PSAUME CXLVI
Précédente Accueil Remonter Suivante


rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

Accueil
Remonter
PSAUME CXLI
PSAUME CXLII
PSAUME CXLIII
PSAUME CXLIV
PSAUME CXLV
PSAUME CXLVI
PSAUME CXLVII
PSAUME CXLVIII
PSAUME CXLIX
PSAUME CL
PRIÈRE
PSAUME XIV bis

DISCOURS SUR LE PSAUME CXLVI.

SERMON AU PEUPLE, PRÊCHÉ PROBABLEMENT A CARTHAGE.

LA VIE DU JUSTE.

 

Il est bon de chanter des psaumes au Seigneur, qui peut nous récompenser, et s’il n’accorde pas toujours ce qu’on lui demande, c’est qu’il est père et connaît ce qui doit nous être utile. Louer Dieu, ce n’est point simplement chanter en son honneur: le Prophète veut ici un psaume, et le psaume s’exécute sur un instrument de musique, ce qui exige l’action des doigts, et nous figure les oeuvres. Une oeuvre bonne est donc une louange, et le péché devient un silence ; le tort que l’on inédite, un silence aussi. Toute action faite pour obéir à Dieu est donc une louange; elle est un blasphème dès qu’elle est eu dehors des bornes prescrites ; car la louange n’est pas bonne dans la bouche du pécheur, la licence est un un faux, et Dieu est attentif aux oeuvres plus qu’à la voix. L’Apôtre nous dit que nous devons louer Dieu, parce que le Christ est mort pour tous, et le Psalmiste, parce que Dieu bâtit Jérusalem, nous rassemble à la voix des Apôtres, guérit les coeurs brisés par le repentir ; or, ces coeurs brisés qui. sont un sacrifice agréable à Dieu, sont les coeurs humbles, qui confessent leurs péchés, les châtient sur eux-mêmes. C’est l’oeuvre de la rédemption. Mais la guérison ne sera parfaite que dans l’autre vie. En attendant le Seigneur bande nos plaies, quand il nous redresse par ses préceptes, et- nous aide par ses sacrements, qui sont comme des appareils et qu’il lèvera dans l’autre vie. — C’est Dieu qui compte les étoiles ou les flambeaux qui nous éclairent pour la vie éternelle ; tous ces flambeaux ne sont point marqués cependant pour la vie éternelle, et Dieu appelle par leurs noms ceux qui auront la charité et se tiendront unis à lui.

Dieu est grand, on ne saurait mesurer sa sagesse, qui est le nombre même, la mesure. Nous aurons part à cette mesure immuable, quand nous habiterons Jérusalem. Demandons à Dieu qu’il bande nos plaies, et dans les difficultés de l’Ecriture, frappons à la porte avec humilité. Dieu renverse tous ceux que leur orgueil fait regimber. Les Manichéens ont regimbé contre les Ecritures, et Dieu les a jetés à terre. Or, la terre pour eux, c’est la chair, et ils n’ont eu sur Dieu que des pensées grossières. Pour arriver au Seigneur, accusons-nous tout d’abord, puis faisons de bonnes oeuvres, et nous nous rapprocherons de Dieu en reformant en nous son image que le méchant a effacée ; de là. cette expression, qu’il est loin de Dieu. C’est ce même Dieu qui couvre le ciel de nuages, ou ses Ecritures de mystères, et prépare à la terre, les pluies de l’intelligence et de la grâce ; qui fait croître l’herbe sur les montagnes, c’est-à-dire qui amène les grands du monde, comme Zachée, à la pratique des bonnes oeuvres, qui prépare l’herbe pour les hommes en servitude, ou pour les ministres de l’Eglise qui ont droit à leur nourriture. Dépensons en bonnes oeuvres, au moins la dîme de nos revenus, car nous devons être plus parfaits que les Pharisiens.

Ces petits des corbeaux qui invoquent le Seigneur, c’est nous les fils des Gentils, convertis à la foi. Dieu ne met point ses complaisances dans la puissance du cheval ou dans l’orgueilleux qui lève la tête, ni dans les tabernacles de l’homme, c’est-à-dire dans l’hérésie, mais dans son Eglise. Espérons en lui, non comme Judas qui douta de sa miséricorde.

 

1. Nous avons écouté avec attention chanter notre psaume ; mais l’entendre tous, n’était pas le comprendre bus. Quelle attention ne devons-nous pas y apporter maintenant, si, comme je l’espère et le désire, Dieu touché des prières de tous ces auditeurs, nous dévoile ce qu’il y a d’obscur, de manière que votre attention à m’écouter vous soit profitable, et que nul ne s’en retourne sans fruit? Que dit le psaume en commençant? « Louez le Seigneur ». Voilà ce qui nous est dit, et non seu1ement à nous, mais encore à toutes nations. Cette voix que des lecteurs font entendre çà et là, est recueillie par des Eglises particulières ; mais la grande voix de Dieu qui domine toutes les autres, ne cesse de nous exhorter à le louer. Or, comme si nous demandions au Seigneur pourquoi nous devons louer Dieu, voyez quelle raison il nous donne: « Louez le Seigneur » , nous dit-il, « parce qu’il est bon de lui chanter des psaumes ». Est-ce donc là tout ce qui nous en reviendra? Louons le Seigneur. Pourquoi? « Parce qu’il est bon de lui chanter des psaumes ». Je voudrais bien, dira-t-on, louer le Seigneur, mais s’il payait ma louange de quelque récompense. Comment louer gratuitement, ne serait-ce qu’un homme? On ne loue donc les hommes que dans l’espoir d’une récompense; mais quiconque loue Dieu, ne saurait-il en attendre aucune récompense, ni demander, ni espérer? On loue un homme faible et avec espérance; on loue le Tout-Puissant et il n’aurait rien à donner? Serait-il impuissant à donner ce qu’on lui demande? Que peut désirer l’homme, qui ne soit sous la main de Dieu ? Quand on loue un homme, il arrive que l’on désire ce qu’il ne saurait donner. Mais pour Dieu, tu peux le louer en toute sécurité ; nul ne saurait dire qu’il est (256) impuissant à donner ce que l’on attend de lui. Nous devons donc louer le Seigneur en nous proposant quelque récompense, bien qu’il ne nous accorde pas toujours ce que nous désirons. Il est père, en effet, et ne donne point à des méchants fils ce q u’ils désirent. Bénissons-le donc, avec espérance et même avec désir, non point de telle ou telle faveur, mais de celle que juge à propos de nous accorder Celui que nous louons. Et il sait ce qui nous convient, c’est à nous d’attendre ce qui nous est utile. L’Apôtre l’a dit : « Nous ne savons ce qu’il convient de demander 1 ». Et le même saint Paul croyait qu’il lui serait avantageux d’être délivré de l’aiguillon de la chair, de cet ange de Satan qui le souffletait, selon ses aveux, et il dit : « Trois fois j’ai prié le Seigneur de m’en délivrer, et il m’a dit : « Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse 2». Il désirait donc une faveur, que Dieu ne lui accorda point àsa volonté, afin de lui procurer la sainteté. Qu’est-ce donc que l’on nous propose ici? « Louez le Seigneur », dit le Prophète. Pourquoi louer le Seigneur? Parce qu’il est bon de lui chanter des hymnes. Ces hymnes sont la louange du Seigneur. C’est dire alors : Louez le Seigneur, parce qu’il est bon de le louer. Ne passons point légèrement sur cette parole : Louez le Seigneur. Elle est dite, et la voilà passée ; c’est fini , et nous rentrons dans le silence ; après avoir loué Dieu, nous nous sommes tus ; après le chant, le repos. Nous passons à ce qui nous reste à faire, et quand il se présente une autre occupation, cesserons-nous pour cela de louer Dieu ? Point du tout ; si la louange n’est qu’un moment sur ta langue, elle doit être continuellement dans ta vie. De là cette excellence du psaume.

