CHAPITRE XXIII
Précédente Accueil Remonter Suivante


rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

Accueil
Remonter
AVIS DE L'ÉDITEUR
CHAPITRE I
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII
CHAPITRE VIII
CHAPITRE IX
CHAPITRE X
CHAPITRE XI
CHAPITRE XII
CHAPITRE XIII
CHAPITRE XIV
CHAPITRE XV
CHAPITRE XVI
CHAPITRE XVII
CHAPITRE XVIII
CHAPITRE XIX
CHAPITRE XX
CHAPITRE XXI
CHAPITRE XXII
CHAPITRE XXIII
CHAPITRE XXIV
CHAPITRE XXV
CHAPITRE XXVI
CHAPITRE XXVII
CHAPITRE XXVIII
CHAPITRE XXIX
CHAPITRE XXX
CHAPITRE XXXI
CHAPITRE XXXII
CHAPITRE XXXIII
CHAPITRE XXXIV
CHAPITRE XXXV
CHAPITRE XXXVI
CHAPITRE XXXVII
CHAPITRE XXXVIII
CHAPITRE XXXIX
CHAPITRE XL
CHAPITRE XLI
CHAPITRE XLII
CHAPITRE XLIII
CHAPITRE XLIV
CHAPITRE XLV
CHAPITRE XLVI
CHAPITRE XLVII
CHAPITRE XLVIII
CHAPITRE XLIX
CHAPITRE L
CHAPITRE LI
CHAPITRE LII
CHAPITRE LIII
CHAPITRE LIV
CHAPITRE LV

CHAPITRE VINGT-TROISIÈME. Cruautés des donatistes et bienveillante intervention de saint Augustin. —  Les quatre livres contre Cresconius. —  Emeute païenne contre les chrétiens de Calame. —  Description de Calame. .(405-408.)

 

413

 

A mesure que la double puissance du génie et de la modération d'Augustin relevait l'Eglise d'Afrique, les donatistes donnaient libre carrière à leurs passions jalouses ou haineuses. Les circoncellions et leurs atroces imitateurs ne laissaient plus de paix aux catholiques. Les coups de bâton et les coups d'épée ne suffisaient pas à leur vengeance; ils avaient imaginé de brûler les yeux des fidèles avec de la chaux détrempée dans du vinaigre (1). Ils avaient inventé des armes nouvelles pour accomplir des maux plus grands. L'évêque de Thubursy, tombé entre les mains de donatistes armés, n'échappa qu'avec peine à la mort. Maximien, évêque catholique de Bagaï en Numidie (l'ancienne Bagasis), coupable de s'être mis en possession d'une basilique vendue judiciairement aux fidèles, faillit périr sous les coups des donatistes. L'autel qui lui servit de refuge fut renversé et l'écrasa de ses débris. Les bourreaux traînèrent dans la poussière le corps sanglant du pontife ; le hasard voulut que la poussière amoncelée sur les blessures de l'évêque arrêtât lesang : c'est ainsi que Maximien conserva la vie. Les catholiques du lieu étant venus chercher leur évêque au bruit du chant des psaumes, les donatistes recommencèrent leur oeuvre avec une rage nouvelle. Au milieu de la nuit, ils précipitèrent le pontife du haut d'une tour; g tomba sur un amas de fumier et ne périt point. Un pauvre homme et sa femme ramassèrent le martyr à la lueur d'une lampe, avec le projet de le céder aux catholiques mort ou vif; ils espéraient en tirer profit. Maximien survécut à ses blessures; quand il eut recouvré ses forces, il s'en alla demander justice à l’empereur Honorius, à Rome, où s'était répandue,

 

1 Possidius et Lettre 880 de saint Augustin. Contra Cresconium dont, lib. III, n. 46.

 

ainsi qu'à Constantinople, la nouvelle de sa mort : les fidèles des bords du Tibre crurent voir un martyr ressuscité.

