Chapitre Cinquième SECTION III: Dante et l'Angéologie
La Divine Comédie
Après avoir pris connaissance de l'enseignement doctrinal en matière d'angéologie, tel qu'il ressort de la Somme théologique de saint Thomas d'Aquin, il nous reste à voir la répercussion qu'il a eu parmi les poètes et les littérateurs, et nous nous adresserons au plus représentatif d'entre eux: à Dante (1265-1321). Dans la Divine Comédie, nombreux sont les passages où il est question des anges et de leurs fonctions diverses; le R. P. J. Berthier, dont nous suivrons la traduction, a groupé dans une Table doctrinale abrégée qui termine le volume, un tableau instructif, facilitant l'étude de la nature et du ministère des anges, tel qu'il est exposé tout au long de la Divine Comédie. Nous reproduisons in extenso cet abrégé, car il est de nature à nous donner une idée synthétique de l'opinion du Dante en matière d'angéologie:
ANGES. Leur création (Par. XXIX, 10-45) Leur nombre (Par. XXIX, 127-145) Hiérarchies angéliques (Par. XXVIII, 97-129) Churs angéliques (Par. XXVIII, 79-139) Puissance des anges (Purg. II, 31-46) Leur agilité (Purg. II. 16-30) Les anges volent en haut et en bas dans l'Empyrée (Par. XXXI, 1-27) Grandeur de Dieu dans les anges (Par. XXIX, 136-145) L'ange de la porte du Purgatoire (Purg. IX, 78-84) Les anges gardiens dans le Purgatoire (Purg. VIII, 1-421 Les anges flamboient autour du point lumineux qui est Dieu (Par. XXVIII, 88-96) Anges fidèles, anges infidèles (Par. XXIX, 46-69) Chute des anges rebelles, gloire des anges fidèles (Par. XXIX, 1-69) Culte des anges (Purg. II, 25-30)
On remarquera tout de suite que ce tableau de la nature et du ministère des anges est à mettre en parallèle avec des enseignements de la Bible et avec ceux de saint Thomas d'Aquin. Nous allons maintenant reprendre en détail les différents passages de la Divine Comédie où il est question des anges; nous suivrons l'ordre établi par le R. P. Berthier dans le tableau ci-dessus, ainsi que sa traduction que nous compléterons parfois par celle d'Henri Longnon. Et nous commencerons par reproduire quelques illustrations de Yan Dargent pour la «Divine Comédie».
Création des anges (Par. XXIX, 10-45).
Au verset 13, nous apprenons que Dieu n'a point créé les anges «pour acquérir des biens nouveaux, ce qui ne peut être». Il les créa dans son éternité, hors du temps, comme il lui plut, «en de nouveaux amours s'ouvrit l'éternel amour»; en une note explicative, le P. Berthier dira: «La durée pour les anges participe de l'éternité de Dieu; pour les anges spécialement, elle est en rapport avec leur activité, et diffère du temps. Du reste la création est, comme acte, en dehors du temps.» «L'Éternel amour», suggère à H. Longnon ce commentaire: «L'amour, «éternel amour», est Dieu. Les amours qu'il tire de sa substance, sont toutes ses créatures: anges, hommes, plantes et matières.» «L'ordre fut créé et établi en même temps que les substances, et celles-là furent le sommet du monde, chez qui l'acte pur fut produit (31-33). En effet, les anges, purs esprits ou pures formes, ne peuvent avoir été créés que par un acte pur, soit par Dieu. Dante n'admet pas, comme le prétend saint Jérôme, que les anges aient été créés avant les autres créatures; il dira: Jérôme a écrit que pendant une longue série de siècles les anges furent créés avant que l'autre monde ne fut fait:
mais la vérité est écrite en maints endroits par les écrivains de l'Esprit Saint, et tu le verras, si bien tu regardes.
Et même la raison le voit en partie, car elle ne concéderait pas que les moteurs fussent si longtemps sans leur perfection.
Et Béatrice qui vient de révéler à Dante ce mystère de la création des anges, découlant de l'éternel amour de Dieu, conclut: «Maintenant tu sais où et comment ces amours (anges) furent créés».
