DIXIÈME PRATIQUE
Travailler à la conversion des âmes et à leur soulagement dans les flammes du purgatoire,
en l'honneur des saints anges
Que pourrait-on faire de plus agréable aux anges, que de travailler avec eux à l'établissement de la gloire de notre divin Maître ? C'est la vue de cette gloire qui occupe le nombre presque infini de ces purs esprits à veiller avec tant d'attention sur des créatures chétives et mortelles, et qui les arrête tous, selon le témoignage de l'Apôtre (Hebr, I, 14), au service des hommes. Celui qui connaît Dieu ne peut trouver rien de bas, quand il s'agit de ses divins intérêts ; et s'il est difficile de comprendre la charité, la patience et les emplois des anges à l'égard de si viles créatures comme nous, cessons de nous étonner, lorsque nous considérons que c'est la gloire de leur Souverain qui leur fait faire et souffrir des choses si surprenantes. Le moindre petit degré de la gloire de Dieu, l'ombre même de ses intérêts mérite toutes les souffrances du monde et les anéantissements de toutes les créatures. Ô mon Dieu, que ne vous connaît-on ? Mais que notre terre est bien la terre d'oubli à l'égard de ce que vous êtes et de ce que vous méritez ! L'on ne peut pas y penser sans ressentir de grands désirs d'en sortir bien vite, pour entrer dans le pays des lumières, où l'on verra, mais bien tard, qu'il fallait oublier toutes choses, ou n'y penser que pour vous.
Regardons donc avec les saints anges l'intérêt de Dieu dans les âmes ; et dans ce regard faisons tout pour y faire glorifier notre Souverain. Un Dieu-Homme ayant donné sa vie au milieu d'une infinité de tourments indicibles pour ce sujet, il faut renoncer au christianisme, ou il faut donner tout ce que l'on peut donner dans son ordre pour y établir sa gloire. L'on doit ici s'en prendre à ses yeux, et pleurer inconsolablement dans la vue de ce qui s'y passe. Quelles dépenses ne fait-on pas pour un malheureux corps qui s'en va tous les jours dans la pourriture, pour le nourrir et orner, pour l'ambition et la vanité ? Que de revenus tous les ans employés, que de sommes immenses par toute la terre, pour la terre ! Considérez en passant ce qui en reviendra dans cent ans à tous les hommes qui vivent à présent, et considérez cette vérité à loisir, et dans le recueillement. Après cela, perdons-nous dans un abîme d'étonnement, voyant le peu de part que l'intérêt de Dieu a en toutes ces dépenses. Perdons-nous dans un abîme de douleur, voyant même que les biens consacrés uniquement à l'honneur de Dieu, comme les revenus ecclésiastiques, sont employés, ou pour mieux dire, prodigués en tout autre usage. Ah ! Cieux, déchirez-vous, et soyez grandement étonnés sur l'épouvantable aveuglement et endurcissement du cur des Chrétiens. L'on a vu imprimé, dans une relation de la Grèce qui a été distribuée dans les premiers lieux du christianisme, que mille écus de revenu suffiraient pour y entretenir toutes les missions nécessaires, et je ne sais si dans tout le christianisme ce revenu s'est trouvé. Ô Chrétiens, il s'agit d'acquérir de nouveaux empires à Jésus-Christ et sa très-sacrée Mère ; je le répète, de nouveaux empires, (hélas ! Pour la conquête d'une seule ville, que ne l'ait-on pas !) en contribuant de quelque chose pour les missions étrangères dans les Indes, la Chine, le Japon, ou dans le Canada ; et vous y êtes insensibles !