2. Le psaume est un chant, non pas un chant quelconque, tuais un chant sur le psaltérion. Or, le psaltérion est un instrument de musique, du genre de la lyre, de la harpe et d’autres semblables. Chanter le psaume n’est donc pas seulement chanter de la voix, mais unir la main à la voix sur l’instrument que l’on appelle psaltérion. Veux-tu donc chanter un psaume? Non-seulement que ta voix fasse retentir les louanges de Dieu mais que tes oeuvres soient d’accord avec ta voix. Si tu ne chantes que de la voix, il y aura

 

1. Rom. VIII, 26. — 2. II Cor. XII, 7-9.

 

des silences, mais que ta vie soit une mélodie sans silences Tu es en affaires, et tu médites la ruse ; voilà un silence dans la louange de Dieu : et ce qui est plus grave, non-seulement tu cesses de louer Dieu, mais tu tombes dans le blasphème. Quand on loue Dieu à cause du bien que tu fais, c’est ta bonne oeuvre qui est une louange pour Dieu ; mais quand on blasphème Dieu à cause de tes oeuvres, tes oeuvres sont un blasphème. Que ta voix dès lors se fasse entendre pour stimuler l’oreille, mais que ton cœur ne se taise point, que ta voix ne soit jamais silencieuse. Ne méditer aucun tort dans les affaires, c’est chanter à Dieu. Quand tu manges, quand tu bois, chante, non point en flattant les oreilles par de suaves mélodies, mais en buvant, en mangeant avec sobriété, avec tempérance. Car voici ce que dit l’Apôtre : « Soit que vous buviez, soit que vous mangiez, soit que vous fassiez toute autre chose; faites tout pour la gloire de Dieu 1 ». Si donc tu fais bien de manger et de boire, pour soutenir ton corps et réparer tes forces, en rendant grâces à celui qui soutient ainsi la faiblesse d’un mortel ; boire et manger sont pour toi louer Dieu. Mais si une avide intempérance te pousse au-delà des bornes prescrites par la nature, si tu vas jus. qu’à te gorger de vin, boire et manger sont pour toi un blasphème. Après avoir bu et mangé, tu cherches le repos et le sommeil; que ta couche n’accuse rien de honteux, rien de ce qui dépasse les bornes tracées par Dieu; sois chaste même avec ton épouse, et si tu veux en avoir des enfants, n’obéis point à une luxure effrénée. Jusque dans ton lit, respecte une épouse ; puisque tous deux vous êtes membres du Christ, tous deux créés parle Christ, et rachetés par le sang du Christ. Agir ainsi, c’est louer Dieu, et rien dès lors n’interrompt ta louange. Mais quand viendra le sommeil ? Même pendant le sommeil, qu’une -conscience coupable ne te réveille point ; un sommeil innocent loue aussi le Seigneur Si donc tu bénis Dieu, chante non-seulement de la langue, mais prends aussi le psaltérion des bonnes oeuvres; parce que ce psaltérion est bon. C’est donc louer Dieu que travailler à ses affaires, louer Dieu que boire et manger, louer Dieu que prendre son repas, louer Dieu que dormir; quand cesse-t-on de louer Dieu? Cette louange sera parfaite quand nous

 

1.  I Cor. X, 31.

 

257

 

arriverons à la cité des saints, quand nous seront semblables aux anges de Dieu 1 ; quand il n’y  aura plus à subir de nécessité corporelle, quand nous ne sentirons ni la faim, ni la soif, ni le poids de la chaleur, ni l’engourdissement du froid, ni les tourments de la fièvre, ni la destruction de la mort. Exerçons-nous par avance à cette louange parfaite, en louant Dieu par nos bonnes oeuvres.

3. Aussi, après avoir dit: « Louez le Seigneur, parce qu’il est bon de le louer sur le psaltérion » , le Prophète ajoute : « Que votre louange soit agréable à notre Dieu ». Comment cette louange sera-t-elle agréable à notre Dieu, sinon quand nous le bénirons par une vie pure? Ecoute bien comment cette louange peut lui être agréable. Il est dit ailleurs : « La louange n’est point belle dans la bouche du pécheur 2 ». Si donc la louange n’est point belle dans la bouche du pécheur, elle n’est point agréable ; car il n’y a d’agréable que le beau. Veux-tu que ta louange soit agréable à Dieu? Ne gâte point tes chants mélodieux parles tons faux d’une vie licencieuse. « Que votre louange soit agréable à Dieu ». Qu’est-ce à dire ? Menez une vie pure, ô vous qui louez Dieu. La louange des méchants ne peut que le blesser. Dieu s’arrête plus à considérer ta vie, qu’à écouter le son de ta voix. Assurément tu veux avoir la paix avec ce Dieu que tu chantes, mais comment l’avoir avec lui quand tu es en désaccord avec, toi-même? Quel désaccord avec moi-même , diras-tu? C’est que ta langue rend un son, ta vie un autre son. « Que votre louange soit agréable à Dieu». Un homme peut s’éprendre d’une louange, quand il entend louer avec une voix mélodieuse, des périodes arrondies et de fines pensées; mais «que votre louange soit agréable à Dieu », qui a l’oreille non plus à notre voix, mais à notre coeur, qui n’écoute point l’harmonie des paroles, mais celle de nos bonnes oeuvres.

4. Qui est notre Dieu, pour que notre louange lui soit agréable ? Il veut être doux pour nous, il veut se faire aimer de nous; rendons grâces à sa miséricorde. Il daigne s’offrir à notre amour, non qu’il puisse recevoir quelque chose de nous, mais bien plus pour nous donner lui-même. Comment donc Dieu veut-il se poser devant nous ? Ecoutez l’apôtre saint Paul : « Dieu fait éclater son

 

1. Matth. XXII, 30. — 2. Eccli. XV, 9.

 

amour envers vous ». Comment Dieu fait-il éclater cet amour ? Que l’Apôtre nous le dise, afin qu’on le compare avec notre psaume « Dieu», dit-il, « fait éclater son amour envers nous ». Comment le fait-il éclater? « C’est que nous étions pécheurs, et alors le Christ est mort pour nous 1 ». Que réserve donc à ceux qui le bénissent un Dieu qui signale ainsi son amour envers des pécheurs? Ainsi, voilà l’Apôtre qui nous dit que Dieu fait éclater son amour envers nous, au point que le Christ est mort pour les pécheurs ; non pour les laisser dans leur impiété, mais afin que la mort du juste les guérît de leur injustice; maintenant écoute notre psaume, que dit-il après ces paroles « Que notre louange soit agréable à Dieu ? » Voyons s’il nous en donne une raison qui s’accorde avec celle de l’Apôtre : « Que le Christ est mort pour les impies ». C’est, dit le Psalmiste, « qu’il bâtit Jérusalem et qu’il rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés 2 ». Voilà que le Seigneur bâtit Jérusalem et qu’il rassemble son peuple épars. Le peuple d’Israël est, en effet, le peuple de Jérusalem, et il y a une Jérusalem éternelle, dont les citoyens sont les anges mêmes. Que signifie donc ici Israël ? Si par Israël nous entendons ce petit-fils d’Abraham, appelé aussi Jacob, comment ce nom d’Israël conviendra-t-il aux anges? Mais si nous examinons le sens de ce nom, car à Jacob le nom fut échangé contre celui d’Israël 6, ce nom d’Israël convient mieux à cette cité bienheureuse, et puissions-nous à notre tour être ensuite Israël. Que veut dire. Israël, en effet? Qui voit Dieu. Donc, les habitants de cette cité des cieux voient Dieu, et ce spectacle de Dieu même fait leur joie dans cette ville si grande et si auguste. Quant à nous, le péché nous a bannis de cette heureuse patrie, il nous a empêchés d’y demeurer, et le poids de notre mortalité nous empêche d’y retourner. Dieu a regardé notre exil, et lui qui rebâtit Jérusalem, en relève la partie tombée. Comment relever cette partie tombée ? « En rassemblant ce qui est dispersé d’Israël ». Une partie d’Israël est tombée, en effet, devenue étrangère; et cette étrangère, Dieu l’a regardée avec miséricorde, et a recherché ceux qui ne le cherchaient point. Comment les a-t-il cherchés ? Qui a-t-il envoyé dans notre captivité ? Il a envoyé un rédempteur selon cette

