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LIVRE DEUXIÈME. CINQ OBJECTIONS CONTRE LE PÉCHÉ MORTEL.

 

Les cinq principaux arguments des Pélagiens contre le péché originel, réfutés par l'autorité et le témoignage de dix évêques catholiques et du prêtre Jérôme.

 

l. Je m'engage aussitôt dans la troisième tartie de ma discussion, et je veux, avec l'aide de Dieu, et m'appuyant sur l'autorité les évêques qui ont le mieux commenté l'Ecriture sainte, pulvériser tous vos raisonnements et toutes vos machinations. Je n'ai plus à prouver qu'ils avaient sur le péché originel les idées conformes à la foi catholique. Cette tâche a été remplie dans les deux premières parties de cet ouvrage, où je vous ai montré quels illustres évêques et docteurs vous vouliez inculper du crime des Manichéens ; j'ai dit comment, sous prétexte de me décrier aux yeux des ignorants, vous accusiez de la plus infâme hérésie ceux qui avaient généreusement combattu pour la foi catholique contre les hérétiques. Vous avez émis certains arguments pour prouver que la première naissance de l'homme est exempte du péché originel; ce sont ces arguments que je veux réfuter par les témoignages des saints. Je montrerai aux nations chrétiennes qu'elles doivent préférer la doctrine des saints à vos profanes nouveautés, et vous quitter pour s’engager à la suite de ces âmes héroïques.

2. Or, voici les principaux arguments sur lesquels vous vous appuyez pour effrayer, non-seulement les ignorants, mais encore ceux qui, pour vous répondre, n'ont qu'une connaissance insuffisante des Ecritures. Je cite vos paroles: « En affirmant l'existence du péché originel, nous faisons du démon le créateur de tous ceux qui naissent, nous condamnons le mariage, nous nions que le baptême efface tous les péchés, nous accusons Dieu du crime d'iniquité, et enfin nous faisons désespérer de la perfection » . Telles sont les conséquences qui vous semblent découler nécessairement d'une doctrine en vertu de laquelle nous croyons que les enfants naissent coupables du péché du premier homme, et soumis au joug du démon jusqu'à ce qu'ils renaissent en Jésus-Christ. Vous dites : « C'est le démon qui a créé les enfants, si ces enfants sont créés avec cette blessure que le démon a faite à la première nature créée; on doit condamner le mariage, s'il porte en lui la raison en vertu de laquelle les enfants sont engendrés dans le péché; le baptême n'efface pas tous les péchés, si les époux baptisés continuent à porter en eux un mal en vertu duquel ils n'engendreront que des enfants coupables. Et puis, comment Dieu ne serait-il pas injuste, puisqu'il efface les péchés personnels et dans tous ceux qui sont baptisés, tandis qu'il condamne l'enfant, qu'il a créé, et qui, sans le savoir et sans le vouloir, contracte une souillure étrangère dans le sein de parents qui ont obtenu le pardon de leurs péchés? Quant à la vertu, qui a pour opposé le vice, il n'est pas possible qu'elle arrive jamais à sa perfection, car il n'est pas possible d'admettre que des vices nés avec nous puissent jamais disparaître; on ne saurait même les regarder comme des vices. Comment regarder compte pécheur celui qui ne peut être que ce que l'a fait sa création? »

3. S'il vous plaisait d'envisager sérieusement ces différentes questions, au lieu de mettre un parti pris et une incroyable audace à attaquer un dogme qui repose sur la vérité et l'antiquité de la foi catholique ; bientôt, nourris de la grâce de Jésus-Christ, vous comprendriez ces vérités cachées aux sages et aux prudents du monde, et révélées aux petits (1). N'est-elle pas infinie, cette douceur du Seigneur? il est loin d'en être jalousement avare, et cependant il la cache pour ceux qui le craignent, tandis qu'il la verse abondamment dans l'âme de ceux qui espèrent, non pas en eux-mêmes, mais en Dieu (2). Or, nous disons que cette foi, dont il est écrit : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas (3)», enseigne formellement que l'homme a pour créateur, non pas le démon, mais le Dieu bon et véritable, dont la miséricorde ineffable rend pur ce qui était souillé; et, d'un autre côté, elle enseigne également que tout homme naît coupable, et qu'il reste soumis

 

(1) Matt. XI, 25. — (2) Ps. XXX, 20. — (3) Isa. VII, 9, selon les Sept.

 

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mis à l'esprit immonde jusqu'à ce qu'il ait été régénéré par le Saint-Esprit. Elle enseigne que, malgré la souillure transmise par la naissance charnelle, le mariage n'est nullement un crime ; car elle distingue parfaitement le bien propre au mariage du vice qui souille les personnes. Elle enseigne que le sacrement de la régénération en Jésus-Christ ne laisse dans l'âme la souillure d'aucun péché, sans cependant en ôter la faiblesse contre laquelle l'homme devra lutter, s'il veut arriver à la perfection. Elle enseigne que Dieu n'est pas injuste, quand il punit comme ils le méritent, soit le péché originel, soit les péchés personnels. Mais voici ce que nous lisons : «Un joug pesant accable les enfants d'Adam depuis leur naissance jusqu'au jour où ils rentrent dans le sein de leur mère commune à tous (1) ». Or, il y aurait là, de la part de Dieu, iniquité ou faiblesse, s'il laissait son image écrasée sous ce joug; si ce joug était imposé sans avoir été antérieurement nécessité par le péché, soit par le péché originel, soit par les péchés personnels, ou enfin si tout autre que Dieu l'avait imposé, malgré les protestations de la victime. Enfin, la foi nous enseigne que nous ne devons pas désespérer d'arriver à la perfection de la vertu, car nous sommes aidés par la grâce de Celui qui a tout pouvoir de changer et de guérir notre nature viciée dès son origine.

4. Ces préliminaires étant posés, j'entre aussitôt en matière. Appuyé sur l'enseignement des saints docteurs, je réfuterai successivement chacun de ces cinq arguments, dans lesquels vous résumez tous vos chefs d'accusation contre la foi catholique. Toutefois, il pourra très-souvent arriver que tel ou tel passage emprunté aux saints Pères se trouve être la condamnation formelle d'un ou de deux ou de plusieurs de ces arguments, peut-être même de tous à la fois; aussi les produirons-nous dans toute leur valeur et toute leur extension. J'en trouve un premier exemple; il vient de saint Ambroise dans son livre sur l'arche de Noé. Voici ses paroles : «On nous annonce que le salut ne viendra aux nations que par Jésus-Christ Notre-Seigneur, car lui seul, en face de toutes les générations pécheresses, n'a pu avoir besoin de justification, puisque sa naissance dans le sein d'une vierge lui conférait le privilège d'une

 

(1) Eccli. XL, 1.

 

génération sans tache et sans souillure. J'ai été conçu dans l'iniquité, et ma mère m'a enfanté dans le péché(1), disait celui qui alors était regardé comme le plus juste des hommes. A qui donc appliquerai-je le nom de juste, si ce n'est à Celui qui n'a jamais connu les chaînes sous le joug desquelles a toujours gémi la nature bu mairie? Tous sont esclaves du péché ; depuis Adam, la mort régnait sur tous les hommes. Qu'il vienne donc, celui qui seul est réellement juste aux yeux de Dieu, celui dont on doit dire, non-seulement qu'il n'a pas péché par ses lèvres (2); mais, qu'il n'a jamais connu le péché (3) ». — Maintenant, si vous l'osez, dites à saint Ambroise que le démon est le créateur de tous les hommes qui naissent de l'union des deux sexes, puisque, si Jésus-Christ seul, parmi tous les coupables enfants d'Adam, n'a point connu la souillure originelle, c'est parce qu'il est né d'une vierge, et qu'alors le démon n'a pu semer pour lui le péché comme il le sème pour les autres. Accusez le saint docteur de condamner le mariage, puisqu'il enseigne qu'il n'y a eu que le Fils de la Vierge pour naître sans péché. Reprochez-lui de rendre impossible la perfection de la vertu, puisqu'il affirme que les vies naissent avec l'homme au moment même de la conception, Adressez-lui cette captieuse objection que vous lanciez contre moi dans votre premier volume : «Ceux que l'on accuse de pécher, ne pèchent aucunement, car, quel que soit du reste leur créateur, par cela même qu'ils sont créés, ils vivent nécessairement, et rien ne peut répugner à leur nature ». Pourquoi ménageriez-vous Ambroise ou ses écrits? Jetez-lui, comme-vous le faites pour moi, vos objections orgueilleuses, méprisantes, hardies et téméraires. Seulement, comme ce saint docteur ne parlait pas alors des enfants issus de parents chrétiens, peut-être ne pourrait-on pas l'accuser, dans ces paroles, de blasphémer le sacrement de baptême, en disant qu'il n'efface pas tous les péchés, ou de faire de Dieu lui-même le type de l'injustice, en coin damnant dans les enfants des péchés d'autrui, dont il a justifié les parents. Quoi qu'il en soit, si saint Ambroise n'était pas du nombre de ceux qui attribuent la création des hommes au démon, ou qui condamnent le mariage, ou qui affirment l'impuissance

 

(1) Ps. L, 7. — (2) Job, I, 22. — (3) I Pierre, II, 22.

 

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absolue pour la nature humaine d'atteindre à la vertu; au contraire, s'il appartenait à la classe de ceux qui font de l'homme tout entier, c'est-à-dire de son âme et de son corps, l'oeuvre immédiate du Dieu suprême et souverainement bon, qui conservent au mariage son degré de bonté et qui ne désespèrent pas pour l'homme d'arriver à une justification parfaite ; avouez du moins que trois de vos arguments sont entièrement pulvérisés par l'autorité de ce grand homme, et que vous n'avez plus à nous les opposer, à nous qui disons du péché originel ce qu'il en a dit lui-même, sans se croire obligé logiquement à attribuer au démon la création de l'homme, à condamner le mariage et à désespérer de la perfection de la justice dans la nature de l'homme.

5. Quant à vos deux autres arguments relatifs au baptême, nous allons voir ce que ce docteur en a pensé, et comment il vous écrase sous le poids de son autorité. Dans son livre contre les Novatiens, nous lisons: «Nous naissons tous sous le joug du péché, et dans le vice, selon cette parole de David : J'ai été conçu dans l'iniquité, et ma mère m'a enfanté dans le péché ». De là vient qu'aux yeux de Paul sa chair était un corps de péché : «Qui me délivrera, dit-il, de ce corps de mort (1) ? Or, la chair de Jésus-Christ a condamné le péché qu'elle n'a point ressenti en naissant, et qu'elle a crucifié en mourant; et c'est ainsi que la justification par la grâce s'est accomplie dans notre chair restée jusque-là sous le joug du péché comme une masse d'iniquité (2)». Sous l'évidence d'un tel langage, que deviennent tous vos arguments? En effet, si nous naissons tous sous le péché ; si le vice est notre origine à tous, pourquoi m'accusez-vous d'attribuer au démon la création de l'homme, quand vous voyez parfaitement que j'enseigne ce que saint Ambroise a enseigné lui-même sans qu'il eût jamais dit que le démon fût le créateur de l'homme ? Si c'est dans l'homme sa naissance coupable qui a fait dire à David : «J'ai été conçu dans l'iniquité, et manière m'a enfanté dans le péché » ; si cette parole du Prophète constate le péché originel, sans accuser aucunement l'union conjugale; pourquoi me reprochez-vous de condamner le mariage, quand, sur ce point, saint Ambroise ne vous paraît

 

(1) Rom. VII, 24. — (2) Liv. I de la Pénitence, ch. III.

 

digne d'aucun reproche ? Parce que nous naissons tous sous le joug du vice et du péché, Paul ne voyait dans sa chair qu'un corps de mort, comme il le prouve par ces paroles : Qui me délivrera de ce corps de mort ? » et il ne serait pas encore évident pour vous que l'Apôtre se fait à lui-même l'application de ces paroles ? Au moment même où, par son homme intérieur, il se complaisait dans la loi de Dieu, il voyait dans ses membres une autre loi qui répugnait à la loi de son esprit ; ce qui lui faisait dire de sa chair qu'elle était un corps de mort. Le bien n'habitait donc pas clans sa chair, et c'est pour cela qu'au lieu de faire le bien qu'il voulait, il faisait le mal qu'il haïssait (1). Voilà donc ce que devient la cause que vous soutenez; n'est-elle pas à jamais détruite et renversée? et, comme la poussière que le vent emporte sur la face de la terre (2), elle disparaît et n'inspire plus que du mépris à ceux que vous commenciez à séduire, pour peu du moins qu'ils renoncent à tout esprit de chicane et qu'ils consentent à réfléchir sur les considérations qui leur sont proposées. En effet, est-ce que l'apôtre saint Paul n'était pas baptisé; ou bien lui avait-on refusé la rémission de tel ou tel péché, du péché originel ou des péchés personnels, des péchés commis par ignorance ou des péchés commis avec pleine connaissance ? Comment donc peut-il tenir un semblable langage, et ce langage ne prouve-t-il pas la vérité de ce que j'ai dit dans mon livre, quoique vous vous flattiez de l'avoir réfuté? En effet, cette loi du péché, telle que nous la trouvons dans les membres de ce corps de mort, nous a été remise dans la régénération spirituelle, quoiqu'elle demeure encore dans notre chair mortelle. Elle a été remise, parce que sa culpabilité nous a été pardonnée par le sacrement de la régénération des fidèles; elle demeure, car c'est elle qui produit ces désirs de toute sorte contre lesquels les fidèles ont à se prémunir et à combattre. Or, il suffit de ce principe pour frapper votre hérésie par la base et la réduire en poussière. Vous le comprenez vous-mêmes; voilà pourquoi, dominés par la crainte qui vous obsède, vous tentez les derniers efforts pour prouver que dans ce texte il ne s'agit pas de la personne même de l'Apôtre, mais de quelque Juif, encore soumis à la loi, et contre

 

(1) Rom. VII, 15-24. — (2) Ps. I, 4.

