SEPTIÈME PRATIQUE

Prendre de certains jours tous les mois et toutes les semaines,

pour honorer plus spécialement les saints anges,

et célébrer les fêtes avec tous les respects possibles

 

 

Je sais une sainte communauté de religieuses carmélites, où tous les mois l'on prend l'un des neuf chœurs des saints anges pour l'honorer ; et comme il en reste trois, y en ayant douze en l'année, l'on applique ces trois mois qui restent à quelqu'un des chœurs qui touche le plus, comme par exemple, à celui des Séraphins. Mon cher lecteur, il ne tiendra qu'à vous de faire la même chose, et elle est bien facile.

 

Si vous voulez, vous pourrez choisir les neuf premiers jours de chaque mois, pour rendre vos respects à ces esprits angéliques ; et ensuite quelques jours pour invoquer les anges à qui vous avez plus d'obligation ; ou bien, si vous étiez d'assez bonne volonté, le dimanche vous seriez appliqué aux Séraphins, Chérubins et Trônes ; le lundi aux Dominations, Vertus et Puissances ; le mardi aux Principautés, Archanges et Anges ; le mercredi, aux anges des infidèles et hérétiques ; le jeudi, aux anges des royaumes et provinces, des églises et autels, et spécialement de ceux qui tiennent compagnie à notre divin Roi, au très-saint Sacrement ; le vendredi, aux anges de vos ennemis, ou des personnes qui vous font quelque peine, ou de qui vous avez sujet de craindre quelque mal ; le samedi, aux anges de vos parents et amis, de ceux avec qui vous êtes le plus souvent ; si vous demeurez en une communauté, des personnes avec lesquelles vous y vivez, surtout de vos amis spirituels et de votre directeur. Ces anges s'intéressent bien plus à votre bien que vous ne pensez. N'oubliez pas les anges des villes et villages où vous faites votre séjour.

 

Pour celui qui vous garde, tous les jours de votre vie doivent être des jours de dévotion et de reconnaissance pour ses incroyables bontés. Il y en a qui destinent le jour de leur naissance pour en faire la fête en leur particulier. L'on y fait tout ce que l'on peut faire dans les jours des fêtes des saints de sa plus grande dévotion, soit pour s'y préparer, soit pour en faire l'octave. Outre cela, ceux qui le peuvent donnent autant d'aumônes en son honneur que l'on a vécu d'années ; ou bien l'on fait autant d'actes de quelque vertu, ou autant de pratiques de dévotion vers cet aimable gardien.

 

J'ai connu une personne qui en ce temps partageait les années de sa vie eu plusieurs jours, pour considérer à loisir les miséricordes de Dieu sur elle, les malheurs dont elle avait été ou préservée, ou délivrée, tant pour le corps que pour l'âme ; les grâces qu'elle avait reçues de l'infinie bonté de l’adorable Jésus, de la protection de la très sacrée Vierge, des anges et des saints. Ces considérations touchent grandement le cœur quand elles sont bien faites ; et comme notre saint ange est le ministre dont Dieu se sert pour nous préserver de tous nos maux et pour nous accorder ses bienfaits, cela donne lieu de le remercier, et de le bénir tout à l'aise et dans le particulier, pour toutes ses charitables assistances en notre jeunesse, dans l'âge plus avancé, dans la vieillesse, si l'on y est, remarquant avec soin les choses les plus considérables qui nous sont arrivées durant le cours de la vie. Il faut tout au moins se souvenir que le mardi est un jour dédié en l'honneur des saints anges, et ce jour doit être d'une singulière dévotion à tous ceux qui les aiment. Le vingt-neuvième de septembre est le jour de la grande fête de saint Michel et de tous les autres anges. Le huitième de mai est la fête de son apparition sur le mont Gargan. Et en Normandie l'on célèbre le seizième d'octobre l'apparition de ce glorieux archange sur le Mont de Tombe, communément appelé le Mont-Saint-Michel.