 

1. Rom. V, 8, 9. — 2. Ps. CXLVI, 2. — 3. Gen. XXXII, 28.

 

258

 

Parole de l’Apôtre : « Dieu a signalé son amour envers nous, et quand nous étions encore dans le péché, le Christ est mort pour nous 1 ». C’est donc son Fils qu’il a envoyé pour nous racheter de notre captivité. Porte un sac avec toi, lui a-t-il dit, et mets-y le prix des captifs. Il a donc revêtu notre chair mortelle, où était le sang qu’il devait répandre pour nous racheter. Tel est le sang qui rassemble les enfants d’Israël qui sont dispersés. Or, si jadis il rassembla ceux qui étaient dispersés, combien faut-il s’appliquer à rassembler ceux qui le sont aujourd’hui? Si les dispersés d'autrefois furent rassemblés afin que la main de l’Architecte les taillât de manière à les faire entrer dans l’édifice, comment aujourd’hui faut-il rassembler ceux que leur agitation a fait tomber des mains de l’architecte? « C’est le Seigneur qui bâtit Jérusalem». Tel est le Dieu que nous louons, et que nous devons louer pendant toute notre vie : « Le Seigneur qui bâtit Jérusalem, et qui rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés ».

5. Comment les rassembler? Que fait- il pour cela? « C’est lui qui guérit ceux dont le coeur est brisé 2 ». C’est ainsi que l’on rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés, afin de guérir ceux dont le coeur est brisé. Ceux dont le coeur n’est point brisé, ne sont point guéris. Qu’est-ce alors que briser son coeur ? Je vous le dirai, mes frères, afin que vous puissiez être guéris. Cette expression se trouve en beaucoup d’endroits dans l’Ecriture, et principalement dans celui où le Psalmiste disait en notre nom: « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’eusse donné assurément mais les holocaustes ne vous sont point agréables». Quoi donc? Nous faudra-t-il demeurer sans sacrifice? Entends celui que Dieu veut qu’on lui offre. Le Prophète continue en disant : « Le sacrifice agréable à Dieu est une âme affligée, le Seigneur ne dédaignera point un coeur brisé et humilié 3. Il guérit donc les coeurs brisés» : parce qu’il s’approche d’eux pour les guérir; comme il est dit ailleurs: «Le Seigneur est proche de ceux qui ont brisé leur coeur 4 ». Quels coeurs sont brisés? Les coeurs humbles, Quels coeurs ne le sont point? Les orgueilleux. Uni coeur brisé sera guéri, un coeur élevé sera brisé. Car il n’est brisé sans doute, que pour être guéri ensuite.

 

1. Rom. V, 8. — 2. Ps. CXLVI, 3. — 3. Id. L. 18, 19. — Id. XXXIII, 19.

 

Que notre coeur donc, mes frères, ne s’élève point avant d’être droit. On s’élève pour sa perte, quand on ne s’est point redressé tout d’abord.

6. « Il guérit ceux dont le coeur est brisé, il bande leurs plaies ». Dieu donc guérit ceux dont le coeur est brisé, et dès lors il guérit ceux qui s’humilient, ceux qui confessent leurs fautes, ceux qui se punissent eux-mêmes, ceux qui exercent contre eux-mêmes un jugement sévère, afin de sentir ensuite sa miséricorde. Voilà ceux que Dieu guérit, mais leur guérison sera parfaite seulement quand cette mortalité sera passée, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption, ce corps mortel, d’immortalité 1; quand la chair souillée n’aura plus pour nous aucune sollicitation, non-seulement quand nous n’y succomberons plus, mais quand elle n’aura pires même aucune suggestion. Mainte. nant en effet, mes frères, combien d’attraits coupables pour notre âme ! Sans doute nous y résistons, et nos membres obéissent à la justice et non à l’iniquité; et toutefois le plaisir que nous causent ces sollicitations, bien qu’il n’y ait aucun consentement, est loin de la santé parfaite. Tu seras donc guéri, oui, tu seras guéri si ton coeur est brisé. Ne rougis plus de briser ton coeur; ceux-là, Dieu les guérit. Mais que puis-je faire maintenant, diras-tu? « Selon l’homme intérieur, en effet, je trouve du plaisir dans la loi de Dieu; mais je sens dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché ». Que faire? dis-tu. Brise ton coeur, confesse tes fautes, et dis avec l’Apôtre: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? » afin qu’il te soit répondu: « La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur 2 ». Comment nous délivrera cette grâce dont nous avons reçu maintenant les arrhes? Ecoute le même Apôtre : « Le corps est mort sans doute à cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice. Si donc l’esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de sou esprit qui habite en vous  3». Telles sont donc les arrhes qu’a reçues notre esprit, afin que nous commencions par la foi à servir

 

1. I Cor. XV, 53, 51. — 2. Rom, VII, 22 - 25. — 3. Id. VIII, 10, 11.

 

259

 

Dieu, à être appelés justes par la foi, « puisque c’est de la foi que vit le juste 1 ». Tout ce qui nous résiste encore, tout ce qui nous est contraire vient de la mortalité de notre chair, et sera guéri. « Car Dieu rendra la vie à vos corps mortels, par l’esprit qui habite en vous ». C’est pour cela qu’il nous témoigne, par un gage, qu’il veut accomplir ce qu’il nous a promis. Mais maintenant dans cette vie, où nous confessons nos fautes, sans rien posséder encore, dans cette vie qu’arrivera-t-il? Comment être guéri? « Le Seigneur guérit ceux dont le coeur est brisé » ; mais la guérison parfaite arrivera quand nous l’avons dit; toutefois, en cette vie qu’arrive-t-il? « Il bande leurs plaies ». Celui-là, dit le Prophète, qui guérit ceux dont le coeur est brisé, et dont la santé parfaite n’arrivera qu’à la résurrection des morts, celui-là bande aujourd’hui leurs plaies.

7. Comment bander ces plaies? Comme les médecins bandent les fractures. Souvent, en effet, que votre charité veuille bien comprendre ce que comprennent ceux qui l’ont remarqué, ou l’ont appris des médecins: souvent les médecins brisent de nouveau afin de mieux redresser un membre mal replacé, ou mal affermi; ils font une blessure nouvelle, parce qu’une guérison défectueuse devient nuisible. «Les voies du Seigneur sont droites», a dit l’Ecriture, « mais l’homme au coeur dépravé y trouve des scandales 2 ». Qu’est-ce que l’homme au coeur dépravé? L’homme qui a le coeur tortueux. Un tel homme ne voit que du louche dans les paroles de Dieu, que des défauts dans ses actes; tous les jugements de Dieu lui déplaisent, surtout ceux qui doivent le châtier. Le voilà qui s’assied, qui montre que Dieu est en défaut parce qu’il n’agit point selon la corruption de son mur. C’est donc peu pour un coeur dépravé            de ne point se redresser selon Dieu; il prête à Dieu sa difformité. Que dit le Seigneur du haut du ciel ? C’est toi qui es tortueux, moi qui suis droit; si tu étais droit, tu reconnaîtrais que je le suis. Posez un bois tortueux sur un pavé bien uni, il ne saurait s’y appliquer : il branle, il est peu solide ; et cela ne vient pas de l’inégalité du pavé, mais de la difformité du bois. C’est ce qu’a dit l’Ecriture : « Que le Dieu d’Israël est bon à ceux dont le coeur est droit  3! » Mais cet autre coeur est tortueux,

 

1. Rom. I, 17. — 2. Osée, XXV, 10. — 3. Ps. LXXII, 1.

 

comment le redresser? Il est tortueux et endurci; qu’on brise alors ce coeur tortueux et endurci, qu’on le brise et qu’on le redresse. Tu ne saurais redresser ton coeur mais c’est à toi de le briser, Dieu le redressera. Comment le briser, le rendre contrit? En confessant tes péchés, en les châtiant toi-même. Que veut-on dire autre chose, en se frappant la poitrine? A moins peut-être de croire que nous frappons nos poitrines parce que toutes sont coupables. Mais non, c’est dire par là que nous brisons nos coeurs afin que Dieu les redresse.