Nombre des anges (Par. XXIX, 127-145).
La nature des anges par degrés se multiplie tellement en nombre, que jamais ne fut parole ou conception de mortels qui allât si loin
Et si tu regardes ce qui a été révélé par Daniel (VII, 10), tu verras que dans tous ces milliers le nombre déterminé reste caché.
Pour ce qui est de la dernière strophe, nous suivrons la version et la note y relative de H. Longnon:
Considère à présent la sublime grandeur De l'Éternelle Essence, qui s'est fait Tant de miroirs où elle se multiplie (morcelé) Tout en restant Une, ainsi qu'auparavant.
Et le traducteur de commenter: «La lumière divine, qui se répand sur la foule des Anges, est reçue par elle en autant de façons diverses qu'il y a d'Anges auxquels elle s'unit en particulier. Chaque Ange est un individu, chez qui l'amour de Dieu est proportionné à la vision qu'il a de lui.
Hiérarchies angéliques (Par. XXVIII, 94-120).
Dante: J'entendis l'« Hosanna » passer de chur en chur jusqu'au point fixe (Dieu) qui les tient en leur lieu, et les tiendra toujours, où toujours ils furent.
Et elle (Béatrice) qui voyait des pensers de doute dans mon esprit, me dit: «Les premiers cercles t'ont montré les Séraphins et les Chérubins.
Ils suivent ainsi rapides leur attraction, pour ressembler au centre autant qu'ils peuvent, et ils le peuvent autant que leur vision est sublime.
Ces autres amours qui vont autour d'eux, s'appellent les Trônes de la divine présence, parce qu'ils terminent le premier ternaire (1re hiérarchie).
L'autre ternaire (2e hiérarchie) qui fleurit de même dans ce printemps éternel... perpétuellement chante «Hosanna» en trois mélodies qui résonnent en trois ordres de bonheur, qui ainsi devient trine.
Dans cette hiérarchie sont trois déités: d'abord les Dominations, puis les Vertus, et enfin le troisième ordre des Puissances.
Puis dans les deux pénultièmes rondes tournent les Principautés et les Archanges; la dernière est entièrement celle où exultent les Anges.
Ces ordres regardent tous en haut, et au-dessous influent si bien, que vers Dieu tous sont attirés et tous attirent.
Churs angéliques (Par. XXVIII, 88-139).
Nous avons déjà vu l'«Hosanna» passer de churs en churs et cet Hosanna sera chanté perpétuellement par les anges (117).
Puissance des anges (Purg. II, 31-46).
Mon maître (Virgile) cria: «Vite! Vite! Plie les genoux! Voici l'Ange de Dieu! Joins les mains! Désormais tu verras de semblables ministres!
Vois comme il dédaigne les instruments humains, tellement qu'il ne veut ni rames, ni aucune voile que ses ailes, entre des rivages si éloignés!
Vois comme il les tient droites vers le ciel, battant l'air avec ses plumes éternelles...
Puis comme de plus en plus approchait de nous l'oiseau divin, il apparaissait plus brillant, si bien que de près l'il ne le soutenait pas, et je m'inclinai à terre...
Sur le visage de ce céleste nocher, son bonheur paraissait écrit, et plus de cent esprits étaient assis dans la barque...
Puis il leur fit le signe de la sainte Croix, et alors tous se jetèrent sur la plage; et lui s'en alla, comme il vint, rapide.
Agilité des anges (Purg. II, 16-30).
Nous venons de voir 1'Ange de Dieu, arriver avec une force surnaturelle et une grande rapidité, puis s'en aller aussi vite qu'il était venu. Et voici comment Dante décrit cette agilité de l'ange:
Telle m'apparut (et puisse-je la voir encore!) une lumière qui par la mer venait si rapide, qu'aucun vol à son agilité n'est pareil.
Comme j'en détournai un peu les yeux pour interroger mon Guide, je la revis devenue plus brillante et plus grande.