 

lequel luttaient ses mauvaises habitudes. Comme si vraiment l'homme, en recevant le baptême, déposait toutes ses mauvaises habitudes; comme si, après avoir reçu le baptême, nous n'étions pas obligés de combattre ces habitudes avec d'autant plus de force et de courage, que nous désirons plus vivement nous rendre agréables aux yeux de celui qui nous prodigue ses grâces pour nous rendre victorieux dans la luge. Si l'obstination vous permettait une réflexion attentive et sérieuse, il vous suffirait de contempler la force de l'habitude pour comprendre comment la concupiscence est pardonnée dans sa coulpe, tout en persévérant dans son acte. N'est-ce donc rien pour l'homme que cet aiguillon de la concupiscence qui le harcèle sans relâche, alors même qu'il n'y donne aucun consentement ? Et cependant ce n'est point à cause de la force de l'habitude que l'Apôtre appelait sa chair un corps de mort; la cause véritable, saint Ambroise l'a parfaitement comprise, et il nous la donne, quand il nous dit que c'est parce que nous naissons sous le joug du vice et du péché. Il ne pouvait pas douter que ce péché dans sa coulpe nous fût remis par le baptême ; mais comme il se sentait harcelé . sans cesse par la suggestion du vice, il éprouvait d'abord la crainte la plus vive d'être vaincu et subjugué ; ensuite, quoique victorieux, se sentant las, non pas de combattre, mais de se voir sans cesse en face de son ennemi, il s'écriait : «Malheureux homme que je suis, qui une délivrera de ce corps de mort ? La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur (1) ». Il savait donc qu'il n'y a pas jusqu'au mouvement même de la concupiscence qui ne puisse être guéri par la grâce de Celui qui nous a déjà remis la coulpe originelle dans la régénération spirituelle. Cette guerre que nous avons entreprise en nous contre nous-mêmes, ceux qui l'éprouvent et ne peuvent la nier, ce ne sont pas les impudents panégyristes de la concupiscence, mais ses ennemis et ses adversaires déclarés.

6. Dans son épître sur l'Oraison dominicale, saint Cyprien déjà couvert des lauriers de la victoire, s'exprime en ces termes : «Nous demandons que la volonté de Dieu se fasse au ciel et sur la terre; ce double accomplissement doit en effet assurer la consommation

 

(1) Rom. VII, 21, 25.

 

de notre sûreté et de notre salut. Comme nous avons reçu notre corps de la terre, et notre esprit du ciel, nous sommes à la fois terrestres et célestes, et voilà pourquoi nous demandons que la volonté de Dieu se fasse sur la terre et au ciel, c'est-à-dire dans notre corps et dans notre esprit. Il y a lutte entre la chair et l'esprit, et chaque jour le combat s'engage entre ces deux substances pour nous empêcher de faire ce que nous voulons; tandis que l'esprit aspire aux choses célestes et divines, la chair convoite les choses de la terre et du siècle. Aussi demandons-nous que par la grâce et le secours de Dieu, la concorde s'établisse entre ces deux parties de notre être, car du moment que la volonté de Dieu s'accomplit dans notre esprit et dans notre chair, notre âme, spirituellement renouvelée, jouit d'une tranquillité parfaite. Telle est la pensée si bien exprimée par l'apôtre saint Paul : La chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair; ils sont opposés l'un à l'autre, de telle sorte que vous ne faites pas toujours ce que vous voulez (1) ». — Voyez quelles instructions ce grand docteur adresse à un peuple baptisé, car un chrétien peut-il ignorer que l'Oraison dominicale s'applique à ceux qui ont reçu le baptême ? La tranquillité humaine et le salut de la nature dépendent, d'après saint Cyprien, non pas, comme le veulent à tort les Manichéens, de la séparation de la chair et de l'esprit naturellement et réciproquement ennemis, mais plutôt de leur concorde et de leur harmonie. Etre délivré de ce corps de mort, c'est posséder cet heureux état dans le. quel notre corps devient un corps de vie, ce qui se fait parla mort de la mort, c'est-à-dire par la destruction de la discorde, et non point par la destruction de la nature. De là cet autre parole : «o mort, où est ton combat (2)? » Mais cette transformation n'est point pour à vie présente, comme le remarque fort bien notre illustre martyr dans sa lettre sur la mortalité, à l'occasion de ces paroles de saint Paul : « Je désire me dissoudre et être avec Jésus-Christ ». Il le désire, dit saint Cyprien, afin de ne plus se sentir exposé aux péchés et aux vices de la chair. Quant à la confiance que vous avez dans votre propre vertu, ne dirai on pas que dans son explication de l'Oraison dominicale, saint Cyprien se proposait

 

(1) Gal.V,17. — (2) I Cor. XV, 55.

 

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prophétiquement de confondre cette erreur qui vous est si chère? Voici comme il s'exprime Plutôt que de présumer de nos propres forces, nous devons demander à Dieu qu'il établisse par sa grâce la concorde entre notre a chair et notre esprit ». C'était répéter en d'autres termes la prière de l'Apôtre: «Qui me délivrera de ce corps de mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ».

7. Saint Grégoire formule ainsi la même pensée: «Notre âme accablée de travaux et d'angoisses, vivement pressée par la chair son ennemie, se réfugie vers Dieu et sait à qui elle doit demander du secours ». Ces paroles pourraient peut-être faire supposer à quelqu'un que saint Grégoire était imbu des folies manichéennes sur la coexistence éternelle des deux principes ennemis. Eh bien ! remarquez vous-même comme il est parfaitement d'accord avec ses confrères et collègues, quand il enseigne que, si l'esprit convoite contre la chair, c'est uniquement afin que tous deux retournent à leur auteur après le long et sérieux combat de cette vie, dans lequel gémit et souffre la vie de tous les saints. En effet, voici ce que nous lisons dans son livre apologétique : « Je passe sous silence ces blessures que nous font à nous-mêmes nos propres vices et nos passions. Jour et nuit nous ressentons en nous les aiguillons de feu de ce corps d'humilité, de ce corps de mort. Tantôt en secret, tantôt publiquement, les charmes trompeurs des choses visibles qui nous entourent nous provoquent et nous a irritent; cette boue infecte à laquelle nous adhérons ne semble-t-elle pas distendre ses veines afin d'exhaler avec plus d'abondance son souffle fétide? Et puis, la loi du péché qui est dans nos membres se met en révolte contre la loi de notre esprit; elle voudrait a traiter en esclave cette imagination royale qui est en nous, afin de mêler à ses dépouilles tout ce que nous tenons de la munificence divine et de notre première condition. Voilà pourquoi c'est à peine si, malgré la direction imprimée par une longue et a sérieuse étude de la philosophie, malgré le souvenir, se réveillant peu à peu, de la a noblesse de son âme, l'homme peut encore e recueillir les rayons de cette lumière qui est unie dans sa personne à cette boue grossière et ténébreuse, c'est à peine s'il peut en faire rejaillir l'éclat jusqu'à Dieu. Pourtant si, dans sa miséricorde, Dieu vient au secours de sa faiblesse, il se rappellera également sa bassesse et sa grandeur, pourvu cependant que, par une méditation longue et assidue, il s'habitue à tenir ses regards fixés vers le ciel, et à soulever cette partie matérielle qui lui est unie par des liens si étroits, et qui tend sans cesse à l'entraîner, «par son propre poids, vers les choses de la terre et des sens (1) ». Reconnaissez, Julien, l'unanimité de ces voix catholiques, et cessez de vous mettre en désaccord avec elles. Quand saint Grégoire s'écrie : «Nous sommes attaqués au dedans de nous-mêmes par nos propres vices et par nos passions; jour et nuit nous ressentons en nous les aiguillons de feu de cette chair d'humilité, de ce corps de mort », c'est un homme baptisé qui parle, et il parle d'hommes baptisés. Quand il rappelle « que la loi du péché qui est dans nos membres se révolte contre la loi de notre esprit », c'est un homme baptisé qui parle, et il parle d'hommes baptisés. Ce combat de la chair et de l'esprit, c'est le combat des chrétiens, et non pas des juifs infidèles. Si vous ne combattez pas, croyez; si vous combattez, sachez pourquoi, et que ce combat vous serve à refouler pour toujours l'orgueil révolté de l'erreur pélagienne. Maintenant du moins, voyez-vous, comprenez-vous, sentez-vous que le baptême procure la rémission de tous les péchés, ce qui n'empêche pas les vices d'allumer une sorte de guerre civile dans le coeur de ceux qui ont été baptisés? Ces vices d'ailleurs ne sont pas des péchés, tant que la concupiscence devenue maîtresse n'a pas entraîné l'esprit à des oeuvres illicites, tant qu'elle n'a pas conçu et enfanté le péché. D'un autre côté, ces vices ne sont pas en dehors de nous; c'est en nous-mêmes que nous les trouvons; c'est en nous-mêmes que nous devons les combattre et les convaincre; ce sont nos propres vices; nos propres passions, que nous devons enchaîner, étouffer et guérir ; mais qu'ils sont dangereux quand ils se voient poursuivis par le remède ! Sans doute, ces vices diminuent de   plus en plus, à mesure que nous nous avançons vers la perfection; cependant leur mort n'est jamais complète tant que nous vivons ici-bas. Ils ne périront réellement que quand l'âme pieuse se séparera du corps, et sans

 

(1) S. Grég. de Naz, Dans la première Apologie de sa fuite.

 

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espoir pour eux de reparaître à la résurrection.

8. Revenons donc à saint Ambroise. «La chair même de Paul», nous dit-il, «était pour lui un corps de mort; de là ce cri déchirant :Qui me délivrera de ce corps de mort? » Tel est le sens donné à ces paroles par saint Ambroise, saint Cyprien, saint Grégoire, et par tous les autres docteurs, jouissant absolument de la même autorité. A la fin des siècles il sera dit à cette mort : «O mort, où est ton combat et ta victoire ? » Mais cette grâce sera le partage, non point de ceux qui sont nés, mais de ceux qui auront été régénérés. «En effet », ajoute saint Ambroise, «la chair de Jésus-Christ a condamné le péché, ce péché qu'elle n'a point ressenti en naissant et qu'elle a crucifié en mourant». En naissant elle n'a point ressenti le péché en elle-même; et en mourant elle l'a crucifié en nous. Quant à cette loi du péché qui se révolte contre la loi de notre esprit, et que le grand Apôtre ressentait dans ses membres, elle nous est remise dans le baptême, mais elle n'y est point anéantie. Le corps de Jésus-Christ est resté étranger à cette loi de la chair se révoltant contre la loi de l'esprit, parce que ce n'est pas selon cette loi de la chair que la sainte Vierge l'a conçu. Nous tous, au contraire, qui que nous soyons, nous apportons en naissant cette funeste loi, parce que c'est selon cette loi que toutes les mères conçoivent. Voilà pourquoi saint Hilaire proclame sans hésiter que toute chair sort du péché (1): suit-il de là qu'à ses yeux Dieu n'en soit pas le créateur? Ne disons-nous pas que la chair vient de la chair, que la chair vient de l’homme, et cependant nions-nous que Dieu en soit le créateur ? La chair vient de Dieu, parce qu'il en est le créateur; elle vient de l'homme, parce qu'il l'engendre ; et elle vient du péché, parce qu'il la souille. Or, ce Dieu qui a engendré son Fils coéternel à lui-même, lequel était le Verbe dès le commencement, et par lequel il a créé toutes choses; ce Dieu l'a aussi créé homme sans péché, devant naître d'une vierge, devant régénérer l'homme, le guérir de ses blessures, effacer son péché à l'instant même du baptême, et le relever peu à peu de son état de faiblesse et d'impuissance. C'est contre cette faiblesse que combat, sous le regard et le secours de Dieu, le chrétien régénéré parvenu à l'âge de raison. N'est-ce pas, en effet, dans la faiblesse que se perfectionne

 

(1) S. Hil. plus haut, liv. I, n. 9.

 

la vertu (1), sous l'effort de cette lutte que nous engageons contre cette partie de nous-mêmes qui nous éloigne de la justice, et en faveur de cette autre partie qui tend sans cesse à s'élever vers le bien? Que cette dernière partie triomphe, et tout en nous se perfectionne ; qu'elle succombe, et tout s'affaisse et se corrompt. Quant à l'enfant encore privé de l'usage de la raison, il n'est ni bon ni mauvais; du moins pour ce qui regarde sa volonté propre. En effet, le bien et le mal ne sont pour lui l'objet d'aucune volonté ; le bien naturel de la raison, et le mal originel du péché sont pour lui dans un état de sommeil absolu. Mais que les années se succèdent, que la raison s'éveille, aussitôt le commandement s'impose et le péché revit; bientôt le combat s'engage entre le commandement et le péché; ou bien le péché triomphe et l'enfant sera condamné; ou bien il succombe et il sera guéri. Cependant, lors même que l'enfant serait mort, avant que le péché se fût montré en lui, ce péché n'aurait pu lui causer aucun préjudice, car si, dans sa nature vicieuse, le péché subsiste toujours en ce monde, du moins, en tant qu'il rend réellement coupable celui en qui il habite, s'il est contracté par la génération, il est effacé par la régénération. De là le baptême conféré aux enfants, non-seulement pour les faire jouir du royaume de Jésus-Christ, mais encore pour les arracher à ce malheureux règne de la mort. Or, ce précieux résultat ne peut nous venir que par « Celui qui a condamné le péché par sa chair, ne l'a pas contracté en naissant, et l'a crucifié en mourant; de telle sorte que la justification par la grâce vient inonder notre chair qui, auparavant, n'était qu'un amas de souillures et de péchés ».

9. Ainsi donc, selon ces paroles de saint Ambroise, ce n'est point le démon qui a créé l'homme par- bonté, mais c'est lui qui l'a souillé par malice ; le mal de la concupiscence ne détruit pas la bonté du mariage ; le sacrement de baptême efface absolument toutes les souillures du péché; enfin Dieu ne saurait être accusé d'injustice parce qu'il condamne selon la loi de la justice celui qui est coupable selon la loi du péché, lors même qu'il serait issu de parents rendus innocents par la régénération. S'il en est ainsi, pourquoi donc désespérer de parvenir à cette

 

(1) I Cor. XII, 9.

