SECTION VI:

L'Angéologie de Bossuet

 

Voyons maintenant comment un des plus célèbres théologiens du XVIIe siècle, Bossuet, évêque de Meaux, surnommé l'Aigle de Meaux (1627-1704), envisage la question des Anges et leur ministère auprès des humains.

       Pour Bossuet, la joie des anges est très grande quand nous sommes renouvelés par la pénitence; en proportion de leur joie, leur charité augmente à notre égard. Il ne faut pas oublier que les anges ont été les annonciateurs de paix aux hommes de bonne volonté.

       Bien que goûtant le vrai bien dans sa source, le bonheur des anges est augmenté par notre retour dans la voie droite, et cela grâce à leurs efforts, car ils sont stimulés par l'exemple et le sacrifice du Christ ; comme Lui et sur son ordre, ils sont à la recherche de la brebis égarée. On sait que les voies du Seigneur sont miséricorde et justice, c'est pourquoi la pénitence comble les saints anges de joie.

       En une série d'Élévations, Bossuet traite de la question des anges; la première Élévation se rapporte à la Création des Anges.

       Dieu qui est un pur Esprit, a voulu créer de purs Esprits comme Lui, qui comme Lui vivent d'intelligence et d'amour, soit d'opérations spirituelles et immatérielles qu'on peut exercer sans être uni à un corps.

       Les anges sont innombrables, car Dieu multiplie les choses les plus excellentes, ainsi qu'il est proclamé au Psaume CXXXVII:

       0 mon Dieu! Je vous adorerai devant vos saints anges; je chanterai vos merveilles en leur présence et je m'unirai en foi et en vérité à cette immense multitude de votre temple, de vos adorateurs perpétuels.

       Bossuet donne la suite des ordres angéliques en commençant par la hiérarchie inférieure:

 

Anges - Archanges - Vertus.

Dominations - Principautés - Puissances.

Trônes - Chérubins - Séraphins.

 

       On le voit, Bossuet range les Principautés dans la seconde hiérarchie et non dans la troisième selon l'ordre couramment reçu.

       Devant cette succession ininterrompue des ordres angéliques, Bossuet de s'écrier : «0 Dieu! qui avez daigné nous révéler que vous les avez faits en si grand nombre, vous avez bien voulu nous apprendre encore que vous les avez distribués en neuf chœurs». Quant à la splendeur de Dieu, il nous est révélé que même les Séraphins qui sont les plus sublimes et tout près du Seigneur, n'osent pas contempler sa face directement; c'est pourquoi symboliquement la Bible nous apprend qu'ils ont six ailes, soit quatre pour se voiler et deux pour voler ou mieux pour voltiger autour de Dieu sans pouvoir entrer dans ses profondeurs.

 

La deuxième Elévation a trait à la chute des anges.

       Bossuet, s'en référant à Job (XV, 15), constate que rien n'est immuable; même ceux que Dieu avait créés pour le servir, n'ont pas été stables et il a trouvé de l'impureté et de la dépravation dans ses anges. Or Dieu n'a point épargné les anges pécheurs, mais il les a précipités dans les ténèbres infernales (2 Pierre, 11,4).

       Quel est le motif de la chute lamentable de Lucifer (le porteur de Lumière)? Bossuet, en accord avec l'enseignement de l'Ecriture, fait ressortir que c'est l'orgueil qui l'a perdu; il faut que ce soit aussi une leçon et une mise en garde pour nous; et le prélat de s'écrier en s'adressant à Lucifer lui-même: Esprit superbe et malheureux, vous vous êtes arrêté en vous-même, admirateur de votre propre beauté, elle vous a été un piège. Vous avez dit: «Je suis beau, je suis parfait et tout éclatant de lumière; et au lieu de remonter à la source d'où vous venait cet éclat, vous avez voulu comme vous mirer en vous-même, mû par votre orgueil indompté.

       Pour qualifier les démons ou anges rebelles, Bossuet dira: «Vous êtes des esprits privés d'amour; vous vous êtes retirés de Dieu et II s'est retiré de vous.»

 

       La troisième Elévation traite de la Persévérance et de la Béatitude des saints Anges; de leur Ministère envers les Elus.

       Bossuet s'en réfère à l'Apocalypse (XII, 7-8), qui raconte le grand combat qui se livre dans le ciel; saint Michel et ses anges luttent contre le Dragon ; et pour finir le Dragon et les anges rebelles qui l'ont suivi tomberont. Le combat est assimilé à un conflit de pensées et de sentiments. L'ange d'orgueil qui est appelé dragon, soulevait ses anges en leur disant: «Nous serons heureux en nous-mêmes et nous ferons comme Dieu notre volonté». Tandis que saint Michel disait au contraire: «Qui est comme Dieu? Qui se peut égaler à Lui?» Or on sait que cette interrogation est justement la qualification et le cri de ralliement de saint Michel.

       Les anges fidèles, avec saint Michel à leur tête, sont dénommés les anges élus, car par leur libre arbitre, ils ont persévéré dans le bien et ils ont obtenu la félicité éternelle.

