Le samedi et le dimanche sont deux jours de la semaine dont le retour est agréable et à ceux qui aiment la piété et à ceux qui s'occupent de travaux pénibles. Ce sont des jours où, comme une bonne mère, l'Église réunit ses enfants, et invite ses ministres à monter en chaire pour les instruire ; c'est ainsi qu'elle engage les docteurs et les disciples à s'occuper des intérêts du salut éternel. Les discours prononcés hier dans cette enceinte retentissent encore à mes oreilles, et je me rappelle parfaitement le sujet qu'ils ont traité. Il me semble que j'aperçois la croix élevée par le saint prophète Isaïe, les vêtements du Seigneur couverts de sang et aussi rouges que ceux du vendangeur dans le pressoir, le Sauveur Lui-même portant à sa Main la récompense due au Juste. Je vois Salomon tenant d'une main ferme la balance de la justice. Je plains ce débiteur de l'Évangile, qui n'eut pas pour son compagnon la même indulgence que le Seigneur avait montrée pour lui, et qui s'attira par sa dureté un irréparable malheur. Ce sont là, en effet, les textes des discours que nous avons entendus comme peuvent se le rappeler tous ceux qui nous ont suivi avec attention.
L'Esprit saint nous propose aujourd'hui encore d'admirables leçons sur cette table auguste que vous voyez ; mais mon attention s'est particulièrement arrêtée sur la conduite de ces pharisiens qui cherchaient à surprendre le Sauveur par leurs insidieuses questions. Je vois avec pitié leurs tentatives coupables lorsqu'ils veulent tromper par leurs artifices l'Auteur même de la sagesse tandis que le Fils de Dieu les confond sans peine et rend tous leurs efforts inutiles. Il semble qu'Isaïe ait voulu parler d'eux, lorsqu'il a dit : « Il a confondu les savants du monde, Il a prouvé que leur sagesse n'était que folie et il Lui a suffi des paroles de son Fils ». David dit de même : « Ils se sont servis de leur langue pour tromper : juge-les, Seigneur, et qu'ils soient forcés d'abandonner leurs projets ». Toutefois s'ils sont nos adversaires, nous leur devons des remerciements, pour avoir mis la Sagesse divine en demeure de s'expliquer, et en avoir reçu des réponses qui sont pour nous autant de leçons instructives consacrées par les Livres saints. C'est maintenant sur le mariage, c'est-à-dire sur l'acte le plus important de la vie humaine, que tombent les instructions du Sauveur. Il définit son but, ses limites, les principes qui servent à le former ou à le dissoudre. Que les deux sexes m'écoutent avec attention, afin qu'hommes et femmes connaissent réciproquement leurs devoirs : « Peut-on répudier sa femme pour quelque cause que ce soit ? ». Telle est la question posée par les Juifs.
Ici je devine déjà leurs intentions secrètes : ils avaient cru remarquer que les femmes étaient plus disposées à croire à la mission du Christ, à célébrer ses miracles et à reconnaître sa Divinité (et ils ne se trompaient point, comme on en eut la preuve plus tard dans cette foule de femmes qui suivirent le Sauveur jusqu'au lieu de son supplice, et qui pleurèrent amèrement sa mort). Leur but était donc, en L'attirant sur ce terrain dangereux, de lui arracher quelque parole qui Le rendit odieux au sexe faible ; c'était un piège qu'ils Lui tendaient. Mais de son Regard divin Il pénètre leurs artifices, et comme ses préceptes étaient toujours empreintes de la plus douce charité, Il échappe à leurs ruses, et donne une réponse toute en faveur des femmes. Les pharisiens avaient posé leur question, et ils écoutaient avidement pour exploiter les paroles qui sortiraient de la Bouche du Sauveur ; mais trompés dans leur attente, ils se retirent comme des loups à qui leur proie vient d'échapper. La création, leur dit-Il, prouve que le but est de s'unir et non pas de se séparer : l'Auteur de toutes choses a Lui-même établi le mariage et engagé les premiers hommes dans ses liens sacrés ; par cette institution, Il voulut imposer à tous leurs descendants comme une loi inviolable les devoirs de vivre en famille. Ceux qui sont liés par cette étroite union ne forment plus deux personnes distinctes, mais une même chair. Que l'homme ne sépare point ce que Dieu a uni. Tel fut le langage que Jésus Christ tint aux pharisiens.