Un prêtre du diocèse d'Hippone, appelé Restitutus, qui, de son propre mouvement, était revenu du parti des donatistes à la communion catholique, avait été en butte à d'horribles violentes. Les donatistes l'arrachèrent de sa demeure, le battirent, le traînèrent dans un bourbier, et puis, voulant en faire un objet de risée, ils l'habillèrent de natte et le promenèrent aux yeux de la multitude. Le prêtre ne sortit des mains ennemies qu'après douze jours de persécution.

Possidius, évêque de Calame, s'en était allé à une petite cité, appelée Figuli, pour visiter des catholiques et chercher à ramener à l'unité les chrétiens errants. On lui dressa une embuscade sur le chemin; comme il l'évita, il retrouva ses ennemis dans le village de Lives. On mit le feu à la maison où était logé Possidius l'incendie fut trois fois éteint et trois fois rallumé; à la fin, les habitants du village triomphèrent des flammes et des malfaiteurs, et l'évêque se sauva.

Augustin, le chef et l'âme de la lutte contre les donatistes, n'opposait à cette guerre odieuse qu'un esprit de paix et le désir de rétablir l'unité dans un concile. Il inspirait sa miséricorde à ses frères dans le sacerdoce ou l'épiscopat. Crispinus, évêque donatiste de Calame, avait été convaincu d'hérésie devant le proconsul; il devait payer l'amende de dix livres d'or, à laquelle les lois de Théodose condamnaient les hérétiques. Possidius, malgré le danger qu'il avait couru , intervint auprès du procureur ou juge (1) pour que l'amende de Crispinus fût légère; on eut égard à sa demande. Mais Crispinus

 

1 Cognitor.

 

 

114     

 

eut la malheureuse idée d'en appeler à l'empereur, pour ne pas laisser s'établir un précédent qui soumettait les donatistes à la condition des hérétiques. Le résultat de cet appel fut une condamnation plus solennelle à l'amende de dix livres d'or prononcée contre Crispinus et ses pareils.

L'intervention des évêques catholiques surtout la haute influence d'Augustin parvinrent à décharger les donatistes du poids de cette amende. Des députés du concile de Carthage, tenu le 26 juin 404, avaient demandé à l'empereur que la peine tombât seulement sur ceux dans le territoire desquels il se commettrait des violences contre les catholiques. Le complément de la peine était la privation du droit de tester et d'hériter. Cette résolution avait été inspirée par l'évêque d'Hippone , qui, contrairement à l'opinion d'autres évêques africains, ne voulait recourir à l'autorité impériale qu'afin de mettre les populations catholiques à l'abri des violences des donatistes. La plupart des autres pontifes étaient d'avis d'employer le pouvoir temporel pour forcer les donatistes à rentrer dans la communion catholique. En sollicitant dans ces termes la mise en vigueur du décret de Théodose, on ne contraignait point à la foi par voie de politique, mais on invoquait le secours des lois dans le dessein de protéger la vie, les intérêts, la liberté d'une portion considérable de sujets africains. Sous prétexte de tolérance, eût-il fallu donner aux méchants le droit d'opprimer les faibles? Nous tenons à constater la part d'influence d'Augustin dans le concile de 404, parce qu'elle fut glorieuse; le pontife d'Hippone fit triompher ses pensées de modération dans la grande assemblée épiscopale; il bannit de l'ordre spirituel l'intervention de la force politique, et ne songea à s'appuyer sur les lois que pour défendre des milliers de catholiques en butte à d'horribles fureurs.

Les plaintes de tant d'évêques frappés parles donatistes, et surtout la sanglante histoire de Maximien, évêque de Bagaï, avaient irrité l'empereur Honorius ; les deux députés des conciles de Carthage, Théase et Evode, que Pétilien appelle les coureurs et les émissaires des traditeurs, eurent peu de succès avec la bienveillance de leur message; la mansuétude d'Augustin, qui avait prévalu dans le concile de Carthage, fut mal accueillie au milieu des vifs mécontentements de la cour impériale.