Presque toutes nos campagnes sont désolées par le règne du péché et l'ignorance de nos saints mystères : quelque contribution, pour y faire des missions, serait un grand remède, et il y a bien peu de personnes qui s'en mettent en peine. Oui, pour un mouchoir, l'on trouvera des sommes considérables, pour un habit, pour le jeu, pour des chevaux, pour des meubles, pour de la vaisselle, pour entretenir des chiens : il n'y a que pour l'intérêt de mon Dieu que l'on n'a rien, et que l'on ne peut rien. Ô Chrétiens ! Mais en vérité, savez-vous ce que vous faites ? Et vous, ô bénéficiers, pouvez-vous vivre ? Pouvez-vous prendre un moment de repos, voyant en vos logis tant de beaux meubles, de beaux tableaux, de belle vaisselle d'argent, voyant les autres dépenses que vous faites du patrimoine des pauvres ? Si vous preniez vingt sous à un pauvre, dix sous même pour vous en réjouir, que diriez-vous ? que dirait-on ? Si vous alliez dans les troncs des églises y prendre un écu pour vos plaisirs, si vous preniez des offrandes que l'on y fait la même somme, n'auriez-vous pas quelque trouble en votre âme ? Et vous prenez tous les ans aux pauvres et aux églises des sommes effroyables au-dessus de votre nécessaire, et vous en avez de réserve en vos coffres ; et vous gardez tous ces buffets magnifiques, ces tableaux, qui sont le prix de cet argent ; et peut-être mourrez-vous dans cet état sans en faire restitution, les laissant à vos héritiers, et pillant de la sorte les biens des églises et des pauvres après votre mort même ; et après cela vous riez, vous passez le temps sans crainte. Ô l'horreur et la désolation ! Je vois bien, mon Dieu, la vérité de vos paroles, qu'il y en a bien peu de sauvés.
L'exemple des saints anges est étrangement puissant, non-seulement pour nous faire tout faire et tout donner pour la gloire de Dieu dans les âmes, mais encore pour ne se lasser jamais, pour jamais ne se rebuter des peines que l'on y souffre. L'Apôtre nous enseigne qu'il faut instruire les âmes en toute sorte de patience et de doctrine. Ce peu de paroles renferme tout : qui dit toute sorte de patience et de doctrine, n'excepte ni peine ni mépris, ni travail, ni aucune instruction, soit en public, soit en particulier, soit par sermons, soit par catéchisme. Hélas ! les anges pensent toujours à nous, quoique nous ne pensions presque jamais à eux ; sans cesse ils nous recherchent, nonobstant nos rebuts et nos mépris, Après avoir offensé Dieu durant tout le cours de notre vie, ce qui est grandement les offenser, ils ne laissent pas de nous bien faire, et leur amour triomphe en toute rencontre. C'est pourquoi saint Ignace le proposait à ses enfants, pour les encourager quand leurs emplois seraient sans effet. En vérité, toutes nos ferveurs ne sont que glaces, si on les compare aux belles flammes du pur amour qui animent ces esprits. Où trouverez-vous un directeur, un prédicateur qui, après avoir donné cent et cent avis pendant plusieurs années, et n'en ayant reçu que des affronts, continue à en donner avec la même bonté ? Et les anges persévèrent avec une fidélité inviolable, après quarante et soixante années, après les mille millions d'inspirations qu'ils nous auront données. Ils voient bien que tant d'infidèles et hérétiques dont ils prennent soin s'en vont en enfer, et que toutes leurs peines demeureront inutiles ; cela ne les empêche pas de veiller avec amour sur eux jusqu'au dernier soupir de leur vie. Redisons encore ici : Où est le jardinier qui arrosât un arbre avec soin, s'il savait qu'il ne porterait jamais de fruit ? Mais les bontés des anges sont incomparables. Tous les directeurs, prédicateurs, confesseurs, missionnaires, et tous ceux qui travaillent en quelque manière que ce suit pour le prochain, doivent leur être bien dévots, pour obtenir quelque part à leur charité et à leur patience infatigable.
Comme les soins de ces esprits immortels s'étendent même au delà des temps et après la mort, ils sont aussi bien imitables en cet amour persévérant. C'est leur faire un grand plaisir, que d'aider les âmes qui brûlent dans le feu du purgatoire après cette vie ; et ils reçoivent une consolation toute particulière de nous voir portés à leur soulagement. Secourez donc ces pauvres âmes par le saint sacrifice de la messe, par des oraisons ou prières, par des aumônes et visites des pauvres, que vous ferez à leur intention, par des jeûnes et mortifications, par des indulgences que vous leur appliquerez. Si vous avez quelque médaille bénite, examinez les indulgences qui y sont appliquées pour les trépassés ; achetez, pour ce sujet, le petit livre qui les rapporte, et faites usage souvent de ce trésor pour ces pauvres âmes. Comme il y a plusieurs indulgences accordées aux médailles, je parle des indulgences même ordinaires, et que l'on peut appliquer aux trépassés, quand on récite, les ayant sur soi, cinq fois le Pater et l'Ave, en l'honneur des cinq plaies de Notre-Seigneur ; ou trois fois le Pater et l'Ave, en l'honneur de la très sainte Trinité, devant quelque image de Notre-Seigneur ou de Notre-Dame ; il vous sera facile, plusieurs fois par jour, de donner quelque soulagement à ces âmes si tourmentées.