Écoutez, vous tous qui spéculez sur le sexe faible, qui changez de femme plus souvent que d'habit, qui préparez ou défaites vos couches nuptiales comme les tentes de vos foires, qui envisagez le mariage du même oeil qu'un acte de commerce, qui épousez l'argent qu'on vous apporte en dot, qui regardez les femmes comme un objet mercantile et d'un riche produit, qui pour les raisons les plus futiles demandez une séparation, et qui de votre vivant avez réduit plusieurs femmes à l'état de veuvage. Apprenez et persuadez-vous bien qu'il n'y a que deux causes légitimes qui puissent rompre les liens du mariage, la mort et l'adultère. Cette union sainte, contractée sous les auspices de la religion et de la loi, ne ressemble en rien à ces relations que l'on entretient avec des femmes perdues, relations éphémères dont le seul but est le plaisir. Rien de semblable dans le mariage : ici l'âme et le corps obéissent aux mêmes engagements ; l'union dans le coeur ne doit pas être moins intime que dans la chair. Comment donc vous décidez-vous si facilement à une rupture ? Comment, sans motif important, vous séparez-vous de celle que vous avez choisie pour votre compagne éternelle et que vous n'avez pas reçue pour quelques instants ? Vous abandonnez cette femme, qu'on pourrait appeler votre soeur, en même temps qu'elle est votre épouse. Elle est votre soeur, en effet, par son origine qui vous est commune, et par le caractère que le Créateur a gravé en elle : elle est votre épouse par les liens sacrés que le mariage a établis entre elle et vous. Comment osez-vous rompre si légèrement cette double union, resserrée à la fois par la loi et par la nature ? Comment osez-vous manquer à vos promesses et rompre des engagements solennels ? Et à quels engagements pensez-vous que je fasse ici allusion ? À ceux qui sont consignés dans le contrat, qui est la loi de votre mariage, et garantis par votre signature et par l'empreinte de votre sceau. Ceux-là, sans doute, ont un fondement solide, et méritent tout votre respect. Mais je songe à ces paroles d'Adam : « Voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair ! On l'appellera femme, parce qu'elle a été prise de l'homme. » (Gn 2,23).
Ce n'est pas sans raison que ces paroles ont été conservées dans nos Livres saints ; quoique sorties de la bouche du seul Adam, elles sont destinées à exprimer les sentiments de tous les hommes pour la femme dont ils ont résolu de faire leur légitime compagne. Afin que vous ne trouviez pas étrange que les promesses faites par un seul homme puissent obliger les autres, souvenez-vous que ce que firent nos premiers parents dans les temps qui suivirent leur création fait partie de la loi naturelle qui régit leurs descendants. Si donc votre femme, répudiée sans motif, ouvrait la Genèse et vous montrait ce passage, à vous son juge et son accusateur, dites, qu'auriez-vous à lui répondre ? Par quel moyen éluder le sens formel et significatif de ces paroles prononcées par vous en face des autels, et qui ont été consignées dans l'Écriture sainte, non par un écrivain peu digne de considération, mais par Moïse lui-même, l'ami et le ministre de Dieu ? Le Seigneur, voyant qu'Adam n'avait ni père ni mère, lui donna une femme, afin qu'il en prît soin, et qu'il se montrât son protecteur.
Dans cette sollicitude paternelle qu'il montra en sa faveur, les femmes peuvent puiser un argument puissant contre la perfidie et l'ingratitude des époux : il est évident, en effet, que vous ne pouvez déverser le mépris et l'outrage sur votre compagne sans violer d'abord les lois divines, ensuite les lois humaines.
