LETTRE LII
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

LETTRE LII. (Année 399 ou 400.)

 

Saint Augustin appelle Séverin son frère selon la chair; toutefois Séverin n'était que son cousin; il s'était laissé prendre dans le schisme de Donat. Saint Augustin lui montre brièvement son erreur et le supplie d'ouvrir les yeux.

 

AUGUSTIN A SON TRÈS-DÉSIRABLE ET TRÈS-CHER FRÈRE LE SEIGNEUR SÉVERIN.

 

1. Quoique la lettre de votre fraternité me soit arrivée tard et quand je. ne l'espérais plus, je l'ai cependant reçue avec joie; j'ai senti cette joie devenir plus vive dans mon coeur en apprenant que votre homme n'était venu à Nippone que pour m'apporter cette lettre, J'ai pensé que ce n'était pas sans raison que vous aviez eu l'idée de m'écrire pour rappeler notre parenté; que c'était peut-être uniquement parce que vous vous apercevez, avec la gravité de votre sagesse, de ce qu'il y a de déplorable, lorsqu'on est frères selon la chair, de ne pas être unis dans le corps du Christ; d'autant plus qu'il vous est aisé de reconnaître et de voir la cité placée sur la montagne, et qui, selon la parole du Seigneur dans l'Evangile, ne peut pas être cachée (1). Telle est l'Eglise catholique; on l'appelle en grec Katholike, parce qu'elle est répandue dans tout l'univers. Il n'est permis à personne de la méconnaître; voilà pourquoi, selon la parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ, elle ne peut pas être cachée.

2. Le parti de Donat, qui n'est qu'en Afrique, accuse l'univers, et ne songe point que, dans son impuissance à produire des fruits de paix et de charité, il s'est retranché de cette racine des Eglises d'Orient d'où l'Evangile est venu en Afrique. Si on apporte aux chrétiens de ce parti un peu de cette terre d'Orient, ils l'adorent; mais si un fidèle de ces contrées vient parmi eux, ils soufflent sur lui et le rebaptisent. Le Fils de Dieu, qui est la vérité, a annoncé qu'il était la vigne, que ses enfants en étaient le bois et son Père le vigneron. « Mon Père,

 

1. Matth. V, 14.

 

dit-il, retranchera le bois qui ne donne pas de fruit en moi; mais le bois qui porte du fruit, il le taillera pour qu'il en porte davantage (1). » Il ne faut donc pas s'étonner si ceux qui n'ont voulu produire aucun fruit de charité ont été retranchés de cette vigne qui s'est déployée et a rempli toute la terre.

3. Si leurs ancêtres, auteurs du schisme, avaient reproché à leurs collègues de véritables crimes, ils auraient gagné leur cause auprès de l'Eglise d'outre-mer, d'où l'autorité de la foi chrétienne s'est répandue dans nos contrées; et ceux à qui on reprochait ces crimes eussent été rejetés du sein de l'Eglise. Maintenant qu'on voit les mêmes accusés en communion avec les Eglises apostoliques dont ils possèdent et lisent les noms dans les livres saints, tandis que les accusateurs sont mis dehors et séparés de cette même communion, comment ne pas comprendre que ceux qui obtinrent gain de cause auprès de ces juges désintéressés avaient la justice pour eux! Admettons que la cause des donatistes soit bonne et qu'ils n'aient pas pu la faire triompher devant les Eglises d'outre-mer; que leur avait fait le monde entier avec ses évêques qui ne pouvaient condamner témérairement leurs collègues non convaincus des crimes dont on les accusait ? Ainsi les innocents sont rebaptisés, et le Christ est effacé dans les innocents. Si les évêques donatistes ont connu de vrais crimes commis par leurs collègues d'Afrique; s'ils ont négligé de les signaler et de les prouver aux Eglises d'outremer, ils se sont eux-mêmes retranchés de l'unité du Christ par un horrible schisme, et ils n'ont pas d'excuse, vous le savez. Pour ne pas scinder le parti de Donat, ils ont toléré, durant de longues années, des scélérats qui se montraient en grand nombre parmi eux, et pendant ce temps, ils ne craignaient pas, sur de faux soupçons, de rompre la paix et l'unité du Christ, comme ils le font encore sous nos yeux, et vous l'avez bien vu.

4. Mais je ne sais quelle charnelle habitude vous retient au milieu d'eux, Séverin mon frère; depuis longtemps je le regrette, depuis longtemps j'en gémis, surtout quand je pense à votre sagesse; et depuis longtemps je désire m’entretenir de cela avec vous. Que servent les saluts qu'on échange et la parenté temporelle, si nous méprisons dans notre parenté l'héritage éternel du Christ et le salut de la vie à venir? Qu'il me

 

1. Jean, XV, 1, 2.

 

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suffise d'avoir écrit ces choses qui ne seraient rien ou presque rien pour des cœurs durs, mais qui sont fort considérables pour votre esprit que je connais bien. Elles ne viennent pas de moi qui ne suis rien et qui attends seulement la miséricorde de Dieu; mais elles viennent de ce Dieu tout-puissant, qu'on trouvera pour juge dans le siècle futur si, dans le siècle présent, on le méprise comme père.

 

 

 

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