SECOND TRAITÉ
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PREMIÈRE PRATIQUE
Avoir une dévotion singulière aux anges, archanges et principautés
Les trois ordres de la troisième et dernière hiérarchie des anges sont composés des anges, des archanges et des principautés, ou, selon quelques-uns, des vertus. Cette dernière hiérarchie est appliquée spécialement aux soins des hommes, des royaumes et provinces, ou de quelques autres choses particulières qui regardent le bien de l'homme. Nos anges gardiens sont pris ordinairement du troisième ordre de cette hiérarchie : les archanges veillent sur les empires et sur les provinces ; et les principautés communiquent aux anges et archanges les ordres de la divine Providence, qu'ils reçoivent de la seconde hiérarchie. Ils sont appelés principautés, selon saint Grégoire, parce qu'ils sont les princes des célestes esprits des deux ordres inférieurs de leur hiérarchie. Les anges manifestent la divine volonté dans les choses ordinaires ; les archanges la font connaître en celles qui sont de plus grande conséquence ; et les uns et les autres l'apprennent et en reçoivent les lumières par les principautés, qui représentent d'une manière spéciale l'empire et la souveraineté de Dieu. Or, les bontés charitables des bienheureux esprits de cette hiérarchie envers les hommes, sont si excessives, sont si admirables, que jamais nous ne pourrons assez ni les reconnaître, ni les admirer ; mais au moins aimons-les autant que nous les pourrons aimer : je sais bien que ce ne sera jamais selon leurs mérites : fasse le ciel, que ce soit de toutes nos forces, autant que l'ordre de Dieu le demande de nous, et en la manière qu'il désire !
Ayons donc une singulière dévotion à nos bons anges gardiens : en vérité, il est bien difficile de s'en défendre ; et il faut n'avoir plus du tout de lumières, et être sans cur pour ne pas entrer, à leur égard, dans tous les sentiments possibles d'une entière et parfaite reconnaissance. Honorons beaucoup tous les anges gardiens des infidèles, et allons de temps en temps en esprit pour converser avec eux, et leur tenir compagnie, pour leur marquer les regrets de nos curs sur l'infidélité des personnes qu'ils gouvernent. Hélas ! bien loin de les remercier de leurs soins amoureux, ces pauvres infidèles ne savent pas même qu'ils en sont assistés. Admirez ces princes du ciel, et leur patience infatigable : considérez-en tant de millions dans ces terres étrangères, qui veillent sans se lasser sur tous ces misérables, sans que jamais ils en reçoivent la moindre reconnaissance ; tâchez de suppléer, le moins mal qu'il vous sera possible, à leur oubli ; que ces ingratitudes, ou cette ignorance, vous remplissent le cur de mouvements d'amour pour ces esprits d'amour. Communiez de temps en temps en leur honneur ; faites des mortifications, donnez des aumônes, entendez la messe, et faites-la célébrer ; surtout comme nous l'avons déjà dit, tenez-leur compagnie en esprit, allez souvent leur rendre visite. Ah ! si les princes de la terre, si les rois du monde étaient en quelque lieu où vous puissiez avoir l'honneur de les saluer, de les entretenir à votre aise, de gagner leur amitié, et ensuite d'en être considérés, que feriez-vous ? Voici des princes et des rois de l'Empyrée que vous pouvez saluer à loisir, dont vous pouvez avoir les bonnes grâces, qui sauront bien récompenser tôt ou tard l'affection que vous aurez pour eux. Comme ils sont délaissés, ils en auront plus de sujet de vous aimer davantage. Un grand roi et bien généreux qui recevrait hors de son royaume et dans l'abandonnement de ses sujets, des services considérables, ne manquerait pas de les reconnaître hautement quand il serait paisible dans ses États ; jugez de là ce que vous devez attendre de ces nobles esprits. Faites des dévotions en leur honneur, pour obtenir de la divine bonté, la conversion des peuples qui sont sous leur charge ; afin que connaissant l'adorable Jésus et l'aimable Marie, ils connaissent aussi et révèrent ces grands de la cour céleste. Je vous dis la même chose des anges gardiens des hérétiques, des anges gardiens de tant de pauvres gens de la campagne, qui n'ont guère plus de lumières sur les saints anges, que ceux qui vivent au milieu des terres infidèles. Entrez dans les mêmes pratiques à leur égard, et priez souvent que leur dévotion s'établisse par leur connaissance et leur amour.
