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PREMIER SUPPLÉMENT. — QUATRIEME SECTION. — SUJETS DIVERS.  

SOIXANTE-CINQUIÈME SERMON. SUR LA PÉNITENCE.

SOIXANTE-SIXIÈME SERMON. SUR LE JEUNE. (PREMIER SERMON.)

SOIXANTE-SEPTIÈME SERMON. SUR LE JEUNE. (DEUXIÈME SERMON.)

SOIXANTE-HUITIÈME SERMON. SUR LE FAUX AMI.

 

 

SOIXANTE-CINQUIÈME SERMON. SUR LA PÉNITENCE.

 

ANALYSE. — 1. La pénitence nécessaire à tous. — 2. Cette nécessité se prouve par l'état de la conscience et par l'exemple des Ninivites. — 3. La pénitence doit être pratiquée par les justes eux-mêmes. — 4. Personne ne peut, se soustraire à ce devoir, alors même qu'on se flatterait d'être juste ; une telle prétention serait à elle seule un crime. — 5. Conclusion.

 

1. Dans la lecture de l'Evangile, nous avons entendu ces paroles : « Faites péni« tence, car le royaume des cieux est proche (1) ». Le royaume des cieux, c'est Jésus-Christ qui sait discerner les bons d'avec les méchants, et juger de toutes choses. Prévenons donc le courroux de Dieu en confessant nos péchés, et avant de paraître en jugement purifions nos âmes de toutes leurs erreurs. Le danger

 

1. Matth. IV, 17.

 

serait de ne point savoir quel remède nous devons appliquer au péché ; comprenons du moins que, devant expier les causes de notre négligence, c'est pour nous une obligation de faire pénitence. Sachez, mes frères, quel amour nous a prodigué le Seigneur notre Dieu, puisqu'il veut que nous expiions nos fautes avant de paraître à son tribunal, où nous ne trouverions que la justice. Il nous prévient donc à l'avance, afin de n'avoir pas à (372) nous traiter dans toute sa sévère équité. Si donc notre Dieu demande que de nos yeux découlent des larmes abondantes, c'est afin de nous faire recouvrer par la pénitence ce que nous avons perdu par notre négligence. Dieu connaît toute la mobilité et la fragilité humaines; il sait que notre corps est une cause fréquente de péchés et que nos discours sont pleins d'imperfections. Voilà pourquoi il nous prescrit la pénitence, afin que par elle nous corrigions nos défauts et réparions nos fautes. Si l'homme est assuré de son pardon, il n'en doit pas moins s'inquiéter de la satisfaction. Je sais qu'ici nous sommes exposés à bien des blessures, et cependant personne ne doit désespérer; car le Seigneur est infini dans sa miséricorde, et il est tout-puissant pour guérir nos langueurs.

2. Quelqu'un me dira peut-être qu'il ne trouve en lui-même aucun motif de pleurer. Mais alors qu'il rentre dans sa conscience, et il y rencontrera le souvenir toujours vivant de quelque péché. L'un soutire d'une plaie du coeur, l'autre d'une injure du corps ; celui-ci est dominé par l'orgueil, celui-là brûle de telle ou telle cupidité; ici c'est le mensonge, là c'est l'avarice qui a été peut-être jusqu'à réduire le prochain à la pauvreté ; tel a versé injustement le sang de son frère, tel s'est souillé par des relations criminelles avec une femme de mauvaise viè. Devant des plaies si grandes et si nombreuses de l'esprit ou du corps, se peut-il qu'il n'y ait lieu de pousser aucun gémissement, de verser aucune larme? Que personne ne rougisse de présenter à Dieu ses blessures. Si la honte vous empêche de découvrir vos plaies, jamais vous n'en obtiendrez le remède. Parmi les maladies, les unes sont plus faciles, les autres plus difficiles à guérir. Mais, de tous les malades, le plus difficile à soigner, c'est assurément celui qui ne veut pas l'être. C'est l'Ecriture elle-même qui en fait l'observation. Aucun de ceux qui ont cherché le remède n'a péri, tandis que celui qui l'a méprisé n'a pu échapper à la mort. Ninive était menacée de périr après trois jours si elle ne faisait pas pénitence. Voici ce qu'avait dit le Prophète : « Trois jours encore et Ninive sera détruite. Et cette parole arriva jusqu'aux oreilles du roi de Ninive; il se leva de son siège, se dépouilla de ses vêtements, se couvrit d'un cilice et s'assit sur la cendre (1) ». Satisfaction bien méritoire, mes frères; ce roi se dépouille de ses vêtements royaux et se couvre d'un cilice. Il aime mieux se sauver dans le cilice que de périr dans la pourpre. Où était alors ce faste du trône? Pour échapper au châtiment de son orgueil, il cherche un refuge dans les bras de l'humilité, afin de vous faire comprendre que Dieu attache plus de prix à l'humilité qu'à la puissance. En effet, c'en était fait du royaume de Ninive, si la pénitence n'était venue le protéger contre les châtiments du ciel.