Des lois publiées en 405, et datées de Ravenne, condamnaient énergiquement les donatistes et les classaient parmi les hérétiques. Dans les préliminaires des lois d'Honorius, on trouve, au sujet du baptême, ces paroles citées plus tard par Augustin : « Si le baptême doit être réputé défectueux et nul parce que ceux qui l'ont administré sont regardés comme des pécheurs, il faudra donc réitérer ce sacrement toutes les fois qu'il aura été conféré par un ministre indigne. Ainsi notre foi ne dépendra plus de la disposition de notre volonté, ni du bienfait de la grâce de Dieu, mais du mérite des évêques et des ecclésiastiques. » — « Que ces évêques fassent mille conciles, disait Augustin aux donatistes, et s’ils répondent seulement à ces lignes, nous nous soumettons à tout ce que vous voudrez. »

Les clercs et les circoncellions du diocèse des Cases-Noires, dans la Numidie, se livraient à de coupables violences. Le clergé catholique d'Hippone en souffrait; il s'en plaignit à Janvier, évêque donatiste de cette ville, dans une lettre datée de 406 et rédigée par Augustin (1). Quoique Janvier, à cause de son grand âge, ne dût pas ignorer ce qui s'était passé , cette lettre lui rappelait les principaux détails du procès fait à Cécilien, et les échecs successifs de ses accusateurs. Les donatistes vaincus répétaient que leurs affaires ne regardaient pas l'empereur; mais ne furent-ils pas les premiers à traduire Cécilien devant Constantin, et à solliciter les jugements des princes temporels? La lettre leur dit qu'ils se plaignent à tort des ordonnances impériales portées contre eux, et qu'ils sont victimes de leurs propres calculs. Ceux qui firent jeter Daniel aux lions furent jetés eux-mêmes dans la fosse terrible, après que le jeune prophète fut délivré: auraient-ils eu le droit de crier contre Daniel? Il en est de même des donatistes, qui s'en prennent à l'Eglise catholique, après que l'autorité impériale a prononcé contre eux. D'ailleurs, la nécessité de ne pas se laisser tout à fait écraser par les clercs donatistes et les circoncellions a seule déterminé les catholiques à s'armer des ordonnances des empereurs. A la fin de sa lettre, le clergé d'Hippone propose une conférence pour résoudre la question religieuse, ou supplie que le pays d'Hippone soit délivré d'intolérables brigandages.

Nous trouvons les mêmes plaintes et quelques-unes des mêmes idées dans une lettre

 

1 Lettre 88.

 

115

 

d'Augustin de la même année, adressée à Festus , officier de l'empire , possesseur de grands domaines aux environs d'Hippone. L'évêque insiste sur l'absurdité de se séparer du monde chrétien pour un fait qui ne peut être apprécié qu'en Afrique. Le parti de Donat anathématise toute la terre, parce qu'elle ne se prononce pas sur des crimes qu'elle ne connaît pas. Il faudra rebaptiser toutes les nations, parce que des évêques africains sont accusés d'avoir livré les Ecritures divines aux païens ! Augustin parle de conversions sincères et durables obtenues par la crainte des lois; on ne se contente pas, dit-il, de battre le rempart de la mauvaise habitude par la terreur des puissances séculières ; on travaille en même temps à édifier la foi. L'évêque exprime à Festus le désir de le voir mettre plus activement son crédit à ramener doucement les gens du pays d'Hippone, placés sous sa dépendance. L'année auparavant, l'évêque avait recommandé son cher troupeau d'Hippone à la vigilance de Cécilien, gouverneur de Numidie.

