PSAUME LXXXIX
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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXIX.

LES FIGURES DE L’ANCIEN TESTAMENT.

 

Moïse n’est pas l’auteur du psaume, comme le titre semble le dire; son nom est emprunté pour montrer que sa législation renfermait des figures de ce qu’annonce ici le Psalmiste. Dieu est avant les montagnes ou les anges, avant la terre ou l’homme; en lui il n’y a que le présent, il est; et c’est son éternité qui est notre refuge contre la mobilité du temps. Qu’il nous soutienne donc. Pour Dieu mille années ne sont qu’un serai jour, de là cette assertion ridicule que la durée du monde sera de six mille ans à cause des six jours, mais en Dieu il n’y a pas de jours; Dieu donc demeure, et les biens du temps ne sont rien devant lui. Notre vie d’ailleurs est bornée à soixante-dix années, pour la plupart, à quatre-vingts pour les plus robustes; or, soixante-dix et quatre-vingt nous donnent cent cinquante, et nous y trouvons quinze nombres sacrés, d’où les quinze cantiques des degrés. Le nombre soixante-dix marquerait alors les promesses de l’Ancien Testament, et quatre-vingt les promesses du Nouveau. Le surplus est fatigue, c’est-à-dire qu’il est dangereux d’aller au-delà des promesses de la foi; elle Seigneur dans sa mansuétude nous corrige pour nous sauver. Nous épargner, et nous laisser dans une vaine félicité, c’est souvent un effet de sa colère. Qu’il nous fasse connaître son Christ, en nous montrant que les biens terrestres ne sont rien, que les biens éternels seuls sont désirables ; qu’il frappe de la gauche pour nous amener à la droite, que nos pieds soient retenus par la sagesse, et que nous rendions témoignage contre la vanité des biens d’ici-bas. Que Dieu donc se laisse fléchir, qu’il nous éclaire un jour de la lumière de sa foi comme il éclairait le peuple ancien par la prophétie; qu’il dirige nos oeuvres, afin qu’elles soient dignes de lui.

 

1. « Prière de Moïse, l’homme de Dieu 1» tel est, nies frères, le titre du psaume ; c’est par cet homme de sa droite, que Dieu donna la toi à son peuple, par ce même homme qu’il l’a délivré de la maison de servitude, pour le conduire pendant quarante ans à travers le désert. Moïse fut donc tout à la fois le ministre de l’Ancien Testament et le Prophète du Nouveau Testament. « Car tout leur arrivait en figure », comme l’a dit l’Apôtre : « et tout cela est écrit pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps 2». Il faut donc envisager ce psaume dans le sens de cette législation de Moïse, qui lui a donné son titre.

2. « Seigneur », dit-il, « vous êtes pour « nous un refuge de génération en génération 3» : soit dans toute génération, soit dans deux générations, l’antique et la nouvelle; comme nous l’avons dit en effet, Moïse fut le ministre de l’Ancien Testament, qui appartenait à l’ancienne génération, et le Prophète du Nouveau Testament qui concernait la génération nouvelle. Aussi Jésus-Christ, qui a garanti l’Ancien Testament, qui a contracté l’alliance nouvelle avec la nouvelle génération, et qui en est devenu l’époux, disait-il: « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez ci aussi , car c’est de moi qu’il a écrit 4 ».

 

1. Ps. LXXXIX, 1. — 2. I Cor. X, 11. — 3. Ps. LXXXIX, 2.— 4. Jean, V, 16.

 

Sans doute, il ne faut point croire que ce psaume ait été écrit par Moïse, puisqu’il n’est écrit dans aucun des livres qui renferment ses cantiques ; mais on a emprunté le nom d’un aussi grand serviteur de Dieu, pour élever jusqu’à Dieu l’attention du lecteur ou de l’auditeur. « Pour nous donc, ô mon Dieu, vous êtes un refuge de génération en génération ».