Rougissez de votre conduite en vous rappelant les douceurs qu'une femme sait répandre sur votre vie. Elle est une partie de vous-même ; elle vous environne constamment de ses soins ; vous la voyez toujours à vos côtés ; vos enfants l'appellent leur mère ; elle est votre secours dans vos maladies, votre consolation dans vos malheurs ; c'est la gardienne de votre maison et de tout ce qui vous appartient. Elle partage vos douleurs et vos joies ; dans la fortune, la possession de vos richesses lui est commune ; dans la pauvreté, elle soutient avec vous le poids de la misère, et cherche, en les partageant, à diminuer les maux qui vous accablent ; enfin que de peine ne se donne-t-elle pas pour élever les enfants qu'elle a eus de vous ? Qu'un malheur survienne, voilà le mari dans l'abattement et le désespoir ; les amis, ou ceux que l'on croyait tels, réglant leur attachement sur les faveurs de la fortune, se retirent à l'approche de l'orage, les esclaves fuient leur maître et la misère dans laquelle il est tombé. La femme reste seule auprès de son mari dans l'affliction ; elle se montre sa servante assidue et dévouée ; elle est attentive à satisfaire à ses moindres désirs, elle essuie ses larmes, elle répand sur ses plaies un baume salutaire ; elle le suit jusqu'au fond des cachots, et si l'on ne veut pas lui laisser une libre entrée, elle demande à s'enfermer avec lui ; qu'on lui refuse cette faveur, et, comme un chien fidèle, elle ne quitte point les portes de la prison. Nous avons connu nous-même une femme qui s'était fait couper les cheveux et, qui avait pris des habits d'homme pour ne pas se séparer de son mari obligé de s'enfuir et de se tenir caché. Tandis qu'elle se livrait aux pénibles travaux d'un esclave, cette femme admirable obéissait aux affections de son coeur ; elle mena cette pénible vie pendant plusieurs années de suite, changeant continuellement de retraite et allant avec son mari de solitude en solitude.
Tel fut aussi, selon le témoignage des saintes Écritures, le dévouement sublime de la femme de Job. Le saint patriarche était réduit à l'isolement, les flatteurs avaient abandonné une maison d'où s'étaient retirées les richesses ; l'attachement des amis les plus dévoués ne put résister à l'épreuve. Si quelques-uns restèrent fidèles, ce fut plutôt un mal qu'un bien, ils contribuèrent plutôt à augmenter les maux de Job qu'à les adoucir ; au lieu de chercher à soutenir son courage, ils se lamentaient en sa présence. Dans cet abandon général, sa femme, qui naguère occupait un rang élevé, sa femme, accoutumée au luxe et aux jouissances de la fortune, resta seule auprès de lui ; enfermée dans un lieu infect, elle pansait les ulcères affreux dont il était couvert, les nettoyant de leurs ordures, écartant les vers qui les rongeaient ; cette femme précieuse était une amie véritable et non une compagne de plaisirs : elle n'était point esclave de la volupté, celle qui ne se laissa point rebuter par un ministère si plein de dégoûts ; elle fut l'unique consolation de Job dans sa détresse et dans l'abandon où le laissèrent ses parents et ses amis. L'extrême attachement qu'elle avait pour son mari lui mit même le blasphème dans la bouche ; pour mettre un terme aux maux affreux auxquels elle le voyait en proie, elle lui conseilla de hâter l'instant de sa mort et de se mettre ainsi en révolte contre Dieu. Oubliant son veuvage et la solitude à laquelle elle serait réduite, elle ne songeait qu'à voir son mari délivré d'une vie pire que la mort. Voilà des exemples puisés dans les temps anciens et modernes et qui prouvent combien sont coupables ceux qui traitent la femme avec si peu de ménagements et d'équité.
Que peut alléguer pour sa justification celui qui est tombé dans une pareille faute ? Le caractère de sa femme, dira-t-il, est méchant et insupportable, sa langue est prompte et téméraire, ses goûts l'éloignent des soins domestiques, elle n'entend rien à la conduite du ménage. Admettons que tous vos reproches soient fondés, supposons que tout soit vrai dans vos paroles ; je veux me conduire à votre égard comme un de ces juges peu expérimentés, qui prêtent une oreille crédule à toutes les assertions des accusateurs. Je vous le demande, lorsque vous avez conclu votre mariage, ne saviez-vous pas que vous épousiez une créature humaine ? Or tout être mortel n'est-il pas rempli de vices et de faiblesses ? Y a-t-il un autre que Dieu qui soit infaillible et parfait ? Ne vous est-il jamais arrivé de tomber en faute, et votre épouse n'a-t-elle jamais eu à se plaindre de votre caractère ou de vos habitudes ? Votre conduite a-t-elle été constamment irréprochable ?