Nous avons parlé d'une lettre de Pétilien, évêque donatiste de Constantine, et de trois livres de réponse d'Augustin. Un grammairien donatiste, appelé Cresconius, après avoir lu le premier livre d'Augustin, entreprit la défense de Pétilien, et adressa son ouvrage en forme de lettre à l'évêque d'Hippone. Cresconius accusait l'éloquence d'Augustin d'égarer les intelligences faibles ; il faisait un crime au grand docteur de sa puissante dialectique, qu'il regardait comme dangereuse pour la vérité. L'évêque d'Hippone lui répondit par quatre livres, en 406. Il commença par venger l'éloquence attaquée par le grammairien donatiste, qui avait appelé à son secours des passages de l'Ecriture dont il altérait le texte. Le livre des Proverbes dit: « Vous n'éviterez point le péché en parlant beaucoup. » Ex multiloquio non effugies peccatum (1). Cresconius avait substitué au mot multiloquio ces mots: multa eloquentia. Or, le bavardage et l'éloquence ne sont pas une même chose. L'un est un défaut, l'autre est une belle faculté. Si l'éloquence a été quelquefois employée à la défense des erreurs, ce n'est pas une raison pour l'accuser. Faudra-t-il proscrire les armes, parce qu'il s'est rencontré des hommes qui les ont tournées contre leur patrie? Mais, dit Augustin à Cresconius, je crois que vous avez songé à accuser l'éloquence,

 

1 X, 19.

 

parce que vous avez vu que je passais pour éloquent; vous avez espéré éloigner ainsi de moi ceux qui me lisent ou ceux qui m'écoutent, en leur inspirant de la défiance. —  Cresconius a confondu ainsi l'éloquence avec cet art du sophiste que Platon aurait voulu proscrire de la cité et de la société du genre humain , et que l'Ecriture avait déjà flétri: « Celui qui parle d'une façon sophistique, dit l'Ecclésiaste (1), est odieux. » Augustin dit à Cresconius que ce n'est pas sincèrement, mais par esprit de contradiction, qu'il a eu l'idée d'attaquer l'éloquence, lui qui a vanté l'éloquence de Donat, de Parménien et d'autres chefs de ce parti ; combien elle eût été utile si elle avait coulé en aussi grand fleuve pour la paix du Christ, pour l'unité, la vérité, la charité ! Cresconius lui-même ne s'est-il pas efforcé d'être éloquent contre l'éloquence?

Le grammairien donatiste s'était étonné de l'orgueilleuse prétention d'Augustin de vouloir terminer à lui seul une question qui avait déjà occupé tant d'évêques des deux partis sans résultat définitif. Augustin répond qu'il n'est pas seul dans la lutte, qu'il,n'est pas, seul à vouloir que cela finisse, bien plus, à vouloir faire reconnaître que cela est fini. Cresconius jugeait infructueux les efforts de l'évêque d'Hippone. S'il avait pu voir jusqu'à quel point l'erreur s'était étendue sur l'Afrique, et combien peu il restait de donatistes en dehors de la paix catholique, il n'aurait pas déclaré inutiles les travaux des défenseurs de l'unité chrétienne.

Le donatisme, à bout de raisons, proclamait lui-même sa propre défaite, en voulant bannir toute dispute et mettre la dialectique en suspicion. Augustin répondait que le Christ, notre divin modèle, avait lui-même disputé avec les Juifs , les pharisiens , les sadducéens; que les prophètes de l'ancienne loi avaient agi ainsi pour ramener, et que saint Paul avait disputé avec les Juifs et les Gentils. La dialectique, qui n'est que la science de la dispute, était en honneur parmi les anciens philosophes. Les docteurs donatistes engageaient à fuir Augustin comme dialecticien ; il aurait mieux valu essayer de le réfuter. « J'examine votre discours, celui-là même que vous m'avez adressé, dit l'évêque d'Hippone à Cresconius ; j'y trouve une parole abondante et ornée , c'est là de l'éloquence; j'y vois de l'adresse et de la subtilité dans la discussion, c'est là de la dialectique ;

 

1 XXXVII, 23.

 

116

 

et cependant vous blâmez l'éloquence a et la dialectique. Si ces choses sont dangereuses; pourquoi en usez-vous? Si elles ne le sont pas, à quoi bon vos reproches? » Le dialecticien digne de ce nom est celui qui sépare le vrai du faux, et non pas celui qui cherche à tromper avec des piéges subtils et des questions captieuses: il a besoin de l'appui divin pour atteindre à la vérité. Il amène les hommes, par voie de déduction et de conséquence, à ce qu'ils ignoraient ou à ce qu'ils refusaient de croire. Les dialecticiens n'ont rien de commun avec ces disputeurs à qui le Christ disait: « Pourquoi me tentez-vous, hypocrites? » La doctrine chrétienne ne redoute pas la dialectique; le grand Apôtre n'eut pas peur des stoïciens , qui possédaient cet art à un rare degré. Le reste du premier livre contre Cresconius est une démonstration de l'unité du baptême et de l'indépendance de son efficacité.