3. Le Prophète nous montre au verset suivant quel refuge a été pour nous le Seigneur, qui auparavant n’était point pour nous un refuge, bien qu’il existât. « Vous êtes », lui dit le Prophète, « bien avant que soient les montagnes, avant la création de la terre et du monde ; vous êtes de l’éternité à l’éternité 1 » Vous donc qui êtes et avant que nous soyons et avant que le monde soit, vont êtes devenu notre refuge, depuis que nous nous sommes tournés vers vous. Toutefois, je ne crois point que l’on doive entendre d’une manière telle quelle, ce que dit le Prophète: « Avant que se dressent les montagnes, et avant que la terre soit créée », ou blet comme on lit en d’autres exemplaires: « Avant que la terre ait une figure ». Car les montagnes sont les parties les plus élevées de la terre. Et assurément, si Dieu existe avant que la terre soit créée, lui qui est le Créateur, pourquoi parler spécialement des montagnes,

 

1. Ps. LXXXIX, 2.

 

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ou des autres parties de la terre, puisque Dieu existe non-seulement avant la terre, mais avant le ciel et la terre, et avant toute créature matérielle ou spirituelle? Mais peut-être a-t-on voulu par cette distinction mettre une différence entre les créatures raisonnables, et appeler montagnes les anges, et terre les hommes qui sont moins élevés. Aussi, bien que tout soit créé, et que les expressions formé ou fait se puissent employer indistinctement : s’il y a pourtant quelque différence entre ces deux mots, les anges auraient été faits, puisqu’ils sont classés dans les oeuvres du ciel, et que le dénombrement se termine ainsi : « Il dit, et tout fût fait : il commanda et tout fut créé 1». Mais une forme fut donnée à la terre afin qu’en fût tiré le corps de l’homme. Telle est en effet l’expression dont se sert l’Ecriture: « Dieu figura ou forma l’homme du limon de la terre 2». Ainsi donc, ô mon Dieu, vous êtes, et avant que tout ce qu’il y a de grand et de relevé fût fait: qu’y a-t-il en effet de plus grand qu’une créature céleste et raisonnable ? et avant que la terre fût formée, de manière qu’il y eût sur la terre quelqu’un qui pût vous connaître et vous louer ; c’est peu encore, car tout a commencé, soit dans le temps, soit avec le temps, mais « vous êtes depuis le siècle jusqu’au siècle», ou mieux, de l’éternité à l’éternité. Car Dieu n’est pas depuis le siècle, lui qui est avant tous les siècles ; ni jusqu’au siècle qui est borné, tandis que Dieu n’a pas de bornes. Mais à cause de l’ambiguïté de l’expression grecque, il arrive souvent que dans les Ecritures la traduction latine mette le siècle pour l’éternité, et l’éternité pour le siècle. Elle a raison de ne point dire: Vous avez été depuis le siècle, et vous serez jusqu’au siècle : mais elle a employé le temps présent, pour nous exprimer en Dieu une substance immuable, et dans lui il n’y a ni fut ni sera, mais seulement : est. Aussi est-il dit : « Je suis Celui qui suis » ; et: « Celui qui est, m’a envoyé vers vous 3»; et encore: « Vous les changerez, et ils seront changés, mais vous êtes le même, et vos années ne passeront point 4». Telle est l’éternité qui est devenue pour nous an refuge, afin que nous ayons recours à elle dans cette mobilité du temps et que nous y demeurions à jamais.

 

1. Ps. CXLVIII, 5.— 2. Gen. II, 7. — 3. Exod. III, 14.— 4. Ps. CI, 27, 28.

 

4. Mais parce que durant notre séjour ici-bas nous sommes environnés de tentations nombreuses et dangereuses, et que nous avons à redouter qu’elles ne nous éloignent de ce refuge, voyons ce que l’homme de Dieu lui demande ensuite dans sa prière. « Ne jetez pas l’homme dans la bassesse 1 ». C’est-à-dire, qu’il ne se détourne pas de vos biens sublimes et éternels que sous lui promettez, pour désirer les biens temporels et céder à des goûts terrestres. Dès lors il demande à Dieu ce que Dieu veut qu’on lui demande. Car c’est ainsi que notas disons dans notre prière: « Ne nous induisez point dans la tentation 2» Enfin il ajoute : « Et vous avez dit : Convertissez-vous, enfants des hommes ». Comme s’il disait: Je vous demande ce que vous avez ordonné : il rend gloire à sa grâce, « afin que tout homme qui se glorifie se glorifie en Dieu 3 », sans le secours duquel nous ne pouvons par le seul arbitre de notre volonté surmonter les tentations de cette vie. « Ne poussez pas l’homme dans la bassesse», dit le Prophète, et pourtant vous avez dit, Seigneur: « Convertissez-vous, enfants des hommes ». Mais donnez-nous ce que vous avez commandé, en écoutant ma prière, et en soutenant la toi de celui qui veut agir.