Ayez de la dévotion aux anges gardiens de vos amis ; ils vous rendent en bien des rencontres des assistances plus grandes que vous ne pensez, et quelquefois même ils vous donnent des secours que vous ne recevez pas de votre propre ange gardien : il y a des occasions où ils s'intéressent pour le bien de ceux dont ils ont soin, sachant que votre amitié leur est utile pour le salut de leurs âmes. Comme il n'y a rien que ces saints esprits aient plus en horreur que les amitiés mauvaises ou dangereuses, une des choses aussi qui les console davantage, est une sainte union pour l'intérêt de Dieu. Les diables travaillent, autant qu'ils peuvent, à lier de mauvaises amitiés, et les bons anges à les rompre. Les saints anges unissent avec soin les personnes qui vont à Dieu, et les diables n'oublient rien pour les séparer, et y mettre quelque désunion. Une sainte personne ayant contracté une amitié fort chrétienne avec une autre, le diable, envieux du bien qui en arrivait, en prit une, et la jeta du haut d'un degré par terre. L'ange gardien de la personne amie accourut bien vite à son secours, et empêcha qu'elle ne fût blessée ; mais ce qui est remarquable, c'est que ce fut l'ange de la personne amie, et non pas le gardien de celle qui fut précipitée par le démon.
Dans ce nombre de vos amis, les directeurs spirituels y doivent tenir l'un des premiers rangs ; priez leurs bons anges qu'ils leur inspirent des conseils purs et conformes à la divine volonté : vous devez aussi bien considérer ceux de vos pères, mères, parents, ceux des autres personnes dont vous avez affaire, et qui vous rendent ou peuvent rendre quelque service ; l'honneur que vous rendrez à leurs anges ne sera pas sans effet, et vous obtiendrez par leurs moyens ce que vous ne gagneriez jamais par une autre voie. Souvenez-vous bien aussi des anges gardiens de toutes les personnes qui vous obligent ou qui vous ont obligés ; ces anges ont plus de part que vous ne croyez aux bienfaits que vous en avez reçus. Honorez les anges de vos ennemis, de ceux qui vous sont opposés en quelque manière que ce soit, c'est le vrai moyen de leur adoucir le cur ; ou, s'il est plus de la gloire de Dieu que vous en souffriez, ces glorieux esprits vous obtiendront des grâces spéciales pour faire un bon usage de vos souffrances, et pour aimer cordialement ceux qui vous haïssent, ou qui vous font de la peine. N'oubliez pas de rendre vos respects aux princes du ciel, qui gouvernent le Souverain Pontife, les évêques et autres personnes qui veillent sur l'Église, les rois, princes, gouverneurs et autres administrateurs des choses temporelles.
Les archanges des royaumes et des provinces doivent encore faire le sujet de vos dévotions ; comme aussi ceux des villes et villages où vous demeurez, et par où vous passez. C'était la dévotion du saint homme, le P. Le Fèvre, premier compagnon de saint Ignace ; et saint François de Sales en fait une honorable mention, en son livre de l'Introduction à la vie dévote. Saint François Xavier, allant aux Indes, fit ses dévotions au saint archange de ces pays ; et étant encore à Rome, il fut visité et exhorté puissamment de passer en ces terres étrangères par un ange habillé en Indien. Ce Macédonien, qui parut à saint Paul, et qui le pressait d'aller en Macédoine, pour y prêcher l'Évangile était sans doute l'archange de ce pays-là !