 

Ce lieu est très célèbre par le concours d'un grand nombre de personnes qui y viennent de toutes parts, pour y rendre leurs respects à cet aimable prince du ciel ; et les grands miracles que la toute-puissance de Dieu y a opérés, sont des motifs bien puissants pour exciter de plus en plus la dévotion des fidèles à rendre ses hommages sur cette sainte montagne, à ce Dieu de toute miséricorde, et implorer les secours de ce premier prince de la cour céleste. L'on peut aller en pèlerinage en ce saint lieu, pour toutes sortes de besoins ; mais particulièrement pour être délivré des tentations et des attaques des malins esprits, pour y obtenir la pureté du corps et de l'esprit, et une force invincible dans les voies du salut. Ceux qui aiment les intérêts de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère doivent s'adresser à ce glorieux archange, qui les a si bien soutenus dès le commencement du monde : il serait seulement à désirer que les pèlerins fissent ce voyage avec plus de dévotion qu'on ne le fait pour l'ordinaire, s'entretenant de Dieu le long du chemin, élevant son cœur souvent à Notre-Seigneur et à sa très digne Mère, implorant les assistances de saint Michel, saint Gabriel, saint Raphaël, et de tous les neuf chœurs des anges ; se donnant de garde de toute sorte, de péché ; et enfin, étant arrivés sur le lieu, ne manquer pas de s'y confesser et communier. Une voix du ciel a appris que ce lieu était grandement agréable à Dieu, et qu'il était fréquenté des saints anges. En vérité, cet oracle rend bien douces toutes les peines que l'on peut avoir pour visiter cette sainte montagne, et il est plus doux que l'on ne peut dire, et même que l'on ne peut penser, de se trouver en un lieu si chéri de Dieu, et si fréquenté des princes de sa cour.

 

La divine Providence a même ordonné que ce ne fût pas un homme de la terre, pour saint qu'il pût être, mais un pur esprit du ciel, et le premier de tous les bienheureux esprits qui fit la consécration de l'église ; car saint Aubert, évêque d'Avranches, s'étant mis en devoir de la consacrer, saint Michel l'en empêche, après lui avoir appris qu'il l'avait lui-même consacrée. C'est ce saint évêque à qui l'archange se fit voir, il y a plus de neuf cents ans, lui apparaissant par trois diverses fois, pour lui marquer que le Mont de Tombe était sous sa protection, et celle de tous les autres anges, et que Dieu voulait qu'on bâtit une église en leur honneur : à la troisième fois, le saint archange toucha la tête du bon évêque, et y laissa une marque qui s'y voit encore aujourd'hui. C'est une chose admirable, qu'un rocher empêchant qu'on ne pût bâtit facilement la chapelle de l'église, l'archange voulut que l'on apportât un enfant qui était encore au berceau, qui ayant touché de son pied ledit rocher, en même temps il tomba et laissa la place qui était nécessaire pour la susdite chapelle. Oh ! Que bienheureux sont les chastes et innocents, les purs et nets de cœur, puisqu'ils sont si chéris de Dieu et de ses anges !

 

Saint Michel, ne se contentant pas de toutes ces merveilles, et voulant de plus en plus donner des marques visibles de sa faveur pour la sainte montagne de Tombe, commanda à saint Aubert d'envoyer au mont Gargan demander de sa part une partie du drap vermeil qu'il y avait apporté, et une partie du marbre sur lequel il s'était assis, y paraissant en forme humaine ; ce qui ayant été accordé aux députés du bon évêque, douze aveugles en différents lieux reçurent la vue par l'attouchement de ces choses saintes, et proche du mont de Tombe, la vue fut donnée à une femme aveugle, dont tout le peuple fut tellement touché qu'en mémoire d'un si grand miracle, le village qui s'appelait Asteriat, fut nommé Beauvoir, et c'est de la sorte qu'on l'appelle encore aujourd'hui. J'ai eu l'honneur et la bénédiction de voir cette année 1667, le jour de la fête de l'Apparition du glorieux saint Michel en ce lieu sacré, ces précieux gages de l'amour incomparable de ce grand pince du paradis envers les hommes, comme aussi l'écu et l'épée que l'on y garde dans le trésor, qui sont de nouvelles preuves de ses incroyables bontés, et cet écu est garni de petites croix et de matière d'airain aussi bien que l'épée : ce sont encore des présents de l'archange, qu'il ordonna d'y être apportés de la Grande-Bretagne, en suite d'une merveille qui y fut faite par sa force invincible.

