DES HÉRÉSIES
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DES HÉRÉSIES.

 

Oeuvres complètes de saint Augustin traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Bar-Le-Duc, L. Guérin & Cie, éditeurs, 1869, Tome XIV. p. 1-21

Traduction de M. l'abbé AUBERT

 

 

Bien des fois, cher et saint Quodvultdeus (1), tu m'as instamment prié d'écrire , sur les hérésies, un livre propre à intéresser ceux qui veulent ne point tomber dans les erreurs opposées à la foi chrétienne et capables de séduire les âmes par leur faux air de christianisme. Sois-en sûr, je n'avais pas attendu jusqu'à ce jour pour y penser : depuis longtemps j'aurais entrepris cette tâche, si, après mûr examen, la difficulté et la grandeur d'un tel ouvrage ne m'avaient paru dépasser mes forces; mais comme tu m'as, plus que personne, pressé de m'en charger, j'ai pris en considération ton nom aussi bien que tes instances, et je me suis dit: Je me mettrai à l'oeuvre, je ferai ce que Dieu veut, et j'aurai, ce me semble, la conscience d'avoir accompli son bon plaisir, si, avec le secours de sa grâce, je parviens au terme de mon travail, c'est-à-dire , soit à t'indiquer seulement la difficulté d'une oeuvre si importante , soit à la surmonter complètement. Cette difficulté m'apparaît; je la médite et la retourne dans mon esprit : je la saisis, mais en triompherai-je? Je n'ose me le promettre; car j'ai beau

 

1. Le nom de Quodvultdeus signifie : Ce que Dieu veut.

 

essayer, demander, chercher, frapper, le résultat me semble toujours incertain : une seule chose est pour moi hors de doute ; c'est que je ne puis ni demander, ni chercher, ni frapper suffisamment, si Dieu ne m'en inspire le désir et la volonté. J'entreprends donc ce, travail sur tes pressantes instances, et pour me conformer à la volonté de Dieu : mais, pour m'aider à parvenir au terme, ce n'est point assez, tu le vois, de me presser par d'incessantes demandes; il faut aussi me soutenir de tes ardentes prières : il. faut, de plus, engager à intercéder auprès de Dieu en ma faveur ceux de tes frères que tu pourras déterminer à le faire avec toi. Voilà pourquoi, le Seigneur aidant, je me suis hâté d'envoyer à ta Charité la première partie de mon livre et ce prologue. Tous ceux d'entre vous qui pourront connaître, par ce moyen, que j'ai déjà mis la main à l'œuvre, sauront combien ils doivent m'assister près de Dieu pour l'achèvement du travail immense que vous désirez me voir mener à bonne fin.

Si je juge de tes désirs par la teneur même de ta première lettre de demande, tu voudrais un traité court, concis et sommaire dans lequel (2) je ferais connaître toutes les hérésies qui ont existé et qui existent encore, depuis l'origine de la religion chrétienne, héritage divin promis à nos pères : quelles erreurs les hérétiques ont soutenues et soutiennent : ce qu'à l'encontre de l'enseignement catholique ils ont pensé autrefois et pensent aujourd'hui sur la foi, la Trinité, le baptême, la pénitence, l'humanité et la divinité du Christ, la résurrection, le Nouveau et l'Ancien Testament. Mais comprenant que la réponse à de telles questions serait de grande étendue, il t'a paru utile qu'on y joignit un abrégé contenant en général, as-tu dit, tout ce en quoi. ils s'écartent de la vérité. Puis, tu as ajouté : « Quelles sont les sectes qui confèrent le baptême ou ne le confèrent pas ? Celles dont l'Eglise baptise les anciens adeptes , sans néanmoins rebaptiser. Comment, enfin, reçoit-elle ceux qui reviennent à elle? Que répond-elle à chacun d'eux d'après la loi, l'autorité et la raison? »

Ces diverses questions me font admirer l'élévation d'un esprit qui souhaite si vivement connaître la vérité en tant de grandes choses, et qui, néanmoins, réclame la brièveté pour éviter l'ennui. Tu t'es aussi aperçu de ce que pouvait me suggérer ce passage de ta lettre; aussi, tu as couru au-devant de ma pensée en ajoutant : « Que votre béatitude le croie  bien; je suis assez clairvoyant pour imaginer le nombre et la grandeur des volumes qu'il faudra pour résoudre ces questions; mais ce n'est pas ce que je demande, nous l'avons déjà ». Aussi, pour m'indiquer, sous forme de conseil, la manière de demeurer concis tout en exposant la vérité, tu reviens à ta première recommandation : « Surtout, que votre méthode soit brève et serrée dans ce compendium, où vous exposerez, suffisamment pour instruire, les opinions de chaque hérésie, et la doctrine de l'Eglise catholique opposée à chacune d'elles ». Mais c'est de nouveau réclamer un long ouvrage; non pas qu'on ne puisse ou qu'on ne doive l'exécuter avec concision, mais parce qu'il y a tant de sujets à traiter, qu'il est indispensable d'y consacrer un grand nombre de pages ; et pourtant tu me dis : « Faites un résumé complet si quelqu'un veut connaître d'une manière plus ample, plus claire et plus approfondie, l'objection et la réponse, il ira consulter les précieux et magnifiques ouvrages écrits sur ces matières par différents auteurs, et surtout par votre révérence ». En t'exprimant de la sorte, tu me demandes donc comme un mémorial complet de toutes les erreurs et des vérités que leur oppose l'Eglise. Voici ma réponse.

Un savant du nom de Celse a réuni, en six volumes assez considérables, les opinions de tous les fondateurs des sectes philosophiques qui ont paru jusqu'à son temps : il ne pouvait aller plus loin ; mais il n'en a réfuté aucune : il les a exposées en assez peu de mots pour ne point prendre à tâche de les blâmer ou de les louer, de les soutenir ou de les défendre, se bornant à les énumérer et à les faire connaître : il parle d'une centaine de philosophes, et pourtant, tous n'ont pas établi une erreur nouvelle: mais il a pensé qu'il fallait citer même ceux qui avaient suivi les erreurs de leurs maîtres sans y rien changer. Nous avons encore six, livres, rédigés par un des nôtres, Epiphane, évêque de Chypre. Cet auteur, mort depuis peu de temps, parle de quatre-vingts hérésies; mais, à l'exemple de Celse, il ne fait qu'un simple récit dépouillé de toute polémique en faveur de la vérité contre l'erreur. Ces écrits sont très-succincts, et si on voulait les réunir en un seul volume, il serait loin d'équivaloir en étendue à tels autres livres écrits par d'autres ou par nous. Si j'imite sa brièveté, tu n'auras ni ce que tu réclames de moi, ni ce que tu es en droit d'en attendre. L'essentiel pour moi, en ce moment, n'est donc pas de suivre les traces d'Epiphane; les preuves que je t'en donnerai, et ta pénétration d'esprit suffiront à te le faire comprendre, lorsque j'aurai terminé mon ouvrage. En lisant les livres de cet écrivain, tu verras tout ce qui leur manque pour ressembler au travail que tu me demandes de faire, et à plus forte raison, à celui que je conçois moi-même. Tu demandes une réfutation courte, concise et sommaire de toutes les hérésies qu'on énumérera; mais, enfin, tu veux qu'on les réfute; c'est ce qu'Epiphane n'a pas fait. Pour moi, Dieu aidant, je veux aller plus loin: avec mon livre, il sera possible d'éviter toute hérésie connue ou inconnue on pourra devenir capable de juger sainement de celles qui pourraient surgir. Sache-le bien toute erreur n'est pas une hérésie ; quoique aucune opinion mauvaise ne puisse être une hérésie qu'autant qu'elle s'appuie sur (3) quelque erreur. A mon avis, il est très-difficile sinon impossible, de comprendre, d'une manière précise, ce qui constitue l'hérésie : je m'efforcerai, néanmoins, de l'expliquer dans le cours de cet ouvrage, si le Seigneur daigne éclairer mon intelligence et diriger mon raisonnement vers le but que je me propose d'atteindre : lors même que nous ne parviendrions point à connaître le caractère distinctif de l'hérésie, nous verrons et nous dirons en temps et lieu, de quelle utilité peuvent être nos recherches; car si nous réussissons à avoir une idée juste, il est facile de comprendre quel avantage on en retirera. La première partie de cet ouvrage roulera donc sur les hérésies qui ont attaqué la doctrine de Jésus-Christ, depuis sa venue en ce monde et son ascension glorieuse, autant, du moins, que nous avons pu les connaître : dans la seconde , nous chercherons à bien définir en quoi consiste l'hérésie.

Lorsque le Seigneur fut monté au ciel, on vit paraître :

 

I. Les Simoniens,

II. Les Ménandriens,

III. Les Saturniniens,

IV. Les Basilidiens,

V. Les Nicolaïtes,

VI. Les Gnostiques,

VII. Les Carpocratiens,

VIII. Les Cérinthiens ou Mérinthiens,

IX. Les Nazaréens,

X. Les Ebionites,

XI. Les Valentiniens,

XII. Les Sécundiens,

XIII. Les Ptolémaïtes,

XIV. Les Marcites,

XV. Les Colorbasiens,

XVI. Les Héracléonites,

XVII. Les Ophites,

XVIII. Les Caïnites,

XIX. Les Séthiens,

XX. Les Archonticiens,

XXI. Les Cerdoniens,

XXII. Les Marcionites,

XXIII. Les Apellites,

XXIV. Les Sévériens,

XXV. Les Tatianites ou Encratites,

XXVI. Les Cataphrygiens,

XXVII. Les Pépuziens ou Quintilliens,

XXVIII. Les Artotyrites,

XXIX. Les Tessarescédécatites,

XXX. Les Alogiens,

XXXI. Les Adamiens,

XXXII. Les Elcéséens et les Sampséens,

XXXIII. Les Théodotiens,

XXXIV. Les Melchisédéciens,

XXXV. Les Bardésanistes,

XXXVI. Les Noétiens,

XXXVII. Les Valésiens,

XXXVIII. Les Cathares ou Novatiens,

XXXIX. Les Angéliques,

XL. Les Apostoliques,

XLI. Les Sabelliens ou Patripassiens,

XLII. Les Origénistes,

XLIII. D'autres Origénistes,

XLIV. Les Paulinianistes,

XLV. Les Photiniens,

XLVI. Les Manichéens,

XLVII. Les Hiéracites,

XLVIII. Les Méléciens,

XLIX. Les Ariens,

L. Les Vadianites ou Anthropomorphites,

LI. Les Semi-Ariens,

LII. Les Macédoniens,

LIII. Les Aériens,

LIV. Les Aétiens ou Eunomiens,

LV. Les Apollinaristes,

LVI. Les Antidicomarites,

LVII. Les Massaliens ou Euchites,

LVIII. Les Métangismonites,

LIX. Les Séleuciens ou Hermiens,

LX. Les Proclianites,

LXI. Les Patriciens,

LXII. Les Ascites,

LXIII. Les Passalorynchites,

LXIV. Les Aquariens,

LXV. Les Coluthiens,

LXVI. Les Floriniens,

LXVII. Ceux qui ne sont pas d'accord sur l'état du monde,

LXVIII. Ceux qui marchent nu-pieds,

LXIX. Les Donatistes ou Donatiens,

LXX. Les Priscillianistes,

LXXI.Ceux qui ne mangent pas en société,

LXXII. Les Rhétoriens,

LXXIII. Ceux qui disent qu'en Jésus-Christ la divinité a souffert,

LXXIV. Ceux qui reconnaissent trois formes en Dieu,

LXXV. Ceux qui disent l'eau coéternelle à Dieu,

LXXVI. Ceux qui ne veulent pas voir dans l'âme l'image de Dieu,

LXXVII. Ceux qui pensent que les mondes sont innombrables,

 

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LXXVIII. Ceux qui soutiennent que les âmes se changent en démons ou en animaux,

LXXIX. Ceux qui prétendent que, par sa descente aux enfers, le Christ a délivré toutes les âmes,

LXXX. Ceux qui soutiennent que la génération divine du Christ a eu lieu dans le temps, LXXXI. Les Lucifériens,

LXXXII. Les Jovinianistes,

LXXXIII. Les Arabiques,

LXXXIV. Les Helvidiens,

LXXXV. Les Paterniens ou Vénustiens,

LXXXVI. Les Tertullianistes,

LXXXVII. Les Abéloïtes,

LXXXVIII. Les Pélagiens ou Célestiens.

 

I. Les Simoniens étaient attachés au parti de Simon le Magicien, dont il est parlé aux Actes des Apôtres. Ce personnage reçut le baptême de la main de saint- Philippe, et quand il vit que les Apôtres donnaient le Saint-Esprit par l'imposition des mains, il leur offrit de l'argent pour obtenir d'eux le même pouvoir. Ses magies lui avaient servi à tromper un grand nombre de personnes (1); et il enseignait l'abominable communauté des femmes. Selon lui, Dieu n'a pas créé le monde : les corps ne doivent pas ressusciter. Il assurait qu'il était le Christ, et se faisait passer pour Jupiter : Minerve était personnifiée par lui en une personne de mauvaise vie, nommée Hélène, dont il avait fait la complice de ses crimes; il donnait à ses disciples son portrait et celui de cette concubine, comme des objets dignes d'adoration, et à Rome il les avait fait placer, par autorité publique , parmi les images des dieux. Ce fut dans cette ville que saint Pierre mit fin à ses magies, en le faisant mourir, parla vertu toute-puissante de Dieu.