5. «Mille ans devant vos yeux, en effet, sont comme le jour d’hier qui s’est écoulé 4 ». Il faut dorme nous détourner de tout ce qui passe et qui s’écoule, pour nous tourner vers votre asile, où vous êtes saros aucun changement; quelque longue en effet que l’on souhaite une vie : « Mille ans devant vos yeux sont comme le jour d’hier, qui s’est écoulé » ; pas même commue le jour de demain qui est à venir tant il est vrai que l’on doit regarder comme écoulé ce qui finit avec le temps! De là vient pour tout cela le mépris de saint Paul qui oubliait tout ce qui est en arrière, c’est-à-dire les choses temporelles, pour s’élancer vers l’avertir 5, ou vers les choses de l’éternité. Et de peur qu’on ne vienne à s’imaginer que mille années sont en Dieu comptées pour un jour, comme si Dieu avait des jours si longs, tandis qu’il n’y a dans cette expression qu’un mépris du temps, quelque prolongé qu’il soit, le Psalmiste ajoute: « Et comme une veille pendant la nuit». Or, une veille ne se prolonge pas au-delà de trois heures. Et toutefois les

 

1. Ps. LXXXIX, 3. — 2. Matth. VI, 13. — 3. I Cor. I, 31. — 4. Ps. LXXXIX, 4. — 5. Philipp. III, 13.

 

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hommes ont osé se promettre la science des temps, et le Seigneur répondait à un tel désir de ses disciples : « Ce n’est point à vous de connaître les temps que le Père a mis en sa  puissance 1 »; ils ont même osé décider que le monde pourrait finir dans l’espace de six mille ans, qui seraient comme six jours. Ils n’ont pas remarqué ce mot du Prophète: « Comme un jour qui est écoulé ». Quand il parlait ainsi, en effet, il ne s’était pas écoulé un millier d’années seulement : et cette autre parole qu’il ajoutait, « comme une veille pendant la nuit », aurait dû les avertir de ne point se laisser égarer dans cette incertitude au sujet du temps. S’ils peuvent en effet donner une certaine vraisemblance à leurs six jours, à cause des six jours que Dieu mit à faire tous ses ouvrages 2, ils ne peuvent pas adapter à leur système six veilles, c’est-à-dire, dix-huit heures.

6. Ensuite, cet homme de Dieu, ou plutôt l’esprit prophétique, semble en quelque sorte réciter une loi de Dieu écrite dans les secrets de sa sagesse, laquelle a prescrit à la vie pécheresse des hommes la manière dont elle s’écoulerait et la peine de la mort, quand il s’écrie: « Leurs années ressembleront à ce que l’on compte pour rien. Au matin leur vie passera comme l’herbe ; elle fleurira et passera; au soir elle tombera, s’endurcira, se desséchera 3». Cette félicité donc qu’attendaient comme un grand bien du Dieu qu’ils servaient les héritiers de l’Ancien Testament, a mérité cette loi écrite dans les secrets de sa Providence, et que semble ici réciter Moïse: « Ils auront pour années ce que l’on compte pour rien ». Car on doit compter pour rien ce qui n’est rien, avant qu’il arrive, et qui à peine arrivé ne sera plus; qui même arrive, non pas tant pour être que pour n’être plus. « Au matin », c’est-à-dire tout d’abord, « elle passera comme l’herbe, au matin elle fleurira et passera : au soir », c’est-à-dire ensuite, « elle tombera, s’endurcira, et se desséchera ».  « Elle tombera », en mourant, « s’endurcira», en devenant un cadavre, « se desséchera » dans la poussière. Qui, sinon notre chair, où siège cette convoitise charnelle , que Dieu a condamnée? Car toute chair est une herbe, et toute la gloire d’un homme n’est que la fleur de l’herbe. L’herbe s’est desséchée, la fleur est tombée: mais

 

1. Act. I, 7.— 2. Gen. I, 31. — 3. Ps. LXXXIX, 5, 6.

 

la parole de Dieu demeure éternellement 1.

