sens , non pas toutefois que ces espèces de pain leur servent pour quelque effet , d’autant qu’ils ne pensent et de considèrent cette réception autrement que s’ils voyaient et sentaient la forme du pain et de vin , comme si Notre-Seigneur tout-puissant entrait dans la maison de quelqu’un , où on se souvint des espèces du pain , et qu’on y oubliât , voire négligeât la présence de sa bonté
Chapitre 64
La Sainte Vierge Marie , Mère de Dieu , parla à sa fille de la manière dont son Fils est comparé à un pauvre rustique , et comment les tribulations et persécutions affligent les bons et les mauvais , les bons pour les purifier et les couronner .
La Mère de Dieu parle et dit : Mon Fils est comme un pauvre rustique qui n’a ni bœuf ni ânes ; il porte lui-même le bois de la forêt et autres instruments pour parfaire ses œuvres nécessaires ; et entre autres instruments , il portait des verges nécessaires à deux choses : pour châtier le fils désobéissant, et pour échauffer ceux qui ont froid .
p 284
De même mon Fils , Seigneur et Créateur de toutes choses , a été très pauvre , afin de nous enrichir , non des richesses passagères et périssables , mais des richesses permanentes et éternelles . Il a porté sur son dos un poids lourd et pesant , sa croix ,effaçant et purifiant par son sang les péchés de tous . Il a aussi , entre autres instruments de ses œuvres , choisi les hommes de vertu , par lesquels l’Esprit de Dieu opérant en eux , il a enflammé les cœurs de plusieurs à l’amour , et leur a manifesté les voies de vérité . Il a aussi élu les verges , qui sont les amateurs du monde , par lesquelles les enfants et les amis de Dieu sont affligés pour leur instruction , purification , et pour leur plus grande sagesse et récompense . Ces verges aussi échauffent les froids , et Dieu s’échauffe aussi de leur feu , mais comment ?
En vérité , quand les mondains affligent les amis de Dieu , et ceux-là qui aiment seulement Dieu pour la crainte de la peine , qui , troublés , se convertissent à Dieu avec plus de ferveur , ayant considéré la folle vanité du monde , Dieu , compatissant à leur tribulation , verse en eux des torrents de consolation et d’amour .
Mais que fera-t-on de ces verges ? Certainement , elles seront jetées au feu pour être brûlées , car Dieu ne méprise point son peuple , quand il l’abandonne aux mains des impies , mais comme le père enseigne le fils , de même Dieu se sert de la malice des impies pour couronner les élus .
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Il est ici traité d’un avertissement donné a sainte Brigitte , prouvant par exemple que les amis de Dieu ne doivent se fâcher ni cesser le labeur de la prédication . De leur grande récompense .
La Mère de Dieu parle : Vous devez être comme un vase vide , ample et disposé pour être rempli , non pas aussi si large que ce qu’on y verse se répande, ni si profond qu’il n’ait pas de fond . Or , ce vase est votre corps , qui est vide , quand l’appétit de volupté en est banni , et qui est large avec modération , quand la chair en est mortifiée avec discrétion , en sorte que l’âme soit disposée pour l’intelligence des choses spirituelles , et que le corps soit robuste pour le travail . Or , lors le vase est sans fond , quand la chair n’est retenue par le frein d’aucune abstinence , mais qu’on donne au corps tout ce que l’appétit désire . Mais oyez ce que je vous dis . Mon serviteur a dit une parole inconsidérée , disant : Qu’avais-je affaire de parler de ce qui ne touche point a ma condition et à mon état ? Une telle parole n’est point décente dans la bouche d’un serviteur de Dieu , car celui qui entend et sais la vérité et la passe sous silence , en est coupable , si ce n’est qu’on la méprisât tout à fait ; car il y avait un seigneur qui avait un château fort , où il y avait quatre biens : une viande incorruptible , chassant toute faim ; une eau salutaire , éteignant toute sorte de soif ; une odeur odoriférante , repoussant tout venin , et toutes sortes d’armes nécessaires qui débilitaient et affaiblissaient l’ennemi .
p 286
Enfin le seigneur , entendant que le château était assiégé par d’autres , dit au héraut , son serviteur : Allez , et criez à haute voix à mes soldats en ces termes : Moi , seigneur , je délivrerai mon château . Celui qui me suivra de bonne volonté , me sera semblable en honneur et gloire , et celui qui mourra au combat , je le ressusciterai à la vie immortelle , qui n’est sujette aux défauts ni anxiétés ; je lui donnerai un honneur permanent et des richesse éternelles . Le serviteur donc , ayant pris le commandement , mais moins soigneux de crier en telle sorte que sa voix parvînt jusqu’au soldat très noble et généreux , fut destitué et frustré du labeur . Qu’est-ce que fera le seigneur à ce soldat qui voulait franchement combattre , mais qui n’a pas ouï la voix du héraut ? Certainement , il sera récompensé selon sa volonté , mais le lâche ne sera pas sans correction .
Or , ce château est la sainte Eglise , fondée par le sang de mon Fils , en laquelle est son corps qui ôte toute faim , l’eau de sagesse évangélique , l’odeur de ses saints exemples et les armes de sa passion . Or , ce château est maintenant assiégé par les ennemis , d’autant qu’en l’Eglise sainte se trouvent plusieurs qui prêchent mon Fils de voix , mais le contredisent par leurs mœurs ; voire même ce qu’ils disent de voix , ils le contredisent par leurs volontés , ne se souciant pas de la patrie céleste , pourvu qu’ils puissent accomplir et assouvir leurs sales voluptés . Donc , afin de diminuer les ennemis de Dieu , les amis de Dieu ne doivent se relâcher de la prédication , car leur récompense ne sera pas temporelle , mais éternelle et sans fin
p 287
Chapitre 66
La Sainte Vierge parle à sa fille , disant que les biens temporels possédés avec discrétion , ne nuisent point , pourvu que l’affection de les posséder ne soit déréglée .
La Mère de Dieu parle : Que nuit-il , si quelqu’un est piqué d’une aiguille en son manteau , pourvu que la chair ne soit pas blessée ? De même les bien temporels , possédés avec discrétion , ne nuisent point , si ce n’est que l’amour de les posséder soit déréglé . Partant , examiner bien votre cœur , afin que votre intention soit bonne et droite , car par vous , les paroles de Dieu doivent être semées dans les autres ; car comme l’écluse d’un moulin retient l’eau et la laisse couler quand il est temps , de même vous devez soigneusement prendre garde lorsqu’un monde de pensées diverses et différentes, et de tentations importunes vous assaillent , afin que celles qui sont vaines et mondaines soit rejetées, et que celles qui sont divines soient incessamment considérées ; comme il est écrit que les eaux d’en bas coulent continuellement , et celles d’en haut demeurent arrêtées comme un mur . Les eaux d’en bas sont les pensées de la chair , et les cupidités inutiles qui doivent passer , sans nous y arrêter ; celles d’en haut sont les influences de Dieu et les paroles des saints , qui sont fermes et stables en nos cœurs comme une muraille , afin qu’elles n’en soient arrachées par aucune tentation .
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Jésus-Christ parle à son épouse , lui montrant sa magnificence . Comment toutes choses persévèrent selon son décret et ordonnance , excepté l’âme misérable du pécheur . Tout ceci est prouvé par exemple . En quelle manière il faut garder la volonté entière en agissant .
Le Fils de Dieu parle à son épouse sainte Brigitte , lui disant : Je suis un Dieu avec le père et le Saint-Esprit . En la providence de ma divinité , toutes choses ont été prévues et établies dès le commencement et avant les siècle , et toutes les choses , tant corporelles que spirituelles , ont une certaine disposition et ordre , et elles demeurent et courent selon qu’il a été ordonné et prévu en ma prescience , comme , par exemple , vous le pouvez entendre de trois choses :
1° de celles qui ont vie : comme est ce que la femme enfante , et non l’homme ;
2° ceci se voit dans les arbres , car les doux portent un fruit doux , et les amers un fruit amer ;
3° il est clair dans les astres , car le soleil , la lune et toutes les voûtes célestes , accomplissent leur course selon qu’il a été arrêté en ma Déité : de même les âmes raisonnables sont prévues en ma Déité , quelles elles seront à l’avenir , lesquelles néanmoins ma prescience n’empêche ni ne leur nuit en rien , attendu que je leur ai donné le libre arbitre et la puissance d’élire ce qui leur plaît .
p 289
1° Comme la femme engendre , et non l’homme , de même l’âme , bonne épouse de Dieu , doit enfanter par le secours divin des saintes actions , car elle a été créée pour cette fin , afin qu’elle avance en la vertu , et étant rendue féconde par la semence des vertus , elle croisse en telle sorte qu’elle arrive entre les bras et les embrasements du divin amour . Mais l’âme qui dégénère de sa naissance et de son Créateur , ne lui étant fructueuse , agit contre la disposition de Dieu , et partant est indigne de sa douceur .
2° L’ordre et la disposition de Dieu dans les arbres apparaissent immuables , car ceux qui sont doux apportent du fruit doux , et ceux qui sont amers , des fruits amers ; car la palme porte des fruits , auxquels il y a du dur comme une pierre et du doux : de même , de toute éternité , il a été prévu que là où le Saint-Esprit habite , là toute mondaine délectation est vile , la tout honneur mondain est complètement à charge . Ce cœur-la a tant de force et de vertu , qu’il n’est vaincu par l’impatience , abattu par l’adversité , ni élevé par la prospérité : de même aussi il a été prévu de toute éternité que là ou est l’épine du diable , là est le fruit , rouge au dehors , mais au dedans plein d’immondicités et d’épines : de même la délectation du diable est momentanée ,voire n’a que l’apparence de douceur , car elle est toute pleine d’épines et de tribulations ; car qui est plus enveloppé dans les intrigues du monde , est d’autant , plus chargé de rendre un compte plus fâcheux . Partant , comme tout arbre apporte tel fruit que sont sa racine et le tronc , de même tout homme est jugé selon que son intention est .
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3° Tous éléments demeurent arrêtés en leur ordre , et ont leur mouvement selon la volonté de leur Créateur , et selon qu’il a été prévu de toute éternité : de même toute créature raisonnable doit être disposée à se mouvoir selon l’institution de son Créateur , car quand elle fait le contraire , il est clair qu’elle abuse du libre arbitre , et où les choses irraisonnables gardent leur fin , là l’homme raisonnable dégénère et aggrave son jugement , d’autant qu’il n’use point de raison : c’est pourquoi il faut que la volonté de l’homme soit droite et bonne , car il ne fait pas plus grande injure au diable en vivant bien qu’à mes anges en vivant mal ; car comme Dieu exige de sa chaste épouse une douceur indicible , de même le diable demande de son épouse les épines et les pointes . Le diable pourtant ne pourra pas prévaloir en rien , si ce n’est que la volonté soit vicieuse .
Chapitre 68
La Sainte Vierge parle du renard à sa fille , en quelle manière le diable est comparé au renard , comment il déçoit les hommes par ses ruses et tromperies diverses et différentes , et tâche
surtout de surprendre ceux qu’il voit avancer en la vie pieuse et dévote .
Pour le jour des cendres .
Il y a un petit animal , dit la Mère de Dieu , qu’on appelle renard , soigneux et cauteleux pour rechercher toutes ses nécessités . Il feint quelquefois de dormir et fait semblant d’être mort , afin de prendre et de dévorer les oiseaux qui s’envolent sur lui . Il considère aussi le vol des oiseaux ; et ceux qu’il voit las de voler se reposer en terre ou sous quelque arbre , il les prend et les dévore ; mais ceux qui volent avec deux ailes le frustrent de son labeur et le confondent .
p 291
Ce renard est le diable , qui poursuit toujours les amis de Dieu , particulièrement ceux qui n’ont point le fiel de malice ni le venin de son iniquité . Il feint de dormir ou d’être mort , quand il laisse l’homme libre et affranchi de toute sorte de tentations , afin que , ne s’avisant pas , il l’attrape et le plonge dans les petites tentations . Quelquefois aussi , il fait ressembler le vice à la vertu , donne à la vertu la couleur du vice , afin que l’homme , enveloppé en ces apparences , marche en vain , et s’il ne s’en avise , qu’il périsse , comme vous le pourrez entendre par un exemple ; car la miséricorde quelquefois est vice , savoir , lorsqu’on l’exerce pour plaire aux hommes , et la rigueur de la justice est injustice , quand on la rend pour la cupidité ou pour l’impatience ; l’humilité est superbe , quand on s’abaisse par ostentation et pour être vu des homme ; la vertu de la patience est lors feinte , quand on se vengerait de l’injure , si on pouvait ; mais toutefois on attend , parce qu’on ne trouve pas le temps propre pour se venger . Quelquefois aussi le diable donne des tribulations et des tentations , afin que l’homme se plonge en de grandes tristesses ; d’autre fois il donne des anxiétés et des soins trop fâcheux , afin que l’homme s’attiédisse et se relâche au service de Dieu ; afin qu’étant imprudent dans les choses petites , il soit précipité dans les choses plus grandes . De même celui (1) dont je parle fut supplanté par ce renard , car quand il fut arrivé à sa vieillesse , et qu’il avait toutes choses à souhait , de sorte qu’il se disait être heureux et désirait de vivre longuement , il a été enlevé sans sacrements et sans penser à ses œuvres ni à ses richesses .
(1) c’est un évêque .
p 292
En effet , comme une fourmi , il amassait jour et nuit , mais non pas dans les greniers de Dieu , et étant arrivé à la porte du tombeau, où il introduisait le grain , il est mort et a laissé aux autres le fruit de ses labeurs , car celui qui n’amasse fructueusement au temps de la moisson , ne se réjouira point de sa semence . Partant , heureux sont les oiseaux de Dieu , qui ne s’endorment sous les arbre des délice du monde , mais sous les arbres des désirs célestes , car si la tentation du diable , ce renard fallacieux et méchant , les veut assaillir , soudain ils s’envoleront par les deux ailes de l’humilité de confession et de l’espérance d’un secours céleste !
DECLARATION .
Jésus-Christ , Fils de Dieu , parle ici : Ce supérieur est un évêque qui , voulant monter à l’arbre des doux fruits et les prendre , devait être affranchi de sa charge pesante , ceint fortement pour les cueillir , et devait avoir un vase pur pour les mettre : de même , que celui-ci s’efforce maintenant d’enrichir son corps de vertus , lui donnant le nécessaire , et non les superfluités , fuyant les occasions d’incontinence et de cupidité , se montrant une glace pure et un exemple parfait aux hommes imparfaits ; autrement un cas horrible lui adviendra , une fin soudaine , et les plaies de mes mains . Tout ceci arrive de la sorte .
p.293
Jésus-Christ dit à son épouse comment les bonnes mœurs et les bonnes œuvres des prêtres sont désignées par les eaux claires , et les mauvaises mœurs et méchantes œuvres par les eaux sales et troubles .
Le Fils de Dieu parle et dit qu’on peut connaître la bonté de l’eau d’une fontaine par trois choses : la première à la couleur ; la deuxième , si elle boueuse ; la troisième , si elle est sans mouvement , recevant et ne rejetant pas les saletés qui arrivent . Par ces eaux j’entends les mœurs et les cœurs des prêtres , qui doivent être doux en la suavité des mœurs , comme de douces fontaines à boire , clos et fermés contre la bourbe des vices .
La propre couleur donc d’un prêtre est la vraie humilité , et il doit d’autant plus s’humilier en sa connaissance et en ses œuvres , qu’il se voit obligé de travailler pour Dieu ; car là où la superbe
règne , la couleur du diable se trouve , laquelle , puisant de l’eau de la fontaine avec une main lépreuse , rend quasi aux regardants les eaux abominables . Ainsi la superbe fait voir les œuvres des prêtres toutes souillées . Or , l’eau est lors bourbeuse, quand le prêtre se laisse emporter à ses cupidités , et ne se contente des choses nécessaires , qui , comme il est fâcheux à soi-même et inutile, de même nuit aux autres par l’exemple de son ambition et de sa cupidité . Troisièmement , l’eau est immonde , quand elle reçoit les ordures et ne les jette pas ; et cela provient de ce que le canal est fermé et n’a pas son mouvement libre : de même le prêtre est immonde , qui aime dans son cœur et dans son corps les voluptés de la chair , et ne pousse pas dehors par une vraie condition tout ce qui se présente à lui d’immonde ; car comme les taches qui sont au corps rendent le corps difforme , mais surtout quand elles sont à la face , de même l’impureté et l’immondicité doivent être odieuses à tous , mais principalement à ceux qui sont appelés à une vie plus excellente .
p 294
Donc , il faut choisir ces prêtres pour mes œuvres , qui ne sont pas abondants à une pompe de paroles , mais en l’humilité et pureté , avec lesquelles ils vivent en eux-mêmes , et enseignent les autres par paroles et par exemple ; car bien que la main soit lépreuse , elle est pourtant utile pour l’exécution de mes œuvres , pourvu que l’esprit soit bon et que cette main soit spirituelle .
Chapitre 70
La Sainte Vierge , Mère de Dieu , parle à sa fille de la passion de son Fils béni , la narrant par ordre , et de sa forme et beauté corporelle .
Pour le jour de la passion .
La Mère de Dieu parle , disant que Jésus-Christ , son Fils , pleurait et suait en son corps , la passion s’approchant , pour la crainte et appréhension d’icelle ; et soudain il a été arraché de ma présence , et je ne l’ai vu davantage jusqu’à ce qu’on le conduisait pour être fouetté . Or , lors il fut tellement traîné et jeté par terre avec tant de cruauté , que sa tête ayant heurté , que ses dents tremblaient , et il fut si fortement frappé au col et à la joue , que le son et le contrecoup en parvinrent jusqu’à mes oreilles et à mon cœur . Après , par le commandement du bourreau , il se dépouilla lui-même de ses vêtements , embrassant franchement la colonne .
p 295
Il y fut lié , et son corps fut déchiré et sillonné de coups souvent réitérés de fouet , de rosettes et de pointes . Au premier coup, je fut frappée dans le cœur par le contrecoup , et quasi tirée hors des sens (1) ; et puis après , revenant à moi , je vis son corps tout déchiré , car il était tout nu quand il fut fouetté . Lors un des bourreaux ennemis qui assistaient là , disait :Eh quoi ! le voulez-vous faire mourir sans jugement , et faire la cause de votre mort par sa mort ? Et disant cela , il coupa la corde. Et mon Fils étant délié de la colonne , la première chose qu’il fit , ce fut de prendre ses vêtements ; et néanmoins , on ne lui en donna pas le temps de s’habiller ; mais pendant qu’on l’entraînait , il mis ses bras en ses manches. Les vestiges qui étaient à l’entour de la colonne étaient tellement plein de sang , que je pouvais les connaître tous , et je connaissais le lieu où il était passé par les signes du sang . Lors il frotta avec sa tunique son visage , qui était tout ruisselant de sang . Après , étant jugé et portant sa croix , il est emmené au mont de Calvaire ; mais par le chemin , on lui donna un autre homme pour aider à porter la croix .
Etant donc arrivé au lieu où on le devait crucifier , voici tout à l’instant un marteau et quatre clous bien aigus ; et on lui commande tout à l’instant de se dépouiller de ses vêtements , à quoi il obéit ; et il attacha un petit linge à ses parties honteuses , dont il fut en quelque sorte consolé , et il s’en alla pour ce faire crucifier . Or , la croix était fichée en terre , et les bras étaient élevés en haut , de sorte que le nœud de la croix était entré en ses épaules ; sa tête était appuyée sur la croix , et la table où était écrit le titre était attachée plus haut sur la tête et sur les bras . Ses bras étaient attachés plus haut que la tête .
(1) il ne faut pas ici conclure que la Sainte Vierge se soit pâmée , car on dit quasi , et non pas tout à fait .
p 296
Soudain donc qu’on lui eut commandé de se mettre sur la croix , il s’y mit , lui tournant le dos . On lui demanda la main : il étendit la droite la première ; et la main gauche ne pouvant arriver jusques au trou , on la tira pour l’y faire atteindre ; et les pieds semblablement ne pouvant arriver aux trous , on les tire et on les croise un peu plus bas que les cuisses ; étant distingués , on les cloue à la croix avec deux clous qu’on fiche sur l’os solide , comme on l’avait fait aux mains .
Donc , au premier coup de marteau , j’ai été comme ravie en extase , et veillant , je vis mon Fils , et oyais parler de lui diversement les hommes les uns aux autres , disant : Qu’est-ce qu’il a fait ? A-t-il commit larcin , rapine ou mensonge ? Les autres répondaient qu’il était un menteur . Et lors on mit cruellement la couronne d’épines sur sa tête , qui descendait jusqu’à demi front . Plusieurs ruisseaux de sang , excités par les pointes d’icelles , découlaient tout au long de sa face , remplissaient les cheveux , les yeux et la barbe , de sorte que tout me semblait sang ; ni lui ne me put voir assistant à sa croix , à raison que le sang avait coulé et avait rempli ses yeux . M’ayant donc recommandée à son disciple , ayant haussé sa tête et levé ses yeux si plein de larmes vers le ciel , il s’écrie d’une voix tirée du fond du cœur , disant : Mon Dieu ! Mon Dieu ! pourquoi m’avez-vous délaissé ? voix que je ne pus jamais oublier , jusqu’à ce que je fusse arrivée au ciel ; aussi avait-il prononcé ces mots, étant plus ému de ma souffrance que de la sienne .
p 297
Lors la couleur de la mort le couvrit en toutes ses parties , de sorte qu’on pouvait voir à travers du sang ses mâchoires , et ses joues étaient jointes aux dents ; ses côtes étaient tellement énervées qu’on les pouvait nombrer ; son ventre (les humeurs étant consommées) , était appliqué à son dos ; son cœur , étant auprès de la plaie , fit trembler tout le corps, et sa barbe tomba sur sa poitrine . Et lors , moi , réduite quasi à rien , je tombai par terre.
Sa bouche donc étant ouverte , comme il était expiré , on pouvait voir sa langue , ses dents et son sang en la bouche , et ses yeux à demi clos , tournés en bas , et son corps déjà mort pendait tout avalé, ses genoux étant courbés en une part , et ses pieds de l’autre sur les clous qui s’abaissaient en bas comme des gonds .
Cependant , les autres hommes qui étaient la présents , lui disaient comme en se moquant ; O Marie , maintenant ton Fils est mort . O Dame , la peine de votre Fils a été payée pour sa gloire éternelle .
Un peu de temps après , le côté étant ouvert et la lance étant arrachée , apparut en sa pointe comme une couleur brunette , afin que de là on entendît que son cœur était outrepercé ; et ce coup pénétra tellement mon cœur que c’est merveille , s’il ne se creva . Les autres donc se retirant , je ne pouvais me retirer , mais j’ai été un peu consolée , que son corps étant déposé et descendu de la croix , je le pusse toucher , le recevoir en mon sein , sonder ses plaies et en ôter le sang . Après , je portai mes doigts pour clore sa bouche et ses yeux . Or , les bras étant roides , je ne les pus courber pour les croiser sur sa poitrine , mais seulement sur le ventre ; ses genoux aussi ne purent être étendus , mais ils étaient rehaussés comme s’ils étaient roidis en la croix
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Derechef la Sainte Mère de Dieu parle , disant à sainte Brigitte : Vous pourrez voir mon Fils au ciel en ses qualités et excellences ; mais reconnaissez quel il était au monde selon le corps , car il était si beau de face qu’aucun ne le voyait qu’il n’en fût consolé , bien que son cœur fût opprimé de douleur. Et non-seulement les justes étaient consolé d’une consolation spirituelle , mais même les mauvais étaient relâchés de la tristesse du siècle , tout autant de temps qu’ils le voyaient , d’où vient que les affligés voulaient dire : Allons voir le Fils de Marie , afin que nous soyons soulagés pour le moins autant de temps que nous le verrons .
Donc , l’an 20 de son âge , il était parfait en grandeur et force d’homme ; il était grand , non pas charnu comme les hommes du temps présent , mais fourni d’os et muni de nerfs . Les cheveux de ses sourcils et sa barbe étaient bruns ; la longueur de sa barbe au travers était d’une paume de la main ; son front n’était pas rehaussé ni enfoncé , mais droit ; son nez était égal , non petit ni trop grand ; ses yeux étaient si purs que ses ennemis mêmes se plaisaient à les voir ; ses lèvres n’étaient pas épaisses, mais d’un rouge éclatant ; son menton n’était pas enflé ni trop long , mais d’une modérée beauté ; ses joues étaient modestement pleines de chair d’une couleur candide parsemée d’un rouge empourpré ; sa stature était droite , et en tout son corps , il n’y avait aucune tache , comme le témoignent ceux-la qui l’ont vu entièrement nu , lorsqu’on le fouettait à la colonne ; jamais vermine n’est arrivée à son corps , ni quelque immondice en ces cheveux .
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Il est ici traité de quelques questions agréables que Jésus-Christ propose à son épouse . Ses réponses humbles . Comment Notre-Seigneur ajoute pour l’élection de sa fille , trois louables états , savoir est de virginité , mariage et viduité .
Le Fils de Dieu parle à l’épouse , lui disant : Répondez-moi à quatre choses que je vous demande .
1° Si quelqu’un , dit-il , donnait à son ami une palme fructueuse , laquelle néanmoins il retiendrait auprès de sa maison , d’autant qu’il recevrait du plaisir de la vue et de l’odeur d’icelle , que dirait celui qui donne la palme , si celui qui l’a reçue la demandait pour la transplanter en un autre lieu auprès de sa maison , où elle fructifierait mieux ?
Sainte Brigitte répondit : Si l’ami avait donné la palme par amour , s’il était sage et s’il le désirait avoir pour bon ami , il permettrait en vérité à son ami de faire de la palme tout ce qu’il voudrait , lui disant : O mon ami , bien que de la proximité de la palme je reçoive un grand plaisir , néanmoins , parce qu’elle ne m’est pas beaucoup plantureuse , je me réjouis que vous la transplantiez où vous voudrez , en quelque lieu très fertile .
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2° Notre-Seigneur lui demanda : Si des parents avaient promis à quelque jouvenceau leur fille vierge, la vierge le voulant ainsi , et si ses parents interrogeaient l’enfant pour savoir si la fille lui agréait ou non , et si l’enfant ne répondait rien là-dessus , la fille serait-elle épousée ou non ? Sainte Brigitte répondit : Il me semble que non , puisque l’enfant n’a pas éprouvé sa volonté .
3° Notre-Seigneur lui proposa encore une autre question , lui disant : Un jeune et noble garçon , étant entre trois filles , proposa que celle d’entre elles qui dirait qu’elle l’exciterait plus souvent à l’amour, celle-là obtiendrait l’amour de ce jeune homme . Lors la première répondit : J’aime ce jouvenceau avec tant d’amour que j’aimerais plutôt mourir que de m’unir à un autre . La deuxième dit : Je souffrirais et préfèrerais pâtir toute sorte de peines que de dire une parole contre sa volonté ou qui l’offensât tant soit peu . La troisième répondit : J’aimerais plutôt pâtir et endurer toute sorte de peines , quoique amères , que de le voir tant soit peu méprisé ou souffrir quelque dommage .
Dites-moi donc , dit Notre-Seigneur , laquelle de ces trois aime plus le jouvenceau , et quelle est celle qu’il faut préférer en l’amour d’icelui .
Sainte Brigitte répondit : Il me semble que toutes l’aime également , car toutes étaient d’un même cœur envers lui , et partant , toutes sont dignes de son amour .
4° Notre-Seigneur dit : Il y avait un ami qui en consultait un autre : J’ai , dit-il , du blé grandement fructueux ; si on le sème en bonne terre , il fructifie à foison ; mais d’autant que j’ai grandement faim , que vous semble-t-il meilleur , ou que je le sème ou que je le mange ? L’ami répondit : Votre faim se peut rassasier par une autre occasion , il vous est donc plus utile que vous le semiez .
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Lors Notre-Seigneur ajouta : Ma fille , n’êtes-vous pas d’un même avis , que la faim soit supportée avec patience , et que le grain qui doit profiter à plusieurs soit semé ?
Notre-Seigneur dit derechef : Ces quatre choses vous appartiennent , car votre fille (1) est comme une palme que vous m’avez vouée et donnée . Or , maintenant , je sais un lieu plus agréable pour elle: je la veux transplanter où il me plaira , et pour cela , vous ne devez pas vous troubler , car vous avez consenti à la transplanter .
Notre-Seigneur dit encore : Vous m’avez donné votre fille , mais moi , je ne vous ai point montré ce qui m’était plus agréable en elle , la virginité ou le mariage , ou si votre sacrifice me plaisait ou non . Partant , maintenant , ayant connu votre certitude , les choses qui sont faites avec icelle se peuvent changer et corriger . Notre-Seigneur dit encore : la virginité est bonne et grande , car elle rend semblable aux anges , si toutefois elle est observée avec raison et honnêteté . Or , si l’une est sans l’autre , savoir est la virginité de la chair sans celle de l’esprit , la virginité est difforme , car une mariée humble et dévote (2) m’est plus agréable qu’une vierge superbe et impudique . Peuvent être d’un égal mérite , une mariée qui n’est point lascive et qui vit conformément aux commandements de Dieu en sa crainte , et une vierge pudique et humble , car bien que ce soit une chose grande d’être au feu de probation et ne point brûler , néanmoins , il est égal d’être hors du feu de la religion et vouloir être librement dans le feu du monde , et brûler d’un feu d’amour plus fervent envers Dieu hors du feu de le religion , que celui qui y est . Voici que de ces trois je vous propose un
exemple .
(1) La fille de sainte Brigitte était sainte Catherine .
(2) Il faut entendre que la mariée peut avoir une plus grande ferveur à la chasteté que celle de la vierge , car autrement , la virginité et le célibat sont par-dessus , comme dit saint Paul . (1. Cor .7.)
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Certainement , il y eut trois notables personnes : Susanne , Judith , et Tècle , vierge . La première fut mariée , la deuxième veuve , la troisième vierge . Celles-ci eurent une vie et une intention inégales , et néanmoins , elles sont conformes au mérite de leur action . Susanne enfin , étant troublée et accusée faussement par les prêtres , aima mieux mourir que se salir contre les défenses de Dieu ; et d’autant qu’elle m’a craint , m’appréhendant partout présent , c’est pourquoi elle a mérité d’être sauvée et d’être glorifiée . Mais Judith , voyant mon déshonneur et la ruine de son peuple , en avait si grande compassion, qu’émue de mon amour , elle aima , non-seulement à s’exposer à toute sorte d’opprobres , mais encore était disposée à souffrir pour l’amour de moi toute sorte de peines . Tècle , vierge , aima mieux souffrir les passions très amères que dire une parole contre moi . Ces trois , bien qu’elles n’aient eu une même action , néanmoins , sont égales en mérite . Partant , soit vierge , soit veuve , toutes me peuvent plaire également , pourvu que tout leur désir et bonne vie tendent à moi .
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Notre-Seigneur dit derechef : Votre fille , soit qu’elle soit en virginité ou en mariage , m’est également agréable , pourvu que le tout soit selon mes volontés : car que lui servirait-il d’avoir la virginité au corps et non à l’esprit ? ou qu’est-il plus glorieux , de vivre à soi-même ou de profiter à autrui ? Mais moi , qui sais toutes choses et qui les prévois , je ne fais rien sans raison . Partant, elle n’arrivera pas au lieu constitué avec le premier fruit , car il provient de la crainte , ni avec le deuxième , car il sort de la tiédeur ; mais elle parviendra au moyen , car elle a la moyenne chaleur de l’amour et fruit de l’honnêteté .Or , celui qui la prendra aura trois choses : des dons , des vêtements et de la viande pour elle .
DECLARATION .
Le Fils de Dieu parle à sainte Brigitte : Vous admirez pourquoi cette vierge n’est parvenue au mariage de la manière que vous espériez . Je vous réponds par une similitude . Quelqu’un se disposa a donner sa fille en mariage à quelque pauvre ; et lorsqu’il devait accomplir le mariage , il s’est rendu infracteur des lois de la cité , et à raison de cela , il a été chassé par les citoyens avec déshonneur , et il n’a pas obtenu la fille qu’il désirait . De même en ai-je fait au sieur de cette terre : je lui avais promis de lui faire de grandes choses ; mais lui , il s’est d’autant plus arrêté à mes ennemis , c’est pourquoi il n’est pas parvenu au bout des desseins que je lui avait promis . Mais vous me demanderez : Eh quoi ! ne prévoyez-vous pas les choses futures ? Oui , vraiment , comme on le lit de Moïse et de son peuple ; mais je lui ai montré et lui montre plusieurs choses , afin que les hommes se préparent à bien faire , qu’ils sachent que je leur donnerai des biens et faveurs , et qu’ils les attendent avec patience . Néanmoins , sachez qu’un malheur s’était retiré , mais un autre est arrivé sur les ingrats de ce royaume ; et après , ma bénédiction sera donnée sur les humbles qui demanderont ma miséricorde . Sachez aussi qu’il serait expédient à cette vierge qu’elle s’arrêtât à mon conseil et à celui des sages .