II. Le chef des Ménandriens fut Ménandre, magicien lui-même comme Simon, son maître : il attribuait la création du monde, non à Dieu, mais aux anges.

III. Les Saturniniens reçurent leur nom de Saturnin, qui établit en Syrie l'hérésie de Simon. Suivant eux encore, sept anges ont seuls formé le monde à l'insu de Dieu le Père.

IV. La doctrine des Basilidiens, disciples de Basilide, différait de celle des Simoniens, en ce qu'ils comptaient autant de cieux qu'il y a de jours dans l'année, trois cent soixante-cinq. Aussi regardaient-ils comme saint le mot aß?asa?,

 

1. Act. VIII, 9-19.

 

dont les lettres, suivant la manière de compter des Grecs, forment un pareil nombre. Il y en a sept : a, ß, ?, a, s, a, ?, ; c'est-à-dire, un, deux, cent, un, deux cent, un, soixante : ce qui fait, en tout, trois cent soixante-cinq.

V. Les Nicolaïtes tiraient leur nom de Nicolas, l'un des sept diacres qui avaient été ordonnés par les Apôtres (1). Accusé d'un attachement excessif à une très-belle femme qu'il avait épousée, Nicolas voulut dissiper ce soupçon et offrit, dit-on, de la livrer à quiconque voudrait devenir son mari. Ce fait servit de prétexte à la formation d'une secte corrompue dans laquelle s'établit la communauté des femmes. Les Nicolaïtes ne font aucune difficulté de se nourrir de viandes immolées aux idoles, et pratiquent d.' autres cérémonies du culte païen. Ils racontent encore, sur le monde, des choses vraiment fabuleuses, mêlant à leurs discours je ne sais quels noms barbares de princes, propres à effrayer leurs auditeurs , plus capables de faire rire que de faire trembler les personnes prudentes. Ils attribuent aussi la création, non à Dieu, mais à des esprits auxquels ils croient réellement, ou que leur folle vanité les porte à imaginer.

VI. Les Gnostiques se vantent d'avoir été ou dû être appelés de ce nom à cause de l'étendue de leur science : ils sont plus vaniteux et plus corrompus que ceux qui les ont précédés. Comme ils portent différents noms, selon qu'ils habitent un pays ou un autre, appelés ici d'une manière, et ailleurs d'une façon différente , quelques-uns les désignaient sous le nom de Borborites ou libertins, en raison des turpitudes excessives auxquelles ils ont la réputation de s'abandonner dans leurs mystères. D'autres supposent qu'ils tirent leur origine des Nicolaïtes. D'autres encore en font les disciples de Carpocrate, dont nous allons parler. Leur doctrine est remplie des fictions les plus invraisemblables. A l'exemple des Nicolaïtes, ils séduisent les âmes faibles, en se servant de noms terribles d'anges ou de princes, et enseignent,sur Dieu comme sur la nature des choses, des fables contraires au plus simple bon sens. D'après leur système, les âmes sont de même nature que Dieu : leur entrée dans le corps humain et leur retour au sein de la divinité sont longuement expliqués, mais d'une façon burlesque et conforme à leurs erreurs : si leurs disciples brillent par quelque endroit, c'est,

 

1. Act. VI, 5.

 

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pour ainsi parler , moins par une grande science, que par une grande et 'vaniteuse manie de raconter des fables. On dit aussi qu'au nombre de leurs dogmes se trouve celui d'un Dieu bon et d'un Dieu mauvais.

VII. Les Carpocratiens suivent les enseignements de Carpocrate : toute action honteuse, tout raffinement d'immoralité leur sont connus. Il est, selon eux, impossible d'éviter les principautés et les puissances, de traverser leurs légions pour atteindre à un ciel plus élevé, sans assouvir toutes les convoitises de la chair, car elles plaisent à ces esprits.On raconte aussi que, d'après l'opinion de Carpocrate , Jésus n'avait été qu'un simple homme, né de Joseph et de Marie, mais doué d'un esprit si élevé , qu'il connaissait les choses célestes et devait les annoncer à ses semblables. La Loi et la résurrection des corps étaient, l'une et l'autre, une pure chimère, et la création de l'univers n'avait point Dieu pour cause : elle n'avait eu lieu que par le pouvoir de je ne sais quelles intelligences. Cette secte a, dit-on, compté parmi ses membres, une femme nommée Marcelline, qui rendait un culte d'adoration à Jésus, à Homère et à Pythagore, et brûlait de l'encens devant leurs images.

VIII. Les Cérinthiens, ainsi appelés de Cérinthe, étaient les mêmes que les Mérinthiens, à qui Mérinthe aurait donné son nom. Ils attribuaient aux anges la création du monde, et recommandaient la circoncision et l'observation d'autres préceptes de la loi Mosaïque pareils à celui-là. Suivant leurs assertions, Jésus n'avait été qu'un homme; il n'était pas ressuscité, mais il devait, un jour, sortir d'entre les morts. Après qu'il serait revenu à une nouvelle vie, commencerait son règne sur la terre, et alors, pendant un espace de mille ans, ses élus s'adonneraient à tous les plaisirs de la table et de la débauche. Voilà pourquoi on les a nommés Chiliastes (1).

IX. Tout en reconnaissant que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, les Nazaréens accomplissaient scrupuleusement les prescriptions de l'ancienne Loi, dont les chrétiens ont appris , à l'école des Apôtres, à comprendre le sens spirituel, et à délaisser l'observance charnelle (2).

X. Aux yeux des Ebionites, Jésus-Christ n'était, non plus, qu'un homme les préceptes

 

1. Cité     de Dieu , liv. XX, ch. 7. — 2. Liv. I , contre Cresconius, ch. XXXI.

 

charnels de la Loi, la circoncision et toutes les autres observances, dont nous a délivrés le Nouveau Testament, étaient choses sacrées pour eux. Epiphane assimile à ces hérétiques les Sampséens et les Elcéséens, au point d'en faire les membres d'une même secte, et de les désigner sous le même numéro, quoiqu'il remarque entre eux quelques divergences d'opinion : néanmoins, dans la suite, il parle d'eux en particulier, et leur assigne un rang à part. A en croire Eusèbe, les Elcéséens disaient qu'en temps de persécution il est permis de renier extérieurement la foi, pourvu qu'on y reste attaché dans le fond du coeur (1).

XI. Les Valentiniens. Valentin, leur chef , avait imaginé une foule de fables sur la nature des choses, entre autres, trente Eons ou siècles. Le principe de tous les Eons étaient le silence et la profondeur, à laquelle il donnait le nom de père. De tous les deux, comme de deux époux, étaient nés l'esprit et la vérité, qui , avaient produit huit Eons en l'honneur de leur père. L'esprit et la vérité avaient, de même, deux enfants, la parole et la vie, qui avaient, à leur tour, engendré dix Eons : puis, la parole et la vie avaient mis au monde l'homme et l'Eglise, qui avaient eux-mêmes enfanté douze Eons : d'où résultaient trente Eons, qui avaient, comme nous l'avons fait remarquer , pour premier principe, la profondeur et le silence. Le Christ, envoyé par le père, c'est-à-dire, par la profondeur, n'avait apporté en ce monde qu'un corps spirituel et céleste : la Vierge Marie ne lui avait rien donné de sa substance : elle avait été, pour lui , comme un canal ou un vaisseau, où il était passé, sans y rien prendre de charnel. La résurrection de la chair n'aura jamais lieu : l'esprit et l'âme de l'homme ne parviendront au salut que par les mérites de Jésus-Christ.

XII. A ce qu'on dit, les Sécundiens se confondraient avec les Valentiniens, s'ils n'ajoutaient à leurs erreurs des abominations de moeurs.

XIII. Ptolémée, aussi disciple de Valentin , voulut fonder une nouvelle secte, et, pour cela, il préféra ne reconnaître que quatre Eons et quatre autres.

XIV. Un je ne sais quel Marc devint hérétique en niant aussi la résurrection des corps et la passion effective de Jésus-Christ. Il reconnaissait aussi deux principes opposés l'un à

 

1. Eusèb. liv. VI, ch. XXXVIII.

 

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l'autre, et l'existence des Eons, à peu près telle que l'avait imaginée Valentin.

XV. Colorbase suivit ces novateurs, et ajouta peu à leurs rêveries hérétiques : selon lui, la génération et la vie des hommes dépendent des sept planètes.

XVI. Les Héracléonites furent ainsi appelés de leur chef Héracléon, disciple de ceux que nous venons de nommer. Ils soutenaient l'existence de deux principes, dont l'un procédait de l'autre, pour en produire ensemble une foule d'autres. On raconte qu'ils rachetaient en quelque sorte leurs morts d'une manière nouvelle , c'est-à-dire , en répandant , sur la tête du cadavre, de l'huile, du baume et de l'eau, et en prononçant des invocations en langue hébraïque.

XVII. Les Ophites. Leur nom vient du mot serpent, qui se traduit en grec par ?f?s. Ils prétendaient que le serpent n'était autre que le Christ, et ils avaient un serpent apprivoisé qui venait se rouler sur leurs pains, et leur consacrer une sorte d'Eucharistie. Certains auteurs les font descendre des Nicolaïtes ou des Gnostiques : c'est dans les fabuleuses fictions de ces sectaires qu'ils auraient puisé l'idée d'adorer le serpent.

XVIII. Les Caïnites, ainsi nommés parce qu'ils honoraient Caïn, lui reconnaissaient un courage éminent. A leur avis, le traître Judas était presque un Dieu, et son crime un bienfait il n'avait livré Jésus-Christ aux Juifs que parce qu'il avait prévu le bien immense qui devait résulter de sa mort pour les hommes: de plus, ils rendaient un culte aux Sodomites et même à ces malheureux engloutis sous terre pour avoir fait schisme chez le premier peuple de Dieu (1). La Loi et Dieu, auteur de la Loi, n'étaient d'ailleurs pour eux que des objets de blasphème, et la résurrection, une fable dérisoire.

XIX. Les Séthiens étaient ainsi appelés du fils d'Adam qui portait le nom de Seth : ils l'honoraient, mais à leur culte se joignaient des fables et des erreurs, fruits de leur vanité. A les entendre, le patriarche Seth fut engendré par une mère céleste, qui, disaient-ils, avait eu un commerce avec un père également céleste, et ainsi se forma une nouvelle race divine, celle des enfants de Dieu. Du reste, nul ne saurait dire les rêveries qu'ils ont imaginées par rapport aux principautés et aux puissances. Quelques auteurs disent qu'à

 

1. Nomb. XVI, 31-33.

 

leurs yeux, Sem, fils de Noé, était le Christ.

XX. Les Archonticiens tiraient leur nom des principautés auxquelles ils attribuaient la création de l'univers, dont Dieu est l'auteur. Ils s'abandonnaient à certains écarts de conduite et niaient la résurrection future.

