LA CHARITÉ : REPOS DE DIEU

 

 

Au septième jour, il n'y eut pas comme aux autres jours, un soir et un matin, car ce jour n'a ni commencement ni fin. Dieu n'est pas dans le temps. Si tu te faisais l'idée d'un Dieu dans le temps, travaillant et se reposant comme s'il était fatigué, ce n'était pas penser à Dieu, mais te fabriquer un faux dieu. N'adorant pas de faux dieux dans un temple, prenons garde de ne pas nous en fabriquer en esprit. Dieu n'a pas travaillé : il dit et ce fut fait. Il ne s'est pas fatigué et ne s'est pas reposé la durée d'un jour. Son repos, c'est son éternité. Tu t'imaginais un Dieu semblable à toi, comme s'il avait eu besoin de créer pour jouir, pour admirer sa création et y trouver son repos. Sache-le, il n'a besoin de rien, on ne le voit nulle part trouvant son repos dans la créature : il crée, non par besoin, mais par charité. Il crée pour que toute chose ait l'être, il maintient cette création dans l'être et la mène à sa fin. D'une extrémité à l'autre, il tient l'univers fermement par sa présence toute-puissante, et il dispose tout avec douceur. Mais il est toujours en repos.

 

Le repos, l'immuable tranquillité de Dieu, c'est sa charité. La charité est la seule raison de sa création et de son action sur le monde. C'est à bon droit qu'on voit coïncider la perfection de toute chose avec le repos de Dieu (1). Sa charité, c'est sa volonté, c'est sa bonté, et tout cela n'est autre chose que son être. C'est parce qu'il est l'être que Dieu est toujours en repos dans sa charité, sa calme volonté et sa bonté infinie. La succession des jours, des soirs et des matins dans le récit de la création, signifie la mutabilité de la créature ; et le jour où rien ne se passe, qui ne passe pas, sans commencement ni fin, ce jour-là signifie l'éternité.

 

 

(1) Allusion au début du deuxième chapitre de la Genèse, où il est écrit que les cieux et la terre étant « parfaits », Dieu se reposa. Aelred avait dit plus haut que « le repos de Dieu était la perfection proposée à toute créature ». Ce thème est le plus important de tout le traité. Thème très augustinien, mais qu'Aelred a repensé au point de proposer comme une opinion personnelle - opinando non affirmando -, que « si la créature raisonnable n'était pas changeante, elle ne sentirait pas le besoin de Dieu » (Patrologie latine 195, 431 c). Les anges et les saints sont suprêmement heureux «  parce que leur amour n'est plus susceptible de diminuer » (Id. 247 b). La Sainte Vierge elle-même n'atteignit la plénitude de son bonheur que lors de son Assomption, « parce qu'elle tient désormais son Fils dans l'étreinte d'une charité parfaite : jamais plus elle ne pourra le perdre parce que jamais elle ne pourra moins aimer » (Id., 316 a). Cette mutabilité de la créature fait partie de la définition de l'âme qu'en donne Aelred dans son traité De l'âme : « Une vie raisonnable, changeante dans le temps... capable d'être heureuse ou malheureuse ». Le bonheur, le repos dans l'amour n'est parfait qu'en Dieu parce que son amour est suprêmement paisible dans la saisie immuable de l'infini de l'Être. Ici-bas, l'amour de l'homme est soumis aux vicissitudes que lui imposent la précarité de ses objets ou sa propre inconstance. La charité, le joug du Christ, restaure l'homme dans la paix, en le rendant participant de l'amour infini.