On croit que cette vierge fut dame Catherine , fille de sainte Brigitte ,de laquelle on peut voir en sa vie de grandes merveilles.
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Jésus-Christ parle à son épouse des sœurs de Lazare ressuscité . Manière dont l’épouse et sa fille sont désignées par les sœurs , l’âme par le Lazare ressuscité , et les envieux par les Juifs .
Comment Dieu a fait avec ceux-ci plus de miséricorde qu’avec les sœurs du Lazare , eux qui savent beaucoup parler et peu faire , et qui s’indignent contre ceux qui opèrent bien .
Le Fils de Dieu parle à son épouse , disant : Il y avait deux sœurs , Marthe et Marie , qui avaient un frère , le Lazare , que j’ai ressuscité , et qui , ressuscité , m’a plus servi qu’auparavant : de même ses sœurs , qui , bien qu’elles fussent familières et soigneuses à me servir avant la résurrection de leur frère , néanmoins en furent beaucoup plus soigneuses et dévotieuses après : de même en ai-je fait avec vous spirituellement , car j’ai ressuscité votre frère , c’est-à-dire , votre âme , laquelle , par quatre jours , étant morte et puante , s’éloigna de moi par la transgression de mes commandements , par les perverses cupidités , par la douceur du monde et par la délectation du péché . Mais il y eut quatre choses qui m’émurent à ressusciter Lazare ;
1° d’autant qu’il était mon ami quand il vivait ;
2° l’amour que ses sœurs me portaient ;
3° parce que l’humilité de Marie mérita tant en me lavant les pieds ,car comme elle s’était humiliée pour l’amour de moi en la présence de plusieurs qui banquetaient ensemble , aussi elle se réjouit et fut honorée en la présence de plusieurs ;
4° afin que la gloire de mon humanité fût manifestée .
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Ces quatre choses n’ont pas été en vous , d’autant que vous aimez plus le monde qu’elles . Partant , ma miséricorde est plus grande en vous que vous ne l’avez mérité par aucun acte , comme ces sœurs; et certainement , cette miséricorde est d’autant plus grande que la mort spirituelle est plus précieuse que la mort corporelle , et que la résurrection de l’âme est plus glorieuse que celle du corps . D’autant donc que la miséricorde procède de vos œuvres et les prévient , retirez-moi , tous ainsi que ces sœurs-là , en la maison de votre esprit , avec une charité très fervente , n’aimant pourtant rien que moi . Ayez en moi toute votre confiance , vous humiliant avec Marie , pleurant tous les jours vos péchés , n’ayant point eu soin de vivre humblement avec les superbes , d’être continente et modeste avec les continents et les modestes , de montrer aux autres évidemment combien intimement et intérieurement vous m’aimez ? Vous devez aussi être , comme ces chères sœurs , un cœur et une âme , forte et généreuse pour mépriser le monde , et prompte pour louer incessamment Dieu . Et si vous faites de la sorte , moi , qui ai ressuscité votre frère , c’est-à-dire , votre âme , je la défendrai , afin qu’elle ne soit tuée par les juifs cruels et impies ; car qu’aurait profité au Lazare d’être ressuscité de la mort présente , si , en vivant plus honnêtement en la vie mourante , il ne fût ressuscité plus glorieux en la seconde vie éternelle et permanente ?
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Mais qui sont les Juifs qui cherchent pour faire mourir le Lazare , si ce n’est ceux-là qui s’indignent de ce que vous vivez mieux qu’eux , qui ont appris à dire des choses sublimes et à en faire peu , qui , suivant trop fidèlement les faveurs des hommes , méprisent plus lâchement les faits de leur prédécesseurs ,d’autant que moins ils daignent contempler et entendre les choses Vraies et suréminentes ?
Tels , hélas ! sont plusieurs en nombre qui savent fort bien disputer des vertus , mais non pas les pratiquer en vivant vertueusement . Partant , leurs âmes sont en grand danger , car elles ont force paroles et peu d’effets . Mais quoi ! mes prédicateurs n’en ont-ils pas fait de même ? Non certes , d’autant qu’en vérité ils étaient tous prêts et disposés à donner leurs âmes pour leurs âmes , lorsqu’ils avertissaient les pécheurs , non avec des paroles sublimes , mais humbles et charitables ; car l’ardeur de celui qui enseignait , formait plus esprit de l’auditeur que les paroles . Or , maintenant , plusieurs parlent et disent de moi et des choses sublimes et éminentes , mais pas un n’en suit le fruit , d’autant que le souffle seul n’allume pas le bois , à moins que les petites scintilles du feu n’y coopèrent .
Je vous garderai donc et vous protègerai de ces Juifs , afin que vous ne vous retiriez de moi , ni par leurs paroles , ni par leurs actions . Je ne vous défendrais pas néanmoins en telle sorte que vous ne pâtissiez rien , mais afin que vous ne succombiez par puissance . Or , employez-y votre volonté , et moi , avec mon amour , j’allumerai vos désirs .
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Chapitre 73
Paroles de la Sainte Vierge à l’épouse , pour l’avertir comment elle ne se doit troubler du chevalier dénoncé ni de sa mort .
Un chevalier vivant était dénoncé être mort , lequel aussi était montré à l’épouse sainte Brigitte en une vision spirituelle , comment mort , demandant instamment aide et secours de ce sujet .
La Mère de miséricorde , la Sainte Vierge lui dit : Ma fille , vous saurez en son temps si ce chevalier est mort ou non , car nous voulons travailler , afin que désormais il vive mieux qu’il n’a vécu .
Chapitre 74
Parole de Jésus-Christ à l’épouse sainte Brigitte , et celles de saint Jean-Baptiste à Jésus-Christ , en le louant , et faisant des prières devant lui pour les chrétiens , et très singulièrement pour un chevalier , par les prières duquel , et la Sainte Vierge , et de saint Pierre , et de saint Paul , ce chevalier avait pris par leurs mains les armes spirituelles , c’est-à-dire , était armé et honoré de vertus ; et qu’est-ce qu’en détail signifient toutes les armes corporelles . Des bonnes oraisons .
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Le Fils de Dieu , engendre de toute éternité , parlait à sa chère épouse , lui disant : vous avez
composé aujourd’hui cette maxime merveilleuse , qu’il était meilleur de prévenir que d’être prévenu: de même je vous ai prévenue par les douceurs indicibles de ma grâce , de peur que le diable ne dominât tyranniquement en votre âme .
Et soudain , saint Jean-Baptiste , apparaissant , dit : Béni soyez-vous ô mon Dieu , qui êtes avant toutes choses , avant que jamais pas un n’a été Dieu , ni ne sera , d’autant que vous êtes , étiez et serez éternellement Dieu ! Vous êtes la vérité promise par les prophètes , celui dont je me suis réjoui avant qu’il fût né , et que je connaissais entièrement quand je le montrais et disais : Vous êtes notre joie indicible et notre gloire infinie . Vous êtes l’objet de nos désirs et la jouissance de nos contentements , d’autant que vous voir , cela nous remplit d’une indicible suavité , que personne ne connaît , si ce n’est celui qui l’a goûtée . Vous êtes aussi notre seul dilection . Ce n’est pas de merveille si nous vous aimons , car vous , qui êtes la charité même , aimez , non-seulement ceux qui vous aiment , mais aussi , étant Créateur de toutes choses , vous chérissez ceux mêmes qui dédaignent de vous connaître . Or , maintenant , ô mon seigneur ! puisque nous sommes enrichis par vos libérales et adorables mains , par vous et en vous , nous vous prions de départir de nos richesses spirituelles à ceux qui n’en ont point , afin que , comme nous nous réjouissons en vous , non en nos mérites , de même plusieurs participent à nos biens .
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Notre-Seigneur répondit : Vous êtes le souverain membre avec la tête et auprès de la tête ; néanmoins , la gorge est plus proche et plus excellente : de même je suis le chef et la tête de tous , et ma très-chère Mère est la gorge ; après , les anges le sont ; mais vous et mes apôtres êtes comme les palerons du dos , d’autant que , non-seulement vous m’aimez , mais aussi vous m’honorez , en avançant et en poussant ceux qui m’aiment . Partant , ce que j’ai dit et arrêter est constant : Les œuvres que je fais , vous les ferez , et votre volonté est ma volonté , car comme la tête de chair ne se meut point sans les membres , de même en l’union et conjonction spirituelle que vous avez avec moi, il n’y a point de vouloir sans pouvoir , mais tout est pouvoir ; c’est ce qu’un chacun de vous veut . Partant , que ce que vous demandez soit fait .
Ces choses étant dites , saint Jean apporta un chevalier à demi mort , et lui dit : O mon Seigneur ! celui qui est ici présent vous avait voué la milice qui s’efforce généreusement de combattre et d’abattre ; mais il ne peut surmonter ni vaincre son ennemi , d’autant qu’il est désarmé , et que d’ailleurs il est infirme . Quant à moi , je suis obligé de lui aider pour deux raisons , tant à considération des mérites de ses parents , qu’en contemplation de l’amour dont il est atteint et touché par mon honneur . Donnez-lui donc , pour l’amour de vous-même , les vêtements de la milice , afin que la confusion honteuse de sa nudité ne paraisse .
Notre-Seigneur lui répondit : Donnez-lui ce qu’il vous plaît , et revêtez-le selon votre contentement .
Lors saint Jean lui dit : Venez , ô mon enfant , et recevez de moi le premier vêtement de votre milice, par lequel vous pourrez plus facilement prendre et supporter les autres vêtements de la milice . Il appartient donc au chevalier qu’il ait plus près de la chair ce qui est plus mol et plus doux, savoir , un vêtement double . Je vous revêtirai donc de celle-là , puisque Dieu le veut de la sorte , car comme cette double robe corporelle est douce et molle , de même l’âmes a une double robe spirituelle , quand elle a Dieu très cher en son cœur , et le ressent doux et suave en ses affections .
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En vérité , la douceur qu’on ressent en Dieu provient de deux choses : de la considération éminente des bienfaits de Dieu , et de la souvenance des péchés abominables commis en la vie passée avec contrition .(S. Jean .) J’ai eu ces deux choses étant enfant , d’autant que j’ai mûrement considéré de quelle grâce et faveur Dieu m’avez prévenu avant de naître ; de combien grandes bénédictions il m’a accueilli après ma naissance . Et considérant tout ceci , j’ai gémi ,voyant que je ne pouvais rendre à Dieu quelque choses digne de tant de bénédictions . J’ai considéré aussi l’instabilité et l’inconstante volubilité du monde : c’est pourquoi , les connaissant , je me suis enfui dans les déserts les plus affreux , là où mon Jésus m’était autant doux consolateur que toutes les choses désirables du siècles m’étaient fâcheuses et à dégoût , même à mes pensées et à charge à mes désirs . Venez donc ô chevalier ! et revêtez-vous de cette robe double , d’autant que le reste vous sera donné en son temps .
Après , apparut saint Pierre l’apôtre , disant : Saint Jean vous a donné une robe double , mais moi , qui suit tombé grandement et me suis fortement relevé par la grâce , je vous impétrerai une cotte de mailles , c’est-à-dire , la divine charité ; car comme la cotte de mailles est faite de petits anneaux de fer , pour la défense contre les traits acérés des ennemis , et rend l’âme paisible et généreuse pour endurer fortement les torrents de maux qui fondent sur elle , elle la rend plus prompte pour honorer Dieu , plus fervente aux travaux et labeurs divins , la fait invincible dans les pressantes adversités , patiente en l’espérance et persévérante en ses entreprises .
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Cette cotte de maille doit donc reluire comme l’or et être forte comme l’acier et le fer , attendu que tout homme qui est blessé des flèches de l’amour divin doit être maniable comme l’or , par la patience contre l’adversités ; il faut qu’il soit éclatant et brillant par la sagesse et discrétion , de peur qu’il n’embrasse l’hérésie pour la pureté de la foi , et les choses douteuses pour les choses certaines .
Que sa cotte de mailles soit aussi forte , et que comme le fer dompte toutes choses , de même l’homme , se servant de la charité , humilie ceux qui résistent à la foi et aux bonne mœurs ; qu’il ne s’en retire pour les détractions ; qu’il ne fléchisse pour les amitiés ; qu’il ne s’attiédisse pour ses commodités temporelles ; qu’il ne dissimule pour le repos de la chair ; qu’il ne craigne à cause de la mort , car personne ne lui peut ôter la vie , si ce n’est que Dieu le permette . En vérité , bien que la cotte de mailles soit faite de plusieurs anneaux , néanmoins , il y en a deux signalés par lesquels la cotte de mailles de la charité est composée .
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Donc , le premier cercle de la divine charité est la connaissance de Dieu et la fréquente considération des bienfaits et des préceptes divins , afin que l’homme sache ce qu’il faut faire pour Dieu , pour le monde et pour le prochain . Le second cercle du divin amour est retenir et contenir dans les bornes de la raison sa propre volonté pour l’amour de Dieu . En vérité , celui qui aime Dieu entièrement et parfaitement , ne se réserve rien de ses propres volontés , qui sont contraires à celle de dieu . Voici , ô mon fils , que Dieu vous donne cette cotte de mailles , et je vous l’ai méritée , prévenu de l’amour de Divin .
Après , saint Paul apparut , disant : O mon fils , saint Pierre , le souverain pasteur des brebis , vous a donné la cotte de mailles ; mais moi , par la charité divine je vous donnerai le pourpoint , qui est la charité envers le prochain , savoir : vouloir mourir librement et franchement ,Dieu nous aidant par ses grâces pour le salut du prochain ; car comme au pourpoint , il y a plusieurs lames proportionnées et plusieurs clous qui l’unissent , de même en la charité du prochain , plusieurs vertus y concourent .
Certainement , celui qui aime son prochain est tenu et obligé d’avoir douleur que tous ceux qui ont été affranchis et réduits par le sang de Jésus , ne rendent pas un mutuel amour à Dieu . En deuxième lieu , il doit être marri que la sainte Eglise , épouse de Dieu , ne soit en sa louable disposition ; en troisième lieu , qu’il y en a peu qui se souviennent de la passion amère de Jésus , avec ressentiment , amertume et douleur . En quatrième lieu , il doit prendre garde que son prochain ne soit corrompu par quelque mauvais exemple . En cinquième lieu , il doit donner à son prochain son bien avec joie , et prier Dieu pour lui , afin qu’il profite et avance en toute sorte de biens , et y soit en tout accompli .
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Or , les clous qui unissent les âmes sont les paroles divines , car l’homme charitable doit consoler son prochain affligé en tout lieu par des paroles charitables , et défendre celui qui est injustement lésé , visiter les infirmes , racheter les captifs , n’avoir point honte des pauvres , aimer toujours la vérité , ne préférer rien à la charité , ne s’écarter ni se fourvoyer de la justice .
J’ai donc été revêtu de ce pourpoint , moi qui ai été infirme avec les infirmes , qui n’ai eu honte de dire la vérité en la présence des rois et des princes , et ai été préparé à mourir pour le salut du prochain .
Après apparut la Mère de Dieu qui dit à ce chevalier : Que vous manque-t-il encore , ô mon fils ?
Je n’ai point de heaume en ma tête , dit-il .
Lors la Mère de miséricorde dit à l’ange gardien de l’âme de ce chevalier : Que sert votre garde à son âme , ou qu’avez-vous pour offrir et présenter à Notre-Seigneur ?
L’ange répondit : j’ai quelques choses , bien que petites , car souvent il fait des aumônes et fait des prières avec charité et amour de Dieu ; souvent il laisse sa propre volonté pour suivre la volonté divine , priant Dieu avec une grande sincérité , afin que le monde lui soit vil et à mépris , et que Dieu lui soit très cher et très-aimable sur toutes choses .
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La Mère de Dieu répondit : Il est bon d’apporter quelque chose . Nous voulons donc faire comme fait un bon orfèvre , qui , voulant faire un grand vase d’or , et la matière lui manquant , en demande à ses amis qui en ont , lesquels lui en donnent , afin qu’il achève son vase et son ouvrage . Or , qui donnera de l’or à celui qui fais son ouvrage de boue , puisque la boue est indigne d’être mêlée avec l’or ? Or donc , tous les saints qui sont riches en or vous mériteront avec moi un heaume d’or que vous recevrez bientôt . Or , ce heaume est la volonté de plaire à Dieu seul ; car comme le heaume défend la tête des coups et des flèches , de même une bonne volonté de plaire à Dieu en tout , défend l’âme , afin que les tentations du démon infernal ne la surmontent , et introduit Dieu en l’âme . . Saint Georges et saint Maurice ont eu cette bonne et sincère volonté , et encore plusieurs autre , voire même le larron , quand il était pendu au gibet de la croix . Certes , sans cette bonne volonté , pas un ne jette un bon fondement pour sa vie , ni ne parvient à la couronne immortelle .
En ce heaume , il faut qu’il y ait deux trous devant les yeux , par lesquels on prévoie ce qui arrive . Ces deux trous sont la discrétion de ce qu’il faut faire et la prudence de ce qu’il faut omettre , car sans la discrétion et préméditation attentive , on fait beaucoup de choses à la fin qui soit mauvaises , qui semblent néanmoins bonnes au commencement .
Derechef , la Mère de Dieu parla au chevalier , lui disant : Que vous faut-il encore ?
Il répondit : Mes mains sont nues et n’ont point d’armure .
La Mère de Dieu lui dit : je vous aiderai et ferai en sorte que vos mains ne soient pas nues . Comme il y a deux mains de chair , il y a aussi deux mains d’esprit : la main droite , avec laquelle il faut tenir et manier le glaive , signifie les œuvres de justice ; en cette main doivent être cinq vertus comme cinq doigts .
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La première vertu est qu’un chacun soit juste en soi-même , prenant soigneusement garde qu’il n’apparaisse en sa parole , œuvre , exemple , quelque chose qui puisse offenser et mal édifier le prochain , de peur que ce qu’il reprend en autrui par droit et par justice , il ne le détruise par ses mœurs déréglées .
La deuxième vertu est qu’il ne rende ou fasse la justice ou les œuvres de justice pour la faveur des hommes ou pour la cupidité du monde , mais bien pour le seul et pur amour de Dieu .
La troisième est qu’il ne craigne personne pour la justice , afin qu’en son jugement se trouvent la miséricorde et la justice , et afin que celui qui a moins péché et offensé Dieu , soit autrement puni que celui qui l’a gravement offensé , autrement celui qui a péché par ignorance , autrement celui qui a péché à dessein ou par malice .
Or , quiconque aura ces cinq doigts doit prendre soigneusement garde que l’impatience n’aiguise son glaive , que la délectation humaine ne l’émousse , que l’imprudence ne le fasse jeter , et que la légèreté de l’esprit ne le noircisse .
Or , la main gauche est l’oraison divine , qui aura aussi cinq doigts .
Le premier est croire fermement les articles de la foi , de la Déité et humanité de Jésus , la marquant dans les œuvres ; croire ce que confesse la sainte Eglise , épouse de Dieu .
La deuxième est ne vouloir pécher et offenser Dieu à dessein et sciemment , et désirer que les fautes commises soient amendées par la sainte contrition .
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le troisième est de prier Dieu afin que l’amour charnel se change en l’amour spirituel .
Le quatrième est ne vouloir vivre au monde pour autre chose que pour honorer Dieu et pour diminuer les péchés .
Le cinquième est ne présumer rien de soi , mais craindre toujours Dieu et attendre la mort à toute heure .
Voilà , ô mon fils , les deux mains que vous devez avoir , la droite pour brandir et manier le glaive de justice contre les transgresseurs et violateurs de la justice , et la gauche d’oraison , par laquelle vous demandez justement à Dieu l’aide et le secours , afin que vous ne vous confiiez jamais de votre justice , ni ne soyez insolent contre votre Dieu .
La Sainte Vierge Marie apparut derechef et dit au chevalier : O mon fils , que vous manque-t-il encore ?
Il répondit : L’armure de mes pieds .
Et elle lui dit : J’ai ouï autrefois , ô chevalier du monde , mais qui êtes maintenant mon chevalier , que Dieu a créé tout ce qui est compris dans le pourpris de l’univers , du ciel et de la terre ; mais entre toutes les choses intérieures , la plus sublime et la plus digne , la plus belle et la plus éclatante , c’est l’âme , qui est semblable en ses images à sa bonne volonté ; car comme d’un arbre procèdent plusieurs rameaux , de même , de l’exercice et de l’œuvre spirituelle d’une âme sort et dérive votre perfection .
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Afin donc que vous obteniez l’armure spirituelle de vos pieds , la bonne volonté , moyennant la grâce de Dieu , doit être le commencement , en laquelle il doit y avoir deux considérations comme deux pieds sur des vases d’or . Le premier pied de l’âme parfaite doit avoir cette considération et résolution de ne vouloir offenser Dieu , bien que la peine ne suivît le péché ; le second pied est fait de bonnes œuvres , bien qu’elle sut qu’elle serait damnée pour répondre à la grande patience et à l’amour de Dieu .
Les genoux de l’âme sont la joie et la force de la bonne volonté , car comme les genoux se courbent et fléchissent pour l’usage des pieds, de même la volonté de l’âme se doit fléchir , retenir et contenir, selon la raison et vouloir divin , car il est écrit que l’esprit et la chair se contrarient eux-mêmes , c’est pourquoi saint Paul : je ne fais pas le bien que je veux ; comme s’il disait : Je veux quelque bien selon l’âme , mais je ne le fait pas à raison de l’infirmité de la chair , et quand je le fais , ce n’est pas avec joie ; quoi donc ! L’Apôtre était-il privé de la récompense , d’autant qu’il a voulu et n’a pas pu , ou parce qu’il faisait le bien , mais non pas avec joie ? Non , mais sa couronne s’augmentait au double :
1° elle s’augmentait à raison de l’homme extérieur , car son œuvre était pénible , à cause de la chair qui s’oppose au bien ;
2° elle s’augmentait à raison de l’homme intérieur , car il n’avait pas toujours les consolations intérieures et spirituelles ; c’est pourquoi plusieurs séculiers travaillent corporellement , mais ils ne sont pas pour cela couronnés , d’autant qu’ils sont mus à cela par un motif charnel . Certainement , si Dieu commandait ce labeur , ils ne seraient pas si ardents à leur travail .
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Il faut donc armer les pieds de l’âme de ces gens-là , c’est-à-dire , leur résolution de ne vouloir point pécher et de vouloir faire de bonnes œuvres , bien qu’ils fussent assurés qu’ils seraient armés d’une double armure , savoir , la discrétion en l’usage des choses temporelles , et la discrétion et désir des choses célestes .
Or , l’usage discret et prudent des choses temporelles consiste à avoir des biens pour se substanter et se nourrir avec modération , et non avec superfluité ; et l’usage prudent , sage et discret , et le désir des choses célestes , est de vouloir mérité des choses céleste
avec labeur et bonnes œuvres , car véritablement l’homme s’est éloigné de Dieu par son insupportable ingratitude et son intolérable lâcheté . Partant , il doit retourner à Dieu par l’humilité et par la diligence des bonnes œuvres . Partant , ô mon fils ! puisque vous n’avez eu tout ceci , prions les martyrs et les confesseurs , qui abondent en telles richesses , de vous aider et de vous
secourir .
Lors soudain les saints , apparaissant , dirent : O Dame très bénie , vous avez porté en vous Notre-Seigneur et vous êtes Dame de l’univers : qu’est-ce que vous ne pouvez pas vous- même ?
Vraiment , ce que vous voulez est fait . Votre volonté est toujours la nôtre , disaient les saints . Vous êtes à bon droit Mère de charité , d’autant que vous visiter tout le monde par charité .
Derechef la Mère de Dieu apparut et dit au chevalier : Mon fils , il vous manque encore le bouclier . Deux choses conviennent au bouclier , savoir , la force , et le signe empreint en lui du seigneur sous lequel il milite .
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Donc , le bouclier spirituel signifie la considération de la passion très amère de fertile , qui doit être au bras gauche auprès du cœur , afin que toutes les fois que la volupté de la chair délecte l’esprit , on considère attentivement les plaies de Notre-Seigneur ; que toutes les fois que le mépris de l’esprit et les adversités ordinaires du monde nous piquent et nous contristent , la pauvreté et les opprobres de Jésus-Christ soient médités par celui-là même , et que toutes les fois que l’honneur et le plaisir passager de cette vie mourante nous plaisent , on considère et on contemple la passion et la mort amère de Jésus .
Un tel bouclier doit avoir la force de la persévérance au bien et la longitude de la charité . Or , le signe gravé sur le bouclier doit être de deux couleurs , car on ne voit rien de si loin et de si clair que ce qui est fait de deux couleurs . Or , les deux couleurs du bouclier de la considération de la passion divine , sont , contenir , retenir et régler les affections immodérées , et la pureté , et le frein des mouvements de la chair , car de ces deux choses le ciel est orné et enrichi , et les anges , les voyant , disent en se congratulant : Voici le signe de pureté et de notre société : nous sommes obligés d’aider ce chevalier . Mais les démons infernaux , voyant ce chevalier enrichi et embelli des signes signalés et insignes de ce bouclier , criaient et hurlaient : Que ferons-nous , ô compagnons de l’enfer ?
Ce chevalier est terrible en ses entreprises et excellent en armes ; à son côté sont les armes des vertus ; au derrière , il a les armées des anges ; à gauche , il est très vigilant gardien , savoir , Dieu , de qui les pouvoirs sont adorables ; à l’entour de lui , il est tout plein d’yeux , avec lesquels il voit et regarde notre malice . Nous pouvons bien batailler contre lui , mais à notre confusion , car jamais nous ne le surmonterons .
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Oh ! qu’un tel chevalier est heureux , que les anges honorent , de la crainte duquel les diables tremblent ! Néanmoins , ô mon fils ,
dit la Mère de Dieu , d’autant que vous n’avez pas obtenu un bouclier juste , prions les saint anges qui reluisent en pureté spirituelle , de vous aider .
Derechef , la Mère de Dieu parle , disant : Mon fils , il vous manque encore un glaive .
Deux choses conviennent au glaive :
1° qu’il soit tranchant des deux côtés ;
2° qu’il soit bien effilé .
Or , le glaive spirituel est la confiance en Dieu pour combattre pour la justice . Or , cette confiance doit avoir deux tranchants , savoir , la rectitude de la justice en la prospérité riante comme à la droite, et l’action de grâce en l’adversité , comme à gauche .
Job , miroir de patience , eut un tel couteau , lui qui , en prospérité , offrit des sacrifices pour ses enfants , qui fut père des pauvres , qui logeait et ouvrait la porte aux pèlerins , qui ne marcha point en vanité , qui ne désira jamais le bien d’autrui , mais qui craignait Dieu , comme celui qui est assis sur les flots impétueux de la mer . Il rendit aussi actions de grâces en l’adversité , quand , ayant perdu ses enfants et ses biens , injurié de sa femme , frappé d’une plaie maligne , il endura patiemment tout cela , disant : Notre-Seigneur l’avait donné , Notre-Seigneur l’a ôté , qu’il soit béni en tous les siècles !
Ce glaive doit aussi être bien aiguisé , afin de tailler et de briser ceux qui en veulent contre la justice, comme firent jadis Moïse , David , Phinées , zélés pour leur loi , afin de parler constamment comme Elie et saint Jean . Oh ! que maintenant le glaive de plusieurs est émoussé ! Que , s’ils parlent , ils ne voudraient pas mouvoir le doigt contre les ennemis ; ils cherchent la gloire et l’amitié des hommes , et ne se soucient point de l’honneur de Dieu . Donc , d’autant que vous n’avez pas eu un tel glaive , prions les patriarches et les prophètes , qui ont eu une telle confiance , et ce glaive vous sera donné confidemment .
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Derechef la Mère de Dieu apparut et dit au chevalier : Mon fils , il vous manque encore un manteau pour mettre sur vos armes , afin qu’elles soient conservées de la rouillure et qu’elle ne soient tachées par la pluie . Ce manteau est la charité , l’amour et le désir de vouloir mourir pour l’amour de Dieu , et aussi , si faire se pouvait , sans offense , vouloir être séparer de Dieu pour le salut de ses frères . Cette charité couvre la multitude des péchés , conserve les vertus , apaise la fureur de la justice divine , rend toutes choses possibles , déterre et épouvante les démons et est la joie des anges . Or , ce manteau doit être blanc au dedans , et au dehors reluisant comme de l’or , car le zèle du divin amour est la pureté intérieure , et l’extérieure n’est point négligée . Les apôtres étaient signalés et embrasés des feux de cette charité ; partant , il les faut prier , afin qu’ils vous aident .
Derechef la Mère de Dieu apparut , disant : Il vous faut encore , ô mon fils , un cheval sellé . Par le cheval est entendu spirituellement le baptême : car comme le cheval porte et avance l’homme pour faire chemin en peu de temps avec quatre pieds , de même le baptême , qui est entendu par le cheval, porte l’homme devant le conspect et présence de Dieu , ayant quatre principaux effets spirituels :
le premier est que les baptisés sont affranchis et délivrés des griffes de Satan , et s’obligent aux commandements de Dieu et à le servir ;
le deuxième , ils sont purifiés du péché originel ;
le troisième , ils sont faits enfants de Dieu et ses cohéritiers ;
le quatrième , le ciel leur est ouvert .
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Mais hélas ! il y en a plusieurs qui , étant arrivés aux ans de discrétion , mettent un mors à ce cheval et le détourne de la vraie voie , le conduisant par la fausse , car lors la voie du baptême est droite et est tenue à droite fil , quand l’homme est instruit avant l’âge de discrétion , et est conservé en bonnes mœurs ; et quand l’homme est parvenu à l’âge de discrétion et considère sérieusement qu’est-ce qu’il a promis aux fonts du baptême , garde la foi inviolable et la charité divine , lors le cheval est bien conduit ; mais lors il le fourvoie et l’écarte du droit chemin et lui met un mauvais frein , quand il préfère à Dieu le monde et la chair . La selle du cheval , c’est-à-dire , du baptême , c’est l’effet de la passion très amère et de la mort horrible de Jésus-Christ , par laquelle le baptême a obtenu son effet , car qu’est-ce que l’eau , sinon un élément ? Mais après avoir été fait sang de Dieu , il vient à l’élément du Verbe divin et à la vertu du sang épandu de Dieu , et de la sorte, l’eau du baptême , par la parole divin , a été la réconciliation de l’homme et de Dieu , la porte de miséricorde et la chasse des démons infernaux , la voie du ciel et le pardon des péchés .
Que qui voudra donc se glorifier en la vertu du baptême , considère , en premier lieu , l’amertume de l’effet de l’institution baptismale , afin que , quand l’esprit humain s’enflera contre Dieu , il considère mûrement avec combien d’amertume Dieu mourant l’a racheté , et qu’il pèse aussi combien de fois il a enfreint le vœu du baptême , qu’est-ce qu’il mérite pour de si horribles chutes .
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D’ailleurs , afin que l’homme s’affermisse en la selle du baptême il a besoin de deux étoiles , c’est-à-dire , de deux considérations en sa prière . En premier lieu , il doit prier en ces termes : O Seigneur , Dieu tout-puissant , béni soyez-vous , vous qui m’avez tiré du néant et m’avez racheté par votre sang! Et lorsque j’étais digne de damnation , vous m’avez souffert en mes détestables et abominables péchés , et m’avez doucement et puissamment ramené à pénitence . Je reconnais , ô Seigneur de l’univers , devant votre majesté , que j’ai inutilement , misérablement et damnablement dépensé et prodigué tout ce que vous m’avez donné pour mon salut , savoir : j’ai employé le temps de pénitence en vanités misérables , mon corps en superfluités, la grâce du baptême en superbe insupportable , et j’ai aimé plus toute autre chose que vous , mon Créateur et Rédempteur admirable, mon nourricier très soigneux et mon conservateur très prudent ! C’est pourquoi je demande votre miséricorde , car je suis misérable , d’autant que je n’ai pas connu votre bénigne et invincible patience à mon égard . Je ne considérais pas ce que je devais faire pour répondre aux biens innombrables que vous m’avez faits , mais au contraire , de jour en jour , j’ai provoqué votre fureur et votre indignation par mes maux . Partant , je n’ai qu’une parole : Ayez pitié de moi , ô Dieu , selon votre grande miséricorde !