 

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vertu qui se perfectionne dans la faiblesse? Est-ce que cette même chair de Jésus-Christ, laquelle condamne le péché qu'elle n'a point contracté en naissant, et qu'elle a crucifié en mourant, n'obtient pas la justification par la grâce à notre chair, qui auparavant n'était qu'un amas de souillures et de péchés ? Il suit de là que ces cinq arguments à l'aide desquels vous voulez effrayer les hommes, doivent vous laisser indifférents, vous et les autres, si vous croyez à la parole de saint Ambroise, de saint Cyprien, de saint Grégoire, et de tant d'autres saints docteurs. Tant de témoignages aussi formels ne pourront-ils pas vous convaincre vous-mêmes, que cette loi du péché, inhérente aux membres de l'homme et sans cesse en lutte contre la loi de l'esprit, car la chair convoite contre l'esprit, impose à tous les hommes régénérés, même aux plus innocents, la dure nécessité de toujours combattre, et de combattre contre quoi, si ce n'est contre le mal? Ne concevrez-vous pas enfin que le péché n'est point une substance, mais le vice de la substance, un vice que nous né devons pas imputer à la grâce divine qui nous régénère, mais que nous devons enchaîner par le secours de la grâce, et guérir par la rémunération que la grâce nous promet?

10. Mais peut-être seriez-vous tenté de dire que les chrétiens régénérés sont obligés de combattre, non pas contre le vice avec lequel ils sont nés, mais contre telle ou telle mauvaise habitude qu'ils auraient contractée dans leur vie antérieure. Tout d'abord un tel aveu de votre part prouverait évidemment que vous voyez dans l'homme un mal dont la souillure, et non pas le mal lui-même, serait effacé par le baptême. Cependant, comme la solution de la question qui nous occupe exige que nous prouvions jusqu'à l'évidence que ce mal est inné en nous par l'effet du péché du premier homme, veuillez entendre une parole plus formelle encore de ce même saint Ambroise dans son exposition de l'Evangile selon saint Luc. J'emprunte ce nouveau témoignage à ce passage de son livre, où tout en se conformant à l'unité de la règle de foi, il déroule les différentes significations que fon peut donner de cette parole du Sauveur : «Dans une seule maison ils seront cinq divisés entre eux, trois contre deux, et deux contre trois ». «Or », dit saint Ambroise,

 

(1) Luc, XII, 52.

 

«n'est-il pas ici parlé de la chair et de l'âme, qui dans une seule demeure se séparant de l'odeur, du tact et du goût de la luxure s'opposent énergiquement à l'entraînement des vices, se soumettent à la loi de Dieu et s'éloignent de la loi du péché? Par la prévarication du premier homme, cette dissension s'est changée en nature, de telle sorte que l'accord cessa d'exister entre ces différentes parties d'un même homme, surtout en ce qui regarde la vertu. Toutefois, par l'efficacité de la croix du Sauveur, cette inimitié domestique, aussi bien que la loi des préceptes, disparut peu à peu, et fit place à une heureuse concorde, lorsque Jésus-Christ, «notre paix véritable, descendant du ciel, n'a fait des deux peuples qu'un seul peuple (1) ». Dans le même ouvrage, parlant de la nourriture spirituelle et incorruptible, saint Ambroise s'exprime en ces termes : «La raison est la nourriture de l'esprit, et le précieux aliment de la suavité ; elle n'est point un fardeau pour nos membres, et devient pour notre nature, non point une honte, mais un ornement, lorsque notre corps, jusque-là le rendez-vous des passions et des vices, commente à devenir le temple de Dieu et le sanctuaire des vertus. C'est ce qui se fait lorsque la chair, rentrant dans l'ordre de la nature, ne sait plus voir dans la raison que le principe nourricier de sa force, et déposant les prétentions de son audace, se soumet à l'arbitrage et à la direction modératrice de l'âme. C'est dans cet état qu'elle se trouvait, «lorsqu'elle fut appelée à occuper le paradis terrestre, avant que le venin contagieux du funeste serpent lui eût inspiré une soif sacrilège ; avant qu'une faim criminelle ne lui eût fait perdre, de ces préceptes divins, «le souvenir jusque-là gravé dans toutes les a profondeurs de son âme. Telle fut le principe du péché; le corps et l'âme l'enfantèrent à la fois, le corps en se laissant tenter dans sa nature, et l'âme en cédant criminellement aux faiblesses de son corps. Si l'âme eût enchaîné cette appétence du corps, le péché eût été étouffé dans son origine ; mais il n'en fut pas ainsi, car l'âme se laissa honteusement prostituer par le corps, perdit toutes les fleurs et les forces de sa jeunesse, conçut l'iniquité et enfanta le péché (1) ».

11. Saint Ambroise, comblé de vos éloges  

 

(1) Eph. II, 14 (2) Sur saint Luc, liv. VII, n. 141, 142.

 

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et placé par vous au premier rang des docteurs, pouvait-il se prononcer d'une manière plus claire et plus formelle sur la nature et le principe du péché originel? Pouvait-il mieux nous rendre raison de cette confusion primitive, causée par la révolte de la chair contre l'âme, révolte dont nous trouvons la guérison dans la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur? Vous voyez maintenant d'où vient que la chair convoite contre l'esprit; vous voyez d'où vient cette loi des membres répugnant à la loi de l'esprit. Vous voyez que cette discorde de l'âme et de la chair s'est changée entre notre nature, et que de ces longues inimitiés nous viennent toutes ces misères auxquelles la miséricorde de Dieu pourra seule mettre un terme. Cessez de vous constituer mon adversaire; autrement voyez contre quels hommes vous luttez dans ma personne. Vous avez dit de moi que j'aspire avant tout à ne pas être compris. Et dans certains passages de vos livres, vous dénaturez mes pensées pour vous les approprier, abusant ainsi de l'incapacité de certains hommes qui ne comprennent pas que vous n'aviez pas plus la volonté de vous taire, que le pouvoir de réfuter dans quatre grands livres un seul de mes petits ouvrages. Je viens d'ouvrir un libre cours à ce fleuve de l'éloquence d'Ambroise ; le lecteur peut-il ne pas être entraîné, et le lecteur inondé de lumières? Pourquoi l'Apôtre s'est-il écrié : « Qui donc me délivrera de ce corps de mort?» Parce que, répond saint Ambroise, nous naissons tous sous le péché, et que notre première origine a été viciée. Il prouve clairement que Jésus-Christ n'a jamais connu le péché, parce que, naissant d'une vierge, il est resté complètement étranger aux liens de notre génération coupable et de notre commune nature; voilà pourquoi il a condamné le péché qu'il n'avait point éprouvé en naissant. Il enseigne clairement que la dissension entre l'âme et la chair est retombée sur notre nature par la prévarication du premier homme. Il affirme expressément que notre corps, autrefois le rendez-vous des passions et des vices, devient le temple de Dieu et le sanctuaire des vertus, lorsque la chair, rentrant dans sa nature, ne sait plus voir dans la raison que le principe nourricier de sa force, et lorsque, déposant les prétentions de son audace, elle se soumet à l'arbitrage et à la direction modératrice de l'âme. C'est dans cet état qu'elle se trouvait lorsqu'elle fut appelée à habiter le paradis terrestre, avant que le venin contagieux du funeste serpent lui eût inoculé un principe de mort. Pourquoi donc vous obstiner dans vos attaques contre moi? Adressez-vous à saint Ambroise; accusez celui qui, avant même que votre hérésie n'eût pris naissance et n'eût distillé son venin, s'était levé pour l'éteindre et pour lui préparer un remède. Pourtant si ces passages ne vous suffisent pas, écoutez encore.

12. Dans son livre sur Isaac et sur l'âme, le même docteur formule ainsi sa pensée : « Tout bon écuyer dompte et assouplit les mauvais coursiers, tandis qu'il excite les bons. Ces bons coursiers sont au nombre de quatre : la prudence, la tempérance, la force et la justice ; les mauvais sont : la colère, la concupiscence, la crainte et l’iniquité (1) ». Saint Ambroise dit-il que tout bon écuyer n'a que de bons chevaux, sans en avoir de mauvais? Non; il dit seulement qu'il excite les bons et dompte les mauvais. D'où viennent ces chevaux? Si nous en faisons des substances propres et individuelles, nous applaudissons ou nous adhérons à la folie des Manichéens; pour nous épargner cette honte, nous consultons la foi catholique, et nous voyons dans ces mauvais chevaux autant de vices qui, s'inspirant de la loi du péché, résistent à la loi de l'esprit. Ces vices aujourd'hui nous sont inhérents ; après la mort, il n'en sera pas de même, mais pendant cette vie, leur guérison n'est jamais parfaite. Pourquoi donc le baptême ne les a-t-il pas fait disparaître ? Vous n'avouez donc pas encore que leur caractère de culpabilité a disparu, mais que la faiblesse nous est restée ; et, en disant leur culpabilité, je ne veux pas dire qu'ils étaient coupables, mais je parle de ce qui, par eux, nous rendait coupables dans les oeuvres mauvaises auxquelles nous nous laissions aller sous leur inspiration. Je dis que leur faiblesse est restée, non pas en ce sens que je les compare à des animaux épuisés de forces, mais en ce sens que ces vices sont eux-mêmes notre propre faiblesse. Et dans ces chevaux mauvais, gardons-nous de croire que saint Ambroise ait voulu parler de cette iniquité qui est effacée dans le baptême; il ne parle que de l'iniquité des péchés que nous

 

(1) Chap. VIII.

 

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avons commis, lesquels nous sont tous pardonnés, et cessent d'exister par le baptême; or, si l'acte extérieur et transitoire n'avait duré que le temps seul de la perpétration du mal, la culpabilité n'avait pas cessé et demeurait inhérente à notre âme. Quant à cette loi du péché dont la coulpe, après une durée plus ou moins longue, a été effacée dans le baptême, saint Ambroise l'appelle du nom d'iniquité, parce que c'est une chose inique que la chair convoite contre l'esprit. Au contraire, la justice nous est conférée dans notre rénovation, parce qu'il est juste que l'esprit convoite contre la chair, afin que nous marchions selon l'esprit et que nous ne soyons plus les esclaves de la concupiscence de la chair. C'est cette justice qui nous est désignée sous la figure des bons coursiers.

13. Ecoutez encore ce que saint Ambroise nous dit dans son livre sur le paradis (1) : « Saint Paul nous parle de choses qu'il n'est pas permis à l'homme d'exprimer (2), parce qu'il était encore revêtu de l'enveloppe du corps, c'est-à-dire parce qu'il voyait les passions de ce corps, et cette loi de la chair qui se révolte contre la loi de l'esprit ». Il ajoute : «Quand l'Apôtre nous parle de la sagesse du serpent, vous comprenez qu'il désigne par là notre cruel adversaire qui, tout déchu qu'il soit, possède encore toute la sagesse de ce monde. Du reste, c'est à bon droit que l'on attribue la sagesse à la volupté et à la délectation, puisque la chair elle-même a sa propre sagesse, selon cette parole : La sagesse de la chair est l'ennemie de Dieu (3). En effet, ceux que dévore le désir des voluptés, se montrent très-habiles pour se procurer tous les genres de plaisirs ou de délectations. Et cette délectation, comment la comprenez-vous, sinon comme opposée au précepte divin et comme ennemie de nos sens? De là cette parole de l'Apôtre : Je vois dans mes membres une autre loi qui répugne à la loi de mon esprit, et qui me captive sous la loi du péché (4) ». — Nous comprenons sans difficulté de quelle volupté nous parle le saint docteur, puisqu'il s'appuie sur ces paroles de saint Paul : « Je vois dans mes membres une autre loi qui répugne à la loi de mon esprit, et qui me captive sous la loi du péché ». Telle

 

(1) Chap. XI et XII. — (2) II Cor. XII, 4. — (3) Rom. VIII, 7. — (4) Id. VII, 23.

 

est la volupté dont vous avez entrepris la défense, quoique vous blâmiez ses excès. Vous en formulez parfaitement les caractères; mais vous savez si bien la justifier et en rehausser la modération par l'éclat de vos paroles, qu'elle semble s'être tracé ce mode à elle-même, sans rien devoir à l'esprit qui convoite contre ses entraînements et son ardeur. N'est-ce point à cette ardeur que s'opposait énergiquement celui qui s'écriait : «Je vois dans unes membres une autre loi qui s'oppose à la loi de mon esprit ? » Cédez un instant à cette impétuosité ; dans quel gouffre impur, dans quel profond abîme elle vous entraînera, elle vous précipitera? Mais qu'il nous suffise pour le moment de constater, quoi que vous en disiez, que ce n'est pas d'un juif, mais de sa propre personne, selon saint Ambroise, que l'Apôtre parlait quand il a dit: «Je vois dans mes membres une autre loi qui s'oppose à la loi de mon esprit, et qui me captive sous la loi du péché ». Toujours dans le même ouvrage du saint docteur, nous lisons : «Paul éprouve en lui-même les douleurs du combat, et il voit en lui-même la lui de la chair s'opposant à la loi de son esprit, et le captivant sous la loi du péché ; loin de présumer de sa propre conscience, a il ne compte que sur la grâce de Jésus-Christ pour le délivrer de ce corps de mort; et vous osez supposer à quelqu'un la certitude qu'il ne peut pas pécher? Paul nous a dit: Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas ( 1), et vous soutenez comme avantageuse à l'homme une science qui n'est propre qu'à accroître l'envie du péché? » Enfin, s'adressant à nous tous, et traitant une cause qui nous est commune, le saint évêque s'écrie : «La loi de la chair répugne donc à la loi de l'esprit; par conséquent, ce qui doit être l'objet de nos travaux et de nos sueurs, c'est de châtier notre corps, de le réduire a en servitude et de jeter en nous la semence féconde des choses spirituelles (2) ».