8. « Dieu donc guérit ceux dont le coeur est brisé », contrit. Et cette guérison du coeur sera parfaite, quand notre corps sera complètement réparé, selon la promesse que nous en avons. Que fait cependant le médecin? Il bande tes blessures, afin que tu puisses arriver à la santé pleine et entière, et que tout ce qui a été brisé et bandé redevienne solide. Quelles bandes nous seront appliquées? Les sacrements de cette vie. Ces sacrements qui nous consolent, sont autant de bandages qui guérissent nos meurtrissures; ce que nous disons en vous parlant, ces exhortations qui frappent vos oreilles et qui passent, tout ce que l’on fait ici-bas dans l’Eglise, tout cela est appareil pour vos plaies. De même qu’après la parfaite guérison le médecin enlève tout appareil, de même dans la cité de Jérusalem, quand nous serons semblables aux anges, pensez-vous que nous recevrons encore ce que nous recevons ici? Aurons-nous besoin de lire l’Evangile pour affermir notre foi? Les pasteurs nous imposeront-ils les mains? Tous ces appareils de nos meurtrissures disparaîtront, quand la santé sera parfaite ; mais il n’y aurait point de guérison sans ces appareils. « Il guérit ceux dont le coeur est brisé, il bande leurs meurtrissures ».

9. « Il compte la multitude des étoiles, et les appelle par leurs noms 1 ». Qu’y a-t-il de grand pour Dieu à compter les étoiles? Les hommes ont essayé de les compter ; à eux de voir s’ils ont réussi; et toutefois ils n’en feraient point l’essai, s’ils n’espéraient y parvenir. Laissons-les, avec tout ce qu’ils ont pu faire, et au point qu’ils ont pu atteindre; mais pour Dieu, rien de grand à compter toutes les étoiles. Repassera-t-il ce nombre dans sa

 

1. Ps. CXLVI, 4.

 

260

mémoire, de peur de l’oublier? Est-il bien étonnant que Dieu compte les étoiles quand il compte les cheveux de notre tête 1?  Il est évident, mes frères, que Dieu veut nous montrer un sens caché dans ces paroles: « Il compte la multitude des étoiles, et les appelle par leurs noms ». Ces étoiles sont les flambeaux de l’Eglise, qui nous consolent dans cette nuit terrestre, et dont l’Apôtre a dit : « C’est au milieu d’eux que vous apparaissez, comme des flambeaux dans ce monde ». . « Dans cette nation tortueuse et perverse », nous dit-il, « vous apparaissez au milieu d’eux comme des flambeaux dans le monde, portant en vous la parole de vie 2». Telles sont les étoiles comptées par le Seigneur; il connaît et il compte ceux qui doivent régner avec lui, être unis au corps de son Fils unique. Il ne compte point celui qui en est indigne. Beaucoup ont embrassé la foi, ou plutôt beaucoup se sont unis à son peuple avec une ombre, une apparence de foi; mais il sait ce qu’il doit compter et ce qu’il doit vanner. L’Evangile est parvenu à un point qui justifie cette parole : « J’ai annoncé et parlé : et ils se sont multipliés au-delà du nombre 3 ». Il y a donc parmi les peuples, des surnuméraires en quelque sorte. Comment surnuméraires? C’est-à-dire plus nombreux ici-bas que dans le ciel. Le peuple qui est dans cette enceinte est plus nombreux qu’il ne sera dans le royaume de Dieu, dans la Jérusalem du ciel; voilà les surnuméraires. Que chacun examine s’il brille dans les ténèbres, s’il est insensible aux séductions des ténèbres et des iniquités de ce monde : s’il n’est ni séduit ni vaincu, il sera comme une étoile que compte le Seigneur.

10. « Il appelle toutes les étoiles par leurs noms » ; c’est là toute notre récompense. Nous avons des noms devant Dieu, et qu Dieu connaisse ces noms, c’est ce qu’il nous faut désirer; c’est là que doivent tendre nos actiens et nos efforts, autant qu’il nous est possible : n’ayons de joie pour rien autre chose, pas même pour un don spirituel. Qu votre charité veuille bien m’écouter : les dons sont nombreux dans l’Eglise, comme l’a dit l’Apôtre: « L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse; l’autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science ;

 

1. Matth. X, 30. — 2. Philipp, II, 15, 16. — 3. Ps. XXXIX, 6.

 

un autre le don de la foi par le même Esprit; un autre le don de guérir les maladies; un autre le don de discerner les esprits », c’est-à-dire de juger entre les bons esprits et les méchants; « un autre le don des langues, un autre le don de prophétie ! » Que n’a-t-il pas énuméré ! Combien ces dons sont nombreux! Et pourtant beaucoup qui auront fait de ces dons un mauvais usage entendront à la fin : « Je ne vous connais pas ». Et que répondront à la fin ceux à qui l’on dira: « Je ne vous connais pas? — Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en votre nom, et en votre nom chassé les démons, et en votre nom encore opéré de grands prodiges ? »

Tout cela en votre nom. Et que leur dira le Seigneur? « En vérité, je ne vous connais point, retirez-vous de moi, ouvriers d’iniquité 2 ». Quel avantage donc à être une lumière du ciel, éclairant les autres sans se laisser vaincre par la nuit? « Je vous enseigne une voie bien supérieure encore » ,dit l’Apôtre 3. « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai point la charité, je suis un airain sonnant, une cymbale retentissante ». Quel don de parler les langues des anges et des hommes! « Et pourtant si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un airain sonore, qu’une bruyante cymbale. Quand je pénétrerais tous les mystères, toute la science, quand j’aurais le don de prophétie et une foi capable de transporter les montagnes » (quels dons éminents, mes frères !), « si je n’ai la charité, je ne suis rien ». Combien grand encore le don du martyre, et de donner son bien aux pauvres! Et toutefois « quand même», poursuit l’Apôtre, « quand même je distribuerais mon bien aux pauvres, quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai la charité, tout cela ne me sert de rien 4 ». Quiconque, dès lors, n’a point la charité, peut bien posséder ces dons pour un temps, mais ils lui seront ôtés; on lui ôtera ce qu’il a parce qu’il lui manque quelque chose; et ce qui lui manque est précisément ce qui lui assurerait la possession du reste, et l’empêcherait de périr lui-même. Que nous dit maintenant le Seigneur? « A celui qui possède, on donnera encore; et à celui qui n’a point, on ôtera même ce qu’il a 5». Donc, pour celui qui n’a pas, on lui

 

1. I Cor. XII, 8-10. — 2. Matth. VII, 22, 23. — 3. I Cor. XII, 31, — 4. Id. XIII, 1-3. — 5. Matth. XIII, 12.

 

261

 

ôtera même ce qu’il possède. Il a la grâce de posséder quelque don, mais il n’a pas la charité qui en use. Aussi voulut-il inculquer cette charité à ses disciples, afin de les faire marcher dans le ciel comme des étoiles dans la voie suréminente, celui qui compte les étoiles et les appelle par leurs noms. En effet, un jour ces disciples revinrent de la mission qu’il leur avait confiée, et dans leur joie ils s’écriaient : « Seigneur, voilà que les esprits immondes nous sont soumis à cause de votre nom » . « Mais celui qui compte les étoiles, et les appelle par leurs noms », sachant bien que plusieurs diront : N’avons-nous pas chassé les démons en votre nom? et qu’on leur répondra au dernier jour: « Je ne vous connais point », parce qu’il ne les avait point comptés parmi les étoiles, ni appelés par leurs noms, celui-là, dis-je, leur répondit: « Ne vous réjouissez point de ce que les esprits vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel 1. C’est lui qui compte les étoiles si e nombreuses et les appelle par leurs noms.»