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Derechef , que la seconde oraison soit faite en ces termes : O Seigneur , Dieu tout-puissant ! je sais que j’ai toutes choses de vous, que je n’ai rien de moi, que je ne puis rien qui serve à la gloire de moi-même, et que je n’ai que péché : partant, je supplie humblement votre clémence, que vous ne me fassiez selon mes péchés, mais selon votre miséricorde. Envoyez-moi votre Saint-Esprit, qui illumine mon cœur et me confirme en la voie de vos commandements, afin que je persévère en eux, lesquels j’ai connu par votre sainte inspiration, et qu’aucune tentation ne me sépare de vous.
Donc, ô mon fils, attendu que tout cela vous manque, prions tous ceux qui ont empreint en leur cœur l’amertume de la passion de Jésus-Christ, de vous départir de leur charité.
Ces choses étant dites, soudain apparut comme un cheval harnaché et enrichi d’ornements dorés. Et la Mère de Dieu dit : Le bel et riche ornement de ce cheval signifie les dons du Saint-Esprit qui sont donnés au baptême, car par le baptême, soit qu’il soit administré par un bon ou par un mauvais ministre, le péché originel est remis, le Saint-Esprit est donné en gage d’amour, les anges en garde et le ciel en héritage. Voilà, ô mon fils, les ornements du chevalier spirituel ; celui qui en sera revêtu et enrichi recevra la récompense incomparable, par laquelle sont achetés la délectation éternelle, l’honneur paisible, l’abondance éternelle et la vie sans fin.
Ce chevalier fut M. Charles, fils de sainte Brigitte.
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Chapitre 75
Paroles de l’épouse sainte Brigitte en forme de prière, qui induisent à louer hautement Dieu et la Sainte Vierge. Réponse de la Sainte Vierge tendant à consoler sa fille, déclarant par exemples exprès que Dieu permet souvent les mensonges du diable, afin que la vertu divine soit plus manifeste. Comment les tribulations induisent aux biens spirituels.
Béni soyez-vous, ô mon Dieu, mon Créateur et Rédempteur ! Vous êtes cette récompense par laquelle nous sommes rachetés, par laquelle nous sommes conduits et dirigés à toutes les choses salutaires, par laquelle nous sommes unis à l’unité et à la Trinité. Partant, si j’ai honte de ma laideur et déformité, je me réjouis néanmoins que vous, qui êtes mort une fois pour notre salut, vous ne mourez plus, car vous êtes celui-là qui étiez avant les siècles, vous qui avez puissance de la vie et de la mort ; vous êtes le seul bon et juste ; vous êtes le seul tout-puissant et formidable. Partant, béni soyez-vous éternellement !
Mais que dirai-je de vous, bienheureuse Marie, le salut entier du monde ? Vous êtes semblable à l’ami dolent et affligé de quelque chose qu’il a perdue, qui lui fait voir tout soudain ce qu’il avait perdu ; par lequel la douleur était soulagée, et la joie indicible croissait, et l’esprit était tout plongé dans la joie. De même vous, ô très douce Mère, vous avez montré au monde Dieu, que les hommes avaient perdu ; vous avez engendré dans le temps celui qui était engendré de toute éternité, de la naissance duquel le ciel et la terre se sont grandement réjouis. C’est pourquoi, ô très-chère Mère, aidez-moi, je vous en prie, afin que mon ennemi ne se réjouisse de moi, afin que ses fraudes, ses rudes et ses déceptions en me surprennent.
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La Mère de Dieu lui répondit : Je vous aiderai. Mais pourquoi vous troublez-vous qu’une chose vous soit montrée spirituellement, et qu’un autre soit ouïe corporellement, en cela que ce chevalier qui vit corporellement, vous était montré spirituellement et qu’il avait besoin de secours spirituel. Mais ayez la certitude de ceci : toute vérité est de Dieu, et tout mensonge est du diable, car il est père du mensonge ; partant, toute vérité est de Dieu véritable ; néanmoins, de la malice du diable et du mensonge, que Dieu permet quelquefois par un juste et occulte jugement, la vertu de Dieu est plus manifeste, comme je vous le montrerai par un exemple.
Il y avait une vierge qui aimait très tendrement son époux, et semblablement l’époux aimait cette vierge, de la dilection mutuelle desquels Dieu était glorifié, et les parents des uns et des autres s’en réjouissaient grandement.
Leur ennemi, considérant cela, pensa ainsi : Je sais que l’époux et l’épouse s’entretiennent en trois manières : par lettres, par discours mutuels et par l’union des corps. Afin donc qu’ils ne reçoivent mutuellement des lettres, je remplirai les chemins d’épines et de crochets ; afin qu’ils ne s’approchent pour se parler mutuellement, j’exciterai des cris et du bruit, par lesquels ils seront distraits de leurs colloques, et afin qu’ils ne couchent ensemble, j’établirai des gardiens de telle trempe, qu’ils observeront tous les trous, afin qu’ils n’aient occasion de s’unir ensemble.
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Or, l’époux, qui était plus fin que l’ennemi, oyant cela, dit à ses serviteurs : Mon ennemi me dresse des embûches en ces choses : prenez garde en tous ces lieux-là ; si vous le trouvez faire comme ci-dessus, laissez-le travailler jusqu’à ce qu’il ait dressé les lacets, et puis, sortant, vous ne le tuerez pas, mais le trompant et l’attrapant sur le fait, criez contre lui, afin que vos conserviteurs, voyant les astuces de l’ennemi, soient plus sur leurs gardes en veillant et se gardant. De même en est-il des choses spirituelles, car les lettres par lesquelles l’époux et l’épouse, c’est-à-dire, Dieu et une bonne âme, s’entretiennent, ne sont autre chose que les prières et les soupirs des bons ; car comme les lettres corporelles signifient l’affection et la volonté de celui qui les envoie, de même les prières des bons entrent dans le cœur de Dieu, et unissent l’âme à Dieu par un lien d’amour. Mais le démon empêche souvent les cœurs des hommes de demander ce qui concerne le salut de l’âme, ou ce qui est contraire aux voluptés charnelles ; il empêche encore que ceux qui prient pour les pêcheurs ne soient exaucés, et que les pécheurs ne demandent pour eux ce qui est utile à leur âme et ce qui profite pour l’éternité.
Or, que sont les mutuels colloques, par lesquels l’époux et l’épouse sont faits un même cœur et une même âme, si ce n’est la pénitence et la contrition, esquels souvent le diable fait tant de bruit qu’ils ne se peuvent entendre ? Or, quelle est sa criaillerie, sinon ses suggestions pernicieuses, pour détourner celui qui veut faire une pénitence fructueuse, disant par ses fautes ses suggestions : O âme, vous êtes grandement délicate : il vous sera dur et amer d’entreprendre des choses non accoutumées. Eh quoi ! Tous ne peuvent-ils pas être parfaits ? Il suffit que vous soyez du nombre de plusieurs ; pourquoi donc espérez-vous de plus grandes choses et y tendez-vous ? Pourquoi faites-vous ce que pas un ne fait ? Vous ne pourrez persévérer ; vous serez l’objet et le sujet des moqueries d’un chacun, si vous vous humiliez trop et vous vous soumettez de la sorte.
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Or, l’âme, étant déçue par telles suggestions malheureuses, pense à part soi : Il est fâcheux, dit-elle, de laisser ce que j’ai accoutumé ; partant, je me veux confesser du passé. Il me suffit du reste de suivre la voie de plusieurs ; je ne puis pas être parfaite ; je ne suis pas assez forte. Dieu est miséricordieux ; il ne nous aurait pas rachetés par son sang, s’il nous voulait perdre. Par telles suggestions pestiférées, le diable empêcha l’âme qu’elle n’ouït et n’écoutât Dieu, non que Dieu n’oie toutes choses, mais Dieu, en oyant telles choses, ne se plaît pas en l’âme, qui consent plutôt à la tentation qu’à la raison. Qu’est-ce à dire que Dieu et l’âme sont unis uniment, si ce n’est les désirs des choses célestes, et la charité pure, de laquelle l’âme doit incessamment brûler ?
Mais cette charité est empêchée en quatre manières : 1- le diable tâche de porter l’âme à faire quelque chose contre Dieu ; et bien qu’il ne soit réputé, quand néanmoins cela plaît à l’âme, et d’autant que cette délectation semble légère, elle est négligée, et partant odieuse à Dieu. 2- Le démon suggère à l’âme de faire quelque bien pour le plaisir des hommes, et d’omettre, à raison de la crainte du monde, souvent quelques biens qu’elle pouvait faire pour l’honneur de Dieu. 3- Le diable met en l’âme l’oubli du bien qu’elle peut faire, et le dégoût, par lequel l’esprit se ralentit au bien. 4- Le démon infernal sollicite l’âme, l’inquiète et l’occupe par des songes mondains en des joies vaines, ou en des craintes dommageables et en des douleurs superflues ; par telle choses, les communications par lettres, les oraisons des justes et les colloques mutuels de l’époux et de l’épouse, sont empêchés.
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Mais bien que le diable soit feint et cauteleux, Dieu néanmoins est plus sage et plus fort pour briser et rompre les lacets de Satan, afin que les lettres envoyées parviennent à l’époux. Or, les lacets sont rompus, quand Dieu nous inspire de penser aux choses bonnes, et que notre cœur désire ardemment de fuir ce qui est mauvais et de faire ce qui est agréable à Dieu. Le cri de l’ennemi capital est aussi dissipé, quand l’âme fait discrètement et sagement pénitence, ayant volonté de ne faire jamais une autre fois ce dont elle s’est confessée. Sachez aussi que le diable n’excite pas seulement ses clameurs aux ennemis de Dieu, mais encore à ses amis, comme vous pourrez l’entendre par un exemple.
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Une vierge et un homme parlant ensemble, un gibet apparut devant eux, lequel l’homme vit, et non pas la vierge. Or, le propos étant fini, la vierge, levant les yeux, vit le gibet, et craignant, elle pensa à par soi : Dieu nous soit propice, dit-elle, de peur que je ne sois déçue par les lacets de l’ennemi ! mais l’époux, voyant cette fille triste et abattue, retira soudain le gibet de devant ses yeux, et lui montra toutes les vérités. De même les hommes parfaits sont visités par les inspirations divines, par lesquelles le diable excite lors les clameurs, quand l’âme s’élève à une superbe soudaine, ou qu’elle s’abat par une crainte servile trop excessive, ou bien quand, avec dérèglement, elle condescend à souffrir le péché d’autrui, ou bien qu’elle se laisse emporter par la grande joie ou tristesse. Il en a été fait de même avec vous, car le diable suggérait à quelques-uns de vous écrire que celui-là qui vivait était mort, d’où vous avez conçu une grande douleur. Mais Dieu lui montre une mort spirituelle, de sorte que ce que les écrivains vous ont dit être faux corporellement, Dieu en vous consolant vous a montré que cela même était vrai. C’est pourquoi ce qui se dit est vrai, que les tribulations sont vraiment puissantes pour induire au bien spirituel ; car si vous n’eussiez été affligée à raison du mensonge qu’on vous a dit, vous n’eussiez pas été affligée, ni partant, une si grande vertu et beauté de l’âme ne vous eussent pas été montrées.
Partant, afin que vous entendiez la disposition, ordre et dispensation cachée de la providence divine, il vous était mis en votre âme, et Dieu comme en un gibet ; et d’autant que cette âme vous apparut comme ayant grandement besoin, d’être secourue, Dieu en toutes ses paroles garda toujours cette conclusion, savoir : S’il est mort ou vif, vous le saurez en son temps.
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Mais la beauté de l’âme et les riches ornements dont elle devait être embellie à l’entrée du ciel, lui ayant été montrés, soudain le gibet fut ôté de ses yeux, la vérité lui ayant été montrée que cet homme vivait corporellement, et que spirituellement il était mort, et que celui qui doit entrer dans le ciel doit être armé de telles vertus. En vérité, néanmoins, l’intention du diable fut telle, afin qu’il éprouvât par le mensonge et vous en troublât, et afin qu’étant marrie et déboutée par la perte d’un si cher ami, il vous retirât de l’amour de Dieu. Mais après que vous avez dit : Dieu, aidez-moi, lors le voile a été ôté, et Dieu vous a montré la vérité, tant corporelle que spirituelle.
C’est pourquoi il est permis au diable de troubler les justes, afin que leur couronne s’augmente.
Chapitre 76
Paroles de la Sainte Vierge à sa fille, montrant quels sont les amis de Dieu, et combien peu il s’en trouve en ce temps, le montrant en tous les états, tant des laïques que des clercs ; quelle est la cause que Dieu aime les riches et la pauvreté, et comment il a élu les pauvres et non les riches ; pour quelle fin les richesses ont été concédées à l’Église.
La Mère de Dieu parle à l’épouse de Jésus-Christ : Pourquoi vous troublez-vous, ô ma fille ?
Parce que, dit-elle, je crains d’être envoyée aux endurcis de cœur.
La Mère lui dit : D’où entendez-vous qu’il y a des endurcis de Dieu ?
Je ne sais discerner, dit-elle, ni je n’ose le juger de personne, car en premier lieu, deux hommes m’ont été montrés, l’un desquels apparaissait très-humble et très saint selon le jugement des hommes; l’autre large et ambitieux, l’intention et la volonté desquels néanmoins étaient différentes de l’œuvre, et l’un et l’autre épouvantèrent grandement mon esprit.
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La Mère répondit : Il est permis de juger des choses qui apparaissent ouvertement mauvaises, savoir, par un esprit de compassion et de correction ; mais quant aux choses douteuses, qui ne sont certainement évidentes de quel esprit elles ont été faites, vous n’en devez pas juger. Partant, je vous veux montrer quels sont ceux qui sont amis de Dieu : sachez donc que ceux-là sont amis de Dieu, qui, ayant reçu les dons de Dieu, sont encore timides, et rendent grâces à Dieu de ceux-là à toute heure, et ne désirent point les choses superflues, mais se contentent de ce qui leur est donné.
Mais où se trouvent telle sorte de personne ?
Recherchons-les en premier lieu dans les communautés. Quelle est celle d’entre elles qui dit jamais : C’est aussi ; je ne cherche rien de plus grand ? Cherchons-les parmi les soldats et chevaliers, et autres seigneurs. Quel est celui d’entre eux qui pense ceci : Les biens que je possède, je les ai de mon héritage, et d’iceux je désire et prends ma nourriture modérée et conforme à mon état, selon qu’il est agréable à Dieu et convenable aux hommes ; le superflu, je le communiquerai et départirai à Dieu et aux pauvres ? Que si je savais que ces biens héréditaires fussent mal acquis, je les restituerais ou les laisserais, ne les pouvant restituer selon le conseil des Pères spirituels et bons serviteurs de Dieu ? O ma fille ! une telle pensée est rare maintenant en la terre. Voyons aussi si, parmi les rois et les ducs, nous les trouverons. Quel est celui d’entre eux qui se contienne en son état? Certainement celui-là est roi, qui est réglé et composé en ses mœurs comme un Job, et humilié comme un David, en zèle de la loi comme un Phinées, en mansuétudes et patience comme un Moïse. Celui-là est aussi vrai duc, qui régit les armées du roi, et leur donne les formes et les manières de guerre, qui a sa confiance en Dieu et sa crainte comme un Josué, qui cherche plus l’utilité de son maître que la sienne propre, comme un Joab ; qui aime le zèle de la loi et les utilités du prochain, comme un Judas Macchabées. Un tel duc est semblable à la licorne qui a une corne fort aiguë au front, et sous la corne, une pierre précieuse.
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Or, qu’est-ce que la corne d’un duc, si ce n’est son cœur magnanime et généreux, quand il faut batailler fortement, blesser et abattre les ennemis de la foi ? Or, la pierre précieuse qui est sous la corne du duc, est la charité divine, qui, demeurant incessamment dans son cœur, le rend à tout prompt, agile et victorieux. Mais lors les ducs sont semblables aux chevreuils lascifs, quand ils bataillent en tout pour la chair, et non pour l’âme ni pour Dieu.
Cherchons maintenant parmi les rois : quel est celui d’entre eux qui ne foule ses sujets à raison de sa superbe ? Quel est celui qui maintient son état selon les rentes de sa couronne ? Quel est celui qui restitue ce qui n’appartient point à sa couronne d’équité et de justice ? Quel est celui-là qui laisse ses occupations pour faire la justice pour l’amour de Dieu ? Plût à Dieu, ma fille, qu’au monde, on trouvât de tels rois, afin que Dieu fût glorifié !
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Cherchons maintenant si, parmi le clergé, nous en trouverons. Ils doivent aimer la continence, la pauvreté et la dévotion. Certainement, ceux-là aussi se sont retirés de la droite voie. Or, que sont les prêtres, sinon les pauvres et les aumôniers de Dieu, afin que, vivant d’aumônes et d’oblation à Dieu, ils fussent autant humbles et fervents envers Dieu qu’ils doivent être retirés des soins et sollicitudes du monde ? C’est pourquoi l’Église est sortie de la tribulation et a pris naissance de la pauvreté, afin que Dieu fût leur héritage, et afin qu’ils se glorifiassent, non au monde ni en la chair, mais en Dieu.
Mais, ma fille, Dieu n’eût-il pas pu élire les rois et les ducs en apôtres, et enrichir aussi l’Église de leur héritage ? Certainement, il l’eût pu. Mais Dieu, qui est la richesse même, est venu pauvre au monde pour nous en donner l’exemple, afin qu’il nous montrât que les choses terrestres sont passagères et périssables, et afin que l’homme s’unît à son Dieu et qu’il n’eût honte de la pauvreté, mais qu’il se hâtât, par la pauvreté, d’arriver aux richesses permanentes et éternelles. C’est pourquoi Dieu commença la très belle et éclatante disposition de l’Église, et le mit en sa place, afin qu’il vécût, non de l’héritage du monde, mais de celui de Jésus-Christ.
C’est pourquoi la naissance de l’Église fut par trois sortes de biens :
1- la ferveur de la foi ;
2- la pauvreté ;
3- les effets des vertus et des miracles.
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Ces trois choses aussi furent en saint Pierre, car il eut la ferveur de la foi, quand il confessa d’une franche volonté son Dieu et n’hésita pas à mourir pour lui.
Il eut aussi la pauvreté, quand, en voyageant, il mendiait, et se nourrissait du travail de ses mains. En vérité, il était riche dans les choses spirituelles, car ce fut bien plus de faire marcher un boiteux, ce qu’aucun des princes ne peut, que de lui donner de l’or et de l’argent.
Mais quoi ! Saint Pierre n’aurait-il pas pu obtenir de Dieu de l’or, qui eût pu ressusciter un mort ? Oui, certainement ; mais il se déchargea du poids des richesses, afin qu’affranchi de tout, il entrât dans le ciel, et que, comme maître des brebis, il leur donnât exemple d’humilité, d’autant que la pauvreté corporelle ou spirituelle et l’humilité sont l’entrée du ciel.
En troisième lieu, il fut en lui l’effet des miracles, car laissant les grands et sublimes, les infirmes et malades étaient guéris par l’ombre de saint Pierre. D’autant donc qu’il avait la perfection des vertus, qui est de se contenter du nécessaire, c’est pourquoi sa langue a été faite la clef du ciel, et son nom est en bénédiction en terre et au ciel.
Or, ceux qui ont voulu célébrer leur nom en la terre et ont aimé la fiente de la terre, sont méprisés et sont écrits au livre de la fureur de la justice d’un Dieu tout-puissant. En vérité, Dieu, voulant montrer que, ni la pauvreté de saint Pierre, ni celle des saints, n’étaient pas contraintes, mais libres, excitant l’esprit de plusieurs à leur donner et leur départir de leurs biens, mais eux se réjouissaient plus en leur extrême pauvreté que dans les épines poignantes des richesses, de sorte que, plus leur pauvreté croissait, plus leur dévotion augmentait. Et certes, ce n’est pas de merveille si ceux qui n’ont que Dieu pour leur joie, Dieu ne leur manque jamais. A ceux qui désiraient ardemment les richesses du monde, comment, je vous prie, Dieu pouvait-il leur être à goût ? Voire il n’était que comme un passant devant leurs yeux. Mais par la suite du temps, les amis de Dieu devenant plus fervents et plus deliés pour prêcher la parole divine, et afin qu'on sut que la richesse n'est point mauvaise , mais seulement l'abus qu'on en fait , partant, sous Sylvestre et autres, les biens temporels ont été donnes à l'Eglise, lesquels les hommes saints ont dispenses de longtemps pour leur seule nécessité et pour l'entretien des pauvres, amis de Dieu.
p.336
Sachez donc que tels sont les amis de Dieu, qui se contentent des dispositions divines, lesquels, bien qu'ils ne vous soient point connus, mon Fils voit fort clairement, d'autant qu'en un métal dur, souvente fois on trouve de l'or, et d'un dur caillou, on tire des scintilles de feu. Allez donc assurée, d'autant qu'il faut en premier lieu, crier, et puis faire, d'autant que mon Fils demeurant en la chair, n'a converti toute la Judée, ni les apôtres ensemble, ni la gentilité en une fois, mais il faut un plus long temps pour parfaire les œuvres de Dieu.
Chapitre 77
Ici sont les paroles de l'épouse à Jésus-Christ, qui manifestent la grande et magnifique miséricorde que Jésus-Christ a faite avec elle; et les paroles de Jésus-Christ à la même épouse, confirmant la même miséricorde en elle. En quelle manière il l'a élue un vase qui doit être rempli de vie, et par elle doit être donne à boire aux serviteurs de Dieu. De l'humble et agréable demande de l'épouse à Jésus-Christ
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Honneur et gloire à Dieu Tout-Puissant pour toutes les choses qu’il a créées ! Louange lui soit pour toute ses vertus ! Que le Ios lui en soit rendu et service pour toute la charité ! Moi (1) , indigne créature , qui , dès ma jeunesse , ai beaucoup offensé la divine bonté , je vous rends grâces , ô mon doux Jésus ! et pour cela singulièrement , d’autant qu’il n’y a créature si criminelle à qui vous refusiez votre miséricorde , qui vous la demande avec charité et vraie humilité, avec résolution de s’amender . O mon très cher Jésus et le plus clément de tous ! ce que vous m’avez fait est admirable devant les yeux de tous , car quand il vous plaît , vous assoupissez mon corps , non pas toute fois avec un sommeil corporel , mais par une paix spirituelle . Or , vous m’excitez comme quasi du sommeil , pour voir , ouïr et sentir spirituellement . O Seigneur Dieu ! oh ! que douces sont vos paroles à ma bouche ! Il me semble que toutes fois et quand est que j’entends les paroles de votre Esprit , mon âme les engloutit en elle-même avec quelque sentiment ineffable de votre douceur signalée , comme une viande très douce qui semble tomber dans le cœur de mon corps avec une grande joie et une ineffable consolation . Néanmoins , cela me semble admirable que , quand j’entends vos paroles , je demeure rassasiée et affamée : je suis rassasiée , d’autant qu’alors rien ne me satisfait , si ce n’est vos paroles ; affamée , parce que mon appétit augment toujours .
Béni soyez-vous donc , ô Jésus-Christ , mon Dieu ! Donnez-moi , je vous supplie , le secours que je vous demande , afin que tous les jours de ma vie , je puisse faire ce qui vous est agréable .
(1) Sainte Brigitte
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Or , Notre-Seigneur répondit , disant : Je suis sans commencement et sans fin . Toutes choses sont créées de ma main toute-puissante , et disposées et réglées par mon inscrutable sapience ; mon jugement régit toutes choses , et rien ne met impossible . Et de fait , toutes mes œuvres sont disposées avec charité . Et partant , ce cœur est trop dur , qui ne veut m’aimez ni me craindre , puisque je suis nourricier de toutes choses et Juge . Or , le diable , qui est mon bourreau , est traité des hommes et servi , et on accomplit ses volontés . Enfin , ce diable a donné à boire au monde un venin si pestiféré et mortifère , que l’âme qui le goûte avec délectation ne saurait vivre , mais morte à la grâce , elle tombe misérablement dans l’enfer , pour vivre d’une mort animée de misères éternelles . Ce venin est le péché , qui , bien qu’il soit goûté de plusieurs au commencement, à la fin néanmoins est horriblement amer .
Certainement , ce venin est bu et reçu de la main du diable à toute heure avec délectation , qui engage aux malheurs : et qui a jamais ouï telles choses , ou quoi est plus admirable , voire étonnant ? La vie est présentée aux hommes , et ils choisissent misérablement la mort et embrassent volontairement les supplices éternels .
Mais moi (Jésus-Christ) , qui suis puissant sur toutes choses , je compatis à leurs misères et à leurs pressantes angoisses . J’ai fait comme un roi riche et charitable qui , envoyant à ses plus familiers serviteurs le vin le plus précieux , leur dirait : Buvez et donnez-en à boire à plusieurs , car il est très salutaire : il rend la santé aux malades , aux triste la consolation , et donne un cœur généreux aux hommes sains . On n’envoie point aussi le vin sans vase . Véritablement , j’en ai fait de même en ce royaume , car j’ai envoyé à mes serviteurs mes paroles , qui sont comparées au vin le plus précieux , et eux le donneront aux autres , d’autant qu’elles sont très bonnes et salutaires. Par le vase , j’entends vous-même , qui écoutez mes paroles , car vous avez fait l’un et l’autre ; car vous avez écouté et prêché mes paroles, attendu que vous êtes mon propre vase. Je le remplirai aussi quand je le voudrai, et j’y puiserai quand il me plaira . Et partant , mon Esprit vous montrera où vous devez aller , ce que vous devez dire . Et ne craigniez personne , si ce n’est moi ; mais vous devez aller avec joie là où je voudrai , et dire sans crainte ce que je vous enverrai dire , car rien ne me peut résister , et je veux demeurer avec vous .
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L’épouse parlait après : Moi , qui est entendu cette voix , je répondis en ces termes avec larmes : O Seigneur , mon Dieu , je suis en votre puissance comme un petit ver . Je vous prie de me donner licence de vous répondre .
Or , la voix répondit , disant : J’ai connu votre épouse avant que vous l’ayez conçue . En vérité , je vous donne néanmoins licence de parler .
Lors l’épouse dit : Je vous le demande , ô Roi de gloire ! vous qui versez en nous la sapience , et qui opérez en nous toutes les vertus , vous êtes la vertu même , pourquoi me voulez-vous choisir pour un tel office et charge , moi qui ai consommé mon corps en péchés , qui suis , touchant la sagesse , semblable à l’âme débile et lâche pour l’exercice de toute sorte de vertus ?
Ne vous courroucez pas , à raison de cela , contre moi , qui vous ai interrogé de la sorte , car il ne faut en rien se défier de vous, car vous pouvez faire tout ce que vous voulez de moi . Je m’étonne grandement , d’autant que je vous ai grandement offensé , et me suis amendée .
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La voix répondit , disant : Certainement , je vous réponds par similitude : Si on présentait à un roi riche et puissant diverses monnaies , lesquelles le roi ferait fondre après et en ferait ce que bon lui semblerait , comme , par exemple , couronnes , anneaux , de la monnaie d’or , des vases à boire , de la monnaie d’argent , des chaudrons et des poêles , de la monnaie de cuivre et que le roi se servît de toutes ces choses pour son honneur et sa commodité ; puisque vous ne vous étonneriez pas qu’il en usât de la sorte , il ne faut donc pas que vous vous étonniez que je reçoive les cœurs de mes amis , quand ils me sont franchement offert par eux-mêmes , faisant d’eux tout ce que bon me semble ; et bien que quelques-uns aient un plus grand sens , d’autres un sens moindre , néanmoins , quand il me présentent leur cœur , lors je me sers des uns pour une chose , des autre pour une autre , de tous néanmoins pour mon honneur et pour ma gloire , car le cœur du juste est une monnaie qui me plaît grandement ; et partant , je puis disposer des choses qui sont à moi comme je veux ; et puisque vous êtes à moi , vous ne devez vous étonner des choses que je veux faire avec vous , mais soyez constante et ferme pour soutenir , et volontaire pour faire tout ce que je vous commanderai , car je suis puissant en tous lieux pour vous donner tout ce qui vous est nécessaire .
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Paroles qui ont été divinement révélées à l’épouse sainte Brigitte , voire déclarées et envoyées à elle par la bouche très douce de la glorieuse Vierge Marie .
J’ai , veuve , signifié à votre honorable paternité quelque choses qui ont été révélées , quelques choses grandement prodigieuses , lorsque cette personne était en son pays , choses qui ont été examinées diligemment et approuvées par des évêques , par des prêtres séculiers et par des moines , qui tous ont dit avoir procédé d’une pensée et merveilleuse influence du Saint-Esprit , ce que le roi et la reine de ce pays-là ont aussi connu par des raisons très probables .
La même femme veuve , étant assez incommodément à la ville de Rome , un jour en l’Eglise de sainte Marie-Majeure , occupée en oraison , fut ravie en une vision spirituelle , son corps étant comme malade et appesanti , non pas toutefois qu’elle fût plongée dans le sommeil .
En cette heure-là lui apparut quelque très révérende vierge . Mais cette femme , étant troublée de l’admiration de la vision , connaissant sa fragilité , craignait la déception de Satan , c’est pourquoi elle suppliait intimement la divine piété q’elle ne permît point qu’elle tombât dans les tourments du diable . La Vierge donc qui lui apparaissait , lui dit : Ne craignez point ce que vous voyez , et oyez maintenant , pensant que cela soit du malin esprit ; car comme de l’approche du soleil deux choses nous arrivent , savoir , la lumière et la chaleur qui ne suivent jamais , mais chassent les ombres épaisses , de même quand le Saint-Esprit est en une âme , deux choses arrivent en son cœur , savoir , l’ardeur de la divine charité et la parfaite lumière de la foi catholique . Or , vous sentez ces deux choses en vous , de sorte que vous n’aimez rien tant que Dieu , et il ne vous manque pas un seul point de l’intégrité de la foi . Mais le malin esprit qui est comparé aux ombres épaisses et palpables , ne suit pas ses deux choses .
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Après , la même vierge ajouta , disant à la même femme : Vous devez envoyer de ma part mes paroles à un tel prélat .
La femme lui répondit avec un grand regret au cœur , disant : O ma révérende vierge , il ne me croira pas , mais , comme je pense , il aura mes paroles à risée plutôt que de les estimer être de la divine vérité .
La Vierge répondit , disant : Quoique je connaisse fort bien la disposition de son cœur et la réponse qu’il fera , et la fin de sa vie , néanmoins vous lui devez envoyer mes paroles . Certainement ,
Je lui fais connaître que , du côté droit de l’Eglise , le fondement est grandement ruiné , de sorte que la voûte menace de si grandes ruines périlleuses que plusieurs y perdront leur vie . La plus grande partie des colonnes qui tendaient en haut , sont maintenant toutes courbées en bas jusqu’à terre , et tout le pavé est tellement fossoyé que les aveugles qui y entrent tombent avec grand danger ; voire même cela arrive souvent à ceux qui voient clair , à raison des fosses dudit pavé ; et pour toutes ces choses , l’Eglise de Dieu est en de grand dangers . Et que doit-il résulter de là ? Soudain on le verra , car certainement , elle souffrira une ruine totale , si on ne la répare ; et sa ruine sera si grande qu’elle sera ouï par toute la chrétienté , et ces choses doivent être entendues spirituellement .
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Quand à moi , je suis cette Vierge au ventre de laquelle le Fils de Dieu a daigné venir avec la Déité et le Saint-Esprit , sans aucune mauvaise délectation corporelle . Et celui qui est Fils de Dieu éternel est né de mon ventre sans rupture , avec la Déité de l’humanité , et le Saint-Esprit avec une grande consolation et sans peine .
J’ai aussi demeuré auprès de la croix , quand lui surmontait l’enfer avec la vraie patience , et ouvrait le ciel avec le sang de son cœur . Véritablement j’étais en la montagne , quand le même Fils de Dieu, qui en vérité est mon Fils , montait au ciel. Enfin , j’ai connu clairement toute la foi catholique , laquelle il a enseignée en évangélisant tous ceux qui veulent entrer dans le ciel .
Je demeure donc au monde avec mon oraison assidue envers mon très cher Fils , comme l’arc sur les nuées du ciel , qui semble s’abaisser jusques à la terre et la toucher de ses deux bouts . Partant , j’entends moi-même ; et de fait , je m’abaisse aux habitants de l’univers , savoir , en les touchant des deux bouts de mon oraison , savoir , les bons et les mauvais . Je m’abaisse aux bons , afin qu’ils soient constants et fermés en tout ce que la Sainte Mère l’Eglise commande , et aux mauvais , afin qu’ils n’avancent en leur malice et ne se rendent pires .