7. Sans dissimuler que c’est du péché que nous vient cette peine, le Prophète ajoute aussitôt: « Car votre colère nous a consumés, et votre indignation nous a troublés 2». «Consumés » par la langueur, « troublés» parla crainte de la mort. Nous sommes faibles en effet, et nous redoutons de sortir de notre faiblesse. « Un autre te ceindra » , dit le Sauveur, « et te conduira où tu ne voudras point 3» ; quoique le martyre doive être pour toi, non point un châtiment, mais un triomphe. Et l’âme du Sauveur, à -son tour, afin de nous personnifier en elle, était triste jusqu’à la mort 4: car le Seigneur lui-même n’est sorti de ce monde que par la mort.

8. « Vous avez mis nos iniquités sous vos yeux » ; c’est-à-dire, vous ne les avez point dissimulées. « Et notre vie à la splendeur de votre visage 5 ». Sous-entendez : « Vous avez placé». Ici «la splendeur de votre visage », est une répétition de « sous vos yeux », et « notre vie », une répétition de « nos iniquités ».

9. « Car tous nos jours se sont écoulés, et nous avons défailli dans votre colère 6». Ce verset nous montre assez que notre mortalité est une peine. Le Prophète dit que ses jours se sont écoulés, soit que les hommes se consument à aimer ce qui passe, ou qu’ils soient réduits à peu de jours, ce qu’il paraît exprimer dans les versets suivants : « Nos années s’épuisent comme l’araignée, nos jours sont bornés à soixante et dix ans, à quatre-vingts ans dans les plus forts, et au delà ce n’est que misère et douleur 7». Ces paroles semblent exprimer la brièveté et la misère de cette vie, où l’on appelle avancés en âge ceux qui ont vécu septante années. D’autres paraissent conserver leurs forces jusqu’à quatre-vingts ans; mais vivre au delà, c’est vivre dans la douleur et un surcroît de travail. La plupart, à soixante et dix ans, n’ont plus qu’une vieillesse cassée et pleine de misères, et souvent toutefois on a vu des vieillards conserver leur vigueur au-delà de quatre-vingts ans. Il est donc mieux de donner à ces nombres un sens spirituel. Car ce n’est point un effet de la colère de Dieu sur les enfants d’Adam, ce seul homme par qui la mort est entrée dans le monde, et avec la mort le péché, qui a

 

1. Isa. XI., 6,8.— 2. Ps. LXXXIX, 7.— 3. Jean, XXI , 18.— 4. Matth. XXVI, 38. — 5. Ps. LXVII, 21. —  6. Ps. LXXXIX, 8. — 7. Id. 9.

 

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ainsi passé dans tous les hommes 1 ; non ce n’est point parce qu’il est plus irrité, qu’ils vivent moins longtemps que leurs ancêtres puisque le Prophète vient de rire de cette longue vie en la comparant au jour d’hier qui est passé, et à l’espace de trois heures. Au surplus leur vie était longue, quand ils irritèrent le Seigneur jusqu’à être engloutis par le déluge.

10. Or, septante et quatre-vingts ans font cent cinquante ans : et ce livre des psaumes nous montre que c’est un nombre sacré. Car il a la même signification que le nombre quinze, qui est formé de sept et de huit réunis; or, le premier, à cause du sabbat au septième jour, figure l’Ancien Testament tandis que le second figure le Nouveau Testament, à cause de la résurrection du Seigneur. De là ces quinze degrés du temple, et de là encore dans les psaumes ces quinze cantiques des degrés, de là ces quinze coudées dont l’eau du déluge surpassa les plus hautes montagnes 2, et en plusieurs autres endroits on peut voir que ce nombre est sacré. « Nos années donc s’épuisaient comme l’araignée ». Nous n’étions occupés que de travaux futiles, nous ne tissions que des ouvrages périssables, qui ne pouvaient nous couvrir, dit le prophète Isaïe 3. « Le cours de nos années en elles-mêmes est de septante ans, et pour les plus robustes, de quatre-vingts». Or, «en elles-mêmes », est différent de « chez les robustes ». «  En elles-mêmes », signifie dans ces jours ou dans ces années, ce qui nous offre un sens spirituel : aussi le nombre septante marque les choses temporelles promises dans l’Ancien Testament. S’il s’agit, non plus des années, mais des hommes robustes, c’est-à-dire non plus des choses temporelles, mais des choses éternelles, nous avons quatre-vingt, parce que le Nouveau Testament nous donne l’espérance d’un renouvellement et d’une résurrection pour l’éternité : « et le surplus est fatigue et douleur»; c’est-à-dire, quiconque veut aller au-delà de cette foi, et cherche quelque chose de plus, ne trouvera que fatigue et misères. On peut encore comprendre ainsi : bien que nous soyons établis dans la nouvelle alliance, désignée par le nombre quatre-vingt, notre vie a de plus le labeur et la misère, puisque nous gémissons en nous-mêmes, attendant notre adoption et la rédemption de notre