Nous avons dit ci-devant, qu'il y avait des anges qui prennent soin des cieux, du soleil, du feu, de l'air, des eaux, de la terre, et même des autres créatures qui sont dans le monde. Et l'angélique Docteur tient que Dieu se sert du ministère des esprits du ciel, pour tout ce qu'il fait ordinairement ici-bas en terre. C'est par eux que les fléaux de sa divine justice sont détournés, que les embrasements et les incendies s'éteignent, que les inondations cessent, que la peste s'apaise, que l'air se purifie, que les terres deviennent fertiles, et enfin que toutes sortes de biens nous arrivent, et que nous sommes préservés d'une infinité de maux ; et souvent tout cela sans que nous nous en apercevions, sans que nous sachions les obligations que nous en avons aux saints anges. Prenons donc aujourd'hui une bonne résolution de les en remercier quelquefois, et de les invoquer et faire invoquer par des prières publiques et particulières, en temps de famine, de guerre, ou de peste, dans les autres maladies et besoins, pour la sécheresse et la pluie, pour les grains de la terre, et en toutes sortes de nécessités. Nous avons aussi dit que c'étaient les protecteurs à qui nous devons avoir recours en toutes choses, et les plus puissants que le ciel nous ait donnés pour détruire toute la puissance de nos adversaires.
Nos églises ont des anges qui les gardent, et les autels mêmes ; et ils se rendent à grandes troupes auprès des tabernacles, où repose le très-saint sacrement de l'autel, pour y faire la cour à leur souverain. Plusieurs saints les ont vus rendre leurs adorations à leur grand Roi et au nôtre. Un saint ermite apprit de la bouche même d'un ange, qu'il gardait un autel, et qu'il n'en était point parti depuis sa consécration. C'est à ces anges que nous devons souvent avoir recours, afin qu'ils suppléent à nos négligences, à nos tiédeurs, et à notre peu de respect devant le Dieu d'infinie majesté, au très saint sacrement, afin qu'ils apaisent sa colère justement irritée, pour tant d'irrévérences qui se commettent en nos églises, afin qu'ils ouvrent les yeux à la plupart des Chrétiens qui font si peu d'attention à la vénération qui est due à nos temples. Il est bon de s'unir à ces esprits célestes, à leurs respects, à leurs amours ; et, à l'imitation du Psalmiste, chanter les louanges de Dieu en leur présence.
Ô mon Seigneur et mon Dieu, souffrez ici que mon cur se répande et soupire devant votre majesté, sur le déplorable aveuglement que l'on remarque parmi votre peuple, qui est le peuple de lumière. Est-ce donc vous, ô Dieu infiniment adorable ! qui êtes caché avec toutes vos grandeurs sous le voile des espèces de la divine Eucharistie ? Est-ce votre corps, votre sang, votre âme, votre divinité, qui est réellement et véritablement au très-saint sacrement de l'autel ? Reste-t-il encore quelque peu de foi pour ces vérités si indubitables ?
Mais est-ce une illusion ce que nous voyons, ce que nous touchons, ce que nous apercevons si souvent dans le traitement que vous recevez des hommes en cet auguste mystère ? Les cheveux dressent, et il n'y a partie dans tout le corps qui ne tremble de frayeur, quand l'on considère les abominables profanations que font les sorciers, de ce sacrement d'amour, et les impiétés horribles des hérétiques, à l'égard de ce mystère adorable. Mais qui pourra jamais concevoir les irrévérences des fidèles, des personnes qui croient et qui craignent, et qui se disent prêts de mourir pour cette vérité ; que vous êtes, ô mon Dieu, ô adorable Jésus, très présent en la divine Eucharistie. Anges du firmament, quel spectacle est-ce pour vous que la vue dun tel aveuglement ? Ah ! Quil faut bien dire que votre patience prend ces mesures de celle de ce débonnaire Sauveur, pour souffrir de telles irrévérences ! Non, il le faut dire à la face du ciel et de la terre, on ne peut en revenir ; il n'est pas possible, il faut se perdre d'étonnement lorsque l'on considère des ténèbres si effroyables. Ô mon Dieu ! Ô mon Dieu ! Vivons-nous dans un pays catholique ? Nos églises et nos autels sont-ils entre les mains des fidèles ? Ces peuples qui s'y rendent en foule, ont-ils quelque reste de foi ? Sommes-nous enchantés dans la découverte que nous faisons de ce qui se passe ; et si ce sont des vérités, pouvons-nous vivre ? Est-il possible que nous puissions rester dans un lieu où notre Maître est si étrangement traité ?