Je signifie donc à ceux auxquels j’envoie mes paroles , que d’une partie de la terre sortent des nuées très horribles contre l’éclat de la beauté de l’arc , par lesquelles j’entends les hommes incontinents et les insatiables richesses , comme la mer des ruisseaux , qui donnent aussi les biens prodigalement et irraisonnablement pour la pompe mondaine et pour la vanité , comme un torrent épand son eau en son impétuosité .
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Les pourvoyeurs de la sainte Mère l’Eglise exercent d’ordinaire ces trois horribles forfaits , dont les péchés abominables montent au ciel , et s’élèvent de la terre devant Dieu comme des nuées pour noircir et offusquer l’éclat signalé et la beauté nom pareille de mon arc ; et de la sorte , ceux qui devaient avec moi apaiser Dieu , provoquent misérablement sur leur tête l’ire et l’indignation d’un Dieu tout-puissant , et telle sorte de gens ne devraient pas être rehaussés et loués dans l’Eglise ,mais bien être déprimés .
Que quiconque donc voudra avoir soin que les fondements de l’Eglise demeurent fermes et stables , et que le pavé demeurent plein et égal par un bon et nouvel établissement , désire ardemment de renouveler cette bienheureuse vigne que Jésus a plantée et arrosée de son sang . Que s’il se croit pour cela insuffisant et incapable , moi , Reine du ciel , avec toutes les troupes des anges , viendrai à son aide et secours , arrachant les racines fabuleuses , coupant les arbres infructueux pour les brûler , et plantant en leur lieux des arbres fructueux . Par la vigne , j’entends notre Mère la sainte Eglise , en laquelle il faudrait renouveler dans les cœurs de ses enfants l’humilité et la charité .
Cette vierge glorieuse qui apparut à cette femme , a commandé de vous envoyer ceci par écrit , d’où votre révérende paternité pourra connaître que moi , qui envoie la présente lettre , jure par le vrai Jésus et le Dieu tout-puissant , et par sa très digne Mère Marie , voulant qu’ils m’aident de la sorte au corps et à l’âme , comme je n’ai envoyé cette lettre pour quelque honneur du monde , pour quelque cupidité , ou pour quelque faveur mondaine . Mais entre autres choses qui ont été dites à la même femme en cette révélation spirituelle , toutes les choses qui sont écrites en ce papier , on m’a commandé de les envoyer à votre dignité .
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Chapitre 79
Ici est un poème notable dans lequel sont contenus plusieurs bons avis qui ont été révélés à la même épouse sainte Brigitte , sur une information qui est contenue dans le chapitre précédent .
Louange , honneur et gloire soient à Dieu tout-puissant pour toute ses œuvres admirables ! Que soit aussi honneur éternel à celui qui a commencé de vous donner la grâce ! Nous voyons que , quand la surface de la terre est couverte de neige et de froid ,il est certain que les semences qui ont été semées ne peuvent germer qu’en quelques lieux où le soleil darde ses rayons et les échauffe , lesquels lieux aussi , par le bienfait du même soleil , naissent les feuilles et les herbes , et on voit éclore des fleurs , lesquelles on peut voir et connaître de quelle espèce et de quelle vertu elles sont . En vérité , tout le monde me semble être saisi et couvert du froid de la superbe insupportable , de la cupidité insatiable et de la brutale volupté .Hélas ! qu’il y en a peu dont on puisse connaître , par leurs paroles et œuvres que la parfaite charité de Dieu demeure dans leurs cœurs ! d’où il faut savoir que , comme les amis de Lazare se sont réjouis de le voir ressuscité pour la gloire de Dieu , de même maintenant les amis de Dieu peuvent se réjouir de voir ressusciter quelques-uns de ces trois vices , qui sont vraiment une mort éternelle .
p.346
D’ailleurs , il faut remarquer que , comme le Lazare , étant ressuscité , après sa résurrection , en acquit une double haine ( car il avait quelques ennemis corporels , qui étaient aussi ennemis de Dieu, et ceux-là haïssaient corporellement le Lazare , il avait aussi quelques ennemis spirituels , savoir , les démons , qui ne désirent jamais être amis de Dieu , et ceux-là le haïssaient spirituellement ) , de même maintenant , quiconque ressusciterait des vices et péchés mortels , voulant garder la chasteté , fuir l’orgueil et les ambitions , tombé en la double haine du diable et des hommes , car les hommes qui sont ennemis de Dieu , leur désirent nuire corporellement . Et le diable désire aussi les damner par deux manières : il s’efforce de leur nuire spirituellement , car en premier lieu , les hommes du monde les blâment et les vitupèrent par des paroles médisantes et venimeuses ; en second lieu , ils les molestent , les fâchent et les inquiètent en leurs œuvres , afin qu’ils les rendent semblables à
eux , tant en leur vie qu’en leurs œuvres , les arrachant des bonnes entreprises et résolutions . Mais l’homme de Dieu nouvellement converti à la vie spirituelle , peut fort bien vaincre telle sorte de gens malins , si , contre leurs paroles vaines , il s’arme de patience , et si lors , en leur présence , il s’exerce ès œuvres spirituelles et divines avec plus de ferveur et d’assiduité .
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Les démons infernaux s’efforcent aussi de les décevoir par deux autres différentes manières :
ils désirent impatiemment de faire rechuter l’homme qui est converti de nouveau . Que s’ils ne peuvent , lors la malice des démons , qui n’aura jamais d’égale , le sollicité encore et le tente , afin qu’il fasse ses œuvres spirituelles irraisonnablement et sans discrétion , savoir est , en veilles excessives , en abstinences indiscrètes , afin que ,de la sorte , ses forces soient bientôt épuisées , et qu’il soit infirme pour le reste du temps à faire les œuvres spirituelles .
Contre le premier il y a un très bon remède , savoir , la fréquente et pure confession de ses péchés et une grande et intime contrition . Contre le deuxième , le meilleur remède est l’humilité basse et profonde , qui le porte à plutôt obéir et à se soumettre à quelque personne ancienne , spirituelle , que se gouverner soi-même ès choses spirituelles et ès pénitences qu’il fait . En vérité , cette médecine est grandement utile , de sorte que , bien que celui qui la conseillerait fût plus indigne que celui qui se conseille , il faudrait néanmoins espérer certainement que la divine Sapience coopérera , par son secours , à ce que celui qui donne le conseille ne se trompe , mais lui conseille tout ce qui est utile . Tous deux ont la volonté de chercher en tout l’honneur et la gloire de Dieu .
Or , maintenant , ô mon bien-aimé ! d’autant que tous deux nous sommes sortis des péchés , prions Dieu tout-puissant qu’il nous donne son aide et son secours , à moi en disant , et à vous en obéissant
Et nous devons d’autant plus prier et remercier Dieu de ce qu’il a permis que vous , qui êtes riche , sage et noble , ayez daigné prendre conseil de moi , indigne , inconnue et peu intelligente . Et de fait, j’espère que Dieu regardera bénignement votre humilité et vous donnera la grâce de faire tout ce qui sera utile , et dont je vous écris pour son honneur et gloire .
p .348
Instruction révélée à son épouse grandement discrète . Elle est fort utile pour un prêtre , contenant la manière de bien vivre , tant spirituellement que corporellement .
En premier lieu , je vous conseille de demeurer en votre logis , auprès de votre Eglise de Sainte-Marie , Vierge ; d’avoir seulement un seul serviteur ; de rendre à vos créditeurs tout ce qui sera superflu , les dépenses nécessaires en étant déduites , satisfaisant entièrement à vos dettes ; car il n’est pas raisonnable ni licite de donner beaucoup d’argent aux pauvres , moins aux amis qui sont riches et parents , qu’on n’ait entièrement payé et baillé tout ce qui sera par-dessus la dépense de vous et votre serviteur ; et ayant payé , vous pourrez donner le superflu aux pauvres , à l’honneur et à la gloire de Dieu . Ayez votre habit de prêtre honnête et édificatif , étant diligemment attentif , et prenant soigneusement garde quand la qualité de l’étoffe ni en la forme de l’habit , il n’y ait quelque pompe ou vanité , mais qu’on y remarque la seul et honnête nécessité , utilité et décence corporelle . Soyez content de deux vêtements égaux , un pour les jours de fête , l’autre pour les jours ordinaires . N’ayez que deux paires de chausses ou chaussures et souliers ; tout ce qui sera par-dessus , changez-le en autre usages ou à payer des dettes . Laissez les vêtements de linge , tant la nuit que le jour , pour toute cette année .
p.349
Ayez votre Eglise de Sainte-Marie toute cette année pour église claustrale , pour trois choses : 1° afin que , si vous y êtes jamais entré , enflé de superbe , vous y demeuriez à l’avenir en l’honneur de la Vierge Marie , très-humble , et ce , par la vertu de l’obéissance . Et si , par aventure , vous avez retiré les chanoines et bénéficies de cette église du service de Dieu par vos paroles déshonnêtes ,et les avez alléchés à la concupiscences mauvaise ,efforcez-vous maintenant ,par le secours de Dieu ,par les paroles spirituelles et divines , de retirer quelqu’un des concupiscences pernicieuses , aux délectation du divin amour . Et si peut-être , par vos mauvaises mœurs , vous avez donné mauvais exemple à quelqu’un , tâcher maintenant , en aimant , par vos bonnes œuvres et honnêtes mœurs , de donner à ces âmes , qui ont vu votre désordre , un bon et profitable exemple .
Après , ô mon ami bien-aimé ! vous devez ranger le temps du jour et de la nuit pour la louange de Dieu , car j’ai prit garde que vous clochez souvent à des heures ordonnées . Et partant , je vous conseille , soudain que vous les ouïrez la nuit , de sortir du lit , et avec cinq génuflexions , autant de Pater noster et Ave Maria , de vous souvenir des cinq plaies de Notre-Seigneur Jésus-Christ , et des douleurs de sa très digne Mère .
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Après cela , commencez matines de la Sainte Vierge , et dites les autres prières que vous avez accoutumées , jusqu’à ce que les chanoines viennent au chœur pour psalmodier . Il est meilleur que vous veniez à l’Eglise avec les premiers qu’avec les derniers . Vous devez donc chanter matines dévotement et honnêtement , demeurant tantôt debout , tantôt assis , comme il sera plus décent . Mais vous ne devez parler à pas un , si ce n’est qu’on vous interroge , et lors même , vous devez répondre avec peu de paroles , non hautes , sans donner aucun signe qu’elles vous fâchent et qu’elles vous impatientent , si faire se peut , car vous vous comporteriez fort modestement et honnêtement , si vous étiez devant quelque grand seigneur temporel et terrestre ; c’est pourquoi vous vous devez mieux comporter avec toute sorte d’honnêteté , modestie , humilité et révérence intérieure et extérieure , en la présence et au service du Roi éternel des cieux , qui est toujours et en tous lieux présent et voyant tout . Et si , par aventure , vous êtes contraint , par nécessité et pour de grandes choses qui touchent à un autre , de parler emmi vos heures , sortez du chœur , et dites-en ce qui vous en semble en peu de paroles , sans crier ni parler trop haut , retournant sans délai à votre chœur ; et si vous pouvez le différer , différez-le en autre temps , afin que le culte divin ou l’honneur de Dieu ne soit diminué ou empêché .
Donnez-vous garde aussi de n’aller par l’Eglise , en vous y promenant quand on chante les heures , car cela marque un esprit vague , inconstant , tiède , de peu d’amour et de dévotion . Or , priez Dieu entre les intervalles des heures ; priez , ou lisez des choses utiles à votre âme et profitables à celle d’autrui , gardant et observant ceci incessamment , que de l’heure que vous vous levez de votre lit pour aller à matines , vous ne vous employiez et plongiez librement dans les affaires , si ce n’est à votre chant , lecture oraison ou étude , jusques à ce que la grande messe soit dite , si ce n’est qu’en votre chapitre , il fallût traiter entre vous de quelques affaires concernant les affaires de l’Eglise , ou pour établir un meilleur ordre ou état entre vous : La grande messe étant célébrée , il est convenable de parler des utilités corporelles , des commodités et des honnêtes et vertueuses complexions .
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Or , quand vous vous mettez à table , que les bénédictions de table soient lues , et soit que vous soyez hôte d’un autre , soit que vous soyez logé chez autrui , commencez , en mangeant par parler de Dieu , ou bien de sa très digne Mère , ou bien de quelque saint , pour l’édification et utilité des conviés , voire des serviteurs de table , ou moins quelque peu , ou bien interrogez les autres sur Dieu , sur sa Mère ou sur quelque saint . Et lorsque vous serez seul à table avec le serviteur , faites-en de même , et ayez la lecture que les frères ont en leur monastère . Mais ayant pris votre réfection , ayant rendu grâces à Dieu et à vos bienfaiteurs ; parlez de vos affaires avec quelques personnes honnêtes telles qu’il vous plaira l’espace d’une heure , et après , entrez soudain en votre cabinet , et ayant fléchi les genoux cinq fois , dites cinq fois le Pater et autant de fois l’Ave Maria , pour l’amour des plaies de Notre-Seigneur Jésus-Christ et pour les douleurs de la Sainte Vierge Marie .
Cela étant fait , employez la moitié du temps , jusque à vêpres , à l’étude , à lire et à vous reposer un peu , si ce n’est que vous fussiez employé à quelque affaire qui touchât vos amis . L’autre moitié du temps , vous l’emploierez pour récréer le corps , afin que vous soyez plus fort aux louanges divines .
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Quand on sonnera les vêpres , allez et entrez soudain dans l’église pour chanter dans le chœur , et comportez-vous-y en même manière que nous avons dite ci-dessus . Et ayant dit complies ,
dites tous les jours pour les morts les vigiles à trois leçons , et ce , avant souper . Mais ayant soupé , exercez-vous comme nous avons dit au dîner ; après avoir dit grâces , allez vous promener , disant des paroles utiles et de consolation jusqu'à votre coucher .
Lors aussi , avant de vous mettre au lit , mettez-vous devant le lit , et là , dites dévotement cinq fois le Pater et l’Ave Maria pour l’amour de la passion de Jésus-Christ , et après , entrez en votre lit et donnez à votre corps tout autant de sommeil et de repos qu’il en faut pour qu’il ne vous faille dormir , à raison de la brièveté du sommeil , quand il faut veiller et chanter .
Tous les vendredis , dites les sept psaumes avec les litanies , et donnez aussi en ces jours cinq deniers à cinq pauvres , pour la révérence des cinq plaies de Notre-Seigneur . Partant , ô mon frère et ami très cher ! je vous conseille de garder la souscrite abstinence toute cette année-ci , en satisfaction de vos péchés . 1° Jeûnez tout le carême , ne faisant qu’une réfection de poisson , et le semblable en l’avent , toutes les vigiles de Notre-Dame au pain et à l’eau, et en poisson les vigiles des apôtres . Tous les mercredis , mangez du fromage , des œufs et du poisson ; tous les vendredis , en pain et vin seulement , et s’il vous agrée plus avec de l’eau seule et du pain , je vous le conseille ; tous les samedis en poisson et huile et un repas seulement . Mais les dimanches , lundis , mardis et jeudis , vous mangerez de la viande deux fois par jour , pourvu que l’Eglise ne vous commande de jeûner .
p 353
Remarquez , ô mon frère bien-aimé ! que je vous ai voulu écrire et conseiller ces choses pour trois raisons :
1° afin que l’envie de Satan et son astuce ne vous attirassent à ce que soudain vous vous consommiez , et que vos sens et vos forces étant bientôt épuisées , défaillant , vous serviez Dieu tout le reste de votre vie moins qu’il ne faut .
En second lieu , que si les mondains remarquent en vous , en vos sens et vos forces , quelque défaut , ou voient que vous vous rendiez lâche en vos entreprises et résolutions , ils vous auront à horreur , et craindront de s’occuper des œuvres divines .
En troisième lieu , d’autant que j’espère qu’en vous assujettissant plutôt au conseil d’autrui qu’au vôtre , et ne vous gouvernant par votre jugement , vous plairez plus à Dieu .
Chapitre 81
Réponse de la Sainte Vierge à l’épouse touchant trois hommes , pour lesquels l’épouse intercédait auprès de Dieu . Quelles sont les larmes méritoires , et quelles non . Manière dont l’amour de Dieu s’augmente par la méditation de l’humilité de Jésus-Christ . Comment la crainte non filiale ici commençant est bonne .
p 354
Cet homme-là est comme un sac plein d’arêtes ,duquel , si on en ôtait une , dix y seraient remises . Oui , vraiment , tel est celui pour lequel vous me priez , dit la Sainte Vierge Marie , attendu qu’il laisse un péché pour la crainte de Dieu , et en commet dix pour l’honneur du monde . Quand à l’autre homme pour lequel vous me priez , je vous dis que la coutume n’est pas de donner de bonnes sauces à chair pourrie et puante . Vous demandez que des tribulations lui soient données pour l’utilité de son âme, mais sa volonté est contraire à votre demande , car il désire ardemment les honneurs du monde , et souhaite plus les richesses périssables que la pauvreté , et son cœur est confit en volupté , à raison de quoi son âmes est pourrie et puante devant moi ; et partant , les sauces précieuses , c’est-à-dire , les tribulations de la justice , ne doivent pas lui être appliquées .
Quant au troisième , dans les yeux duquel vous voyez flotter les larmes , je vous dis que vous voyez le corps , et moi je sonde le cœur ; car comme vous voyez que quelquefois une nuée ténébreuse s’élève de la terre et monte jusques au ciel , obscurcissant le soleil , et que cette nuée produit la pluie, la neige largement, et la grêle, et après , la nuée se dissipe et se perd , d’autant qu’elle avait pris connaissance des immondices de la terre, de même tout homme est comparé à cette nuée , quand il se nourrit dans le péché et se plonge dans les infâmes et abominables voluptés jusques à sa vieillesse . Mais la vieillesse arrivant, il commence à craindre la mort, et pense au danger qui le menace ; mais néanmoins , le péché demeure par délectation dans son esprit .
Donc , comme ces nuées tirent les immondices de la terre jusques au ciel , de même la conscience de cet homme se tire des immondices corrompues et puantes du corps et des péchés abominables, et elle donne trois sortes de larmes .
Les premières larmes sont comparées aux eaux , qui sont pour les
choses charnellement , qui l’aime comme par exemple , il pleure quand il perd ses amis , ou les biens temporels , qui ne servaient point pour son salut ; lors il se dépite et se chagrine contre l’ordre des disposition divines , et lors il jette de grands ruisseaux de larmes , avec une grande indiscrétion .
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Les secondes larmes sont comparées à la neige, car quand l’homme commence à penser aux périls de son corps qui s’approchent, les peines de la mort affreuse et les misères incomparables
De l’enfer, lors il commence à pleurer, non d’amour et de charité, mais de crainte et d’effroi. Et partant, comme la neige se fond , de même ses larmes cessent soudain .
La troisième sorte de larmes est comparée aux nuées, car quand l’homme pense combien douce lui est et lui était la volupté charnelle, et que , l’ayant eue à horreur, combien de consolation lui en resterait au ciel, il commence à débonder les larmes, se lamentant sur sa perte et sa damnation, ne se souciant de pleurer d’avoir déshonoré Dieu par ses détestables abominations ; ni ne considérait pas qu’il perdait une âme qu’il avait rachetée par son précieux sang, ne se souciant si elle verra et possèdera Dieu ou non après la mort, ne considérant ni ne désirant que d’avoir une demeure au ciel ou en terre , où il ne sentirait aucune peine, mais où elle jouirait d’une volupté éternelle. C’est pourquoi telle larmes sont fort à propos comparées aux nuées , d’autant que le cœur d’un tel homme est trop dur, et n’a aucun sentiment ni mouvement d’amour envers Dieu . Partant, telles larmes ne le portent pas au ciel .
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Mais maintenant , je vous veux montrer les larmes qui ravissent l’âme au ciel et qui sont semblables à la rosée, car quelquefois, quelque vapeur sort de la douceur de la terre et monte au ciel sous le soleil, laquelle, étant dissoute par les rayons du soleil , descend derechef en terre , et rend plantureux tous les fruits de la terre , et cela est appelé par vous rosée , comme il paraît aux feuilles des roses, lesquelles , opposées à la chaleur , donnent de l’humidité, et puis, l’humeur descend. De même en est-il de l’homme spirituel. En vérité, tous ceux qui considèrent la terre bénie, qui est le corps de Notre-Seigneur , et les paroles que Jésus-Christ, Fils de l’Eternel , prononçait de sa bouche propre , quelles grâces il a faites au monde, et quelle peine dure et amère il a soufferte, mû à cela par les ardeurs des divines amours dont il brûlait pour les âmes, lors l’amour qu’il a envers Dieu monte au cerveau, qui est comparé au ciel ; son cœur aussi , qui est comparé au soleil , se remplit des divines amours ; ses yeux s’abîment dans les larmes, pleurant d’avoir offensé un Dieu infiniment bon, qui n’aura jamais d’égal en clémence , désirant maintenant plutôt d’endurer toute sorte de supplices pour l’honneur de Dieu , que de jouir de tous les autres plaisirs et être séparer de Dieu. C’est pourquoi ces bonnes larmes sont comparées à la rosée qui tombe des cieux, d’autant qu’elles donnent la vertu de faire des bonnes œuvres fructueuses devant Dieu, et que , comme les fleurs écloses et croissantes attirent à elles la rosée qui tombe, et que la rosée est enclose en la fleur, de même les larmes
Qui sont épanchées par les feux de la divine charité , enferment Dieu en l’âme d’une manière du tout signalée , et Dieu , d’un pouvoir amoureux , attire et ravit l’âme à soi : néanmoins , il est bon de craindre à raison de deux choses : 1° d’autant que l’abondance des œuvres faites avec crainte peut être si grande en quantité qu’elles attirent après quelque scintille de grâce au cœur pour obtenir la charité. Vous le pourrez comprendre par similitude .
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Par exemple : il y avait un orfèvre qui mettait quantité d’or sur les balances , auquel le charbonnier vint, lui disant : Monsieur, j’ai du charbon pour l’usage de vos œuvres ; donnez-moi ce qu’il vaut.
Il lui répondit : Le charbon est taxé en sa valeur.
Et lui ayant donné de l’or pour son paiement, l’orfèvre disposa les charbons selon la règle de son art, et l’or pour son entretien.
De même en est-il des choses spirituelles , car les œuvres faites sans charité sont semblables aux charbon , et la charité à l’or. Partant, celui qui fait ses bonnes œuvres, par l’esprit de crainte , ayant néanmoins le désir d’acquérir le salut de son âme avec ses œuvres , cet homme-ci , bien qu’il ne souhaite voir Dieu au ciel , mais craint seulement de loger en enfer, a néanmoins de bonne œuvres, mais froides, et qui apparaissent devant Dieu comme des charbons. Mais Dieu est comparé à un orfèvre, qui sait en la justice spirituelle par quelles manières il faut récompenser les œuvres, ou par quelle justice divine la charité divine est acquise ; Il l’ordonne ainsi de la sorte dans les arrêts et décrets de sa providence divine, que l’homme ait la charité pour les bonnes œuvres faites avec crainte, laquelle l’homme dispose pour le salut de son âme .
Comme donc l’orfèvre , plein d’amour et de charité , se sert de charbons pour son ouvrage, de même Notre-Seigneur Jésus-Christ use des œuvres froides pour son honneur et sa gloire.
Le deuxième : il est bon de craindre , d’autant que tout autant de péchés que l’homme laisse pour la crainte, il sera délivré et affranchi d'autant de peines du péché dans l'enfer ; néanmoins, d'autant qu'il n'a pas eu de la charité, il n'a pas aussi de la justice pour monter au ciel, car sa volonté est telle que, s'il pouvait, il voudrait vivre éternellement en ce monde.
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Hélas, au cœur de celui-la la charité n'y est point, et les faits de Notre-Seigneur et Rédempteur sont quasi aveugles devant lui; partant, il pèche mortellement et sera jugé et condamné à l'enfer. Néanmoins, n'est pas tenu de brûler dans l'enfer, mais d'être assis et plongés dans les ténèbres épaisses, celui qui a cessé de pécher à raison des peines et supplices, mais il ne ressentira pas les joies indicibles du ciel, d'autant qu'il ne les a pas désirées pendant le cours de sa vie; c'est pourquoi il sera assis comme un aveugle et muet comme un homme qui n'a ni pieds ni jambes, car son âme comprend les peines de l'enfer, et bien peu les joies indicibles du ciel.
DECLARATION
Cette déclaration est de trois chevaliers: le premier fut de Scania, duquel a été faite une telle révélation. Sainte Brigitte vit cette âme comme revêtue d'écarlate deux fois teinte, mais parsemée un peu de noir comme de petites gouttes; et l'ayant vue soudain, elle sortit de sa présence. Trois jours après, elle vit la même âme toute rouge mais reluisante en pierreries et perles enlacées en or. Tandis qu'elle admirait cela, l"Esprit de Dieu lui dit : Cette âme a été occupée aux soins du monde; mais ayant une vraie foi, elle est venue gagner les indulgences à Rome, à intention d'obtenir la charité, la divine dilection et la volonté ferme de ne pécher à l'avenir à escient.
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L'âme que vous avez vu revêtue d'écarlate, signifie qu'avant la mort du corps, elle a obtenu la divine dilection, bien qu'imparfaite. Quant à ce que vous l'avez vue parsemée de gouttes noires, cela signifie qu'elle avait quelques mouvements et ressentiments d'amour charnel envers ses parents, et de retourner en son pays; néanmoins elle résigna sa volonté a la mienne, c'est pourquoi elle a mérité d'être purifiée et d'être disposée à des choses sublimes. Quant à ce que vous l'avez vue entre les pierres éclatantes en couleur rouge, cela signifie que pour la bonne volonté et par l'effet des indulgences , il s'approchait de la couronne tant désirée.
Voyez donc ma fille, et considérez quels biens apportent les indulgences de cette ville aux hommes qui viennent ici avec l'intention sainte de les gagner; car si on donnait à quelqu'un mille milliers d'années, comme elle sont données à raison de la foi et dévotion de ceux qui y viennent, la proportion et le poids ne seraient pas encore digne d'obtenir la divine charité sans la grâce divine, laquelle charité est vraiment donnée et méritée à raison de ces indulgences que mes saints ont méritées par leur sang.
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Le Fils de Dieu parle en la même révélation de deux chevaliers qui ont été de Mallande. Que vous a dit ce babillard plein de vanité, ce souffle du vent ? N'est-ce pas que plusieurs doutent de mon suaire, s'il est vrai ou non? Mettez-lui constamment quatre choses que je vous dis :
1° que plusieurs thésaurisent et ne savent pour qui;
2° que celui qui n'expédie et n'exploite le talent que Dieu lui a commis avec joie et plaisir, et le retient au contraire inutilement, tombe dans les jugements effroyables de Dieu Tout-Puissant ;
3° que celui qui aime plus la terre et le sang que Dieu, ne sera point en la compagnie de ceux qui ont faim et soif de la justice;
4° que celui qui n'exauce point ceux qui crient a lui, criera lui-meme et ne sera point exaucé.
Quant à mon suaire, qu'il sache que, comme la sueur de mon sang coula de mon corps, lorsque je m'approchais de ma passion très amère et quand je priais mon Père, de même cette sueur coula de ma face, pour la grandeur et qualité de celui qui priait pour la consolation de la postérité.
Le troisième chevalier fut de Suède, duquel telle révélation a été faite. Le Fils de Dieu parle: Il est écrit que l'homme est sauve par la femme fidèle: de même la femme de ce soldat s'est avancée et a conçu promptement pour délivrer son mari de la gueule de Satan, car d'une main, elle l'a arrache des mains du diable, savoir, avec des larmes, oraisons et œuvres de charité. De l'autre main, elle l'a affranchi de la captivité du dragon infernal, par ses salutaires avertissements, par son exemple et sa doctrine, de sorte qu'il s'approche de la voie du salut.
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Partant, il faut considérer trois choses qui sont écrites en la loi vulgaire, car en elle il y a trois choses remarquables : l'une est portée en titre au frontispice : posséder ; l'autre s'appelle vendre ; la troisième acheter . Au premier, qui est posséder, je dis: Rien n'est justement possédé, si ce qui est justement acquis, car tout ce qui est acquis par des inventions frauduleuses, par des occasions de malice, par des prix inégaux, n'est pas agréable à Dieu. Au deuxième, qui est vendre, je dis que quand quelque chose est vendue par pauvreté et crainte, et quelquefois par violence et jugement injuste, une conscience doit être sondée pour voir si la compassion et la charité sont en son cœur . Au troisième qui est acheter je dis que celui qui veut acheter quelque chose doit sonder si la chose qui se vend est justement acquise, et aussi ce avec quoi on l'achète . Et de fait, en la loi, rien n'a été agréable de ce qui a été acquis par exaction injuste. Partant, celui-ci doit sonder diligemment en son esprit et savoir pour certain qu'il me rendra raison de toutes choses, voire de ce que ses parents lui ont laisse, s'il dépend tout cela plus pour le monde , et en outre, s'il l'a dépendu plus pour l'utilité raisonnable que pou Dieu. Qu'il sache aussi qu'il me rendra raison de sa malice , avec quelle intention il la reçoit en son cœur, pourquoi et comment il la conserve, et en quelle manière il accomplit le vœu qu'il m'a fait.
Chapitre 82
Notre-Seigneur Jésus-Christ, parlant a son épouse, lui dit que l'âme dévote doit avoir, comme une épouse, la bouche plaisante, les oreilles pures, les yeux pudiques et le cœur constant, exposant fort bien toutes ces parties spirituellement
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Le Fils de Dieu éternel, engendre de toute éternité, parle : Vous devez avoir, comme une chère amante et épouse, les yeux pudiques et le cœur constant. Et de la sorte, l'âme doit être disposée car la bouche signifie l'esprit épuré, afin qu'il n'entre rien en lui, sinon ce qui me plait. Que sa bouche aussi, c'est-à-dire, son esprit , soit agréable et délectable par l'odeur des bonnes et sublimes pensées, et de la continuelles mémoire de ma passion amère. Que son esprit soit range comme sa bouche, c'est-à-dire, fervent d'amour divin, afin qu'il opère ce qu'il entend, car comme on ne désire point baiser la bouche qui est pale, de même l'âme ne me plait point, si ce n'est qu'elle soit belle et fasse de bonnes œuvres de bonne et franche volonté.
L'esprit aussi doit avoir, comme la bouche, deux lèvres, c'est-à-dire deux affections, l'une afin de désirer ardemment les choses du ciel, l'autre afin de mépriser les choses terrestres. Le palais inférieur de l'âme doit être la crainte de la mort effroyable, par laquelle l'âme est séparé du corps, et laquelle elle doit appréhender comme un décret irrévocable. Que le palais de dessus soit l'effroi du jugement terrible et épouvantable. Entre ces deux, la langue de l'âme doit être mise . Or, quelle est la langue de l'âme , si ce n'est que la fréquente considération de ma miséricorde intime ?
Considérez donc ma miséricorde, comment je vous ai créée et rachetée, comment je vous souffre. Considérez aussi combien je suis juge sévère, moi qui ne laisse rien impuni, et voyez combien incertaine est l'heure de la mort. Que les yeux de l'âme soient simples comme des colombes, qui regardent le vautour dans le courant des eaux, c'est-à-dire, que votre pensée soit incessamment
occupée en la charité, en ma passion, et ès œuvres et paroles de mes chers élus, lesquels vous pourrez entendre comment le diable vous pourra décevoir, afin que vous ne vous assuriez jamais en vous ni de vous. Que vos oreilles soient pures, et que vous n’affectiez point d’ouïr les plaisanteries et les bouffonneries, ou ce qui émeut à rire. Que votre cœur soit stable, afin que vous ne craigniez point la mort, et que, gardant la foi, vous n’ayez point honte des opprobres du monde. Ne vous troublez point des dommages corporels, mais souffrez-les pour l’amour de moi, qui suis votre Dieu.
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Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à l’épouse, disant qu’elle le doit aimer comme le bon serviteur aime son maître, comme un bon fils aime son père, et comme aime son mari une femme fidèle, qui ne doit jamais se séparer de lui. Il explique les choses susdites spirituellement et généreusement.
Le Fils du Père éternel, engendré avant le temps, parle à sainte Brigitte en ces termes : Je vous aime comme un bon maître aime son serviteur, comme un père chérit son fils, et comme un époux est plein de dilection envers son épouse, car le maître dit à serviteur : Je vous donnerai les vêtements, une nourriture convenable et un labeur modéré. Le père dit à son fils : Tout ce que j’ai est à vous. L’époux dit à l’épouse : Mon repos est en votre repos, et ma consolation est la vôtre.