11. « Notre Dieu est grand ». Le Prophète est plein de joie, il la répand d’une manière ineffable. Impuissant à parler, il avait du moins la pensée autant qu’il en était capable. « Notre Seigneur est grand, grande est sa puissance, et sa sagesse n’a point de nombre 2 ». On ne saurait compter celui qui suppute le grand nombre des étoiles. «Grand est notre Dieu, grande sa puissance, et osa sagesse n’a point de nombre ». Qui pourrait exposer le sens de ces paroles? Qui pourrait même comprendre d’une manière convenable cette parole .: « Et sa sagesse n’a point de nombre? » Dieu veuille se répandre lui-même dans vos âmes, et suppléer dans sa puissance à notre faiblesse, éclairant lui-même vos esprits, afin que vous compreniez ce que signifie « La sagesse n’a point de nombre ». Peut-on, mes frères, compter les grains de sable? Impossible à nous, Dieu seul le peut. Lui qui a compté les cheveux de notre tête 3, peut aussi compter les grains de sable. Tout ce qu’il y a d’infini dans ce monde, peut bien être infini pour les hommes, et non toutefois pour Dieu; c’est peu dire, pour Dieu, les anges  peuvent le compter : «Son intelligence n’a point de nombre ». Au-dessus de tous les calcule

est son intelligence, et nous ne saurions la

 

1. Luc, X, 17,20. — 2. Ps. CXLVI, 5. — 3. Matth. X, 30.

 

compter. Qui peut compter le nombre même? C’est du nombre que l’on se sert pour compter, et quel que soit votre calcul vous prenez le nombre; mais qui comptera le nombre même? il est tout à fait innombrable. Qu’est-ce donc en Dieu que ce nombre, par lequel il a tout fait, et où il a tout fait, pour qu’on lui dise : « Vous avez réglé toutes choses avec mesure, avec nombre et avec poids 1 ? » Qui pourrait évaluer le nombre, supputer la mesure, peser la pesanteur où Dieu a tout réglé? « Son intelligence donc n’a point de nombre ». Que la voix de l’homme se taise, que sa pensée devienne muette; que les hommes ne s’efforcent peint de comprendre ce qui est incompréhensible; qu’ils tâchent seulement d’y avoir une part, puisque nous y aurons part un jour. Nous ne serons point ce que nous comprenons, et nous ne pourrons le comprendre entièrement, mais nous en ferons partie; car il est dit de Jérusalem, dont Dieu rassemble les débris dispersés, il est dit une parole d’un grand sens: « Jérusalem qui est construite comme une cité, et dont les habitants participent à ce qui est le même 2 ». Or, qu’est-ce à dire, ce qui est le même, sinon ce qui ne change point? Tout ce qui est créé peut être d’une manière ou d’une autre; mais celui qui a tout créé ne saurait être de telle ou telle manière. Celui-là est donc le même; aussi est-il dit : « Vous les changerez, et ils seront changés; mais vous êtes toujours le même, et vos années ne finiront point 3 ». Si donc Dieu est toujours le même, s’il ne peut changer; en participant à sa divinité, nous deviendrons immortels à notre tour, et pour la vie éternelle. Et tel est le gage qu’il nous a donné en son Fils, comme je le disais tout à l’heure à votre sainteté, qu’avant de nous donner part à son immortalité, il a voulu prendre part à notre mortalité. Et comme il était mortel, non par sa propre substance, mais par la nôtre; de même nous serons immortels, non par notre substance, ruais par la sienne. Nous aurons donc part en Dieu; que nul n’en doute; l’Ecriture nous l’affirme. Et quelle part aurons-nous en Dieu, comme si Dieu était en plusieurs parts indivisibles? Qui pourra m’expliquer comment plusieurs pourront avoir part en celui qui est un, qui est simple? N’exigez pas de moi que je vous

 

1 Sag. XI, 21, — 2. Ps. CXXI, 3. — 3. Id. CI, 27, 28.

 

262

 

explique ce qui est inexplicable, vous le voyez; mais revenez au remède que vous offre le Sauveur; brisez vos coeurs, brisez la dureté de l’âme, domptez ce qu’elle a d’inflexible, qu’elle confesse le mal qu’elle a fait, et renaisse dans le bien. Lui-même nous redressera, bandera nos blessures, affermira notre santé, et alors nous ne rencontrerons plus  d’impossibilité dans ce qui nous est impossible aujourd’hui. Il est bon, en effet, de confesser sa faiblesse, quand on veut parvenir à la divinité. « Et son intelligence n’a point de nombre ».

12. Aussi dans cette impossibilité de comprendre, le Prophète vient te montrer ce que tu dois faire, et te dit : « Le Seigneur reçoit ceux qui sont doux ». Tu ne comprends rien par exemple aux choses de Dieu, ou tu les comprends peu, ou tu ne saurais les pénétrer ; rends honneur à son Ecriture, honneur à sa parole, fût-elle voilée ; attends pieusement que tu puisses comprendre. Loin de toi la témérité d’accuser l’Ecriture ou d’obscurité ou de perversité. Il n’y a rien de mauvais, mais il y a de l’obscur, non que Dieu te veuille rien refuser, mais il veut te stimuler avant de te le donner. Si donc il y a de l’obscurité, c’est le médecin qui l’a voulu, afin de te forcer à frapper à la porte; il l’a voulu afin de t’exercer quand tu frappes, il l’a voulu, afin de n’ouvrir qu’à tes efforts 1. Frapper sera pour toi un exercice, et cet exercice dilatera ton coeur, et ton coeur dilaté sera plus capable de recevoir ses dons. Loin donc de t’irriter de ces obscurités, sois doux, plein de mansuétude. Garde-toi de regimber contre, ces obscurités, et de dire : Il ferait mieux de s’exprimer de la sorte. Depuis quand peux-tu dire ou juger de quelle manière on eût dû s’exprimer? Dieu a parlé comme il convenait de parler. Ce n’est point au malade à réformer les remèdes qu’on lui donne, le médecin sait les tempérer; crois en à celui qui travaille à te guérir. Aussi, que dit le Prophète? « Le Seigneur reçoit ceux qui sont doux ». Garde-toi donc de résister aux secrets de Dieu, afin qu’il te reçoive. Si tu veux résister, écoute ce qui suit : « Il abat les pécheurs jusqu’à terre ». Il y a des pécheurs de beaucoup de sortes; mais quels sont ces pécheurs qu’il humilie jusqu’à terre, sinon ceux qui sont opposés aux hommes doux? Dire en effet du

 

1. Matth. VII, 7.

 

Seigneur : « Qu’il reçoit les hommes doux et qu’il abat jusqu’à terre les pécheurs », c’est désigner par cette douceur, de quels pécheurs il est question. Ici nous entendons par pécheurs ceux qui manquent de douceur et de mansuétude. Pourquoi les humilier jusqu’à terre, sinon parce qu’en regimbant contre les choses spirituelles, ils n’auront plus que des sentiments terrestres?