XXI. Les Cerdonites. Cerdon, leur maître , enseignait l'existence de deux principes, opposés l'un à l'autre : dans le Dieu de la Loi et des Prophètes il ne reconnaissait ni le Père du Christ, ni le Dieu bon ; mais il lui attribuait la justice: pour le Père du Christ, c'était le Dieu bon. A ses yeux, le Christ lui-même ne s'était pas réellement revêtu de l'humanité, n'était pas né d'une femme, n'avait pas véritablement enduré la souffrance et la mort: dans sa passion, tout ne fut qu'apparence. Quelques-uns ont cru remarquer, que, par ses deux principes, Cerdon entendait deux dieux, l'un bon et l'autre mauvais. Pour la résurrection des morts et l'autorité de l'Ancien Testament, il les rejetait.

XXII. Marcion, auteur de la secte des Marcionites, embrassa aussi les erreurs de Cerdon, relativement aux deux principes : néanmoins, si l'on en croit Epiphane, il en admettait trois, l'un bon, l'autre juste, et le troisième mauvais. Mais Eusèbe prête à un certain Sinérus, et non pas à Marcion, la doctrine des trois principes et des trois natures (1).

XXIII. Les Apellites, successeurs d'Apelles. Celui-ci admettait, il est vrai, deux dieux, l'un bon, l'autre mauvais, mais, dans son idée, ces deux principes n'étaient, par nature, ni différents l'un de l'autre, ni opposés l'un à l'autre. En réalité, il ne reconnaissait qu'un principe, le Dieu bon, par qui l'autre avait été formé. Le second était méchant, et il arriva qu'en raison de sa méchanceté, il créa le monde. Apelles soutenait aussi de telles erreurs touchant le Christ, que, d'après son système, le Fils de Dieu, descendant sur la terre, n'avait point sans doute apporté avec lui un corps céleste, mais qu'il s'en était formé un, en le tirant des éléments du monde : comme il était ressuscité sans son corps, il l'avait rendu aux éléments au moment de son ascension dans le ciel.

XXIV. Les Sévériens, disciples de Sévère, ne buvaient pas de vin, parce qu'avec leur ridicule manie d'inventer des fables, ils regardaient la vigne comme produite par l'union de Satan et de la terre. Leur doctrine malsaine

 

1. Eusèb. liv. V, ch. XIII.

 

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était revêtue de noms de puissances retentissants et inventés à plaisir, et chez eux n'étaient admis ni l'autorité de l'Ancien Testament, ni le dogme de la résurrection de la chair.

XXV. Les Tatianistes, ainsi appelés de Tatien, leur maître, portent aussi le nom d'Encratites : à les entendre, les noces sont blâmables ; ils mettent le mariage au nombre des fornications et des autres excès de la corruption, et aucune personne mariée, homme ou femme, ne peut faire partie de leur secte. Ils ne font point usage de viandes, les condamnent toutes, admettent certaines émanations ridicules des Eons, et nient le salut d'Adam. Au dire d'Epiphane, les Encratites s'étaient schismatiquement séparés des Tatianistes, et ne s'en distinguaient que par là.

XXVI. Les Cataphrygiens. Montan, en qualité de Paraclet, et ses deux prophétesses, Priscilla et Maximilla, établirent cette secte d'hérétiques. Comme ils étaient nés dans la province de Phrygie, et qu'ils y avaient vécu, ils en donnèrent le nom à leurs adeptes. Aujourd'hui encore les habitants de ce pays suivent leurs erreurs. Selon eux, le Saint-Esprit, promis par le Sauveur, était sans doute descendu sur les Apôtres, mais ils en avaient eux-mêmes reçu une plus riche effusion. Les secondes noces étaient pour eux de vrais adultères. Saint Paul les avait autorisées, parce que, de son temps, on n'était point encore parvenu à la perfection : il ne connaissait donc la loi qu'à demi et ne prophétisait qu'à demi (1). Ils poussent le délire au point d'affirmer que le règne de la perfection a commencé avec Montan et ses prophétesses. A ce qu'on dit, les Cataphrygiens s'adonnent à de mystérieuses et abominables cérémonies. Avec une lancette, ils pratiquent une foule de piqûres sur le corps d'un enfant d'un an : le sang qui en sort, ils le mélangent avec de la farine, en font du pain, et se préparent ainsi une sorte d'eucharistie. Si l'enfant meurt de ses blessures , on le regarde comme un martyr : s'il y survit, comme un grand prêtre.

XXVII. Les Pépuziens ou Quintilliens, ainsi nommés d'un endroit qu'Epiphane dit avoir été autrefois une ville, maintenant déserte ; ils la regardent comme chose en quelque sorte divine, et lui donnent conséquemment le nom de Jérusalem; chez eux, les femmes

 

1. I Cor. XIII, 9, 10.

 

jouissent d'une telle autorité, que par honneur on les élève au sacerdoce, parce qu'au dire de Quintilla et de Priscilla, le Christ leur était apparu, dans la ville de Pépuze, sous les traits d'une femme : aussi, les nomme-t-on indifféremment Pépuziens ou Quintilliens. Les mystères sanglants dont j'ai parlé en expliquant les erreurs des Cataphrygiens, se voient aussi parmi eux, et paraissent indiquer l'origine de leur secte. Il paraît enfin , d'après d'autres auteurs, que Pépuze était, non pas une ville, mais une maison de campagne, où Montan, Priscilla et Quintilla vivaient ensemble : de là est venu qu'on a cru devoir donner à cette maison le nom de Jérusalem.

XXVIII. Les Artotyrites tirent leur nom de la nature de leurs offrandes, car ils offrent du pain et du fromage, sous prétexte que les premiers hommes offraient à Dieu, outre les fruits de la terre, les prémices de leurs troupeaux. Epiphane les range avec les Pépuziens.

XXIX. Les Tessarescédécatites s'appellent ainsi, parce qu'ils ne célèbrent la fête de Pâques que le quatorzième jour de la lune,quel que soit d'ailleurs le jour de son échéance; et, si c'est un dimanche, ils n'en veillent et n'en jeûnent pas moins ce jour-là.

XXX. Les Aloges, ou, comme qui dirait, les hommes sans verbe, (parce qu'en grec, Logos, signifie verbe), portent ce nom, parce qu'ils nient que Jésus-Christ soit le Verbe éternel, et rejettent comme apocryphes l'Évangile et l'Apocalypse de saint Jean, parce que, disent-ils, cet Apôtre n'en est pas l'auteur.

XXXI. Les Adamites ont pris ce nom d'Adam, car ils imitent la nudité où il se trouvait avant le péché : aussi détestent-ils le mariage, soutenant que le premier homme a connu son épouse seulement après son péché et son exclusion du paradis terrestre. A leur avis, l'union conjugale n'aurait jamais existé, si personne n'avait commis le péché, et leur Eglise est, à leur yeux, un vrai paradis, car les hommes e les femmes y entrent nus, y écoutent les leçons, y prient, y célèbrent les mystères dans un état de nudité complète.

XXXII. Les Elcéséens et les Sampséens, dont Epiphane fait ensuite mention comme si c'était ici leur place, furent, à ce qu'il paraît, les dupes d'un faux prophète : cet homme, du nom d'Elci, avait eu deux filles qu'ils adoraient comme des déesses. Pour le (8) reste, il y avait similitude d'erreurs entre ces hérétiques et les Ebionites.

XXXIII. Théodote établit la secte des Théodotiens. Il enseigna que le Christ n'était qu'un homme. Le motif de son hérésie se trouva, dit-on, dans l'apostasie dont il s'était rendu coupable au moment d'une persécution : pour pallier son crime, il n'avait rien imaginé de mieux que de dire qu'il avait renié un homme, et non un Dieu.

XXXIV. Aux yeux des Melchisédéciens, le prêtre du Très-Haut, Melchisédech, n'était pas un homme, mais la grande vertu de Dieu.

XXXV. Les Bardésanistes furent ainsi nommés d'un certain Bardésane, qui fut d'abord un catholique très-distingué, mais qui tomba ensuite dans l'hérésie de Valentin, sans toutefois en suivre tous les errements.

XXXVI. Les Noétiens, disciples d'un certain Noet, soutenaient que le Christ n'était autre que le Père et le Saint-Esprit.

XXXVII. Chez les Valésiens, tous sont eunuques: ils mutilent aussi leurs hôtes, croyant devoir ainsi servir Dieu. Là ne s'arrêtent ni leurs turpitudes ni leurs erreurs: néanmoins Epiphane n'a pas mentionné leurs autres écarts de croyance et de mœurs, et moi, je n'ai jamais pu les connaître.

XXXVIII. Les Cathares, qui s'appelaient aussi Novatiens, parce qu'ils avaient adhéré aux erreurs de Novat, s'étaient orgueilleusement et odieusement nommés ainsi, pour faire parade de leur prétendu puritanisme : ils condamnaient les secondes noces, et refusaient l'absolution aux pécheurs.

XXXIX. D'après le témoignage d'Epiphane, on ne rencontre plus d'Angéliques, c'est-à-dire, de ces hérétiques qui adoraient les anges.

XL. Les Apostoliques. Sous ce nom très-prétentieux, on désigne ceux qui ne reçoivent à leur communion ni les personnes mariées, ni les chrétiens qui n'ont pas renoncé à leurs biens propres, comme font les moines et un grand nombre de clercs dans l'Église catholique. Leur hérésie consiste en ce que, contrairement à l'enseignement de cette Eglise, ils enlèvent toute espérance de salut à ceux qui usent des choses dont ils s'abstiennent. Leurs erreurs sont les mêmes que celles des Encratites, car on les appelle aussi Apotactites (1). Mais pour celles qui leur seraient propres, je ne les connais pas.

 

1. Ce mot signifie : les Renonçants.

 

XLI. Noet, dont il vient d'être question, eut pour disciple Sabellius , maître des Sabelliens : ceux-ci furent donc une branche des Noétiens. Je ne sais, à vrai dire, pour quel motif Epiphane a fait des Noétiens et des Sabelliens deux sectes différentes, car il a pu arriver que Sabellius ait fait plus de bruit que Noet, et que cette hérésie ait conséquemment reçu de lui un nom plus célèbre. A peine connaît-on les Noétiens : pour les Sabelliens, beaucoup de personnes en savent le nom. En effet, les uns leur donnent le nom de Praxéaniens, de Praxéas ; les autres, celui d'Hermogéniens, qui vient d'Hermogène : ces deux personnages soutinrent la même doctrine, et vécurent l'un et l'autre en Afrique. Ce ne sont donc pas plusieurs sectes, mais ce sont des noms différents donnés à une seule et même secte, en mémoire des hommes les plus célèbres qui en firent partie. Ainsi en est-il des Donatistes et des Parménianistes, des Pélagiens et des Célestiens. Comment donc expliquer pourquoi Epiphane nous représente les Sabelliens et les Noétiens comme deux sectes bien distinctes, tandis qu'ils appartiennent à la même, sous diverses dénominations? Je ne le vois pas clairement : car, s'il existe entre eux une différence essentielle, il en a parlé d'une manière si obscure, peut-être parce qu'il cherchait à être concis, et qu'il m'est impossible. de saisir sa pensée. Mettant les Sabelliens au rang où ils se trouvent ici, mais si loin des Noétiens, il s'exprime en ces termes : « Les Sabelliens professent les mêmes erreurs que les Noétiens, avec cette différente pourtant que, selon eux, le Père n'a pas souffert (1) ». Est-il possible de croire qu'il est ici question des Sabelliens, puisque ceux-ci affirment si ouvertement les souffrances du Père, qu'on les connaît plutôt sous le nom de Patripassiens que sous celui de Sabelliens? Et si, en disant que, selon eux, le Père n'a pas souffert, il a voulu parler des Noétiens, comment les reconnaître au milieu de termes si ambigus? Enfin, Epiphane a-t-il vraiment voulu dire, des uns et des autres, que, selon eux, le Père n'a pas souffert, puisqu'ils soutiennent également que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne forment ensemble qu'une seule et même personne? Mais Philastre, évêque de Brixiane, qui a écrit sur les hérésies un livre excessivement prolixe, et qui a compté

 

1 Epiphane en son Anacéphaléose.

 

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cent vingt-huit sectes hérétiques, nomme les Sabelliens immédiatement après les Noétiens, et s'exprime ainsi : « Sabellius fut disciple de Noet, et professa exactement la doctrine de son maître: c'est pourquoi les membres de cette secte furent indifféremment appelés, dans la suite, Sabelliens , Patripassiens , Praxéaniens et Hermogéniens ; de Praxéas et d'Hermogène, qui habitèrent tous deux l'Afrique : ces divers hérétiques furent exclus de l'Eglise catholique avec tous ceux qui pensaient comme eux ».