 

L'histoire rapporte qu'il y avait un dragon d'une grandeur effroyable, qui, empoisonnant les eaux de son venin, infectant l'air de son haleine, et faisant mourir tous ceux qu'il rencontrait, avait rendu le pays où il était inhabitable. Ce mal obligea l'évêque du lieu d'avoir recours à Dieu ; et après avoir ordonné un jeûne de trois jours et fait quantité d'aumônes, tous les habitants prirent les armes, étant accompagnés du clergé qui marchait processionnellement, implorant le secours du ciel pour donner force au peuple de mettre à mort le dragon ; mais ils furent bien étonnés lorsque, étant arrivés près du lieu où il se retirait, ils le trouvèrent mort, ayant auprès de lui l'écu et l'épée dont il a été parlé ; et comme ils ne pouvaient s'imaginer qui était la personne qui avait pu tuer ce monstre avec des armes si faibles, saint Michel parut à l'évêque et lui dit que c'était lui qui avait fait mourir le dragon ; et quoiqu'il n'eût pas besoin de ces faibles armes pour cet effet, cependant il s'en était voulu servir pour laisser des marques visibles de ce secours ; ensuite il commanda que ces armes fussent apportées en l'église du mont de Tombe, où elles sont encore gardées à présent avec une singulière vénération.

 

Comme il a plu à Dieu, depuis environ trois ans, de manifester en nos jours tout de nouveau le grand saint Gaud, évêque d'Evreux, par l'invention de son saint corps, à cinq lieues proche du Mont-Saint-Michel, j'ai cru que Notre-Seigneur serait glorifié si, parlant des miracles qu'il a opérés en faveur des anges sur le mont de Tombe, je disais un mot de ceux qu'il fait à présent près de ce saint mont en l'honneur d'un homme tout angélique. Cet homme tout de Dieu, ne tenant plus rien de la terre, et ne respirant plus que le paradis, quitta volontairement le gouvernement de l'évêché d'Evreux et la conversation des hommes pour ne plus converser qu'avec les anges dans le désert. Après avoir donc laissé son cher peuple, qui l'avait conduit à deux lieues de la ville d'Evreux, où l'on a édifié, en mémoire de ce dernier adieu, une dévote chapelle en l'honneur de la très-sacrée Vierge, dlame spéciale et patronne de ce diocèse, et en l'honneur de saint Michel, chapelle appelée vulgairement Notre-Dame du Gaud ; cet éminent prélat se retira dans une solitude près Granville, sur le bord de la mer. et à cinq lieues, comme nous avons dit, du Mont-Saint-Michel, où ayant fini ses jours, et ses précieuses reliques y étant demeurées, Dieu, qui prend plaisir à manifester ceux qui se cachent pour l'amour de lui, ne s'est pas contenté de les glorifier dans le temps de sa précieuse mort, mais encore cinq cents ans après il en découvrit la gloire par la première découverte de son corps, qui fut pour lors trouvé tout entier, et laissé dans le sépulcre où il avait été enterré. Grand nombre de miracles se firent pour lors, et ce lieu fut un asile pour toutes les personnes affligées. Mais, dans la suite des siècles, environ encore cinq cents ans et plus après cette première invention, la divine Providence a voulu encore révéler les grandeurs de son saint par la seconde invention qui en a été faite il y a un peu plus de trois ans, et qui a été suivie de plusieurs miracles ; ce qui rend à présent ce lieu très illustre et très favorable à ceux qui viennent implorer les intercessions de saint Gaud.

Je serais très ingrat si je ne publiais les secours que j'ai reçus de ce grand saint dans une extrême maladie où les médecins avaient jugé ma mort comme assurée : que Dieu soit à jamais béni pour ses grandes miséricordes, qu'il ne cesse de faire aux hommes par le mérite de sa très digne Mère, de ses anges et de ses saints. On voit proche le tombeau de saint Gaud celui de saint Paterne, évêque d'Avranches, et de saint Scubilion, abbé, qui avaient été ses compagnons dans sa retraite. Saint Sénateur y est aussi enterré, et plusieurs autres saints personnages. L'on voit encore quelques restes des ermitages de ces divins solitaires.