Écoutez, Chrétiens, mais écoutez-le bien : C'est une chose hors de doute, que sous la moindre petite parcelle du très saint sacrement de l'autel, le grand Dieu des éternités y est très véritablement ; tous les catholiques en demeurent d'accord. Mais quels soins apporte-t-on pour empêcher les profanations qui en peuvent arriver ? Oh ! Combien de prêtres, peu instruits des saintes rubriques, ou peu appliqués aux soins du corps adorable d'un Dieu, ne font presque point d'attention pour recueillir soigneusement les parcelles qui peuvent rester sur la patène ou sur le corporal ! La plupart des autels portatifs sont si petits, que l'on ne peut pas retirer le saint calice un peu à côté ou en arrière pour avancer la patène sur le corporal, et pouvoir lever ledit corporal, et en faire tomber les parcelles qui y restent sur la patène, en sorte que très souvent le corps du Fils de Dieu y demeure, et tombe par terre, ou bien est porté à l'eau, quand il les faut blanchir. Combien trouve-t-on de corporaux troués, ou dans une saleté qui fait bondir le cur ? L'expérience fait voir dans les maisons religieuses, où l'on se sert à la grille d'une patène quand l'on communie, ou de quelque taffetas rouge ou vert, parce que la couleur du linge ne permet pas de voir les parcelles de la sainte hostie, qui sont de la même couleur ; l'expérience, dis-je, fait connaître que souvent plusieurs parcelles se détachent insensiblement du très saint sacrement, et que par suite, dans les lieux où il n'y a qu'une nappe ordinaire, elles tombent, ou sur cette nappe, ou par terre, à moins que le prêtre ne veille extraordinairement à porter le ciboire de telle manière, qu'il soit toujours au-dessous de la sainte hostie, ce qui n'est pas presque possible en plusieurs occasions. Si elles tombent sur la nappe, elles tombent aussi par terre ; car à chaque fois que l'on communie, on laisse aller la nappe, et l'on n'y fait pas davantage de réflexion ; ensuite on la plie, on ne la regarde pas, et quand on le ferait, les petites parcelles qui sont presque imperceptibles, ne se pourraient pas voir, à raison de la couleur blanche du linge. Voilà donc le corps d'un Dieu foulé aux pieds, et quelquefois sous les souliers d'une chétive créature.
Combien de tabernacles pleins d'araignées ou de poussière, et si peu fermés, que l'on ne voudrait pas en sa maison avoir des armoires si peu sûres et si sales pour y renfermer les moindres choses ! Combien de prêtres en laissent-ils la clef dans l'église, sans être enfermée sous quelque autre clef, que l'on doit emporter, si l'on n'emporte pas celle du tabernacle ? Et combien de profanations arrive-t-il de ce peu de soin ? Nous parlons des choses que nous savons. Combien de ciboires, honteusement couverts de méchants haillons, pour y mettre la divinité, le corps et le sang de l'adorable Jésus ? Cependant les Chrétiens savent et voient ces choses, et presque personne ne pense à y apporter remède. L'on entend, hé mon Dieu ! Combien de fois l'ai-je entendu ? combien de fois me l'a-t-on dit ? Il n'y a point d'argent pour avoir même un peu de linge pour faire des corporaux ou purificatoires ! Les plus pauvres paysans en trouveront pour leur avoir des chemises et des collets ; mais pour vous, mon Dieu, vous n'avez pas ce crédit.
Ô Messieurs et Mesdames, qui avez tant de beau linge, tant de beaux meubles, tant de vaisselle d'argent, et qui en avez quelquefois pour les plus bas usages, que direz-vous au jour du jugement ? Pasteurs qui avez le soin de ce corps adorable, que lui direz-vous ? Sera-ce une excuse pour vous, de dire en ce jour redoutable, que l'Église n'avait pas d'argent pour avoir des corporaux, pour avoir quelque petit ciboire ou calice ? L'épargne d'un festin, de quelque repas, ou quelque autre dépense, y serait plus que suffisante ; je dis pour des calices et des ciboires ; car deux écus, ou moins, vous suffiraient pour avoir des corporaux, qui quelquefois sont si étroits, que le prêtre, après la consécration, à peine peut-il y tenir les mains. On verra dans la chapelle d'un gentilhomme un calice d'étain ; dans celle de plusieurs ecclésiastiques, qui en ont de bons revenus, la même chose, et presque point de corporaux ou d'ornements pour le saint autel. Mais est-il bien possible que ces choses que nous avançons soient véritables ? Y a-t-il encore quelque foi du très saint sacrement parmi les Chrétiens ? Nos curs peuvent-ils bien subsister après cela, sans se feindre de douleur ? Qui me donnera une voix de tonnerre, pour crier par toute la terre aux enfants des hommes, et leur reprocher leur dureté et leur insensibilité ?