Le deuxième livre est une suite de l'examen de la lettre ou de l'ouvrage de Cresconius. Le grammairien, voulant avoir raison au moins une fois, s'était mis à soutenir que les partisans de Donat auraient dû s'appeler donatiens plutôt que donatistes, comme les partisans d'Arius se nomment ariens et ceux de Novat novatiens. Augustin répond que Cresconius peut avoir raison, mais qu'il a trouvé le mot donatiste reçu en Afrique lorsqu'il a commencé ses travaux, et qu'il n'a pas eu l'idée de le changer. Il ajoute plaisamment que celui à qui on accorde tant d'éloquence ne sait pas encore décliner, et que désormais on ne doit plus craindre un homme qui a encore besoin de recevoir des leçons de grammaire. Cresconius ne voulait pas que les donatistes fussent appelés hérétiques, mais seulement schismatiques. Il n'y a pas hérésie, disait-il, lorsque la religion et les sacrements sont les mêmes, lorsqu'il n'y a aucune différence dans la pratique chrétienne. —  Mais si nous avons les mêmes sacrements, s'écrie Augustin, pourquoi donc rebaptisez-vous? Vous vous séparez de nous sur la question du baptême, et par là vous êtes hérétiques. —  Pétilien avait dit : « Il faut faire attention à la conscience de celui qui donne, puisqu'elle doit purifier la conscience de celui qui reçoit. » L'évêque donatiste de Constantine appliquait cette parole à l'administration du baptême. Cresconius l'avait défendue, mais Augustin ruine cette défense et montre que c'est la vertu du Christ qui purifie et non pas la bonne conscience de celui qui baptise. Cresconius invoquait à l'appui du donatisme le grand nom de Cyprien ; Augustin répond à ce sujet dans le sens que nous avons indiqué ailleurs. C'est par là qu'il termine son deuxième livre et qu'il commence son troisième. Ce troisième livre rappelle des faits importants dans la question du donatisme, soit pour la controverse, soit pour les brutalités souvent sanglantes que les catholiques d'Afrique eurent à subir.

Nous avons parlé des maximianistes, qui formaient une des sectes du parti donatiste. Maximien avait été élevé au siège épiscopal de Carthage contre le donatiste Primien, qui occupait ce siège. Le concile de Bagaï , composé de trois cents évêques de ce parti, condamna en 394 Maximien comme ennemi de l'Eglise, comme ministre de Dathan, Coré et Abiron, et condamna aussi les douze évêques qui avaient concouru à son ordination. Le quatrième et dernier livre d'Augustin contre Cresconius est une réfutation du grammairien donatiste, par le seul examen de la condamnation de Maximien et de ses adhérents. Cresconius proscrivait la dispute, mais il y avait eu dispute pour retrancher Maximien du sein de la communion donatiste. Les donatistes ne reconnaissent que le baptême conféré dans leurs rangs, et nient l'efficacité du sacrement administré par des mains qui ne sont pas saintes; mais les maximianistes baptisés dans un schisme sacrilège (schismata sacrilega, ce sont les termes de la sentence du concile) et qui sont revenus à la communion donatiste, n'ont pas été soumis à un nouveau baptême ! Pourquoi cette contradiction ? Augustin se sert ainsi de la cause de Maximien pour achever de mettre en déroute son adversaire. Dans l'ouvrage dirigé contre Cresconius, nous avons retrouvé beaucoup de choses que nous avions déjà vues dans les trois livres contre les lettres de Pétilien : cette répétition était inévitable, puisqu'il s'agissait de réfuter le défenseur de l'évêque donatiste de Constantine. En lisant les quatre livres contre le grammairien , nous admirions une intarissable abondance de preuves, d'interprétations et de pensées dans un sujet que l'évêque d'Hippone a traité si souvent et qu'il semble épuiser toutes les fois qu'il le traite (1).

