SIXIÈME MOTIF

Les saints anges nous assistent dans les choses temporelles

 

 

Après avoir parlé des bienfaits des anges en général, il est bon de venir un peu plus aux faveurs particulières dont ils nous gratifient, afin que le cœur de l'homme soit inexcusable et qu'il soit obligé d'aimer à quelque prix que ce soit. « Car si les bienfaits, dit le dévot P. de Grenade, sont à l'amour ce que le bois est au feu qui s'enflamme de plus en plus et devient plus grand à proportion qu'on lui donne de la matière, quels feux et quelles flammes, quels incendies l'amour des anges ne doit-il pas produire en nous, puisque nous sommes accablés de toutes parts, de leurs charitables bienfaits ? » Vous diriez qu'ils ont résolu d'emporter le prix de l'amour, en la manière dont ils nous traitent si obligeamment et en toutes sortes de faveurs dont ils nous honorent avec des profusions d'une libéralité sans pareille. Voyons cette vérité dans les choses temporelles, et puis nous la considérerons dans les spirituelles, qui conduisent à la grande et bienheureuse éternité, et nous serons ensuite obligés d'avouer que dans l'amour des anges l'on trouve toutes sortes de biens.

 

Les anges ont soin de notre éducation corporelle, et ce furent ces glorieux esprits qui élevèrent dans le désert le petit saint Jean-Baptiste, que sa sainte mère y avait mené, fuyant la persécution d'Hérode, et qui y mourut quarante jours après sa retraite en cette solitude, laissant ce bénit enfant âgé seulement de dix-huit mois, tout seul dans un désert, sans l'assistance d'aucune créature visible. Ils prennent soin de la nourriture de nos corps. Ils portaient à la bienheureuse Clère Indoise, dans une riche coupe, de la manne plus blanche que la neige et dont la délicatesse du goût surpassait celle des mets les plus agréables de la terre. Ils traitèrent et firent bonne chère à saint Firme et saint Rustique, martyrs. Ils portèrent à manger à Daniel dans le lac où il était détenu, et le saint prophète Elie étant couché par terre, si fatigué qu'il n'en pouvait plus, en reçut une nourriture qui lui donna tant de force qu'elles furent suffisantes pour le faire marcher durant quarante jours, jusqu'à la sainte montagne d'Oreb.

Ils donnent à boire à ceux qui ont soif. L'enfant d'Agar étant sur le point d'en mourir, ils lui conservèrent la vie par le moyen de l'eau qu'ils montrèrent à cette mère affligée. Ils donnent des habits aux hommes ; sainte Anthuse, vierge, en fut revêtue magnifiquement. Ils procurent des honneurs ; cent anges parurent à la mort de la bienheureuse Agathe et lui firent son épitaphe. Ils élevèrent à l'honneur de l'épiscopat l'illustre saint Mellon, archevêque de Rouen, et à la première dignité du monde le Souverain Pontife saint Grégoire le Grand. Ils récréent et donnent des plaisirs innocents. Saint François étant malade, ils touchèrent un instrument de musique pour le récréer. Ils donnèrent le même plaisir à Nicolas de Tolentin, six mois durant, auparavant sa mort. Ils firent entendre des concerts ravissants auprès du sacré corps de la Mère de Dieu, trois jours durant, pour la consolation de ceux qui approchaient de ce tabernacle divin. Ils donnèrent des roses à sainte Rosalie, dans un désert qui n'en avait jamais porté. Ils veulent contenter les désirs de leurs amis. Sainte Agnès du mont Polician avait envie d'avoir de certaines reliques ; elle en reçut comme elle le souhaitait, par les mains de ces aimables esprits. Ils font la fortune et enrichissent ceux qui les servent, quand cela n'est pas contraire à l'ordre de Dieu ; ce fut par leurs saintes industries que Jacob devint riche auprès de son beau-père Laban. Ils obtiennent des enfants aux personnes mariées qui n'en ont pas, comme il se lit au livre des Juges, en la personne de Manué. Ils rendent les personnes éloquentes, comme il se voit en Isaïe. Ils font de beaux et riches présents, témoin ce tableau magnifique qu'ils donnèrent à sainte Galle, jeune veuve romaine. Ils tiennent compagnie dans les voyages ; nous en avons une forte preuve en la personne de Tobie, qui fut conduit, avec une bonté toute ravissante, par saint Raphaël. Ce même archange tint compagnie visiblement à saint Macaire le Romain, durant trois ans, l'ayant mené depuis sa sortie de Rome, dont ce saint s'était enfui le jour de ses noces jusque bien avant dans les déserts. Ils rendent visite et consolent les serviteurs de Dieu. Toutes les histoires des Pères du désert sont pleines des témoignages de cette vérité. Sainte Lyduvine en était souvent visitée ; souvent les martyrs, dans leurs prisons, recevaient cet honneur. Mais ne pensez pas, dit le docteur Rupert, qu'ils les aient seulement visités quand ils se sont rendus visibles ; ils leur étaient très présents lors même qu'ils ne les voyaient pas, les soutenant dans leurs peines, leur donnant des forces au milieu de leurs fers, et prenant même plaisir à compter toutes leurs plaies. C'a été un spectacle ravissant de les avoir vus essuyer avec un linge blanc, les sueurs d'un glorieux martyr et lui donner de temps en temps de l'eau à boire pour lui procurer quelque rafraîchissement à ses douleurs. Ô mon Dieu, ô mon Dieu, qu'il fait bon souffrir quelque chose pour vous !