Evidemment, après avoir cité les Noétiens, il a désigné, sous le nom de Sabelliens, tous ceux qui marchaient sur les traces de Noet il a indiqué les autres noms donnés aux membres de la même secte ; et, pourtant, il distingue parfaitement les Noétiens des Sabelliens, comme s'ils formaient deux sectes bien distinctes. Pourquoi ? Lui seul le sait.

XLII. Les Origéniens, disciples d'un Origène, diffèrent de celui que presque tout le monde connaît. Qui était cet Origène? Je l'ignore : mais voici ce qu'Epiphane dit de lui et de ses sectateurs : « Les Origéniens, ainsi nommés d'Origène, leur maître, se livrent à des turpitudes et commettent des abominations : leurs corps sont de vrais instruments de corruption ». Puis parlant d'autres Origéniens, il ajoute :

XLIII. « II y a d'autres Origéniens, qui suivent la doctrine d'Adamand : ils nient la résurrection des morts, et disent que le Christ et le Saint-Esprit ont été créés : pour eux, le paradis, le ciel et bien d'autres objets de nos croyances ne doivent point être pris à la lettre ». Voilà ce qu'Epiphane dit d'Origène. Ceux qui le défendent, soutiennent que d'après lui, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne forment qu'une seule et même substance, et que la résurrection des morts aura lieu. Ceux, au contraire, qui ont lu la plupart de ses écrits, persistent à l'attaquer, sous divers rapports, comme hérétique. Mais Origène a professé d'autres points de doctrine que l'Eglise rejette d'une manière absolue, dont elle le blâme à juste titre, et sur lesquels ses défenseurs ne peuvent donner aucune explication plausible; particulièrement en ce qui concerne la purification et la délivrance des damnés , et encore, pour les créatures raisonnables, leur retour aux mêmes épreuves après un laps de temps considérable. Quel catholique instruit ou ignorant pourrait, en effet, ne pas condamner ce qu'Origène dit de la purification des méchants dans l'enfer? Il prétend que les méchants, même ceux qui auront terminé leur existence au milieu des infamies, dans le crime, dans le sacrilège et l'impiété, qu'en dernier lieu le démon lui-même avec ses anges seront délivrés et purifiés après une infinité de siècles, et seront reçus dans le royaume et la lumière de Dieu enfin, qu'après bien des temps, tous ceux qui auront été délivrés, retomberont et retourneront dans les mêmes maux : que ces alternatives de bonheur et de misères ont toujours été et seront toujours la destinée de la créature raisonnable. Dans le livre de la Cité de Dieu, je me suis efforcé de détruire ce vain et impie système, adopté par les philosophes, et suivi par Origène (1).

XLIV. Les Pauliniens, sectateurs de Paul de Samosate, soutiennent que le Christ n'a pas toujours existé, mais qu'il a commencé au moment où il est né de la Vierge Marie: ils ne voient donc en lui qu'un pur homme. Cette hérésie avait été précédemment professée par un certain Artimon: après avoir presque disparu, elle fut remise en scène par Paul de Samosate, et soutenue par Photin, au point que ses sectateurs furent bientôt plus connus sous le nom de Photiniens que sous celui de Pauliniens. Au Concile de Nicée, on décréta que ceux d'entre ces Pauliniens qui voudraient rentrer dans le giron de l'Eglise catholique, seraient baptisés: d'où il est permis de conclure qu'ils n'avaient point conservé la vraie manière de baptiser, à l'exemple de beaucoup d'autres hérétiques, qui, en se séparant de la véritable Eglise, ont néanmoins religieusement conservé ses rites, qu'ils observent encore aujourd'hui.

XLV. Dans la liste des hérétiques dressée par Epiphane, Photin n'est placé ni à côté de ;Paul de Samosate, ni après lui , mais entre eux se trouvent indiqués d'autres hérésiarques. Selon cet auteur, Photin professa certainement les mêmes erreurs que Paul, mais il s'en éloigna à certains égards: en quoi consista la divergence de leurs opinions ? Epiphane ne le dit pas. Au contraire, dans la liste de Philastre, les noms de ces deux hérétiques se suivent immédiatement, désignés l'un et l'autre par un numéro d'ordre différent,

 

1. Cité de Dieu, liv. XXI.

 

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comme s'ils avaient professé des doctrines diverses: et pourtant Philastre déclare que le second a suivi en tout les errements du premier.

XLVI. Manès, originaire de Perse, fut le chef des Manichéens : cependant, après qu'il eut commencé à enseigner en Grèce sa doctrine insensée, ses disciples aimèrent mieux l'appeler Manichée que de lui donner un nom synonyme de celui de folie. Partant de là, quelques-uns d'entre eux, comme plus savants et, par là même, plus menteurs, doublèrent l'N, et prononcèrent Mannichée, c'est-à-dire, homme qui répand la manne. Manès imagina l'existence de deux principes, différents l'un de l'autre, opposés l'un à l'autre, éternels et coéternels, c'est-à-dire, ayant toujours existé; et, imitant en cela les anciens hérétiques, il admit deux natures et deux substances, celle du bien et celle du mal. Il serait trop long d'insérer, dans cet ouvrage, les rêveries dont il a enveloppé sa doctrine touchant l'opposition et le mélange du bien et du mal, la séparation complète du bien d'avec le mal, et la condamnation éternelle réservée au mal, comme au bien qui ne pourra être séparé du mal. En conséquence de ces rêveries ridicules et impies, les Manichéens sont forcés de reconnaître la même nature à Dieu et aux âmes bonnes, qui doivent être délivrées de leur mélange d'avec les âmes mauvaises, c'est-à-dire, des âmes douées de la nature opposée à celle du bien. C'est pourquoi, selon eux, la nature du bien, c'est-à-dire la nature divine, a fait le monde, il est vrai, mais elle l'a fait du mélange formé par le bien et le mal au moment où les deux natures ont lutté l'une contre l'autre. Cependant la séparation parfaite du bien d'avec le mal et sa délivrance, ce sont les vertus de Dieu qui l'effectuent par tout le monde et dans tous les éléments, comme elles forment leurs élus parles aliments dont ils se nourrissent. Ces aliments et le monde entier sont mélangés avec la substance divine, et cette substance est purifiée dans les élus des Manichéens par le genre de vie que ceux-ci ont adopté et que leurs auditeurs observent encore d'une manière plus sainte et plus excellente. J'ai prononcé les noms d'élus et d'auditeurs ; deux classes de fidèles dont se compose leur Eglise. A les en croire, cette partie de la nature bonne et divine qui se trouve mélangée et emprisonnée dans les aliments, et dans la boisson, et, surtout, dans ceux qui engendrent, l'est encore d'une façon plus étroite et plus honteuse chez les autres hommes, et même chez leurs auditeurs. Quant aux portions de lumière purifiées, dont la réfraction a lieu de toutes parts, elles retournent à Dieu, comme à leur foyer naturel, transportées dans les airs par des vaisseaux, c'est-à-dire, par la lune et le soleil: ces vaisseaux sont faits de la pure substance de Dieu ; et cette lumière corporelle, dont les rayons frappent ici-bas les regards de tous les êtres mortels animés, qui réside, non-seulement dans la lune et le soleil où elle est toute pure, mais encore dans tous les autres objets brillants au sein desquels elle se trouve mélangée, et doit être purifiée; cette lumière corporelle n'est autre que la nature divine. Les cinq éléments, c'est-à-dire, la fumée, les ténèbres, le feu, l'eau et le vent ont été formés par le peuple des ténèbres; ils ont, à leur tour, engendré des princes particuliers. Dans la fumée, sont nés les animaux bipèdes, et, par conséquent, les hommes; dans les ténèbres, les serpents; dans le feu, les quadrupèdes; dans l'eau, les poissons; dans le vent, les oiseaux. Pour détruire la puissance de ces mauvais éléments, cinq autres, émanés de la substance divine, sont sortis du royaume céleste, et, de leur lutte mutuelle, est résulté le mélange de l'air avec la fumée, de la lumière avec les ténèbres, du bon feu avec le mauvais, de la bonne eau avec la mauvaise, du vent mauvais avec le bon. Il y a, entre les deux vaisseaux, ou les deux grands luminaires du ciel, cette différence que la lune a été faite avec la bonne eau, et que le soleil a été fait avec le bon feu. En eux résident les saintes vertus : celles-ci se transforment en hommes pour attirer à eux les femmes du parti adverse, et puis, en femmes pour attirer les hommes de ce même parti, afin que leur concupiscence,'étant éveillée par de telles excitations, la lumière, contenue et mélangée dans leurs membres, s'en échappe, soit reçue par les anges de lumière pour être purifiée, et, après cette purification, soit chargée sur ces vaisseaux et reportée dans son propre royaume. A cette occasion , ou plutôt, par une conséquence nécessaire de leur abominable superstition, leurs élus doivent recevoir une sorte d'eucharistie, sur laquelle on a préalablement répandu de la semence humaine, pour que de là, comme de leurs aliments, la substance divine se trouve délivrée. Les Manichéens affirment que jamais (11) crime pareil n'a été commis parmi eux; ils en accusent je ne sais quels autres hérétiques auxquels ils donnent leur propre nom. Pourtant, tu le sais, au moment où tu étais diacre à Carthage, on les a convaincus dans une église de cette ville: car, après des poursuites dirigées contre eux par le tribun Ursus, préfet de la maison royale, quelques-uns d'entre eux y furent amenés. Alors une jeune fille, du nom de Marguerite, à peine âgée de douze ans, trahit leurs honteuses pratiques, et déclara qu'elle avait été violée pour l'accomplissement de leurs coupables mystères. On obtint assez facilement le même aveu d'une sorte de nonne Manichéenne, appelée Eusébie, qui avait souffert violence pour la même cause. De prime abord, elle avait soutenu qu'elle était vierge, et demandait à être visitée par une sage-femme: lorsqu'elle eut été examinée et qu'on sut à quoi s'en tenir sur son compte, elle fit connaître, comme Marguerite, qu'on avait interrogée à part et dont elle n'avait pu entendre la déposition, tous les détails des criminelles turpitudes des Manichéens: on faisait, disait-elle, coucher ensemble un homme et une femme, après avoir étendu sous eux de la farine destinée à recevoir de la semence humaine et à être mélangée avec elle. Les Actes épiscopaux que vous nous avez envoyés en font foi : tout récemment encore on trouva quelques Manichéens: conduits à l'église, ils y furent minutieusement interrogés, et découvrirent, non des mystères sacrés, mais d'exécrables secrets. L'un d'eux, nommé Viator, appelait Cathares ceux qui se rendaient coupables de pareils forfaits : il reconnaissait aussi, comme sectateurs de Manès, les Mattariens et surtout les Manichéens, avouant, toutefois malgré lui, qu'ils étaient tous les disciples du même maître, et de vrais Manichéens. Il est, en effet, certain et indubitable qu'ils ont tous, entre les mains, les livres manichéens où se trouve l'affreuse doctrine de la transformation des hommes en femmes, et des femmes en hommes, et dans lesquels on les excite à attirer et à détruire, par la concupiscence, les princes des ténèbres inhérents aux deux sexes, afin que la substance divine, jusqu'alors retenue captive en eux, soit délivrée et s'en éloigne : ils ont beau dire qu'on ne pratique point chez eux la doctrine contenue dans ces livres, toutes ces abominations en découlent comme de source. En agissant de la sorte, ils pensent imiter de leur mieux les vertus divines : par ce moyen, ils purifient cette portion de leur Dieu qui se trouve enfermée et toute souillée dans la semence humaine, comme dans tous les corps célestes et terrestres, et dans la semence de toutes choses. Ils doivent, par conséquent, la délivrer de la semence humaine en se nourrissant de celle-ci, comme ils la délivrent de toutes les autres semences contenues dans les aliments dont ils font usage. De là leur est venu le nom de Cathares ou purificateurs, car ils mettent à purifier la substance divine un tel soin, qu'ils ne reculent pas même devant l'infamie d'une pareille nourriture. Cependant ils ne mangent pas de viande, car, disent-ils, la substance divine est incompatible avec n'importe quel être mort ou tué, et le peu qu'il en reste dans ces corps, ne mérite pas d'être purifié dans l'estomac des élus. Les veufs n'entrent pas non plus dans leur alimentation, car le principe de la vie s'éteint en eux dès qu'on en brise l'enveloppe on ne peut se nourrir d'aucun corps mort, et ce qui vient de la chair est mort, à moins d'être mêlé à de la farine, parce que celle-ci lui conserve la vie. Les Manichéens ne se servent pas davantage de lait, quoiqu'on le suce ou qu'on le tire d'un corps animal vivant; non pas qu'à leurs yeux la substance divine ne s'y trouve point mêlée, mais parce que l'erreur ne se trouve pas toujours d'accord avec elle-même. Par la même anomalie, ils ne boivent pas de vin, parce que c'est le fiel du prince des ténèbres : ils mangent du raisin , et pourtant encore, ils n'usent pas même de vin doux, si nouveau qu'il soit. Suivant eux, les âmes des auditeurs retournent dans les élus, ou, par une plus heureuse coïncidence, dans les aliments des élus, en sorte qu'étant, là, bien purifiées, elles ne sont point obligées de transmigrer à nouveau dans un autre corps. mais toutes les autres âmes repassent dans les troupeaux et dans tout ce qui tient par racines à la terre, et s'en nourrit. Les herbes et les arbres vivent de telle façon qu'ils en ont le sentiment et qu'ils gémissent quand on les blesse: aussi, les Manichéens éprouvent-ils une sorte de torture, dès qu'ils voient cueillir une herbe ou couper un arbre en conséquence, il n'est point permis, chez eux, même de défricher un champ; on doit, ô folie ! regarder comme entaché d'homicide, (12) l'art le plus innocent de tous, l'agriculture, et, s'il est permis aux auditeurs de cultiver la terre, c'est uniquement parce qu'ils trouvent, dans la culture des champs, le moyen de fournir des aliments aux élus, et que la substance divine, contenue dans ces aliments pour y être purifiée, demande grâce pour eux, lorsqu'elle est dégagée dans l'estomac des élus. C'est pourquoi ceux-ci ne travaillent jamais dans la campagne, rie cueillent pas de fruits, n'arrachent pas même une feuille, et attendent que les auditeurs leur apportent les différentes récoltes destinées à leur usage : ainsi, ils vivent d'une foule d'homicides, commis par les autres, imaginés par leur folle vanité. Si les auditeurs se nourrissent de viande, recommandation expresse leur est faite de ne pas tuer eux-mêmes les animaux dont elle provient, dans la crainte d'offenser les princes des ténèbres retenus captifs dans les régions célestes, car toute chair a été créée par eux. S'ils usent du mariage, ils doivent soigneusement éviter de concevoir et d'engendrer, de peur que la substance divine, introduite en eux par les aliments, ne se trouve enchaînée par des liens charnels dans leurs enfants. Ils se figurent, en effet, que toute chair reçoit une âme par l'intermédiaire de la nourriture et de la boisson : aussi parmi eux condamne-t-on positivement les noces, et les empêche-t-on le plus possible, puisqu'on ordonne d'éviter la génération, qui est cependant la fin légitime de l'union conjugale. A leur sens, Adam et Eve ont eu pour parents les princes de la fumée : leur naissance remonte à l'époque, où, après avoir dévoré tous les enfants de ses compagnons et absorbé ainsi la portion de substance divine qu'ils contenaient, Saclas, leur père, connut sa femme, et rendit de nouveau captive cette portion de divine substance en l'enfermant dans la chair de sa propre race, comme dans une étroite prison. Le Christ a existé: c'était le serpent de l'Ecriture, qui ouvrit les yeux de l'intelligence à nos premiers parents, et leur fit connaître le bien et le mal. Le Christ est revenu sur la terre en ces derniers temps pour sauver les âmes et non les corps : il n'a point réellement pris une chair mortelle, il ne s'est incarné qu'en apparence, et s'est ainsi joué des sens de l'homme. Il a paru mourir et ressusciter, et, dans sa mort comme dans sa résurrection, il n'y a eu que de l'illusion. Le Dieu qui a donné sa loi par le ministère de Moïse, qui a parlé par les Prophètes juifs, n'était pas le vrai Dieu, c'était un prince des ténèbres. Les Manichéens altèrent aussi les livres du Nouveau Testament, de manière à y prendre ce qui leur plaît, et à en rejeter ce qui ne leur convient pas: pour s'y autoriser, ils prétendent que le texte en a été précédemment corrompu ; ils leur préfèrent des écritures apocryphes, qui, à les en croire, renferment toute la vérité. La promesse du Saint-Esprit, faite par Notre-Seigneur Jésus-Christ (1), s'est accomplie en la personne de Manichée, leur maître : de là vient que, dans toutes ses lettres, il prend le titre d'apôtre de Jésus-Christ, parce que le Sauveur avait promis de l'envoyer et lui avait donné l'Esprit-Saint. Voilà aussi pourquoi Manichée se choisit douze disciples à l'exemple de Notre-Seigneur. Le nombre douze est encore aujourd'hui respecté et conservé par ses sectateurs. Chez eux on choisit, d'entre les élus, douze hommes auxquels on donne le nom de maîtres, et à la tête desquels on en place un treizième en qualité de chef: il y a aussi soixante-douze évêques, ordonnés par les maîtres, et des prêtres ordonnés par les évêques : les évêques ont leurs diacres; les autres membres de la secte portent seulement le nom d'élus mais ceux d'entre eux qui paraissent capables, on les envoie pour soutenir et développer l'erreur là où elle est déjà établie, pour la semer là où elle n'existe pas encore. Ils n'attribuent au baptême d'eau aucune efficacité pour le salut, et pensent ne devoir le conférer à aucun de ceux qu'ils entraînent dans leur hérésie. Pendant le jour, ils se tournent, pour prier, vers le soleil, n'importe où il en soit de sa course: pendant la nuit, leur visage se dirige du côté de la lune, si on la voit, et quand on ne l'aperçoit pas, du côté de l'aquilon, par où le soleil revient du lieu de son coucher à celui de son lever. Suivant leur doctrine, le péché ne vient pas du libre choix de la volonté de l'homme; c'est la substance du parti contraire qui le produit. Partant de là, que la substance du principe mauvais est mêlée à tous les hommes, ils disent que toute chair a été formée, non par Dieu, mais par le mauvais esprit, qui, émané du principe contraire, est coéternel à Dieu. Si nous ressentons en nous la concupiscence de la chair, source des luttes du corps contre l'esprit, cette