14. Dans son livre sur le sacrement de la régénération, ou sur la philosophie, saint Ambroise nous dit encore: «Bienheureuse est donc la mort qui nous arrache au péché pour nous réformer en Dieu. Car celui qui est a mort, est justifié du péché (3). Est-ce», dit-il, «par le fait seul de la destruction de sa nature,

 

(1) Rom. VII, 19. — (2) Chap. XII et XV. — (3) Rom. VI, 7.

 

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qu'un homme est justifié du péché? Non certes, car celui qui meurt pécheur, reste dans le péché; tandis que celui-là est justifié de son péché, à qui tous les péchés ont été remis par le baptême». Qu'avez-vous à répondre à ces paroles ? Ne voyez-vous pas que, aux yeux de ce saint docteur, la mort véritablement heureuse pour l'homme lui est procurée par le baptême, dans lequel il reçoit la rémission de tous ses péchés ? Mais, quoiqu'elle doive vous être désagréable, laissez-moi vous citer une autre parole du même docteur. «Nous venons de voir », dit-il, «à qui peut s'appliquer la mort mystique ; voyons maintenant à qui s'applique la sépulture. En effet, ce n'est point assez que les vices soient frappés de mort, il faut encore que le corps se dessèche, que tous les liens charnels se dissolvent, et que tous les noeuds se distendent. Que personne ne se flatte a d'avoir acquis toute la perfection possible, parce qu'il a revêtu une autre forme, parce qu'il a reçu des préceptes mystiques, parce qu'il s'est appliqué aux règles de la continence. Nous n'accomplissons pas ce que nous voulons,et nous faisons ce que nous haïssons. Le péché accomplit en nous des oeuvres nombreuses. Malgré notre résistance, les voluptés ne cessent de revivre ou de se réveiller. Nous avons sans cesse à lutter contre la chair. Saint Paul lui-même connaissait ce a combat, puisqu'il nous dit : Je vois dans mes membres une autre loi qui répugne à la loi de mon esprit, et me captive sous la loi du péché Etes-vous donc plus fort que Paul? Quelque domptée que paraisse votre chair, ne vous confiez point à elle ; et bien plutôt écoutez ce cri de l'Apôtre : Je sais que le bien ire se trouve pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair, car je trouve en moi la volonté de faire le bien, mais je ne trouve pas le moyen de l'accomplir. En effet, je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas. Or, si je fais ce que je ne a veux pas, ce n'est plus moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi (1) ». — Quelle que soit, Julien, l'obstination de votre esprit, quel que soit le coupable aveuglement avec lequel vous soutenez contre nous l'hérésie pélagienne, saint Ambroise vous étreint tellement par l'évidence des choses et vous écrase tellement par l’éclat de ses paroles que, si rien n'est

 

(1) Rom. VII, 23, 18-20.

 

capable de vous faire abandonner l'erreur où vous vous opiniâtrez, ni la raison, ni le coeur, ni la religion, ni la piété, ni l'humanité, ni la vérité; du moins vous montrez dans votre personne que l'on peut arriver à un tel degré du mal, qu'il n'est plus possible de rester là où l'on est, et que l'on a honte d'en sortir. Et tel est, je crois, le sentiment qui vous affecte quand vous lisez des pages aussi éloquentes que celles que je viens de vous citer. Plaise à Dieu que la paix de Jésus-Christ règne dans votre coeur, et qu'une pénitence sincère triomphe de la honte criminelle qui vous retient !

15. Nous connaissons cette loi du péché, dont le mouvement s'impose comme un joug à la mortalité des hommes continents; à laquelle la chasteté conjugale s'efforce de tracer des règles et une mesure; sous le souffle de laquelle, enfin, la concupiscence de la chair et cette volupté que vous comblez d'éloges, soulèvent leurs flots et amoncellent des orages contre la volonté, lors même que celle-ci s'armerait de courage pour les dompter et repousser leurs suggestions. Or, veuillez considérer un instant comment, dans ce même livre sur le sacrement de la régénération, ou sur la philosophie, saint Ambroise prouve que le genre humain est engendré sous l'influence de cette même loi du péché, et contracte la souillure du péché originel. «Il est», dit-il, «une maison que la sagesse construit, il est une table couverte des sacrements célestes, sur laquelle le juste goûte la nourriture de la divine volupté et boit le doux breuvage de la grâce, s'il trouve sa joie dans une abondante postérité de mérites éternels. A la vue de cette belle génération, David était saisi d'horreur pour tous ces fruits de l'union charnelle ; voilà pourquoi il désirait se purifier dans les eaux de cette source sacrée, afin de trouver dans la grâce spirituelle la justification de ses souillures charnelles et terrestres. J'ai été conçu dans l'iniquité, «disait-il, et ma mère m'a enfanté dans le péché (1). Eve a enfanté dans le péché, afin de laisser aux autres femmes ce triste enfantement en héritage. C'est ainsi que chaque homme est d'abord formé par la volupté de la concupiscence, enseveli dans les entrailles maternelles, pétri pour ainsi dire dans le sang de sa mère, et enfin enveloppé de langes, de telle sorte qu'il subit la contagion du mal,

 

(1) Ps. L, 7.

 

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avant d'aspirer l'esprit de vie ». Ainsi parle saint Ambroise. Or, si vous n'êtes point dépourvu de tout sens humain, vous devez voir ce que pense de la volupté de la concupiscence, dont vous vous êtes fait le brillant panégyriste, ce grand docteur auquel, je le répète, vous décernez les plus grands éloges. L'enfant est formé par cette volupté, enseveli par elle dans les entrailles maternelles, pétri par elle dans le sang de sa mère, enveloppé par elle, non pas dans des langes de laine ou de lin ou de tout autre matière, comme le sont aujourd'hui tous les nouveau-nés, mais dans les langes d'une origine viciée, triste héritage en vertu duquel il subit la contagion du mal avant même d'aspirer le souffle de la vie. Après cette vie mystérieuse dans les entrailles maternelles, il est jeté en naissant dans ce vaste océan de l'air qui fournit à tous un aliment commun et perpétuel ; mais en naissant, il pleurera aussi cette culpabilité qu'il a contractée avant d'apparaître à la lumière. Comment donc les mouvements de cette concupiscence n'auraient-ils pas fait rougir nos premiers parents, quand même ces mouvements leur annonçaient qu'ils étaient pécheurs et que leurs enfants naîtraient dans le péché? De même qu'ils se sont empressés de voiler ce foyer de la concupiscence dans lequel ils ressentaient la révolte de la passion, plaise à Dieu que, devenu obéissant à la foi catholique, vous rougissiez de louer ce dont vous devriez rougir !

16. Ecoutez maintenant ce que, dans son livre du Paradis, saint Ambroise nous dit de ces feuilles de palmier dont nos premiers parents se firent un vêtement. «Ce qui est plus grave encore », nous dit-il, «c'est que, selon cette interprétation, Adam se ceignit les reins dans le lieu même où il aurait dû se ceindre du fruit de la chasteté. Ces reins que nous ceignons portent, dit-on, la semence de la génération ; voilà pourquoi les feuilles dont se ceignit Adam lui furent inutiles, car il y scellait, non point le fruit futur de la future génération, mais le péché lui-même (1) ». Ce saint docteur pouvait-il réfuter en termes plus clairs et plus explicites cette thèse si péniblement élaborée, dans laquelle vous soutenez que si Adam et Eve se sont voilé les reins, ce n'est ni après leur péché, ni parce que leurs yeux se sont ouverts (2) ?

 

(1) Chap. XIII. — (2) Gen. III, 7.

 

Cette étrange loquacité dont vous avez fait preuve a eu pour résultat unique de choquer le sens commun et d'irriter tous vos lecteurs. En effet, le mot seul de ceinture signifie-t-il autre chose que ce voile jeté autour des reins? En commentant cette parole, notre saint docteur n'avait certes pas en vue d'éclaircir une difficulté, et laissait à chaque chose la signification naturelle que le vulgaire lui donne. «C'est, dit-on, dans ces reins que se forme la semence de la génération; voilà pourquoi », dit-il, «Adam a été mal voilé par ces feuilles inutiles ». Pourquoi a-t-il été mal voilé? Il en donne immédiatement la raison ; parce qu'il y scellait, non pas le fruit futur, mais certains péchés de la future génération ». Avez-vous à cela quelque chose à répondre ? Telle est la cause de cette confusion, de cette ceinture de feuillage, de ce péché originel transmis à la postérité.

17. Le saint évêque de Constantinople exprime en deux mots., avec toute la décence possible, ce fait de nos premiers parents subitement saisis de honte et de pudeur : «Ils étaient », dit-il, «couverts de feuilles de figuier, pour cacher une espèce de péché ». Puisque avant le péché ils ne rougissaient pas de leur nudité, peut-on douter un seul instant de l'espèce de péché qui leur inspira la pensée et le désir de se voiler les reins? Je vous en prie, comprenez ; bien plus, permettez aux hommes de comprendre ce qu'ils comprennent avec vous, et ne nous forcez pas à parler plus longtemps de ces matières qui nous font rougir.

18. Avec non moins de vérité, ce même saint Jean de Constantinople, comme le bienheureux martyr Cyprien (1), voit l'annonce prophétique du baptême dans le commandement qui prescrivait aux Juifs la circoncision de la chair. «Remarquez », dit-il, «que le juif se soumet à la circoncision à cause de la menace qui annonçait que tout homme qui ne serait pas circoncis le huitième jour, serait exterminé du milieu de son peuple (2). Et vous », dit-il, «vous différez une circoncision spirituelle qui s'accomplit sur le corps pour le dépouillement de la chair; et cependant vous entendez cette parole du Seigneur : En vérité, en vérité je vous déclare que celui qui ne renaîtra pas de l'eau et du Saint-Esprit n'entrera pas dans le

 

(1) Epît. LXIV, à Fidue. — (2) Gen. XVII, 14.

 

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royaume des cieux (1) ». Ne voyez-vous pas comment ce saint évêque, si habile dans la science ecclésiastique, compare la circoncision à. la circoncision et la menace à la menace? Dès lors, ne pas être circoncis le huitième jour, c'est pour nous ne pas être baptisé en Jésus-Christ; être exterminé du milieu de son peuple, c'est pour nous ne pas entrer dans le royaume des cieux. Et cependant, vous niez dans le baptême des enfants le dépouillement de la chair, c'est-à-dire la circoncision spirituelle, puisque vous prétendez qu'il n'est en eux aucune souillure à purifier. Vous refusez de convenir qu'ils soient morts dans le prépuce de leur chair, lequel prépuce est le signe du péché et surtout de la transmission du péché originel ; en effet, c'est par ce, péché que notre corps est devenu un corps de péché, qui ne sera purifié, dit l'Apôtre, que par la croix de Jésus-Christ (2).

13. Mais je n'oublie pas que je me suis engagé à baser ma réfutation sur le témoignage des évêques qui nous ont précédés, et qui ont commenté les saints oracles avec autant de fidélité que d'éloquence. Revenons donc à saint Ambroise et rappelons qu'il affirme, sans hésiter, que Dieu seul est le créateur de l'homme, c'est-à-dire de son âme et de son corps; qu'il honore le mariage; qu'il prêche dans le baptême de Jésus-Christ la rémission complète de tous les péchés; qu'il proclame la justice infinie de Dieu; qu'il enseigne pour la nature humaine la possibilité de la vertu et de la perfection, avec le secours de la grâce. Or, ne sont-ce pas là les cinq vérités capitales dont vous proclamez l'impossibilité et la fausseté pour quiconque accepte le dogme de la transmission du péché originel dans les enfants? Cependant, ce dogme du péché originel, contre lequel vous vous armez de tous les arguments possibles, saint Ambroise saisit dans ses discours et ses écrits toutes les occasions pour l'enseigner dans les termes les plus clairs et les plus explicites ; il affirme sur ce point la vérité catholique et s'efforce de réduire à néant tout ce que peut lui opposer une nouveauté profane. Douteriez-vous, par hasard, que saint Ambroise ait su et enseigné que Dieu est le créateur de tous les hommes, de l'âme et du corps? Ecoutez alors ce que, dans son livre de la philosophie, il oppose au philosophe Platon,

 

(1) Jean, III, 5. — (2) Rom. VI, 6.

 

qui affirme que les âmes humaines transmigrent parfois dans les animaux, quoique ces âmes soient créées par Dieu lui-même, tandis que les corps sont, selon lui, créés par les dieux inférieurs. Voici donc comment s'exprime saint Ambroise : «Je m'étonne qu'un aussi grand philosophe ose reléguer dans le corps des hiboux, des grenouilles ou des bêtes féroces, cette âme humaine à laquelle pourtant il attribue le privilège de l'immortalité; dans le Timée, il affirme de l'âme qu'elle est l'oeuvre de Dieu, et que Dieu l'a mise au rang des êtres immortels; quant au corps, il ajoute qu'il ne paraît pas être l'oeuvre de la divinité suprême, parce que la nature du corps humain ne diffère nullement de la nature du corps animal. Or, si cette âme mérite qu'on la regarde comme l'oeuvre de Dieu, comment est-elle indigne d'être revêtue de l'oeuvre de Dieu? » Voilà en quels termes saint Ambroise, d'accord avec les Platoniciens sur l'origine de l'âme, affirme contre: eux que le corps lui-même est l'oeuvre de Dieu.

20. Direz-vous que le saint docteur incrimine te mariage, parce qu'il affirme que tout enfant qui naît du mariage subit la contagion du mal, comme étant le fruit de la volupté de la concupiscence? Ecoutez alors comment, dans son apologie de David, saint Ambroise formule sa pensée sur le mariage : «Le mariage est bon », dit-il ; « l'union conjugale est sainte. Toutefois, que ceux qui ont des épouses soient comme n'en ayant pas. Le devoir conjugal est légitime; que les époux ne se refusent donc pas l'un à l'autre ce devoir, si ce n'est pour un temps et afin de se livrer à la prière (1). Selon l'Apôtre, l'accomplissement du devoir conjugal est donc incompatible avec le temps destiné à la prière (2) ». Dans le livre de la philosophie, nous lisons également: «La continence est bonne, elle est en quelque sorte le fondement de la piété. En effet, c'est elle qui affermit les pas chancelants de ceux qui gravissent les précipices de cette vie; elle est comme la sentinelle vigilante qui ferme l'entrée à tout ce qui est illicite. Au contraire, la mère de tous les vices, c'est l'incontinence qui rend mauvais ce qui était licite. Voilà pourquoi, non content de nous défendre la fornication, l'Apôtre trace

 

(1) I Cor. VII, 29, 5. — (2) Chap. XI.

