XII

 

OBJECTION

 

 

VINCENT : Certes, mon oncle, votre discours me satisfait. Pourtant, certains de vos arguments sont discutés. Vous dites, par exemple, que si nous supportons patiemment l'épreuve envoyée pour nos péchés, notre peine en purgatoire sera allégée. Mais, vous le savez, certains auteurs le nient. Ils affirment que le purgatoire n'existe pas. S'ils disaient vrai, cela supprimerait une cause de réconfort. Ils disent que l'homme ne mérite rien, que Dieu ne récompense que la foi, qu'il serait sacrilège d'espérer une récompense au ciel parce que nous avons accepté de souffrir pour la cause de Dieu, ou parce que, d'une façon ou d'une autre, nous avons bien agi. Ainsi s'évanouirait l'autre raison de nous consoler.

 

ANTOINE : En vérité, neveu, je ne puis nier que de telles opinions ne se soient répandues ces derniers temps. Il est pénible de voir de telles divisions s'élever parmi les croyants. Cela encourage nos ennemis communs. Ils se moquent de notre foi et conçoivent l'espoir de nous vaincre tous l'un après l'autre. Pourtant, trois choses apportent quelque douceur à mon esprit. La première c'est que, d'après certaines rumeurs, il y aurait une possibilité de réconciliation prochaine entre les chrétiens des diverses confessions. La seconde c'est qu'en attendant, les querelles, les disputes et les attitudes peu charitables sont interdites de part et d'autre. La troisième c'est que, dans toute la Germanie, on s'est mis d'accord, malgré les divisions, pour s'unir contre l'ennemi commun, le Turc. J'ai confiance que ceci nous aidera dans cette guerre et surtout que Dieu qui a inspiré aux chrétiens de s'allier entre eux pour défendre son nom, les unira tous dans la vérité. C'est pourquoi je ne veux pas discuter. Je préfère laisser Dieu agir. Je ne dirai rien qui puisse mécontenter ceux qui sur tel ou tel point de détail ne sont pas de mon avis.

 

Voyons d'abord ce qui concerne le purgatoire. D'aucuns, en effet, pensent qu'il n'y en a pas. Pourtant, ils ne nient pas que toute la Chrétienté y ait toujours cru, notamment tous les interprètes de l'Écriture Sainte depuis le temps des apôtres jusqu'à nos jours. Qu'ils m'excusent donc, si je n'ose les suivre ! Je prie Dieu de tout mon cœur, pour que, quand ils quitteront ce monde, ils ne trouvent pas de purgatoire ouvert devant eux, mais alors, Dieu les garde de l'enfer !

 

En ce qui concerne les mérites des hommes pour leurs actes, ceux qui les nient ne sont pas d'accord entre eux. Et, depuis qu'ils ont commencé à écrire, il y en a eu bien peu parmi eux qui n'aient quelque peu varié, si bien que la plupart d'entre eux se trouvent d'accord avec nous. Nous leur concédons qu'aucun acte vertueux n'est méritoire sans la foi ; qu'aucune œuvre humaine ne peut trouver par elle-même sa récompense au ciel – cette récompense, si nous l'obtenons, c'est grâce à la grande bonté de Dieu, à qui il a plu de mettre un prix si élevé à une si pauvre chose –, que Dieu nous accorde cette récompense à cause des mérites de Jésus-Christ ; que tout ce que nous faisons de bien nous le faisons avec l'aide de Dieu, que nous ne pouvons nous targuer de nos pauvres œuvres imparfaites car nous ne pouvons jamais faire de bien à Dieu, mais serons toujours de piètres serviteurs. Oui, nous leur concédons tout cela, mais ils peuvent, de leur côté, nous faire les concessions suivantes : que les hommes ont le devoir d'accomplir des actes vertueux quand ils en ont le temps et le moyen, et que plus on aura œuvré dans la vraie foi, plus on sera récompensé. S'ils soutiennent en outre que toute récompense est donnée pour la seule foi et rien pour les œuvres, parce que c'est la foi qui force à bien agir, je ne discuterai pas ce sujet maintenant. Mais j'ai trop grande confiance en la bonté de Dieu pour croire qu'il reprocherait à nos faibles intelligences une mauvaise interprétation de cette subtilité et permettrait que nos âmes fussent damnées alors que le Christ a souvent répété, les saints ont clairement expliqué et les chrétiens ont cru jusqu'aujourd'hui que les hommes seraient récompensés au ciel pour les actions bonnes et vertueuses qu'ils auraient accomplies sur terre. J'ajoute que des hommes intelligents et instruits ne peuvent comprendre les raisons de ceux qui veulent ôter tout mérite à la charité et en attribuer uniquement à la foi. Ceux-ci accordent que la foi ne sert à rien si elle n'est accompagnée par sa sœur la charité. Et la Sainte Écriture dit : « De ces trois vertus, la foi, l'espérance et la charité, la plus grande est la charité » (1 Cor., 13). Cette dernière semble bien être aussi digne de récompense que la foi. Mais, comme je l'ai déjà dit, je ne discuterai pas ce sujet, du reste cela ne me servirait à rien, car, de toutes façons, cette troisième sorte d'épreuve trouve sa récompense, et cette pensée doit nous soutenir.

 

VINCENT : Certainement, mon cher oncle, vous avez raison, et maintenant, poursuivez, je vous prie.