Je connais des personnes qui, allant à l'église, ne manquent pas à cette pratique, qui ne se couchent pas sans s'en acquitter ; et il est aisé de le faire, puisqu'il suffit d'avoir une de ces médailles, et qu'il est facile de trouver une image de notre Sauveur ou de sa sacrée Mère, qui se rencontrent ; dans toutes les heures et bréviaires et autres livres de piété, quand il n'y en a pas dans la chambre où l'on se trouve, ce qui ne doit jamais être. J'en connais qui passent quelque temps à dire et redire plusieurs fois ces prières, pour gagner davantage pour ces âmes captives de la justice divine : car posons pour exemple qu'il y eût cent jours ou dix ans de rémission de peine à chaque fois qu'on les dirait, ce serait beaucoup d'années qu'on leur ôterait, si on les récitait dévotement pendant une demi-heure, ou une heure. J'en connais qui voulant obtenir quelque chose de Dieu, tâchent de fléchir sa miséricorde par cette miséricorde qu'ils exercent auparavant.
Hélas ! si un chien brûlait, il vous ferait pitié ; si une maison brûlait, chacun courrait à l'eau pour en éteindre le feu ; il n'y a ni nuit, ni mauvais temps qui en détournent ; tout le monde y vole avec empressement : et après tout, tant l'aveuglement des Chrétiens est prodigieux, ce qui est ordinaire en toutes les choses spirituelles, les âmes faites à l'image de Dieu brûlent impitoyablement, votre père, votre mère, votre mari, votre femme, votre meilleur ami, et l'on ny pense pas ! Les premiers jours après la mort, parce que c'est la coutume, l'on y songe, ou durant une année, et après cela on les laisse brûler tout à loisir, ces personnes à qui vous aviez tant témoigné d'amitié. Oh ! qu'elles voient bien pour lors votre infidélité ; et comme c'est une haute folie que de s'arrêter à l'amitié des créatures, et qu'il fait bien bon de s'attacher à Dieu seul, qui est le véritable ami en la vie, en la mort, après la mort ! Il y a des révélations bien authentiques, qui nous apprennent qu'il y a des âmes condamnées aux feux du purgatoire, pour plusieurs centaines d'années, et quelquefois, hélas ! pour une vanité : une dame, pour la vanité de ses habits ; et après cela vous vous en oubliez si tôt et si facilement.
Nous avons dit dans notre livre De l'admirable Mère de Dieu, combien c'est une chose avantageuse de mettre entre les mains de la très sacrée Vierge toutes nos bonnes uvres, pour les appliquer aux âmes qu'il lui plaira : au moins remettez-lui en sa disposition les bonnes uvres de quelques mois ou années ; vous ne savez pas qu'il ne faut quelquefois qu'une certaine action pour délivrer une âme du purgatoire. Le P. de Coret, de la Compagnie de Jésus, eu son livre De la dévotion des saints anges gardiens, rapporte sur ce sujet deux histoires très-remarquables. Il dit qu'une âme, souffrant dans le purgatoire, apprit de son bon ange qu'un enfant était né, qu'il serait quelque jour prêtre, et qu'il la retirerait de ce lieu de peines, par le premier sacrifice de la messe qu'il offrirait à Dieu. Il ajoute, et nous en avons déjà parlé, que l'année 1634, en la ville de Vienne en Autriche, trois autres âmes apparurent à un Jésuite, et lui dirent que leurs bons anges leur avaient apporté, dans les flammes du purgatoire, la nouvelle du jour de sa naissance, les assurant que quelque jour il serait leur libérateur. Sainte Thérèse a écrit qu'elle eut une révélation que l'âme de l'un de ses bienfaiteurs devait sortir du purgatoire le jour que l'on célébrerait la première messe en l'une de ses maisons ; ce qui la pressait grandement de travailler à achever cette maison, sachant que cette âme brûlerait toujours, jusqu'à ce qu'on fût en état d'y pouvoir célébrer le saint sacrifice de la messe. Je vous laisse à faire les réflexions que ces révélations peuvent vous donner, si vous avez un peu de lumière ; il y a quantité de choses à y remarquer et de grande utilité.