CHAPITRE XVII

 

La Libéralité

 

 

1 et 2. Il y a libéralité véritable et parfaite, lorsque quelqu'un distribue à tous les pauvres des aumônes d'argent, autant qu'il le peut et joyeusement. C'est une libéralité plus grande de communiquer volontiers, à tous ceux qui en ont besoin et qui les demandent, les biens spirituels, par la confession ou la prédication, par des conseils et par l'enseignement. Être à la disposition de ceux qui désirent ces biens, cela ne suffit pas à la libéralité ; elle en fait part aussi, à temps et à contretemps, selon le conseil de saint Paul (2e lettre à Tim., ch. 4, v. 2), à ceux qui ne les désirent nullement et qui ne se soucient point de s'instruire ou d'entendre prêcher. Quant à ceux qu'elle ne peut forcer, ou qui sont incapables d'apprendre, elle leur donne aussi devant Dieu ses prières, ses larmes et ses gémissements. Cela même n'est pas assez ; celui qui donne largement s'exténue à étudier, à méditer et à faire continuellement de bonnes œuvres pour le salut du prochain.

 

3. Le désir de ressembler à Dieu doit nous entraîner à cette largesse. Dieu ne donne-t-il pas, d'une manière continue, des biens temporels et spirituels, à tous, même à ceux qui ne les demandent pas ? Et, par-dessus tout cela, ne donne-t-il pas la chair et le sang de son Fils très cher Jésus-Christ ? Mais c'est peu de faire des dons ; en chacun de ses dons Dieu se donne lui-même sans mesure.

Ce qui rehausse les largesses divines, c'est que Dieu ne les refuse à personne, si ennemi qu'on soit de lui-même. Plus d'une fois, le jour et la nuit, il distribue largement ses dons à chacun, si gravement qu'on doive l'offenser. Ce qui témoigne encore en faveur de sa libéralité, c'est que, chaque fois qu'il trouve une disposition à recevoir, aussitôt il ne peut se retenir de répandre ses dons spirituels ; et cependant, il sait, dans sa sagesse, que celui qui les reçoit les perdra bientôt peut-être, qu'il enlèvera à ses dons toute leur noblesse et leur pureté, que même il se servira des dons de Dieu pour attaquer Dieu !

Ceci doit nous exciter également à la libéralité : ce que nous donnons ne nous appartient pas ; et l'on dit en commun proverbe qu'on peut se tailler de larges courroies dans les peaux étrangères. « Il ne faut pas que vous soyez si avare même de votre propre bien, disait saint Jean Chrysostome ; or, ce sont les richesses du Bon Dieu qui vous sont confiées ; pourquoi, dès lors, y tenez-nous si fortement ? » (1)

 

4. Une preuve de la véritable libéralité, c'est de donner ses biens aux pauvres, avec joie, sans considérer leur mérite, gratuitement et sans attendre de compensation. De cette manière généreuse, le Seigneur Jésus s'est donné soi-même et tout ce qu'il avait : il n'y a pas de plus grande perfection. C'est trop peu de donner ses biens ; on s'expose, on s'offre même à la mort, si c'est nécessaire, pour sauver son prochain. Saint Jean nous l'enseigne : « À ceci, nous avons connu l'amour de Dieu : c'est qu'il a donné sa vie pour nous. Nous aussi nous devons donner notre vie pour nos frères (Ire lettre de S. Jean, ch. 3, v. 16). Les supérieurs y sont plus obligés que les autres.

Saint Paul avait cette générosité, lui qui disait aux Corinthiens (IIe lettre, ch. 12, v. 16) : « Pour moi, bien volontiers, je dépenserai et je me dépenserai moi-même tout entier pour vos âmes », et : « chaque jour, je m'expose à la mort pour vous, mes frères » (Ire lettre, ch. 15, v. 31).

L'homme vraiment libéral, tout ce qu'il a, tout ce qu'il est et tout ce qu'il peut, il le donne au Seigneur, sans espoir de retour, afin d'accroître éternellement les divines louanges ; il le donne à chacun des Anges et des Saints ; en transports de joie perpétuels, à chacun des pécheurs, pour leur conversion, à tous les justes pour qu'ils conservent leur perfection et s'y affermissent, à chaque âme du purgatoire, en adoucissement de sa peine et pour l'abréger.

 

5. C'est un signe de fausse libéralité quand on donne pour recevoir des louanges, ou parce qu'on a peur de passer pour inférieur à ceux qui donnent généreusement, ou simplement lorsqu'on donne pour être délivré des réclamations des mendiants. Dans ce cas, on perd, avec les biens donnés, tout le mérite.

De même, il n'est pas vraiment libéral, celui qui donne par force ou pour un avantage quelconque, soit à cause de la grâce qu'il espère en ce monde et la gloire qu'il attend dans l'autre, soit parce qu'il redoute le juge qui a prescrit de donner, et qui ne laissera pas impunie la transgression de son commandement.

 

 

(1) Cette parole de S. Jean Chrysostome a déjà été rapportée au chapitre de la Miséricorde.