 

1. Rom, V, 12. —  2. Gen. VII, 20.— 3. Matth. LIX, 6.

 

corps. Nous sommes en effet sauvés par l’espérance, et ce que nous ne voyons pas encore, nous t’attendons avec patience 1. Et c’est là un effet de la divine miséricorde; de là vient que le Prophète nous dit ensuite : « Mais enfin survient la mansuétude, et nous serons châtiés ». Or, le Seigneur châtie celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants, il corrige celui qu’il aime 2; il donne quelquefois aux plus parfaits l’aiguillon de la chair, qui les soufflète, afin qu’ils ne s’élèvent point à cause de la grandeur de leurs révélations, et que leur vertu se perfectionne dans la faiblesse 3. Dans quelques exemplaires on lit, non point, « nous serons corrigés»; mais, « nous serons instruits » : ce qui se rapporte néanmoins à la mansuétude. Car nul ne peut s’instruire que par le labeur et la fatigue, parce que la vertu se perfectionne dans la faiblesse,

11. « Qui connaît la puissance de votre colère, et quelle terreur pourra mesurer votre courroux 4? » Peu d’hommes, dit le Prophète, peuvent connaître votre colère pour le plus grand nombre, en effet, les épargner est un effet de votre colère; c’est à votre bonté plutôt qu’à votre colère qu’il faut attribuer cette peine, ce labeur, au moyen desquels vous châtiez ceux que vous aimez, afin de leur épargner les flammes éternelles. C’est ainsi qu’on lit dans un autre psaume, que ci le pécheur a irrité le Seigneur, qui, dans « l’excès de sa colère, ne prendra plus soin de lui 5. Qui donc connaît votre colère, c’est-à-dire, combien en est-il, et dans sa terreur, mesurer votre indignation? » Ici on sous-entend, qui saura. Combien il est difficile de trouver un homme qui, dans sa frayeur, sache mesurer votre indignation , de manière à comprendre que c’est l’homme contre lequel vous êtes le plus irrité, que vous semblez épargner, afin que le pécheur soit heureux dans ses voies, et soit plus châtié au dernier jour? Qu’un homme, dans sa fureur, ait tué le corps, il ne saurait aller plus loin; mais Dieu a le pouvoir de nous châtier ici-bas et, après la mort du corps, de nous jeter dans les flammes 6. Or, peu d’hommes sont assez instruits pour comprendre que l’effet de sa plus grande colère est cette vaine et séduisante félicité des méchants. Il ne le serait point celui dont les pieds faillirent être ébranlés, parce

 

1. Rom. VIII, 23-25.— 2. Hébr. XII, 6.— 3. II Cor, XII, 7, 9.—  4. Ps. LXXXIX, 11,12.— 5. Id. X, 4.— 6.  Matth. X, 28.

 

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qu’il avait porté envie aux pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent; mais il l’apprit, lorsqu’il entra dans te sanctuaire de Dieu, pour considérer quelle serait leur fin 1. Il en est peu pour aller jusque-là, afin de mesurer dans leur effroi la colère de Dieu, et de mettre au nombre des châtiments cette prospérité des méchants sur la terre.