Ô anges du paradis, je m'adresse à vous, sachant bien que les hommes sont des endurcis : ayez donc soin, je vous en conjure, je vous demande cette grâce, prosterné à vos pieds, dans le regret de mon cur, et baigné de larmes ; ayez soin du corps de notre Souverain. Ayez soin de toutes les parcelles des saintes hosties ; donnez de saints mouvements aux prêtres pour les bien nettoyer avant de les consacrer, et pour se servir ensuite de tous les moyens possibles, afin que celles qui restent après la consécration ne soient pas profanées. Inspirez de fortes vues aux prélats, aux archidiacres et aux visiteurs, pour tenir la main pour trouver des moyens à ce que le corps d'un Dieu soit traité, soit gardé avec toute sorte de respect. Donnez de plus en plus des lumières à ceux qui élèvent les ecclésiastiques dans les séminaires, à y donner les instructions nécessaires sur un sujet de telle importance ; faites que dans les conférences des ecclésiastiques l'on s'en entretienne, l'on en parle, l'on avise aux remèdes ; touchez le cur des personnes qui ont quelque commodité, à ce que dans les diocèses l'on s'unisse ensemble pour faire quelque fonds pour avoir des ciboires, calices, corporaux. Je sais, dans l'expérience que j'en ai, par un grand nombre de visites que mon ministère m'oblige de faire tous les ans, que si l'on avait un peu de zèle, il serait facile en quelques années, par les soins d'un prélat, des archidiacres, des curés, de la noblesse et de quelques personnes accommodées, d'avoir des tabernacles décents, des ciboires d'argent ; ou dans les lieux qui sont sujets à être volés, des ciboires de cuivre, dont la concavité serait remplie d'une façon de coupe d'argent, qu'il est facile d'approprier au ciboire fort au juste, et de l'y attacher proprement pour y mettre les saintes hosties, et cela pour peu de dépense, deux écus y pouvant suffire. Ces sortes de ciboires sont aussi propres que les petites boites d'argent, et sont plus d'usage, à raison qu'ils contiennent un plus grand nombre d'hosties, qui n'y sont pas exposées, comme dans les petites boîtes, à plusieurs périls que l'on voit en arriver, lorsque l'on s'en sert pour communier à Pâques, ou en d'autres fêtes solennelles, quand il y a grand nombre de personnes qui approchent de la sainte table ; il serait aisé, dis-je, d'avoir des tabernacles raisonnables, aussi bien que des ciboires, et de ne se servir plus que de calices d'argent, et de fournir toutes les églises et chapelles de corporaux et purificatoires qui seraient en bon ordre.
Sublimes intelligences, aimables gardiens des chapelles, faites connaître le désordre où elles sont ; faites-en faire la visite exacte ; car très souvent on ne les visite point, l'on se contente de celles des paroisses, ce qui fait qu'à peine sait-on ceux qui en sont les titulaires, qui souvent n'y viennent point, qui en mangent le revenu impunément, qui laissent les fondations, qui ne s'en acquittent que d'une partie et qui ne font aucune dépense pour ces chapelles ou prieurés qui sont dans un état pitoyable, sans ornements, sans décoration, qui paraissent plutôt des étables ou des granges, que des chapelles destinées à la consécration du corps et du sang d'un Dieu.