       Tout vient de Dieu, et l'ange n'a point à se glorifier en lui-même ainsi qu'il est dit dans la première Epître de Paul aux Corinthiens (I, 29-31); toute sa gloire est en Dieu. Et Bossuet de proférer:

Soyez heureux saints Anges,

Venez à notre secours!

Ange gardien, repoussez les tentations du malin!

0 saint Michel que je puisse dire avec vous: Qui est comme Dieu?

0 saint Gabriel, appelé «Force de Dieu», puissions-nous profiter de vos prédications!

0 saint Raphaël, médecine de Dieu, guérissez mon âme d'un dangereux aveuglement!

0 Dieu, envoyez-nous vos saints Anges!

       Dans sa dissertation sur l'Apocalypse, Bossuet fait remarquer que dans cet ouvrage, nous y voyons, avant toute chose, le ministère des anges: sans cesse, ils vont du ciel à la terre et de la terre au ciel; ils portent, interprètent et exécutent les ordres de Dieu, aussi bien les ordres pour le salut que ceux pour le châtiment.

       Et voici une mission très importante des Anges: Ils s'entremettent dans toutes les actions de l'Eglise; un ange préside au baptême, un autre intervient au moment de l’oblation, c'est l'ange de la Cène; l'ange de l'oraison présente à Dieu les vœux des fidèles. Le chapitre huitième de l'Apocalypse fait ressortir la nécessité de reconnaître le ministère des anges. Il y a encore, l'Ange de l'encens, l'Ange du feu, l'Ange des eaux et la médiation des anges gardiens individuels.

       Dans l'Apocalypse, il est aussi parlé des sept anges cosmiques qui versent sur la terre leurs sept coupes d'où découlent sept plaies terribles: ce sont les coupes de la colère de Dieu.

       Dans l'Apocalypse encore (VIII, 3), il est fait mention de l'ange qui se tient debout devant l'autel. Et Bossuet d'expliquer, dans ce cas, l'autel c'est Jésus-Christ; c'est là que l'ange apporte, comme des parfums, les prières qui ne sont reçues que par Lui. Ainsi, ce ministère angélique, loin d'affaiblir celui de Jésus-Christ, le reconnaît et l'honore. Les protestants veulent que cet ange soit Jésus-Christ en personne; ils se trompent, car Jean dit bien un autre ange, comme les sept dont on vient de parler.

       Dans son Discours sur l'Unité de l'Église, Bossuet y intercale en bonne place le ministère des anges. Il dira en effet: après la Divinité, rien n'est plus beau que l'Église, où l'unité divine est représentée: «Un comme nous, un en nous; regardez, et faites suivant ce modèle». Mais une si grande lumière nous éblouirait : descendons et considérons l'unité avec la beauté dans les chœurs des anges. La lumière s'y distribue sans se diviser: elle passe d'un ordre à un autre, d'un chœur à un autre, avec une parfaite correspondance, parce qu'il y a une parfaite subordination. Les anges ne dédaignent pas de se soumettre aux archanges, ni les archanges de reconnaître les puissances supérieures. C'est une armée où tout marche avec ordre... Les anges demeurent unis à leur Créateur sous le chef qu'il leur a donné. Selon cet ordre admirable, toute la nature angélique a ensemble une immortelle beauté et chaque troupe, chaque chœur des anges a sa beauté particulière, inséparable de celle du tout. Cet ordre a passé du Ciel sur la terre d'où la nécessité de l'unité de l'Église, voire de sa hiérarchie.

       C'est particulièrement dans son Sermon pour la Fête des anges gardiens que Bossuet nous révèle tout le cas qu'il fait du ministère des anges; il cite tout d'abord ces paroles de Jésus à Nathanaël, rapportées par Jean (I,51): «Je vous le dis en vérité, vous verrai les cieux ouverts, et les anges de Dieu montant et descendant».

       Enseignement à retenir: dans la société des anges, les hommes y prennent un esprit de paix et de saint amour les uns pour les autres. Les anges comme les hommes ont été faits pour jouir de Dieu. Les anges descendent de Dieu aux hommes et remontent des hommes à Dieu, parce que la sainte alliance qu'ils ont renouvelée avec nous les charge d'une double ambassade. Pour nous, la charité nous fait monter, pour les anges, la charité les incite à descendre vers nous pour nous aider. La patrie des anges est à la source même du bien, dans le centre même du repos qu'ils possèdent par la claire vue. Réjouissons-nous de cette descente bienheureuse qui unit le ciel à la terre. Ce qui fait descendre les anges, c'est le désir d'y exercer la miséricorde; ils quittent leur lieu de bonheur pour secourir les affligés. Les anges célestes, de peur d'être ingrats envers le Créateur aiment à être bienfaisants envers ses créatures. La miséricorde qu'ils font glorifie celle qu'ils reçoivent. Sur terre, les misères abondent et les anges bienfaisants y trouvent matière à riche moisson.

 

Esprits de lumière, les anges dissipent nos ténèbres.