12. «  Faites ainsi connaître votre droite». Voilà ce que portent surtout les exemplaires grecs; non plus comme dans plusieurs exemplaires latins : « Faites-moi connaître votre droite ». Qu’est-ce à dire : « Faites ainsi connaître votre droite » ; si ce n’est votre Christ dont il est dit : « A qui le bras du Seigneur a-t-il été montré 2 ? » Faites-le connaître de telle sorte que ses fidèles apprennent en lui à vous demander et à espérer de vous ces récompenses de la foi, qui n’apparaissent point dans l’Ancien Testament, mais qui sont révélées dans le Nouveau; de telle sorte qu’ils ne s’imaginent point qu’il y a quelque chose de grand, d’estimable ou de désirable dans cette félicité que Procurent les biens terrestres, et que leurs pieds ne soient point ébranlés, quand ils verront que ceux qui ne vous adorent point en jouissent; de telle sorte que leurs pieds ne soient point chancelants, puisqu’ils ne peuvent mesurer votre colère. Enfin, selon la prière de son serviteur, Dieu a fait connaître son Christ de manière à montrer par sa passion que les biens qu’il nous faut désirer, ne sont point ceux qui paraissent avec éclat dans l’Ancien Testament, où sont les ombres de l’avenir, mais bien les richesses éternelles. On peut encore entendre la droite de Dieu dans le sens de la séparation des justes et des impies, car elle se fait heureusement connaître alors que Dieu châtie tout homme qu’il reçoit parmi ses enfants 3, et qu’il ne permet point par un effet de sa colère, qu’il demeure plus longtemps dans le péché, mais que dans sa bonté il le frappe de la gauche pour l’amener à sa droite en le corrigeant 4. Et cette phrase qu’on lit dans plusieurs exemplaires : « Faites-moi connaître votre droite », peut s’entendre dans les deux sens, ou du Christ, ou de l’éternelle félicité. Car en Dieu il n’y a point de droite, comme s’il y avait une forme corporelle, non plus qu’une colère agitée de troubles.

 

1. Ps. LXXII, 2,3, 17.— 2. Is. LIII, 1.— 3. Hébr. XII, 6.— 4. Matth. XXV, 32, 33.

 

13. Ici le Prophète ajoute : « Et des hommes dont le coeur est lié parla sagesse»; nous lisons dans d’autres versions, non plus « liés », mais « instruits ». Car le mot grec peut être pris dans les deux significations, à cause de la légère différence d’une seule syllabe. Mais puisque ceux qui sont instruits par la Sagesse , « jettent leurs pieds dans ses chaînes», ainsi qu’il est écrit 1, non le pied du corps, mais bien le pied du coeur, et que retentis dans ses liens d’or, ils ne se détournent point de la voie de Dieu, et ne le fuient point : on peut prendre l’un ou l’autre sens, et demeurer dans la vérité. Dieu a rendu célèbres dans le Nouveau Testament ceux dont le coeur est garrotté ou instruit par la Sagesse. Aussi sait-on qu’ils ont tout abandonné pour embrasser une foi que Juifs et Gentils repoussaient avec une égale impiété, et qu’ils ont enduré la privation de tous ces biens promis dans l’Ancien Testament, et qui paraissent considérables à ceux qui jugent selon la chair.

14. Or, comme ils se faisaient connaître par leur mépris pour ces biens, et par le témoignage que rendaient leurs souffrances aux biens éternels, seuls désirables, témoignage qui leur a valu le nom de témoins, en grec martyrs, ils ont dû endurer dans le temps de nombreuses et d’atroces persécutions voilà ce que voyait l’homme de Dieu, ou mieux l’esprit prophétique figuré par le nom de Moïse, et qui dit : « Revenez-nous, Seigneur; jusques à quand ? et laissez-vous fléchir par vos serviteurs 2». Telle est la prière que font ou que l’on fait pour ceux qui ont beaucoup à souffrir des grandes persécutions du monde, qui montrent que leur coeur est enchaîné par la sagesse, de sorte que tant de maux ne les détournent point de Dieu, pour courir après les biens de ce monde. Or, selon ce qui est écrit ailleurs ci Jusques à quand votre visage se détournera-t-il de moi 3? » il est dit ici : « Revenez-nous, Seigneur; jusques à quand ? » Et afin que les hommes trop charnels, qui donnent à Dieu la forme d’un corps humain, sachent bien que ce n’est point par des mouvements semblables aux nôtres que Dieu détourne ou retourne sa faces qu’ils voient dans le même psaume les versets qui précèdent: « Vous avez mis nos iniquités devant vos yeux, et notre vie à la lumière de votre face ».

 

1. Eccli. VI, 25. — 2. Ps. LXXXIX, 13.—  3. Id. XII, 1.

 

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Comment dit-il ici : « Tournez-vous vers nous », pour le rendre favorable, comme si sa colère l’en avait détourné, puisqu’il nous le montre dans une irritation telle, qu’il ne détourne point son visage des iniquités et de la vie de ceux contre lesquels il est irrité, mais qu’il les met plutôt en sa présence et à la lumière de sa face? Mais cette parole, « jusques à quand», est la prière d’un juste, et non d’un impatient qui s’irrite. Quant à cette expression : Deprecabilis esto, laissez-vous fléchir, quelques-uns l’ont traduite mot pour mot, deprecare; mais avec deprecabilis esto, on évite l’ambiguïté, car deprecari est un verbe à double sens, puisque deprecatur désigne celui qui prie, et celui que l’on invoque: on dit deprecor te, je te supplie, et deprecor a te je suis supplié par toi.