Que voilà bien notée la caractéristique de la nature angélique: le pouvoir de se déplacer avec une rapidité aussi grande si ce n'est plus que la lumière!
Les anges volent en haut et en bas de l'Empyrée (Par. XXXI, 1-27).
Ainsi donc sous la forme d'une blanche rose se montrait à moi la milice sainte (l'Église triomphante des Bienheureux) que dans son sang le Christ fit son épouse.
Mais l'autre (la milice des anges) qui tout en volant voit et chante la gloire de celui qui la rend amoureuse et la bonté qui la fit si grande,
Comme un essaim d'abeilles, qui court aux fleurs une fois, et une autre retourne là où son travail prend saveur,
descendait dans la grande fleur qui s'orne de telles feuilles, et ensuite remontait là où son amour toujours séjourne.
Elles avaient toutes la face de flamme vive et les ailes d'or, et le reste si blanc que nulle neige n'arrive à ce degré
Lorsqu'elles descendaient dans la fleur de gradin en gradin elles répandaient la paix et l'ardeur...
Puis, dans une vision sublime, Dante verra la Reine du Ciel entourée de la cohorte des anges:
Et la Reine du Ciel, qui me fait brûler tout entier d'amour, nous fera toute grâce... «Regarde les cercles jusqu'au plus éloigné, jusqu'à ce que tu voies assise la Reine à qui ce royaume est soumis et dévot.»
Et là, au milieu, avec les ailes ouvertes, plus de mille anges, que je vis, faisaient fête, chacun d'eux différant de splendeur et de mouvement.
Là, je vis à leurs yeux et à leurs chants sourire une beauté (la Vierge Marie) qui était une joie dans les yeux de tous les autres saints.
Et si j'avais autant de ressources pour parler que pour imaginer, je n'oserais redire la moindre partie de ces délices.
Grandeur de Dieu dans les anges (Par. XXIX, 130-145).
La nature des anges par degrés se multiplie tellement en nombre, que jamais ne fut parole ou conception de mortels qui allât si loin.
Dieu illumine toutes les créatures et plus directement les anges:
La première lumière qui toute l'irradie d'autant de manières y est reçue, qu'il y a de splendeurs auxquelles elle s'unit.
Et ainsi, parce qu'à l'acte de l'intelligence répond l'affection, la douceur d'amour en eux est diversement plus ou moins ardente.
Vois maintenant la hauteur et l'étendue de l'éternelle puissance, puisque tant de miroirs elle s'est faits, où elle se multiplie, tout en restant une en soi comme auparavant.
Dieu s'est en effet représenté dans ses créatures et notamment dans les hiérarchies angéliques sans se modifier lui-même.
L'ange de la porte du Purgatoire (Purg. IX, 78-84).
Arrivé avec son Guide à la porte du Purgatoire, Dante en voit le portier sous l'aspect d'un ange extraordinairement lumineux: Je le vis assis sur le degré supérieur, et tel dans sa face que je ne pus le supporter. Et il avait en main une épée nue, qui reflétait tellement ses rayons vers nous, qu'en vain plusieurs fois j'y portai mon regard.
Cet ange de la porte du Purgatoire est qualifié par Dante, quelques versets plus avant, d'Ange de Dieu. Pour le P. Berthier, l'ange radieux de la porte symbolise l'autorité sacerdotale et son épée nue à la main, indique que cet ange exerce un ministère de justice.
Les anges gardiens dans le Purgatoire (Purg. VIII, 1-42).
Après avoir entendu l'hymne de Complies, si dévotement chanté et avec de si douces notes, Dante se sentit sortir de lui-même et de son esprit, alors, raconte-t-il: Je vis sortir d'en haut et s'élancer en bas deux anges avec deux épées de feu, tronquées et privées de leurs pointes.
Verts comme la petite feuille qui vient de naître étaient leurs vêtements, qui par les vertes plumes frappés et ventilés faisaient traîne après eux.
Un peu au-dessus de nous l'un vint s'arrêter, et l'autre descendit sur la rive opposée: de sorte que la troupe se trouvait au milieu.