Oh ! Quel compte les prélats rendront-ils de tous ces lieux, où il se commet des irrévérences perpétuelles contre le plus auguste de nos mystères, par le peu de soin quils en ont. Je ne puis ici m'empêcher que je ne dise une remarque que j'ai faite en mes visites. S'il manque à une église une bannière ou un drap de mort, l'on voit un grand empressement pour trouver de l'argent pour en avoir ; si l'on parle sur ce sujet, l'on est écouté, l'on est aidé ; chacun crie que c'est un désordre, et quoique la dépense soit assez considérable, l'on trouve les moyens de la faire : faut-il deux écus pour mettre un ciboire dans la décence, en la manière que nous l'avons dit, ou pour avoir des corporaux, chacun ne dit mot, personne n'y veut entendre. Voilà où va l'aveuglement des Chrétiens, ce qui marque assez et la dureté des curs, et le manque de foi. Quelquefois même l'on s'opposera à avoir un calice d'argent, ou un ciboire ; l'on criera qu'il suffit bien d'en avoir un d'étain ; que l'on s'en est bien contenté par le passé, et l'on voudra mettre l'argent de la fabrique en rente. Je laisse à penser à toutes les âmes de piété, à ce qu'elles feront pour travailler à remédier à des choses si déplorables, et je convie avec larmes, toutes celles qui sont touchées de la gloire de l'adorable Jésus au très saint sacrement, de faire quantité de dévotions en l'honneur des saints anges, et spécialement de ceux qui résident dans nos églises, qui sont auprès du très saint sacrement, qui en gardent les autels, afin qu'ils demandent pardon à la majesté divine de nos irrévérences, de nos froideurs, de notre aveuglement, de notre dureté, et à ce qu'ils inspirent des moyens convenables pour faire rendre les respects qui lui sont dus dans ce mystère d'amour.
Ce que rapporte le P. de Bary Jésuite, en son digne livre de la Dévotion des anges, fait bien voir que les communautés ou congrégations ont aussi des anges qui en prennent soin. Il assure donc avoir appris du confesseur d'un jeune homme de la ville d'Eu, que ce jeune homme étant fort malade vers l'heure de midi, un jour de mercredi, deux anges, pleins de majesté et de beauté, lui apparurent, et qu'ils le consolèrent jusqu'au moment de sa mort, qui fut le samedi suivant, comme ils lui avaient prédit. Or l'un de ces anges lui dit qu'il était son ange gardien, et l'autre, le tutélaire de la congrégation de la très sacrée Vierge, établie en cette ville, au collège de la Compagnie de Jésus. L'ange de la congrégation lui dit de plus, qu'ils étaient envoyés par le commandement de la très sainte Mère de Dieu, pour l'assister de la sorte, à raison de la patience qu'il avait eue dans un mauvais traitement de son père et de sa mère, particulièrement ayant pu l'éviter, s'il eût voulu, et parce qu'il avait fidèlement observé les règles de la congrégation.
C'est une sainte pratique d'implorer le secours des anges du diocèse dans lequel on est, et des anges de celui qui en est le prélat ; et de ses officiers, afin qu'ils obtiennent l'établissement du règne de Jésus-Christ dans les fidèles qui y demeurent, la destruction de l'empire de Satan, et les lumières et la force nécessaires pour gouverner saintement le diocèse ; et afin qu'ils empêchent la malice et les ruses des diables, qui travaillent toujours à détruire les moyens dont Dieu veut se servir pour l'établissement de ses divins intérêts.
Enfin, il faut être dévot aux anges, pour en obtenir la pureté de corps et d'esprit, la charité envers le prochain, et la patience ; aux archanges, pour en obtenir le zèle de l'intérêt de Dieu pour nous et pour les autres, spécialement pour les princes de l'Église et l'État séculier, pour les personnes publiques, pour le bien spirituel et temporel des royaumes et provinces ; aux principautés, pour la réforme de notre intérieur. L'homme est un petit monde, et il doit commander à ses passions, et les gouverner en roi. Mais comme sa puissance est merveilleusement affaiblie par le péché, il a besoin d'être soutenu, pour ne se pas laisser vaincre à soi-même. Les principautés qui portent à cette glorieuse qualité, par le commandement que Dieu leur a donné sur les anges inférieurs, lui rendront de puissants secours, s'il tâche à ne s'en pas rendre indigne : mais pour cela il faut honorer, avec de profonds respects, ces grands princes du paradis.