3. Une circonstance frappante dans cette pénitente des Ninivites, c'est que le jeûne fut imposé aux enfants et aux animaux eux-mêmes. Mais pourquoi faire jeûner des enfants qui étaient sans péché? C'est que les innocents jeûnaient, afin de procurer le salut aux coupables. L'enfant implorait pardon, afin que le vieillard ne pérît pas. Le jeûne des enfants, soit encore, mais pourquoi le jeûne des animaux? Pour que la faim ressentie par les animaux prouvât mieux la pénitence des hommes; leur rugissement devait être comme une prière lancée vers le ciel pour en faire redescendre la miséricorde en faveur des coupables. Nous aussi, mes frères, formons un saint accord entre notre coeur et notre foi, afin de crier plus efficacement vers le Seigneur notre Dieu. Les Ninivites imploraient, après s'être rendus coupables ; pour nous, sachons implorer, afin que nous ne tombions pas dans le péché. Bienheureux celui que la crainte de Dieu dispense de tout châtiment, et qui, pour faire le bien, n'a besoin que de connaître la loi de Dieu, et non d'en subir la punition ! Il n'y a pas de châtiment à redouter pour celui qui sait craindre la justice de Dieu.

4. Quelqu'un de la foule me répondra peut-être : Que puis-je craindre, puisque je ne fais aucun mal? Ecoutez cette parole de l'apôtre saint Jean : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous (2) ». Que personne ne vous séduise; la pire espèce de péché, c'est de ne pas connaître ses péchés. Ceux qui les connaissent peuvent se réconcilier avec Dieu par la pénitence. Parmi les pécheurs, celui dont l'état est le plus alarmant, c'est celui qui se flatte qu'il n'y a pas eu en lui de quoi alarmer.

 

1. Jonas, III, 4, 6. — 2. I Jean, I, 8.

 

373

 

Beaucoup de péchés sont regardés comme légers et n'en sont pas moins très-dangereux, précisément parce qu'ils ne sont pas considérés comme péchés. Le mal le plus séduisant, c'est celui qui ne paraît pas un mal. Je ne parle pas des homicides, des adultères, des mauvaises persuasions ; plaise à Dieu qu'aucun chrétien ne s'y laisse entraîner; et s'il succombe, le sentiment de son crime le portera à le pleurer aussitôt. Je parle de ces autres péchés qui passent pour beaucoup plus légers. Qui de vous pourrait se dire exempt de toute intempérance, de toute ambition, de toute jalousie, de toute cupidité, de toute avarice? Voilà pourquoi, selon la parole de l'Ecriture, je vous exhorte à vous humilier sous la puissante main de Dieu ; puisque personne n'est sans péché, que personne ne s'exempte de la pénitence, car ce serait être coupable que de se croire innocent. On peut n'avoir que des péchés légers, toujours est-il qu'on n'est jamais sans péché : « Personne n'est exempt de toute faute (1) ».

5. Que ceux donc qui sont plus gravement coupables, implorent leur pardon avec plus d'instance. Que ceux qui se sont abstenus des plus grandes fautes, demandent d'en être délivrés , par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

1. Job, XIV, 4.

 

SOIXANTE-SIXIÈME SERMON. SUR LE JEUNE. (PREMIER SERMON.)