La mort de saint Jean Chrysostome, le 14

 

1 La Revue de saint Augustin (livre II, chap. 27, 28, et 29) fait mention de trois écrits qui ne sont point parvenus jusqu'à nous, et dont l'examen eût trouvé ici sa place : ces trois écrits sont : 1° Probationum et testimoniorum contra donatistas liber unus; 2° Contra nescio quem donatistam liber; 3° Admonitio donatistarum de maximianistis.

 

117

 

septembre 401, à Comane, dans le Pont, où les exils l'avaient rejeté, affligea sans doute le coeur d'Augustin; il avait dû s'émouvoir des malheurs de cette grande victime des odieuses intrigues de la cour de Byzance, de cette belle intelligence qui représente tout ce que pouvait le génie grec devenu chrétien, admirable orateur, le plus grand de ces premiers siècles de l'église, et dont le temps ne fait que rajeunir la gloire. On sait que Rome se sépara de Théophile d'Alexandrie, coupable des malheurs du saint archevêque de Constantinople. L'Eglise d'Afrique ne cessa pas la communion avec le patriarche d'Alexandrie par des considérations qui tenaient aux intérêts religieux des peuples.

En vertu des lois d'Honorius, du 24 novembre 407, le paganisme agonisant perdit le droit de célébrer ses solennités. Les païens d'une cité d'Afrique, Calame, ne tinrent aucun compte du décret impérial; ils célébrèrent le ter juin de l'année 408 leur fête solennelle, peut-être la fête de Flore. Mais le plus répréhensible, ce furent les outrages et les violences dont ils accablèrent les chrétiens de la ville. Les troupes de danseurs de la fête passèrent devant la porte de l'église pour insulter à la majesté de Jésus-Christ : ce qui ne s'était pas fait même au temps de Julien l'Apostat. Les clercs ayant essayé d'empêcher cette insulte impie, on fondit à coups de pierres sur eux et sur tous ceux qu'on trouva dans l'église. Au bout de huit jours, l'évêque de Calame notifia à l'assemblée de la ville les lois impériales, quoiqu'elles ne fussent ignorées de personne; mais l'exécution des lois réveilla la fureur populaire; on attaqua l'église à coups de pierres. Deux jours après, les magistrats de la cité refusèrent l'audience aux clercs qui demandaient mention de leurs protestations et de leurs plaintes dans les actes publics. Le même jour, une grosse grêle tomba sur la ville; les païens, voulant se venger de cet orage contre les chrétiens, les poursuivirent à coups de pierres pour la troisième fois. Non contents de les lapider, ils mirent le feu à leur église et aux maisons des prêtres; un de ces prêtres fut tué. L'évêque se sauva avec peine dans un trou d'où il entendait les cris de ceux qui le cherchaient pour le faire mourir. Cela dura depuis dix heures du matin jusqu'à la nuit bien avancée, sans que l'autorité s'occupât d'arrêter le désordre. Seulement un étranger se présenta pour délivrer quelques prêtres des mains des païens et arracher aux furieux beaucoup d'objets pillés.

Il y avait à Calame bien des douleurs à consoler, et aussi la fermentation à apaiser parmi la population chrétienne. Augustin s'y rendit, et sa présence fut pour la ville tout entière comme une bénédiction. Les victimes oubliaient leurs maux, les projets de vengeance s'évanouissaient : tout semblait devenir meilleur en présence de tant de génie et de vertu. Les païens de Calame connaissaient la haute autorité et la modération du grand évêque d'Hippone; leurs chefs demandèrent à être admis auprès de lui pour détourner l'expiation terrible qui les menaçait; Augustin ne refusa pas de les recevoir, s'entretint doucement avec eux, et, ne bornant pas son attention aux intérêts du moment, il leur fit entrevoir le chemin de Dieu dans ce langage à la fois suave et ferme qui remuait le coeur des peuples.