15. Quant aux biens à venir, le Prophète les prévenant par l’espérance, et les regardant comme présents: « Nous sommes comblés au matin de votre miséricorde 1 », s’écrie-t-il. C’est donc au milieu des travaux et des misères de cette nuit, que le flambeau de la prophétie est allumé pour nous, comme une lampe dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour paraisse, et que l’étoile du matin se lève pour nous 2. Bienheureux en effet les coeurs purs, car ils verront Dieu 3. Alors les justes seront comblés de ce bien dont ils ont faim et soif, quand, marchant par la foi, ils sont éloignés du Seigneur 4. De là cette autre parole: « Votre face me comblera de joie 5 ». Au matin donc, ils verront et ils contempleront 6. Et comme l’ont dit d’autres traducteurs: «Nous sommes rassasiés au matin de votre miséricorde », c’est alors qu’ils seront rassasiés. Ainsi est-il dit ailleurs : « Je serai rassasié à quand se manifestera votre gloire ». De là ce mot de l’Evangile: « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». Et le Seigneur a dit lui-même: « Je me manifesterai à lui 8 ». Jusqu’à ce que ce bien se réalise, aucun bien ne nous suffit, et ne doit nous suffire, de peur qu’il ne s’arrête en chemin, ce désir que nous devons toujours pousser en avant tant qu’il n’est pas au but. « Nous sommes remplis de notre miséricorde : nous avons tressailli, mous avons été pleins de joie tous les jours de notre vie ». Ce jour est un jour sans fin,

 

1. Ps. LXXXIX, 14.— 2. II Pierre, I, 19.— 3. Matth. V, 6,8.— 4. II Cor. 1,6. — 5. Ps. XV, 11. — 6. Id. V, 5. —  7. Id. XVI, 15. — 8. Jean XIV, 8,21.

 

et tous ces jours font un même jour: de là vient qu’ils rassasient. Ils ne cèlent point la place à leurs successeurs, car il n’y a rien là qui doive y venir, comme s’il n’y était pas, ou qui n’y soit plus parce qu’il est passé. Tous ces jours sont ensemble, parce qu’ils ne font qu’un seul jour qui demeure et ne passe point: c’est l‘éternité. Tels sont les jours dont il est dit: «  Quel est l’homme qui veut la vie, et qui désire de voir les jours de bonheur 1? » Ces jours sont appelés des années, quand le Psalmiste dit à Dieu: « Pour vous, Seigneur, vous êtes le même, et vos années ne déclinent point 2». Car ce ne sont point des années que l’on compte pour rien, ou des jours qui déclinent comme l’ombre 3. Ce sont des jours qui subsistent, et dont voulait connaître le nombre, celui qui disait: « Seigneur, faites-moi connaître ma fin », où j’arriverai pour y demeurer, où je n’aurai plus rien à désirer, « et le nombre de mes jours qui subsiste 4 », qui est réellement, et non celui qui n’est pas. Ces jours, en effet, dont le Prophète a dit: « Voici que vous avez fait vieillir mes jours 5», ne sont proprement pas, puisqu’ils ne subsistent point, ne demeurent point et s’écoulent avec tant de rapidité: on ne trouve pas en eux une seule heure dans laquelle nous puissions demeurer, dont une partie ne soit écoulée déjà, dont l’autre ne soit à venir, et dont nulle ne subsiste réellement. Or, ces années et ces jours ne passeront point, nous n’y passerons point nous-mêmes, nous y serons rassasiés sans aucune défaillance. Que le désir de ces jours enflamme donc notre âme, qu’elle en ait une soif ardente, inextinguible, afin que là haut nous soyons comblés, nous soyons rassasiés, nous disions en réalité ce que nous disons ici par avance: « Au matin nous sommes rassasiés de votre miséricorde, nous avons tressailli, nous nous sommes réjouis dans tous nos jours, la joie nous a fait oublier les jours d’humiliation, les années de nos douleurs 6 »