13. C’est ainsi qu’il a traité les hommes qui voulaient se rire de la loi avant de la connaître, et qui ont manqué de docilité. Que votre charité comprenne bien ceci. Il s’est élevé une secte dépravée, celle des Manichéens, qui a tourné en dérision les Ecritures qu’on lit dans l’Eglise, et dont on respecte l’autorité; qui a osé condamner ce qu’elle n’entendait pas, et en jetant le blâme sur des questions qu’elle soulevait sans les comprendre, elle en a pris beaucoup dans ses filets. Pour les châtier de cette audace, Dieu les humilia jusqu’à terre ; il ne leur permit pas de comprendre les choses d’en haut, et dès lors ils n’eurent du goût que pour les choses terrestres. On n’entend dans leurs fables que des blasphèmes, que des imaginations de fantômes corporels : ils ont voulu connaître Dieu, et une fois arrivés à la pensée de cette lumière visible, ils n’ont pu aller au delà. Alors ils ont imaginé, dans le royaume de Dieu, de vastes plaines d’une lumière semblable à celle du soleil visible, dont ils ont fait un fruit de

cette lumière. Or, tout ce que l’on touche par la terre de cette chair, est terre aux yeux de Dieu. Nous avons des moyens de voir, d’entendre, de flairer, de goûter, de toucher. C’est par ces messagers appelés nos cinq sens, que cette chair peut connaître seulement ce qui est corporel ; quant aux choses intelligibles et spirituelles, nous les connaissons par l’esprit. Comme donc ces orgueilleux ont tourné en dérision les obscurités des saintes Ecritures, qui n’étaient pour eux une porte close qu’afin de les exercer en frappant à cette porte, et non pour en refuser l’entrée aux humbles, voilà qu’ils sont abattus sur la terre, au point de ne pouvoir élever leurs pensées au-delà de ce que la terre nous fait connaître. Et que faut-il entendre par cette terre? La chair. Pour eux, en effet, la terre est cette chair faite de la terre. Tout ce que l’on connaît par les yeux est terrestre ; tout ce que nous rapportent les oreilles, l’odorat, le goût, le toucher, (263) tout cela est terrestre, parce que nous ne le connaissons que par la terre. Ils n’ont donc pu comprendre cette intelligence qui est sans nombre. C’est pourquoi ils ont condamné les saintes Ecritures qui couvrent les vérités de certains voiles, afin d’exercer utilement les humbles, et ce blâme les a jetés dans une indocilité opposée à la douceur, et ils ont été humiliés jusqu’à terre, en sorte qu’ils n’ont pu comprendre Dieu qui est incorporel, et que leurs pensées sur Dieu n’étaient rien moins que corporelles et grossières.

14. « Dieu donc abat les pécheurs jusqu’à terre ». Que nous faut-il faire dès lors, si nous ne voulons être humiliés jusqu’à terre? li est difficile de s’élever aux choses qui sont purement d’intelligence, difficile d’arriver à ce qui est spirituel, difficile d’élever son coeur de manière à comprendre qu’il y a quelque chose qui ne s’étend point selon les lieux, ne varie point avec le temps. Quelle idée, en effet, se fera-t-on de la sagesse? Quelle forme lui donner? Une forme longue? une forme carrée? une forme ronde? Est-elle tantôt ici, et tantôt là ? Un homme réfléchit sur la sagesse dans l’Orient, un autre dans l’Occident; à un tel intervalle, elle est présente à chacun d’eux, s’ils se la représentent convenablement. Que dis-je ici ? Qui peut le comprendre ? Qui peut se faire une idée de cette nature immuable et en quelque sorte divine? Ne te hâte point trop, tu pourras la comprendre. Ecoute ce qui suit: « Commencez devant le Seigneur par la confession 1 ». C’est par là qu’il te faut commencer, si tu veux arriver à connaître parfaitement la vérité ; si tu veux arriver,par la foi à la claire vue, commence par la confession. Accuse-toi tout d’abord, et après cette accusation bénis le Seigneur. Invoque celui que tu ne connais point encore, qu’il vienne et se fasse connaître ; non point qu’il vienne lui-même sans doute, mais qu’il te conduise jusqu’à lui. Comment vient-il là d’où il ne se retire jamais ? Telle est, en effet, la sagesse parfaite, qu’elle est partout et loin des méchants. Oui, dis-je, elle est par         tout, et néanmoins elle est loin des méchants qui sont partout. Mais je vous le demande, comment être éloignée de quelques-uns et néanmoins être partout? Qu’est-ce que cet éloignement, sinon que les méchants ne ressemblent point à Dieu, et qu’ils effacent en

 

1. Ps. CXLVI, 7.

 

eux-mêmes son image ? Ils se sont retirés de Dieu parce qu’ils ont perdu la ressemblance avec lui; qu’ils se réforment afin de se rapprocher de lui. Comment nous réformer, diront-ils, et quand nous réformer? «Commencez devant Dieu par la confession ». Et après cette confession ? Faites des bonnes oeuvres. « Chantez à notre Dieu sur la harpe ». Qu’est-ce à dire, sur la harpe ? Je vous l’ai dit déjà chanter sur la harpe a le même sens que chanter un psaume sur le psaltérion; c’est bénir le Seigneur non-seulement de la voix, mais aussi par les œuvres. « Chantez à notre Dieu sur la harpe ».

15. Ainsi donc confessez vos fautes, faites des oeuvres de miséricorde, voilà ce que veut dire : « Chantez des psaumes à notre Dieu ». Quel est votre Dieu? « Celui qui couvre le ciel de nuages 1 ». Qu’est-ce à dire qu’il couvre le ciel de nuées ? Qui couvre ses Ecritures de figures et de mystères. Celui qui abat les pécheurs jusqu’à terre, qui adopte les humbles, « couvre aussi le ciel de nuages ». Et comment voir le ciel que des nuages nous dérobent? Loin de toi toute crainte, écoute ce qui suit: « Celui qui couvre le ciel de nuages, et qui prépare des pluies à la terre ». A cette parole : « Qui couvre le ciel de nuages », tu as été dans la stupeur, tu as craint de ne point voir le ciel; mais quand la pluie sera venue, tu produiras des fruits, et tu verras le ciel serein. « C’est lui qui couvre le ciel de nuages, qui prépare à la terre des pluies ». Voilà ce qu’a fait le Seigneur notre Dieu. Si l’obscurité des saintes Ecritures ne nous en fournissait l’occasion, nous ne vous dirions pas ces vérités qui vous réjouissent. C’est peut-être cette pluie qui vous réjouit. Notre langue n’aurait pu la répandre sur vous, si Dieu n’avait couvert le ciel des saintes Ecritures de nuages figuratifs. Il couvre donc le ciel de nuages, afin de préparer la pluie à la terre. Il a voulu que les prophéties fussent obscures, afin qu’en les expliquant les serviteurs de Dieu eussent ainsi le moyen de les verser dans l’oreille et dans le coeur des hommes qui peuvent recevoir de ces nuées la surabondance des joies spirituelles, « C’est lui qui couvre le ciel de nuages, qui prépare à la terre des pluies».