Nous songions à cette émeute païenne, à l'illustre Augustin traversant Calame en messager de paix, à son ami Possidius, qui avait là son siège, et dont le nom demeure impérissable en s'attachant à une pieuse biographie du grand évêque; nous songions aux fréquents voyages du docteur d'Hippone au milieu de ce peuple dont le coeur avait tant de peine à s'arracher au polythéisme , lorsque nous cherchions sur les hauteurs de Ghelma, à dix-huit lieues au sud d'Hippone, les vestiges de Calame, une des villes les plus importantes de la Numidie. Bâtie aux derniers penchants d'une montagne appelée Maouna, et dont le sommet est nommé Selle de la jument par les Arabes, Calame voyait la Seybouse couler à ses pieds du nord-ouest au sud-est. L'enceinte de la cité, formant un carré long assez régulier, présente une étendue d'environ 2,500 mètres. Le camp actuel des Français s'élève sur l'emplacement de l'ancien castellum. Il est défendu par une muraille dont une portion appartient à divers âges anciens, et dont le reste a été construit à la hâte avec des pierres antiques à l'époque de notre occupation de Ghelma. A l'extrémité du camp, une belle ruine encore debout m'a semblé représenter la basilique de Calame ; une nef du couchant à l'orient et deux chapelles latérales forment la croix latine. L'ancien théâtre de Calame, situé au nord-est de la ville, frappe l'attention du voyageur; les (118) gradins, les loges, les passages par où entraient et sortaient les acteurs, sont d'une remarquable conservation. Nous voudrions ne pas dire que les Français ont enlevé les assises en marbre des gradins pour restaurer les murs de leur camp. Le théâtre pouvait contenir environ 4,200 spectateurs. Il est tourné vers le point où le paysage se déploie avec le plus de grâce, d'animation et d'éclat : de ce côté, les charmants contours de la Seybouse tracent un demi-cercle à travers une magnifique plaine; au pied de riantes collines qui perdent graduellement leurs riches teintes à mesure qu'elles s'élèvent, et dont la magnificence finit par se fondre dans le gris des montagnes à l'horizon. Les Grecs donnaient à leurs théâtres les plus beaux points de vue, et les Romains, qui avaient hérité de ce goût, le portèrent dans toutes leurs conquêtes.

La partie des anciens murs de Calame, dont la trace seule existe, se présente sur deux mètres de largeur; une forte maçonnerie unit les pierres. On remarque, de distance en distance, des vestiges de tours. La partie des murailles qui environne le camp français offre aussi des abris réservés aux défenseurs de la place ; mais, construits à des époques postérieures, ils sont carrés au lieu d'être ronds. Trois époques, sans parler des travaux français, se montrent dans les murailles de Calame : la première époque romaine, dont les pierres cimentées, renversées par les révolutions et le temps, sont descendues aujourd'hui au niveau du sol, la deuxième époque romaine, où le ciment romain apparaît moins, et qui nous présente de grandes pierres de taille, rangées solidement et avec art; enfin la troisième époque, que nous croyons se rapporter à la domination des Vandales, et dont le caractère est grossier : les pierres de taille sont imparfaitement unies les unes aux autres et sans aucune trace de ciment; des inscriptions, souvent renversées, placées çà et là dans les murailles, attestent l'ignorance de ceux qui, les derniers, ont remué ces pierres.

Deux arcades faisant suite l'une à l'autre attirent les regards et produisent un certain effet sur le point où l'enceinte de Calame se creuse et forme comme un grand ravin : à la vue de cet espace dépouillé, on sent qu'une ville a passé par là; c'est comme le lit funèbre d'une cité.