 

ANALYSE. — 1. L'utilité et la nécessité du jeûne, prouvées par t'autorité des médecins. — 2. Par l'autorité des philosophes et de saint Paul. — 3. Par les exemples des saints et de Jésus-Christ. — 4. Conclusion.

 

1. Toutes les fois, mes frères, que nous fixons des jours de jeûne à votre dévotion, nous nous faisons un devoir de vous exhorter à les observer fidèlement. En effet, beaucoup parmi vous sont plutôt paresseux que sensuels ; sans être vicieux dans leur corps, ils manquent de dévotion dans le coeur et cherchent à s'excuser en alléguant certaines indispositions corporelles , la faiblesse de leurs membres ; le plus souvent, ce sont des illusions qu'ils se forment; mais, fussent-ils atteints de quelque vice réel, ils devraient en chercher le remède dans le jeûne lui-même. Les délices engendrent les maladies, le remède à ces maladies, c'est le jeûne. Voilà pourquoi le Seigneur nous prescrit d'opposer des jeûnes pieux à toutes les inclinations vicieuses. D'ailleurs, ces jeûnes nous sont présentés sous une telle dénomination, que les faibles eux-mêmes ne sauraient les repousser. Ecoutons le prophète Joël s'adressant aux prêtres : « Sanctifiez le jeûne, prêchez la guérison (1) ». La guérison est-elle donc autre chose que la médecine des corps? Si les médecins imposent le jeûne aux malades, afin de guérir leur corps; si la langueur trouve dans le jeûne son remède le plus efficace; enfin, si les vices tendent à affaiblir toujours davantage la constitution de l'homme; pourquoi ne pas chercher dans des jeûnes légitimes un contre-poids à la faiblesse des corps, puisque ces jeûnes sont institués pour servir de remède à tous les vices de l'âme et du corps? Redisons donc ces paroles du Prophète : « Sanctifiez le jeûne, prêchez la guérison ; rassemblez les vieillards, réunissez les habitants de la terre dans la maison du

 

1. Joël, I, 14; 1, 15.

 

374

 

Seigneur votre Dieu, criez sans cesse vers le Seigneur, et il vous exaucera ». A cela, que peuvent répondre les esclaves de leur ventre ? Vous qui ne voulez pas jeûner, vous ne voulez donc pas être exaucés? Pourquoi charger de viandes vos estomacs ? pourquoi les remplir de nourriture et de vin? pourquoi, devant des peuples à jeun, exhaler les vapeurs de votre intempérance? C'est le signe d'une maladie, et non pas de la digestion. Jeûnez donc pour Dieu quand il vous l'ordonne, de crainte que les médecins n'aient eux-mêmes à vous l'imposer. Car, pour eux comme pour nous, le jeûne a pour effet de tempérer les humeurs et les impétuosités du sang.

2. De leur côté, les philosophes condamnent les esprits supérieurs à se purifier, dans le jeûne, de toutes les souillures qu'ils ont reçues des corps terrestres, et ils punissent la chair afin d'affaiblir l'esprit. Pour nous, le jeûne des corps est comme la lime des âmes. Il expie les fautes de la conscience, réprime le péché, et fait resplendir les âmes que souillait la tache du péché. Si donc la médecine elle-même trouve dans le jeûne un principe de sagesse et de santé, que dois-je penser de vous qui vous livrez à la bonne chère pendant que le peuple jeûne? C'est à vous que s'appliquent ces paroles de l'Apôtre : « La nourriture est pour le ventre, et le ventre pour la nourriture (1) » ; et encore : « L'un jeûne et l'autre est ivre ; je vous loue, mais en cela je ne vous loue pas, puisque vos assemblées se tournent, non pas en bien, mais en mal (2) ». C'est à vous aussi que David adresse ce violent reproche : « Seigneur, leur ventre a été rempli de choses cachées; ils se sont rassasiés de viandes impures, et ils ont laissé les restes à leurs enfants. Pour moi, je me rassasierai du jeûne, afin que votre gloire me soit manifestée (3) ».

