DE L'AMITIÉ SPIRITUELLE

 

Extraits

 

 

Le traité de l'Amitié spirituelle est l'écrit de saint Aelred qui fut le plus souvent recopié, résumé, traduit et même plagié. L'auteur, dont le nom reste attaché à cette doctrine jusque dans nos manuels de morale, a su mettre l'amitié au service de la vie spirituelle et des progrès de la charité. Si l'Abbé de Rievaulx a pu voir dans l'amitié une véritable discipline monastique, c'est parce qu'il ne perdit jamais de vue le but auquel elle est ordonnée. La doctrine des spirituels du XIIe siècle était solidement fondée sur une science de l'homme créé à l'image de Dieu. Le réalisme de cette analogie leur permettait de considérer sans vaine pusillanimité toutes les ressources de la nature humaine et tout spécialement les affectus (nous avons traduit « attraits »), ces inclinations naturelles, qui expriment la charité sous ses formes les plus diverses : bonté, douceur, tendresse, compassion, amour et amitié. Saint Aelred n'ignore pas que l'amour, consentement de la volonté, est tout autre chose qu'un simple attrait ou une inclination du cœur. Mais il sait également qu'une véritable amitié est un moyen de se faire un cœur fraternel, plus capable aussi d'amour de Dieu. On dira des cloîtres cisterciens qu'ils sont des écoles de charité. Apprendre à aimer Dieu et le prochain, n'est-ce pas le programme de toute vie chrétienne ? L'amitié, « ce soleil de la vie », comme l'appelle Cicéron, devient dès lors un degré de vie spirituelle, une étape proche de la perfection.

 

Saint Aelred a mis beaucoup de soin et consacré beaucoup de temps à élaborer cette doctrine. Il nous dit que tout jeune, il était porté à se faire des amis ; qu'il s'enthousiasma alors pour le traité de l'Amitié de Cicéron. Une fois entré au cloître, toujours d'après ce qu'il dit lui-même, il se mit à relever dans la Bible les textes qui avaient rapport à l'amitié, ainsi qu'un certain nombre de textes des Pères sur le sujet. Il est aisé de retrouver dans son travail tout ce qu'il doit à ces deux sources, profane et sacrée. La définition de l'amitié donnée par Cicéron est confrontée avec celle donnée par Salluste, et de même la description qu'en donne saint Augustin avec celle de saint Ambroise. Une véritable concordance de textes scripturaires est rassemblée. Il entreprit ce long travail, nous dit-il, pour contenir le flot de ses pensées et donner à ses amitiés une orientation spirituelle. Car cette doctrine lut vécue avant d'être élaborée. Nombreuses sont les confidences faites par Aelred à propos des amitiés qu'il a cultivées comme moine et comme Abbé. De l'une d'elle, il écrit après la mort de l'ami : « N'était-ce pas déjà un peu de béatitude d'aimer et d'être aimé, d'aider et d'être aidé de la sorte, de s'appuyer sur le charme de la charité fraternelle pour prendre son essor vers les hauteurs sublimes de l'amour divin ? ». Et, comme il arrive lorsqu'un thème devient centre de réflexion, la pensée s'y rapporte sans cesse et pour tout, comme à l'intuition primordiale. Cest ainsi qu'Aelred conçut la béatitude céleste comme une amitié parfaite dont tous seront devenus à la fois capables et dignes ; Dieu lui-même devint Amitié.

 

Le traité, divisé en trois parties, se présente sous la forme d'un échange de vues entre Aelred et quelques disciples choisis. Plutôt que de sélectionner dans ce dialogue des passages plus cnractéristiques, nous avons préféré traduire une version brève du traité, découverte en 1958, dans deux manuscrits de Londres, par Dom Anselme Hoste. Ce texte court lut-il composé avant ou après la version définitive du traité de « l'Amitié spirituelle » ? Dom Hoste le présente comme une première rédaction ou un schéma auquel il est fait allusion au cours du Dialogue. Nous y voyons plutôt un résumé, un compendium comme il en existe rrn certain nombre. Quoi qu'il en soit, ébauche ou résumé, ce texte rend fidèlement la pensée et les mots mêmes d'Aelred et donne de la doctrine aelrédienne un raccourci clair et dépouillé, tout en s'adressant à un public moins restreint que le public monastique.

 

Certes, le charme d'une conversation ne s'y retrouve plus, plusieurs allusions à la vie monastique et même aux événements de l'époque ont été écartées. Cependant ce que nous avons dit plus haut de la composition du traité, donne à penser qu'il y a, dons sa présentation sous forme de conversation, une grande part de fiction littéraire. Loin de vouloir remplacer le traité original, ces pages ont trouvé place ici parce que, dans l'impossibilité de publier les cent pages de cet ouvrage, un recueil de textes d'Aelred sur la charité nous a paru exiger que mention soit faite clr son traité de l'Amitié spirituelle.