Que répondront donc ces trois à une si grande dilection ? Certainement, si le serviteur est bon, il dira à son maître : Je suis de condition servile : j’aime mieux vous servir qu’en servir un autre. Et le fils dira à son père : D’autant que j’ai tout bien de vous, c’est pourquoi je ne veux être séparé de vous. Mais l’épouse dira à son époux : D’autant que je suis nourrie et sustentée par vos infatigables travaux, que j’ai la chaleur de votre poitrine et la douceur de vos paroles, partant, j’aime mieux mourir que me séparer de vous.
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Or, moi, qui suis votre Seigneur, je suis cet époux, et l’âme est mon épouse, qui se doit consoler en moi, qui suis son centre et son repos, et se réfectionner de la viande divine, qui donne la force de vouloir plutôt mourir et souffrir toute sorte de tourments que de se séparer de moi, car sans moi, elle n’a ni consolation ni honneur.
Mais deux choses sont requises au mariage sacré :
1- des biens d’où les mariés se puissent sustenter ;
2- un fils qui reçoive leur héritage, et que le serviteur soit pour obéir, car comme nous lisons : Abraham se troublait, parce qu’il n’avait pas un fils; or, l’âme a lors des biens pour se sustenter, quand elle est pleine de vertus ; elle a aussi un fils, quand elle a la vertu de discrétion, quand elle a raison de discerner les vertus des vices, et quand elle discerne cela même selon Dieu ; elle a aussi un serviteur, c’est-à-dire, l’affection charnelle, qui ne vit point selon la concupiscence de la chair, mais comme il est expédient et convenable au corps et selon que l’âme avance en la perfection.
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Je vous aime donc comme un époux son épouse, car mon repos est votre repos. Partant, vous devez plus franchement souffrir toute sorte de tribulations que me provoquer à ire et à indignation. Je vous chéris aussi comme un père son fils, d’autant que je vous ai donné la discrétion et la franche volonté. Je vous aime aussi comme un maître son serviteur, à qui j’ai commandé d’avoir les choses nécessaires avec modération, et le labeur avec tempérament. Mais ce serviteur, c’est-à-dire, le corps, est si insensé qu’il veut plutôt servir le diable que moi, bien que le diable ne lui donne jamais ni repos ni relâche des sollicitudes du monde.
Chapitre 84
Notre Seigneur Jésus-Christ, parlant à l’épouse, dit qu’il y a trois sortes d’hommes qui ont été supplantés par les femmes, l’un desquels est comparé à l’âne couronné ; l’autre a le cœur d’un lièvre, et le troisième est comparé au basilic. Et partant, la femme doit toujours être sujette à son mari.
Le Fils de Dieu, engendré au-delà du monde dans le sein de son Père, parle en ces termes : On lit que trois sortes d’hommes ont été supplantés à raison des femmes.
Le premier était un roi qu’Amasia frappa à la face, quand il ne la contentait pas, d’autant qu’il était fol, et il ne la retenait point ni ne se souciait de son honneur. Cet homme était semblable à l’âne à raison de sa sottise, et à l’âne couronné à raison de sa dignité royale.
Le deuxième fut Samson, qui, bien qu’il fût très fort, fut néanmoins vaincu par une femme. Celui-ci eut le cœur d’un lièvre, d’autant qu’il n’avait pu dompter une femme.
Le troisième était Salomon, qui a été comme un basilic, qui tue de sa vue et est tué par un miroir : de même la sapience de Salomon excédait tous ; néanmoins, la face d’une femme le tua. Partant, il faut que la femme soit soumise à l’homme.
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Jésus-Christ dit à l’épouse que, devant lui, il y a deux feuillets d’un livre : en l’un est écrit une triple miséricorde, et en l’autre la justice, qui l’avertit que, pendant qu’elle a le temps, elle se convertisse à la miséricorde, de peur qu’après elle ne soit punie de la justice.
Le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge parle à son épouse, disant : Je suis le Créateur de toutes choses. Devant moi sont comme deux feuillets : en l’un est écrite la miséricorde, en l’autre la justice. Partant, que celui qui sera contrit de ses péchés propose de ne pécher désormais. Ma miséricorde dit à celui-là que mon Esprit l’allumera et le poussera à faire de bonnes œuvres. Quiconque donc voudra franchement se délivrer les vanités de ce monde, mon Esprit le rendra plus fervent ; mais celui qui est même préparé et disposé à mourir pour moi, mon Esprit l’embrasera tellement des feux de mon amour qu’il sera tout à moi et que je serai tout en lui.
En l’autre feuillet est écrite la justice, qui dit : Quiconque ne s’amende quand il en a le temps, et s’éloigne sciemment de Dieu, le Père éternel ne défendra pas celui-là, ni le Fils ne lui sera propice, ni le Saint-Esprit ne l’embrassera pas des feux de son divin amour. Partant, pendant qu’il en est temps, considérez mûrement le feuillet de la miséricorde divine, car quiconque sera sauvé, sera purifié, ou par l’eau, ou par le feu, c’est-à-dire, par quelque médiocre labeur de pénitence en ce temps, ou par le feu du purgatoire en l’autre monde, jusqu’à ce qu’il soit entièrement purifié.
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Sachez aussi que j’ai montré à un homme que vous connaissez ces deux feuillets du livre de la miséricorde et de la justice. Mais il méprise maintenant le feuillet de ma miséricorde, et ce qui est à gauche, il le répute à droite ; et comme l’oiseau qu’on nomme hérodius veut exceller par-dessus les oiseaux, de même il désire surpasser tous les hommes en vanité ; et partant, il doit craindre que, s’il ne prend garde diligemment, il mourra en riant, et sera misérablement enlevé des yeux du monde.
Cela arriva après, car sortant de table joyeux et content, il fut tué de nuit par ses ennemis.
Chapitre 86
La Mère de Dieu parle, disant d’elle-même qu’elle est semblable à la fleur de laquelle les abeilles cueillent la douceur, car les abeilles sont les serviteurs et les élus de Dieu, qui, tous les jours, cueillent et puisent les douceurs de la grâce, et ont des ailes et des pieds spirituels.
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La Mère de Dieu parle : Je suis la Reine et la Mère de miséricorde. Mon Fils, créateur de toutes choses, est touché de tant de douceur en mon endroit, qu’il m’a donné l’intelligence spirituelle de toutes choses créées. Partant, je suis semblable à une fleur, de laquelle les mouches à miel cueillent la douceur ; bien qu’elles ne cueillent beaucoup, néanmoins la douceur lui demeure : de même je puis impétrer les grâces à tous, et j’en surabonde. Voire même mes élus sont semblables aux abeilles, qui , de toute l’étendue de leur dévotion, sont touchés des atteintes de mon honneur ; car comme des abeilles, ils ont deux pieds, savoir, le désir continuel d’augmenter mon honneur. En second lieu, ils travaillent en cela avec un grand soin, faisant à ces fins tout ce qu’ils peuvent. Ils ont aussi deux ailes, savoir, qu’ils se réputent par humilité indignes de me louer. En deuxième lieu, ils obéissent à tous en ce qui concerne mon honneur, ils ont aussi un aiguillon, et si cet aiguillon leur manque, ils mourront. De même les amis de Dieu sont assaillis d’un torrent de tribulations du monde, lesquelles, pour la conservation des vertus, ne leur seront pas ôtées avant la fin de leur vie ; mais quoi, qui suis l’océan et le Dieu de toute consolation, je les consolerai.
Chapitre 87
Notre Seigneur Jésus-Christ parle à son épouse, disant qu’elle doit avoir ses membres beaux et sans tache, comparant spirituellement tous ses membres à la parfaite dilection de Dieu et du prochain, et singulièrement des amis de Dieu. Il conclut aussi qu’il faut faire spirituellement ce que le phénix fait corporellement : il amasse de petites bûchettes pour se brûler lui-même par icelles.
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Le Fils du Père éternel, la splendeur de la gloire, parle à son épouse en ces termes : Je vous ai dit en premier lieu que vous devez avoir les yeux clairs et sereins, afin que vous voyiez les maux que vous avez faits et le bien que vous avez omis ; que votre bouche, c’est-à-dire, votre esprit, soit sans aucune tache ; les lèvres sont les deux désirs, l’un de quitter tout pour l’amour de moi, l’autre la volonté de demeurer avec moi, et que ces lèvres soient de couleur rouge, qui est la plus décente des couleurs et qui se voit de plus loin. Or, la couleur signifie beauté, et toute beauté et éclat sont en la vertu, car cela est plus acceptable et agréable à Dieu, quand on lui offre ce que les hommes aiment le plus et dont les âmes prennent un plus grand et juste sujet d’édification.
Il faut donc donner à Dieu ce que l’homme a de plus cher, soit en effet, soit en œuvre. Partant, on lit que Dieu s’est réjoui de la perfection de ses œuvres : de même Dieu se réjouit quand l’homme s’offre tout à lui, voulant être indifféremment, selon les volontés divines, en supplice ou en joie. Les bras doivent être légers et flexibles à l’honneur et à la gloire de Dieu. Donc, le bras gauche est la considération des biens et bénéfices dont je vous ai enrichie, vous créant du néant, vous rachetant par le prix de mon sang, et la pensée de vos insupportables ingratitudes. Mais le bras droit est la dilection si fervente à mon endroit, que vous aimeriez mieux endurer les tourments durs et cruels, que de me perdre et de me provoquer à ire et à indignation. Entre ces deux bras je me repose franchement, et votre cœur sera mon cœur, car je suis comme un feu de la divine dilection, et partant, je veux être là aimé avec plus de ferveur.
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Or, les ôtes qui défendent votre cœur sont les parents, non charnels, mais mes chers élus, lesquels vous devez aimer comme moi et plus que les parents charnels, car de fait, ils sont vos parents qui vous ont régénérée à la vie éternelle. Or, la peau de l’âme doit être si belle qu’elle n’ait aucune souillure. Par la peau, on entend le prochain. Si vous aimez le prochain comme vous-même, mon amour et celui de tous mes saints seront gardés inviolables en vous ; que si vous le haïssez, le cœur est lésé, et les côtés seront dénuées de la chair, c’est-à-dire, l’amour de mes saints sera moindre en vous. La peau ne doit avoir aucune tache, d’autant que vous ne devez point haïr le prochain, mais l’aimer selon Dieu, car lors mon cœur est sain avec votre cœur.
D’ailleurs, je vous ai dit ci-devant que je veux être aimé avec beaucoup de ferveur, d’autant que je suis le feu de la divine dilection, car en mon feu, il y a trois merveilles :
la première est que ce feu brûle et ne s’allume jamais ;
la deuxième, il ne s’éteint point ;
la troisième, qu’il brûle incessamment et n’est jamais consumé .
De même, ma charité du commencement était si ardente envers l’homme né de ma Déité, qu’elle brûla plus en l’assomption de l’humanité, et brûle tellement qu’elle ne s’éteindra jamais : mais elle rend l’âme plus fervente et ne la consume pas, mais elle la fortifie et l’affermit de plus en plus, comme vous le pourrez colliger du phénix, qui, étant en ses dernières années, amasse de petites bûchettes en une montagne très-haute, et ces bûchettes étant allumées par la chaleur du soleil, il se jette dans le feu, et étant consumé par le feu, il revit : de même l’âme qui est embrasée des feux du divin amour, est d’elle comme un autre phénix meilleur et plus fort.
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Jésus-Christ, parlant à son épouse, lui dit que toutes choses créées ont été à sa volonté, excepté les hommes. Il lui dit aussi qu’il y a trois sortes de personnes au monde qui sont comparées à trois navires flottants en mer, l’un desquels est en danger de faire naufrage ; le deuxième chancelle sur les vagues, lorsque le troisième jouit du calme.
L’Engendré de toute éternité dans le sein du Père, et l’engendré dans le sein de la Mère dans le temps, Jésus-Christ parle en ces termes : Je suis le créateur des esprits bons et mauvais. Je suis aussi le conducteur et le modérateur de tous les esprits. Je suis encore créateur de tous les animaux et des choses qui ont l’être, et non la vie. Partant, tout ce qui est compris dans le pourpris de l’univers, et toutes choses font ma volonté, excepté l’homme seul.
Sachez aussi qu’il y a des hommes qui sont comme des navires qui ont perdu le gouvernail et le mât, qui vaguent ça et là à la merci des flots agités par les tempêtes de la mer, jusqu’à ce qu’ils soient arrivés au rivage des îles de la mort. En ce navire sont tous ceux qui se jettent et s’abandonnent comme quasi au désespoir et à toute sorte de voluptés.
D’autres hommes sont comme des navires qui ont encore le mât, un gouvernail et une ancre avec deux cordes. Mais l’ancre principale est rompue, et le gouvernail est bientôt fracassé, si les impétuosités des vagues se mettent entre le navire et le gouvernail. Qu’on y prenne donc garde, car tant que le gouvernail et le navire sont unis ensemble, ils ont comme quelque chaleur entre eux. Le troisième navire a tout ce qui est requis pour voguer et cingler quand on voudra.
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La première ancre dont nous avons parlé ci-dessus est la discipline de la religion, qui est soulagée par la patience et la ferveur de la divine dilection. Il est maintenant défait et rompu, d’autant que l’institution et l’instruction des Pères est maintenant foulée aux pieds ; ce qui leur semble utile, ils ont cela pour religion, et de la sorte, ils sont changeants et inconstants comme le navire au milieu des flots.
La deuxième ancre, qui est encore saine, comme j’ai dit ci-dessus, est la volonté de servir Dieu, liée avec deux cordes par l’espérance et la foi, d’autant qu’ils me croient Dieu et s’appuient en moi, croyant que je les veux sauver. Je suis le gouvernail de ceux-là : tant que je serai en leur navire, les flots et les orages n’y entreront point, et il y a entre eux et moi quelque chaleur. Or, lors je suis uni au navire d’iceux, quand eux n’aiment rien tant que moi ; je suis lors comme attaché à eux comme par trois clous, savoir, par la crainte, l’humilité, et la considération de mes œuvres. Mais que, s’ils aiment quelque chose plus que moi, lors l’eau de dissolution est entrée en eux, et lors les trois clous sont arrachés, savoir, la crainte, l’humilité et la divine considération ; lors l’ancre de la bonne volonté est rompue, et les cordes de la foi et de l’espérance ferme sont coupées. Mais ceux qui voguent en ce navire sont grandement inconstants, et partant, ils avancent chemin aux écueils et aux dangers.
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Dans le troisième navire dont j’ai parlé, qui avait tout ce qui était utile et nécessaire pour voguer, sont mes très chers et fidèles amis.
Chapitre 89
Jésus-Christ parle à son épouse, lui enseignant la manière que le soldat spirituel doit tenir au combat, savoir, qu’il se doit confier en Dieu, et non en ses propres forces. Il lui donne deux oraisons fort courtes pour les dire tous les jours ; il lui dit aussi qu’il doit être armé des armes spirituelles contenues en ce chapitre.
Le Fils du Père éternel parle en ces termes : Que quiconque veut combattre soit magnanime à se lever ; s’il tombe, qu’il se confie, non en ses propres forces, mais en ma miséricorde, car celui qui se défie de ma bonté, pensant ainsi à part soi : Si je commence quelque chose, mortifiant ma chair par jeûnes, la travaillant par des veilles, je ne pourrai persévérer ni m’abstenir des vices, car Dieu ne m’aide point ; celui-ci tombe à bon droit. Que celui donc qui veut combattre spirituellement, se confie en moi qu’il pourra accomplir ses desseins par la coopération de ma grâce. Après, qu’il ait la volonté de faire le bien, de laisser le mal, et de se relever tout autant de fois qu’il tombera, disant cette oraison : Seigneur, Dieu tout-puissant, qui conduisez tous les hommes au bien, je, pécheur, me suis par trop éloigné de vous par mes crimes : je vous rends grâces de ce que vous m’avez ramené à la voie droite. Partant, je vous prie, mon très pieux Jésus, d’avoir miséricorde de moi, vous qui avez été sanglant, douloureux au gibet de la croix pour l’amour de moi ; et je vous prie et conjure par vos cinq plaies, et par les douleurs excitées en vos veines quand on les perçait, et qui montaient au cœur, qu’il vous plaise me conserver ce jourd’hui, afin que je ne tombe en péché. Donnez-moi encore la force et la vertu de résister puissamment aux flèches de mes ennemis, et que je me relève généreusement, si je tombe.
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Quant à ce que le combattant puisse glorieusement persévérer en bonnes œuvres, qu’il prie en cette manière : Seigneur Dieu, à qui rien n’est impossible et qui pouvez toutes choses, donnez-moi la force de faire de bonnes œuvres et de persévérer incessamment en icelles. Après, qu’il prenne les armes en main, c’est-à-dire, la pure confession, qui doit être bien limée et resplendissante par la sainte considération ; limée par une diligente discussion et examen de sa conscience : comment, combien, en quel lieu il aura failli, et pourquoi. Après, elle doit être resplendissante, savoir, qu’il ne cache rien de honte, ni qu’il ne dise autrement qu’il a péché.
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Ce glaive doit avoir deux côtés tranchants, savoir, la volonté de n’offenser Dieu à l’avenir, et le désir d’amender ce qu’il a confessé. La pointe de ce glaive est la contrition, par laquelle le diable est tué, lorsque l’homme s’attriste tout autant qu’il avait pris du plaisir au péché, qu’il s’en repent et gémit, d’autant qu’il m’a provoqué à courroux. Ce glaive doit avoir aussi la considération de la grande miséricorde de Dieu, dont la miséricorde est si grande qu’il n’y a pécheur si grand qui ne l’obtienne, s’il la demande avec volonté de se corriger avec cette intention, savoir, que Dieu est miséricordieux sur toutes choses. Il faut tenir le glaive de la confession ; mais afin que, par aventure, le taillant ne blesse la main, que les gardes qui sont entre la lame et la poignée l’empêchent ; et afin que le glaive ne tombe de la main, que la poignée le préserve.
Semblablement, que celui qui a le glaive de la confession, espérant de la miséricorde divine que ses péchés lui seront pardonnés et qu’il en sera purifié, se donne aussi de garde qu’il ne tombe par la présomption d’obtenir pardon : partant, que la crainte de Dieu ne l’empêche, craignant que Dieu ne lui ôte la grâce et lui donne sa fureur, à raison de sa trop grande présomption. Mais de peur qu’il ne soit blessé, et que la main de l’œuvre ne soit affaiblie et diminuée par la grande ferveur et l’activité du labeur, et par l’indiscrétion, que le fer qui est entre la main et l’acier, c’est-à-dire, la considération de l’équité de Dieu, le conserve des extrémités, car bien que je sois juste, de sorte que je ne laisse rien impuni et sans examen, je suis néanmoins si miséricordieux et si équitable que je ne demande point plus loin que ce que la nature peut faire et supporter facilement, et je pardonne, à raison de la bonne volonté, un grand supplice et un grand crime pour un petit amendement.
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La cotte de mailles d’un soldat est l’abstinence, car comme la cotte de mailles est composée et tissue de plusieurs chaînons, de même l’abstinence résulte de plusieurs vertus, savoir, de la mortification des yeux, de l’abnégation et anéantissement de tous les sens, des viandes, de la fuite de toute sorte de lubricités, de toutes les choses superflues, et de plusieurs autres choses que saint Benoît défend. Mais cette cotte de mailles ne peut être personnellement accommodée à quelqu’un sans le secours d’un autre. Partant, ma Mère, la Sainte Vierge, doit être invoquée et honorée, d’autant qu’en elle sont tous les moyens de la vie et toute la forme des vertus. Certes, si on l’invoque constamment, elle nous montrera en quoi consiste la parfaite abstinence.
Le heaume est la parfaite espérance, qui a comme deux trous par lesquels le soldat regarde : le premier est la considération mûre et prudente de ce qu’il faut faire; le deuxième est la pensée de ce qu’il faut omettre, attendu que tout homme qui espère en Dieu pense toujours à ce qu’il doit faire selon Dieu, et à ce qu’il doit omettre pour Dieu. Or, que le bouclier soit la patience, qui lui fait pâtir et souffrir invinciblement et franchement tout ce qui lui arrive.
Chapitre 90
Notre-Seigneur Jésus-Christ dit que ses amis sont comme son bras, d’autant que lui, comme un bon médecin, coupe et taille leur chair pourrie et tout ce qui leur est nuisible, et conjoint à soi la bonne chair, les transformant en soi.
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Le Fils de Dieu dit que ses amis sont comme son bras. Il a cinq choses au bras : la peau, le sang, les os, la chair et les moelles. Mais moi, je suis comme un sage médecin, qui taille en premier lieu tout ce qui est nuisible; après, il unit la chair à la chair et l’os à l’os, et de la sorte applique le médicament salutaire. J’en ai fait de même à mes amis : en premier lieu, je leur ai ôté toute la cupidité mondaine et les désirs illicites de la chair, et puis j’ai conjoint ma moelle à leur moelle. Quelle est ma moelle, sinon la puissance de mon adorable Déité? Car comme sans moelle tout homme est mort, de même celui qui ne communique à ma Déité est mort. J’ai conjoint lors cette moelle à leur infirmité, quand ma sagesse les goûte et les fructifie en eux, et quand leur âme comprend et entend ce qu’il faut faire et ce qu’il faut omettre. Or, les os signifient ma force infinie : je la conjoins à leur force, quand je les rends forts pour faire le bien. Le sang signifie ma volonté : je la conjoins lors à leur volonté, quand leur volonté est selon mon vouloir, et quand ils ne désirent ni ne cherchent que moi seul. La chair signifie ma patience : je l’ai lors conjointe à leur patience, quand ils sont patients comme je l’ai été, lorsque, du sommet de la tête jusqu’à la plante des pieds, il n’y avait point de santé en moi. La peau signifie ma dilection : lors je l’ai conjointe à moi, quand ils n’aiment rien tant que moi, et quand, avec ma grâce, ils veulent mourir pour l’amour de moi.
Chapitre 91
Jésus-Christ avertit son épouse de s’humilier en quatre manières, savoir : devant les potentats du monde; devant les pécheurs; devant les amis de Dieu spirituels et devant les pauvres de ce monde.
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Le Fils de l’Éternel, la Sapience infinie, parle à sa très-chère amante l’épouse, lui disant : Vous vous devez humilier en quatre manières :
1° devant les puissants et potentats du monde, car soudain que l’homme méprisa d’obéir à Dieu, il a été sujet d’obéir à l’homme, et d’autant que l’homme ne peut subsister sans gouverneur, c’est pourquoi il est juste qu’il se soumette à l’homme;
2° devant les pauvres spirituels, c'est-à-dire, devant les pécheurs, priant pour eux et remerciant Dieu, d’autant que, peut-être, vous n’avez pas été ni ne serez telle;
3° devant les riches spirituels, c'est-à-dire, devant les amis de Dieu, vous estimant être véritablement digne de les servir et de converser avec eux; 4° devant les pauvres du monde, les aidant, les revêtant et lavant leurs pieds.
Chapitre 92
Jésus-Christ avertit l’épouse d’avancer et de persévérer dans les vertus, imitant la vie des saints, afin qu’elle soit le bras de Jésus. Il prouve aussi que les saints transformés sont les bras de Jésus-Christ.
L’engendré avant le temps, de toute éternité dans le sein du Père éternel, parle, disant : Mes amis sont comme mon bras. Véritablement cela est de la sorte, car le Père éternel, le Fils tout sage, le Saint-Esprit et la Vierge le sont aussi. La Déité est comme la moelle sans laquelle personne ne vit. Mes os sont l’humanité, qui fut forte pour pâtir et souffrir. Or, le Saint-Esprit est comme le sang, d’autant qu’il remplit et réjouit toutes choses. Ma Mère, en laquelle ont été la Déité, l’humanité et le Saint-Esprit, est comme la chair. La peau est toute la milice céleste, car comme la peau couvre la chair, de même ma très-chère Mère excelle par-dessus tous les saints en éminence de vertu, car bien que les anges soient purs, elle est pourtant plus pure; et bien que les prophètes aient été remplis de l’Esprit de Dieu et que les martyrs aient beaucoup souffert, néanmoins, l’Esprit d’amour a été plus fervent en ma Mère, et elle a été plus que martyre; et bien que les confesseurs se soient abstenus de toutes choses mauvaises, et même de quelques-unes licites, ma très-chère Mère eut néanmoins une plus parfaite abstinence, car elle eut ma Déité avec mon humanité.
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Quand donc mes amis m’ont en eux, ma Déité est en eux, qui vivifie leur âme; la force de mon humanité est en eux, qui les fortifie jusque à la mort, et mon sang est en eux, par lequel leur volonté a les mouvements à toute sorte de biens. Leur chair aussi est remplie de mon sang et de ma chair, quand ils ne veulent en rien se salir, se conservant inviolables en la chasteté par ma grâce. Ma peau est aussi conjointe à leur peau quand on imite la vie et les mœurs de mes saints. Et de la sorte, mes saints sont à bon droit appelés mon bras, desquels vous devez être aussi les membres par les désirs ardents d’avancer au bien, en les imitant autant que vous pourrez; car comme je les unis à moi par la conjonction de mon corps, de même vous devez vous unir à eux et à moi par le même corps qui est le mien.
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Jésus-Christ parle à son épouse, lui commandant trois choses : 1° qu’elle ne désire que la vie et le vêtement; 2° qu’elle ne désire les choses spirituelles, si ce n’est selon les volontés divines; 3° qu’elle ne s’attriste de rien, si ce n’est de ses péchés et de ceux d’autrui. Il dit encore que ceux qui n’ont pas voulu amender leurs péchés par la pénitence, seront rudement punis au jugement divin.
Le Verbe éternel, le Fils de Dieu, commande trois choses à sainte Brigitte : 1° de ne rien désirer que la vie et les vêtements; 2° de ne désirer les choses spirituelles que conformément aux volontés divines; 3° de ne s’affliger que de ses péchés et de ceux d’autrui. Si vous en voulez avoir de la douleur, considérez la rigueur et la fureur du jugement effroyable, laquelle vous pourrez mieux pénétrer en un homme déjà jugé, qui, étant entré en un monastère, eut trois choses en l’âme, savoir, d’être sans peine, d’avoir la nourriture sans soin, d’esquiver les tentations de la chair sans en venir à l’exécution; c’est pourquoi il a été assailli de trois sortes d’afflictions, car, 1° voulant être sans labeur et sans peine, il y a été contraint par parole et par le fouet; 2° il a souffert la faim et la nudité; 3° il a été méprisé de tous, de sorte qu’il n’a pu se délecter en volupté.
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Or, le jour de la profession s’approchant, il eut cette pensée : D’autant, dit-il, que je pourrai être au monde sans labeur, il vaut plus que je sois dans le monastère et que je travaille pour l’amour de Dieu. Et le voyant en telle volonté, ma miséricorde et ma justice voulurent qu’il parvînt à la gloire éternelle, car soudain qu’il eut fait profession, dès l’instant il fut accablé d’une grande maladie et en telle sorte affligé, qu’il perdit de douleur la vue et l’ouïe et fut affligé en tous ses membres, d’autant qu’il voulait être sans peine ni labeur. Il endurait une plus grande pauvreté qu’il n’eût endurée au monde, et même, ayant des viandes plus délicates, il n’en peut aucunement manger, et ne pouvait avoir ce que la nature désirait. Sa nature fut tellement exténuée et consommée avant la mort, qu’il semblait un tronc. Mais étant mort, il vint au jugement comme un larron qui voulait être en la religion sans rien faire que sa volonté, non pas pour y bien vivre; mais néanmoins, il ne devait pas être jugé comme larron, car bien qu’il fut fou et insensé en sa raison et en sa conscience, néanmoins il avait son espérance en moi, qui suis Dieu, et partant, il fut jugé à la miséricorde. Le péché commis n’ayant pu être pleinement purifié par les peines corporelles, c’est pour cela aussi que son âme est grièvement punie en purgatoire, ni plus ni moins que si les os lui ayant été arrachés, la peau était mise en une presse, afin que la moelle s’en écoulât toute.
Hélas! Que pâtiront donc ceux qui ont croupi dans le péché tout le cours de leur vie, et n’ont ni ne veulent avoir un acte contraire! C’est ce qu’ils me rendent pour les avoir si chèrement rachetés, conservés, et pour leur avoir donné tout ce qui leur est nécessaire! Et partant, j’en exigerai cela au jugement avec fureur, d’autant qu’ils ont violé la foi qu’ils m’avaient vouée au baptême, et parce que, tous les jours, ils ne font que m’offenser, méprisant mes commandements. En vérité, je ne laisserai point sans une grande punition la moindre chose qu’ils ont commise en religion.
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DECLARATION.
Le Frère dont il est ici parlé eut un péché caché dont il ne voulut jamais se confesser. Notre-Seigneur commanda à sainte Brigitte de l’aller trouver, ce qu’elle fit, et elle lui dit : Faites pénitence. Vous avez quelque chose de caché en votre conscience. Tant que vous cacherez cela, vous ne pourrez mourir.
Il lui répondit : Je n’ai rien qui n’ait été dit en la confession.
Cherchez, dit-elle, comment vous avez vécu durant tout le cours de votre vie jusque à maintenant, et vous trouverez la vérité en votre cœur.
Lors fondant en larmes, il dit : Béni soit Dieu qui vous a envoyée à moi, car puisque vous m’avez parlé du secret de mon cœur, j’en veux dire la vérité devant ces auditeurs! Oui, j’ai quelque chose de caché dans mon cœur, que je ne pouvais ni n’osais déclarer, d’autant que toutes fois et quand est-ce que je me confessais des autres péchés, ma langue demeurait muette et liée quand il fallait parler de celui-ci; et d’ailleurs la honte me saisissait, et la confusion m’empêchait de confesser ce qui me rongeait le cœur. C’est pourquoi, quand je me confessais, je terminais ma confession en ces termes : O Père, je me confesse des péchés que j’ai dits et de ceux que je n’ai pas dits. Je croyais que de la sorte tous les péchés m’étaient remis, bien que cachés. Mais maintenant, Madame, s’il plaisait à Dieu, je voudrais dire à tout le monde les péchés que j’ai si longtemps cachés dans mon cœur.
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Ayant appelé un confesseur, il dit tous ses péchés, et mourut la même nuit.
Chapitre 94
Notre-Seigneur enseigne à sa chère épouse de belles et excellentes oraisons pour dire quand elle s’habille, quand elle va à table et se coucher, l’avertissant qu’elle soit humble en tous ses vêtements, modeste et honnête en tous ses membres.
La splendeur de la gloire, le Fils de Dieu dit à son épouse : La beauté extérieure signifie la beauté intérieure que l’homme doit avoir; c’est pourquoi, quand vous prenez le bandeau ou le voile par lesquels les cheveux sont serrés, dites : O Seigneur Dieu, je vous rends grâces de ce que vous m’avez supportée lorsque j’étais plongée en mes péchés; et parce que je ne suis pas digne de voir à raison de mon incontinence, je voile mes cheveux.
Notre-Seigneur ajouta : L’incontinence m’est tellement abominable, que la vierge qui a quelque mauvais et volontaire désir à quelque incontinence, n’est pas pure devant mes yeux, si elle ne corrige sa pernicieuse volonté par la pénitence.
Quand vous voilez votre front, dites : O mon Dieu, mon Seigneur, d’autant que vous avez bien créé toutes choses, et particulièrement l’homme d’une manière plus excellente par-dessus tout, le faisant à votre image et ressemblance, ayez miséricorde de moi. Et d’autant que je n’ai pas gardé la beauté de ma face pour votre honneur et gloire, je voile mon front.
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Quand vous ôtez vos souliers, dites : Béni soyez-vous, ô mon Dieu, qui me commandez d’avoir des souliers, afin que je sois forte, et non pas lâche à votre service! Confortez-moi donc et affermissez-moi, pour que je puisse marcher en la voie de vos commandements. Que dans le reste de vos vêtements paraisse toujours l’humilité, et en tous vos membres, l’honnêteté modérée.
Quand vous allez à la table, dites : O mon Dieu, si vous vouliez, comme vous le pouvez, me soutenir sans viande, je vous en prierais maintenant. Mais puisque vous nous commander d’en prendre, donnez-moi donc la sobriété des viandes, afin que, par votre grâce, je puisse manger selon la nécessité que la nature exige, et non selon que la cupidité le désire.
Quand vous allez vous coucher, dites : Béni soyez-vous, mon Dieu, qui disposez les vicissitudes et les changements des saisons pour le soulagement de notre corps et de notre âme! Il vous supplie très-humblement de donner à ce corps, cette nuit, le repos, et conservez-moi à l’abri de la puissance et des illusions diaboliques.
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Jésus-Christ, parlant à son épouse, lui déclare quelles sont les armes des ennemis qui se sont glorifiés dans le péché avec volonté d’y persévérer. Ils seront consommés avec effroi par le glaive de la fureur d’un Dieu tout-puissant.