3. Des faits nombreux feront mieux ressortir ces précieux effets du jeûne. Pour recevoir la loi ldu Seigneur, Moïse jeûna et mérita de pouvoir s'entretenir avec Dieu. Dans un temps de sécheresse, Elie jeûna pour désarmer le courroux de Dieu et

 

1. I Cor. VI, 13.— 2. Id. XI, 17. — 3. Ps. XVI, 14, 15.

 

obtenir la pluie. Le jeûne de Daniel lui mérita d'échapper à la rage des lions affamés. Les trois enfants dans la fournaise prouvèrent par le jeûne l'impuissance des faux dieux. Autant de jeûnes David offrait à Dieu, autant il remportait de victoires. Les Ninivites calmèrent par le jeûne le courroux de Dieu et méritèrent leur pardon; la crainte des maux dont ils étaient menacés leur inspira même la pensée de condamner au jeûne leurs troupeaux, et le Seigneur, touché de ces manifestations de pénitence et de repentir, pardonna à cette ville coupable. Qui ne s'étonnerait, mes frères, d'un tel prodige dans lequel des animaux ont fait pour les hommes ce que les hommes ont coutume de faire pour les animaux ! Jésus-Christ, notre souverain Maître, a jeûné afin de vaincre le démon. C'est par le jeûne que les Apôtres se sont préparés à recevoir le Saint-Esprit. Mais pourquoi faire ressortir l'efficacité du jeûne pour les hommes, quand nous le voyons hautement pratiqué par les femmes? Judith, armée du jeûne, a coupé la tête du tyran Holoferne. Suzanne a trouvé dans le jeûne le moyen de confondre les faux témoins. La reine Esther s'est livrée au jeûne pour déjouer l'habileté d'un persécuteur et sauver la vie à son peuple. La sainte Ecriture nous offre ainsi de nombreux exemples des puissants effets opérés par le jeûne, comme, an contraire, elle déroule sous nos yeux les maux de toute sorte produits par la violation du jeûne. Le fils de Saül, Jonathan, ne sachant pas que son père avait prescrit un jeûne absolu, recueillit un peu de miel avec une baguette et le goûta; or, cette violation compromit l'armée tout entière, et vengeance dut être tirée de cette faute quoique involontaire. Si donc Jonathan ne laissa pas que d'être condamné pour avoir violé, sans le savoir, le jeûne prescrit par son père, combien doivent être plus coupables ceux qui méprisent sciemment les jeûnes qui leur sont commandés?

4. Jeûnez donc, mes frères, dans la crainte que votre désobéissance ne soit regardée comme sacrilège par Notre-Seigneur Jésus-Christ qui règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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SOIXANTE-SEPTIÈME SERMON. SUR LE JEUNE. (DEUXIÈME SERMON.)

 

ANALYSE. — 1. Il faut jeûner non-seulement de corps, mais d'esprit. — 2. Au jeûne, on doit joindre les oeuvres de miséricorde. — 3. Quels sont les jeûnes agréables à Dieu.

 

1. Par l'organe d'Isaïe, l'Esprit-Saint réprimande en ces termes les hommes obstinés dans leurs imperfections : « Je ne puis supporter ni vos jeûnes, ni le grand jour, dit le Seigneur (1) ». Le jeûne approuvé par le Très-Haut ne consiste pas seulement à suspendre l'alimentation du corps, mais encore à s'abstenir de toute action mauvaise. Ayez donc soin que votre esprit ne reste point appesanti par le péché, qu'il ne se laisse point entraîner par les charmes du vice; à ce prix, vos jeûnes seront des plus agréables à Dieu. Si de longues privations ont épuisé votre corps, si vous lui avez refusé la nourriture, mais sans vous dépouiller de vos vices et en persévérant dans le péché, bien loin de plaire à Dieu, vous ne lui inspirez que de l'horreur. Vos jeûnes plairont à Dieu si vous purifiez votre conscience par des bonnes oeuvres. Pourquoi torturer votre corps par la faim, si vous le flattez honteusement parle péché ? Imposez d'abord à votre coeur le jeûne du péché, et pratiquez ensuite le jeûne corporel. Le jeûne n'est autre chose que l'humiliation de l'âme. Or, quelle humiliation peut-il y avoir à se priver de nourriture et à multiplier le nombre de ses péchés? Si donc c'est par esprit de piété que vous imposez des jeûnes à votre corps, avant tout renoncez à vos vices, éteignez le feu de vos passions, brisez l'impétuosité de vos esprits, triomphez des ardeurs de la concupiscence, étouffez les flammes de l'avarice, donnez toute l'extension possible à votre charité, et versez dans le sein des pauvres le superflu de vos richesses. Que toutes les passions du corps viennent se