 

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un mode à observer jusque dans.le mariage, et prescrit un temps à consacrer à la prière (1).  Du reste, celui qui est intempérant dans le a mariage, qu'est-il autre chose, sinon l'adultère même de sa propre épouse?» Vous voyez comment il trace au mariage lui-même certaines règles pour, rester honnête, puisque dans les limites de ses droits. Vous voyez que, en affirmant de l'incontinence qu'elle rend mauvais même ce qui était licite, il affirme la bonté du mariage et défend d'y souiller par l'incontinence ce qui est licite. Enfin, remarquez-vous qu'il n'y a pour vous d'autre interprétation que la nôtre à donner à ces paroles de l'Apôtre : «Que chacun de vous sache posséder le vase de son corps saintement et honnêtement, et non point en suivant les mouvements de la concupiscence, comme font les païens qui ne connaissent point Dieu (2)? » Or, la seule passion coupable à vos yeux, c'est celle de l'adultère. Que pensez-vous donc de saint Ambroise, qui regarde l'intempérance dans le mariage comme une sorte d'adultère sur sa propre épouse? En accordant au mariage pleine et entière liberté de satisfaire à toutes les licences de la passion, croyez-vous comprendre mieux que tout autre les honneurs qu'il mérite? ou bien voulez-vous que la passion offensée ne puisse trouver qu'en vous son défenseur? J'avais cité de saint Paul ce passage où il permet aux époux le devoir conjugal, mais, remarquez-le, par condescendance,, ce qui supposerait presque une faute, quoique une faute pardonnée ; or, vous évitez avec soin la moindre allusion à ce passage. J'avais rappelé aussi l'avertissement qu'il donne aux époux de s'abstenir de tout commerce charnel, afin de se livrer à la prière (3) ; or, dans votre réponse, vous n'osez non plus rappeler cette citation, craignant sans doute que votre justification ne se trouvât gravement compromise si le public venait à s'apercevoir que, dussent les époux abandonner la prière, vous leur permettez de donner libre cours à cette passion dont vous ne rougissez pas de prendre la défense. Vous désiriez vivement la justifier de toutes mes accusations, mais, n'osant voua mettre en contradiction formelle avec l'Apôtre; ne pouvant d'ailleurs dénaturer, comme vous le faites d'ordinaire, le témoignage apostolique, vous n'avez trouvé qu'un seul parti à prendre,

 

(1) I Cor. VII. — (2) I Thess. IV, 4, 5. — (3) I Cor. VII, 6, 5.

 

celui de garder le plus profond silence. Par qui donc les honneurs dus au mariage sont-ils le mieux sauvegardés? Est-ce par vous; qui en flétrissez la dignité eu le regardant comme l'égoût irrépréhensible de la concupiscence charnelle ? ou par saint Ambroise qui, tout en avouant que le mariage est bon, et que le devoir conjugal est saint, rappelle après l'Apôtre qu'il est des moments pour refréner la volupté de la passion et se livrer à l'exercice de la prière? Par saint Ambroise, qui ne veut pas que les époux s'abandonnent brutalement à cette maladie, véritable principe de la transmission du, péché originel; qui, selon la doctrine du même Apôtre, invite ceux qui sont mariés à vivre comme s'ils ne l'étaient pas ; qui n'hésite pas à flétrir du nom d'adultère de sa propre épouse, le mari intempérant; et qui enfin voit le bien du mariage, non pas dans la, cupidité de la chair, mais dans la foi de la chasteté; non pas dans la maladie de la passion, mais dans le pacte d'union ; non pas dans la volupté de la concupiscence, mais dans le désir. de la postérité? Il rappelle que la femme n'a été donnée à l'homme que dans le but de la génération, et j'admire vraiment que vous ayez tant sué pour nous prouver une vérité dont aucun d'entre nous n'a jamais douté. Sur ce sujet, voici les paroles de saint Ambroise dans son livre du Paradis : «Si la femme a été pour l'homme la cause de la chute, comment dire que la création de la femme fut pour l'homme un bienfait? Eh bien ! rappelez-vous que Dieu prend soin de l'universalité des choses, et vous comprendrez que, pour lui, l'obligation, si triste fût-elle, de condamner ce qui était la cause du péché, étai loin de compenser la joie que lui faisait éprouver ce qui entrait comme cause nécessaire dans le bien général. Parce que l'homme seul ne pouvait suffire à la propagation du genre humain, Dieu s'était écrié : Il n'est pas bon que l'homme soit seul (1). Plutôt que de n'avoir qu'un seul homme qui fût exempt de péché, le Seigneur préféra donc en avoir plusieurs, qu'il pût sauver tous, et auxquels il accorderait la rémission du péché. Enfin, parce qu'il est l'auteur de l'homme et de la femme, Dieu

vint en ce monde afin de sauver les pécheurs. Et puis, remarquons encore que

 

(1) Gen. II, 18.

 

Dieu permit à Caïn, coupable de fratricide, «de se créer une postérité, avant de trouver dans la mort l'expiation de son crime. «Donc », conclut saint Ambroise, «la femme dut être donnée à l'homme en vue d'assurer la propagation du genre humain (1) ».

24. Ainsi donc, celui qui fut pour moi le premier prédicateur de la religion, et qui a mérité de votre part les plus brillants éloges, saint Ambroise enseigne formellement que Dieu est le créateur de l'homme, c'est-à-dire de son âme et de son corps, et que le mariage est bon en tant que mariage : il affirme et prouve cette double vérité. J'ai montré précédemment qu'à ses yeux le péché originel ne déroge en rien au saint baptême; j'ai cité à ce sujet ses propres paroles : «Celui-là », dit-il, «est justifié du péché, à qui tous les péchés sont remis par le baptême (2) ». Quant à la justice de Dieu, un chrétien peut-il douter qu'il la prêche ostensiblement, puisque, sauf de rares exceptions, les impies eux-mêmes confessent cette vérité?

22. Reste à savoir si la nature humaine paraît à saint Ambroise capable de justification et de perfection. Comment l'affirmer quand, si souvent et sous tant de formes différentes, on l'entend soutenir que l'homme naît sous le joug du péché, et qu'il sort d'une source viciée? Or, j'ai prouvé précédemment que saint Ambroise enseigne, pour la nature humaine, la possibilité de. la justification et de la perfection ; j'ai cité comme preuve ces paroles : « Par sa chair, Jésus-Christ a condamné le péché, qu'il n'a point contracté en naissant, et qu'il a crucifié en mourant, et c'est ainsi que la justification par la grâce s'est accomplie dans notre chair, restée jusque-là sous le joug du péché comme une masse d'iniquité (3) ». Ces paroles prouvent clairement que saint Ambroise regarde comme capable de justification la nature humaine tout entière, quoiqu'elle naisse sous le joug du péché ; mais cette justification n'est possible que par la grâce, et c'est là ce qui vous révolte, vous les ennemis acharnés de la grâce. Et si vous demandez quelque chose de plus formel encore, écoutez ce que dit le même docteur dans son commentaire de la prophétie d'Isaïe : «Remarquez qu'après cette vie il y aura pour nous une autre régénération dont il a été dit : A la

 

(1) Chap. X. — (2) Plus haut, II. 14. — (3) Id. II. 5.

 

régénération, lorsque le Fils de l'homme siégera sur le trône de sa gloire (1). De même que le baptême est pour nous une régénération, parce que nous y sommes renouvelés par la rémission des péchés ; de même nous pouvons regarder comme une autre régénération cette transformation qui fera de notre corps un corps tout spirituel, soustraira notre âme à tout contact matériel, et nous régénérera pour la vie éternelle » . Ainsi donc notre saint docteur met une distinction essentielle entre la justification de cette vie, laquelle s'opère par le bain de la régénération, et la perfection de l'autre vie, dans laquelle nos corps seront renouvelés par l'immortalité. Jamais, dès lors, il n'a désespéré de la perfection ni de la justification absolue, quoiqu'il ait admis le vice originel dans les enfants. En effet, de même que la nature humaine s'est prêtée docile à la main créatrice de Dieu, de même est-elle heureuse de trouver dans le sang du Rédempteur le remède tout-puissant pour la guérir.

23. Pourquoi donc de votre part cet empressement, cette précipitation, signe infaillible d'une étrange présomption ? Vous soutenez qu'ici-bas l'homme arrive à son entière perfection; et plût à Dieu que cette perfection vous parût le fruit de la grâce divine, et non point le résultat unique du libre arbitre, ou plutôt du serf arbitre de votre volonté propre ! Vous sentez bien vous-même que vous êtes loin de cette perfection ; mais l'hypocrisie s'attache indissolublement à vos lèvres, soit quand vous vous dites pécheurs, tout en voulant que l'on vous croie justes; soit quand vous proclamez l'existence d'une justice parfaite, tout en sentant fort bien qu'elle n'est pas en vous. Or, dans cette vie, la justification nous est conférée de trois manières : soit d'abord par le bain de la régénération dans lequel nous obtenons la rémission de tous nos péchés ; soit dans la lutte que nous engageons contre les vices dont la coulpe nous a été pardonnée; soit enfin quand Dieu veut bien exaucer celte demande que nous fui adressons : «Pardonnez-nous nos offenses (1) ». En effet, quelque courage que nous déployions contre nos vices, nous sommes toujours hommes ; tandis que la grâce de Dieu, témoin des combats que nous livrons dans .notre corps mortel, nous prodigue

 

(1) Matt. XIX, 28. — (2) Id. VI, 12.

 

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un secours tellement efficace que rien ne s'oppose à ce que nous soyons exaucés quand nous implorons notre pardon. Pour vous, au contraire, cette miséricorde de Dieu ne vous paraît nullement nécessaire, car vous êtes du nombre de ceux dont le Psalmiste a dit : «Ils se confient dans leur propre vertu (1)». Mais écoutons sur ce point encore l'illustre évêque de Milan dans son livre de la Fuite du siècle : «Nous parlons souvent de la nécessité de fuir le siècle ; et plaise à Dieu qu'il soit aussi facile de s'assurer une fuite salutaire que d'en parler ! Mais hélas ! la séduction des cupidités terrestres fait souvent invasion dans notre coeur ; le spectre des vanités temporelles s'empare de notre esprit, et c'est ainsi que nos pensées et           nos affections adhèrent à ce que nous cherchons à éviter. Il est difficile à l'homme de se tenir toujours en garde contre ce danger: y échapper a toujours est impossible. Que ce dépouillement soit plutôt une affaire de désir qu'une a réalité, c'est ce que nous attestent ces paroles du Prophète : Inclinez mon coeur vers vos oracles, et non point vers l'avarice (2). En effet, notre coeur n'est point en notre puissance, et nos pensées subitement obscurcies confondent notre esprit et notre coeur, et les entraînent dans une tout autre direction. Elles nous rappellent aux choses du siècle, nous précipitent sur les biens de la terre, nous plongent dans tous les rêves de la volupté, nous fascinent à toutes les séductions, et au moment même où nous nous préparons à élever notre esprit vers les sphères supérieures, nous retombons le plus souvent sur la terre, accablés sous le poids ode ces pensées vaines et futiles (3) ». Si vous n'éprouvez point toutes ces misères, n'en soyez que plus indulgents pour nous; cependant nous ne vous croyons pas, car dans ces paroles de saint Ambroise nous retrouvons notre image comme dans un miroir fidèle, et quelle que soit. notre perfection, nous ne laissons pas de rencontrer en nous les caractères de notre commune et humaine fragilité. Supposé même que nous vous croyions et que nous vous disions : Priez pour nous, afin que nous n'ayons plus rien à souffrir de semblable ; aussitôt nous croyons entendre les frémissements de votre orgueil, et les murmures de votre haute sagesse vous dictant cette réponse :

 

(1) Ps. XLVIII, 7. — (2) Ps. CXVIII, 36. — (3) Chap. I.

 

Non-seulement nous n'éprouvons rien de semblable, mais nous croyons qu'il est au pouvoir de l'homme de s'en garantir, et qu'il n'est pour lui aucun motif sérieux de s'adresser à Dieu pour implorer son secours.

24. Combien nous sommes plus heureux d'entendre saint Ambroise proclamant l'absolue nécessité de la grâce de Dieu, avouant qu'il ne se confie aucunement dans sa propre vertu, et ajoutant aussitôt : «Quel est l'homme assez heureux pour monter toujours dans son propre coeur? Qui peut en arriver là sans le secours de la grâce ? «Personne ». Puis revenant encore sur ces mêmes paroles de l'Écriture : «Bienheureux l'homme qui reçoit de vous, Seigneur, son secours; son coeur tend toujours à monter (1) », il se les applique et en proclame la vérité. Dans son livre sur le sacrement de la régénération, il dit également : «Quel est celui qui se sert de son corps pour agir? «N'est-ce pas notre âme? Naturellement donc notre âme est le chef et la maîtresse du corps; c'est elle qui doit le dompter et le conduire. Voilà pourquoi, s'appuyant sur le secours du Saint-Esprit, elle s'écrie dans le psaume : Quoi que me fasse la chair, je ne craindrai pas (2). Elle dit également par la bouche de Paul : Je châtie mon corps et le réduis en servitude (3). Paul châtie donc ce qui lui appartient, et non pas ce qu'il est lui-même. Car autre chose ce qui est à lui, autre chose ce qu'il est. Il châtie ce qui est à lui, afin qu'étant juste, il opère en lui-même la mort de la concupiscence charnelle ». Quand saint Ambroise tenait ce langage, est-ce qu'il ne combattait pas contre ses vices? est-ce qu'il n'en triomphait pas? est-ce que, en sa qualité de courageux soldat de Jésus-Christ, il ne soutenait pas en lui-même la lutte chrétienne contre cette armée de cupidités de tout genre et de toute espèce ? Est-ce qu'il ne châtiait pas son propre corps? Et après avoir vaincu et dompté les œuvres du démon, est-ce qu'il ne cherchait pas à concilier l'oeuvre de Dieu avec l'oeuvre de Dieu? ou plutôt est-ce que son âme ne recherchait pas la paix de la justice avec son corps, non point pour se donner le plaisir de se confier en sa propre vertu, mais afin qu'appuyée sur le secours de l'Esprit-Saint elle pût s'écrier : «Quoi que me fasse la chair,

 

(1) Ps. LXXXIII, 6. — (2) Id. LV , 5. — (3) I Cor. IX, 27.

 

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je ne craindrai pas? » Voilà donc comment il est prouvé que la nature humaine est capable de perfection ; voilà comment la vertu se perfectionne dans la faiblesse (1).

25. Ecoutons aussi sur ce sujet le glorieux martyr Cyprien, dans sa lettre sur l'immortalité. «Nous avons à combattre », dit-il, «contre l'avarice, contre l'impudicité, contre la colère, contre l'ambition ; une guerre acharnée et.cruelle est engagée entre nous et les vices charnels, entre nous et les séductions du siècle. L'esprit de l'homme, sans cesse obsédé et assiégé par le démon, peut à peine faire face à tous ses ennemis, et leur résister. L'avarice est-elle terrassée? la volupté se lève audacieusement ; la volupté est-elle étouffée? l'ambition se dresse aussitôt; l'ambition est-elle écrasée sous le. poids du mépris? la colère s'enflamme, l'orgueil se gonfle, l'ivresse séduit, la jalousie sème partout la division, l'envie dissout l'amitié. «Vous êtes pressé de maudire, ce que la loi divine nous défend ; vous êtes contraint de jurer, ce qui n'est pas permis. Comptez les persécutions qui chaque jour viennent fondre sur nous, les dangers qui nous menacent, et cependant nous trouvons un certain plaisir à séjourner longtemps au milieu des glaives du démon, quand nous devrions, au contraire, désirer de tous nos voeux prendre notre essor vers Jésus-Christ, sur l'aile rapide de la mort ». Or, accuserons-nous saint Cyprien d'avarice, d'impudicité, de colère, d'ambition, de sensualité, d'amour du siècle, de volupté, d'orgueil, d'ivresse et de jalousie, par cela seul qu'il déclare avoir à combattre contre l'avarice, l'impudicité, la colère, l'ambition, la sensualité, l'amour du siècle, la volupté, l'orgueil, l'ivresse et la jalousie? Ce, qui prouve, au contraire, qu'il n'était l'esclave d'aucun de ces mouvements répréhensibles qui lui venaient, soit de son origine, soit des anciennes habitudes, c'est qu'il leur résistait courageusement, et prétendait ne pas devenir ce qu'ils voulaient qu'il fût. Toutefois il était loin de se flatter de n'avoir jamais reçu aucune blessure, puisque nous l'entendons s'écrier dans son épître sur l'aumône : «Que personne d'entre nous ne se flatte jamais d'avoir conservé son coeur absolument pur et immaculé, et de jouir d'une telle innocence qu'il n'ait besoin d'aucun remède à appliquer

 

(1) II Cor. XII, 9.

 

sur des blessures. Ne serait-ce pas démentir cette parole: Quel est celui qui se glorifiera d'avoir conservé son coeur chaste? quel est celui qui se flattera d'être exempt de péché (1) ? Et puis », ajoute-t-il, «saint Jean n'a-t-il pas dit dans son épître : Si nous affirmons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous (2) ? Si donc personne ne peut être sans péché, s'il y a folie ou orgueil à se croire parfaitement innocent; quel besoin n'avons-nous. pas de l'infinie miséricorde de Dieu, qui, sachant bien qu'après notre guérison il nous reste la cicatrice de nos blessures, nous adonné pour les guérir les remèdes les plus salutaires ! » O, illustre docteur et glorieux martyr, tels sont donc vos enseignements et vos leçons, tels sont les exemples que vous proposez à notre imitation Après avoir clos toute la série de vos combats contre tous les mouvements de la concupiscence, après avoir guéri vos blessures, tout embrasé du désir de la vie véritable et suprême, vous avez combattu pour la vérité de Jésus-Christ, et vous êtes sorti vainqueur, sous la puissante influence de sa grâce. Votre couronne vous est assurée, votre doctrine est victorieuse, et par elle vous triomphez encore de tous ceux qui mettent leur confiance dans leur propre vertu. Ils s’écrient audacieusement : C'est de nous que nous vient la perfection de notre vertu ; et vous leur répondez : «Personne n'est fort par sa propre force, et toute notre sûreté nous vient de l’indulgence de Dieu et de son infinie miséricorde ».

26. Ecoutez saint Hilaire ; il vous dira d'où il attend la perfection de l'homme. Parlant de la paix évangélique (3), à l'occasion de ces paroles du Sauveur : «Je vous donne ma paix (4) », voici comment il s'exprime: «La loi n'était que l'ombre des biens futurs; voilà pourquoi, dans sa signification préfigurée, elle nous apprend que dans ce corps terrestre et mortel, nous ne pouvons être purs, à moins que par l'absolution de la miséricorde céleste, nous n'obtenions une entière purification, ce qui ne pourra se faire qu'après la transformation de notre corps terrestre, c'est-à-dire après notre glorieuse résurrection ». Il ajoute : «Les Apôtres avaient

 

(1) Prov. XX, 9. — (2) I Jean, 1, 8. — (3) Sur le Ps. CXVIII, aux vers 18 et 115. — (4) Jean, XIV, 27.

 

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été purifiés et sanctifiés par la parole de la foi, et cependant ils n'étaient pas absolument sans souillure, grâce à la condition qui leur était faite par notre commune origine; c'est ce que prouvent ces paroles : Quoique vous soyez méchants, vous savez faire du bien à vos enfants (1)». — Vous voyez que ce glorieux athlète du catholicisme, sans nier qu'il y eut une purification particulière à cette vie, en espère une autre beaucoup plus parfaite encore, à l'époque de notre résurrection suprême.

27. Dans une de ses homélies sur le livre du saint homme Job, saint Hilaire affirme que la guerre perpétuelle, qui nous est faite par le démon, a pour aliment principal le mal qui se trouve en nous; du reste, cette guerre nous est très-utile, puisqu'elle donne à la divine miséricorde l'occasion de nous faire trouver notre purification dans la lutte soulevée contre nous par le démon. Voici ses paroles : «Tant est grande et admirable la miséricordieuse bonté de Dieu à notre égard, que le démon, par la fourberie duquel nous avons perdu dans Adam le privilège de notre première et bienheureuse nature, devient pour nous l'occasion de recouvrer ce que nous avons perdu. En effet, dans le paradis terrestre, le démon nous a nui par sa jalousie, tandis que maintenant il est frappé       d'une honteuse défaite quand    il cherche à nous nuire. S'emparant de l'infirmité de notre chair, il lance contre nous tous les traits de sa puissance, soit pour enflammer la concupiscence, soit pour exciter à l'ivresse, soit pour stimuler à la haine, soit pour provoquer à l'avarice, soit pour apprendre le meurtre, soit pour aigrir la malédiction. Au contraire, que l'âme fasse appel à la fermeté qui lui vient de la grâce, toutes les flammes dévorantes de ce foyer d'iniquité s'éteignent subitement, et la gloire du triomphe nous purifie de nos péchés. Ne lisons-nous pas : Comment l’homme, né de la femme, se purifiera-t-il (2)? Parce que la guerre finira, faute d'ennemis; et quand il n'y aura plus de a guerre, il n'y aura plus de victoire. Or, tant a que nous n'aurons pas remporté cette victoire décisive sur nos vices, ne nous flattons pas que nous en soyons purifiés; il faut que nous ayons capturé dans ses propres embûches ce pirate de notre corps, avant de

 

(1) Matt. VII, 11. — (2) Job, XXV, 4.

 

voir s'éteindre en nous la lutte de nos passions irritées. Sachons donc », dit toujours le même docteur, « que nos corps sont la matière de tous nos vices, et que cette matière ne nous permet ni pureté parfaite, ni complète innocence; par conséquent, réjouissons-nous de la présence d'un ennemi contre lequel nous devons soutenir une guerre déclarée ».

28. Dans son commentaire sur le premier psaume, le même évêque ne craint pas de dire que notre nature, soumise à la contagion de la maladie originelle, se sent portée vers le péché, et que, pour nous empêcher de pécher, la religion et la foi nous imposent l'obligation de combattre. Voici ses paroles : « Il en est plusieurs qui, tout en se séparant de l'impiété, par le culte qu'ils rendent au Créateur, ne sont point par cela seul exempts de tout péché; car, cessant de se montrer fidèles à la discipline de l'Eglise, ils deviennent avares, intempérants, colères, méchants, orgueilleux, fourbes, menteurs et voleurs. L'instinct même de notre nature nous porte à tous ces vices; c'est à nous de quitter la voie sur laquelle nous nous sentons entraînés, et, après l'avoir quittée, gardons-nous bien de nous y engager de nouveau. De là cette parole : Bienheureux celui qui ne s'arrête pas dans la voie des pécheurs ! si la nature nous entraîne sur cette voie, que la religion et la foi soient toujours là pour nous en détourner (1) ». Allons-nous donc regarder saint Hilaire comme le détracteur de cette nature que Dieu a créée? Non sans doute; car, en sa qualité de catholique, il était convaincu que notre nature humaine est l’oeuvre de Dieu. Ce qu'il accusait donc, c'était ces vices avec lesquels nous naissons, selon cette parole de l'Apôtre : «Par nature, nous, comme les autres, nous avons été enfants de colère (2) ». Supposons maintenant que ces paroles que j'ai citées ne soient point de saint Hilaire, mais de moi, que ne diriez-vous pas contre moi ? comme vous sonneriez de la trompette pour annoncer que je suis un manichéen ! Plutôt que de laisser sur votre estomac le poids indigeste de toutes ces malédictions, vomissez-les contre saint Hilaire, et, si vous l'osez, lancez contre lui vos vaines calomnies et vos mensonges insensés. «Nous nous

 

(1) Sur le vers. 1. — (2) Eph. II, 3.

 

sentons», dit-il, «enclins à tous ces vices par le propre instinct de notre nature ». Quelle est donc cette nature? Parle-t-il de cette nation de ténèbres, poétiquement imaginée par les Manichéens? A Dieu ne plaise ! Il parle en véritable catholique; il parle en illustre docteur de l'Eglise ; car c'est Hilaire lui-même qui nous parle. Ainsi donc, notre nature a été viciée par la prévarication du premier homme; ce qu'il s'agit de faire, ce n'est point de la séparer de tout autre nature, mais uniquement de la guérir ; comment donc pouvez-vous nous accuser de lui donner le démon pour auteur, quand vous osez lui refuser le Christ pour Sauveur, et que vous soutenez que cette même nature peut, ici-bas, vivre dans une innocence parfaite de tout péché ?

29. Ecoutez encore le même saint Hilaire dans son commentaire sur le psaume cinquante et unième : «Notre espérance est dans la miséricorde de Dieu pour le siècle des siècles. En effet, quelles que soient ces oeuvres de justice, elles ne suffiront pas pour nous mériter le bonheur, à moins qu'il ne plaise à la miséricorde de Dieu de ne point nous imputer les vices et les vicissitudes de toute sorte que nous ressentons dans notre nature humaine, malgré la volonté sincère où nous sommes de parvenir à la justice. De là ce mot du Prophète : Votre miséricorde est pour nous plus précieuse que notre vie (1) ». Ne voyez-vous pas que cet évêque est du nombre de ces bienheureux dont il a été dit : «Bienheureux l'homme à qui Dieu n'a point imputé le péché, et dont les lèvres ne connaissent pas le mensonge et la fraude (2) ? » En effet, il déclare hautement que les justes eux-mêmes ne sont pas sans péché, et qu'ils placent toute leur espérance, non pas dans leur propre justice, mais dans la miséricorde de Dieu. Ne cherchez donc le mensonge et la fraude ni sur ses lèvres, ni sur les lèvres de ceux qui rendent témoignage à cette véritable humilité et à cette humble vérité. C'est sur vos lèvres que siègent le mensonge et la fraude. En effet, quand on est sans vertu et qu'on a tant de jactance, n'est-ce pas de l'hypocrisie? et l'hypocrisie n'est-elle pas le mensonge et la ruse? Autant les saints avaient de confiance dans la miséricorde de

 

(1) Ps. LXII, 4. — (2) Id. XXXI, 2.

 

Dieu qui est infinie, autant vous présumez de votre vertu qui est nulle; la guerre qu'ils faisaient, armés de la grâce de Dieu, à tous ces vices dont nous apportons le germe en naissant, vous la faites non moins acharnée contre la grâce de Dieu. Plaise à Dieu que cette grâce, qui vous réfute victorieusement dans la personne de ceux qui sont à elle, s'empare également de vous et triomphe de vous en vous-même !

30. Osez-vous dire dans votre coeur que les hommes, quand ils vous entendent, s'enflamment de zèle pour la vertu, tandis que, en recueillant les accents des Cyprien, des Hilaire, des Grégoire, des Ambroise et d'autres encore, ils s'affaissent sous le poids du désespoir, et renoncent à tout désir de la perfection ? Des pensées aussi monstrueuses peuvent-elles monter dans votre coeur sans briser votre front? Les saints, les patriarches, les Prophètes, les Apôtres sont-ils par vous comblés de toutes les louanges de la nature, tandis que ces grandes lumières de l'Eglise leur jetteraient à la face toutes les hontes de cette même nature, et cela parce que ces docteurs nous enseignent que les saints, pendant qu'ils étaient captifs dans ce corps de mort, ont eu besoin, pour conserver le don de la chaste de combattre contre le vice naturel de la concupiscence, et de s'armer sans cesse de la grâce de Dieu, en attendant leur parfaite guérison dans la résurrection dernière? Ces paroles : «Je ne fais pas le bien que je veux », vous semblent ne pouvoir être que le langage du juif, et par là vous vous flattez de ne pas faire retomber sur la nature les souillures do la vie, et de ne pas en être réduit à couvrir d'injures les Apôtres, sous prétexte de les consoler des obscénités qu'ils apportent en naissant. Or, ce que vous ne faites pas, saint Ambroise le faisait, ainsi que ses collègues; quand il voulait que l'Apôtre eût dit de lui-même : «Je ne fais pas le bien que je veut,

mais je fais le mal que je ne veux pas; je vois dans mes membres une autre loi qui répugne à la loi de mon esprit (1) », et autres choses du même genre, en tenant un semblable langage, ces saints docteurs, comme vous me le reprochez à moi-même, renversent donc le mur de la pudeur, et pour vous, si vous souffrez les persécutions de l'envie, c'est parce que vous prêchez la perfection ?

 

(1) Rom. VII, 19, 23.

 

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Mais, comme vous l'écrivez encore, ce qui vous honore, c'est d'avoir déplu à celui qui n'a pas même épargné les Apôtres. Si, dans mon langage, je n'ai pas même épargné les Apôtres, Ambroise ne les a pas épargnés davantage, ni lui, ni ses collègues. Or, si la doctrine qu'ils enseignent, ils l'ont apprise des Apôtres, pourquoi donc suis-je seul l'objet de vos accusations ? Jetez les yeux sur eux, et, déposant votre haine et vos ressentiments, prêtez à leurs leçons une attention sérieuse. Vous me direz alors, jeune présomptueux, si vous devez vous consoler ou pleurer de vous voir en contradiction évidente avec ces grands docteurs.

31. plais essayons de résumer brièvement tout ce que nous avons dit dans ce livre. Invoquant l'imposante autorité des saints évêques nos prédécesseurs, qui se sont faits les champions de la vérité catholique, non-seulement dans leur langage ; mais dans des écrits qui devaient passer à la postérité, nous nous sommes proposé de réfuter vos principaux arguments. Les voici : « Si les hommes sont créés par Dieu, ils ne peuvent naître avec le péché. Si le mariage est bon, rien de vicié ne saurait en sortir. Si tous les péchés sont remis dans le baptême, les enfants qui naissent de parents régénérés ne sauraient être coupables du péché originel. Si Dieu est juste, il ne peut, dans les enfants, condamner les péchés de leurs parents, puisqu'il a pardonne aux parents leurs propres péchés personnels. Si la nature humaine est capable de la justice parfaite, elle ne peut apporter en elle des vices naturels ». A cela nous répondons que Dieu est le Créateur des hommes, c'est-à-dire de l'âme et du corps ; que le mariage est bon; que tous les péchés sont effacés par le baptême de Jésus-Christ ; que Dieu est juste, et que la nature est capable d'une justice parfaite. Toutes ces propositions sont vraies, et cependant nous affirmons que tous les hommes naissent viciés par la souillure originelle, et qu'ils sont irrévocablement condamnés, à moins qu'ils ne renaissent en Jésus-Christ. Nous avons appuyé cette vérité sur l'autorité des saints docteurs, qui tous formulent la même doctrine que nous sur le péché originel et sur les cinq propositions que nous avons émises. De la vérité de ces cinq propositions, conclure qu'il n'y a point de péché originel, ce serait donc une erreur. Car ces glorieux interprètes de la foi catholique répandue sur toute la terre enseignent l'existence du péché originel, comme ils attestent la vérité des autres affirmations. Dès lors, à s'en tenir à la seule autorité de ces docteurs, on voit s'écrouler à l'instant ce fragile édifice, construit par ce besoin de nouveauté qui vous dévore; ajoutons que, dans leur propre langage, on sent clairement que c'est la vérité même qui s'atteste et s'affirme. En face d'une autorité si imposante, comprimez votre audace, suspendez les élans de votre présomption, défiez-vous des blessures que vous a faites votre orgueil, et restez parfaitement convaincus que ces hommes de Dieu n'ont pu errer dans la foi catholique, ni avancer aucune proposition d'où l'on pût conclure que Dieu n'est pas le Créateur des hommes, que le mariage doit être condamné, que le baptême n'efface pas tous les péchés, que Dieu n'est pas juste, qu'il ne nous reste aucune espérance d'arriver à une vertu parfaite; toutes propositions dont chacune serait une erreur et un crime. Imposez donc un vigoureux frein à vos coupables hardiesses ; faites trêve avec votre fureur, et commencez enfin à étudier, à méditer et à rappeler à vous cette vérité catholique dans laquelle vous avez été nourris.

32. Saint Ambroise nous enseigne qu'entre Dieu et les hommes nous n'avons qu'un seul Médiateur, qui a dû naître d'une vierge, ne pas contracter le péché en naissant, et ne pas sentir les chaînes d'une génération coupable. Quant au reste des hommes, ils sont tous nés dans le péché, et le vice a souillé leur origine, parce que, formés dans la volupté de la concupiscence, ils ont dû subir le joug du péché, avant même de respirer l'air qui nous environne. Il enseigne également que c'est la concupiscence elle-même qui constitue dans notre corps de mort cette loi du péché qui répugne à la loi de l'esprit; de telle sorte que la grande obligation qui incombe, non-seulement aux fidèles, mais encore aux Apôtres eux-mêmes, c'est de combattre contre cette concupiscence, et de s'adjoindre la grâce de Jésus-Christ pour soumettre le corps à l'empire de l'âme, et rétablir la concorde, entre ces deux parties de nous-mêmes. Créées toutes deux par Dieu et sans aucune souillure, elles jouissaient d'une paix parfaite; mais bientôt survint la transgression du premier homme, (120) et avec elle la discorde. Et de qui donc cette doctrine? D'un homme de Dieu, d'un catholique, d'un évêque qui aurait versé jusqu'à la dernière goutte de son sang pour défendre la foi catholique contre les hérésies; d'un docteur enfin dont vous vous êtes constitué vous-même le panégyriste, quand vous avez dit de lui : «Sa foi et ses explications des saintes Ecritures sont à l'abri de tout reproche,même de la part de ses ennemis ». Contre l'erreur des philosophes Platoniciens, il affirme que Dieu est le Créateur, non-seulement des âmes, mais encore des corps. Il affirme que le mariage est bon en soi, qu'il est d'institution divine pour assurer la propagation du genre humain, et qu'à ce titre le devoir conjugal est saint et légitime. Il enseigne que personne n'est justifié du péché, à moins que toutes ses fautes ne lui aient été remises par le baptême. Le Dieu qu'il adore est la justice même. A Dieu ne plaise qu'il désespère pour l'homme de la perfection dans la vertu et dans la justice ! toutefois, s'il s'agit de la perfection parfaite et consommée, il en fait le privilège exclusif de l'autre vie, après la résurrection des morts. Quant à la vie présente, il en fait consister la justice dans la, lutte et la guerre, non-seulement contre les puissances aériennes ou infernales, mais encore contre nos propres cupidités dont nos ennemis extérieurs se font autant d'appuis pour nous vaincre et pénétrer dans la place. Dans cette guerre, l'un de nos ennemis les plus redoutables, c'est la chair qui aurait vécu dans une parfaite concorde avec nous, si la prévarication du premier homme n'était venue la vicier et l'armer contre nous du poids redoutable de sa langueur. Pour nous assurer la victoire dans cette guerre, le saint docteur nous avertit de fuir le monde, tout en nous prévenant que cette fuite est pour nous très-difficile et même impossible, à moins que nous ne soyons puissamment aidés par la grâce de Dieu. Il dit que nos vices sont morts par le fait même de la rémission de tous nos péchés dans le baptême, mais que c'est à nous de pourvoir à leur sépulture. Développant aussitôt sa pensée, il affirme que nos vices, quoique morts, peuvent encore lutter contre nous à tel point que nous ne faisons pas ce que nous voulons, et que nous faisons ce que nous haïssons; il ajoute que, malgré notre résistance, le péché accomplit en nous des oeuvres nombreuses, et que très-souvent les passions ressuscitent pleines de vie ; enfin que nous devons lutter contre la chair, comme le faisait saint Paul, quand il disait : «Je vois dans mes membres une autre loi qui répugne à la loi de mon esprit ». Il nous défend de nous confier en notre chair et de prêter l'oreille à ses insinuations, puisque l'Apôtre nous dit : «Je sais que le bien n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair ; car je sens en moi la volonté de faire le bien, mais je ne trouve pas le moyen de l'accomplir (1) ». Le long combat que nous avons à soutenir contre nos péchés déjà morts, pouvait-il nous être mieux dépeint que par ce courageux soldat de Jésus-Christ, par ce fidèle docteur de l'Eglise? Comment donc le péché peut-il être mort, puisque, malgré notre résistance, il accomplit en nous des oeuvres si nombreuses? Et cet; oeuvres sont-elles autre chose que ces désirs insensés et criminels, qui précipitent dans la mort et dans la damnation ceux qui s'y abandonnent (2) ? Eprouver ces désirs et leur refuser son consentement, c'est là le combat, la guerre et la lutte. N'est-ce pas la lutte du bien et du mal, non pas de la nature contre la nature, mais de la nature contre le vice, le vice déjà mort, mais restant à ensevelir, c'est-à-dire à guérir? Comment donc pouvons-nous dire avec saint Ambroise que ce péché est mort dans le baptême, tandis que nous avouons en même temps qu'il habite dans nos membres, que malgré notre résistance, il accomplit beaucoup d'oeuvres en nous, d que nous lui résistons en refusant notre consentement? Le péché est mort pour nous, quant à la coulpe qui nous souillait, mais malgré cette mort il se révolte contre nous, jusqu'à ce qu'il soit guéri par la perfection de la sépulture. On pourrait donc distinguer le péché en tant qu'il est une habitude, et en tant qu'il est une souillure; en tant que souillure, il est en nous le fait du premier homme; en tant qu'habitude, il tend sans cesse à noie entraîner vers le mal, et nous y entraînerait en effet, si la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ne venait à notre secours, et ne nous rendait capables de comprimer la révoltes de ce péché mort, et en le comprimant de l'empêcher de revivre et de ressusciter.

33. Au sein de cette guerre et de celle

 

(1) Rom. VII, 23, 18. — (2) I Tim. VI, 9.

 

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épreuve qui constituent la vie humaine sur la terre (1), nous ne devons pas nous regarder comme étant sans péché, par cela seul que nous ne consentons pas aux désirs illicites que le péché opère dans nos membres, par opposition à la loi de notre esprit. En ce qui nous regarde, si nous ne consentions jamais au mal, nous serions toujours sans péché, jusqu'à ce que le mal fût en nous parfaitement guéri; cependant, malgré la résistance de notre volonté, la lutte est si violente et si continuelle qu'il nous est impossible de ne pas être vaincus, non pas mortellement, mais véniellement; et c'est ainsi que chaque jour nous sommes autorisés à dire: «Pardonnez-nous nos offenses (2) ». Tels sont les époux qui, pour satisfaire uniquement leur volupté, excèdent le mode nécessaire à la génération; tels sont les continents, quand ils éprouvent pour ces pensées une sorte de délectation morose, non pas sans doute qu'ils veuillent le mal, mais parce qu'ils ne détournent pas assez promptement leur esprit ou ne l'arrachent pas aussitôt à ces impressions, s'il en est déjà saisi. Quant à cette loi du péché, à laquelle on donne parfois le nom même de péché, et qui se révolte contre la loi de notre esprit, nous en trouvons l'existence constatée, non-seulement par saint Ambroise qui en a parlé si longuement, mais encore par saint Cyprien, saint Hilaire, saint Grégoire et beaucoup d'autres docteurs. Celui donc qui a été engendré dans Adam, doit être régénéré en Jésus-Christ; celui qui est mort en Adam, doit être vivifié en Jésus-Christ ; il est soumis au péché originel, parce qu'il naît du mal, de ce mal qui fait que la chair convoite contre l'esprit, et non du bien qui fait que l'esprit convoite contre la chair (3). Qu'y a-t-il donc d'étonnant, que la régénération soit nécessaire à celui qui est né de ce mal, contre lequel combat tout homme régénéré, et dont la souillure salirait son âtre, s'il n'en avait pas été délivré par le bain du baptême ? Ce mal n'est point la matière dont Dieu s'est servi pour créer l'homme, mais la blessure à l'aide de laquelle le démon a vicié l'oeuvre créée; Ce mal, ce n'est point. le mariage lui-même, mais le péché de nos premiers parents, transmis à leur postérité par la génération. Ce mal, quant à la coulpe, est effacé par la sanctification du baptême. Or, si les enfants ne

 

(1) Job, VII, 1. — (2) Matt. VI, 12. — (3) Gal. V, 17.

 

contractent aucun péché, comment donc concilier la justice de Dieu avec tous les maux qui deviennent leur partage ici-bas? D'un autre côté, nous ne refusons pas à l'homme le pouvoir d'arriver à une justice parfaite, parce que sous l'influence d'un médecin tout-puissant, nous ne pouvons désespérer de parvenir à l'entière guérison de tous nos vices. C'est pour attester cette vérité catholique, que tous ces saints docteurs, si versés dans la connaissance des saintes Ecritures, Irénée, Cyprien, Réticius, Olympius, Hilaire, Ambroise, Grégoire, Innocent, Jean, Basile, et avec eux, que vous le vouliez ou pion, saint Jérôme, sans parler de ceux qui vivent encore, vous opposent unanimement la croyance certaine à la transmission et à l'existence du péché originel dans tous les hommes. Il n'y a d'exception, en droit, que pour Celui qui a été conçu dans le sein d'une Vierge, sans aucune concupiscence ni révolte de la loi de la chair contre la loi de l'esprit.

34. Vous tressaillez pourtant, et prenant à mon égard. le ton superbe d'un vainqueur, vous vous écriez que je ne saurais plus que faire ni où me réfugier, si je me trouvais en face de mes juges, si je siégeais avec vous dans une assemblée de docteurs, si j'entendais retentir la trompette de la saine raison, ce serait vous sans doute qui en sonneriez, si enfin j'entendais le cliquetis des armes des assistants, vendus sans doute à votre cause. Vous me représentez donc le drame d'une discussion entre nous, et vous vous imaginez que, courbant sous le poids de votre puissante argumentation, je ne trouverais plus que répondre. J'admire vraiment ce beau rêve de votre coeur ; vous me placez en présence de juges Pélagiens ; à leurs grands applaudissements il vous est donné de faire éclater votre voix comme une trompette, de prêcher contre la foi catholique et la grâce de Jésus-Christ, seul moyen de salut pour les petits comme pour les grands, et de célébrer cette erreur qui vous est commune, à eux et à vous. Il est possible que Pélage, votre maître, ait trouvé de tels juges dans l'Eglise de Dieu sans qu'il y ait eu place, dans ce tribunal, pour un seul représentant de la croyance contraire. Comme les hommes ne jugent que sur les apparences, il a pu paraître absous, en sortant de ce tribunal, et encore se vit-il obligé de condamner publiquement vos erreurs (122). Pour moi, quelque part que vous soyez, ou que vous puissiez lire ces volumes, je vous place dans votre coeur, en face de ces juges, qui sont loin sans doute d'être mes amis, et par là même vos ennemis ; ils sont loin d'incliner en ma faveur, de se sentir séparés de vous, et blessés par votre conduite, et de se regarder comme vos adversaires dans cette discussion à laquelle j'ai résolu de les initier. Vous voyez que je ne songe nullement à vous donner comme juges des hommes qui n'ont jamais été, et n'existent pas encore, ou des savants dont la doctrine, sur la matière qui nous occupe, serait vague et incertaine. Je vous ai cité des saints, et dans la sainte Eglise d'illustres évêques, non pas des Platoniciens, des Aristotéliciens ou des disciples de Zénon, mais des docteurs qui, sans ignorer les lettres grecques ou latines, nous ont clairement prouvé qu'ils sont initiés à la parfaite connaissance des saintes Ecritures. Autant qu'il m'a paru nécessaire, j'ai choisi parmi leurs témoignages ceux qui m'ont paru les plus clairs et les plus explicites, afin que vous craigniez en eux, non pas leur propre personne, mais celui qui les a appelés pour s'en faire des vases utiles, et des temples saints. Or, tous ces saints se sont prononcés sur cette matière, à une époque où il est impossible de dire qu'ils aient favorisé les uns au détriment des autres. En effet, vous n'existiez pas encore, et nous n'avions pas à engager contre vous de discussion sur cette matière; vous n'étiez point encore là pour nous dire ce que vous nous répétez dans vos livres : «Que nous avons trompé la multitude ; que nous nous sommes fait un fantôme du nom des Célestiens et des Pélagiens pour effrayer les hommes; et que c'est par cette terreur que nous obtenons l'assentiment à notre doctrine ». Vous avez dit vous-même que « des juges doivent être exempts de haine, d'amitié, d'inimitié et de colère ». Des juges de ce genre sont assurément rares ; mais soyez persuadé de les trouver dans la personne d'Ambroise et de ceux de ses collègues; que je vous ai cités. Supposé même qu'ils n'aient pas toujours été aussi impassibles pendant leur vie, à l'égard des causes sur lesquelles ils ont été appelés à se prononcer, certainement ils l'étaient parfaitement quand ils ont prononcé leur sentence sur la cause qui nous occupe : de l'amitié ou de la haine, de la colère ou de la compassion, ils n'ont pu en éprouver ni pour nous, ni pour vous. La foi qu'ils ont trouvée dans l'Eglise, ils l'ont conservée; ce qu'ils ont appris, ils l'ont enseigné; ce qu'ils ont reçu de leurs pères, ils l'ont transmis à leurs enfants. Entre nous et vous aucun litige n'avait été soumis à leur tribunal, et ils se sont prononcés en notre faveur. Ni vous ni nous ne leur étions connus, et aujourd'hui nous vous citons la sentence qu'ils ont prononcée contre vous et pour nous. Nous ne combattions point encore contre vous, et ils nous ont décerné la palme de la victoire.

35. Vous dites que « si j'étais soumis à la puissance des juges » qu'il vous plairait de me donner, «je ne saurais plus ni quel parti prendre, ni où me réfugier, car je ne trouverais aucune réponse à opposer à votre argumentation ». Je saurais parfaitement que faire, et où me réfugier; car de ces ténèbres pélagiennes j'en appellerais à ces brillantes lumières catholiques ; c'est du reste ce que je fais en ce moment. De votre côté, dites ce que vous avez à faire, où vous pouvez vous réfugier. Des Pélagiens j'en appelle à ces docteurs catholiques; de ces docteurs catholiques à qui en appelez-vous? Vous répondez que les sentiments ne doivent pas être comptés, «mais pesés » ; vous ajoutez, et. en cela vous dites vrai, que « la multitude des aveugles n'est d'aucun secours pour trouver quelque chose » ; ces docteurs que je vous ai cités, allez-vous donc les regarder comme des aveugles? Allons-nous voir les choses les plus opposées se confondre à tel point que les ténèbres deviennent la lumière, et la lumière les ténèbres; que Pélage, Célestius et Julien soient des voyants, et qu'Hilaire, Grégoire et Ambroise soient des aveugles? Qui que vous soyez, par cela même que vous êtes homme, et pourvu que vous n'ayez pas perdu tout espoir de vous guérir, il me semble vous voir rougir de honte, et j'entends en quelque sorte votre voix. Vous répondez : A Dieu ne plaise qu'il me vienne jamais la pensée de regarder ces évêques comme des aveugles, combien moins encore le dire ! S'il en est ainsi, pesez leurs sentences. Je ne veux pas que vous en embrassiez un grand nombre, dans la crainte qu'il ne vous en coûte de les compter; mais je vous déclare qu'elles sont importantes, afin que vous ne dédaigniez pas de les peser; (123) elles sont même si décisives que je vous vois écrasé sous leur poids. Au sujet de ces témoignages, me direz-vous que j'ai tellement conscience de ma faiblesse que je me vois contraint de vous citer l'opinion de mon collègue, et que je suis tellement consterné par la crainte que je ne puis plus que nommer mes complices?

36. Vous dites que dans les affaires contentieuses qui ont pour objet la conduite des hommes, des prêtres, des administrateurs ou des préfets, on doit toujours s'éloigner des frémissements de la foule, et dans cette discussion tenir compte, non-seulement des noms, mais aussi de la prudence, et respecter la minorité quand elle sait se relever par la raison, l'érudition et la liberté. Ce que vous dites est parfaitement juste ; remarquez toutefois que je ne trouble pas le concours d'aucune multitude, quoique la multitude catholique, et grâces en soient rendues à Dieu, partage la vraie doctrine et la vraie foi que vous rejetez; dans cette foule, combien même ne trouve-t-on pas de chrétiens qui, partout où ils peuvent, comme ils le peuvent, et selon que Dieu leur en fait la grâce, réfutent victorieusement tous vos sophismes et tous vos raisonnements? Loin de moi, dès lors, cette arrogance dont vous m'accusez jusqu'à prétendre que je me flatte de soutenir seul cette cause contre vous. Ce rôle que vous me reprochez, n'est-ce point au contraire celui que vous prenez parmi les Pélagiens, puisque vous ne rougissez pas de dire et d'écrire que votre plus grand titre de gloire devant Dieu, c'est de défendre une vérité privée de tout soutien? Or, je dis que vos coréligionnaires sont tombés dans un bien grand abandon et une étrange dépendance vis-à-vis de vous, s'ils ne voient pas, de votre part, une arrogance intolérable à vous préférer à Pélage et à Célestius, vos premiers maîtres à tous, comme s'ils n'existaient plus, et que vous fussiez resté seul pour soutenir ce que vous appelez la vérité. Vous aimez surtout, non point à compter la multitude, mais à peser le petit nombre. Or, sans parler de ces juges de Palestine qui ont condamné votre hérésie, tout en absolvant Pélage, et qui ont amené ce dernier à condamner les erreurs pélagiennes, s'il voulait échapper à l'anathème, je vous ai cité dix évêques déjà morts, et un prêtre ; je les ai appelés comme juges, et vous ai prouvé que pendant leur vie ils s'étaient prononcés sur la matière qui nous occupe. Eu égard à votre petit nombre, ces juges sont nombreux, et pourtant que sont-ils par rapport à la multitude des évêques catholiques? De leur nombre, vous tenterez sans doute de retrancher le pape Innocent et le prêtre Jérôme ; le premier, parce qu'il a condamné Pélage et Célestius; le second, parce que dans l'Orient il a déployé un zèle admirable pour défendre la foi catholique contre Pélage. Lisez donc les éloges que Pélage décerne au bienheureux pape Innocent, et voyez s'il vous serait facile de trouver des juges semblables. Quant à ce saint prêtre, qui selon la grâce qu'il avait reçue, étonna l'Eglise par ses immenses travaux et facilita l'érudition catholique par ses traductions en langue latine, Pélage ne nous en parle que pour nous dire qu'il le jalousait comme un émule. Toutefois je ne veux pas qu'il vous paraisse devoir être retranché du nombre des juges. En effet, les témoignages que je lui ai empruntés, il ne les a point formulés à l'époque de la lutte qu'il a soutenue contre votre erreur; je les ai puisés dans des écrits qu'il a composés en dehors de toute préoccupation de partis et avant toute diffusion de vos criminels enseignements.

37. Quant aux autres juges, vous ne pouvez assurément les récuser à aucun titre. Irénée, Cyprien, Réticius, Olympius, Hilaire, Grégoire, Basile, Ambroise et Jean de Constantinople sont-ils sortis de la lie plébéienne des sédentaires pour s'éprendre tout à coup de jalousie contre vous ; car c'est ainsi que vous les raillez, à la manière de Tullius? Etaient-ils des soldats? des écoliers? des matelots? des cabaretiers ? des pêcheurs? des cuisiniers? des bouchers? de jeunes renégats de monastères? Enfin, appartenaient-ils, comme vous dites, à cette foule de clercs dont l'agitation provoque votre causticité ou plutôt votre vanité méprisante, sous prétexte qu'ils ne peuvent juger des dogmes selon les catégories d'Aristote? Vous qui vous plaignez qu'on vous refuse un examen et un jugement épiscopal, pouvez-vous donc réunir un concile de Péripatéticiens, où l'on puisse du moins, selon toutes les règles de la didactique relatives au sujet et à l'extension du sujet, lancer une sentence solennelle contre le péché originel? Ces évêques sont savants, graves, saints, courageux défenseurs de la vérité contre toute (124) vaine loquacité de l'erreur ; considérez-les au point de vue de la raison, de l'érudition et de la liberté, trois qualités que vous exigez dans un juge, et vous ne trouverez en eux que des titres à votre estime. Supposé qu'on rassemble en synode tous les évêques de la terre, je doute que l'on trouve autant de grands docteurs que je vous en ai cités. La raison en est que ces saints évêques n'ont pas tous vécu à la même époque ; et Dieu, suivant ses desseins et son bon .plaisir, n'accorde que de temps à autre, et dans tel ou tel lieu, quelqu'un de ces fidèles et glorieux dispensateurs, qu'il juge utiles à l'accomplissement de ses décrets. Voilà pourquoi, invoquant ces évêques de différentes époques, de l'Orient et de l'Occident, je les ai rassemblés, non pas dans un lieu vers lequel nous dussions naviguer, mais dans un livre qui pût parvenir à chaque homme, dût ce livre pour cela traverser les mers. Autant ces juges vous seraient précieux, si vous étiez catholique; autant ils vous paraissent redoutables, parce que vous attaquez la foi catholique. Cette foi, ils l'ont sucée avec le lait, ils l'ont prise avec leur nourriture; ce lait et cette nourriture, ils les ont départis aux petits et aux grands, et les ont défendus avec autant d'évidence que de courage contre leurs ennemis, quels qu'ils fussent, même contre vous qui n'étiez pas encore né, et qui vous révélez de nos jours. Depuis les Apôtres; la sainte Eglise s'est accrue par les labeurs de ces évêques chargés de planter, d'arroser, de construire, de paître et de nourrir. Voilà pourquoi elle a frémi au bruit sinistre de vos nouveautés sacrilèges; rendue prudente et sobre par l'avertissement de l'Apôtre, se rappelant qu'Eve s'était laissé séduire par la ruse du serpent, et, ne voulant pas se corrompre en se séparant de la chasteté qui est en Jésus-Christ (1), elle s'est trouvée saisie d'horreur à la vue des embûches que votre erreur tendait à la virginité de la foi chrétienne, et, s'armant d'un courage divin, elle a broyé, écrasé, anéanti la tête du serpent. Dans ces paroles et cette imposante autorité de nos saints docteurs, ou bien vous trouverez votre guérison par la miséricorde de Dieu, et c'est pour vous mon désir le plus cher; ou bien, et je frémis à cette pensée, vous vous endurcirez dans ce qui vous paraît la sagesse, et n'est que la plus grande folie. Mais alors, ce ne sont plus des juges que vous chercherez, pour vous justifier devant eux; dans ces saints docteurs, dans ces illustres défenseurs de la foi catholique, vous ne voudrez plus voir qu'autant de coupables à accuser ; Irénée, Cyprien, Réticius, Olympius, Hilaire, Grégoire, Basile, Ambroise, Jean, Innocent, Jérôme, et avec eux tous leurs collègues, voire même toute l'Eglise de Jésus Christ, à laquelle ils ont dispensé fidèlement la nourriture divine, et pour laquelle ils se sont acquis la gloire la plus pure et la plus éclatante. A Dieu seul il appartient d'éloigner de vous le malheur de l'obstination dans l'hérésie; toutefois, pour vous aider à vous sous. traire à cette coupable folie, je crois devoir maintenant entreprendre la réfutation de vos livres, de manière à justifier contre vous la foi de ces saints évêques, comme on justifie l'Evangile contre les impies et contre les ennemis de Jésus-Christ.

 

(1) II Cor. XI, 3.

 

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