LA VOIE ROYALE

 

 

Par certaines de nos actions, nous tendons à ce bien spirituel suprême qu'il nous faut aimer et désirer par-dessus tout ; par d'autres, nous nous occupons de nos besoins ou de ceux du prochain ainsi que de son salut.

 

Il me semble que l'apôtre a caractérisé en quelques mots tout l'état de vie parfaite : « Vivons en ce monde sobrement, dans la justice et la piété » (Tite, 2, 12). Vivre sobrement, c'est garder la mesure, une certaine modération ; éviter soigneusement tout excès et avancer dans cette voie royale sans s'écarter à droite ni à gauche. Les philosophes appellent cette vertu la frugalité et le plus éloquent de tous l'a célébrée magnifiquement : « Qu'on prenne la chose comme on voudra, j'estime pour ma part, que la frugalité, c'est-à-dire la mesure et la tempérance, est une très grande vertu » (1). Dans la vie suprême à laquelle nous tendons, rien ne manquera, et rien ne sera de trop, et lorsque nous y serons parvenus, nous ne chercherons rien de plus et nous ne nous en lasserons pas. Eh bien, il nous faut déjà commencer à vivre ainsi dans la modération et la mesure : ni s'abaisser plus bas qu'il ne faut, ni s'exalter par une sotte présomption. Quant à la justice, je pense que l'apôtre a en vue ce discernement avec lequel nous devons nous occuper des autres : ce qu'il faut donner et à qui il faut donner, ceux qu'il faut préférer à d'autres pour que chacun reçoive ce qui est juste. Mais afin que les philosophes et ceux qui ne croient pas au Christ ne puissent se glorifier de ces vertus, à la sobriété et à la justice, l'apôtre ajoute la piété. La piété est faite de foi sincère et de pureté d'intention. Or, l'intention, c'est précisément le choix fait par l'amour. Ici, le lecteur souhaitera sans doute que nous décrivions avec plus de précision cette manière de vivre dont il est dangereux de s'écarter. Mais qui ne voit que c'est là chose bien difficile ! Il existe autant de sortes d'hommes que d'hommes et on en trouvera rarement deux auxquels un tel règlement convienne en tous points. Ce qui suffit à l'un, est trop peu pour un autre ; ce dont l'un a besoin, est du superflu pour un autre.

 

Saint Aelred tente néanmoins une classification des devoirs de la vie humaine, et distingue l'ordre naturel, l'ordre nécessaire et l'ordre volontaire. Les chapitres 32 à 37 y sont consacrés.

 

(1) CICERON, Pro rege Dejotaro, 26 ; cité par saint AUGUSTIN. De beata vita, 31.