La Sapience incarnée, le Fils de Dieu, parle : Je m’arrête comme un roi provoqué au combat. Le diable s’arrête contre moi avec son armée; mais le dessein et la constance de ma résolution sont tels, qu’avant de me retirer de ma justice d’un seul point, plutôt le ciel et la terre et tout ce qui est compris dans leur pourpris, se renverseraient! Mais l’intention du diable est qu’avant de s’humilier, il aimerait mieux qu’il y eût autant d’enfers qu’il y a d’atomes dans le soleil, et souffrir l’un avec l’autre sans fin.
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Quelques-uns de mes ennemis s’approchèrent du jugement, et il n’y a pas la distance de deux pieds : Leur bannière, leur étendard est dressé; leur bouclier est au bras, le glaive est en main, mais il n’est pas encore au vent. Ma patience est si grande que, s’ils ne me frappent les premiers, je ne les frapperai point. En la bannière de mes ennemis, il y a trois devises : la gourmandise, la cupidité et la luxure. Leur heaume est l’endurcissement du cœur, car ils ne considèrent point les peines effroyables de l’enfer, ni ne pensent pas mûrement combien difforme et abominable est le monstre du péché. Les trous du heaume sont la volonté de la chair et la volonté de plaire au monde, car par ces misérables désirs, ils courent partout et ils voient ce qu’il ne faut pas voir. Leur bouclier est la perfidie, qui leur fait excuser leurs péchés, et ils les imputent, non à leur méchanceté, mais à la fragilité de la chair, c’est pourquoi ils tiennent peu de compte de leurs péchés et d’en demander pardon. Leur glaive est la mauvaise volonté de persévérer en leur péché infâme; il n’est pas arraché, d’autant que leur malice n’est pas accomplie; mais lors il est arraché, quand ils veulent tout autant pécher qu’ils peuvent vivre; mais lors ils frappent très rudement, quand ils se glorifient, ensevelis dans la misère du péché, de désirer de persévérer dans l’état misérable qui n’a jamais d’égal, et dans l’iniquité abominable. Mais quand leur malice sera accomplie, lors la voix criera en mon armée, disant : Frappez maintenant! Et lors le glaive de ma sévérité les consommera, et un chacun sentira la rigueur et la fureur de ma justice, et comme elle est armée; leurs âmes seront ravies par les diables, qui, comme des oiseaux de rapine, ne cherchent point le bien temporel, mais ces âmes, qu’ils déchireront éternellement.
Chapitre 96
L’Époux déclare à l’épouse ce que signifie la distance de deux pieds, et arracher le glaive dont il a parlé au chapitre précédent.
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Le miroir sans tache, le Fils de Dieu, parle : Je vous ai dit qu’entre mes amis et moi, il n’y a pas la distance de deux pieds; mais maintenant, ils approchent d’un pied du jugement. L’un de ces deux pieds est la récompense des bonnes œuvres qu’ils ont faites pour moi. Partant, dès ce jour, leur infamie augmentera; leur délectation sera rendue amère; leur joie sera ôtée; leur tribulation prendra accroissement avec douleur. Le second est leur malice, qui n’est pas encore accomplie; mais comme on a accoutumé de dire que quand quelque chose est pleine, c’est lors qu’elle crève, de même, quand l’âme et le corps se séparent, c’est lors que le Juge les condamne. Leur glaive est la volonté qu’ils ont de pécher, qui est arrachée à moitié, d’autant que leurs honneurs venant à décroître et les adversités les assaillant, ils sont plus en colère et brûlent du désir d’offenser, car la prospérité et l’honneur ne les laissent pas beaucoup penser au péché; mais maintenant, afin qu’ils puissent accomplir leurs sales et abominables voluptés, ils désirent de vivre plus longtemps et se donnent licence de pécher davantage. Malheur à eux, d’autant que, s’ils ne s’amendent, leur perte, leur totale ruine s’approche!
Chapitre 97
Jésus-Christ, parlant à son épouse d’un certain prélat, lui dit que l’âme dévote qui a perdu la chaleur de la méditation et de la sainte dévotion, à raison de sa superbe cupidité, pour les intrigues du monde, recouvrera la divine lumière et amour, en s’humiliant parfaitement à Dieu et au prochain, de sorte qu’il ressentira intimement la divine douceur.
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Le Fils de Dieu et de la Vierge Marie parle par son épouse à un certain prélat, lui disant : Vous êtes semblable à la roue d’un moulin, qui, tant qu’elle est immobile et demeure ferme , ne brise point le blé. Cette roue signifie fort à propos votre volonté , qui devrait être mobile, non à votre volonté et accomplir vos désirs, mais bien les miens , et vous abandonner totalement en mes mains. Mais cette roue est trop immobile à ses vouloirs, d’autant que, l’eau des désirs de la terre sollicitant par trop votre esprit , la considération de vos œuvres et ma passion sont quasi mortes en votre cœur : C’est pourquoi la viande de l’âme ne vous est point à goût. Et partant, rompez les écluses et les branches qui retiennent l’eau , afin qu’elle coule , fasse rouler la roue et que le blé soit broyé .
La tranchée qui retient l’eau n’est autre que la superbe intérieure de l’esprit et l’ambition insatiable , qui bouchent le courant des grâces du Saint-Esprit, et empêchent tout le bien dont l’âme devrait fructifier . Partant , embrassez la vraie humilité et soumission en votre esprit, car par elles coulera en votre âme la douceur de mon Esprit, et les pensées terrestres s’évanouiront ; par elles, votre volonté aura son mouvement et se rendra parfaite selon mes vouloirs. Lors vous commencerez de porter jugement de vos œuvres et d’avoir une grande estime des miennes. Or, quelle est la vraie humilité ? Certainement, c’est de ne se soucier aucunement des faveurs humaines et de ce que les hommes disent, marcher par ma voie , qui est oubliée et négligée, ne pas chercher ce qui est superflu et vous conformer aux simples. Si vous aimez cette voie , les choses spirituelles , ma passion et la voie de mes saints , vous seront à goût. Lors vous entendrez combien redevable vous êtes aux âmes que vous gouvernez, attendu que vous êtes monté au plus haut de la roue par deux pieds : par la puissance et par l’honneur ,de sorte que de la puissance prend source votre cupidité, et de l’honneur votre orgueil.
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Partant, descendez maintenant , vous humiliant en l’esprit , et suppliez les humbles de prier Dieu pour vous, car je vous enverrai ma justice comme un fleuve rapide et j’exigerai de vous jusques à la dernière maille , et demanderai raison des affections , pensées , paroles et œuvres. Je vous demanderai aussi les âmes que j’ai commises à votre providence et que j’ai rachetées par mon sang.
Chapitre 98
Jésus-Christ dit à l’épouse qu’il faut percer les pécheurs de quatre flèches contenues en ce chapitre, c’est-à-dire, de quatre répréhensions, et les lâcher aussi, afin qu’ils aient componction et qu’ils soient humblement ramenés à la correction et à l’amendement de leur vie.
Jésus-Christ dit : Je donnerai à mes amis quatre flèches : par la
Première, il faut entendre celui qui a perdu un de ses yeux ; par la deuxième, celui qui est boiteux de l’un des pieds ; par la troisième , celui qui est sourd d’une oreille ; par la quatrième, celui qui est couché à terre.
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Or, celui-là est l’origine, qui ne voit et ne considère les œuvres de mes saints ; mais il voit et désire les délectations du monde. Un tel doit être percé en cette manière, lui parlant en ces termes : Vous êtes semblable à Lucifer, qui, ayant connu (1) la souveraine bonté de Dieu, la désira injustement , c’est pourquoi il descendit en enfer.
Celui-là est boiteux d’un pied , qui se repent et fait pénitence de ses péchés , mais s’occupe avec peine en l’acquisition des choses du monde. Celui-ci doit être blessé en cette sorte. Vous travaillez pour les commodités corporelles , que les vers mangeront bientôt , c’est pourquoi occupez-vous à travailler fructueusement pour votre âme , qui vivra éternellement.
Celui-là est sourd d’une oreille , qui désire ouïr mes paroles et celles des saints ; mais il a l’autre oreille ouverte aux railleries, aux cajoleries et aux vanités du monde , c’est pourquoi il lui faut dire : Vous êtes semblable à Judas , qui, d’une oreille , ouït les paroles de Dieu , et par l’autre, elles sortirent , c’est pourquoi les paroles qu’il ouït ne lui profitèrent point. Partant , fermez vos oreilles aux vains discours, afin que vous puissiez parvenir aux chants angéliques.
Or, celui-là est gisant à terre qui s’intrique et s’enveloppe ès affaires du siècle , mais qui , néanmoins, voudrait savoir la voie et le moyen de s’amender . Qu’on parle en cette sorte à celui-ci : Ce temps est court comme un point. La peine de l’enfer est éternelle , et la gloire des saints perpétuelle. Partant , afin que vous parveniez à la vraie vie , ne vous fâchez pas d’embrasser ce qui est fâcheux et amer , car comme Dieu est tout bon et tout miséricordieux, aussi est-il tout juste.
Quiconque donc sera ainsi percé de ces flèches, si la sagette sort de son cœur toute sanglante, c’est-à-dire, s’il est excité à componction et s’il propose de s’amender , je verserai en celui-là l’huile de ma grâce , par lequel tous ses membres seront confortés et affermis.
(1) Non en voyant son essence , par réflexion de sa Beauté , montant a la source de la beauté.
p 391
Notre-Seigneur se plaint des Juifs qui l’on crucifié, et des chrétiens qui méprisent sa charité et sa justice , en péchant présomptueusement et sciemment contre ses commandements, et méprisant les sentences des excommunications de l’Eglise, sous prétexte de sa miséricorde , à raison de quoi il les menace avec l’ire et la fureur de sa justice.
Pour le jour de la passion .
La Mère de Dieu éternel parle, disant : En ce temps, mon Fils souffrait. Judas, le traître, s’approchant, se baissa , d’autant qu’il était de petite taille , lui donnant un baiser et lui disant : Mon ami , pourquoi êtes-vous venu? Et soudain, les uns le saisirent , les autres le traînèrent par les cheveux , les autres le salirent par leurs crachats.
p 392
Après , le Fils parlait, disant : je suis réputé comme vermisseau qui est comme gisant en un fumier, que les passants foulent aux pieds et sur lequel ils crachent : de même en firent les Juifs , d’autant que j’étais jugé par eux comme un vermisseau très abject et très indigne : de même, les chrétiens me méprisent , car tout ce que j‘ai fait et souffert pour l’amour d’eux , ils le réputent à vanité , à folie et à néant . Il me foulent aussi comme en mon dos, quand ils craignent et honorent plus homme que moi , leur Dieu , quand ils réputent pour néant ma justice , et établissent le temps en leur jugement et les manières de ma miséricorde. Ils me frappent comme aux dents , quand ayant ouï mes préceptes et vu ce que j’ai enduré pour eux, ils disent : Faisons maintenant tout ce qui nous plaît et nous délecte, et néanmoins nous aurons le ciel, car si Dieu nous voulait perdre et nous punir éternellement, il ne nous auraient pas créés et ne nous aurait point rachetés avec tant de peine.
Partant, je leur ferai sentir les effroyables fureurs de ma justice, car comme le moindre bien ne sera pas sans récompense , de même le moindre mal ne sera pas sans supplice. Ils me méprisent aussi comme en me foulant aux pieds, quand ils n’écoutent point les jugements de l’Eglise , savoir, mes excommunications. Partant , comme ceux qui sont excommuniés publiquement sont évités de tous, de même ils seront séparés de moi, car quand l’excommunication est sue et est méprisée , elle nuit plus que le glaive corporel . Partant, moi qui suit estimé comme un vermisseau, je veux maintenant revivre par les fureurs de mon terrible jugement, et je viendrai si terrible que ceux qui me verront , diront devant la face de l’ire de Dieu : Montagnes tombez sur nous !
p 393
Jésus-Christ dit à son épouse qu’elle est comme le flageolet du Saint-Esprit, par lequel il résonne mélodieusement au monde pour l’honneur et l’utilité des Gentils ; c’est pourquoi il la veut
argenter par dehors par les bonnes œuvres et la sapience, et la dorer par dedans par la vraie humilité et la pureté de cœur.
Le Fils de Dieu , la Sapience incarnée, dit à, son épouse : Vous devez être comme un flageolet par le moyen duquel on chante mélodieusement. Or, celui qui est maître du flageolet l’argente par dehors, afin qu’il soit estimé plus précieux , et par dedans , il le dore d’un or durable : de même vous devez être reluisante en argent de bonnes mœurs et de sapience humaine, afin que vous compreniez qu’est-ce que vous devez à Dieu et quoi au prochain , et qu’est-ce qui est expédient, utile et sortable à votre corps et à votre âme, pour avoir un jour le salut éternel. Au dedans, vous devez être dorée par humilité, afin que vous ne désiriez plaire à autre qu’à moi, et afin que vous ne craigniez point de déplaire aux hommes pour l’amour de moi,
Après , celui qui joue du flageolet en faisant trois usages : 1° il l’enveloppait avec du drap, afin qu’il ne se tachât point ; 2° il lui faisait une couverture , afin de le garder ; 3° il le mettait dans un coffre , afin que le larron ne le dérobât : de même vous devez vous envelopper toute dans la pureté, afin que jamais plus vous ne désiriez de vous souiller par effet, ni par affection, ni par délectation ; mais faites en sorte de demeurer seule, car la conversation des mauvais corrompt les bonnes mœurs,,et ayez la serrure , la diligente et sérieuse garde de vos sens et de tout votre intérieur , afin que vous preniez garde qu’en aucune de vos actions, vous ne soyez déçue par les ruses et les finesses de Satan. La clef est le Saint-Esprit, qui ouvre votre cœur comme il vous plaira, pour mon honneur et ma gloire, et pour le fruit et le salut des hommes.
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Chapitre 101
La Mère de Dieu dit que le cœur de son Fils est très doux , très pur et très agréable , et si abondant en charité que si le pécheur était aux portes de sa ruine, et s’il criait à lui avec désire de s’amender, soudain il l’en délivrerait. On parvient au cœur de Dieu par l’humilité d’une vraie contrition, et par la dévote, fervente et fréquente considération de la passion de Jésus.
La Mère de Dieu parle, disant : le cœur de mon Fils est très suave comme du miel, et très pur comme une fontaine très-pure , car toutes les bontés éparses en cet univers procèdent de lui comme de leur source , car lui est très doux En vérité, qu’y a-t-il de plus doux pour un homme bien sensé que de considérer l’amour de Dieu envers nous en la création, rédemption , labeurs et doctrine, en sa grâce et patience invincible , car sa charité ne coule et ne passe pas comme l’eau , mais elle s’épand loin et dure, d’autant que son amour demeure avec l’homme jusques au dernier période de sa vie ? Que si le pécheur était aux portes de sa total perte et ruine, s’il criait de là avec volonté de s’amender, il en serait sans doute affranchi.
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D’ailleurs, pour parvenir au cœur de Dieu , il y a deux voies : la première , c’est l’humilité d’une vraie contrition, et celle-ci conduit et introduit l’homme dans le cœur de Dieu et dans les colloques spirituels. La deuxième voie est la considération de la passion de mon Fils ,qui chasse l’endurcissement du cœur de l’homme , et le fait courir joyeusement au cœur de Dieu.
Chapitre 102
Il est ici montré en vision le jugement de l’âme de quelque religieux devant Jésus-Christ qui donnait la sentence pour laquelle la Sainte Vierge interpellait, et laquelle le diable accusait de grands et énormes péchés.
La Mère de Dieu parle à son Fils, lui disant : Ma plainte est grande. Bien que vous sachiez toutes choses, je les proférerai néanmoins pour l’amour de celle qui est ici présente.
Le Fils répondit : Il m’est donné toute sorte de jugement, et il faut que je juge toutes les actions en détail. En vérité, neuf sortes de biens conviennent à ce juge :
1° écouter attentivement ;
2° discerner ce qui est proposé ;
3° la volonté de vouloir justement juger ;
4° d’informer pourquoi on plaide ;
5° demander combien de temps le procès a duré, car le jugement est d’autant plus grave que les délais ont été plus grands ;
6° voir si les témoins sont bons, les confronter en leurs affirmations, considérer si l’une des parties a plus de témoins ;
7° n’être précipité ni timide au jugement, ni ne craindre la puissance, ou le dommage , ou le déshonneur , pour soutenir la vérité ;
8° ne se soucier des prières ni les dons d’autrui ;
9° être équitable en jugeant, juger de même manière le pauvre que le riche, de même le frère et le fils que l’étranger, ne faire rien contre la vérité pour quelque plaisir du monde.
Dites donc, ma très-chère Mère, ce que vous voulez.
La mère répondit : Deux hommes plaident entre eux. En eux sont deux esprit, en l’un le bon et en l’autre le mauvais. Or , le sujet de leur procès est l’achat de votre sang , l’un pour le tirer, l’autre pour le faire vivre ; en l’un sont la dilection et l’obéissance , et en l’autre sont la haine et la superbe. Faites donc jugement.
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Le Fils répondit : Combien y a-t-il de témoins de la part de votre ami , et combien de l’autre partie adverse ?
La Mère répondit : Mon ami en a bien peu, et l’autre plusieurs , qui savent la vérité, mais ils la méprisent et ne la veulent pas dire.
Le Fils répondit : Je ferais un juste jugement.
Et la Mère repartit : Mon ami ne se plaint point , car la seule substance de son corps lui suffit. Mais moi, qui suis sa Dame et sa maîtresse , je me plains de peur que la malice ne gagne le dessus.
Le Fils répondit : Je ferai ce que vous voulez ; mais comme vous le savez, le jugement corporel doit précéder le spirituel, et pas un ne doit être jugé que son péché ne soit consommé.
Et la Mère dit : O mon Fils , bien que nous tous sachions toutes choses, néanmoins, pour l’amour de l’assistance , je cherche quel jugement corporel sera fait en celui-ci , et quel jugement spirituel.
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Et le Fils dit : Le jugement corporel est que son âme sorte vitement du corps et que sa main soit sa mort. Le jugement spirituel est que son âme soit pendue au gibet de l’enfer , non pas avec des cordes, mais avec du feu très ardent, d’autant qu’il est une brebis qui dégénère de son troupeau.
Lors un religieux de saint Augustin parlait au Juge, disant : Seigneur, vous n’avez rien a faire avec cet homme ; vous l’avez appelé au repos, et il s’en est oublié ; son obéissance est enfreinte , son nom est ôté et ses œuvres sont nulles.
Le Juge répondit : Son âme n’est pas présente au jugement pour répondre.
Le diable dit : Je veux répondre. Si vous l’avez appelée des tempêtes du monde au repos, je l’ai appelée d’un haut degré de perfection à une fosse très profonde. Son obéissance à mon égard a été très prompte ; son nom est glorieux en moi.
Le Juge répartit : Expliquez ce que vous avez remarquez en elle.
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Je le ferai , dit le démon , quoiqu’à regret. Vous l’avez appelé des tempêtes et des orages des soins du monde au repos de la vie spirituelle , comme à un bon port ; mais lui , il estime cela à néant , d’autant qu’il désire avec plus d’affection les tracas et les intrigues du monde.
Le plus haut degré est une bonne contrition et une sainte confession, qui a ces deux choses en perfection ; il vous parle , à vous qui êtes très puissant, et il arrive jusqu’à votre majesté. Je l’ai précipité de ce sommet ou degré très-haut , quand il s’est résolu de pécher jusques à la fin, quand il a réputé les péchés pour rien , votre justice à vanité. La profonde fosse, c'est la gueule et la cupidité, car comme la fosse très profonde n'est facilement remplie, de même la cupidité est insatiable. Or, son nom était moine , et le nom de moine signifie Garde de soi-même, et abstinence même des choses licites. Mais toutes ces choses sont abolies en lui, et il s'appelle maintenant Saül, car comme Saül, il s'est retire de l'obéissance, son obéissance ayant été enfreinte. Comme les deux bouts de bois coupés ne se peuvent unir à cause de la pourriture, de même le désir des choses célestes ni la divine charité, qui sont comme deux bouts unis à l'obéissance, ne peuvent s'accorder avec son obéissance, d'autant qu'il n'obéit que pour les cupidités mondaines, pour sa propre utilité et pour sa volonté propre, et ses œuvres, dit le diable, sont selon mes œuvres; car bien que je ne chante ni ne dis la messe , ni ne fasse le reste comme lui, néanmoins, quand il fait tout cela, il la fait selon mes volontés ; lors de la sorte, il fait mes œuvres; et on les peut dire mes œuvres, car quand il célèbre les messes, il s'approche de vous par présomption, et par cette présomption, il est plus facilement rempli de ma malice plus grande. Il chante aussi pour les louanges des hommes, et quand je lui montre mon dos, il tourne aussi le sien contre le mien, et quand je le veux, il tourne son ventre vers mon ventre, c'est-à-dire , il accomplit ses voluptés selon mes volontés; tout ce qu'il fait, il le fait en considération de la vie présente et de sa propre volonté. Parmi toutes ses œuvres sont mes oeuvres
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ADDITIOIN
D'ailleurs, la même âme apparut , aveugle et tremblante; elle était suivie d'un Ethiopien, jusques à ce qu'elle fut venue au jugement qui semblait être assemble auprès d'un grand trône avec une grande multitude. Et l'Ethiopien dit : O Juge, jugez-moi cette âme; elle est maintenant présente, et le jugement de son corps est déjà passe. Le même Ethiopien ajouta : Vous avez dit que sa main serait sa mort , cela est maintenant fait.
Et le Jude dit: Ceci se peut entendre en deux manières, ou que les œuvres mauvaises ont été occasion de sa mort, ou bien que sa main corporelle abrégeait la mort du corps.
L'Ethiopien répondit : L'un et l'autre est vrai, car sa vie impudique à occis son âme, et l'impatience a ouvert la plaie de sa chair par laquelle il est mort.
Le Juge repartit: Vous avez accuse cette âme le premier, d'autant que vous la précipitiez d'un degré très haut, et parce qu'il tournait son ventre vers le votre. Partant, oyons maintenant ce que dit cette âme.
Et le Juge, comme se tournant vers elle, lui dit : O âme, vous avez eu la raison pour discerner le bien du mal : pourquoi avez-vous foule aux pieds le nom de prêtre, qui est si grand et si excellent ?
Elle répondit : J'avais la raison, mais je suivais plutôt mes désirs et mes volontés , ne me persuadant point que, sous une espèce si petite, une chose si grande, si sublime, put être cachée.
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Le Juge lui dit pour la deuxième fois : Vous avez su que la perfection de la religion est l'humilité et l'obéissance : pourquoi êtes-vous loup sous la peau de brebis?
L'âme repartit : Afin de fuir les opprobres du monde et pour avoir une vie paisible.
Le Juge lui dit pour la troisième fois : O frère, non pas mien, puisque vous avez vu l'exemple des saints, vos frères, et les avez ouis, pourquoi ne les avez-vous pas suivis ?
Tous les bons exemples que j'ai ouis et vus , dit-elle, m'étaient odieux et à charge , car j'avais résolu en mon cœur de suivre mes volontés et mes mœurs, et non les mœurs des saints.
Le juge lui dit pour la quatrième fois : Pourquoi ne pratiquiez-vous pas les jeûnes , l'oraison, la confession ?
Je les pratiquais, dit-elle, mais je faisais comme celui qui dit peu afin de plaire, et afin de ne déplaire, cache ce qui est plus grand.
Le juge lui dit : Eh quoi ! n'avez-vous pas lu qu'un chacun des hommes doit rendre raison des plus petites choses?
Lors l'âme dit avec un grand gémissement : vraiment, ô Seigneur, je l'ai lu et l'ai su en ma conscience, mais j'ai pense que votre miséricorde était si grande que vous ne vouliez punir éternellement, c'est pourquoi je voulais en faire pénitence en la vieillesse. Mais les douleurs et la mort m'ont tellement accablée tout d'un coup, que quand je voulais me confesser, je perdais la mémoire, et mon âme était attachée comme par un lien.
Lors le diable cria : O Juge, je vois merveilles : cette âme se juge elle-même ; elle confesse maintenant ses crimes sans fruit ; néanmoins je n'ose point mettre ma main sur elle sans votre jugement.
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Le Juge répondit : Il est fait et accompli.
Ces choses étant dites, l"Ethiopien et l'âme disparurent comme lies ensemble, et descendirent comme une foudre et un tonnerre.
Le Juge dit derechef : Ces choses se sont passées en un moment; mais afin que vous les entendiez , elles semblent avoir été faites en l'espace de quelque temps, afin que vous voyiez , sachiez et craigniez les fureurs de la justice du Dieu Tout-Puissant.
Chapitre 103
L'épouse de Jésus-Christ, étant en prières, vit en vision comme Saint Denis priait la Sainte Vierge pour la France.
Alors que je priais, dit sainte Brigitte, je vis en esprit saint Denis parlait à la Vierge Marie, lui disant:
Vous êtes Reine de miséricorde, à laquelle toute miséricorde est donnée. Vous avez été faite Mère de Dieu pour le salut des misérables : ayez donc miséricorde et compassion du royaume de France, vôtre et mien (1) : vôtre d'autant que ses habitants vous honorent de tout leur pouvoir ; mien, d'autant que j'en sus le patron et qu'ils ont confiance en moi. En vérité, vous voyez combien d'âmes sont en danger chaque heure, et les corps des hommes y sont tues comme des bêtes, et ce qui est pis, les âmes descendant en enfer comme de la neige. Consolez-les donc et priez pour eux, car vous êtes leur Dame, l'aide et le secours de tous.
(1) Le royaume de France est en quelque manière sous la protection de la Sainte Vierge Marie et de saint Denis
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La Mère de Dieu répondit : Allez à mon Fils, et oyons ce qu'il répondra pour l'amour de celle qui est assistante. (1)
(1) Sainte Brigitte
Chapitre 104
La Mère de Dieu prie pour la France avec saint Denis et autres saints, son Fils, et sur la guerre ardente entre deux rois ( de France et d'Angleterre) , qui semblaient deux bêtes farouches
La Mère de Dieu parle à son Fils, lui disant : Beni soyez-vous, ô mon Fils ! Il est écrit que j'ai été appelée bienheureuse, d'autant que je vous avais porte au ventre, et vous répondîtes que celui-la est aussi béni, qui écouterait vos paroles et les garderait. Or, mon Fils, je suis celle-la qui ai garde de cœur vos paroles et les ai conservées dans mon sein. Je me souviens aussi d'une parole que vous avez dite a saint Pierre lorsqu'il demandait combien de fois il pardonnerait aux pécheurs, si ce serait jusques à sept fois, vous lui répondîtes : Septante-sept fois sept fois, marquant par cela que tout autant de fois que quelqu'un s'humilie avec volonté de s'amender, vous étiez autant de fois prêt et prépare à lui faire miséricorde.
Le Fils répondit : Je vous rends témoignage que mes paroles ont été enracinées en vous, comme la semence qui est jetée en une terre bien grasse, donnant de soi le fruit centième. Mais aussi vos œuvres vertueuses donnent à tous ce fruit de joie. Partant, demandez ce que vous voulez.
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La Mère répondit : Je vous en prie avec saint Denis et les autres saints dont les corps est ensevelis en ce royaume de France, et dont les âmes sont au ciel, jouissant de la gloire , ayez miséricorde de ce royaume, car afin que celle qui est ici présente en esprit, entende l'importance de ceci, je parlerai comme par similitude.
Je vois comme deux bêtes grandement farouches, chacune en son espèce, d'autant que l'une désire impatiemment d'engloutir et de dévorer tout ce qu'elle peut avoir, et plus elle mange, plus elle est affamée. La deuxième bête s'efforce autant qu'elle peut de monter sur toutes les autres.
Ces bêtes ont trois maux :
1° une voix terrible et effroyable;
2° elles sont pleines d'un feu très dangereux;
3° une chacune désire de dévorer le cœur de l'autre, et l'une cherche au dos de l'autre avec ses dents, pour trouver par où entrer jusqu'au cœur, afin qu'en la mordant, elle la tue. L'autre a la bouche devant la poitrine de l'autre, voulant par là trouver par où entrer jusques au cœur. La voix de ces deux bêtes terribles est ouie de loin. Et toutes les bêtes qui s'approcheront de ces deux bêtes, ayant la bouche ouverte, seront brûlées de leur feu et mourront; mais celles qui s'approcheront d'elles la bouche fermée, seront privées et dépouillées de la laine.
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Par ces deux bêtes sont entendus deux rois : celui de France et celui d"Angleterre. L'un de ces deux rois ne se rassasie jamais, d'autant que le sujet de la guerre est la cupidité insatiable. L'autre roi veut toujours monter, c'est pourquoi l'une et l'autre bête sont pleines de feu de colère, d'indignation et d cupidité. La voix de ces bêtes est telle : Recevez l'or, les cupidités et les richesses du monde, afin de ne pardonner point au sang des chrétiens. Chacune de ces bêtes désire la mort de l'autre, et partant, chacune cherche l'occasion de se nuire. Ce roi-la cherche à nuire au dos, qui désire que son injustice soit estimée justice, son iniquité équité, et veut que la justice de l'autre soit réputée injustice. L'autre épie l'occasion de nuire en son cœur, qui, sachant avoir raison, ne se soucie de fouler et nuire autrui, sans avoir compassion de leur misère; et même en sa justice, la charité n'est pas, c'est pourquoi il désire avoir entrée en sa poitrine, d'autant qu'il a plus de droit au royaume; mais il a la superbe intolérable , la colère et fureur avec la justice ; l'autre a moins de justice, c'est pourquoi il brûle de cupidité.
Les autres bêtes aussi qui viennent à ces deux bêtes, la gueule ouverte, sont celles qui viennent , touchées des mêmes cupidités insatiables. Ceux qui s'appellent rois remplissent leurs gueules d'espérances, mais au bout du compte, ne sont que traîtres. Certainement, ils jettent abondamment l'argent, et remplissent leur gueule de dons pour les animer à la guerre, mais c'est pour les y faire mourir, les biens desquels leur demeurent, et leur cœur demeurent en terre, et les vers rongent leur cœur, et les diables déchirent leurs âmes. Et de la sorte, ces deux rois trahissent les âmes que mon Fils a rachetées de son sang. Ces bêtes, qui sont privées de la terre, sont les simples qui se contentent de leurs biens, qui vont à la guerre, pensent qu'elle est juste; partant, ils sont dépouillés de la toison, c'est-à-dire, de la vie, mais leurs âmes sont reçues au ciel. Partant , ô mon Fils, ayez-en miséricorde.
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Le Fils répondit : D'autant que vous, ô ma Mère, confiez toutes choses à moi, dites, Brigitte l'oyant, quelle justice il y a que les rois soient exauces.
La Mère répondit : J'entends trois voix : la première est de ces deux rois, l'un desquels pense en cette manière : Si j'avais ce qui est à moi, je ne me soucierais point de ce qui est d'autrui, et j'ai crainte de manquer de tous les deux; et à raison de cette crainte, il se trouble, savoir, il craint l'opprobre du monde. il se tourne vers moi, disant : O Marie, priez pour moi. L'autre roi pense tout autrement : Je suis las : Plut à Dieu que je fusse en mon premier état ! Et partant, lui-meme se convertit vers moi. La deuxième voix est de la communauté, qui me prie toujours pour avoir la paix tant désirée. La troisième voix est de vos élus , qui crient disant Nous ne pleurons point le corps des morts, ni les dommages de la pauvreté, mais les chutes des âmes qui se perdent tous les jours. Partant, ô Princesse du ciel, priez votre Fils, afin que les âmes soient sauves. Partant, ô mon Fils, ayez miséricorde d'elles.
Le Fils répondit : Il est écrit que l'on ouvrira à celui qui frappera, qu'on répondra à celui qui appellera, et qu'on donnera à celui qui demandera. Mais comme ceux qui frappent sont hors porte, de même ces ois sont hors la porte, d'autant que moi, qui suis la porte, ne suis pas en eux; néanmoins pour l'amour de vous, on leur ouvrira, puisqu'ils le demandent.
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Notre-Seigneur enseigne à son épouse le moyen de faire la paix entre le roi de France et le roi d'Angleterre. Que si ces rois n'obéissent point, ils seront grièvement punis.