 

1. Jean, XVI, 7.

 

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infirmité n'est point en nous le résultat de la corruption de la nature en Adam; c'est une substance contraire , tellement adhérente à notre être, que, quand nous en sommes délivrés et purifiés, elle s'en sépare pour vivre elle-Même éternellement dans sa propre nature. Entre ces deux âmes, ou ces deux esprits, l'un bon, l'autre mauvais, se livre, dans chaque homme, un combat, lorsque la chair lutte contre l'esprit, et l'esprit contre la chair (1). Cette infirmité n'a jamais été et ne sera jamais guérie en nous, de la manière dont on l'enseigne dans l'Eglise catholique; mais, séparée de nous et enfermée pour toujours dans un certain autre monde comme dans une prison, cette substance du mal sera éternellement victorieuse quand seront arrivés la fin des temps et le bouleversement de l'univers. A ce monde viendront continuellement se joindre et s'attacher à la manière d'un vêtement ou d'un manteau, les âmes qui, malgré leur bonté naturelle, n'auraient pu néanmoins se purifier de leur contact avec la nature mauvaise.

XLVII. Les Hiéracites, disciples d'Hiéracas, nient la résurrection de la chair, ne reçoivent dans leur société, que des moines, des religieuses et des personnes libres des liens du mariage, et prétendent que les enfants morts avant l'âge de raison n'entrent pas dans le royaume des cieux, parce qu'ils n'ont mérité ce bonheur par aucun combat contre le vice.

XLVIII. Les Méléciens, ainsi nommés de Mélèce, leur chef, sont devenus schismatiques en ne consentant pas à prier avec les convertis, c'est-à-dire, avec ceux qui, ayant renié la foi pendant la persécution, étaient revenus à résipiscence. On dit qu'ils sont maintenant réunis aux Ariens.

XLIX. Arius a donné son nom aux Ariens tous connaissent parfaitement ces hérétiques et leur erreur. A les entendre, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas d'une seule et même nature, d'une seule et même substance, ou, pour parler plus clairement, n'ont pas la même essence, en grec, ousia ; le Fils est une créature, et le Saint-Esprit est une créature de créature, c'est-à-dire , formée par le Fils. En s'incarnant, le Christ a pris seulement un corps, sans s'unir en même temps à une âme. Toutefois, sur ce dernier point, on tonnait moins leur doctrine que sur les autres, et personne

 

1. Gal. V, 17.

 

que je sache, n'a rien dit de certain à cet égard : il est néanmoins positif que telle est leur doctrine. Epiphane l'a reconnu ; je m'en suis moi-même assuré en lisant certains de leurs écrits, en écoutant certains de leurs discours. Ils rebaptisent aussi les catholiques: en usent-ils de même avec les non-catholiques ? Je l'ignore.

L. Epiphane veut qu'on regarde comme schismatiques, et non comme hérétiques ceux qu'il appelle Vadiens et que d'autres nomment Anthropomorpbites , parce qu'ils adoptent des idées charnelles et représentent Dieu sous une figure humaine corruptible. Pour les épargner et ne point les faire considérer comme hérétiques , Epiphane attribue cette erreur à leur rusticité. Voici ce qu'il en dit : « Les Vadiens se sont séparés de notre communion, parce que les richesses des évêques les offusquaient, et qu'ils célébraient la pâque en même temps que les Juifs ». Certains auteurs affirment pourtant qu'en Egypte ils sont en communion avec les Catholiques. —  Epiphane place les Photiniens en cet endroit de sa liste : nous en avons déjà suffisamment parlé plus haut.

LI. Au dire de cet écrivain, les Semi-Ariens reconnaissent, dans le Fils, une essence pareille à celle du Père, mais non la même omoiuosion : ils sont par conséquent des Ariens incomplets, puisque les vrais Ariens et les Eunomiens n'acceptent pas même la similitude de substance entre ces deux personnes.

LII. Les Macédoniens, sectateurs de Macédonius, sont appelés, chez les Grecs, pneumatomakhous (1) , parce qu'ils élèvent des contestations au sujet du Saint-Esprit. En ce qui concerne le Père et le Fils, il n'y a rien à blâmer dans leur doctrine, puisqu'ils confessent une seule et même substance ou essence dans l'un et dans l'autre: mais ils ne veulent pas en croire autant du Saint-Esprit , qu'ils regardent comme une simple créature. Quelques-uns leur donnent, avec plus de raison, le nom de Semi-Ariens , parce qu'ils sont d'accord à demi avec les Ariens, et d'accord à demi avec nous. Néanmoins, d'autres pensent que, dans l'idée des Macédoniens, le Saint-Esprit n'est pas Dieu, qu'il n'a pas de substance à lui propre, mais qu'il est seulement la divinité du Père et du Fils.

LIII. Désolé de n'avoir pu devenir évêque,

 

1. Ce mot signifie : Ennemis de l'esprit.

 

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le prêtre Aérius se jeta dans le parti des Ariens, fonda la secte des Aériens en ajoutant quelques erreurs 'à celles de l'arianisme. Ainsi, selon lui, on ne devait ni offrir le saint sacrifice pour les morts, ni établir ou observer des jeûnes solennels : chacun pouvait jeûner à son gré, afin de ne point paraître soumis à une loi : on né devait, non plus, voir aucune différence entre un évêque et un prêtre. Si l'on en croit certains auteurs, les Aériens, à l'exemple des Encratites ou Apotactites, ne reçoivent, dans leur communion, que les continents et ceux qui ont renoncé au monde au point de ne plus rien posséder en propre. Au dire d'Epiphane, ils mangent de la viande : Philastre, au contraire, assure qu'ils s'en abstiennent.