Et ces deux anges, est-il dit, venaient «de l'enceinte de Marie»; ils sont habillés de vert couleur d'espérance. Le P. Berthier donne encore les éclaircissements suivants: «L'épée tronquée qui permet seulement de frapper est plutôt une arme défensive qu'une arme d'attaque. Elle indique le rôle des anges protecteurs. Les anges, par ordre de Dieu, arrivent au secours des âmes fidèles dans le Purgatoire, selon la demande qu'on lui adresse à Complies: «Visitez, Seigneur, cette demeure, éloignez-en les embûches de l'ennemi; que vos saints anges y habitent...» Ils auront pour mission d'en chasser le serpent maléfique.
Les anges flamboient autour du point lumineux qui est Dieu (Par. XXVIII, 88-96). De même que jette des étincelles le fer qui bout, ainsi les cercles étincelèrent.
Un incendie parmi eux suivait chaque étincelle, et tant elles étaient que leur nombre dépassait mille fois le double de l'échiquier.
En étincelant, commentera le P. Berthier, les anges manifestent ainsi leur contentement. L'étincelle, qui caractérise et représente une entité angélique, déclenche l'animation de tous les autres, provoquant une sorte d'incendie (feu primordial).
Anges fidèles et anges infidèles (Par. XXIX, 46-69). Maintenant tu sais où et quand ces amours (anges) furent créés et comment...
Et en comptant on n'arriverait pas à vingt aussi vite qu'une partie des anges (rebelles) troubla le centre de vos éléments (la terre).
L'autre resta (demeura fidèle) et elle commença cet office que tu vois, et ce fut avec tant de plaisir, que jamais elle ne cesse de tourner. Le principe de la chute fut la maudite superbe de celui que tu as vu enserré par tous les poids du monde.
Telle est la punition de Lucifer pour son orgueil démesuré et ce sera aussi le châtiment de tous les orgueilleux. Par contre, pour ce qui est des anges fidèles, «leur vue fut élevée par la grâce illuminante et par leur mérite, tellement qu'ils ont une volonté pleine et ferme dans le bien.
Après la chute des anges rebelles, gloire des anges fidèles (Par. XXIX, 1-69).
Après sévère punition des anges rebelles qui péchèrent par orgueil, les anges fidèles reçurent la récompense de leur modestie; Ceux que tu vois ici furent modestes, en se reconnaissant uvre de la bonté qui les avait fait bien disposés à entendre cela Leur vue illuminée par la grâce.
Et je ne veux pas que tu doutes, mais que tu sois certain que recevoir la grâce est méritoire, selon que l'affection est ouverte.
Quelques lignes plus avant, il est parlé du consistoire que voit Dante et qui représente le consistoire ou collège angélique, formé des anges fidèles.
Culte des anges (Purg. II, 25-30).
On ne doit pas adorer les anges; le culte d'adoration ou culte de latrie n'est réservé qu'à Dieu seul. Quant aux anges, on leur doit un culte de dulie, soit hommage rendu aux anges et aux saints. A propos du passage consacré à la puissance des anges, nous avons déjà cité le verset où le Guide recommande à Dante de plier le genou et de joindre les mains à l'approche de l'ange de Dieu; nous reproduisons ce passage d'après la version de H. Longnon:
Fléchis, me cria-t-il, fléchis donc les genoux Et joins les mains: voici l'Ange de Dieu! Tels sont les officiers: tu n'en verras plus d'autres.
Les quelques extraits de la Divine Comédie que nous venons de passer en revue prouvent à l'évidence que Dante, en matière d'angéologie, suivait les leçons de la Bible et celles de saint Thomas d'Aquin. *