16. « C’est lui qui fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour l’usage des

 

1. Ps. CXLVI, 8.

 

264

 

hommes ». C’est là le produit de la pluie. « Il fait croître le foin sur les montagnes ». Ne croît-il pas aussi dans les vallées? Mais ce qui est plus à remarquer, c’est sur les montages. Le Prophète appelle montagnes les grands du monde; il te faut donc entendre par ces montagnes ceux qui sont élevés en dignité. Et il n’y a ici rien d’étonnant. Une veuve déposa dans le trésor deux pièces de monnaie 1; c’est la terre basse, la terre humble qui produit du fruit; mais une montagne en produisit aussi, ce fut Zachée, le chef des publicains 2. C’est ce qui était plus admirable, qu’une montagne produisît du foin. Plus les hommes sont élevés en dignité, plus leur avarice est grande, et plus ils sont grands en ce monde, plus ils aiment les richesses. De là vient qu’il s’en alla triste, ce jeune homme qui demandait à Jésus-Christ ce qu’il devait faire pour gagner la vie éternelle, en l’appelant bon Maître, et en disant : « Pour  avoir la vie éternelle, que ferai-je? » Et le Sauveur : « Observe les commandements ». « Quels commandements? » Et le Sauveur: Les commandements de la loi. « Je les ai observés dès ma jeunesse. Il te manque un point cependant : veux-tu être parfait? Va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres , et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens et suis-moi ». Que dit ainsi le Sauveur? Tu es une montagne, reçois la pluie, et produis du foin. Que pourrais-tu produire, sinon du foin? Qu’est-ce, en effet, que du foin, que tous ces dons que font les riches aux Eglises, pour subvenir aux besoins de ceux qui servent Dieu? Tout cela est charnel et n’apparaît que pour un temps ; mais la récompense que l’on gagne ainsi n’est point charnelle. Vois en effet ce que tu peux acheter au prix de biens si méprisables. L’Apôtre nous l’indique en nous montrant que tout cela n’est que du foin : « Si nous avons semé parmi vous les biens spirituels, est-ce une grande chose « que nous récoltions quelque peu de vos biens temporels 3? » Or, comprends que les biens charnels ne sont que du foin. « Toute chair n’est que du foin, et toute sa gloire tombera comme la fleur du foin 4 ». Ce jeune homme donc s’en alla triste, et le Sauveur de s’écrier : « Combien difficilement un

 

1. Marc, XII, 42. — 2. Luc, XIX, 2-8. — 3. I Cor. IX, 11. — 4. Isaïe, XL, 6.

 

riche entrera dans le royaume des cieux! » Ce qui est donc admirable, c’est que Dieu fasse croître le foin sur les montagnes. Et comment le fait-il croître, si ce riche s’en va triste, dès qu’il entend qu’il doit donner son bien aux pauvres? Que répond le Sauveur aux Apôtres contristés? « Ce qui est difficile pour l’homme est facile à Dieu 1 ». C’est donc celui à qui tout est facile qui fait croître le foin sur les montagnes. Rien n’est plus stérile, en effet, que les roches des montagnes. Mais Dieu les arrose, lui qui « fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour les hommes tenus à la servitude». Quelle servitude? Ecoutez saint Paul. « Nous sommes», dit-il, « vos serviteurs à cause de Jésus-Christ 2». Voilà qu’il s’appelle serviteur, celui qui disait : « Est-ce une grande chose, qu’après avoir semé parmi vous les biens spirituels, nous récoltions quelque peu de vos biens charnels? » Nous sommes en effet des serviteurs pour vous, mes frères. Que nul d’entre nous ne se dise plus grand que vous. Nous serons plus grands si nous sommes plus humbles. « Quiconque d’entre vous veut être le plus grand, sera votre serviteur 3 », c’est la sentence du divin Maître. Donc, « il fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour les hommes de service ». L’apôtre saint Paul vivait du travail de ses mains, préférant l’indigence au foin des montagnes; et toutefois les montagnes produisaient du foin. Mais parce qu’il n’en voulait point recevoir, les montagnes devaient-elles n’en point donner et demeurer stériles? Le fruit est dû après la pluie; on doit la nourriture au serviteur, comme l’a dit le divin Maître : « Mangez de ce qui est à eux ». Et de peur que ceux-ci ne crussent donner du leur : « Tout ouvrier », ajoute le Sauveur, « est digne de sa récompense

17. C’est pourquoi, mes frères, de même que déjà nous avons saisi l’occasion de vous parler à ce sujet, nous vous en parlons encore aujourd’hui, et d’autant plus librement, que nous ne vous demandons rien de ce genre. Et si nous vous demandions, nous chercherions en cela plutôt votre avantage, plutôt votre sanctification que vos richesses. Toutefois, encore un mot, mais bien court, j’ai déjà été bien long, et il est temps de finir;

 

1. Matth. XLX, 16-26. — 2. II Cor. IV, 5. — 3. Matth. XI, 26 — 4. Luc, X, 7, 8.

 

Si vous ne voulez être stériles, si la pluie a produit en vous la fécondité, si vous craignez que Dieu ne condamne en vous la stérilité, (car Dieu menace du feu la terre stérile qui ne produit que des épines 1, comme il prépare ses greniers pour celle qui est féconde) efforcez-vous d’exiger de vous-mêmes ce qui est dû à Dieu; soyez pour vous de sévères exacteurs. Le Christ l’exige en silence, et cette voix peu bruyante n’en est que plus grande, puisqu’il nous parle dans son Evangile. Ce n’est point se taire complètement que dire : « Faites-vous des amis avec la monnaie de l’iniquité, afin qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels 2». Il ne garde point le silence, écoutez sa voix. Nul ne saurait vous presser à ce sujet, à moins peut-être que ceux qui vous servent dans le ministère de l’Evangile n’en soient réduits à vous demander, Mais si vous les forcez à vous demander, prenez garde que vous n’obteniez point ce que vous-mêmes demandez à Dieu. Soyez donc vos propres exacteurs, de peur que ceux qui vous servent dans l’Evangile n’en soient réduits, je ne dis pas à demander, car ils ne demandent point , quelque besoin qu’ils éprouvent; mais de peur que leur silence ne soit pour vous une condamnation. De là cette parole du Prophète : « Heureux celui qui comprend le pauvre et l’indigent 3 ». Dire qu’il comprend le pauvre et l’indigent, c’est dire qu’il n’attend point qu’on lui demande. L’un te cherche parce qu’il n’a rien; mais toi, tu dois chercher un autre pauvre. L’Ecriture nous recommande l’un et l’autre, mes frères; ici : « Donne à quiconque te demande 4 », nous l’avons lu tout à l’heure; et dans un autre endroit: « Que l’aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu trouves un juste à qui la donner ». Celui-ci te demande, mais pour l’autre tu dois le chercher. Ne renvoie pas les mains vides celui qui te cherche : « Donne à quiconque te demande » ; mais il en est un autre que tu dois toi-même chercher : « Que ton aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu rencontres un juste, à qui tu la donneras». C’est ce que vous ne pourrez pratiquer, si vous ne mettez en réserve quelque peu de vos revenus, ce que chacun voudra, et selon que lui permet sa fortune, comme il ferait d’un argent dont il serait débiteur envers le fisc. Car le Christ a aussi son

 

1. Héb. VI, 7, 8.— 2. Luc, XVI, 9. — 3. Ps. XL, 2. — 4. Luc, VI, 30.

 

fisc, à moins qu’il n’ait point son gouvernement. Vous savez en effet ce qu’est le fisc, ou fiscus: c’est un grand panier; de là viennent fiscella, petit panier, et fiscina, corbeille. Ne vous imaginez pas que ce mot fiscus soit quelque dragon, parce qu’on n’entend parler qu’avec terreur d’un collecteur du fisc. Le Seigneur avait aussi son fisc ou sa cassette, quand sur la terre il portait ses deniers, et ces deniers étaient confiés à Judas 1. Le Sauveur souffrait avec lui ce traître, ce voleur, pour nous donner en cela un modèle de patience. Toutefois, ceux qui donnaient cet argent le donnaient pour le Sauveur; car ne croyez pas que le Sauveur ait couru çà et là, ait mendié, ou ait été dans le besoin, lui que servaient les anges, et qui avec cinq pains rassasia tant de milliers d’hommes. Pourquoi donc voulut-il éprouver le besoin, sinon pour donner l’exemple aux montagnes, qui ont dû produire du foin, et non demeurer stériles sous l’action de la pluie? Retranchez quelque peu, jetez dans les coffres de Jésus-Christ une somme déterminée que vous déduirez des revenus de chaque année, ou du gain de chaque jour. Car on dirait que tu donnes de ton fonds, et dès lors ta main tremble nécessairement quand elle s’étend à ce que tu n’as point résolu de donner. Retranche donc une partie de tes revenus. Est-ce la dîme? Eh bien ! donne la dîme, quoique ce soit bien peu. Car il est marqué dans l’Evangile que les Pharisiens donnaient la dîme. « Je jeûne deux fois la semaine »,disait l’un deux, « je donne la dîme de tout ce que je possède 2 ». Et que dit le Seigneur : « Si votre justice ne surpasse de beaucoup celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux 3 ». Et pourtant, cet homme que tu dois surpasser en justice donne la dîme; et toi tu n’en donnes pas la millième partie. Comment le surpasser, quand tu ne saurais même l’égaler? « C’est Dieu qui couvre le ciel de nuages, qui prépare des pluies à la terre, qui fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour ceux des hommes qui servent les autres ».