LIV. Les Aétiens s'appellent ainsi d'Aétius, et Eunomiens d'Ennomius, son disciple: mais ils sont plus connus sous ce dernier nom. Dialecticien habile, mordant et renommé, Eunomius soutint, avec plus de succès que son maître, l'erreur d'après laquelle le Fils serait tout différent du Père et le Saint-Esprit tout différent du Fils. Les bonnes moeurs rencontrèrent aussi en lui un adversaire si effronté, qu'il promettait à tous les sectateurs fidèles de sa doctrine une impunité complète pour les crimes les plus abominables et la persévérance dans le mal.

LV. Marchant sur les traces d'Apollinaire, les Apollinaristes s'éloignèrent, comme lui, de la foi catholique touchant l'âme du Christ, et prétendirent, à l'exemple des Ariens, que le Dieu-Christ avait pris un corps sans âme. Confondus par les textes de l'Evangile opposés à leur enseignement, ils répondirent que, si le Sauveur avait pris une âme, elle était privée de l'entendement qui rend raisonnable l'âme humaine : défaut, ajoutaient-ils, suppléé par la présence du Verbe. Relativement au corps du Christ, ils ne s'accordaient pas davantage avec l'enseignement de l'Eglise. Dans leur opinion, le Verbe était une seule et même substance avec son corps : il s'était fait chair en ce sens qu'une portion du Verbe s'était convertie et changée en chair, mais son corps n'avait pas été formé de celui de Marie.

LVI. Les Antidicomarites ne reconnaissent pas la virginité de Marie : ils soutiennent, au contraire, qu'après la naissance du Christ, elle a eu des rapports charnels avec son époux.

LVII. La dernière hérésie dont Epiphane fasse mention, est celle des Massaliens, nom syrien que les Grecs rendent par celui d'Euchites (eukhitai) à cause de leur manière de prier. Le Seigneur avait dit : « Il faut prier a toujours et ne pas se lasser (1) ». L'Apôtre avait dit aussi : « Priez sans cesse (2) ». Ce qui signifie évidemment qu'il ne faut passer aucun jour sans consacrer à la prière quelques moments. Les Massaliens ont tellement pris à la lettre cette recommandation, qu'on a cru devoir, pour cela, les ranger parmi les hérétiques. Néanmoins, si l'on ajoute foi au dire de certains auteurs, ils racontaient, sur la purification des âmes, je ne sais quelle fable fantastique et ridicule : ainsi, par exemple, quand un homme est purifié, on lui voit sortir de la bouche une laie avec ses petits, et, aussitôt après, un globe de feu entre visiblement en lui, et ne le consume pas. Epiphane leur assimile et comprend dans la même secte les Euphémites, les Martyriens et les Sataniens. Les Euchites prétendent que les moines ne peuvent et ne doivent rièn faire, même pour subvenir aux nécessités de la vie, et qu'on ne se montre véritablement moine qu'en s'abstenant de tout travail.

L'évêque de Chypre, dont il a été tout à l'heure question, termine ici son ouvrage sur les hérésies. Cet écrivain jouit d'une grande réputation parmi les Grecs; on le regarde généralement comme très-exact en fait de doctrine catholique. Dans la nomenclature des hérétiques et l'exposition de leurs erreurs, j'ai suivi l'ordre adopté par lui, mais non sa méthode ; ajoutant ici , d'après d'autres, ce qu'il n'a pas dit, retranchant ailleurs ce dont il a fait mention, m'étendant sur un point, abrégeant sur un autre, imitant parfois sa brièveté, suivant, en tout, le plan que je m'étais tracé. Selon sa manière de voir, les hérésies sont au nombre de quatre-vingts : il en compte vingt avant la naissance du Sauveur et soixante depuis son Ascension. A ces dernières il a consacré cinq livres extrêmement courts, et pour toutes il a fait les six livres dont se compose son ouvrage tout entier. Pour moi, je me suis conformé à ta demande, et je t'ai rappelé toutes les hérésies qui se sont déclarées, même sous ombre de Christianisme, contre la doctrine de Jésus-Christ, depuis le jour où il a été glorifié. De toutes les hérésies citées par Epiphane, j'en

 

1. Luc, XVIII, 1. — 2. I Thess. V, 17.

 

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ai cité cinquante-sept, — de deux qui me semblaient pareilles, n'en faisant qu'une, et indiquant, sous des chiffres différents, celles qu'il avait réunies en une seule, mais qui me paraissaient soutenir des erreurs diverses. Il me reste maintenant à énumérer toutes les sectes indiquées par d'autres écrivains, ou dont j'ai moi-même souvenance. Voici celles que nomme Philastre, et qu'Epiphane n'a pas mentionnées.

LVIII. Les Métangismonites, sectateurs du Métangismon, avaient, du Père et du Fils, des idées toutes charnelles , les considéraient presque comme deux corps, et disaient que le Fils est dans le Père, comme un vase est dans un autre vase, en sorte que le Fils entre dans son Père comme un vase plus petit pénètre dans un vase plus grand. De là on a donné à cette erreur le nom grec de metangismos, parce que, dans la langue des Hellènes angeion, signifie vase : on ne trouve pas, dans la langue latine, de mot qui puisse signifier, à lui seul, l'entrée d'un vase dans un autre, comme le mot grec metangismos.

LIX. Les Séleuciens et les Hermiens, disciples de Séleucus et d'Hermias, ont adopté un système d'après lequel la matière des éléments qui constituent le monde, n'a pas été faite par Dieu, mais lui est coéternelle. A les en croire, l'âme de l'homme n'a pas non plus Dieu pour auteur, mais les anges l'ont faite de feu et d'air subtil. Le mal puise son origine, tantôt en Dieu, tantôt dans la matière. Jésus-Christ n'est point corporellement assis à la droite de Dieu, mais, en remontant au ciel, il a quitté sa chair et l'a laissée dans le soleil, selon cette parole du Psalmiste : « Dans le soleil il a placé sa tente (1) ». Il n'y aura pas de paradis visible , le baptême d'eau est inutile : la résurrection future est un mythe : elle a lieu, tous les jours, dans la procréation des enfants.

LX. La doctrine des Proclianites est la même que celle des Séleuciens ; mais ils disent que le Christ, venant en ce monde, ne s'est pas incarné.

LXI. Selon les Patriciens, disciples de Patricius, la substance du corps humain a été créée, non parDieu, mais par le diable : aussi en ont-ils un tel dégoût, une si vive horreur, que plusieurs d'entre eux se donnent la mort pour en être débarrassés.

LXII. Les Ascites tirent leur nom du grec

 

1. Ps. XVIII, 6.

 

askos, qui, en latin, signifie outre, parce que, dans leurs fêtes, véritables bacchanales, ils dansent autour d'une outre gonflée et recouverte d'un voile, disant qu'ils sont les vases neufs remplis de vin nouveau, dont il est parlé dans l'Évangile.

LXIII. Les Passalorynchites s'étudient tellement au silence, que, pour ne pas le rompre, quand ils jugent à propos de le garder, ils mettent leur doigt dans le nez, et se ferment la bouche. Le mot passalos veut dire pieu, et rugkhos, nez. Comme tu le vois, ce nom de Passalorynchites est composé : mais pourquoi ces hérétiques ont-ils remplacé le mot doigt par le mot pieu? Je n'en sais rien. Le mot doigt se traduisant en grec par daktulos, ils auraient pu, avec plus d'à propos, s'appeler Dactylorynchites.

LXIV. Contrairement à l'usage de toute l'Église qui offre du vin au saint sacrifice, les Aquariens ne mettent que de l'eau dans le calice.

LXV. Les Coluthiens, sectateurs de Coluthus. Celui-ci enseigna que Dieu n'est pas l'auteur des maux qui nous affligent, contrairement à ce qui est écrit : « Je suis le Dieu qui crée les maux (1) ».

LXVI. Les Floriniens, disciples d'un prêtre nommé Florin, qui rapportait à Dieu la création du mal, et se mettait ainsi en opposition avec ce passage de l'Écriture : « Dieu créa  toutes choses, et voilà que tout était bon (2) ». Tout en soutenant des doctrines opposées l'une à l'autre, ces deux sectes se mettaient en contradiction avec la parole de Dieu : car Dieu crée les maux en nous infligeant les peines que nous méritons justement : Coluthus ne le comprenait pas. Mais Dieu n'a pas créé des natures et des substances mauvaises, considérées comme telles : Florin s'y trompait.

LXVII. Philastre parle d'une secte sans chef et sans nom, d'après laquelle le monde resterait toujours, même après la résurrection des morts, dans l'état où il se trouve aujourd'hui, sans subir aucun changement : de la sorte, il n'y aurait ni ciel, ni eau, ni terre nouvelle, malgré les promesses de la sainte Écriture (3).

LXVIII. D'autres hérétiques marchent toujours nu-pieds, parce que le Seigneur a dit soit à Moïse soit à Josué : « Ote la chaussure de tes

 

1. Isaïe, XLV, 7. — 2. Gen. I, 31. — 3. Isaïe, LXV, 17; II Pierre, III, 13 Apoc. XXI, I.

 

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pieds (1), et que le Prophète Isaïe a reçu l'ordre de marcher ainsi (2). Ces doctrinaires ne seraient point répréhensibles s'ils agissaient de la sorte dans l'intention de mortifier leur corps: mais ils le sont, parce qu'ils détournent de leur vrai sens les oracles divins.

LXIX. Les Donatiens ou Donatistes commencèrent par faire un schisme à cause de l'ordination de Cécilien, comme évêque de Carthage, ordination qui avait eu lieu contre leur gré. Ils l'accusaient de crimes qu'ils ne prouvaient pas, et prétendaient que ses consécrateurs étaient des traditeurs des saintes Ecritures. Après un examen contradictoire et qui mettait fin aux accusations, ils furent convaincus de mensonge : mais ils n'en persistèrent pas moins dans leur schisme : ils y ajoutèrent même l'hérésie, comme si les crimes réels de Cécilien, ou plutôt ses crimes reconnus supposés par. les juges , avaient fait disparaître l'Eglise d'un monde où appuyée sur les promesses de Jésus-Christ, elle doit subsister toujours : comme si, après avoir été détruite dans l'univers entier par son union avec les Cécilianistes, elle s'était réfugiée en Afrique pour ne plus subsister que dans le parti de Donat. Chez eux, on rebaptise les catholiques, et c'est bien en cela qu'ils font une plus formelle profession d'hérésie, puisque, du consentement de l'Eglise universelle, on ne réitère point le baptême donné par les- hérétiques comme on le donne ordinairement.

Donat fut, dit-on, le chef de ce parti: il vint de Numidie, souleva une partie des fidèles , contre Cécilien, et ordonna Majorin évêque de Carthage, avec l'assistance des évêques de sa faction qu'il avait appelés autour de lui. A Majorin succéda, dans le même parti hérétique, un autre Donat, dont l'éloquence contribua puissamment à donner de l'importance aux Donatistes : peut-être leur nom vient-il plutôt de lui que du fondateur même de leur secte. Nous avons de lui des écrits où l'on voit qu'il professait aussi sur la Trinité des principes opposés à l'enseignement catholique. Bien qu'il reconnût la même substance dans les trois personnes divines, il supposait le Père plus grand que le Fils, et le Fils plus grand que le Saint-Esprit. La majorité des Donatistes n'embrassa pas néanmoins son erreur relative à la sainte Trinité, et il serait, je crois, difficile d'en trouver parmi eux un

 

1. Exod. III, 5 ; Josué, V, 16. — 2. Isaïe, XX, 2.

 

seul, pour savoir ce que Donat pensait à ce, égard. A Rome, on les appelle Montagnards leurs coréligionnaires d'Afrique leur envoient un évêque de leur parti, et parfois, quand ils le jugent à propos, leurs évêques africains viennent en cette ville pour-en ordonner un. On trouve encore en Afrique, comme sectateurs de Donat, les Circoncellions, hommes grossiers, d'une audace peu commune, célèbres par les crimes atroces qu'ils commettent contre les autres, follement cruels contre eux-mêmes. Ces malheureux se font eux-mêmes mourir de différentes manières, surtout en se jetant dans des précipices, dans l'eau ou dans le feu : et ceux qu'ils peuvent amener à leurs erreurs, ils les poussent, hommes et femmes, à se détruire, ou parfois, à se faire tuer par d'autres, les menaçant de mort, pour le cas où ils ne voudraient pas y consentir. Cependant les Circoncellions ne sont approuvés que d'un petit nombre de Donatistes; mais ceux-ci ne se regardent point comme souillés par leur union avec de tels hommes, eux qui reprochent follement à l'univers chrétien les accusations élevées contre quelques africains inconnus. Plusieurs schismes se sont déclarés parmi les Donatistes : les uns se sont séparés des autres pour former des sociétés particulières et différentes ; mais la plus grande,partie de la secte est restée étrangère à ces divisions intestines. Une centaine d'évêques Donatistes ayant écarté Primien , ordonnèrent Maximien comme évêque de Carthage : les trois cent dix autres, auxquels s'en étaient joints douze, qui avaient assisté à cette ordination sans y donner leur consentement, le condamnèrent pour une faute abominable. Maximien les força à apprendre que même hors de l'Eglise, on peut conférer le baptême de Jésus-Christ, car ils reçurent dans leur communion quelques évêques de son parti avec ceux qu'ils avaient baptisés en dehors de leur secte, sans leur interdire l'exercice de leur dignité, sans réitérer le baptême à qui que ce fût : ils ne cessèrent point d'agir auprès de la puissance séculière, pour les amener à résipiscence, et ils ne craignirent point de se souiller en vivant en communion avec des hommes dont les crimes avaient été exagérés et flétris par leur propre concile.

