CHAPITRE XIX

 

La Douceur

 

 

1. La douceur véritable ou la bonté consiste à ne point s'aigrir à cause des injustices ou de mauvais traitements infligés, et à ne pas manifester ses peines intérieures : on est alors « comme un homme qui n'entend pas et dans la bouche duquel il n'y a point de réplique » (Ps. 38, v. 15), et on ressemble au Christ Jésus qui « n'ouvrit pas la bouche, semblable à l'agneau qu'on mène à la tuerie, et à la brebis muette devant ceux qui la tondent » (Isaïe, ch. 53, v. 7).

 

2. « L'homme doux, d'après la Glose (1), c'est celui qui ne se laisse pas atteindre par la dureté de cœur ou l'amertume : sa foi simple, au contraire, lui apprend à supporter toute injustice. Ni la rancune, ni la colère n'ont de prise sur lui, mais il supporte tout avec égalité d'âme. Notre-Seigneur a enseigné la douceur, parce que c'est une grande vertu ; il n'aurait pas agi de la sorte si la douceur n'avait pas été la voie de la souveraine perfection. « Faites-vous mes disciples, dit-il, parce que je suis doux et humble de cœur » (Matt., ch. 11, v. 29). L'homme doux ne pousse pas à la colère ; il ne s'irrite pas soi-même ; il ne fait pas de tort, et il ne pense pas à nuire ; l'homme doux, c'est celui qui commande à ses passions mauvaises. »

 

3. La béatitude promise par le Christ : « Bienheureux les doux, parce qu'ils posséderont la terre » (Matt., ch. 5, v. 4), doit nous exciter, à aimer la douceur. « La terre dont il s'agit, c'est, je crois, celle que désigne le Psalmiste en ces termes : « Vous êtes mon refuge, ô Seigneur, mon partage dans la terre des vivants » (Ps. 141, v. 6) ; oui, bienheureux les doux, ils posséderont la terre, et on ne pourra les en expulser » (S. Augustin) (2). Le Psalmiste en parle encore : « Les doux recevront la terre en héritage, et ils goûteront les délices d'une paix profonde » (Ps. 36, v. 11). « Dieu donnera la grâce aux doux » (Prov., ch. 3, v. 34) et la gloire ; « qu'ils l'entendent donc, et qu'ils s'en réjouissent » (Ps. 33, v. 3).

 

4. On fait preuve d'une véritable douceur, lorsqu'on ne murmure pas intérieurement dans l'affliction, lorsqu'à des paroles mordantes, on ne répond pas par la pareille ; on ne fait pas non plus paraître sa peine, ni aucune amertume, et l'on garde toujours, pour l'Hôte Divin, une âme tranquille.

 

5. C'est une preuve de fausse mansuétude d'avoir des paroles agréables et doucereuses, et de montrer un visage gracieux, tandis qu'on conserve au fond de l'âme une violente amertume.

 

 

(1) Glose interlinéaire, sur S. Matt., ch. 5, v. 4 (Bible de Douai, t. 5, col. 95, 96), traduite selon la rédaction de cette Bible. Le texte de l'auteur en diffère un peu. Voici une variante : « si cette vertu n'était pas la seule (una). (Douai : via) d'une perfection souveraine ».

(2) Commentaire du Sermon sur la Montagne, livre 1, chap. 2. P.L. t. 34, col. 1232.