2. Jean Tauler : un Aveuglement.
Nous ne saurions clore ce chapitre de l'angéologie du Moyen Age sans mentionner la croyance à ce sujet, du grand mystique allemand, surnommé le Docteur illuminé: Jean Tauler, né à Strasbourg vers 1300, mort au même lieu en 1361. Pour ce mystique, ne pas croire aux anges et à leur ministère est un «aveuglement» funeste. Ses uvres complètes en huit volumes ont été traduites de la version latine du chartreux Surius, par E.-Pierre Noël, O.P. (Paris 1913). De la Table analytique des uvres de Tauler qui se trouve à la fin du huitième tome, à la rubrique ANGES, nous lisons entre autres: «Leur dignité dépasse de beaucoup la nôtre. Esprits purs, ils sont une image plus parfaite de Dieu, car notre esprit, ici-bas est lié à la matière. Ils sont cependant nos gardiens et nos serviteurs. Chacun de nous a son ange qui le garde et le protège. L'affection et le dévouement dont ils usent envers nous dépassent l'affection et le dévouement de la meilleure des mères. Ouvrons donc les yeux de notre âme et remercions Dieu de nous avoir donné de tels protecteurs.» Tauler a composé un ouvrage capital, intitulé: Des Dix Aveuglements dont la plupart des hommes, même les meilleurs, sont atteints. L'auteur émet des considérations sur l'amour divin qui éclaire les intelligences et enflamme les volontés. Dès le début de la Préface, Tauler met en garde son lecteur: «Avec quel acharnement et quel danger pour nous, le démon s'efforce d'aveugler nos esprits». Nous croyons utile de reproduire en entier le cinquième chapitre qui traite du cinquième aveuglement, à savoir l'ignorance ou l'incrédulité quant à l'important ministère des anges; dans ce chapitre, il est question: de la grande dignité des saints Anges; de leur office de serviteurs auprès de nous; de la charité dont ils nous entourent et du malheur de ceux qui sont aveuglés pour ne pas faire attention à ces créatures sublimes. Et maintenant, nous aurons tout profit à lire et à méditer l'enseignement capital de ce mystique sur le rôle des anges dans le monde et dans la vie spirituelle de chacun de nous! Le cinquième aveuglement est l'ignorance concernant soit la dignité des anges, soit le service qu'ils nous rendent, soit l'affection dont ils nous entourent. 1. Et d'abord pour ce qui est de leur dignité, il est certain qu'ils ont été créés d'une manière excellente et tout à fait supérieure, dans une splendeur, une beauté, une noblesse, une gloire vraiment admirables. Dieu, la source infinie de toute noblesse, les a faits à l'image et à la ressemblance de la suprême et adorable Trinité (comme d'ailleurs, ainsi que nous l'avons dit plus haut, les âmes des hommes qui ont cela de commun avec les anges d'être l'image de Dieu). Il est certain de plus que cette image a été déformée par le péché dans Lucifer, dans les démons et dans les hommes, a été conservée dans toute son intégrité et sa pureté par les bons anges. Voilà pourquoi, s'il est vrai que les âmes saintes tirent de l'union de la divinité avec l'humanité dans la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, une dignité plus grande que les anges, ceux-ci cependant l'emportent de beaucoup sur les hommes par leur innocence et leur persévérance dans une splendeur qui n'a pas été ternie. La dignité et l'élévation de leur nature est assurément bien supérieure de bien des manières à toute intelligence humaine. II. En second lieu, considère, je te prie, ô homme doué de raison, comment ces resplendissants amis et enfants de Dieu, ces très dignes princes du palais céleste, ont été désignés par un amour vraiment incompréhensible et excessif à être tes serviteurs. Ils te gardent, ils te servent avec une telle attention, un tel soin, une telle persévérance qu'aucun esprit ne peut s'en rendre compte. Aucune mère, jamais, n'a veillé sur son fils unique et bien-aimé pour le guider, le garder, le protéger comme ces bienheureux esprits veillent sur ton salut. C'est surtout ton ange à toi, celui qui est spécialement député par Dieu à ta garde, qui, jour et nuit, en tout temps et en tout lieu, t'assiste dans tous tes besoins et tous tes intérêts, te protège contre toutes les tentations et les embûches des ennemis visibles et surtout invisibles; il t'entoure de sa sollicitude et de son dévouement de manière à ne pas s'éloigner de toi un instant, que dis-je? de manière à ne pouvoir pas te quitter et cesser d'avoir les yeux sur toi. Et il est absolument nécessaire qu'il en soit ainsi, car tu vis au milieu d'une foule innombrable d'ennemis que tu ne peux pas voir, qui te poursuivent sans relâche de leur haine terrible, de sorte que tu n'échapperais pas un seul instant à leur fureur si ton bon ange n'était