Avez-vous observé scrupuleusement les devoirs que vous imposait votre titre d'époux ? Votre femme n'a-t-elle point eu à souffrir de vos mauvais traitements, lorsque vous vous êtes mis en état d'ivresse ? N'avez-vous pas vomi alors contre elle toutes sortes d'injures et de paroles outrageantes ? Que de choses honteuses, que de désordres qui sont restés inconnus, grâce à la discrétion d'une épouse ! Combien de fois n'a-t-elle pas eu à supporter des colères ou des emportements sans motif ? Et, quoique libre et d'une condition égale à la vôtre, elle s'est résignée et a gardé le silence comme une esclave achetée au marché. Lorsque votre avarice lui refusait le nécessaire, lorsque la misère était au logis par suite de vos dérèglements, elle en a été affligée, mais elle a modéré ses plaintes. Lorsque, revenant de quelque orgie, vous vous êtes présenté chargé de vin et proférant des discours insensés, a-t-elle refusé de vous recevoir ? Vous a-t-elle repoussé ? Malgré cet abrutissement où vous étiez réduit, ne vous a-t-elle pas accueilli avec l'indulgence que peut inspirer la plus douce humanité ? Ne vous a-t-elle pas conduit vers le lit, tandis que vous l'accabliez et d'injures et de coups ? N'a-t-elle pas pris soin de cette tête délirante et affligée par les vapeurs du vin ? Seule, elle a eu pitié de vous lorsque le trouble de vos esprits vous rendait la risée même de vos serviteurs. Et vous, sur le plus léger prétexte, vous ne rougissez pas d'aller dans les rues et les places publiques, déclamant avec force contre votre épouse, afin que tout ce bruit vous ménage une justification, et prépare les voies au divorce que vous méditez ? Race d'hommes impitoyables et féroces, nés, comme l'on dit, au milieu des rochers et des pierres, qui, oubliant en un instant de longues années passées ensemble, vous séparez sans regret de la compagne à qui vous aviez juré un attachement éternel ! Quel est le malade assez insensé pour amputer un membre, lorsque le mal est sans gravité, et que la guérison en est presque certaine ? Qu'une pustule vienne à naître sur notre main, nous songeons vite à la guérir, qu'une inflammation se déclare à notre pied, nous arrêtons le mal par quelque remède. Renonçant au secours de la médecine, si nous recourions au fer dès que la douleur se fait sentir sur quelque partie de notre corps, certes nous serions bientôt privés de tous nos membres.
Gardons-nous de cette folie, ô mes chers auditeurs ; conservons nos membres avec soin ; de même laissez-vous toucher par les nombreux services que vous rendent vos femmes, et craignez d'avoir à rougir de votre ingratitude. Lorsqu'elles vous causent quelque chagrin, et que vous êtes prêts à vous emporter, souvenez-vous des douleurs qu'elles endurent pour vous donner des enfants et vous comprendrez qu'il n'y a aucune comparaison entre vos peines et leurs souffrances. Mettez bien sous vos yeux les jouissances que vous procure leur amour, les soins qu'elles vous prodiguent dans vos maladies, la part qu'elles prennent à toutes vos afflictions, à tous vos malheurs, les larmes que souvent elles ont versées pour vous. Souvenez-vous que votre femme s'est arrachée à la tendresse de ses parents, s'est éloignée du toit qui l'a vue naître, pour s'attacher à vous qui n'étiez qu'un étranger pour elle. Combien de fois, peut-être pour adoucir votre humeur et ressaisir vos bonnes grâces, n'a-t-elle pas sacrifié ses économies personnelles ! Que tant d'affection et de dévouement lui conserve votre coeur, qu'il resserre les liens qui vous unissent à elle, et qui semblent prêts à se relâcher, qu'il raffermisse votre amour, cet amour qui ressemble à un édifice chancelant sur ses bases ! 