LXX. La secte des Priscillianistes, née en Espagne, a été fondée par Priscillien. Elle professe des erreurs diverses, empruntées surtout des Gnostiques et des Manichéens : cependant leur symbole est comme une sentine où sont venues converger, horriblement confondues ensemble, les abominations imaginées par les autres hérétiques. Pour mieux dérober aux regards des profanes leurs souillures et leurs turpitudes, ils ne craignent pas de dire à leurs disciples : «Jurez, parjurez-vous; mais ne dévoilez pas nos mystères ». Les âmes, disent-ils encore, sont de même nature et de même substance que Dieu : pour venir subir ici-bas des épreuves volontaires, elles traversent sept cieux, et passent par sept principautés diverses : enfin, elles arrivent jusqu'au prince mauvais qui a créé le monde, et celui-ci les dissémine dans les différents corps animés. Certaines étoiles décident fatalement du sort des hommes, et les douze signes du ciel concourent à là formation de notre corps : ainsi l'imaginaient déjà ceux qu'on nomme vulgairement mathématiciens. Ils voient le bélier dans la tête de l'homme, le taureau dans son cerveau, les gémeaux, dans ses épaules, le cancer dans sa poitrine, d'autres signes dans les différentes parties de son corps, et enfin, dans ses pieds, les poissons, ,dernier signé indiqué par les astrologues : de toutes ces fables ridicules et sacrilèges, et de beaucoup d'autres qu'il serait trop long d'énumérer, ces hérétiques ont fait un ensemble de doctrine. La viande ne fait point partie de leurs aliments, parce qu'ils la regardent comme une nourriture immonde, et, quand ils peuvent y parvenir, ils séparent les époux des épouses, les femmes de leurs maris, en dépit des résistances qu'y opposent les uns et les autres. Car, selon eux, ce n'est pas le Dieu bon et vrai qui crée la chair; ce sont les mauvais anges. Ces hérétiques doivent inspirer plus de défiance que les. Manichéens, parce qu'ils ne rejettent: en rien les Ecritures canoniques, et qu'ils accordent la même autorité aux livres apocryphes, interprétant et allégorisant à leur gré les passages des livres saints, propres à ruiner leur système. L'erreur des Sabelliens est la leur, puisqu'ils soutiennent que le Christ est une même personne, non-seulement avec le Fils, mais encore avec le Père et le Saint-Esprit.

LXXI. Philastre parle d'autres hérétiques qui ne prennent aucun repas avec leurs semblables. Cet auteur a-t-il voulu dire que ces sectaires évitent de manger, seulement avec ceux qui n'appartiennent pas à leur secte, ou qu'ils évitent de le faire, même avec leurs coreligionnaires ? Je ne saurais l'affirmer, parce qu'il ne s'explique pas davantage à cet égard. Du reste, il ajoute que leur enseignement relatif au Père et au Fils est exact, mais qu'ils ne sont pas catholiques au sujet du Saint-Esprit, parce qu'ils le considèrent comme une simple créature.

LXXII. Un nommé Rhétorius a établi une doctrine d'une incroyable vanité : à l'entendre, tous les hérétiques suivent le chemin droit et enseignent la vérité ; cela est si absurde, que je n'ose y croire.

LXXIII. Une autre secte prétend qu'en Jésus-Christ la divinité a souffert au moment où son corps était attaché à la croix.

LXXIV. Une autre soutient que Dieu a trois figures, en ce sens, qu'une partie de la divinité est le Père, la seconde, le Fils, la troisième, le Saint-Esprit ; en d'autres termes, il n'y a qu'un seul Dieu, mais en Dieu sont trois parties qui forment la sainte Trinité, et dont la réunion a pour résultat la perfection de la Divinité, car ni le Père,, ni le Fils, ni le Saint-Esprit, séparés l'un de l'autre, ne sont parfaits en eux-mêmes.

LXXV. Urie autre voit, dans l'eau, une substance, non pas créée par Dieu, mais coéternelle à Dieu.

LXXVI. Une autre soutient que le corps -de l'homme, non son âme, est l'image de Dieu.

LXXVII. Au dire d'une autre, comme au dire de certains philosophes païens, il y a un nombre incalculable de mondes.

LXXVIII. Selon une autre, les âmes des méchants deviennent des démons et des animaux plus ou moins immondes, suivant qu'elles le méritent.

LXXIX. Une autre prétend, qu'au moment où Jésus-Christ est descendu aux enfers, les incrédules ont eu la foi, et que tous ont été délivrés.

LXXX. D'autres sectaires ne comprennent point que le Fils ait été éternellement engendré ; ils pensent qu'il a eu un commencement dans le temps : mais, voulant confesser qu'il est coéternel au Père, ils ajoutent qu'il a été dans le Père, avant de naître de lui : en un mot, il a toujours existé, mais il n'a pas toujours été le Fils ; il n'a commencé à l'être, qu'au moment où il est né du Père.

 

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J'ai cru devoir rapporter, dans mon ouvrage, ces hérésies, dont Philastre a fait mention dans le sien. Cet écrivain cite encore d'autres sectes, mais il me, semble qu'on ne peut les regarder comme hérétiques : quoi qu'il en soit, toutes celles auxquelles je n'ai pas donné de nom, il ne les nomme pas lui-même.

LXXXI. Les Lucifériens. Ce nom devenu célèbre fut donné à ceux qui adhérèrent aux erreurs de Lucifer, évêque de Cagliari : ni Épiphane, ni Philastre ne les comptent parmi les hérétiques : si je ne me trompe, ils les croyaient plutôt fauteurs de schisme, qu'auteurs d'hérésie. Toutefois, dans un opuscule anonyme, j'ai vu les Lucifériens rangés au nombre des hérétiques, car j'y ai rencontré ce passage : « Quoiqu'attachés en tout à la foi catholique, les Lucifériens prétendent sottement que les âmes puisent leur origine dans la transfusion du sang, et qu'ainsi elles proviennent de la chair, et sont de même substance ». L'auteur de cet opuscule a-t-il cru, et en cela a-t-il eu raison, qu'il devait ranger les Lucifériens parmi les hérétiques à cause de leur doctrine erronée sur l'âme, si toutefois c'était vraiment leur doctrine : ou parce que, abstraction faite d'une doctrine qui n'était ou n'est peut-être pas la -leur, ils auraient soutenu, avec une opiniâtre animosité, le principe de leur schisme ? C'est-là une question étrangère au but que je me propose je ne dois donc pas, ce me semble, la traiter ici.

LXXXII. J'ai trouvé, dans le même ouvrage, le nom des Jovinianistes, que je connaissais déjà. Un moine, appelé Jovinien, a établi cette secte de notre temps, lorsque nous étions encore jeune. Comme les Stoïciens, il soutenait que tous les péchés sont égaux ; que l'homme ne peut plus commettre de péchés après avoir été régénéré dans les eaux du baptême ; que le jeûne et l'abstinence de certaines viandes ne sont d'aucune utilité. Il anéantissait la virginité de Marie, puisqu'il disait qu'elle avait été souillée par l'enfantement. La virginité religieuse et le célibat saintement observés n'ont pas plus de mérite devant Dieu pour ceux qui les embrassent, que l'état du mariage, lorsqu'on s'y conduit avec chasteté et fidélité. Aussi vit-on à Rome, où il prêchait cette doctrine, des vierges sacrées, déjà avancées en âge, renoncer à leur état pour se marier. Quant à Jovinien, il n'avait ni ne voulait avoir d'épouse, non qu'il prétendit en avoir plus tard devant Dieu un plus grand mérite pour la vie éternelle, mais parce que, à cause de la nécessité présente, le célibat évite à l'homme les embarras et les soucis du mariage,. Cependant cette hérésie fut étouffée et disparut bientôt, n'ayant pas même réussi à tromper quelques prêtres.

LXXXIII.J'ai scrupuleusement étudié l'histoire d'Eusèbe, traduite en latin par Rufin, et les deux livres que ce dernier y a joints pour la continuer jusqu'à son temps. On n'y trouve mentionnées que les hérésies citées par Epiphane et Philastre, à l'exception d'une qu'Eusèbe rapporte, dans son sixième livre, comme ayant existé en Arabie : l'auteur n'en est pas connu, aussi donnerons-nous à ses sectateurs le nom d'Arabiques. Ils enseignaient que l'âme meurt et tombe en dissolution avec le corps, et qu'elle ressuscitera avec lui à la fin des siècles. Eusèbe raconte (1), qu'ils furent bientôt désabusés de leurs erreurs par les raisonnements d'Origène, qui s'était transporté au milieu d'eux pour les réfuter.

Maintenant, il nous reste à parler des hérésies dont les différents auteurs précités n'ont pas fait mention, mais dont le nom est venu d'une manière quelconque à notre connaissance.

LXXXIV. Les Helvidiens étaient disciples d'Hélvidius : ils soutenaient une opinion tout opposée à la virginité de Marie, car ils disaient qu'elle a eu plusieurs enfants de Joseph, son époux, après la naissance de Jésus-Christ. Epiphane admis de citer le nom d'Helvidius en parlant des Antidicomarites, mais je serais bien étonné s'il n'a pas voulu désigner les Helvidiens sous ce dernier titre.

LXXXV. Les Paterniens, que quelques-uns nomment aussi Vénustiens, attribuent au diable, et non à Dieu, ta création des parties inférieures du corps humain, et, donnant à leurs sens dépravés toute liberté d'action, ils s'abandonnent aux dernières infamies de l'impudicité.

LXXXVI. Les Tertullianistes, sectateurs de Tertullien, qui a écrit, avec une admirable éloquence un grand nombre d'opuscules. Leur secte s'est peu à peut affaiblie jusqu'à nos jours, et c'est dans la ville de Carthage qu'ont pu se conserver leurs derniers débris: lorsque j'y

 

1. Liv. VI, ch. XXXVII.

 

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demeurais, il y a quelques années, tu dois t'en souvenir, leur secte y a complètement disparu: le très-petit nombre d'adeptes qui en restaient, sont rentrés dans le giron de l'Eglise, et ont donné aux Catholiques leur basilique, encore si connue de nos jours. Comme ses livres l'indiquent, Tertullien croyait immortelle l'âme de l'homme, mais il enseignait que cette âme est un corps, et ce qu'il disait de l'âme, il le disait de Dieu. Cette manière de s'exprimer ne faisait pas de lui un hérétique, car on pourrait, jusqu'à un certain point, imaginer qu'il a donné le nom de corps à la nature ou substance divine, sans vouloir sous cette dénomination parler d'un corps pareil à ce que nous appelons ainsi, et dont on puisse, ou dont on doive supposer certaines parties plus grandes ou plus petites que les autres. A la vérité, il a eu de l'âme des idées trop matérielles, mais, comme j'en ai fait la remarque, on a pu penser, d'après son langage, que Dieu est un corps, en ce sens qu'il n'est ni un néant ni un vide, ni un corps humain, ni une âme d'homme , mais qu'il est tout entier partout, non partagé .suivant les lieux, demeurant toujours et d'une manière immuable, dans sa nature et sa substance. La doctrine de Tertullien n'est donc pas hérétique sous ce rapport : il n'a cessé d'être catholique qu'au moment où il a embrassé le parti des Cataphryges, auparavant confondus par lui, et condamné les secondes noces comme un crime d'impudicité, malgré l'enseignement de l'Apôtre i. Plus tard, d'ailleurs, il s'est séparé d'eux pour devenir lui-même chef de secte. On ne peut le nier, il croyait que les âmes des scélérats se changent en démons après la mort.