16. Maintenant que nous sommes encore dans les jours mauvais, disons ce qui suit ci Jetez les yeux sur vos serviteurs et sur vos « oeuvres 7 ». Car vos serviteurs sont votre ouvrage, non-seulement parce qu’ils sont des hommes, mais aussi parce qu’ils sont vos

 

1. Ps. XXXIII, 13.— 2. Id. CI, 28.— 3. Id. 12.— 4. Id. XXXVIII, 5. — 5. Id. 6.— 6. Ps. LXXXIX, 15.— 7. Id. 16.

 

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serviteurs, et qu’ils obéissent à vos préceptes. Car nous sommes non seulement l’oeuvre de Dieu en Adam, mais aussi créés en Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions 1. Car c’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire, ainsi qu’il lui plaît 2. « Et redressez leurs enfants » : afin qu’ils aient ce coeur droit que le Seigneur comble de biens. Le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui ont le coeur droit, et non pour ceux dont les pieds chancellent, parce que Dieu commençait à leur déplaire, lorsqu’ils voyaient la paix des pécheurs, comme si Dieu eût ignoré ces choses, comme s’il n’en eût aucun soin, comme s’il eût négligé de gouverner le genre humain 3.

17. « Et que la splendeur du Seigneur notre Dieu éclate sur nous 4». De là vient qu’il est dit : « Seigneur, en nous est marquée la lumière de votre face 5. Et redressez en nous les ouvrages de vos mains », afin que nous n’agissions point en vue d’une récompense terrestre: car alors nos oeuvres seraient tortueuses, et non pas droites. Le psaume finit ici dans plusieurs exemplaires ; mais dans plusieurs autres on lit ce dernier verset : « Et redressez l’oeuvre de nos mains ». Les savants dans leur exactitude marquent ce verset d’une étoile appelée astérisque, et dont on se sert pour marquer ce qui est dans l’hébreu et dans les traductions grecques, mais non dans la version des Septante. Si néanmoins nous voulons exposer ce verset, il nous marque, ce semble, que toutes nos bonnes oeuvres se réduisent à l’oeuvre unique de la charité. Car la charité est le parfait accomplissement de la loi 6. Après avoir dit, en effet, au verset précédent : « Redressez en nous les ouvrages de

 

1. Ephés. II, 10. — 2. Philipp. II, 13. — 3. Ps. LXXII, 1-14. — 4. Id. LXXXIX. 17. — 5. Id. IV, 7. —  6. Rom. XIII, 19.

 

nos mains », le Prophète nous dit dans celui-ci « l’oeuvre », et non les oeuvres, « redressez l’oeuvre de nos mains», comme s’il voulait dans ce dernier verset nous montrer que nos oeuvres n’en forment qu’une seule, c’est-à-dire les ramener à une seule oeuvre. Car nos oeuvres sont droites lorsqu’elles sont dirigées vers une fin unique. La fin d’un précepte est la charité qui naît d’un coeur pur, d’une conscience droite et d’une foi sincère 1. Il          n’y a dès lors qu’une seule oeuvre qui renferme toutes les autres, c’est la foi qui agit par la charité 2. De là cette parole du Seigneur dans l’Evangile : « L’oeuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé 3 ». Ce psaume a donc exposé clairement et distinctement, et la vie du vieil homme, et la vie de l’homme nouveau; la vie qui périt, et la vie qui subsiste; les aminées comptées pour rien, et les jours pleins de miséricorde et d’une joie véritable, c’est-à-dire le châtiment du premier homme et le règne du second ; et je crois que si l’on a mis en titre le nomma de Moïse l’homme de Dieu, c’était pour insinuer à ceux qui sondent les Ecritures avec piété et bonne foi, que même la loi de Dieu donnée par le ministère de Moïse, et dans laquelle Dieu semble ne promettre à nos bonnes oeuvres d’autre récompense que celle des biens temporels, renferme indubitablement sous ses voiles quelque chose de semblable à ce que nous montre le Prophète. Mais quand chacun de nous sera retourné au Christ, le voile sera ôté 4, et nos yeux seront ouverts, afin que nous considérions ce qu’il y a de merveilleux dans la loi de Dieu, par la lumière de celui à qui nous disons : « Ouvrez mes yeux, et je considérerai les merveilles de votre loi 5 ».

 

1. I Tim, I, 5 — 2. Gal. V, 6 — 3. Jean VI, 9 — 4. II Cor. III, 16 — 5. Ps. CXVIII, 18

 

 

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