0uvrez votre coeur à la pitié, n'oubliez pas ainsi les jours passés dans une étroite union, et ne vous montrez pas plus insensibles que les brutes, puisqu'une telle séparation est toujours douloureuse. J'ai entendu les tristes mugissements d'un boeuf que le hasard avait séparé de son troupeau et le bêlement d'une brebis isolée ; je l'ai vue parcourir avec inquiétude les monts et les bois jusqu'à ce qu'elle eût rejoint ses compagnes dont elle s'était séparée en paissant. Une chèvre s'était de même égarée ; elle rencontra plusieurs troupeaux dans sa course, mais elle ne s'arrêta qu'en retrouvant celui dont elle faisait partie et le berger qui le conduisait. Nous qui sommes doués de raison, ne soyons pas plus durs que les brutes elles-mêmes, et ne montrons pas moins d'attachement pour nos femmes que pour le premier passant qui se trouve sur notre route, ou que le hasard nous amène. Vous savez que lorsqu'on a marché quelque temps ensemble, lorsqu'on s'est trouvé sous un même toit, ou qu'on s'est reposé en même temps à l'ombre d'un arbre durant la chaleur du jour, des liaisons s'établissent entre ceux qu'un hasard a réunis, et qu'au moment où il faut se séparer pour suivre des routes différentes, on éprouve quelques regrets, on se sent ému, on s'éloigne en se regardant et après s'être donné des assurances d'un attachement mutuel ; à quelque distance on se retourne encore pour s'adresser de nouveaux adieux ; quelques instants ont suffi pour faire naître des sentiments affectueux et rendre la séparation pénible. Et votre femme est sans prix pour vous : elle est votre égale par sa condition ; c'est avec elle que vous avez longtemps vécu, et vous ne l'estimez pas plus qu'un meublé usé, qu'un vieux manteau, vous en souciant aussi peu que d'un chien qui se serait enfui de votre demeure ! Qu'est devenue cette amitié dont jadis vous donniez tant de témoignages ? Avez vous oublié cette vie intime, ces plaisirs goûtés en commun ? Où est le respect dû à une union légitime ? Où sont les égards commandés par l'habitude, qui devient presque une nécessité de la nature, comme le démontre l'expérience, et comme la raison le veut ? Vous avez brisé tous ces liens avec plus de facilité que Samson ne brisa les cordes dont on se servit pour le garrotter.
Un homme ferme et plein de probité garde précieusement la mémoire d'une épouse ; il aime ses enfants, parce que c'est un don qu'elle lui a fait de concert avec la nature et il croit voir respirer en eux celle qui n'est plus. Celui-ci a le même son de voix : celui-là porte les mêmes traits ; cet autre a les mêmes façons et le même caractère. C'est ainsi que ce père, entouré des portraits vivants et animés de son ancienne compagne, ne perd pas un instant le souvenir de cette union que la mort est venue briser, et repousse toute idée de contracter un engagement nouveau. Celui qui naguère s'occupait à ériger un monument funèbre ne songe point à jeter des fleurs sur un lit nuptial, et il ne quittera pas sitôt le deuil et les larmes pour se livrer aux joies d'un second mariage ; il ne se hâtera pas de quitter l'habit noir, qui témoigne de sa douleur, pour revêtir des habits de noce : il n'introduira pas une nouvelle femme dans ce lit qu'une autre vient tout récemment de quitter ; il n'admettra pas chez lui une marâtre que ses enfants auraient en aversion ; il imitera la tourterelle dont la fidélité est due, il est vrai, non à la raison mais à un l'instinct naturel. Quand cet oiseau a perdu sa compagne il se condamne à un veuvage éternel ; bien différent de la colombe qui vole aussitôt à de nouvelles amours.