 

Mais s'ils nous procurent tous ces biens en cette vie, ils nous y assistent, ou nous délivrent de toutes sortes de maux. Ils délivrent de prison, ôtent les chaînes et mettent en liberté, comme l'Écriture nous l'apprend du Prince des apôtres et l'unique chef de l'Église. Ils délivrent des flammes, comme il est rapporté en Daniel ; des incendies, comme nous le lisons en la Genèse : des lions, comme il se voit en la personne du prophète dont nous venons de parler ; de la calomnie, de l'infamie et de la mort, comme le Saint-Esprit nous le déclare de Suzanne ; du glaive, comme il est visible en la personne d'Isaac. Ils guérissent de toutes sortes de maladies, comme l'écrit saint Jean, le disciple bien-aimé, en son Évangile. Nous voyons au IVe Livre des Rois, comme ils soutiennent leurs amis et s'opposent à ceux qui leur veulent du mal ; ils prennent leurs querelles, prennent l'habit et la forme de soldats, et vont à la guerre pour eux. Nous en avons de prodigieux exemples dans les Machabées. Enfin, il faudrait ici compter tous les maux dont nous pouvons être affligés, soit au corps, soit à l'esprit, soit dans les biens temporels, naturels, moraux, soit dans le particulier, soit dans le publie, par les guerres, peste, famine ; soit par nos amis, soit par nos ennemis, pour marquer les différents secours que nous recevons des anges, et pour apprendre à tous les peuples que ce sont les aimables et puissants protecteurs à qui il faut avoir recours en tous nos besoins, de quelque nature qu'ils puissent être. À la vérité, la divine Providence nous a donné les saints pour défenseurs ; les uns pour la peste, comme saint Sébastien, saint Roch, saint Adrien ; les autres pour le mal de dents, comme saint Laurent, sainte Apolline ; ceux-ci pour le mal des yeux, comme saint Clair, sainte Luce ; d'autres pour la captivité, comme saint Léonard, saint Paulin : ainsi dans l'ordre de la Providence l'on a recours particulièrement à un saint pour une chose, et à un autre saint pour une autre ; mais dans l'ordre de la même Providence, les anges sont établis pour nous assister généralement en tous nos maux, et pour nous obtenir toutes sortes de biens. L'on ne peut mieux faire que de s'adresser à ces esprits charitables, et leur faire des dévotions particulières, ou leur en ordonner dans le public, pour apaiser la colère de Dieu, et pour en obtenir les miséricordes.

 

Admirons encore ici, avant que de finir, la protection des anges dans l'exemple admirable que nous en donne l'Écriture. C'était un ange qui conduisait le peuple de Dieu par cette colonne miraculeuse dont il est parlé dans l'Exode. C'était l'un de ces esprits immortels qui donnait le mouvement à cette colonne, qui a marché devant ce peuple l'espace de quarante ans, et qui lui montrait le chemin qu'il fallait tenir au milieu des déserts, dans lesquels l'on ne remarquait aucune route que l'on pût suivre. Il la faisait aller ou arrêter, selon le besoin qu'avait ce peuple de marcher ou de se reposer. Il la rendait visible, sous la forme d'une nuée durant le jour, et durant la nuit sous celle du feu. Il l'avait rendue épaisse, large, longue, afin qu'elle pût être facilement découverte par une si grande multitude de personnes, qui, selon l'opinion du savant Pererius, tenaient environ cinq lieues de chemin. Il s'en servait pour leur faire ombre et les défendre des grandes et excessives chaleurs du soleil. Il lui fit quitter le devant de ce peuple, pour prendre le derrière, pour se placer dans cette colonne entre les Hébreux et l'armée de Pharaon, éclairant les Hébreux, et aveuglant ces infidèles, qu'il fit périr malheureusement dans les eaux de la mer Rouge, qu'il avait séparée en un instant, pour y faire marcher à sec les troupes qui étaient à Dieu. Toute l'armée des Égyptiens, composée de deux cent cinquante mille soldats, y fut submergée sans qu'il en restât un seul pour en porter la nouvelle. Je laisse à la piété de ceux qui liront cette admirable conduite, d'en méditer à loisir tous les effets. Pour peu qu'on les remarque, on en verra de si touchants, qu'il ne sera pas possible de n'être pas entièrement convaincu que les services que les anges rendent aux hommes sont incomparables, et à en magnifier ensuite le saint nom du Seigneur, qui lui seul opère toutes ces merveilles par les ministres de sa cour céleste.