       Bossuet a complété ce tableau du ministère des anges par une étude spéciale des Anges gardiens.

       Les anges gardiens s'intéressent à tous nos besoins; ils ressentent toutes nos nécessités, à toute heure et à tout moment ils se tiennent prêts pour nous assister, gardiens toujours fervents et infatigables; sentinelles qui veillent toujours, qui sont en garde autour de nous nuit et jour sans se relâcher un instant du soin qu'ils prennent de notre salut.

       Comment reconnaîtrons-nous leurs soins assidus? Non contents de devenir compagnons des hommes, ils se rendent leurs ministres et leurs serviteurs depuis la naissance jusqu'à la mort.

       Il est aisé de les contenter; ils descendent pour notre salut; en reconnaissance, ils demandent qu'ils ne soient pas venus inutilement, que nous ne les déshonorions pas en les renvoyant les mains vides. Ils sont venus à nous pleins de dons célestes dont ils enrichissent nos âmes; pour récompense, ils demandent que nous les chargions de nos prières, afin qu'ils puissent les présenter à Dieu.

       Les anges peuvent quitter la terre, mais ils ne nous abandonnent pas pour cela, ils ne changent pas leurs pensées; venant sur terre, ils rayonnent la gloire dont ils jouissaient au ciel; ils l'emportent avec eux en retournant auprès du Père; ils y vont traiter nos affaires, représenter nos intérêts, ils y portent nos prières et nos oraisons. D'où l’Ange de l'Oraison que l'on voit mentionné dans certains écrits religieux. Mais, attention, les anges portent aussi à Dieu, nos manquements et nos crimes.

       Les anges ne se contentent pas de présenter nos vœux; ils offrent nos aumônes et nos bonnes œuvres; ils recueillent jusqu'à nos désirs; ils font valoir devant Dieu jusqu'à nos pensées. Surtout, nul ne saurait assez exprimer combien est grande leur joie quand ils peuvent offrir à Dieu, les larmes des pénitents, les travaux soufferts pour l'amour de Lui en toute humilité et patience. Vous qui vivez dans les afflictions, ou qui languissez dans les maladies, si vous souffrez vos maux avec patience, en bénissant la main qui vous frappe, quoique vous soyez peut-être le rebut du monde, réjouissez-vous en Notre-Seigneur de ce que vous avez un ange qui tient compte de vos travaux. Il regarde avec respect vos douleurs.

       Chrétiens, désabusez-vous, il y a un peuple invisible qui vous est uni par la charité; c'est la troupe innombrable des anges.

       Si leurs bienfaits ne vous touchent pas, si vous êtes insensibles à leurs bons offices, appréhendez du moins leur indignation. Car, encore une fois, si les anges sont chargés de porter à Dieu nos vœux, ils sont aussi obligés d'y présenter nos fautes. Ne contraignons pas ces esprits célestes de forcer leur naturel bienfaisant, et de devenir des anges exterminateurs en lieu et place de protecteurs et de gardiens. N'éteignons pas cette charité si tendre, si vigilante, si officieuse; et si nous les avons affligés par notre long endurcissement, réjouissons-les par nos pénitences. Renouvelons-nous dans ce temple de la pénitence, les saints anges y habitent volontiers.

       Dans son Explication de la Messe, Bossuet traitera entre autres de cette question spéciale: Pourquoi on emploie dans l'oblation le ministère des saints anges?

       Durant la messe, les saints anges, notamment l'Ange de l'Oraison, reçoivent les prières et les portent à Dieu; il en est de même pour l'oblation: Saint! Saint! Saint! Les anges l'ont déjà dit avant et le répètent avec l'orant: «Nous vous conjurons, ô Dieu tout-puissant; commandez que ces choses soient portées par votre saint ange à votre autel sublime...

       Les anges qui adorent Dieu et sa majesté sainte, par leur pureté, sont plus efficients pour porter à Jésus-Christ notre prière. De la sorte, notre accès à Dieu est facilité.

       Traitant du Culte dû à Dieu, Bossuet s'élève contre un culte de latrie rendu aux anges, car seul le culte de latrie est réservé à Dieu, mais il recommande le culte de dulie. Le faux culte d'adoration rendu aux anges est condamné par l'apôtre Paul, par les Docteurs anciens et par le concile de Laodicée.

       La doctrine des anges entremetteurs entre Dieu et nous, serait puisée à l'école de Platon qui rend un culte à ces entités.

       Il y eut une fois une secte dite des Angéliques qui prétendait que le monde avait été fait par les anges. Paul (Col. 1,16), combat cette idée et attribue la création des anges avec toutes leurs hiérarchies à Dieu qui les a soumises à son Fils.

       En conclusion, on peut dire que Bossuet fut un ardent défenseur du ministère permanent des anges dans l'économie du cosmos; il croyait à leur mission de messagers du Père et à leur rôle primordial de protecteurs des hommes.

Vision de saint Jean décrite au chapitre IV de l'Apocalypse (Miniature du VIIIe siècle)