18. « Il donne aux troupeaux leur nourriture 4 ». Ces troupeaux sont les troupeaux du Seigneur, qui ne prive point son bercail de cette nourriture que lui servent les hommes,

 

1. Jean, XII, 6.— 2. Luc, XVIII, 12. — 3. Matth. V, 20. — 4. Ps. CXLVI, 9.

 

266

 

et à ces hommes qui servent les autres il fait croître l’herbe. De là cette parole de l’Apôtre:

« Celui qui fait paître le troupeau, ne mangera-t-il pas de son lait 1? C’est lui qui donne leur nourriture aux troupeaux et aux petits des corbeaux qui l’invoquent». Allons-nous croire que les corbeaux invoquent le Seigneur pour recevoir de lui leur nourriture? Gardez-vous de croire qu’un animal sans raison invoque le Seigneur, il n’y a pour l’invoquer que l’âme raisonnable. Il y a donc ici une figure, et ne croyez pas, comme l’ont dit certains impies, que l’âme de l’homme retourne après la mort dans les bestiaux, dans les chiens, les porcs, les corbeaux. Loin de vous, loin de votre foi ces pensées. L’âme de l’homme est faite à l’image de Dieu 2, et Dieu ne donnera point son image à un chien, à un pourceau. Que signifie donc: « Et aux petits des corbeaux qui lui demandent leur nourriture? » Quels sont ces petits des corbeaux? Les Israélites se vantaient d’être les seuls justes, parce qu’ils avaient reçu la loi, et ils regardaient comme pécheurs les hommes des autres nations. Et en effet toutes les autres nations étaient plongées daims le péché, dans l’idolâtrie, dans le culte de la pierre et du bois ; mais y sont-ils demeurés? Et si nos pères, qui étaient des corbeaux, n’invoquaient pas Dieu, nous, les fils de ces corbeaux, ne l’invoquons-nous point? « Il donne aux troupeaux leur nourriture, et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ». C’est bien aux petits des corbeaux que saint Pierre a dit: « Ce n’est point par des objets corruptibles, comme l’or et l’argent, que vous avez été rachetés de la vie pleine de vanité que vous suiviez à l’exemple de vos pères 3». Car ces petits des corbeaux qui semblaient adorer les idoles de leurs pères se sont convertis à Dieu ; et aujourd’hui le petit du corbeau n’invoque et n’adore qu’un seul Dieu. Quoi donc? diras-tu à ce petit du corbeau : As-tu bien pu quitter ton père? Oui, tout à fait ; car le corbeau n’invoquait pas Dieu, et moi, le petit du corbeau, j’invoque le Seigneur. « Et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ».

19. « Il ne met pas sa complaisance dans la puissance du cheval 4 ». Cette puissance du cavalier, c’est l’orgueil. On dirait que le cheval est né afin de porter l’homme et de l’élever plus haut ; de là cette encolure qui, chez

 

1. I Cor. IX, 7. — 2. Gen. I, 26. — 3. I Pierre, I, 18.— 4. Ps. CXLVI, 10.

 

cet animal, témoigne de sa fierté, Que les hommes ne se glorifient point de leurs dignités, qu’ils ne se croient point élevés par les honneurs qu’ils reçoivent, qu’ils prennent garde qu’ils n’en soient précipités comme d’un cheval fougueux. Vois en effet ce que dit un autre psaume: « Ceux-ci se glorifient de leurs chariots, ceux-là de leurs chevaux; mais nous, c’est dans te nom du Seigneur notre Dieu ». C’est-à-dire, les uns se glorifient de leurs honneurs temporels, mais nous du nom du Seigneur que nous adorons. Aussi, que leur est-il arrivé ? Voyez ce qui suit: « Leurs pieds se sont embarrassés, et ils sont tombés ; mais nous nous sommes relevés et tenus debout 1. Car le Seigneur ne met point sa complaisance, et ne met point ses délices dans les tabernacles de l’homme». « Dans les tentes de l’homme », dit le Psalmiste; car la tente de Dieu c’est l’Eglise répandue par toute la terre. Les hérétiques, en se séparant des tabernacles de l’Eglise, ont élevé des tentes pour eux-mêmes, et c’est dans ces tabernacles de l’homme que Dieu ne met point ses complaisances. Mais écoute le petit du corbeau qui dit : « J’ai choisi l’abjection dans la maison du Seigneur, plutôt que d’habiter dans les tentes des pécheurs » Qu’un homme de bien, qu’un homme pieux qui connaît sa faiblesse, que ce petit du corbeau qui invoque le Seigneur, vienne à être sans dignité temporelle dans l’Eglise, il ne s’en sépare point pour cela, il ne se fait point en dehors de l’Eglise une tente en laquelle Dieu ne mettrait point ses complaisances. Mais que dit-il ? « J’ai choisi l’abjection dans la maison  du Seigneur, plutôt que d’habiter dans les tabernacles des pécheurs; et Dieu ne fera point ses délices des tabernacles de l’homme».

20. Que dit encore le Prophète ? « Il mettra ses complaisances dans ceux qui le craignent, et dans ceux qui espèrent en sa miséricorde 3 ». Dieu se plaît dans ceux qui

le craignent. Mais craint-on Dieu comme on craindrait un voleur? On craint en effet le voleur, on craint la bête féroce, on craint beaucoup l’homme injuste et puissant. « Le Seigneur mettra ses complaisances dans ceux qui le craignent ». Mais comment le craignent-ils? « En mettant leur espérance dans sa miséricorde ». Judas qui trahit le Christ

 

1. Ps. XLX, 8.9. — 2. Id. LXXXIII, 11. — 3. Id. CXLVI, 11.

 

267

 

craignait Dieu, mais sans espérer dans sa miséricorde. Il se repentit d’avoir livré le Seigneur et s’écria : « J’ai péché en livrant le sang du juste. Craindre Dieu était bien, mais il fallait espérer dans la miséricorde de ce Dieu que tu craignais. Le désespoir l’emporta et il alla se pendre 1. Crains donc le Seigneur, mais en espérant dans sa miséricorde. Si tu crains un voleur, tu attends aussi du secours, mais non de l’homme que tu crains. C’est à l’homme que tu ne crains pas que tu demandes protection contre celui que tu crains. Si tu crains Dieu, et si tu le crains parce que tu es pécheur, qui te protégera contre Dieu? Où aller? Que faire ? Veux-tu échapper à Dieu? Cherche en lui un refuge. Veux-tu fuir sa colère? Cherche un refuge dans sa clémence. Tu le rendras clément si tu espères dans sa miséricorde. Du reste, évite le péché à l’avenir, et quant aux fautes passées, supplie le Seigneur de te les pardonner. A lui sont l’honneur et la puissance, en union avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

 

1. Matth. XXVII, 4, 5.

 

 

Haut du document

 

 

 

Précédente Accueil Suivante