LXXXVII. Nous avons, ou plutôt nous avons eu sur notre territoire d'Hippone une secte hérétique composée de paysans, peu à peu réduite à de faibles proportions; elle avait, tout entière, trouvé un refuge dans une petite ferme : les membres en étaient très-peu nombreux, et c'était là tout ce que la secte comptait d'adeptes. Dans la langue punique, qui a corrompu leur nom, ils s'appelaient Abéloniens : certains auteurs remontent jusqu'à Abel, fils d'Adam, pour trouver l'origine de ce nom: nous pouvons donc les désigner sous celui d'Abéliens ou d'Abéloïtes. Ils s'abstenaient de tout commerce conjugal avec leurs femmes, et pourtant, d'après l'enseignement

 

1. Tim. IV, 3.

 

de leurs docteurs, il ne leur était point permis de vivre dans le célibat. Aussi l'homme et la femme vivaient-ils sous le même toit, après avoir fait voeu de continence, et avoir, dans leur contrat de mariage, légué leur future succession à un jeune homme et à une jeune fille, qu'ils adoptaient alors : si la mort enlevait ces jeunes gens avant le décès de leurs parents adoptifs, ceux-ci leur en substituaient d'autres; l'essentiel était que deux personnes de sexe différent succédassent à deux autres pour continuer à former une société dans leur maison : car, l'un ou l'autre des parents adoptifs venant à décéder, ces jeunes gens prenaient soin du survivant, avec une piété toute filiale, jusqu'à la fin de ses jours; puis, ils adoptaient, à leur tour, un garçon et une fille. Au milieu de voisins à qui il était permis d'avoir des enfants, l'occasion d'en adopter ne fit jamais défaut aux Abéloites : les chefs de famille s'empressaient, au contraire, de leur donner les leurs, dans l'espoir de les voir recueillir, un jour, un riche héritage.

LXXXVIII. Le moine Pélage fonda, il y a peu de temps, la dernière secte connue, celle des Pélagiens, qui se nomment aussi Célestiens, de Célestius, disciple de leur maître. C'est par la grâce de Dieu que nous avons été prédestinés pour devenir ses enfants adoptifs par Jésus-Christ (1) : c'est elle qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres, qui nous a fait croire en lui, et passer dans le royaume de son Fils bien-aimé (2). Voilà pourquoi, il dit en saint Jean (3) : « Personne ne peut venir à moi, s'il ne lui est donné par mon Père ». Par elle encore, l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs (4), afin que notre foi soit animée de la charité (5). Les Pélagiens se montrent à tel point ennemis de cette grâce, qu'à les entendre, l'homme peut, sans elle, observer tous les commandements de Dieu. S'il en était ainsi, le Seigneur aurait inutilement dit : « Vous ne pouvez rien faire sans moi (6) ». Réprimandé par les frères de ce qu'il ne laissait rien à l'action delà grâce dans l'observation des commandements, Pélage céda à leurs remontrances, et admit cette grâce: mais, loin de lui donner la préférence, il lui attribuait, par une indigne subtilité, moins de puissance qu'au libre arbitre, car il disait Dieu donne sa grâce aux hommes pour leur rendre plus facile l'accomplissement de ce qui

 

1. Eph. I, 5. — 2. Coloss. I, 13. — 3. Jean, VI, 66. — 4. Rom. V, 5. — 5. Galat, V, 6. — 6. Jean, XV, 5.

 

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est commandé à leur libre arbitre. Il est bien évident, qu'en s'exprimant ainsi, il entendait dire que, si l'observation des volontés divines était plus difficile, l'homme pourrait encore par lui même s'en acquitter. Cette grâce de pieu, sans laquelle nous ne pouvons rien faire de bon, n'est autre que le libre arbitre : le Seigneur nous l'a donnée d'une manière toute gratuite, et, par sa loi comme par sa doctrine, il nous aide seulement à apprendre ce que nous devons faire et espérer : mais il ne nous aide aucunement, par le don de son Esprit, à faire ce que nous avons appris. Il avoue donc que la science, par laquelle l'ignorance se dissipe, nous vient d'en haut : pour la charité qui nous fait vivre saintement, il le nie: en d'autres termes, Dieu nous. donne la science, qui enfle, si la charité ne l'accompagne, mais il ne nous donne pas la charité, qui empêche le science d'enfler, et qui édifie (1). Les Pélagiens nient aussi la nécessité de la prière. Pourquoi l'Eglise prie-t-elle pour les infidèles et ceux qui résistent à l'enseignement divin, afin qu'ils se convertissent au Seigneur, et pour les fidèles, afin qu'ils reçoivent l'accroissement de leur foi et persévèrent dans le bien ? C'est inutile; l'homme ne reçoit point du ciel ces différents dons : il les trouve en lui-même, et, s'il est favorisé de la grâce qui éloigne de lui l'impiété, il ne la reçoit qu'en conséquence de ses propres mérites.

Dans la crainte de voir condamner cette doctrine par les évêques de Palestine réunis en concile, Pélage fut obligé de la désavouer lui-même ; mais dans ses écrits postérieurs les mêmes erreurs se rencontrent. La vie des justes sur la terre, ose-t-il encore dire, s'écoule exempte de tout péché : c'est en eux que l'Eglise de Jésus-Christ acquiert ici-bas toute sa perfection, en sorte qu'elle y apparaît sans taches ni rides d'aucune sorte (2) : comme si elle n'était pas cette Eglise de Jésus-Christ, qui, d'un bout du monde à l'autre, adresse à Dieu cette prière : « Remettez-nous nos dettes (3) » . Enfin, les enfants qui naissent selon la chair en Adam, ne contractent point, dans cette première naissance, le germe de la mort éternelle

ils viennent au monde tout à fait purs du péché originel: il n'y a donc en eux rien de coupable, qui exige une seconde naissance : on les baptise pour leur procurer l'adoption divine, l'admission dans le royaume céleste, le passage

 

1. I Cor. VIII, 1. — 2. Eph. V, 27. — 3. Matt. VI, 12.

 

d'un état bon à un état meilleur, mais non la délivrance d'un mal quelconque provenant de la chute du premier homme. S'ils ne sont point régénérés , ils n'entreront pas , à la vérité, dans le royaume de Dieu : néanmoins, une vie éternelle et heureuse sera leur partage. Lors même qu'Adam n'eût pas commis son péché, il serait mort : sa mort a été le résultat, non de sa faute, mais de l'infirmité de sa nature. On reproche aux Pélagiens beaucoup d'autres erreurs : mais, il est facile de le comprendre, toutes ou presque toutes découlent de celles dont je viens de parler.

Voilà que j'ai énuméré un grand nombre d'hérésies, et pourtant je n'ai pas accompli ma tâche dans tout le sens de ta demande. Pour me servir de tes propres paroles : « Depuis l'origine de la religion chrétienne, héritage divin promis à nos pères », quelles hérésies ont paru ? Comment aurais-je pu les citer toutes , moi qui n'ai pu les connaître toutes, à mon avis ? Aucun des auteurs que j'ai consultés, ne les a nommées intégralement puisque j'ai trouvé, dans les livres de l'un , celles dont les autres ne font pas mention, et, dans les livres de ces derniers, celles dont le premier ne parle pas. Ma liste est beaucoup plus étendue que les leurs, parce que j'ai pris, dans l'ouvrage de chacun d'eux, ce que je ne rencontrais pas ailleurs, y ajoutant même des noms que ma mémoire me rappelait, mais qui n'étaient indiqués par aucun d'eux. Je n'ai pas été à même de lire tous les écrivains qui ont traité cette question ; aucun de ceux que j'ai lus, n'a épuisé son sujet : d'où je conclus avec justice que mon travail lui-même ne doit pas être complet. Enfin, s'il est possible, malgré ma répugnance à le croire, que j'aie nommé tous les hérétiques, je ne puis sûrement affirmer que j'ai parlé de tous. Par conséquent, ce que tu me demandes de parachever par mes explications, je ne puis pas même parfaitement le comprendre, ni le savoir. J'ai entendu dire que saint Jérôme a fait un livre sur les hérésies, mais nous n'avons pas trouvé son opuscule dans notre bibliothèque, et nous ne savons, à vrai dire , par quel moyen nous le procurer. Si tu sais où il se trouve, prends-en connaissance; tu y rencontreras peut-être mieux qu'ici. A mon avis, cependant, et malgré l'étendue de ses connaissances, il lui a été impossible de tracer un tableau parfait de toutes les erreurs anticatholiques. (21) Ainsi, du moins je l'imagine, il n'a pas connu les Abéloïtes, hérétiques de notre pays, ni beaucoup d'autres peut-être, dont les erreurs circonscrites en des contrées retirées , ont échappé à ses investigations, à la faveur de l'obscurité dans laquelle elles ont vécu enveloppées.

Dans tes lettres tu me pries de t'indiquer les points de doctrine sur lesquels les hérétiques sont en désaccord avec le catholicisme. Lors même que je saurais tout, je ne pourrais le faire : comment donc le ferais-je, moi, qui ne puis tout savoir ? Il faut l'avouer, certains hérétiques, entre autres les Macédoniens, les Photiniens, et tous ceux qui marchent sur leurs traces, n'attaquent la règle de notre foi que sur un point particulier, ou peu s'en faut. D'autres, à qui je donnerais volontiers le nom de bouffons, ont inventé des fables aussi ridicules que longues et difficiles à comprendre ceux-là soutiennent une telle multitude d'erreurs, qu'on ne pourrait que très-difficilement en indiquer le nombre. Les membres des sectes hérétiques saisissent, mieux que personne, le sens de leurs hérésies : voilà pourquoi j'avoue n'avoir ni connu ni énuméré tous leurs dogmes. Tu imagines aisément ce qu'une entreprise de ce genre exigerait de travail et de pages : mon livre mérite néanmoins d'être lu, car il est extrêmement important d'éviter les erreurs dont il fait mention. Tu as pensé que je dirais ce que l'Eglise catholique enseigne sur les points de foi attaqués par t'hérésie : ce serait là une recherche inutile : il suffit, pour cela, de savoir qu'elle professe des vérités opposées à l'enseignement des hérétiques, et qu'on ne peut suivre leurs erreurs comme articles de foi. Quant aux arguments à employer pour le soutien et la défense de la saine doctrine, les bornes de ce livre ne me permettent pas de les indiquer. Mais, pour un coeur fidèle, c'est beaucoup de connaître ce qu'il faut ne pas croire, lors même qu'on ignorerait la manière de raisonner pour réfuter l'erreur. Tout catholique doit donc ne pas croire ce qui est opposé à sa foi; mais, de ce qu'il n'admet pas ces erreurs comme articles de foi, il ne suit pas rigoureusement qu'il soit en droit de croire ou de se dire catholique. En effet, des erreurs, différentes de celles que j'ai énumérées dans cet ouvrage, peuvent exister maintenant ou plus tard, et quiconque adhérera à quelqu'une d'entre elles, tombera dans l'hérésie.

En quoi consiste l'hérésie ? Voilà l'objet de nos investigations ultérieures : puissent ces recherches nous aider à éviter toujours, comme nous le faisons aujourd'hui par la grâce de Dieu, le venin des hérésies présentes ou futures, de celles que nous connaissons et de celles que nous ne connaissons pas! Je termine ici ce volume : j'ai pensé qu'il était expédient de vous l'envoyer avant d'achever entièrement mon ouvrage, afin que tous ceux d'entre vous qui le liront, m'accordent le secours de leurs prières pour m'aider à mener à bonne fin ce travail dont vous sentez l'importance.

 

 

Traduction de M. l'abbé AUBERT.

 

 

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