là pour les repousser. Ouvre donc les yeux et pense avec reconnaissance à la sollicitude pleine d'une tendresse infinie de ton Père céleste, vois de quel honneur il a daigné te combler, toi, misérable ver de terre, en te confiant à la garde d'amis si puissants et si fidèles qui te servent avec un soin jaloux et te conduisent dans toutes tes voies. Tous ces esprits sont en effet des serviteurs envoyés en aide à ceux qui désirent l'héritage du salut. III. En troisième lieu, regardez comme certain et indubitable que l'affection des anges envers les hommes, celle de votre ange propre envers vous, est tellement grande, tellement vive qu'elle dépasse, plus qu'on ne saurait dire, toute affection humaine. Non, jamais mère, si tendre et compatissante que vous la supposiez, n'a porté à son fils unique un amour comparable à celui que votre ange propre a pour vous. Ces esprits célestes et bienheureux savent en effet, ils voient clairement de quel amour immense, admirable et très ardent le Seigneur entoure tous les hommes et vous-même, aussi veulent-ils, à leur tour, vous aimer comme vous ne pourrez jamais le comprendre ou l'exprimer. Voilà pourquoi votre ange vous sert très amoureusement, très doucement, très fidèlement, en tout temps, en toute circonstance, dans tous les périls; il veille nuit et jour à votre conduite, à votre direction, à votre protection; il se transporte avec vous d'un lieu à l'autre; jamais il ne vous abandonne le plus petit instant. C'est ainsi que toujours il vous persuade ou vous inspire ce qu'il y a de meilleur, de plus sûr, de plus heureux pour vous, il se réjouit d'une manière indicible de vos progrès et de vos bonnes résolutions; il s'attriste profondément de vos défauts et de vos désagréments; il souhaite ardemment, il demande, il sollicite pour vous tout ce qui peut vous être salutaire dans ce monde et dans l'autre; il présente lui-même à Dieu vos prières et vos bonnes uvres, enfin il se fait votre intercesseur continuel et dévoué pour votre salut, auprès de Dieu. Rejetant donc tout aveuglement de l'esprit, et bannissant l'ingratitude, ouvrez les yeux intérieurs; examinez dans un sentiment de profonde gratitude tous ces documents de l'amour divin envers vous. En tout lieu, en tout temps, que vous soyez debout ou assis, en marche ou couché, tenez-vous respectueusement devant Dieu et ses Anges; abstenez-vous avec soin de tous les vices et de tous les péchés qui pourraient offenser leur regard. Ah ! si vous faisiez attention sérieusement à ces trois points que je viens de vous signaler, si vous les jugiez à leur juste valeur, comme vous vous conduiriez partout et toujours avec cette prudence, ce respect, cette religion qui conviennent: sobre, chaste, pieux, aimable, parfait enfin! Comme vous vous efforceriez sans cesse à vous montrer reconnaissants! Comme vous seriez attentifs à plaire à ces glorieux et bienheureux esprits et surtout à votre ange gardien, dans tout ce que vous feriez et dans tout ce que vous diriez! Ah! sans doute vous iriez avec bonheur à l'Église, car c'est là que se trouvent réunis en grand nombre, les anges, auprès de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de ses sacrements. Oui, certes, vous auriez du mal à vous arracher à cette auguste, douce et aimable société des anges, présents dans le lieu saint, alors même que le Seigneur et le roi des anges ne serait pas là, présent lui aussi, dans son sacrement. Ah! qu'ils sont donc aveugles, insensibles et ingrats tous ceux qui, en voulant paraître religieux dans leurs exercices, ne laissent pas que de se tenir à l'église, non seulement sans dévotion, sans joie et sans amour, mais dans une sorte de paresse et de dégoût. Et cependant hélas! ô honte et ô douleur! ils sont si nombreux, un peu partout, ces malheureux dont le démon a aveuglé le cur, qu'on ne peut pas les compter; et c'est là ce que nous ne déplorerons jamais assez. Pourvu que vous ne soyez pas de la foule de ces aveugles, il serait surprenant, vraiment, que, connaissant et voyant ces choses, vous puissiez encore être tristes, accablés, découragés, ou vous laisser dominer par la pusillanimité et la paresse. Nous voilà donc maintenant fixés sur la façon dont un grand mystique et un savant Docteur en théologie envisage et comprend la question du ministère des anges et notamment de l'ange gar-dien préposé à chaque âme venant au monde. Et maintenant, pour avoir un tableau complet de la croyance au ministère des anges que professaient les religieux de l'époque médiévale, il suffirait de consulter la littérature religieuse du temps pour y trouver de nombreux récits d'intervention bénéfique du monde angélique ; nous en retiendrons un exemple typique. *