Nous n'avons pas le temps de nous arrêter aux débris de colonnes, aux autels votifs, aux chapiteaux, aux instructions tumulaires païennes qui abondent à Calame (1) ; nous aimons mieux mentionner le chandelier et la croix (2) en bronze massif trouvés non loin de la cité romaine, et quelques inscriptions chrétiennes, dont l'une (3), sur une pierre de la muraille de Ghelma, brisée dans toute sa hauteur, redit les noms de Vincent et de Clément, martyrs. Ces souvenirs catholiques donnent en quelque sorte une patrie à nos frères de France que la conquête retient dans de lointains pays souvent déserts ils nous charment et nous ravissent, pendant que nous remplissons la grande tâche à laquelle nous nous sommes dévoués (4).

Peu de temps après son retour à Hippone, Augustin reçut d'un vieillard païen de Calame, appelé Nectarius, une lettre qui sollicitait sa pitié en faveur des coupables. Le vieux Nectarius commence par dire qu'on aime sa patrie plus encore que sa famille elle-même, et, rappelant un mot tiré de la République de Cicéron, ajoute que l'homme de bien ne pense jamais avoir assez fait pour son pays. La vieillesse ne fait qu'accroître cet amour de la patrie; ce n'est pas avec un homme tel qu'Augustin qu'il faut s'étendre sur de semblables vérités. Nectarius aime Calame parce qu'il y est né, parce qu'il a eu le bonheur de faire quelque bien à la cité de son berceau. Il tremble sur les périls où l'ont jeté les égarements de son peuple. Mais voici qui est curieux dans la bouche d'un païen. Nectarius regarde comme un devoir pour un évêque de secourir les hommes, de les protéger et de demander à Dieu le pardon de leurs fautes. Il avoue que le tort du peuple de Calante est sans excuse, mais il conjure Augustin d'épargner aux coupables les dernières rigueurs et de ne pas laisser frapper les innocents. Augustin, dans une réponse (5) d'où nous avons tiré le récit des désordres de Calame, lui fit entendre que ce sont les bonnes mœurs et l'exécution des lois qui rendent les pays prospères; que Calame devait être punie, et que les beaux jours de sa patrie seraient ceux où les abominations païennes feraient

 

1 Nous avons vu à Ghelma plusieurs médailles en cuivre, presque toutes à l'effigie de Constantin, trouvées sur l'emplacement de Calame. Nous avons vu aussi quelques médailles numides en plomb, représentant un cheval nu. On a trouvé à Ghelma une fort belle médaille en or, appartenant aux âges chrétiens.

2 La croix en bronze a été trouvée dans des fouilles près de la briqueterie, le 5 janvier 1843. Nous possédons un dessin de cette croix.

3 Cette inscription, qui est de six lignes, a plusieurs lettres entièrement effacées ou mutilées. Elle est fort difficile à saisir dans son ensemble.

4 Voyez dans notre Voyage en Algérie, Rudes africaines, le chapitre 14 sur Ghelma ou Calame.

5 Lettre 91.

 

119

 

place à la religion de Jésus-Christ. Quelles moeurs peut-on espérer avec un Jupiter adultère, avec une déesse Flore qui exige l'immolation de la pudeur? Augustin rappelle l'exemple du jeune homme d'une comédie de Térence, qui, brûlant d'une flamme illégitime, donna cours à sa passion après avoir vu dans un tableau l'adultère de Jupiter. Augustin convie le vieillard païen à tourner ses pas vers la céleste république des saints; il faut renaître par la foi et conquérir cette patrie où les fidèles, après l'hiver des travaux de cette vie, fleuriront dans le printemps de l'éternité. La nécessité de pourvoir aux sûretés de l'avenir oblige de punir les païens de Calame, mais pourtant on se souviendra de la modération chrétienne. L'évêque d'Hippone donne lui-même dans cette lettre un grand exemple de douceur; Nectarius désirait une sorte d'enquête pour reconnaître les vrais coupables dans ces journées où aucun des païens n'avait fait son devoir. Augustin ne voudrait pas approfondir une affaire dont toute la vérité ne pourrait être arrachée que par des tourments.

 

Haut du document

 

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante