PSAUME CXXXIX
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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXXIX.

SERMON PRÊCHÉ AU PEUPLE DANS UNE ASSEMBLÉE D’ÉVÊQUES.

L’ÉGLISE AU MILIEU DES MÉCHANTS.

 

Quiconque appartient au Christ doit soupirer après la justice, mais non se séparer des méchants dont le discernement n’appartient qu’à Dieu. Aimons dans les méchants ce que Dieu a fait, haïssons ce qu’ils font.

« Pour la fin », ou pour le Christ fin de la loi, « à David », ou au Christ, fils de David selon la chair. L’homme méchant dont l’interlocuteur veut être délivré, c’est le diable, appelé aussi l’homme ennemi ; c’est encore l’homme vicieux qui se nuit à lui-même et aux autres par l’exemple, homme que nous devons essayer de corriger. Il médite le crime, et m’oppose la guerre ou des projets que je dois combattre, il aiguise sa langue et a le venin du serpent dans ses paroles hypocrites; il cherche à supplanter mes démarches, c’est-à-dire ou à m’arrêter dans la voie de Dieu, ou à m’en faire sortir. Leur opposer la prière. Les superbes ou suppôts de Satan cachent leurs pièges contre le juste, s’efforçant de l’entraîner, comme Satan entraîna l’homme. Au lieu de porter envie au juste, soyez justes, la volonté suffit. Ce piège de cordes tendu par les méchants, c’est le péché ajouté à lui-même, fil par fil, non fil droit mais tordu ; piège tendu, e long des préceptes ; suivons ceux-ci, nous éviterons l’autre. Le Prophète veut que le Seigneur écoute la voix, ou la vie de sa prière, et non un vain son. Il en appelle à Dieu contre les scandales, demande la véritable force qui le fera persévérer, lui donnera la résistance des martyrs, lui fera voir le piége. Ceux qui sont pris dans le cercle de l’erreur tourneront sans fin, s’épuiseront à mentir, seront exposés aux charbons ardents, qui consumeront les uns, rallumeront les autres.

Ce grand parleur qui ne peut subsister, c’est l’homme qui se jette au dehors, qui cherche l’occasion de paraître ; aimons l’intérieur, n’instruisons que par nécessité. Le mal qui s’attaque à l’homme d’iniquité lui donne la mort, au juste il meurtrit la chair sans atteindre l’âme. Le pauvre auquel Dieu fera justice est celui qui a faim et soif de la justice, et qui obtiendra l’objet de ses désirs ; les justes confesseront le nom du Seigneur, c’est-à-dire qu’ils n’attribueront rien à leur propre justice, mais tout à la divine miséricorde, et à cause de leur justice, ils verront Dieu.

 

1. Mes seigneurs et frères 1 m’ont ordonné, et par eux le Seigneur de tous, de vous exposer ce psaume autant qu’il m’en donnera la force. Puisse-t-il exaucer vos prières , et mettre dans ma bouche ce que je dois dire, ce que vous devez entendre, et qu’ainsi la parole de Dieu nous soit avantageuse à tous. Si elle ne l’est pas quelquefois pour tous, c’est que tous n’ont pas la foi 2. Or, cette foi est dans l’âme comme une racine vivace qui permet à la pluie d’aboutir au fruit; tandis que l’infidélité, les erreurs du diable, et les mauvais désirs qui sont la racine de tous les maux 3, ressemblent aux racines de l’épine qui changent en pointes aigués la bienfaisante rosée.

2. Vous avez remarqué, je crois, ce que contient le psaume, quand on le chantait c’est une plainte, un gémissement, c’est une prière qu’adresse à Dieu le corps du Christ confondu avec les méchants. C’est toujours lui qui parle dans ces sortes de prophéties c’est lui qui est pauvre, qui n’est point rassasié, qui a pour la justice 4 cette faim et cette soif que Dieu promet de rassasier un jour. Mais, jusqu’à ce moment, qu’il ait faim,

 

1. Des évêques, sans doute, réunis alors. — 2. II Thess. III, 2. — 3. I Tim. VI, 10 — 4. Matth. V, 6.

 

qu’il ait soif ici-bas, qu’il gémisse , qu’il frappe et qu’il cherche. Qu’il résiste aux charmes de l’exil, ne regarde point comme sa patrie ce siècle dont le Christ est venu nous délivrer. Car le Christ a voulu devenir notre tête, la tête d’un certain corps ; puisqu’on ne saurait donner le nom de tête à ce qui n’a point un corps dont il soit le chef. Donc, si le Christ est la tête, c’est qu’il y a un corps dont il est la tête. Or, la sainte Eglise est le corps de ce chef auguste , et nous en sommes les membres, si nous aimons notre chef. Ecoutons donc les paroles de ce corps, c’est-à-dire les nôtres, si nous sommes dans le corps du Christ; quiconque n’en est point, fait nombre avec ceux au milieu desquels il gémit. Dès lors, ou bien tu feras partie du corps, tu gémiras au milieu des méchants, ou bien tu ne seras point de ce corps mystique, et alors tu feras partie des méchants parmi lesquels ce corps gémit aujourd’hui; tu seras donc ou membre dans le corps du Christ, ou ennemi du corps du Christ. Or, ces ennemis du corps du Christ, ou ses adversaires, ne doivent pas s’entendre dans un même sens, et n’agissent point de la même manière. Celui qui règne en eux, qui s’en fait (176) des instruments, est plein d’astuce. Toutefois, le Christ en délivre beaucoup de sa tyrannie. et ils se rangent parmi ses membres ; il n’appartient qu’à celui qui les a rachetés de son sang et à leur insu, de les connaître et d’en connaître le nombre. D’autres, sans appartenir au corps du Christ, persévèrent dans leur malice et sont connus de celui à qui rien n’est inconnu. Mais en attendant, comme ceux qui ont leur place parmi ses membres, sans être arrivés à la résurrection future, laquelle mettra fin à tout gémissement et fera place à la louange, de laquelle toute affliction disparaîtra, pour être remplacée par une éternelle allégresse; comme ceux-là ne possèdent point ce bonheur en réalité, mais seulement en espérance, ils gémissent dans leur impatience, ils supplient Dieu de les délivrer des méchants, parmi lesquels sont forcés de vivre les bons eux-mêmes. Chacun, en effet, n’est pas libre de s’en séparer en toute sûreté; celui-là seul qui ne peut se tromper doit en faire le discernement. Qu’est-ce à dire, qui ne peut se tromper? Qui ne saurait mettre le méchant à gauche, et le bon à droite. Pour nous, tant que nous sommes en cette vie, il nous est difficile de nous connaître nous-mêmes; combien serions-nous téméraires de nous prononcer au sujet des autres ? Tel est méchant aujourd’hui, et nous ne savons ce qu’il sera demain ; tel que nous haïssons est peut-être notre frère, et nous ne le savons pas. Nous pouvons donc en sûreté haïr dans les méchants leur malice, et aimer la créature de manière à aimer l’oeuvre de Dieu, à haïr l’oeuvre de l’homme; car c’est Dieu qui a fait l’homme, et c’est l’homme qui a fait le péché ; aime alors ce que Dieu a fait, et hais ce qu’a fait l’homme; et tu poursuivras ainsi l’oeuvre de l’homme, en dégageant l’oeuvre de Dieu.

3. « Pour la fin, psaume à David 1 ». Ne cherchons d’autre fin que la fin marquée par saint Paul : « Le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront ». Donc, lorsque le psaume nous dit : « Pour la fin », que vos coeurs se tournent vers le Christ. Le titre d’un psaume est comme un héraut qui nous crie: Il viendra, c’est de lui que je parle, c’est le Christ que je vais chanter. Et par ces mots: «A David lui-même »,je n’entends que celui qui viendra dans la lignée de David selon la chair 3. Car le nom rappelle

 

1. Ps. CXXXIX, 1.— 2. Rom. X, 4.— 3. Id. I, 3.

 

ici la race, race de David selon la chair, race bien supérieure à David selon l’esprit; race antérieure non plus à David, mais à Abraham 1; non plus à Abraham, mais à Adam; non plus à Adam, mais au ciel, à la terre,à tous les anges, à toutes les Puissances, à toutes les Vertus, aux choses visibles et aux choses invisibles. Pourquoi ? C’est que pour exister, « toutes choses ont été faites par lui, sans qui rien n’a été fait 2 ». C’est donc parce qu’il est de la lignée de David, non point en sa divinité, puisqu’en elle il est le créateur de David; mais seulement selon la chair, qu’il a daigné prendre le nom de David dans les prophéties; envisageons la fin, puis. que c’est à « David lui-même » que l’on chante notre psaume ; écoutons la voix de son corps, et soyons membres de ce même corps. Que la voix que nous avons entendue soit notre voix; prions et disons ce qui suit.

4. « Arrachez-moi, Seigneur, au pouvoir de l’homme méchant 3» ; non pas d’un seul, mais de toute la race ; non pas de ses instruments seulement, mais du prince même, c’est-à-dire du diable. Mais pourquoi dit-il de l’homme, si c’est du diable? C’est que lui-même est appelé homme d’une manière figurée : « L’homme ennemi vint et sema de l’ivraie par dessus » ; et quand les serviteurs viennent demander au Père de famille : « N’avez-vous pas semé de bon grain? d’où « vient qu’il y a de l’ivraie ? » il répond: « C’est l’homme ennemi qui a fait cela 4». C’est donc de cet homme méchant que tu dois de tout ton pouvoir demander à Dieu ta

délivrance ; « car tu n’as pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les Principautés  et contre les Puissances, contre les princes des ténèbres de ce monde, c’est-à-dire contre les princes des pécheurs 5 ». C’est ce que nous avons été nous-mêmes; écoutons en effet ce que dit l’Apôtre: « Autrefois vous étiez ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur 6». Devenus lumière, non pas en nous, mais dans le Seigneur, prions non-seulement contre les ténèbres , c’est-à-dire contre les pécheurs qui sont encore au pouvoir du diable; mais contre

le diable qui est leur prince, et qui agit dans les enfants de l’incrédulité 7. « Délivrez-moi de l’homme injuste » ; c’est-à-dire du

 

1. Jean, VIII, 58. — 2. Id. I, 3. — 3. Ps. CXXXIX, 2.— 4. Matth. XIII, 25-28.— 5. Ephés. VI, 12. — 6. Id. V, 8.— 7. Id. II, 2.

 

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méchant qui est aussi injuste. Il est appelé méchant, par cela même qu’il est injuste : et ne croyons pas qu’un homme injuste puisse être bon. Il est beaucoup d’hommes injustes qui ne paraissent nuire à personne, qui n’ont ni cruauté, ni aigreur, qui ne persécutent, qui n’affligent personne : et néanmoins ils sont injustes, d’une autre manière, parce qu’ils sont adonnés à la luxure, à l’intempérance, à la débauche. Comment serait innocent cet homme qui se nuit à lui-même? Car être innocent, c’est ne pas nuire; on ne l’est plus dès qu’on se nuit. Et comment un homme qui se nuit peut-il ne pas te nuire?Mais, diras-tu, en quoi me nuit-il? Il n’en veut pas à mon bien, il n’attente pas à ma vie ; il se repaît de ses débauches, met sa joie dans ses voluptés; mais s’il a de honteux plaisirs, ils ne flétrissent que lui-même ; que m’importe, dès lors qu’il ne m’offense point? Il t’offense du moins par son exemple, car il vit près de toi et t’invite à faire ce qu’il fait. Quand tu le vois prospérer malgré ses dérèglements, n’es-tu point porté à aimer ses actes? Si tu ne cèdes point à ses désirs, il te donne au moins occasion de résister. Comment donc cet homme ne te nuisait-il en rien, puisque tu ne surmontes qu’avec peine l’impression qu’il a faite en ton coeur? Tout homme injuste est donc un méchant, il faut qu’il nuise, ou par ses flatteries, ou par ses violences. Quiconque le rencontrera, quiconque tombera dans ses piéges, éprouvera combien est dangereux ce qu’il croyait innocent. Les épines, mes frères, ne blessent point dans leur racine ; arrache-les de terre, touche cette racine, et vois si tu ressens aucune douleur; et néanmoins ce qui te meurtrit à la surface, vient de cette racine. Ne vous laissez donc point surprendre par ces hommes flatteurs et inoffensifs en apparence, mais adonnés aux plaisirs de la chair, esclaves de leurs honteuses convoitises; ne vous laissez point surprendre. Quelle que soit leur douceur en apparence, ils sont des épines par la racine. Souvent ils consomment dans la débauche tout ce qu’ils possèdent, et quelle fureur ensuite à recouvrer ce qu’ils ont dissipé ! Vont- ils reculer devant la rapine, devant les projets de fraudes, les machinations de friponnerie? Tu vois déjà la méchanceté de cet homme, que tu croyais inoffensif. Tu voyais en lui un ivrogne, et il te paraissait homme de bien ; tu le vois voleur, tu crains d’être volé; les épines sont sorties de la racine. Lorsque les racines te paraissaient douces, tu devais les brûler, si tu le pouvais, il n’en serait point sorti de quoi te meurtrir aujourd’hui. Vous donc, mes frères, qui êtes le corps du Christ et ses membres, qui gémissez au milieu des. méchants, quand vous rencontrerez de ces hommes qui se laissent entraîner à des passions criminelles, à de pernicieuses voluptés, n’épargnez ni le blâme, ni le châtiment, ni le feu. Brûlez la racine, afin qu’il n’en sorte aucun aiguillon. Si vous ne le pouvez, soyez assurés qu’ils seront un jour vos ennemis. Ils peuvent garder le silence, ils peuvent dissimuler leurs iniquités, ils ne sauraient vous aimer. Et dès lors qu’ils ne sauraient vous aimer que par haine pour vous, ils doivent chercher à vous nuire; votre langue et votre coeur doivent dire à Dieu : « Délivrez-moi, Seigneur, de l’homme du mal, délivrez-moi de l’homme injuste ».

5. « Ils ont médité le crime dans leur cœur 1». Que vous importe que leur langue n’ose point dire au dehors, si la haine est dans leur coeur? Le Prophète nous tient ce langage à cause de ceux qui n’ont sur les lèvres que des paroles de douceur. Ils ont la parole du juste, mais non le coeur du juste. Pourquoi, en effet, le Prophète ajouterait-il « Dans leur coeur ils ont médité le crime? »Délivrez-moi de ces hommes, signalez votre puissance en m’arrachant à leurs mains. Il est aisé de se défendre contre des inimitiés déclarées, il est aisé de se soustraire à un ennemi évident et manifeste, qui montre son iniquité sur ses lèvres; mais celui-ci est dangereux, parce qu’il est caché; il est difficile à éviter, parce que la douceur est sur ses lèvres et le mal dans son coeur. « Dans leur coeur ils ont médité le crime: tout le jour ils « projetaient des guerres contre moi». Qu’est-ce à dire, « des guerres?» Ils m’opposaient chaque jour des choses que je devais combattre. Car c’est du coeur dc ces hommes que sort tout ce que doit combattre un chrétien. Sédition, schisme, hérésie, trouble, contradiction, tout cela ne sort que des pensées que l’on tenait secrètes, alors que le bien était sur les lèvres. « Tout le jour ils m’opposaient des guerres ». Tu entends des paroles de paix, mais le dessein belliqueux n’abandonne point

 

1. Ps. CXXXIX, 3.

 

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leurs coeurs. Car « tout le jour » signifie sans interruption, ou tout le temps.

6. « Ils ont aiguisé leur langue comme celle du serpent 1 ». Vous cherchez encore l’homme en eux, mais voyez à quoi ils ressemblent. Le serpent a le plus de ruse, le plus d’habileté pour nuire; c’est pour cela qu’il se glisse. Il n’a pas même de pieds qui vous laissent entendre sa marche. Sa route est marquée d’une traînée qui paraît douce, mais qui n’est pas droite. Il se coule doucement, il rampe afin de nuire; ainsi ces hommes renferment un venin caché sous une douceur apparente. De là cette parole du Prophète : « Ils ont sous les lèvres le venin de l’aspic ». Le Prophète nous dit ici sous les lèvres, afin de nous montrer que sous les lèvres et sur les lèvres sont bien différents. Il stigmatise ouvertement ces hommes, quand il dit ailleurs : « Ils ont des paroles de paix avec leur prochain, et le mal est dans leurs  coeurs 2 ».

7. « O Dieu, défendez-moi contre la main des pécheurs, délivrez-moi des hommes injustes 3 ». Ceux-ci sont connus, ils sont visibles; il n’est point nécessaire ici de comprendre, mais d’agir, il faut prier sans demander qui ils sont. Mais le Psalmiste nous montre dans la suite comment nous devons prier contre ces hommes. Il en est qui prient contre les méchants d’une manière imparfaite. « Ils ont résolu de me faire tomber », dit le Prophète. Cela peut s’entendre encore d’une manière charnelle. Chacun a son ennemi, qui cherche à le tromper dans une affaire, à s’emparer de son argent, quand ils ont commerce ensemble; chacun ason ennemi dans son voisin, qui cherche à lui nuire dans sa maison, à lui causer quelque dommage, qui médite la ruse, qui a recours àla fraude, qui cherche à nuire par toutes les machinations que lui suggère le diable» cela est hors de doute. Ce n’est point contre ces maux qu’il faut nous mettre en garde, mais contre leurs embûches pour nous attirer à eux, c’est-à-dire pour nous séparer du corps de Jésus-Christ et nous faire entrer dans leur corps. De même, en effet, que le Christ est le chef des bons, de même le diable est le chef des méchants. « Ils ont résolu de supplanter mes démarches». Qu’est-ce à dire, « supplanter mes démarches? » Ce n’est point pour te

 

1. Ps. CXXXIX, 4. — 2. Id. XXVII, 8. — 3. Id. CXXXIX, 5.

 

tromper dans une affaire que tu as avec lui, ni pour te tendre quelque piége dans un procès que tu soutiens coutre lui. Mais il a supplanté tes démarches, s’il t’a empêché de marcher dans la voie de Dieu, s’il t’a fait chanceler quand tu marchais droit, s’il t’a fait tomber dans la voie, ou jeté hors de la voie, ou retardé dans la voie, ou fait reculer dans la voie. Agir ainsi contre toi, c’est te supplanter, te tromper. Arme-toi de la prière contre de semblables piéges, afin de ne point perdre le patrimoine du ciel, ni ton héritage avec le Christ; car tu dois vivre éternellement avec Celui qui t’a fait son cohéritier, Tu n’es pas, en effet, l’héritier d’un homme à qui tu doives succéder à la mort, mais de celui avec qui tu dois vivre dans l’éternité.

8. « Les superbes ont caché les piéges qu’ils me dressent 1 ». Le Prophète comprend eu un seul mot le corps du diable, quand il dit « les superbes ». De là vient que souvent ils se disent justes, en dépit de leurs iniquités. Delà rien de plus pénible pour eux que l’aveu de leurs fautes. Dans la fausseté de leur justice ils doivent nécessairement porter envie aux vrais justes. Car nul ne porte envie à un autre dans ce qu’il ne ‘veut pas être en effet, ou du moins paraître. L’un porte envie à tes richesses, ou bien parce qu’il désire ces richesses qu’il t’envie, Ou bien parce qu’il veut paraître riche; un autre porte envie à ton illustration, à ta noblesse, ou bien lui-même aspire à un rang distingué, ou veut que l’on croie à sa distinction. Il en est ainsi de tous les biens, ou du moins de tout ce que le monde regarde comme des biens; un homme envie chez toi ce qu’il voudrait, ou posséder, ou même posséder à un degré supérieur, ou dont il veut se donner les apparences. Or, ceux qui n’ont qu’une fausse justice veulent se donner les apparences de la justice véritable; et dès lors s’ils rencontrent un juste, ils doivent lui porter envie et s’efforcer de lui faire perdre ce dont ils se glorifient. De là viennent toutes les séductions, toutes les trahisons. Tel fut tout d’abord le dessein du diable qui, après sa chute, fut jaloux de l’homme demeuré fermé: et comme il a perdu le royaume des cieux 2, il ne voulut point que l’homme y parvînt, il ne le veut point encore; tous ses efforts sont d’empêcher l’homme d’arriver au ciel d’où lui-même

 

1. Ps. CXXXIX, 6. — 2. Gen. III, 1.

 

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est tombé. Comme donc il est orgueilleux, et dès lors comme il est envieux à cause de son orgueil, tous les membres dont il est la tête sont orgueilleux et jaloux. Armons-nous de la prière contre lui qui ne saurait se convertir, mais en faveur de ceux qui le peuvent encore, et disons à l’homme injuste : Pourquoi, dans ton injustice, porter envie à l’homme juste? Afin de te donner à toi-même l’apparence de la justice? Prends la voie la plus courte, fais le bien, et tu paraîtras facilement ce que tu seras en effet. Sois juste, et tu aimeras celui dont tu étais jaloux; tu seras toi-même ce qu’il t’est pénible de voir en lui, tu t’aimeras en lui, et lui en toi. Ni ton envie contre le riche ne te donnera le pouvoir d’être riche, ni ton envie contre un homme illustre, un noble sénateur, ne te donnera l’illustration et la dignité, ni ton           envie contre un homme doué de beauté, ne t’embellira toi-même, ni ton envie contre un homme courageux ne te donnera du courage; mais si tu portes envie au juste, il ne tient qu’à toi, sois ce qu’il t’est pénible de voir dans un autre. Ce que tu n’es point, et ce qu’est un autre, ne s’achète point, cela se donne gratuitement et promptement: « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté 1».

9. Ces hommes superbes m’ont donc caché un piège; ils ont cherché à supplanter mes démarches, et qu’ont-ils fait? « Ils ont tendu devant mes pieds des filets de cordes ». Quelles cordes? ǒest là une expression des saintes Ecritures, et nous en trouvons le sens quelque part. Ce fut avec des cordes que Jésus fat un fouet pour chasser du temple ceux qui le profanaient par le trafic 2, nous montrant ainsi ce que signifient les cordes car chacun est lié par les cordes de ses péchés 3 » , dit ailleurs l’Ecriture. Et Isaïe nous dit clairement : « Malheur à ceux qui traînent leurs péchés comme une longue chaîne 4 ». Pourquoi les appeler une chaîne? Parce que tout pécheur qui persévère dans le péché ajoute au péché des péchés nouveaux:

et quand il devrait se corriger par l’aveu, il l’augmente en défendant ses fautes, ce que la confession aurait pu dissiper, et souvent du péché qu’il commet il prétend se faire un rempart contre ceux qu’il a commis. Tel a commis un adultère, et il médite un homicide pour n’être point tué lui-même; au

 

1. Luc. II, 14. — 2. Jean, II, 15.— 3. Prov. V, 22. — 4. Isa. V, 18.

 

péché il ajoute te péché. S’il a commis un homicide, au lieu d’un crime, il craint pour deux ; et quand il voit ses craintes se multiplier, au lieu de diminuer ses crimes, il pense au contraire à en ajouter de nouveaux; il a recours aux maléfices, et c’est son troisième crime. Une fois qu’on arrive à ce point, où est le pécheur qui réfléchit, qui termine la chaîne de ses péchés? Elle est donc bien une corde; et, en effet, filer une corde c’est y ajouter des fils, et non des fils droits, mais retors. Ainsi le crime ajouté au crime, est une corde qui se prolonge, et le pécheur ne songe point à rompre son malheureux tissu, il n’est occupé qu’à l’augmenter, à l’étendre, à l’allonger; en sorte qu’à la fin le voilà pieds et mains liés, et jeté dans les ténèbres extérieures 1. Tels sont donc les péchés qu’ils tendent comme des filets aux justes, quand ils les veulent entraîner au mal qu’ils font eux-mêmes. De là le mot du Prophète: « Ils ont tendu devant mes pieds des filets de cordes » ; c’est-à-dire: ils me veulent faire tomber au moyen de leurs péchés. Mais où sont tendus ces pièges? « Le long des sentiers ils ont mis des pierres d’achoppement ». Non pas dans les sentiers, mais près des sentiers. Vos sentiers sont les préceptes du Seigneur; or, ils ont placé des pièges le long de ces sentiers; pour toi, ne t’en écarte pas, tu ne tomberas point dans ces scandales, Ne viens pas dire : Si Dieu leur défendait de me tendre des pièges le long des sentiers, ils n’en tendraient point. lia permis au contraire qu’ils missent le long des sentiers ces pierres de scandale, pour t’empêcher de t’écarter du sentier. « Le long des sentiers ils ont placé des pierres de scandale ».

10. Qu’ai-je à faire? Quel remède au milieu de tant de maux, de tant d’épreuves, de tant de périls? « J’ai dit au Seigneur . « Vous êtes mon Dieu ». Ceux-là sont des hommes, et n’ont rien de commun avec moi; mais vous, Seigneur, vous êtes Dieu, et mon Dieu. « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu 2 ». Sainte prière qui donne la confiance. Mais Dieu n’est-il pas aussi leur Dieu? De qui n’est-il pas Dieu, celui qui est le Dieu véritable? Il l’est néanmoins plus particulièrement de ceux qui jouissent de lui, qui le servent, qui se font un bonheur de lui être soumis. Il est vrai que les méchants lui sont soumis également, en dépit de leur orgueil. Mais les uns

 

1. Matth. XXII, 13. — 2. Ps. CXXXIX, 7.

 

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appellent Dieu pour les couronner, les autres veulent secouer son joug parce qu’il doit les condamner. Quant à l’homme d’iniquité, qui ne veut point avoir le Seigneur pour son Dieu, où fuira-t-il le Dieu de tous? Le bien pour lui est de se convertir au Dieu de tous, et par cette conversion d’en faire son Dieu, et au milieu de tant de criminels, de séducteurs, d’hypocrites, d’orgueilleux, de dire à Dieu devenu son Dieu par sa conversion: « J’ai dit au Seigneur: Vous êtes mon Dieu, Ecoutez, e Seigneur, la voix de mes supplications »., Ces paroles sont simples, faciles à comprendre; et pourtant il y a un certain intérêt à se demander pourquoi le Prophète n’a pas dit: «Ecoutez ma prière», et comment il semble donner plus d’expression au sentiment de son coeur, quand il dit: « La voix de ma prière», ce qui donne la vie à ma prière, ce qui l’anime, non point le son de mes paroles, mais la vie de mes paroles. Tout autre bruit sans âme peut bien s’appeler un son ; mais pas une voix. La voix, en effet, est le propre des êtres animés, vivants. Combien sont nombreux ceux qui prient Dieu, sans avoir le sentiment de Dieu, une pensée digne de Dieu ! Ils peuvent avoir le son de la prière, mais non la voix de la prière, puisque leur prière est sans vie. Elle avait donc une voix, la prière de notre interlocuteur; car il vivait, il comprenait que Dieu était son Dieu, il voyait qu’il le délivrerait, et il sentait de quels maux il serait délivré.

11. Pour la signaler donc à l’oreille de Dieu, qu’il s’écrie : « Seigneur, Seigneur ». Vous Seigneur, Seigneur, c’est-à-dire vous qui êtes véritablement Seigneur, non Seigneur à la manière des hommes, non Seigneur comme ceux qui achètent à prix d’argent, mais Seigneur qui nous avez rachetés de votre sang. « Seigneur, Seigneur, vous, la force de mon salut 1 » ; c’est-à-dire qui donnez la force à mon salut. Qu’est-ce à dire « la force de mon salut? » Le Prophète se plaignait des scandales et des piéges des pécheurs, de ces hommes pervers apostés par le diable pour aboyer autour de lui et tendre des embûches, de ces orgueilleux jaloux des justes, au milieu desquels nous sommes forcés de vivre tant que nous sommes ici-bas dans l’exil. Le Sauveur lui-même nous a prédit qu’il y aura beaucoup de semblables

 

1. Ps. CXXXIX, 8.

 

scandales quand il dit: « L’iniquité doit abonder, et parce que l’iniquité abondera, la charité se refroidira dans plusieurs ». Mais il ajoute, pour nous consoler: « Quiconque aura persévéré jusqu’à la fin sera sauvé 1». L’interlocuteur a donc tout considéré, et saisi de crainte à la vue de tant d’iniquités, il se réfugie dans l’espérance; car celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin. Il fait des efforts pour persévérer, et voyant combien la route est longue et difficile, il invoque celui qui lui ordonne de persévérer, afin d’obtenir la persévérance parfaite. Je serai certainement sauvé, dit-il, si je persévère jusqu’à la fin; mais la persévérance qui seule peut me donner le salut est une force; vous donc, Seigneur, qui êtes la force de mon salut, c’est vous qui me faites persévérer pour arriveras salut. « Seigneur, Seigneur, vous êtes la force de mon salut ». Mais d’où vient que j’espère que vous êtes pour moi la force du salut? « Votre ombre a protégé ma tête au jour du combat ». Maintenant encore je suis en guerre; guerre au dehors contre les faux justes, guerre au dedans contre mes convoitises : « Car je vois dans mes membres une autre loi, contraire à la loi de l’esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur 2 ». Donc, fatigué de cette guerre, il jette les yeux sur les faveurs de Dieu, et comme la chaleur du combat épuise ses forces, il semble qu’il trouve un ombrage qui lui rend la vie: « Votre ombre a protégé ma tête au jour du combat », c’est-à-dire dans l’ardeur du combat, de peur que je ne fusse épuisé par la fatigue.

12. « Seigneur, en considération de mon désir, ne m’abandonnez pas au péché 3 ». C’est le bien que doit me procurer votre ombrage; il éteindra en moi les ardeurs qui me consumeraient. Et quelle force aurait contre moi l’impie en dérait de ses fureurs? Les méchants ont sévi contre les martyrs, ils les ont emmenés, chargés de chaînes, jetés en prison, frappés du glaive, exposés aux bêtes, consumés dans les flammes. Voilà ce qu’ils ont fait; mais Dieu ne les a point livrés aux pécheurs, parce qu’ils ne s’y sont point livrés par leur désir. Telle est donc la grâce qu’il

 

1. Matth. XXIV, 12, 13.— 2. Rom. VII, 23-25.— 3. Ps. CXXXIX, 9.

 

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faut demander à Dieu de toutes tes forces: c’est que Dieu ne te livre point au pécheur en t’abandonnant à ton désir, car ton désir ouvre l’entrée au diable. Le voilà qui te propose un gain et te porte à la fraude; mais sans fraude ce gain est impossible: ce gain c’est l’appât, la fraude c’est l’hameçon. Attention à l’appât, afin de voir l’hameçon ; tu ne saurais avoir le gain sans la fraude ; mais commettre la fraude, c’est se prendre à l’hameçon. Et toutefois je n’entends pas le mot se prendre dans ce sens qu’on te découvrira: on peut échapper, oui échapper aux hommes; mais à Dieu, est-ce possible? Tu seras donc pris et livré, et mis à mort; car tout homme qui agit de la sorte est son propre bourreau. C’est là qu’est l’appât, là qu’est l’hameçon : refrène tes désirs, tu échapperas au piége; mais te laisser dominer par la convoitise de l’appât, c’est te mettre le cou dans le piége, et tu seras la proie du vautour des âmes: « Ne me livrez point au pécheur, en m’abandonnant à mon désir». C’est là l’ombrage au jour du combat. L’ardeur produit le désir; mais ce désir est tempéré par l’ombre du Seigneur, afin que nous puissions refréner notre fougue, et que notre ardeur ne nous entraîne point dans le piége. « Ils ont formé des desseins contre moi: ne m’abandonnez pas, de peur qu’ils ne s’en glorifient ». Le Psalmiste nous dit ailleurs : « Ceux qui m’affligent seront dans l’allégresse, s’ils me voient ébranlé 1 ». Ainsi en est-il d’eux, parce qu’il en est ainsi du diable. Qu’il séduise l’homme, le voilà qui se réjouit, qui triomphe : il s’élève parce que l’homme est abaissé. Mais pourquoi cet abaissement de l’homme, sinon parce qu’il a eu le tort de s’élever? Or, celui qui triomphe de sa chute sera humilié. Tel est le sort, en effet, de tous ceux qui mettent leur joie dans le mal on les voit pour un temps se glorifier, s’enorgueillir, lever la tête. N’ayez aucune part dans leur joie, ils ont l’appât dans la bouche et l’hameçon en même temps. Leurs délices feront leur perte. « Ne m’abandonnez pas, de peur qu’ils ne s’en élèvent », c’est-à-dire, de peur qu’ils ne s’enorgueillissent, qu’ils ne triomphent de moi.

13. «Le commencement de leur circuit, le travail de leurs lèvres les couvrira 2 ». Pour moi, dit le Prophète, je serai couvert par l’ombre de vos ailes; car vous m’avez

 

1. Ps. XII, 5. — 2. Id. CXXXIX, 10.

 

préparé un ombrage pour le jour de la guerre. Mais eux, qui les couvrira? « La tête de leur circuit », c’est-à-dire l’orgueil. Qu’est-ce à dire : leur circuit ? C’est-à-dire qu’ils tourneront sans fin et ne s’arrêteront jamais, qu’ils marcheront dans le cercle de l’erreur, dont la route est sans bornes. Quiconque s’avance dans un chemin droit, a son point de départ et son arrivée ; mais dans un cercle on n’arrive jamais. Tel est le labeur des impies, dont il est dit plus clairement dans un autre psaume : « Les impies marchent dans un cercle 1». Mais la tête ou le commencement de leur circuit, c’est l’orgueil. Et comment l’orgueil est-il « ce labeur de leurs lèvres? »C’est que tout orgueilleux est dissimulé, et que tout homme dissimulé est menteur 2. Or, mentir est un travail pour l’homme; car la vérité on la pourrait dire très-facilement. La peine consiste à rendre un mensonge vraisemblable. Car si l’on veut dire la vérité, c’est chose facile, puisque la vérité se dit sans effort. C’est donc de cet homme que le Prophète a dit à Dieu Votre ombre me protégera, Seigneur; mais pour eux, leur mensonge les couvrira, et ce mensonge est le travail de leurs lèvres. « Voilà qu’il a mis au monde l’injustice : il a conçu la douleur et a enfanté l’iniquité 3». Toute oeuvre mauvaise porte sa peine, et toute oeuvre perverse que l’on médite, a pour guide le mensonge ; car la vérité ne se trouve que dans le bien. Et parce que chacun se trouve mal à l’aise dans le mensonge, que dit la Vérité? « Venez à moi, vous tous qui êtes dans la peine et dans l’accablement, et je vous soulagerai 4 ». C’est la même voix qui nous dit dans un autre psaume: « Enfants des hommes, jusques à quand serez-vous pesants de coeur? pourquoi vous éprendre de la vanité et rechercher le mensonge 5 ? » Voyez plus clairement ailleurs la peine du mensonge: « Ils ont appris à leur langue à dire le mensonge, ils se sont fatigués à commettre l’iniquité 6 ». « Le commencement de leur détour, la peine de leurs lèvres les couvrira».

14. « Des charbons ardents tomberont sur eux, sur la terre, et vous les rejetterez 7».

Que veut dire sur la terre? Encore en cette vie, ici-bas, « des charbons de feu tomberont sur eux, et vous les rejetterez ». Quels sont

 

1. Ps. XI, 9. — 2. Eccli. X, 15. —3. Ps. VII, 15. — 4. Matth. XI, 28. — 5. Ps. IV, 3.— 6. Jérém. IX, 5.— 7. Ps. CXXXIX, 11.

 

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ces charbons de feu ? Nous connaissons des charbons; mais sont-ils différents de ceux dont nous allons parler ? Ceux-ci me paraissent un châtiment, tandis que ceux dont nous avons parlé sont un moyen de salut. L’Ecriture, en effet, nous parle de charbons à propos d’un homme qui cherche du secours contre es langues trompeuses: « Que vous donnera-t-on, ou comment vous défendre contre une langue trompeuse? Les flèches aiguës du Tout-Puissant avec des charbons désolateurs 1», c’est-à-dire la parole de Dieu qui traverse les coeurs, y fait mourir le vieil homme et naître l’amour, les exemples des hommes qui sont morts pour reprendre une vie nouvelle, qui étaient noircis par le vice, et ont brillé par la vertu. Des charbons, en effet, sont les ténèbres, la couleur l’indique. Mais quand la flamme de la charité en approche, et qu’ils revivent de morts qu’ils étaient, qu’ils écoutent ce que leur dit saint Paul : « Vous étiez autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 2 ». C’est sur de tels charbons, mes frères, que nous jetons les yeux quand, blessés par les flèches du Seigneur, nous voulons changer de vie, et que nous en sommes détournés par les langues perverses des hommes, dont le Prophète se plaignait tout à l’heure. Ils s’efforcent de nous éloigner de la voie de la vérité, de nous porter à préférer leurs erreurs, et noms disent que si nous entreprenons une vie plus sainte, nous ne pourrons achever. Nous jetons alors les yeux sur ces charbons, et voilà que celui qui n’était hier qu’un ivrogne est sobre aujourd’hui; tel hier était adultère, qui aujourd’hui est chaste; tel autre voleur hier est aujourd’hui bienfaisant. Ce sont là tous des charbons de feu. Or, l’exemple de ces charbons nous fait des blessures avec les flèches du Seigneur, et je ne crains pas de dire blessures, quand l’Epouse des Cantiques s’écrie : « L’amour m’a blessé 3 ». Alors la paille est incendiée, et de là vient que ces charbons sont appelés désolateurs. Ils consument le foin, mais ils purifient l’or. L’homme alors passe de la mort à la vie, et devient lui-même un charbon ardent, comme autrefois l’Apôtre, qui d’abord était persécuteur, blasphémateur, véritable ennemi, un charbon noir et éteint; mais une fois qu’il eut obtenu miséricorde 4, il fut rallumé par

 

1. Ps. CXIX, 3, 4.— 2. Ephés. V, 8.—  3. Cant. II, 5,— 4. I Tim. I, 13.

 

le souffle du ciel; la voix du Christ lui donna une vie nouvelle, nulle tache de noirceur ne demeura en lui, et il embrasa les autres de la flamme qui embrasait son coeur. Est-ce donc ainsi qu’il nous faut comprendre ces charbons de feu qui doivent tomber suries méchants, et les renverser ? Rien ne nous empêche de l’entendre ainsi. J’entrevois dans ces paroles un sens qui est assez probable, et irrépréhensible. J’entends que ces charbons tomberont sur eux pour les renverser, mais ils tomberont sur les uns pour les allumer, sur les autres pour les renverser. Car ce charbon rallumé l’a dit : « Aux uns, nous sommes une odeur de mort pour la mort; aux autres, une odeur de vie pour la vie 1 ». Ils voient les justes au coeur enflammé, à la lumière éclatante, et l’envie contre eux les fait tomber. Voilà ce que signifient ces charbons de feu qui tombent sur eux sur la terre, et qui les renversent. Qu’est-ce à dire, sur la terre ? Pendant qu’ils sont encore en cette vie; outre cette peine qui est réservée aux impies, ces charbons les renversent, avant qu’ils encourent les flammes éternelles. « Des charbons enflammés tomberont sur eux, ici-bas, et les renverseront. Ils ne pourront subsister dans leurs misères ». Le malheur fondra sur eux, et ils ne pourront le sup. porter; quant au juste, il se tient debout dans le malheur, comme se tient debout celui qui nous dit « Nous nous glorifions dans nos tribulations, sachant que la tribulation engendre la patience, la patience la pureté, la pureté l’espérance; or, l’espérance n’est point confondue, parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 2 ». Mais sur les hommes dont nous parlons, que l’affliction, que la misère tombe sur eux, et ils ne peuvent la supporter, ils tombent, Et quand ils ne peuvent supporter les malheurs qui viennent tondre sur eux, ils tombent dans le crime, parce qu’ils sont livrés au pécheur, abandonnés à leurs désirs.

15. « Le grand parleur ne marchera point droit sur la terre 3». Le grand parleur aime le mensonge. Quel est en effet son plaisir, sinon de parler? Peu lui importe ce qu’il dise, pourvu qu’il parle. Or, un tel homme ne saurait toujours marcher droit. Mais, comment doit être un serviteur de Dieu enflammé

 

1. II Cor. II, 16. — 2. Rom. V, 3-5. — 3. Ps. CXXXIX, 12.

 

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de ces charbons, et devenu lui-même un charbon salutaire ? Il doit se plaire à écouter plus qu’à parler, comme il est écrit : « Que tout homme soit prompt à écouter, lent à parler 1 ». Il doit même désirer, s’il est possible, de n’être point obligé de parler, de répondre, d’enseigner. Car je le dis à votre charité, mes frères, si nous vous parlons maintenant, c’est pour vous instruire. Combien vaudrait-il mieux que nous fussions tous instruits, que nul n’ait rien à enseigner à l’autre; qu’il n’y eût ni l’homme qui parle ni l’homme qui écoute, mais que tous fussent occupés à écouter celui-là seul à qui il est dit : « Vous me ferez entendre une parole de joie et d’allégresse 2 ». Aussi Jean ne se réjouissait-il ni de ce qu’il prêchait, ni de ce qu’il parlait, mais de ce qu’il écoutait. « L’ami de l’Epoux, dit-il en effet, se tient debout et l’écoute, et s’il tressaille à cette voix de l’Epoux 3 ». Je dirai en un mot, mes frères, à votre charité comment chacun doit s’éprouver sur ce point : il ne s’agit pas de ne jamais parler, mais de le faire quand le devoir l’exige; que l’on ait dans le coeur l’amour du silence, et que l’on soit prêt à instruire au besoin. Or, quand faut-il instruire? Quand on rencontre un ignorant, un homme sans instruction. Qu’un homme se plaise à instruire, il sera toujours bien aise de rencontrer un ignorant; mais avoir la charité, vouloir l’instruction pour tous, ce n’est plus désirer qu’il y ait des ignorants à instruire; alors exercer la science, ou faire preuve de science, ne sera plus une oeuvre volontaire, mais une oeuvre de nécessité. Que ta joie soit d’écouter Dieu; que la nécessité seule t’engage à parler; et tu ne seras point le grand parleur que l’on ne saurait diriger. Pourquoi vouloir parler, sans vouloir écouter? Toujours être dehors, sans jamais rentrer en toi-même? Celui qui t’instruit est dans ton coeur; mais, pour toi, instruire c’est sortir de toi-même pour parler à ceux qui sont au dehors. Or, c’est à l’intérieur que nous écoutons la vérité, et nous parlons à ceux qui sont au dehors de notre coeur. Dire en effet que nous avons dans le coeur ceux à qui nous pensons, c’est dire que nous en avons une certaine image intérieure. Car s’ils étaient au dedans de nous, ils sauraient ce qui est dans notre coeur, et ils n’auraient aucun besoin de notre parole. Mais si

 

1. Jacques, I, 19. — 2. Ps. L, 10. — 3. Jean, III, 29.

 

tu aimes l’action du dehors, crains aussi l’orgueil du dehors, crains de ne pouvoir entrer par la porte étroite, de peur que Dieu ne puisse te dire : « Entre dans la joie de ton maître 1 »; et comme tu as aimé ce qui était au dehors, crains au contraire qu’il ne te dise : « Liez-lui les mains et les pieds, et jetez-le dans les ténèbres extérieures 2 » ; parole qui nous apprend que c’est un mal d’être jeté à l’extérieur, un grand bien de rentrer à l’intérieur. Que dit-il en effet au bon serviteur? « Entre dans la joie de ton maître ». Et au méchant serviteur? « Jetez-le dans les ténèbres extérieures ».  N’aimons donc point ce qui est au dehors, mais ce qui est à l’intérieur. Mettons notre joie dans l’intérieur; quant à l’extérieur, subissons-le, mais dégageons-en notre volonté. « Le grand parleur ne marchera pas droit sur la terre».

16. « Le mal poursuivra l’homme inique pour la mort ». Les maux fondent sur lui, et il ne saurait subsister; voilà pourquoi le Prophète s’écrie qu’ils le poursuivront comme des chasseurs à sa mort. Le mal est venu fondre sur beaucoup d’hommes de bien, sur beaucoup de justes; le mal a paru les rencontrer. Au contraire, il dit ici que le mal les poursuivra, parce que chacun cherche à se dérober au mal; mais quand il en est surpris, il en devient comme la proie. Toutefois, n’y a-t-il que le méchant qui se dérobe au méchant, quand il en est poursuivi ? N’est-il pas dit aux bons : « S’ils vous poursuivent dans une ville, fuyez dans une autre 3? » Donc, quand les méchants persécutaient les bons ou les martyrs, quand ils s’en rendaient maîtres, ils les chassaient, comme dit le Prophète, mais non pour la mort. La chair a été meurtrie, l’âme couronnée; l’âme a été expulsée de la chair, mais la chair n’a rien subi qui pût nuire à l’avenir. La chair a été brûlée, a été frappée, a été déchirée; mais pour être dans les mains du persécuteur, était-elle arrachée des mains du Créateur? Celui qui l’a créée de rien ne peut-il point lui donner un état meilleur ? Donc, en saisissant les justes, les méchants fondaient sur eux comme des chasseurs, mais non pour leur mort. Mais pour ces hommes grands parleurs, et qui ne marchent pas droit, le mal fondra sur eux pour les détruire entièrement. Pourquoi?

 

1. Matth. XXV, 21, 23.— 2. Id. XXII, 13. — 3. Id. X, 23.

 

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Parce qu’ils ne subsisteront pas dans leur misère.

17. « Je connais que le Seigneur fera justice au pauvre 1». Ce pauvre n’est donc point grand parleur. Car le grand parleur veut l’abondance, et ne peut souffrir la pauvreté. Ceux-là sont pauvres à qui le Prophète a dit : « Frappez et l’on vous ouvrira, cherchez et vous trouverez, demandez et il vous sera donné 2 ». Celui-là est pauvre, dont il est dit : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 3 ». Ils gémissent parmi les scandales des méchants, ils en appellent à leur chef, afin qu’il les délivre de l’homme méchant, qu’il les arrache à l’homme de l’iniquité, aux mains des hommes injustes. Tels sont les hommes dont le Seigneur ne dédaignera point la cause: quelles que soient leurs afflictions en cette vie, leur gloire doit éclater quand leur chef apparaîtra. Parce que ces hommes sont sur la terre, saint Paul leur dit « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 4». Nous sommes donc des pauvres, notre vie est cachée, appelons notre pain céleste. Car il est un pain vivant qui descend du ciel 5, et celui qui nous fortifie en chemin nous rassasiera dans la patrie. Maintenant il rétablit nos forces afin de nous faire vivre. Mais il nous faut endurer la faim jusqu’à ce que nous soyons rassasiés. « Je connais que le Seigneur fera justice au pauvre et vengera l’indigent ». Il montrera aux hommes d’iniquité comme il aime ses pauvres. Ce que le Prophète appelle riches, ce sont les orgueilleux; ce qu’il nomme pauvres, ce sont les humbles; il appelle riches ceux que l’abondance dispense de chercher, pauvres ceux que leurs désirs font soupirer. Dieu leur fera justice.

18. « Toutefois les justes confesseront votre nom 6 ». Quand vous prendrez leur cause en main, quand vous leur rendrez justice, ils confesseront votre nom; ils n’attribueront rien à leurs mérites, mais ils attribueront tout à votre miséricorde. «Toutefois les justes confesseront votre nom ». Et quand ils confesseront votre nom de manière à ne rien attribuer à leur justice, quelque grande qu’elle soit, comment se fera-t-il qu’ils dresseront leur coeur? Tourner leur coeur vers eux-

 

1. Ps. CXXXIX, 13.— 2. Matth. VII, 7. —  3. Id. V, 6.— 4. Coloss. III, 3. — Jean, VI, 41. — Ps. CXXXIX, 14.

 

mêmes, c’est le rendre tortueux; le tourner vers Dieu, c’est le redresser. Dès lors, où trouveront-ils leur bien , leur repos, leur joie, leur félicité? En eux-mêmes? Non, mais en celui qui les a fait lumière. « Maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 1 », dit saint Paul. Vois ce que dit ensuite le Prophète , vois sa conclusion : « Les hommes droits habiteront dans votre face ». Ils n’ont habité en eux-mêmes que pour leur perte, leur félicité sera d’habiter dans votre face. Aimer leur face, c’était manger leur pain à la sueur de leur front  2. Qu’ils reviennent, essuyant leur sueur, mettant fin à leurs travaux et à leurs gémissements, et votre face, ô mou Dieu, leur donnera l’abondance. Ils ne chercheront rien de plus, parce qu’il n’est rien de meilleur, ils ne s’éloigneront plus de vous, et vous ne les éloignerez plus. Qu’est-il dit en effet du Christ après sa résurrection? « Vous me comblerez de joie par la lumière de votre face 3 ». S’il ne nous montrait sa face, Dieu ne serait point notre joie. Ce qui nous porte à purifier notre face, c’est l’espoir de jouir de la face de Dieu. « Car nous sommes les enfants de Dieu, et ce que nous serons ne nous apparaît pas encore; nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui ; car nous le verrons tel qu’il est  4. Puisque les justes habiteront dans la lumière de son visage ». Faut-il croire que ce sera la face du Père, et non celle du Fils? ou bien la face du Fils et non celle du Père? Doit-on admettre que le Père, le Fils et l’Esprit-Saint n’ont en quelque sorte qu’une même face? Voyons si le Fils ne nous aurait point promis de nous montrer sa face pour combler notre joie. C’est Dieu lui-même qui nous a fait lire ce passage de l’Evangile, qui est proprement la confirmation de notre psaume. Voici en effet ce que dit le Sauveur: « Celui qui écoute mes préceptes et les met en pratique, est celui qui m’aime; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai, et me montrerai à lui Quelle récompense nous promet-il, mes bien-aimés? Ne le voyaient-ils donc pas, ceux à qui il promettait de se montrer? N’était-il pas devant eux? Ne voyaient-ils pas son visage en sa chair? Comment voulait-il se montrer à ceux qui le voyaient? Mais les

 

1. Ephés. V, 8. —  2. Gen. III, 19. — 3. Ps. XV, 11.— 4. I Jean, III, 2. — 5. Jean, XIV, 21.

 

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disciples le voyaient tel que les Juifs le crucifièrent; or, un Dieu était caché dans cette chair et les hommes pouvaient voir un homme, mais non un Dieu,quoiqu’il fût dans cet homme ; car « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 1 ». Il mettait donc sous les yeux des justes et des impies la nature humaine, mais il réservait aux saints et aux hommes purs de voir la nature divine; afin d’être notre joie et de nous réserver dans la lumière de sa face un bonheur sans fin.

 

1. Matth. V, 8.

 

 

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