Jusqu'ici nous avons mis tous les torts du côté du mari, nous; l'avons supposé dans des circonstances où sa demande en séparation serait un acte de la plus noire ingratitude ; mais s'il s'autorise des dérèglements de sa femme, je me range de son côté et je poursuis le coupable : au lieu de me déclarer son ennemi, je me proclame son défenseur ardent. Je le louerai de fuir une perfide, de rompre un lien qui l'attache à un aspic, à une vipère. Le Maître de l'univers lui accorde sa Grâce ; car son coeur a été pénétré d'une douleur amère, et il n'a aucun tort de chasser de sa demeure une peste, un fléau. Le mariage a un double but, celui de vivre dans une mutuelle affection et d'obtenir des enfants : l'adultère ne remplit ni l'un ni l'autre. Quel amour une femme peut-elle avoir pour son mari lorsque son coeur est livré à un penchant criminel ? Et comment un mari outragé peut-il envisager des enfants qui doivent le jour aux désordres de leur mère ? Mais tout ce qui regarde ce péché a été traité avec étendue dans un autre endroit. Que les époux se gardent mutuellement une fidélité sévère ; ce n'est qu'à cette condition que le mariage est indissoluble. Alors il régnera entre eux harmonie et tendresse, parce que l'âme, pure de toute affection coupable, est livrée tout entière à l'ardeur d'un sentiment légitime. Cette loi d'une sage continence n'a pas été seulement imposée aux femmes, Dieu l'a étendue même sur les hommes. Mais quelques-uns, abusant du privilège accordé par les législateurs profanes, qui ne mettent point de frein au libertinage des hommes, s'établissent les juges de la vertu des femmes et ne craignent pas de s'abandonner eux-mêmes aux plus impudents désordres, justifiant ainsi ce proverbe : « Ils veulent guérir les autres, et ils sont couverts d'ulcères ». Qu'on leur reproche leurs écarts, ils répondent à ces accusations avec légèreté ou par un sourire. Que les hommes, disent-ils, entretiennent commerce avec différentes femmes, ils ne portent aucun préjudice à leurs familles, tandis que les femmes ne peuvent prendre la même liberté sans introduire des étrangers héritiers dans la maison.
Qu'ils m'écoutent, ceux qui allèguent des justifications aussi absurdes, et qu'ils apprennent que leurs dérèglements sont la cause des plus graves désordres dans les familles ; les compagnes qu'ils fréquentent sont nécessairement ou filles ou mariées ; alors c'est un mariage où l'on veut arriver par des voies honteuses, c'est un père qu'on afflige. Hélas ! Il avait élevé sa fille avec soin, et il espérait la conduire vierge encore au lit nuptial : cette douce attente est détruite par ces ravisseurs indignes, par ces ennemis de la pudeur. Si celui qui consomme de telles infamies est père de famille qu'il songe à la douleur que doit éprouver un père si cruellement déçu ; s'il est époux, qu'il se figure qu'une pareille atteinte a été portée à son honneur. Tout en effet vivrait en bonne intelligence, si chacun observait pour autrui ce qu'il voudrait que chacun observât pour lui. S'imaginer d'après la loi romaine, qu'il n'y a rien de criminel dans une oeuvre d'impudicité, c'est embrasser l'erreur, c'est ignorer que les préceptes de Dieu diffèrent souvent des lois établies par les hommes. Écoutez l'interprète des volontés divines, Moïse, prononçant les plus terribles menaces contre ceux qui s'abandonnent à l'impureté ; écoutez saint Paul qui dit : « Dieu jugera les impudiques et les adultères » (He 13,4). Les législateurs profanes ne pourront vous être d'aucun secours lorsque vous serez en présence de votre juge ; tremblants, pleins d'effroi, à peine auront-ils eux-mêmes la force de se tenir sur leurs pieds. Platon, ce grand faiseur de rois, qui a surpassé tous les autres par l'éclat et la force de son éloquence, sera taxé de folie et d'ignorance. Quelle épouvante lorsqu'ils entendront la condamnation de ces malheureux à qui ils avaient accordé toute licence ! Ils auront leur part aux crimes qu'ils n'ont pas défendus, et seront déclarés doublement coupables pour avoir commis le péché et pour avoir permis aux autres de le commettre. Ceux donc qui désirent trouver de la pudeur et de la vertu dans leurs femmes doivent être eux-mêmes des modèles par la régularité de leurs moeurs ; les premiers ils doivent donner l'exemple des vertus qu'ils aiment à voir fleurir dans leurs épouses.