 

1. Isaïe, I, 13.

 

briser contre la force de l'âme, afin que cette âme se trouve aidée par la sainteté du corps. Quelle assurance n'aurons-nous pas alors d'obtenir tout ce que nous demandons, si notre chaste corps et notre coeur pieux se portent avec une sainte envie à l'accomplissement des devoirs de la religion? De telles dispositions enflamment de plus en plus la piété et méritent que nos prières soient de plus en plus couronnées par une sainteté à toute épreuve.

2. En agissant autrement, lors même que vous courberiez la tête pour la couvrir de cendres, lors même que votre cou serait chargé de chaînes et que des larmes abondantes couleraient de vos yeux pour implorer la miséricorde de Dieu, tout cela serait. vain pour vous. La faveur divine ne pourrait s'incliner vers vous, parce que vous auriez violé le devoir de la charité à l'égard du prochain. En effet, voici ce que nous lisons : « Le jeûne que j'ai choisi consiste-t-il à faire qu'un homme afflige son âme pendant un jour, qu'il donne comme un mouvement circulaire à sa tête, et qu'il prenne le sac et la cendre? Ce n'est pas là ce que j'appellerai un jeûne agréable. Mais rompez les chaînes de l'impiété ; délivrez-vous de l'obstination au mal; renvoyez libres ceux qui sont opprimés par la servitude, et brisez tout ce qui charge votre conscience. Rompez votre pain pour celui qui a faim, et faites entrer dans votre maison les pauvres et ceux qui n'ont point d'asile. Lorsque vous verrez un homme nu, revêtez-le et ne méprisez point votre propre chair. Alors votre lumière éclatera comme (376)  l'aurore, et vous recouvrerez bientôt votre santé; votre justice marchera devant vous, et la gloire du Seigneur vous protégera. Alors vous invoquerez le Seigneur, et il vous exaucera ; vous crierez vers lui, et il vous dira : Me voici (1) ». En suivant cette conduite, l'homme, même en dehors des époques du jeûne, obtient fréquemment ce qu'il désire, et dans les temps de pénitence il acquiert des titres plus abondants à la reconnaissance.

3. Tel est le jeûne que Jésus-Christ désire ; tel est le jeûne agréable au Dieu tout-puissant. Comme on le voit, ce jeûne n'est pas inspiré par le souvenir des fautes graves et nombreuses, par le désir d'acquérir la gloire temporelle , ou par la vaine cupidité d'accroître son patrimoine, mais par le sentiment

 

1. Isaïe, LVIII, 5-9.

 

religieux et par une franche et sincère dévotion. Que des oeuvres vraiment pieuses viennent s'ajouter à d'aussi belles dispositions, et alors il sera impossible de déterminer les heureux fruits qui en résulteront. Le chrétien sentira que Dieu lui est propice et le favorise de son auguste présence. Accomplissez donc les oeuvres de miséricorde, et vous aurez sanctifié votre jeûne. Aux pauvres affamés donnez la nourriture, et les faveurs de la sainteté engraisseront votre âme. Donnez des vêtements à celui qui est nu, et vos péchés seront couverts. Empressez-vous d'offrir l'hospitalité au voyageur, afin que Dieu vous reçoive dans son royaume, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartiennent l'honneur et la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

SOIXANTE-HUITIÈME SERMON. SUR LE FAUX AMI.

 

ANALYSE. — 1. Le faux ami est pire qu'un ennemi déclaré. — 2. Peinture du faux ami. — 3. Trahison de Judas. — 4. Comparaison entre Judas et saint Pierre. — Conclusion.