 

On fait la fête de saint Gabriel le 18 mars, et en quelques lieux le 24 du même mois, veille de la fête de la sacrée Mère de Dieu. On célèbre celle de saint Raphaël le 20 novembre, et en quelques endroits l'un des dimanches qui arrivent entre Pâques et la Pentecôte. Celle des anges gardiens se solennise le premier jour d'octobre non occupé par une fête de neuf leçons, et elle est encore célébrée le premier jour de mars.

Tous ces jours doivent être des jours solennels pour les dévots des saints anges. Il faut y communier, y entendre la messe en leur honneur, y pratiquer quelque mortification, quelque œuvre de charité ; mais, outre cela, au moins à l'une ou plusieurs de ces fêtes, l'on doit s'y préparer avec grand soin. Saint François jeûnait quarante jours pour se disposer à la fête de saint Michel ; et ce fut durant cette quarantaine qu'un séraphin lui imprima les sacrés stigmates. Sainte Élisabeth faisait la même chose, mais elle jeûnait au pain et à l'eau. J'ai déjà parlé de sainte Mectilde, qui avait demandé à Notre-Seigneur ce qu'elle pourrait faire pour honorer les anges, il lui répondit : « Ma fille, vous direz neuf fois le Pater en l'honneur de leurs neuf chœurs. »Elle en ajouta encore neuf en l'honneur de son bon ange, afin qu'il présentât sa dévotion à ces glorieux esprits : L'on pourrait se préparer par une neuvaine, y faisant les choses que nous avons marquées au chapitre précédent. De plus, il ne faut pas oublier à en faire l'octave, s'acquittant tous les jours de quelques devoirs de piété envers ces princes du ciel.

 

L'on aura soin de réciter l'office et les litanies de ces saints esprits, au moins en de certains jours et temps de l'année. Il y a un chapelet en l'honneur du saint ange gardien. Sur la croix l'on dit le Credo ou le Te Deum, ensuite l'Oraison dominicale, la Salutation angélique ; et puis, sur les gros grains, ou le Gloria Patri, ou l'Ave, Maria ; et sur tous les petits grains l'Angele Dei ; ou, pour ceux qui ne le savent pas, cette courte prière : Mon bon ange, je vous aime et vous veux aimer.

Si on le veut dire en l'honneur de tous les neuf chœurs, l'on se servira de ces autres paroles : Saints anges, je vous aime et vous veux aimer. L'usage des oraisons jaculatoires est d'une merveilleuse utilité. Si l'on aime les esprits célestes, souvent on leur parlera, on répandra son cœur en leur présence ; il n'y a rien de plus aisé, à un cœur qui aime, que de leur dire sa douleur sur les ingratitudes des hommes, son étonnement sur l'oubli où ils sont de leurs perfections et de leurs bontés ; rien de plus aisé que de leur témoigner ses reconnaissances pour leurs soins, les désirs que l'on a d'en profiter ; rien de plus facile que de les appeler à notre secours en nos besoins, que de les prier d'agir auprès de Jésus et Marie pour nous les rendre favorables, pour leur dire ce que nous voudrions bien leur dire, et, hélas ! ce que nous ne pouvons pas. Nous ne savons rien au langage de la cour du paradis ; ces princes de la cour nous sont nécessaires pour y parler pour nous. On peut dire cela durant le jour, en deux ou trois petits mots enflammés, tantôt d'une manière et tantôt d'une autre.

 

J'oubliais à vous dire une pratique pour faire tantôt : la fête d'un ange et tantôt celle d'un autre ; il faut pour cela prendre le dessein, quand vous ferez la fête d'un saint, de faire en même temps celle du saint ange qui le gardait lorsqu'il vivait ici-bas. Cela ne multipliera pas vos pratiques ; il ne faut que prendre l'intention d'honorer le saint ange du saint par toutes les bonnes œuvres que vous ferez en son honneur, et cependant vous passerez l'année de la sorte à faire la fête des différents anges. Vous obligerez les saints de rendre ainsi vos respects à ces glorieux esprits, à qui ils ont tant d'obligations ; vous gagnerez les bonnes grâces de tous ces anges, et vous attirerez toutes les plus douces bénédictions du paradis.