Sermon de Pentecôte - III

 

 

Me voici mes frères. Voici que je vous suis rendu, et cela grâce à vos prières. Me voici tout dévoué à votre avancement spirituel, c'est mon devoir, c'est ma vie ; tout ce que je sais, tout ce que je comprends, vous appartient. Ce qui me reste de temps à vivre, je vous le consacre sans réserve, c'est plus sûr, puisque c'est à cause de vous, par vous et pour vous que je viens d'échapper à la mort. Mais l'esprit est prompt et la chair encore bien faible. Cependant ma joie l'emporte sur mes infirmités, la charité est plus forte que mes hésitations et mon esprit qui vous appartient, fait fi de ma pusillanimité, mais il compte sur vos prières dont il connaît maintenant par expérience, l'efficacité.

 

Et la fête de ce jour me ranime également non seulement en raison de sa solennité, mais parce que c'est une bien douce expérience qui y est fêtée. C'est la fête de l'amour. L'amour ! Est-il un mot qui résonne plus agréablement aux oreilles des hommes ? Est-il chose plus douce à connaître ? Ah! Si les hommes savaient, eux pour qui l'amour est le grand sujet de conversation, s'ils savaient ce qu'est l'amour de Dieu ! S'ils en connaissaient toute la saveur et la valeur ! Leur amour, qui n'est pas vraiment l'amour, leur semblerait si peu de chose en comparaison. Seul cet amour existe, car c'est le seul authentique.

Cet amour de Dieu contient le ciel, il tient unis les anges, archanges, principautés, puissances, trônes et dominations, tous différents par le degré, l'office et le mérite, mais tous unis par l'amour dans la concorde et la paix.

 

Cet amour tient tout dans l'être et dans l'ordre, il ne laisse rien échapper à cette sorte de pacte par lequel tout tient ensemble. Cet amour rassemble et tient unis les quatre éléments dans tout l'univers : le feu et sa chaleur, l'eau et le froid, l'air translucide, et la terre opaque. Tout opposés qu'ils soient, non seulement ils existent ensemble sans inconvénient, mais dès qu'ils sont séparés, le composé naturel se dissout. C'est grâce à cet amour que plantes et arbres, semences et fruits suivent la loi de leur nature. Les animaux, les reptiles, les oiseaux et les poissons, toute la nature physique et spirituelle tient de cet amour son origine et son ordre, le mode et la fin qui lui sont destinés.

 

Cet amour, c'est la bonté de Dieu, sa bienveillance, ou encore sa charité. Pour parler plus exactement, c'est la bonté qu'est Dieu, la bienveillance et la charité qu'est Dieu. Or, la bonté de Dieu, c'est l'esprit de Dieu lui-même. C'est pourquoi il est écrit que l'Esprit du Seigneur a rempli l'univers (Sap. 1, 7), contenant toute chose, tenant tout dans l'être et dans l'ordre. La terre était informe et vide, les ténèbres régnaient à la surface de l'abîme, mais l'Esprit du Seigneur planait sur les eaux (Gen. 1, 1). Toute créature est caduque et instable de sa nature ; faite de rien, elle tend au néant, elle se répand, elle se disperse et ce n'est que par la bonté de Dieu, c'est-à-dire par son Esprit, qu'elle est tenue dans l'être et maintenue dans la paix, en recevant de cet Esprit immuable le peu de stabilité qu'elle possède. Au Père, auquel est spécialement attribuée la puissance, sont également attribués l'être et l'existence de toute chose. Au Fils, qui est sagesse, sont attribuées la diversité des choses, leur forme et leur beauté. À l'Esprit, c'est-à-dire à la divine bonté de la sagesse, sont attribuées la disposition et la sanctification de toute chose. La disposition de l'univers, car l'Esprit du Seigneur a rempli le monde, atteignant par sa vigueur les extrémités de la terre et disposant tout dans la douceur (Sap. 8, 1). L'Esprit est la sanctification du monde car il remplit l'univers depuis le jour de la Pentecôte. Il fut envoyé aujourd'hui par le Père et le Fils pour sanctifier toute créature : ordre nouveau, régénération, manifestation nouvelle de la puissance et de la vertu de Dieu. Auparavant, l'Esprit n'était pas encore vraiment donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié. Ses dons avaient été communiqués déjà à maintes reprises, quand Dieu était connu en Judée et que son nom était grand en Israël (Ps. 75, 2). La grâce de la sanctification avait été départie à Gédéon (Jud. 6, 34) et à David (I Reg. 16, 13).

 

Mais c'est aujourd'hui que l'Esprit est descendu du ciel avec une telle abondance qu'il s'est répandu dans le monde entier et dans les esprits des mortels. Et si le ciel a répandu dans les cœurs la douceur de cette liqueur divine, c'est parce que peu de jours auparavant, il avait reçu le fruit le plus onctueux qu'ait produit notre terre. Car notre terre a-t-elle jamais produit fruit plus onctueux et plus sacré que l'humanité du Christ ? La vérité est montée de la terre (Ps. 84, 12). Le Christ dans sa gloire nous envoie son Esprit pour que nous n'ayons pas à envier le ciel.

 

Toute la douceur de la terre, c'est l'humanité du Christ ; toute la douceur du ciel, l'Esprit du Christ.

Un heureux et salutaire échange s'opéra donc : l'humanité du Christ est montée aux cieux et l'Esprit du Christ est descendu du ciel en ce jour de la Pentecôte.