 

1. L'Esprit-Saint qui répartit sur toutes choses la protection, la nourriture et la conservation, daigne prévenir l'innocence contre tous les périls, dans la crainte que la simplicité imprévoyante ne soit déçue par sa simplicité même. Ecoutons l'avertissement que le Seigneur nous donne par l'organe de Salomon : « Ne vous confiez jamais à votre ennemi (1) ». Oui, dira quelqu'un, je me renferme dans une grande prudence à l'égard de mon ennemi; mais que dois-je faire à l'égard d'un faux ami? Ma réponse sera celle du prophète David : « Je ne dois pas craindre ». Puisqu'il n'a pas craint, ne craignons pas, et disons avec lui : « Le Seigneur est  mon protecteur, je ne craindrai rien de tout ce que l'homme pourra me faire (2) ».

 

1. Eccle. XII, 10.— 2. Ps LV, 11.

 

Vous insistez ; la malice d'un ennemi se déclare ouvertement, tandis que la cruauté d'un faux ami s'enveloppe de ténèbres; je vois ce que je dois éviter dans un ennemi; mais puis-je sonder le coeur d'un faux ami que j'aime ? La haine de mon ennemi m'est bien connue; en est-il de même de la fourberie d'un faux ami? Tout m'invite à me mettre en garde contre un ennemi ; mais je ne vois rien à soupçonner dans un faux ami. Dans un ennemi j'évite ce que je vois; dans un faux ami comment puis-je remarquer quelque chose? Son amitié trompeuse me jouera et s'assurera de ma crédulité. De là cette prière de David : « Arrachez-moi, Seigneur, à l'homme mauvais, délivrez-moi de l'homme inique (1) ». En effet, un ennemi

 

1. Ps. CXXXIX, 2.

 

377

 

qui se déclare vous rendra prudent en toutes choses, tandis qu'un faux ami se couvre des apparences de la charité pour tromper en secret votre crédulité. Ne craignez pas l'iniquité d'un ennemi dont vous voyez la malice, mais mettez-vous en garde contre un faux ami. Un faux ami vous nuit d'autant plus qu'il vous prodigue davantage les caresses de l'amitié. Un ennemi se dévoile dans ses paroles; un faux ami ne se répand en témoignages d'affection que pour mieux déguiser sa cruauté. Ses trames ne peuvent être connues que de Dieu qui seul connaît les coeurs ; l'homme croit voir très-souvent ce qu'il ne voit pas, tandis que Dieu découvre parfaitement ce qui pour nous est invisible. Enfin, pour mieux assurer l'accomplissement de ses coupables projets, l'homme prend soin de dire le contraire de ce qu'il pense.

2. Gardez-vous, mon ami, gardez-vous, mon frère, d'user de paroles flatteuses à l'adresse du prochain, quand vous êtes en sa présence, et de déchirer sa réputation avec une malice de vipère, lorsque vous lui aurez tourné le dos. Tremblez devant l'application qui pourrait vous être faite de ces paroles du Psalmiste: « Ils ont des lèvres rusées dans le coeur, et c'est par le coeur qu'ils ont mal parlé (1) ». Le démon ne peut qu'être satisfait d'une telle conduite, puisque le faux ami affiche la charité dans ses paroles, tandis que son coeur est rempli de venin. La bouche fait retentir des accents de paix, et le coeur distille secrètement la ruse. C'est de ces hommes que le Psalmiste a dit : « Ils parlent de la paix « avec leur prochain, mais le mal est dans leur coeur(2) ». Le faux ami crie la paix, et il frappe; il caresse et il tue, parce qu'il nourrit la malice dans son coeur. Je crains le nuage qui couvre votre front, parce que je ne connais pas les pensées que vous formez dans votre coeur ;  vous caressez et vous frappez; vous êtes obséquieux et homicide; votre langage respire la douceur, mais recouvre le poison. Faux ami, je crains vos flatteries, je crains votre conversation, car vous caressez par les lèvres et vous conspirez par le coeur. Votre langage est très-beau , j'en juge par mes oreilles ; mais Dieu connaît le mal que vous formez dans votre coeur ; car Dieu « sonde les reins et les cœurs (3) ; l'homme voit sur le visage, mais Dieu voit dans les cœurs (4) ».