3. Saint Raymond Nonnat.
Saint Raymond Nonnat (1204-1240), eut dès sa plus tendre enfance une dévotion toute spéciale pour la Sainte Vierge; il eut le bonheur d'avoir des preuves tangibles de la joie que cette dévotion à la Madone causait à son ange gardien. Dès son jeune âge, le petit garçon manifestait un vif désir d'entrer dans les ordres, mais son père ne l'entendait pas de cette façon; il fit supprimer les leçons et envoya son fils garder les moutons; il pensait ainsi le détourner de son mysticisme; l'enfant fut désolé, mais il obéit à l'ordre de son père. Il fut bientôt récompensé de sa soumission aux volontés paternelles; à courte distance de l'endroit où il devait faire paître ses moutons, il y avait une église dédiée à saint Nicolas de Myre, où l'on vénérait une belle statue de la Vierge; l'enfant, chaque fois qu'il le pouvait, se rendait au sanctuaire pour prier et confier à la Madone son chagrin de ne pouvoir rester constamment en prière à ses pieds. Un jour où l'enfant avait prié avec une immense ferveur, la sainte Vierge lui apparut et lui dit: «Ne crains rien Raymond, je te protégerai. Chaque fois que tu en auras besoin, recours avec confiance à ta Maman du Ciel et tu seras exaucé.» Comme on peut bien le penser cette apparition et cette promesse ne pouvaient qu'intensifier la dévotion du jeune Raymond et augmenter son désir d'entrer dans les ordres. Un jour que l'enfant était pris du désir impérieux de prier aux pieds de la Madone et qu'il lui était impossible d'abandonner la garde des moutons, un jeune homme d'une beauté rayonnante se présenta subitement à lui et lui offrit de prendre la surveillance du troupeau; l'enfant, tout en larmes, remercia avec effusion l'inconnu et s'empressa de se rendre à l'église pour manifester sa reconnaissance aux pieds de la Vierge. Le merveilleux jeune homme était l'Ange gardien de Raymond. Cette miraculeuse intervention ne fut pas unique; elle se répéta plusieurs fois, jusqu'au moment où le père de Ventant, ayant appris ce qui se passait, vint sur place et fut gratifié de la vision de l'aide mystérieux; il réalisa alors que le désir de son fils d'entrer dans les ordres était approuvé par l'Au-Delà et il ne s'opposa plus à la vocation religieuse de son fils. La Vierge révéla à Raymond qu'il devait aller à Barcelone et se faire recevoir dans l'Ordre de Notre-Dame-de-la-Merci pour la rédemption des captifs. Après un noviciat plein de ferveur, il fut envoyé en Afrique pour racheter les prisonniers; n'ayant pas assez d'argent, il se vendit comme otage et eut à souffrir de nombreux sévices avant que la somme qui devait le libérer soit arrivée. II fut élevé au cardinalat, mais n'en prit pas l'habit et vécut modestement, en oraison, dans sa pauvre cellule de moine. Sur le point de mourir, il reçut la communion des mains mêmes de Jésus-Christ. Sa fête se place le 31 août. |