CHAPITRE XXXII

 

La Solitude

 

 

1 et 2. La solitude véritable consiste à retirer son âme du souci et de l'embarras des actions extérieures, et de tout plaisir goûté dans les créatures, puis, de diriger en Dieu, autant que possible et avec ensemble, toutes ses affections, toutes ses volontés, toutes ses intentions, afin de devenir un seul esprit avec lui. C'est à cela que le prophète Isaïe nous exhorte : « Entrez dans la pierre, et cachez-vous dans les trous de la terre » (ch. 2, v. 10, 19), c'est-à-dire : entrez dans la divinité du Christ, et cachez-vous dans ses plaies. On est seul, si l'on entre dans cette pierre, mais si l'on reste en dehors, on est dans la multitude. En cette solitude spirituelle, l’âme reçoit des grâces et des lumières si grandes, que celui qui les reçoit fait peine à voir aux autres : ainsi, Moïse, demeuré seul sur la montagne avec Dieu, pendant quarante jours et quarante nuits, fut tellement sous la splendeur divine qu'une lumière jaillissait de sa face, et il en sortait comme des rayons de soleil, et les fils d'Israël ne pouvaient les regarder que lorsque Moïse eut voilé son visage (Exode, ch. 34, v. 29-34).

 

3. Les saints exemples de Notre-Seigneur Jésus-Christ doivent nous porter à l'amour de la solitude. Personne ne pouvait l'empêcher de traiter spirituellement avec son Père, et cependant, souvent il s'écartait de la foule, parce qu'il aimait la solitude. Et, une fois, pour prier, il s'éloigna à la distance d'un jet de pierre (Luc, ch. 22, v. 41), même de ses apôtres les plus aimés ; pouvait-il faire davantage ? Il nous signifiait, par là, que même les saintes gens ne peuvent pas, au milieu de la foule, s'occuper de Dieu intimement, et qu'on n'obtient que peu de grâce efficace, ou pas du tout, parmi les hommes. Ainsi, Zachée, dans la foule, ne pouvait voir le Seigneur Jésus ; ce n'est qu'après qu'il fut monté, seul, sur un arbre, qu'il vit le Sauveur et entendit ses paroles (Luc, ch. 19, v. 2-7).

Les avantages de la solitude doivent nous exciter à l'aimer. « Je la conduirai, disait Dieu au sujet de (l'âme) son épouse, je la conduirai dans la solitude, et je lui parlerai au cœur » (Osée, ch. 2, v, 14). Heureux celui qui entend, ne serait-ce qu'une seule fois, le Seigneur lui parler au fond de l'âme ! Le langage de Dieu au cœur consiste à donner à l'âme la sécurité à propos des grâces (plus) élevées (1).

Jadis, de saints ermites ont parcouru les déserts, errant dans la solitude et les montagnes, dans les cavernes et les antres de la terre, afin de pouvoir servir Dieu continuellement ; parfois, ils furent quarante ans sans voir un seul être humain. Cela aussi doit nous faire aimer la solitude.

 

4. Une preuve de vraie solitude, c'est d'avoir à charge la société des hommes, et de s'en séparer chaque fois qu'on le peut. « Voici, je me suis enfui bien loin, et j'ai fait ma demeure dans la solitude » (Ps. 54, v. 8). Ainsi, ce fut un supplice pour Marie-Madeleine que de voir les hommes, depuis qu'elle ne pouvait plus voir Jésus ; et même, de voir les Anges lui fut pénible. Ils voulaient la consoler de ce que le Seigneur était sorti du sépulcre, mais elle de dire : « C'est le Créateur que je cherche, voilà pourquoi il m'est pénible de voir la créature. » Et par amour pour Jésus-Christ, elle s'enfuit dans le désert ; pendant trente ans, elle s'abstint de manger et de boire. Les Anges, à chacune des heures assignées à la prière, la soulevaient dans les airs, et c'est dans sa prière qu'elle prenait la nourriture de son âme et de son corps.

 

5. Il prouve que sa solitude n'est pas véritable, celui qui se tient devant Dieu, de corps seulement, pendant que son âme, tiraillée en tous sens, s'occupe à quantité d'affaires.

 

À eux deux, le silence et la solitude peuvent élever (l'âme), jusqu'à la contemplation. « L'homme, dit Jérémie, s'assiéra seul, en silence, parce qu'il s'est élevé au-dessus de lui-même » (Lamentations, ch. 3, v. 28).

 

 

(1) Lorsque Dieu parle à une âme qu'il conduit par des voies élevées, il lui donne la pleine assurance que les grâces qu'elle reçoit viennent bien de lui, et qu'elle n'est pas le jouet de sa propre imagination ou de Satan. Ces grâces sont « difficiles » à mériter.