Le Fils du Père Eternel dit : Je suis un roi formidable et honorable. J"enverrai mes paroles à ces deux rois, en considération de ma Mère (1). Je suis la paix. et où je suis, là certainement est la paix. Si donc ces deux rois de France et d'Angleterre veulent avoir la paix, je leur en donnerai une qui sera éternelle. Mais ils ne pourront avoir une vraie paix, si ce n'est qu'on aime la vérité et la justice, et d'autant que l'un de ces rois a de son cote la justice, il me plait qu'il fasse la paix par un mariage, et de la sorte, le royaume pourra parvenir au légitime héritier. En second lieu, je veux qu'ils soient un même cœur et une même âme, unis ensemble pour amplifier et étendre la foi sainte et chrétienne, où commodément il se pourra faire pour mon honneur et ma gloire. En troisième lieu, qu'ils ôtent les exactions intolérables et les inventions trompeuses, et qu'ils aiment les âmes de leurs sujets.
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Que si le roi qui tient maintenant le royaume ne veut obéir, qu'il soit certain qu'il ne prospérera point en ses actions, mais qu'il finira sa vie avec douleur, et laissera son royaume et ses enfants en tribulations et angoisses; tout son sang viendra en telle fureur, opprobre et confusion, que tous s'en étonneront
(1) Cette guerre fut l'an 1336, entre le roi de France, Philippe-de-Valois, et Edouard, roi d'Angleterre. Ce roi croyait faussement que le royaume de France lui appartenait.
Que si ce roi qui a droit veut obéir, je l'aiderai et bataillerai avec lui pour lui; que s'il n'obéit point, il ne parviendra pas aussi à l'exécution et accomplissement de ses désirs, mais il en sera frustre, et l'issue funèbre et douloureuse obscurcira son entrée joyeuse. Mais en vérité, quand les Français s'humilieront vraiment, le royaume parviendra au vrai héritier et en bonne paix.
Chapitre 106
Notre-Seigneur dit à son épouse qu'elle ne craigne point d'enfreindre l'abstinence par le commandement du Père spirituel, car lors il n'est pas péché. Il l'avertit aussi d'être constante et de résister généreusement et continuellement aux tentations, et d'avoir une ferme volonté de persévérer dans les bons exemples de la Sainte Vierge Marie, de David et d'Abraham.
Le Fils de Dieu dit à Sainte Brigitte : Que craignez-vous, car quand vous mangeriez quatre fois le jour, vous ne pêcherez jamais, si vous le faites avec le commandement de celui à qui vous devez obéir ? Demeurez donc constante. Vous devez être comme le soldat qui a reçu à la guerre diverses blessures : il rend la pareille à ses ennemis, et il se rend d'autant plus échauffé au combat que plus ses ennemis le poursuivent : de même vous devez frapper contre vos ennemis avec plus de ferveur, et être plus constante et plus généreuse, et vous devez avoir une volonté raisonnable de persévérer dans le bien
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Or, vous refrappez lors le démon infernal, quand vous ne consentez point aux tentations, mais résistez généreusement, comme par exemple, opposant l'humilité à la superbe, la sobriété à la
gourmandise. Or, lors vous êtes constante, lorsque accablée de tentations furieuses, vous ne murmurez point contre Dieu, mais vous souffrez le tout avec joie, imputant et attribuant le tout à vos péchés, rendant grâces à Dieu des peines que vous souffrez. Lors votre volonté est raisonnable, quand vous ne désirez point de récompenses, mais ma volonté, vous abandonnant entièrement en mes mains.
Or, Lucifer n'a point eu le premier bien, qui est de résister, d'autant qu'il consentit soudain à sa pensée, c'est pourquoi il tomba irréparablement, car comme il n'eut aucun qui le portât au mal, aussi il n'aura jamais aucun réparateur.
Judas n'eut aussi le second bien, mais se désespérant, il se pendit.
Pilate n'eut pas aussi le troisième bien, attendu qu'il eut une volonté plus ferme pour apaiser les Juifs, et à conserver son honneur qu' à me délivrer de leurs mains.
Or , ma Mère a eu le premier bien, qui est de résister aux ennemis, elle qui a oppose autant de contraires qu'elle eu d'attaques.
David a eu le second bien, qui fut patient en son adversité, et ne se désespéra point en sa chute.
Abraham eut le troisième bien, savoir, une volonté parfaite, lui qui, ayant quitte son pays voulait encore immoler son fils.
Imitez donc ceux-ci selon vos forces.
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Jésus-Christ induit son épouse, l'âme fidèle, à conserver toujours avec grand soin, la contrition pure, la charité divine, l'obéissance ferme; qu'elle méprise aussi tous ceux qui méprisent l'obéissance, l'abstinence, la patience. Il avertit aussi l'homme spirituel que, sous espèce de lumière il ne se laisse obscurcir par sa science.
Un ange d'une beauté admirable apparut; auquel tous les autres anges disaient :O mon ami, pourquoi offrez-vous à notre Dieu une noix vide?
Il répondit : Bien que vous sachiez toutes choses, néanmoins, pour l'amour de celle qui est ici présente, je parle : Je ne me contriste pas en la présence de Dieu, moi qui sers en telle sorte sa volonté pour l'avancement des âmes, que je ne sors jamais de sa présence; et bien que je ne lui présente une noix de douceur, je lui offre néanmoins quelque chose délectable, savoir, une clef d'or très pur, un vase d'argent et une couronne de pierres précieuses. Or, la clef signifie la contrition pure des péchés commis, qui ouvre le cœur de Dieu, introduit les pécheurs dans le cœur de Dieu. Le vase est la divine dilection et la charité, en laquelle Dieu repose doucement avec l'âme. La couronne est l'obéissance ferme et joyeuse, car Dieu requiert et demande ces trois choses.
Je représente derechef à Dieu les mêmes choses qu'elle lui avait autrefois représentés, et néanmoins, cela redondera à son honneur, à raison que la clef de la contrition est présente, de sorte qu'elle n'ose pas même penser à elle.
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Le vase de la divine dilection lui est si amer qu'elle ne le peut nullement sentir; car comment la suavité de l'esprit lui pourrait-elle être à goût, où elle voit être enracinée la volupté de la chair ? car deux contraires ne s'accordent point dans un vase.
La couronne aussi de l'obéissance lui est lourde, car la propre volonté lui plait grandement, et il lui est plus doux de suivre la volonté propre que la volonté de Dieu.
Lors l'ange, se tournant vers Dieu, dit : Seigneur, voici le vase, la clef et la couronne, dont cette âme s'est rendue indigne. Partant, quand le têt du pot se cassera, on trouvera le dedans tout plein de boue, qui devrait être plein de miel très doux. Au milieu du pot est un serpent.
Le pot est le cœur, qui, quand il crèvera par la mort, sera plein des désirs du monde, qui sont comme de la boue. Or, le serpent est l'âme, qui devrait être plus lumineuse que le soleil, plus fervente que la flamme : mais hélas ! elle est faite un serpent plein de venin, qui ne nuit à pas un, si ce n'est à soi pour sa ruine éternelle.
Or, le Seigneur parla lors à l'épouse, disant : Je vous dis par similitude en quelle manière cet homme est fait ; il ressemble à un homme qui s'arrêterait et à un autre qui s'approcherait de l'autre, et quand les deux visages seraient l'un contre l'autre, celui qui marcherait dirait : Seigneur, entre vous et moi, il n'y a qu'un petit espace. Montrez-moi la voie par laquelle je dois marcher, car je vous vois en telle puissance qu'il n'y a point d'égal, en tant de douceur qu'il n'y a point de comparaison, en tant de bonté que vous êtes la source et le principe d'où sort toute bonté et sans lequel il n'y aurait rien de bon.
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Il répondit : Mon ami, je vous montrerai trois sortes de voies qui tendent néanmoins en une : si vous suivez celle-ci, elle est raboteuse au commencement, mais à la fin elle est tout égale et frayée; elle est obscure en son entrée, mais lumineuse en son progrès, amère pour quelque temps, mais très douce en sa fin.
Il répondit : Montrez-moi seulement cette voie, et je la suivrai franchement, car je vois le danger être dans le retardement, et le dommage à se fourvoyer de cette voie, est un grand fruit, si je la suis . Partant, accomplissez mon désir et montrez-moi la vraie voie.
Je suis donc le Créateur de toutes choses, et suis immuable et permanent de toute éternité. Or lors celle-là s'approchait de moi quand elle m'aimait, et ne cherchait rien tant que moi. J'ai aussi tourne ma face vers cette âme, quand j'ai verse en elle les divines considérations et les voies du monde, et la volupté de la chair, lui était à haine et à horreur. Je lui ai montré aussi une voie triple, non pas par une voix charnelle, mais inspirant secrètement son âme en même manière que j'inspire évidemment maintenant votre âme.
1° Je lui ai donc montre de m'être obéissante, à moi qui suis son Dieu, et à ses prélats. Mais lui, il m'a répondu intérieurement, pensant en cette sorte : Non, je n'en ferai rien, car mon prélat est supérieur est trop fâcheux; il n'a point de charité, et partant, je ne lui puis obéir d'une volonté joyeuse.
2° Je lui ai aussi montre une deuxième voie, savoir, de fuir la volupté de la chair et de suivre la volonté divine, de fuir la gourmandise et de suivre l'abstinence. Ces voies-ci sont celles qui conduisent à la vraie obéissance. Mais cette âme répondit : Je n'en ferai rien. Ma nature est faible : partant, je dormirai et mangerai mon saoul ; je parlerai , me réjouirai, et rirai pour le souls du monde.
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3° Je lui ai montre la troisième voie, savoir, avoir une patience invincible pour l'amour de moi, qui suis leur Dieu, car c'est celle-la qui conduit à l'abstinence, qui induit à la sainte obéissance. Mais cette âme répondit : Je n'en ferai rien, car je souffre les opprobres et contumelies, on dira que je suis fou. Si je me rends méprisable en l'habit, tout le monde me remplira de confusion; et si en mes membres il y a quelque difformité, il est nécessaire qu'en mes œuvres et actions, il y ait quelque chose qui plaise et qui supplée à ce défaut.
Notre-Seigneur parle en ces termes sur ce sujet : Et moi et sa conscience nous débattons jusques à ce qu'il s'est éloigne de moi; il tourne le dos, et non la face vers moi. Mais en quelle manière ? C'est quand il voulait obéir seulement à ceux qui lui ont plu et agrée; et il a voulu diminuer des amitiés du monde.
Or, maintenant, le diable s'efforce de rendre cette âme aveugle et muette, se propose de lui lier les pieds et les mains et de la précipiter dans les fondrières de l'enfer. Or, le diable la plonge lors dans les ténèbres, quand elle pense en cette sorte : Dieu m'a rachetée par sa passion ; il ne me perdra point, car il est miséricordieux : il n'examine pas les péchés avec tant de rigueur. Dieu examine aussi facilement que l'homme pèche à toute heure
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Par tout ce que dessus, il est prouve que la foi de cette âme n'est pas ferme : partant, qu'elle cherche en mon Evangile : elle y trouvera que je cherche et demande raison, non-seulement des paroles, mais bien plus des œuvres, car on voit aussi que le riche n'a pas été enseveli en enfer pour avoir dérobé , mais bien d'autant qu'il abusait de ce qu'on lui avait donne. Or lors le diable rend cette âme muette, lorsqu'entendant les exemples de mes amis et leurs paroles, elle dit : Personne ne pourra vivre maintenant de la sorte ; et par ceci, il est prouve qu'il a une petite espérance , car moi , qui ai donne à mes amis la faveur de vivre chastement et justement , j'ai la même puissance de faire que cette âme vit de la sorte, comme si elle avait son espérance en moi. Lors le diable lui lie les mains, quand elle aime plus quelque autre chose que moi; quand elle s'occupe plus aux intrigues du monde qu'à mon honneur et à ma gloire. Partant, qu'elle prenne garde que , pendant qu'elle s'occupe plus au monde qu' à moi de n'être supplantée par le diable , car là où l'on prend moins garde, c'est là que le diable prépare et dispose l'hameçon . Elle aussi se lie les pieds , quand elle ne prend garde au débordement de ses affections et de ses liaisons ; quand elle ne considère pas l'état de ses affections ; quand elle s'étudie tellement à son utilité et à celle de son prochain et de sa chair , qu'elle oublie l'avancement de âme . Partant , qu'elle considère ce que j'ai dit en l'Evangile : que l'homme qui a mis la main à la charrue ne regarde point derrière soi , et que ce qu'il a entrepris étant plus utile à son âme , il n'en recule point . Le démon infernal met quelquefois un lien en son âme , quand il fait pencher tellement âme au mal qu'elle pense et voudrait être élevée sur les honneurs du siècle et persévérer en telles dispositions . Il la conduit aussi dans les ténèbres cymmeriennes , quand elle a les pensées suivantes et qu'elle y consent . Soit que j'ai gloire ou supplice , je ne m'en soucie guère . Malheur à elle , si elle est plongée dans les ténèbres !
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En vérité , s'il se veut convertir à moi , je lui irai néanmoins au-devant comme un bon père . Mais comment ? En faisant tout ce qu'elle pourra ; car comme il n'est pas permis au fils de l'homme de prendre une femme en mariage contre sa volonté , aussi n'est-il pas loisible au Fils de la Vierge , car la volonté est un instrument par lequel l'amour divin entre en l'âme ; car comme le meunier , voulant tailler les pierres , cherche en premier lieu les veines où il met les instruments les plus déliés , et puis les plus épais , jusques à ce que la pierre soit fendue , de même je cherche la bonne volonté , en laquelle je répands ma grâce , après l'accroissement des œuvres et l'avancement de la volonté ; une plus grande grâce croît en âme , jusques à ce que le cœur de pierre croisse en cœur de chair , et le cœur de chair en cœur spirituel.
DECLARATION
L'homme à qui fut faite la révélation suivante fut prieur ès parties de Sicile , près du mont Vulcain.
ADDITION
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Le Fils de Dieu Tout-Puissant parle : Ce frère admire pourquoi mes apôtres saint Pierre et saint Paul ont été gisants et comme négligés en ce lieu des catacombes un si long laps de temps . Je vous réponds : L'Ecriture dorée dit qu'Israël demeura longtemps dans le désert , d'autant que la malice des Gentils , dont il devait posséder les terres , n'était pas encore accomplie . Il en était de même de mes apôtres , car le temps où il fallait exalter les corps de mes apôtres n'était pas venu : le temps de probation devait en effet précéder le temps des récompenses et des couronnes , et il devait en être ainsi de ceux auxquels étaient dus l'honneur et la grandeur des apôtres .
Or, maintenant , vous pourriez vous enquérir si, quand leur corps étaient ensevelis dans les puits , ils avaient quelque honneur .
Je vous réponds que mes anges gardaient et honoraient ces corps bienheureux , car comme ce lieu-là est diligemment cultive où on doit semer et planter de belles plantes , de même ce lieu des catacombes était dès longtemps prépare et honore , en sorte que les anges et les hommes s'en réjouiraient : je vous dis pourtant qu'au monde , il y a des lieux où les corps des saints reposent , mais non pas semblables en excellence à celui-ci , car si on nombrait les saints qui ont été mis là , à grand peine pourrait-on croire qu'il y en eut un si grand nombre qu'il y en a .
Partant , comme l'homme infirme est réfectionné de la bonne odeur et des viandes , de même les hommes venant en ce lieu avec un cœur sincère , sont reçus spirituellement , et y reçoivent , faisant ce qui est nécessaire , la vraie remission de leurs péchés , un chacun néanmoins selon sa vie et sa foi
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Ce même Frère , étant contrit des paroles de sainte Brigitte , ouit par trois nuits une voix qui lui disait : Hâtez-vous , hâtez-vous ! Venez , venez ! Et le quatrième jour , étant tombe malade et ayant reçu les saints sacrements , il mourut à Rome.
Notre-Seigneur dit à son épouse que trois saints lui ont plu par-dessus les autres , savoir , la Sainte Vierge, saint Jean-Baptiste et sainte Marie-Magdelène . Il loue aussi la discrétion de l'abstinence qu'ils ont gardée dans les viandes , le sommeil et le vêtement .
Pour le jour de la Nativité de la Sainte Vierge . Pour le jour de Saint Jean-Baptiste . Pour le jour de Sainte Magdelène .
Le Fils de Dieu parle : Il y a trois saints qui m'ont agrée par-dessus les autres : Sainte Marie , ma Mère , saint Jean-Baptiste et sainte Marie-Magdelène . Ma Mère a été si belle en sa naissance et après sa naissance , qu'elle n'eut jamais de souillure ni tache en elle ; ce que les démons connaissant , ils portèrent cela avec tant de facherie , que nous pouvons dire comme par similitude qu'une voix des démons , sortant de l'enfer , disait : Une Vierge marche avec tant de vertu et avec tant de merveilles , qu'elle surpasse tous les hommes en terre et au ciel , et parvient et arrive jusques au siège de Dieu. Que si nous allons contre elle avec tous nos lacets , elle les rompt tous , et comme l'étoupe est bientôt rompue et déchirée , de même rompt-elle les grandes cordes . Si nous venons à elle avec toute notre malice et immondice , elle coupe toutes choses , comme le faucheur coupe le foin . Si nous suggérons la volupté et les délectations au monde, toutes ces choses sont plus facilement étouffées qu'une scintille de feu par les torrents des eaux.
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Or, saint Jean étant né, il déplut aux démons en telle sorte , qu'on ouït comme une voix sortant de l'enfer, qui disait : Un enfant admirable est né . Que ferons-nous , si nous agissons contre lui avec les vents de notre superbe ? Certainement , Baptiste nous méprise , nous et nos paroles , et moins veut-il consentir à nos suggestions. Si nous lui offrons des richesses , il nous tourne le dos et refuse de les voir ; si nous lui présentons les voluptés , il est comme mort et ne les veut ressentir.
Quand sainte Marie-Magdelène fut convertie , les démons dirent : Comment pourrons-nous la remettre dans ses premiers péchés ? En vérité , nous avons perdu une proie assez grasse , hélas ! Elle se lave tellement dans le ruisseau de ses larmes que nous n'osons la regarder ; elle se couvre tellement de bonnes œuvres qu'elle ne parait point tachée ; elle est fervente et si chauffée au service de Dieu et à la sainteté , que nous n'osons l'approcher : partant , ces trois ont toujours donne à l'âme l'entier domaine et gouvernement , et leur corps , l'obéissance et la soumission.
Leur âme avait aussi trois choses : 1° elle n'a rien aime si chèrement que Dieu ; 2° elle n'a rien voulu faire contre moi ; 3° elle n'a voulu rien omettre de ce qui touchait à l'honneur de Dieu . Bien donc que ceux-ci aient eu une telle âme , ils n'ont pas pourtant méprise leurs corps , ni ne lui donnèrent point le venin au lieu de la viande , ni les épines pour le vêtement , ni ne se sont pas assis à la table des fourmis , mais ils ont use d'une modérée réfection pour mon honneur , pour ma gloire et pour l'utilité de âme Ils ont aussi des vêtements pour couvrir leur corps , et non pour nourrir et fomenter la vanité , le sommeil pour le repos , et le lit seulement pour le soulagement , Et de fait , s'ils eussent su me plaire et que je leur en eusses donne la grâce , ils eussent pris et choisi pour viande toutes les choses amères , les épines pour vêtements , et se fussent couches sur les fourmilières .
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Mais d'autant qu'ils me considéraient tout juste et tout miséricordieux , aussi gardèrent-ils la justice pour le corps , par retenue des passions et des mouvements déréglés : de même furent-ils raisonnables et miséricordieux pour pardonner au corps et le soulager , de peur que , par la violence des labeurs , le corps ne déchut et ne défaillit.
Mais maintenant , vous me pourriez demander pourquoi je n'ai pas donne à ceux-ci la même grâce que j'ai donnée aux saints ermites et aux Pères anciens , dont quelques-uns ne mangeaient qu'une fois par semaine , dont quelques autres ont mange des viandes apportées par les anges . Je vous réponds que ces saints Pères ont obtenu de moi cette ferveur de jeûner de la sorte , pour trois raisons : 1° pour manifester ma grâce et mon adorable puissance , afin que les hommes sachent que , comme je nourris l'âme sans la viande corporelle , de même je puis nourrir et sustenter le corps sans viande , quand il me plait ; 2° afin de montrer , par un vif exemple , que le labeur corporel et la tribulation attirent âme au ciel ; 3° afin d'éviter le péché , car la volupté charnelle , si elle n'est retenue , entraîne âme aux peines éternelles
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Donc , afin d'apprendre aux hommes la continence et la manière de vivre au monde sans aucune viande, néanmoins , je me suis servi des viandes et des choses corporelles, afin que l'homme , connaissant son obligation , me rendit grâce , à moi qui suis son Dieu , et afin qu'il put prendre un soulagement modéré au monde , et une parfaite liberté au ciel avec les saints .
La Sainte Vierge Marie dit que l'homme spirituel , après qu'il s'est convertit par pénitence , l'amour et la contrition , doit par la patience réparer le temps perdu , afin qu'il n'offre à Dieu une noix vide
La Sainte Vierge Marie parle : Quand on présente quelquefois des noix à Notre-Seigneur , il s'en trouve souvent de vides , lesquelles on doit remplir afin qu'elles soient agréables : de même en est-il dans les œuvres spirituelles : plusieurs font de bonnes œuvres , par le moyen desquelles le péché est diminué , afin qu'ils n'entrent en enfer . Néanmoins , en l'intervalle de tous ces temps , il y eut bien du temps fort inutile et vide , lequel est nécessaire de remplir , si le temps de travailler est loisible et permis , sinon , sans doute , la contrition et l'amour suppléeront au défaut.
Marie-Magdelène offrit à Dieu des noix , c'est-à-dire , de bonnes œuvres , entre lesquelles il y en avait vraiment de vides , car elle s'employa longtemps à pécher . Mais ce vide fut rempli avec la patience et le labeur par succession de temps.
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Saint Jean-Baptiste offrit à Dieu des noix toujours pleines , d'autant que , dès sa jeunesse , il servait Dieu , lui offrant tout son temps.
Mais les apôtres ont offert à Dieu des noix comme à demi pleines, d'autant qu'avant leur conversion , ils eurent une grande quantité de temps imparfait .
Mais quant à moi , qui suis la Mère de Dieu , je lui ai offert des noix toutes pleines et plus douces que le miel , car dès ma jeunesse , j'ai été pleine de grâce et ai été conservée en la grâce
Partant , je vous dis que , bien que le péché soit pardonné à l'homme , néanmoins il doit racheter le temps perdu et vide de toutes sortes de biens par la patience et les œuvres de charité
Chapitre 110
Notre-Seigneur Jésus-Christ instruit l'épouse des différences qu'il y a entre le bon esprit et le mauvais, etc..
Le Fils de Dieu enseigne la manière de connaître l'Esprit divin , attandu qu'il y a deux sortes 'esprits: le bon et le mauvais . Mon Esprit est amoureux et fervent , et fait agir deux sortes de biens : le premier est que celui qui l'a ne désire autre chose que plaire à Dieu ; le second est qu'il a une profonde humilité et un grand mépris du monde.
Mais l'esprit malin est froid et chaud : froid s'autant qu'il rend amer tout ce qui touche à l'honneur
et la gloire de Dieu ; chaud , attendu qu'il incline et porte l'homme à la volupté charnelle , à la superbe du monde , et excite les affections à sa propre louange . En vérité , il vient flattant comme un ami , mais il est comme un chien enrage qui mord ; il vient comme un doux consolateur , mais c'est un traître bourreau.
Partant , quand il viendra , dites-lui : je n'ai point affaire de vous , car votre fin est pernicieuse . Mais quand le bon Esprit viendra , dites lui : O mon Dieu, venez comme un feu et brulez mon cœur , car bien que je sois indigne de vous avoir , neanmoins j'en ai besoin . Vous ne serez pas meilleur quand vous m'aurez , car vous n'avez pas besoin de moi ; mais moi , je serai meilleur en vous par vous , car sans vous je ne suis rien.
Chapitre 111
Le Fils de Dieu parle à son épouse de trois lois : de celle de l'Eglise , de l'empereur et de la communauté ; mais il l'avertit de vivre selon la quatrième loi spirituelle et divine , qui est en humilité , foi ferme , charité divine , parfaite et catholique , postposant toutes choses à Dieu ;
car par ceci , l'honneur spirituel et les richesses célestes sont acquis en la gloire éternelle.
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La Sapience éternelle , la seconde personne de la sainte et auguste Trinité , parle à son épouse , lui disant qu'il y a trois lois : l'une est ecclésiastique , l'autre est de l'empereur , la troisième est de la communauté . Ces trois lois sont écrites sur les peaux mortes d'animaux . Mais il y a une autre spirituelle qui n'est pas écrite sur les peaux, mais au livre de vie, qui ne se perd jamais ni ne se corrompt par vieillesse, et ne tache jamais, ni n’est possédée avec difficulté. Partant, toute bonne loi doit être ordonnée pour le salut de l’âme et pour l’accomplissement des commandements de Dieu, pour fuir les mauvais désirs et pour la recherche discrète des choses qui doivent être désirées. Or, maintenant, dans les lois qui sont écrites sur les peaux, il n’y a qu’une parole, qui s’appelle obtenir quelque chose : partant donc, afin que quelqu’un obtienne quelque chose, une de quatre choses lui est nécessaire, car quand on donne à quelqu’un quelque présent pour la charité et pour la familiarité, ou pour l’héritage, ou pour le partage, ou pour les œuvres d’utilité et de service, il en est de même de la loi spirituelle, car la loi spirituelle est connaître Dieu, l’aimer et en jouir, et en cette loi consistent l’honneur et les richesse spirituelles, savoir, changer toutes le choses créées au Créateur, laisser sa propre volonté pour l’amour de Dieu, aimer les vertus et donner le monde pour le ciel.
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Ces richesses s’obtiennent de quatre manières :
1° par la charité, car comme un seigneur temporel donne des présents, poussés à cela par la charité, bien que les mérites n’en précèdent point, de même moi, par ma bonté, j’ai créé et racheté l’homme et je le supporte tous les jours ; et d’ailleurs je l’honore par-dessus ses ingratitudes. Quiconque aussi m’aime de tout son cœur et ne désire autre choses que moi, aura en terre la vertu qui est écrite au cœur avec le doigt de Dieu, et l’honneur au ciel, qui est écrit au livre de vie, qui est la vie éternelle.
2° On obtient un honneur spirituel à raison de l’héritage. En vérité, j’ai acheté à l’homme le ciel par le mystère de mon incarnation et de ma passion, et je l’ai ouvert par un droit héréditaire, car comme l’homme avait en quelque manière vendu au diable l’héritage divin, recevant un peu de sommes en échange d’un dilection éternelle, une viande défendue pour l’arbre de vie, la fausseté pour la vérité, de même ai-je, en obéissant à mon Père, l’obligation de la rébellion ; par l’amertume de mon cœur, j’ai satisfait pour la douceur de la pomme ; par ma mort, j’ai mérité à l’homme l’arbre de vie. J’ai aussi, par la fidélité de mon humanité, remis l’homme, et j’ai établi la vérité. Quiconque donc croit aux parcelles de ma vérité et m’imite, celui-là, par l’héritage, obtiendra les richesses et ma grâce.
3° Il obtiendra l’honneur spirituel par le partage, savoir, quand l’homme se sépare de toutes les délectations charnelles, et , quand il change la volonté charnelle en abstinence, les richesses en pauvreté, l’honneur en mépris, les parents terrestres en la familiarité des amis de Dieu, la vision du monde en la vision de Dieu.
4° Il obtiendra l’honneur spirituel pour les œuvres d’humilité et de service, savoir, quand l’homme milite au service de Dieu, et en patience invincible, comme un soldat généreux à la guerre, qui sert fidèlement et humblement son maître, et dispense comme serviteur justement et miséricordieusement tout ce qu’on lui a confié, comme un bon économe, et veille soigneusement contre les tentations, comme un bon soldat en sentinelle. Celui-là est digne d’être honoré et d’avoir des richesse spirituelles, qui ne sont point empreintes sur les peaux mortes des animaux, mais bien en l’âme ,car les degrés d’une triple loi écrite sont utiles pour perfectionner la justice, mais la loi spirituelle est douce et suave pour en recevoir les fruits.
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Partant, ô ma très-chère fille, tâchez d’acquérir l’honneur spirituel par l’amour, savoir, en n’aimant rien tant que moi. Cherchez par l’héritage ci-dessus nommé, savoir, en croyant fermement tout ce que l’Eglise commande ; cherchez par les œuvres l’humilité, faisant toutes chose pour mon honneur et pour ma gloire. En vérité, vous avez été appelée en ma loi , c’est pourquoi vous êtes obligée de garder ma loi. Or, ma loi est vivre selon ma volonté, comme un bon prêtre vit selon les lois de l’Eglise : de même, vivez selon les lois de mon humilité, vous conformant à mes amis, car toute loi temporelle tend, en partie à l’honneur du monde, et en partie au mépris. Ma loi seule tend aux choses célestes, d’autant que, devant moi ni après moi, aucun n’a pleinement entendu quelle et combien glorieuse est la suavité du royaume des cieux, comme moi et comme celui à qui je la voudrai révéler.
Chapitre 112
Notre Seigneur dit à son épouse qu’elle se donne diligemment garde du vice de superbe ; qu’elle ne s’exalte de la beauté des membres, ou des biens, ou de la race, car la superbe est comparée au papillon qui a de grandes ailes et un petit corps.
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Le Fils éternel dit à son épouse : Ne vous troublez point de la superbe de ces gens-ci, car elle passera soudain. Il y a une certaine espèce de mouche qui est appelée papillon, qui a les ailes larges et le corps fort petit ; il a en second lieu plusieurs couleurs ; en troisième lieu, li vole fort haut à raison de sa légèreté et subtilité ; mais montant en l’air à raison de sa petite force, il tombe soudain sur les rochers ou sur les bois.
Cette espèce de mouche signifie les superbes, qui ont les ailes larges et un petit corps, d’autant que leur esprit s’enfle de superbe comme un peau enflée de vent. Ils croient aussi avoir toutes choses en considération de leurs mérites et se préfèrent aux autres, croyant qu’ils sont plus dignes que les autres, en sorte que, s’ils pouvaient, ils étendraient leur nom par tout l’univers. Mais d’autant que leur vie est brève et est comme un point, c’est pourquoi, lorsqu’ils y pensent le moins, ils tombent.
En second lieu, les superbes ont plusieurs couleurs, comme le papillon, car il s’enorgueillissent de la beauté de leur membres, de leurs biens, de leur sang, de leur race, et changent tous les jours d’état selon les inventions de leur orgueil ; mais quand il meurent, ils ne sont que terre et cendre.
En troisième lieu, quand les superbes sont montés au plus haut ascendant de superbe, ils tombent en un moment et avec un grand danger dans les abîmes de la mort.
Partant, ô ma fille, donnez-vous garde de la superbe, d’autant qu’elle ôte de la présence de Dieu tous les hommes, ni ma grâce n’entre point en l’homme que possède la superbe.
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Chapitre 113
Notre-Seigneur avertit son épouse de vivre humblement ; qu’elle ne se soucie point d’une grande renommée, d’autant que lui n’a point choisi de grand docteurs pour prêcher son évangile, mais bien d’humbles pêcheurs, car ceux qui travaillent en ce monde à acquérir au monde une grande renommée, seront grièvement punis en enfer.
La Sapience éternelle, le Fils de Dieu, parle : Que celui-là lise les écritures, et il trouvera que j’ai fait d’un pasteur un grand prophète, et que j’ai rempli de l’esprit de prophétie les jeunes et les idiots. Mais bien que tous n’aient pas mes paroles de salut, néanmoins, afin que ma charité fût plus connue, mes paroles sont parvenues à plusieurs : semblablement, pour prêcher l’Evangile, je n’ai pas choisi des docteurs, mais des pêcheurs, afin qu’ils ne se glorifiasses de leur sagesse, et afin que tous entendent que, comme Dieu est en soi admirable et au-delà de nos pensées, de même ses œuvres sont inscrutables, et il opère de grades choses dans les choses les plus petites. Que tout homme donc qui va par le monde pour acquérir da propre volonté, pose sur ses épaules un faix dur et pesant.
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Voici un exemple d’un certain homme qui allait par le monde avec de grands désirs de s’agrandir. Il acquit une grande renommée, et en même temps il mit sur son dos un grand et pesant fardeau de péchés ; c’est pourquoi il a aussi maintenant un grand nom dans l’enfer, un faix lourd et accablant pour sa récompense, et un lieu fort excellent pour son supplice, car en ce lieu, quelques-uns étaient descendus avant lui, et quelques uns avec lui, et quelques autres après lui. Or, ceux-là y sont descendus devant lui, qui l’avaient affermi en la malice et en l’augmentation d’icelle par leur secours et par leurs conseils. Ceux qui descendirent avec lui furent les complices de ses œuvres misérables, mais ceux-là descendirent après lui, qui avaient suivi ses mortifères exemples.