 

1. Ps. XI, 3. — 2. Id. XXVII, 3. — 3. Jérém. XVII, 10. —  4. I Rois, XVI, 7.

 

3. C'est ainsi que Judas vendit Jésus-Christ en lui prodiguant ses saluts et le trahit par un baiser. Ecoutez le signal que ce traître avait donné: a Celui que j'embrasserai, c'est Jésus, « emparez-vous de lui (1) ». Sans doute la victoire suprême est restée au Dieu immortel, Jésus-Christ est ressuscité glorieux d'entre les morts; cependant le traître a pu réaliser les coupables projets qu'il avait formés, car il était impossible que, tout impuissant qu'il fût, son dessein ne se révélât dans la force armée. Dans l'exécution de son crime, il ne trouva aucun obstacle, parce que le démon, dont il était le fils, lui prêta son secours. Au milieu d'un festin il nourrit la pensée de vendre son maître; pour le pain qu'il reçut il prépara le fer, et à l'amour du Sauveur il répondit par la trahison. Jésus-Christ plein de bonté lui prodigua tous les biens, et Judas plein de méchanceté reçut ces biens d'un manière indigne; il prononça lui-même son propre jugement et sa condamnation par l'empressement cruel qu'il mit à trahir son Maître et son Dieu. Toutes ses machinations étaient parfaitement connues du Sauveur; de là cette question qu'il lui adressa : « Mon ami, dans quel but êtes vous venu (2) ? » Cette parole mit le comble à la perversité de Judas. Jésus l'appelle encore son ami, et le traître ose livrer son Seigneur et son Maître. Se peut-il imaginer un crime plus horrible ? Quand on porte le nom d'ami, oser commettre l'homicide avec un tel raffinement de cruauté et de barbarie ! De là ces paroles de Salomon: « Il est un ami qui se tourne vers l'inimitié (3) ». Judas, en convive cruel, prit le pain et vomit le glaive, selon cette parole du Psalmiste : « L'homme de la paix, en qui j'avais mis mon espérance et qui mangeait avec moi, a redoublé contre moi la persécution (4) ». Il était avec les autres disciples, mais lui seul pensait à trahir son Maître ; de là cette parole du Sauveur : « Celui à qui je donnerai le pain trempé, c'est lui qui me livrera (5) ». Il prend part au festin pour dresser ses embûches; ce qui devait lui procurer la joie devient peur lui l'occasion d'une guerre atroce. Que dire de ce baiser hypocrite qu'il offre à son Maître? N'est-il pas écrit : « Les blessures faites par un ennemi sont préférables aux faux baisers d'un ami (6) ? » Il embrasse, et c'est à lui qu'il est dit : « Mon

 

1. Matth. XXVI, 48. —  2. Ibid. 50. — 3. Eccli. VI, 8. — 4. Ps. XI, 10. — 5. Jean, XII, 26. — 6. Prov. XXVII, 6.

 

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ami, dans quel but êtes-vous venu ? »

4. Pierre blessé fut guéri, et pourtant c'est à lui qu'il fut dit : « Retire-toi de moi, Satan (1) ». Judas est condamné par un baiser, et Pierre blessé, fut guéri. Le baiser de Judas distillait le venin de la trahison, et la faute de Pierre est lavée par ses larmes. Judas trahit son Maître en lui offrant le baiser et ne jouit pas du salaire de son crime; car il rendit l'argent aux Juifs et s'empressa d'aller se pendre, châtiment bien mérité pour un apôtre

 

1. Matth. VI, 10.

 

qui avait convoité le prix du sang innocent. Fuyez, fuyez promptement, faux ami ; devant un tel exemple, frémissez d'horreur. Si un mauvais disciple n'a pas épargné son Maître et son Seigneur, quelle justice pourrait-on attendre d'un faux ami ? Combien nous devons nous mettre en garde contre la fausse amitié dont la langue crie la paix, tandis que le coeur cache la ruse et la fourberie ! Contre les faux amis nous avons pour protecteur le Seigneur lui-même qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

 

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