C’est pourquoi les premiers crient à lui comme de combat, et lui disent : Parce que vous avez obéi et consenti à nos conseils, nous brûlons de votre présence avec plus d’ardeur. Partant, maudit soyez-vous, vous qui êtes digne de ce supplice et de ce gibet, où les cordes ne se rompent jamais, mais où le feu dévorant afflige éternellement ! Que la confusion la plus honteuse vous soit au front, en récompense de votre superbe ambition ! Or, ses œuvres crient et disent d’un accent de désespoir : O misérables que vous êtes ! la terre ne vous a pas pu repaître de ses fruits, c’est pourquoi vous avez insatiablement désiré toutes choses. L’or ni l’argent n’ont pu satisfaire vos misérables désirs, c ‘est aussi pour cela que vous êtes vide et privé de toutes choses, et que les corbeaux vivants et insatiables déchireront éternellement votre âme, qui, étant toujours déchirée, pourtant ne diminuera pas, étant fondue, ne mourra pas, mais vivra d’une vie animée de tourments. Ceux qui sont descendus après lui en ces fondrières effroyables, crient d’une triste accent : Malheur à toi que tu sois né ! Ta volupté s’est convertie en haine de Dieu, en sorte que vous ne voudriez pas dire une parole pour l’honorer.
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Partant, comme en l’amour et en l’honneur de Dieu est toute sorte de consolation, de délectation, de bien et de joie ineffable, dont nous sommes indignes pour vous avoir imité, que de même vous avez éternellement une tristesse et une dissension immortelle avec la compagnie des démons, difformité pour l’honneur, ardeur pour la volupté, froid pour l’amour et nul repos pour les satisfactions charnelles. Et d’ailleurs, pour la grande renommée que vous avez eue indignement, il vous soit malédiction ; pour siège glorieux, un lieu méprisé de tous. Voici que parlant par similitude, méritent telles choses ceux-là qui s’intriguent et s’enveloppent de ces affaires contre les volontés divines.
ADDITION
Un certain soldat s’étudiait incessamment à trouver diverses manières de vanité, et il entraîna plusieurs à la damnation éternelle par ses paroles et par ses maudits exemples. Celui-ci portait une grande envie à sainte Brigitte des paroles fort contumélieuses. Cette sainte étant assise à table, il vint à elle et lui dit, en présence des plus grands : Madame, vous songez trop , vous veillez trop. Il vous est expédient que vous mangiez, buviez et dormiez davantage. Mais quoi ! Dieu n’a-t-il pas laissé les religieux ? et il parle avec les superbes du monde ! C’est vanité de croire à vos paroles.
p.429
Or, ceux qui étaient là présents voulaient venger l’injure, mais sainte Brigitte le défendait disant :
Permettez-lui de parler, car Dieu l’a envoyé ; car moi qui en tout le cours de ma vie , ai cherché ma propre louange, j’ai blasphémé Dieu : pourquoi n’oirai-je pas ma justice ? Certes, celui-ci dit la vérité.
Ce que ce soldat oyant, il s’en repentit, se réconcilia avec sainte Brigitte, vint à Rome et y mourut d’une fin louable.
Chapitre 114
Jésus-Christ avertit son épouse de prendre garde à la conversation des choses mondaines, qui sont les affections de Satan. La Vierge Marie l’instruit aussi d’avoir en toutes ses actions l’intention droite, afin que l’honneur de Dieu s’augmente, car plusieurs servent Dieu par œuvres, mais leur intention, étant corrompue, offusque toute sorte de biens.
Le Fils de Dieu parle et dit : Prenez garde aux affectations du diable, qui les a cuites dans les feux de luxure et de cupidité ; car quand on met de la graisse dans le feu, il est nécessaire que quelque chose en distille : de même les péchés détestables distillent de la conversation et société mondaine ; et bien que les consciences nous soient cachées, néanmoins, les actions extérieures nous manifestent beaucoup l’intérieur et ce qui est caché en notre sein.
D’ailleurs, la Mère de celui qui est de toute éternité dans le sein du Père, parle et dit : Que toutes vos actions soient raisonnables et vos intentions droites, afin que tout ce que vous faites, vous le fassiez pour l’honneur de Dieu et l’utilité de l’âme soient préférés à la détestation corporelle. De fait , plusieurs servent Dieu par œuvres, mais leur intention n’est pas pure, mais contamine tout le bien, comme vous le pourrez mieux comprendre par un exemple.
p.430
Il y a un animal qui s’appelle ours. Quand il est pressé par la faim et qu’il voit la proie désirée, il met un pied sur la proie , et de l’autre, il cherche un lieu propre pour enfoncer ses griffes fortement, afin que la proie ne lui échappe ou qu’on ne lui la ravisse, et qu’il puisse assouvir ses appétits. Cet ours regarde sa proie sans intermission, ne cherche no l’or, ni les herbes odoriférantes, ni les arbres aromatiques, mais seulement un lieu caché et sûr pour dévorer la proie qu’il a ravie. De même plusieurs me servent par oraisons et par jeûnes, mus à cela par la crainte, d’autant qu’ils considèrent les peines horribles de l’enfer et ma miséricorde très grande. Ils me cherchent par des œuvres extérieures, mais par la volonté, ils font contre les commandements de mon Fils, car comme l’ours, ils ont leur volonté portée à la volupté de la chair et à la cupidité du monde ; mais d’autant qu’ils craignent la perte de la vie et le supplice futur, ils me servent en intention de ne perdre la grâce et de n’encourir la peine. Et ceci est clair, d’autant qu’ils ne considèrent jamais la passion de mon très cher Fils, qui est comme un or précieux, ni n’imitent les vies des saints, qui sont comme des pierres précieuses, ni ne considèrent point les dons du Saint-Esprit comme des herbes odoriférantes, et ne laissent leur propre volonté, ils ne font point les volontés de mon Fils, mais ils veulent seulement s’appuyer au monde, afin de pécher plus sûrement et avec plus de prospérité. Leur récompense sera brève, car leur œuvre procède d’un cœur froid ; et comme l’ours, ayant consommé sa proie, ce se soucie plus d’assurer ses griffes, de même, l’heure venant, il faut mourir, et leurs voluptés charnelles ayant été accomplies, l‘appui qu’ils prennent sur moi leur sert de peu, attendu qu’ils n’ont pas voulu renoncer à leur propre volonté pour faire la mienne, ni ne m’ont pas cherché, mus à cela par amour, mais par crainte. En vérité néanmoins, s’ils s’amendent et s’ils changent leur volonté, leurs œuvres seront bientôt renouvelées, et leurs volonté bannie sera réputée pour l’effet, si les œuvres manquent.
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ADDITION
Celui-ci fut un prévôt qui a vécu selon son vouloir, qui, venant à Rome, corrigea sa vie très louablement , qui, ayant visité le mont Gargan et Saint-Nicolas par le conseil de sainte Brigitte, et étant retourné à elle, dit, entre autres choses, qu’il admirait que la grande et fameuse cité de Sisipont fût détruite, où tant de corps saints reposent. Lors , le jour suivant, Notre-Seigneur, apparaissant à sainte Brigitte, dit : Ce votre ami admire que cette ville-là soit détruite et ruinée. En vérité, ma fille, les péchés des habitants d’icelle l’ont mérité de la sorte, et les autres, certes, n’ont par mérité les mêmes choses, mais un de mes amis visitait là les corps saints ; ayant envers moi une parfaite charité, il reprenait les mœurs insolents des habitants, et voyant leur obstination, me priait avec larmes, afin que le lieu fût plus désolé et déplorable, puisque tant d’âmes s’y perdaient et étaient en danger se d’y perdre. Et moi, regardant les larmes et qu’aucun ne se mettait parfaitement en devoir de ma plaire, j’ai permis que ce que maintenant fût exécuté.
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Notre-Dame lui dit : O Seigneur , il est déplorable que plusieurs reliques de tant de saints et tant de corps soient là gisant comme des immondices et sans murailles.
Jésus-Christ répondit : Comme j’ai les âmes des élus en moi-même, j’ai soin aussi des reliques de mes amis, qui sont mes trésors, jusques à tant qu’ils reçoivent ma double promesse.
Notre-Dame parla encore : O Seigneur, mon très cher ami, je crois qu’en ce lieu, les saints pontifes avaient donné plusieurs grâces et rémissions : eh quoi ! d’autant que les murailles sont entièrement ruinées , les grâces seraient abolies ?
Notre-Seigneur repartit : Quel lieu y a-t-il eu plus saint que Jérusalem, où moi, Dieu ai imprimé mes vestiges ? Quel lieu y a-t-il maintenant plus méprisé, qui est maintenant habité et foulé par les infidèles ? Néanmoins, tous ceux qui viennent en Jérusalem trouvent la même première grâce et la même rémission. Le semblable est de ce même lieu, car quiconque vient en celui-là, mû par une volonté parfaite, participera à la même grâce et bénédiction que cette cité avait , lorsqu’elle était sur pied et en sa gloire magnifique, à raison de la foi et du labeur amoureux de ceux qui y viennent.
FIN DU TOME DEUXIEME
Notre Seigneur, parlant à son épouse de la manière d’affranchir quelques démoniaques, lui dit que, comme le corps a divers membres, de même l’âme a ses membres intérieurement en elle, et spirituellement, et Notre –Seigneur le déclare d’une manière fort belle
Le Fils de Dieu parle, disant : Vous êtes, ô mon épouse ! comme une roue qui en suit une autre : de même vous devez suivre mes volontés. Je vous ai parlé de quelqu’un dont l’âme est possédée. Or, maintenant, je vous dirai en quel membre il est affligé. Je suis semblable à un homme qui dirait à son bourreau : Il y a en votre maison trois prisons. En la première sont tous ceux-là qui sont dignes de perdre la vie. En la deuxième sont ceux-là qui doivent être privés de quelque membre. En la troisième ceux-là qui doivent être fouettés et écorchés de coups, à qui le bourreau dirait : Seigneur, quelques-uns doivent être privés de la vie ; les autres doivent être mutilés et fustigés : pourquoi diffère-t-on le jugement ? car s’ils étaient promptement jugés, leur douleur s’oublierait.
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Notre-Seigneur répondit : Ce que je fais, je ne le fais pas sans sujet ni raison, d’autant que ceux qui doivent être privés de la vie, doivent avoir leur temps, afin que les bons, voyant leurs misères, soient rendus meilleurs, et que les mauvais craignent et prennent garde à eux à l’avenir. Quant à ceux qui doivent être mutilés, il est nécessaire qu’ils en aient plutôt l’affliction au cœur, afin qu’ils se repentent des maux qu’ils ont perpétrés, et soient marris des crimes qu’ils ont commis. Ceux aussi qui doivent être fouettés, doivent aussi être éprouvés par les douleurs, afin que, ayant négligé de se connaître en la joie, ils se connaissent en la douleur, et partant, qu’ils prennent d’autant plus garde de ne tomber en mêmes crimes, qu’ils en sortent avec peine
Or, je suis ce seigneur-là : j’ai le diable pour bourreau de ma justice, pour me venger des mauvais selon les démérites d’un chacun, auquel est aussi donné puissance sur l’âme de celui-ci.
Mais en quel nombre il exerce son malheur, je vous le dirai maintenant ; car comme le corps est composé au dehors par des membres, de m^me l’âme doit intérieurement être disposée spirituellement ; car comme le corps a les os, les moelles et la chair, en la chair , le sang, et le sang en la chair, de même l’âme doit avoir trois choses : la mémoire, la conscience et l’entendement ; car il y en a quelques-uns qui entendent des choses sublimes sur les saintes Ecritures, mais ils n’ont aucune raison : à ceux là il manque un membre. Il y en a qui ont une conscience raisonnable, mais ils n’ont aucune intelligence. D’autres ont bien de l’entendement, mais ils n’ont point de mémoire, et ceux-ci sont grandement infirmes ; mais ceux-là sont saints dans leur âme, qui ont la raison saine, la mémoire et l’intellect.
D’ailleurs le corps a trois réceptacles : le premier est le cœur, sur lequel il y a une membrane grêle défendant que rien d’immonde n’attaque le cœur, car si une moindre tache touchait le cœur, soudain l’homme mourrait. Le deuxième réceptacle est l’estomac. Le troisième, ce sont les entrailles, par lesquelles toutes les choses nuisibles sont jetées dehors.
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De même l’âme doit avoir spirituellement trois réceptacles : le premier, un désir divin et véhément comme un cœur enflammé, de sorte que l’âme ne désire rien tant que moi qui suis son Dieu ; autrement, si quelque pernicieuse affection, bien que petite, entre en elle, soudain elle est tachée. Le deuxième est l’estomac, c’est-à-dire, une secrète disposition du temps et des œuvres, car toutes les viandes sont cuites et digérées en l’estomac ; de m^me tout le temps les pensées et les œuvres doivent être réglées et rangées selon l’ordre de la Providence divine, avec sagesse et utilité. Le troisième réceptacle, ce sont les entrailles, c’est-à-dire, la contrition divine, par laquelle les choses immondes sont purifiées, et la viande de la divine sagesse est mieux goûtée.
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D’ailleurs, le corps a trois choses par lesquelles il s’avance : la tête, les mains et les pieds.
La tête marque la divine charité : car comme en la tête sont les cinq sens, de même l’âme goûte en la divine charité tout ce qui est vu, ouï ; et tout ce qui est commandé, elle l’accomplit très constamment. Partant, comme l’homme est mort, étant sans tête, de même l’âme est morte, étant sans charité envers Dieu, qui est la vie de l’âme.
Les mains de l’âme signifient la foi : car comme en la main il y a plusieurs doigts, de même en la foi il y a plusieurs articles, bien qu’il n’y ait qu’une seule foi : c’est pourquoi, par la foi parfaite, la divine volonté est accomplie, et elle doit coopérer à toute bonne œuvre ; car comme par la main on fait les oeuvres à l’extérieur, de même, par la foi accomplie, et elle, le Saint-Esprit opère infiniment en l’âme, car la foi est le fondement de toutes les vertus ; car là où la foi n’est pas, sont anéanties la charité et les bonnes œuvres.
Les pieds de l’âme sont l’espérance, car par elle, l’âme va à Dieu ; car comme le corps va par les pieds, de même l’âme s’approche de Dieu par le pas des désirs ardents et de l’espérance. La peau aussi est sur les membres signifie la consolation divine, qui apaise l’âme troublée. Et bien qu’il soit quelquefois permis au diable de troubler la mémoire, quelquefois les mains et les pieds, néanmoins Dieu défend toujours l’âme comme un lutteur, la console comme un père pieux, la médicamente comme un médecin, afin qu’elle ne meure.
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Partant , l’âme de cet homme, duquel je vous ai parlé, a été lors rendue captive, quand elle a mérité d’être privée de ses mains, pour l’inconstance de sa foi, car il n’avait pas une foi droite. Mais d’autant que maintenant le temps de faire miséricorde est arrivé, pour trois raisons :
1° en considération de mon amour ;
2° à raison des prières de mes serviteurs élus ;
3 ° qu’il fasse trois autres choses :
1° qu’il restitue ce qu’il a mal acquis ;
2° qu’il tache d’avoir de la cour de Rome l’absolution de la désobéissance ;
3° qu’il ne reçoive point le corps de Notre-Seigneur avant d’être absous
Chapitre 116
Notre-Seigneur Jésus-Christ se plaint à son épouse, des Gentils, des Juifs et singulièrement des mauvais chrétiens, d’autant qu’ils ne reçoivent les saints sacrements avec dévotion et avec pureté, comme il est convenable, et attendu qu’ils négligent de se souvenir du bénéfice de la création, rédemption et divine consolation.
Le Fils du Père éternel et le Fils de la Vierge dit : Je vous parle par similitude : supposez qu’il y eût trois hommes , et que le premier dit : Je crois que vous n’êtes ni Dieu ni homme, et un tel homme est appelé Gentil. Le deuxième, le Juif, crois que je suis Dieu, mais non pas homme. Le troisième, le chrétien, croit que je suis Dieu et homme, mais il ne croit point à mes parole. Je suis celui sur lequel la voix du Père éternel était ouïe : Celui-ci est mon Fils, est. Partant, je me suis plaint de la part de ma Divinité que les hommes ne veulent point m’en tendre. Je criais et je disais : Je suis le principe. Si vous croyez en moi , vous aurez la vie éternelle. Mais ils ont méprisé mes paroles. Ils ont vu et connu la puissance de ma Déité, quand je ressuscitais les morts et faisais plusieurs autres merveilles , et néanmoins, ils n’y ont pas pris garde. Je me plains aussi de la part de l’humanité, d’autant que pas un ne se soucie de ce que j’ai institué en l’Eglise.
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En vérité, j’ai mis en l4eglise comme sept vases, qui seront tous entièrement purifiés, car j’ai institué le baptême en purification du pêché originel : le chrême enseigne la divine réconciliation, l’huile sainte la force contre la mort. J’ai institué la pénitence en rémission de tous les péchés, et les paroles saintes et sacrées par lesquelles les sacrements seraient sanctifiés et institués. J’ai institué le sacerdoce en dignité, connaissance et en remémoration de la divine charité ; le mariage en l’union des cœurs. Ces sacrements doivent être reçus avec humilité, gardés avec pureté, donnés sans avarice. Mais maintenant, ils sont pris avec superbe ; ils sont gardés en des vases immondes, et sont conférés avec ambition et cupidité.
Je me plains aussi qu’étant né et étant mort pour le salut des hommes, si l’homme ne me voulait aimer, d’autant que je l’ai créé, pour le moins il me devait aimer pour l’avoir racheté. Mais maintenant, les hommes me chassent de leur cœur comme un lépreux, et m’ont en abomination comme un drap contaminé. Je me plains aussi de la part de la Divinité, d’autant que les hommes n’en veulent point être consolés, et ne se soucient point de l’amour qu’elle leur porte.
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L’épouse ouït que véritablement Dieu vient au- devant de ceux qui le désirent, les console comme un père pieux et bénin, et leur rend faciles les choses difficiles
Pendant que quelqu’un disait le Pater noster, l’épouse ouït comment alors répondait l’Esprit, disant : Mon ami, je vous réponds, en premier lieu, de la part de la Divinité, que vous aurez l’héritage avec votre Père ; en second lieu, de la part de l’humanité, que vous serez mon temple ; en troisième lieu, de la part de l’Esprit que vous n’aurez point de tentation par-dessus ce que vous pouvez porter : car le Père vous défendra, et le Saint-Esprit vous enflammera. Car comme la mère, quand elle entend la voix de son fils, lui va au-devant avec joie ; et comme le père, voyant le fils qui travaille, lui va au-devant au milieu du chemin, et porte avec lui le fardeau, de même je vais au-devant de mes amis, et je leur rends faciles toutes les choses difficiles, et les leur fais porter avec joie. Et comme quand quelqu’un, voyant quelque chose délectable, ne se console point, si ce n’est que le voisin s’en approche, de même je m’approche de ceux qui me désirent.
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Notre-Seigneur dit à son épouse que le Père éternel attire à soi la bonne volonté des bons, la perfectionnant en choses bonnes ; et ceux qu’il voient de mauvaises volonté, il la leur change librement en une bonne, imprimant en elle un désir d’amender des crimes commis.
La Sapience incarnée, le Fils de l’Eternel parle : Celui qui voudra entrer en société avec moi, doit tourner sa volonté vers moi et se repentir des crimes commis, et lors il est attiré par mon Père à la perfection, car mon Père attire celui-là qui change sa mauvaise volonté en bonne volonté, et désire franchement amender ses fautes.
Mais en quelle manière est-ce que le Père l’attire ? Certainement, c’est que le perfectionnant le bonne volonté au bien : car si l’affection n’était bonne, le Père n’aurait de quoi l’attirer. Mais à quelques-uns je suis si froid que mes voies ne leur plaisent en façon quelconque. Aux autres je suis si doux qu’ils ne désirent que moi. A ceux-là je donnerai le joie qui n’aura point de fin.
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La Mère de Dieu raconte ici sept biens qui sont en Jésus-Christ, et sept contraires, qui étaient repris des hommes
La Mère de Dieu parle disant : Mon Fils a sept biens :
1° il est très puissant comme un feu consumant ;
2° il est très sage ; sa sagesse surpasse la connaissance des hommes, comme ils ne sauraient épuiser la mer ;
3° il est très fort comme une montage immobile ;
4° il est très vertueux comme l’herbe agréable aux mouches ;
5° très beau comme un soleil luisant ;
6° très juste comme un roi qui ne pardonne à pas contre la justice ;
7° très pieux comme un seigneur qui se donne pour la vie de son serviteur.
Et d’un autre côté, il a enduré sept autres choses, car au lieu de la puissance, il a été fait comme un vermisseau ; au lieu de sa sagesse, il a été estimé fou ; pour sa force, comme un enfant lié de petits drapeaux ; pour sa beauté, comme un lépreux ; pour sa vertu, il était nu et attaché ; pour sa justice, il était estimé mensonger et est mort pour la piété.
Chapitre 120
Jésus-Christ dit à l’épouse qu’il y a deux sortes de délectations : spirituelles et charnelle. La délectation spirituelle consiste à se plaire dans les bienfaits de Dieu.
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Le Fils de Dieu parle et dit à sainte Brigitte : Entre moi et celui que vous savez, il y a quelque membrane qui lui empêche de goûter mes douceurs; mais quelque autre chose qui lui plaît.
Et l’épouse, qui entendait ceci, dit à Notre-Seigneur : Ne pourra-t-il jamais avoir quelque délectation?
Notre-Seigneur repartit et lui dit : Il y a deux sortes de délectations : L’une est charnelle et l’autre spirituelle. La charnelle ou naturelle est et consiste en ce que la nature le requérant ainsi par nécessité, on prend la réfection, en laquelle l’homme se doit entretenir en ces pensées : O Seigneur ! qui nous avez commandé de nous rafraîchir et de nous nourrir selon la nécessité, louange vous soit ! Je vous en supplie, donnez-moi la grâce que je ne pêche point en mangeant. Que si quelque plaisir surprend le cœur des biens temporels, qu’il occupe son esprit en ces considérations : O Seigneur ! toutes les choses terrestres ne sont que terre coulante : partant, donnez-moi la grâce d’en disposer et d’en user en telle sorte que j’en puisse rendre raison à tous. La délectation spirituelle consiste en ce que l’âme se plaît dans les bénéfices divins, use des choses temporelles pour la nécessité, et s’y occupe comme contrainte. Or, cette membrane est alors ôtée, quand Dieu est doux à l’âme, et que l’âme a toujours la crainte de Dieu.
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Que l’habit ne fait pas le moine, mais bien la vertu d’obéissance et d’observance régulière , et que la vraie contrition de cœur ; avec propos de s’amender , affranchit l’âme de la main du diable
Le diable, ennemi de Dieu et des hommes, apparut et dit : Le moine s’en est allé ; el n’en demeure que la seule effigie. Et Notre-Seigneur dit : Quel est ce moine ?- Je le ferai , dit-il mais par contrainte. Le moine est gardien de soi-même ; son habit est l’obéissance et l’observance de sa profession, car comme le corps est couvert du vêtement, de même l’âme doit être enrichie de ses vertus. Donc, l’habit extérieur ne profite de rien, si l’habit extérieur n’y est pas, car l’habit ne fait pas le moine, mais la vertu. Ce même s’en est allé lorsqu’il avait ces pensées : Je connais mon pêché ; j’amenderai du reste et ne pécherai plus, moyennant la grâce de Dieu. Par cette volonté, il s’est retiré et arraché de moi, et il est maintenant à vous.
Notre-Seigneur lui dit :Comment son effigie demeure-t-elle ?-Le démon dit : C’est quand on ne se souvient point de ses pêchés et que l’on ne s ‘en repent point comme il faudrait.
DECLARATION
Ce frère vit, dans les mains du prêtre qui levait le corps de Notre Seigneur, le petit Jésus qui lui disait: je suis le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge. Il vit aussi que, dans un an, il mourrait, et en connut l’heure. Il est parlé de celui-ci en plusieurs chapitres, en la légende de saint Brigitte; son frère s’appelait Géréchinus. Celui-ci fut d’une signalée continence, qui, avant de mourir, vit une écriture d’or en laquelle il y avait ces trois lettres d’or :P.O. et T. ; et racontant ceci à ses frères, il dit : Venez, ô Pierre ! hâtez-vous, ô Olave et Thordo ! et il mourut .Or , ces trois ainsi appelés moururent en une semaine et le suivirent. Il est parlé du même frère en l’Extravagante, chapitre LV.
Chapitre 122
Que la vie de l’homme tiède et lâche est comme un pont étroit et périlleux, duquel, s’il ne se détourne soudain, descendant dans le navire de pénitence et de vertu, il sera précipité dans les fondrières de l’enfer par le démon, son ennemi.
Celui-là est mon ennemi capital, qui se moque de moi en se jouant , il tâche autant qu’il peut de contenter ses volontés et de remplir et assouvir ses cupidités ; il est comme celui qui est couché en un pont fort étroit, qui a en sa gauche un grand chaos, duquel ne se relève jamais celui qui est une fois tombé du côté gauche ; il y a un navire ; s’il y saute, il sera sauvé avec labeur, et néanmoins, il y a espérance de vie éternelle. Ce pont est sa vie lamentable et brève, en laquelle il n’est pas comme un homme qui combat généreusement, non pas comme un homme pèlerin qui avance toujours chemin, mais bien comme un homme lâche et paresseux qui désire insatiablement boire les eaux de volupté. Deux choses donc s’opposent à lui, car il se lève du pont et descend donc dans l’abîme, c’est-à-dire, aux œuvres de la chair, ou s’il saute dans le navire, il esquivera avec grand labeur, car s’il embrasse la rigueur de la Sainte Eglise et son institution, cela lui est paisible, néanmoins, il sera sauvé par cela. Qu’il se tourne donc le plus tôt vers le navire, de peur que l’ennemi juré ne le précipite du pont dans les abîmes, car lors il criera, mais il ne sera pas exaucé, mais sera éternellement puni.
ADDITION
Celui-ci, voyant ce roi changé et qu’il ne l’oyait pas chez soi comme il avait accoutumé, portait envie à sainte Brigitte, laquelle passant par une rue fort étroite ; il épancha sur elle d’en haut un grand vase d’eau ; elle patienta à merveille et dit : Dieu vous le pardonne et ne vous le rende point au siècle futur ! Lors Notre-Seigneur apparut à elle à la messe, lui disant : Cet homme qui de la fenêtre, a jeté sur vous de l’eau, mu à cela par l’envie, désire le sang, répand le sang, désire la terre et non moi ; s’il adore sa chair au lieu de moi, qui suis son Dieu ; il me chasse de son cœur. Qu’il se donne garde aussi de mourir en son sang. Après, cet homme vécut bien peu ; et le flux de sang sortant de son nez, il mourut comme elle l’a dit.
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Chapitre 123
Jésus-Christ défend son épouse sainte Brigitte, c’est-à-dire, l’âme convertie du monde à la vie spirituelle, laquelle le père, mère, frère et sœur, tâchaient de retirer de l’amour et du chaste mariage.
Le Fils de l’Eternel dit à se chère épouse : Je suis comme un époux qui a pris une épouse que le père, mère, frère et sœur me demandent, car le Père dit : Rendez-moi ma fille, car elle est née de mon sang. La mère dit : rendez-moi ma fille, car elle a été nourrie de mon lait. Le frère dit : Rendez-moi ma sœur, car il appartient à moi de la régir. La sœur dit : Rendez-moi ma sœur , car elle a été nourrie avec moi . L’époux leur répondit : O père, si votre fille est née de votre sang, elle doit être maintenant remplie de mon sang. O mère, si vous l’avez nourrie de votre lait, je la repaîtrai de les délices. O frère, si vous l’avez régie jusqu’à maintenant, je la régirai maintenant. O sœur, si elle est nourrie selon vos coutumes, elle prendra maintenant les miennes.
Il en a été fait de la sorte avec vous, car si le père, c’est-à-dire, la volupté de la chair, vous demande, sachez que je vous remplirai de charité et d’amour. Si la mère, c’est-à-dire, les soins du monde vous redemandent, c’est à moi de vous remplir du lait de mes indicibles consolations. Si le frère vous redemande, c’est-à-dire, la volonté propre, dites que vous êtes obligée de faire mes volontés. Si la sœur, c’est-à-dire, la coutume de la conversation humaine vous redemande, dites que vous êtes obligée de faire mes volontés.
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En quelle manière sainte Agnès mettait en la tête de l’épouse une couronne de sept pierres précieuses, savoir : la patience dans les tribulations, etc.
Sainte Agnès parle disant : Venez, ma fille, et je mettrai sur votre tête une couronne faite de sept pierres précieuses. Qu’est-ce que cette couronne, sinon une épreuve d’une patience invincible, qui est faite d’afflictions, est ornée et enrichie de Dieu par des couronnes ?
Donc, la première pierre de cette couronne est un jaspe qu’a mis sur votre tête celui qui vomissait sur vous des paroles injurieuses, disant qu’il ne savait de quel esprit vous parliez, et qu’il vous était plus convenable de filer subtilement à la manière des femmes que de disputer de la sainte Ecriture. Partant, comme le jaspe subtilise la vue et allume la joie en l’âme par la tribulation , illumine l’esprit pour comprendre les choses spirituelles, et mortifie l’âme des mouvements déréglés.
La deuxième pierre est un saphir, que celui qui vous louait devant vous et médisait de vous en votre absence, a mis en votre couronne. Donc, comme le saphir est de la couleur du ciel et conserve aussi les membres en santé, de même la malice des hommes éprouve le juste, afin qu’il devienne tout céleste, et garde le puissances de l’âme, afin que la superbe ne la surprenne.
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La troisième pierre est une émeraude qu’a ajouté à votre couronne celui qui vous dit que vous aviez parlé sans y avoir pensé et sans savoir ce que vous disiez. Partant, comme l’émeraude est fragile de soi, néanmoins, elle est belle et d’une couleur verte ; de même soudain soin mensonge sera bientôt anéanti ; il fera néanmoins l’âme belle à raison de la rémunération et récompense de la patience invincible.
La quatrième pierre est la marguerite, perle que vous donna celui qui , en votre présence, offensa d’injures l’ami de Dieu, desquelles injures vous aviez plus de ressentiments que les vôtres. Partant, comme la perle est belle et blanche, elle soulage les passions du cœur ; de même la douleur d’amour introduit Dieu en l’âme, et apaise les passions de l’ire et de l’impatience.
La cinquième pierre est une topaze. Celui qui vous parlait amèrement vous a donné cette pierre, lequel vous avez béni au contraire. Partant, comme la topaze est d’une couleur d’or et garde la chasteté et la beauté, de même il n’y a rien de si beau ni de plus agréable à Dieu que d’aimer celui qui nous a lésé et offensés, et de prier Dieu pour ceux qui nous persécutent..
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La sixième pierre est un diamant. Cette pierre vous a été donnée par celui qui vous endommagea grandement le corps, ce que vous tolérâtes avec une grande patience, et ne le voulûtes déshonorer. Partant, comme le diamant ne se casse point avec les coups, mais avec le sang de bouc, de m^me Dieu se plaît grandement qu’on ne se venge point, mais qu’on oublie tout le dommage pour l’amour de Dieu, pensant incessamment à ce qu Dieu a fait pour l’amour de l’homme.
La septième pierre est une escarboucle. Cette pierre vous a été donnée par celui qui vous annonça de fausses nouvelles, vous disant que votre fils Charles était mort, lorsque vous eûtes pris cette mort avec patience et résignation. Partant, comme l’escarboucle luit en la maison, et est très belle en l’anneau, de même l’homme qui est patient en la perte de quelque chose qui lui est très chère, provoque Dieu à l’aimer, reluit en la présence des saints, et agrée comme une pierre précieuse.
Partant , ma fille, demeurez stable, car pour accomplir votre couronne, d’autres pierres vous sont encore nécessaires ; car Abraham et Job, ont été meilleurs, plus connus et plus fameux par la probation, et saint Jean plus saint par le témoignage de la vérité infaillible.
Chapitre 125
La Mère de Dieu parle à sa fille, épouse de Jésus-Christ, mettant en avant une belle figure de sept animaux, par lesquels quatre sortes d’hommes vicieux et trois sortes d’hommes vertueux sont notamment désignés.
La Mère de Dieu parle, disant : Il y a sept animaux.
Le premier a des cornes très-grandes, desquelles enflé de superbe et faisant le guerre contre les autres animaux, il meurt bientôt, d’autant qu’à raison de ses cornes, il ne peur courir vivement, mais il est retenu par les halliers et par les troncs.
Le deuxième animal est petit, ayant une corne, et sous icelle une pierre précieuse ? Cet animal ne peut être pris que par une vierge, car (ici il manque la fin et certains chapitres du Livre 4)