CHAPITRE XI

Des souffrances de la très sainte Vierge

 

L'adorable Jésus étant l'homme de douleurs, la divine Marie lui était trop unie pour ne pas souffrir. Mais ses douleurs ont été incomparables en leur grandeur en telle sorte, dit saint Bernardin, tom. III, serm. 2 Du glorieux nom de Marie, art. 2, chap. 4, que si la douleur de la très sainte Vierge était divisée et répandue dans toutes les créatures qui peuvent souffrir, elle leur donnerait à toutes la mort. La raison est, disent quelques théologiens expliquant le sentiment de ce saint, que la douleur est proportionnée à la connaissance de la grandeur du mal qui nous afflige, et elle s'accroît à mesure que la lumière que nous en avons s'augmente. Or, la très sainte Vierge connaissant plus que tous les saints la dignité infinie de son Fils qui était crucifié sur le Calvaire, elle a plus enduré que tous les saints, parce que son Fils crucifié était le sujet de sa douleur. La matière des souffrances d'un saint Laurent a été son gril ; celle de saint Etienne, des pierres dont on le lapidait ; celle d'un saint Barthélemy, sa propre peau qu'on lui écorchait : mais celle de Marie était Jésus souffrant, c'était la croix de Jésus et toutes ses peines.

 

Mais ce qui soutient plus la pensée de saint Bernardin, est que la connaissance de la sainte Vierge était suivie d'amour, son amour était égal à ses lumières, elle avait des sentiments qui ne se peuvent dire de la grandeur de Jésus crucifié, qui faisait le sujet de ses douleurs, et elle avait pour lui un amour incomparable. Comme elle a plus aimé que tout le reste des créatures, remarque un ancien, il est indubitable qu'elle a aussi plus souffert, la douleur, dit saint Augustin, avant pour fondement l'amour. Ajoutons à ces pensées que Marie était une mère qui souffrait, et une mère d'un fils unique, dont elle était mère sans père. C'était une mère Vierge, et une mère d'un Dieu. Sa douleur n'était pas divisée, elle souffrait seule ce qu'un bon père et une mère tendre peuvent souffrir. C'est pourquoi saint Joseph, qui n'était que son père nourricier, n'était plus au monde : son précieux cœur était le lieu où se formait comme un écho, où se faisaient entendre et ressentir les coups de fouets, les injures et moqueries de son Fils Dieu, dont l'âme divine étant séparée du corps, l'âme de cette bénite mère, comme l'assure saint Bernard, fut comme mise en sa place par compassion, pour ressentir le coup de lance qui lui fut donné.

Saint Laurent Justinien enseigne qu'en ce temps de la passion, son cœur divin était tout semblable à une glace de miroir ; mais c'était un miroir animé de Jésus mourant. Les clous, les cordes, les épines, les douleurs, la mort même, tout cela paraissait dans cet aimable cœur, et tout cela s'y ressentait comme dans un miroir animé. Elle a révélé à sainte Brigitte, que le corps de Jésus étant dans le tombeau, c'était autant comme si deux corps eussent été dans un même sépulcre : mais ses douleurs ne se sont pas terminées au temps de la passion de son Fils bien-aimé, elles ont commencé avec la grâce de la maternité divine, et n'ont fini qu'avec sa vie, c'est-à-dire qu'elles ont duré pendant l'espace de cinquante-six années, le Verbe s'étant incarné dans ses pures entrailles, lorsqu'elle n'était âgée que d'environ 15 à 16 ans, et sa précieuse mort n'étant arrivée qu'à la soixante-douzième année de sa très sainte vie, et cela sans parler des autres peines qu'elle a portées depuis l'usage de raison qu'elle eut très parfait depuis le premier instant de sa conception immaculée jusqu'à l'heureux moment qu'elle fut faite mère de Dieu.

Sainte Brigitte nous apprend qu'elle connaissait par une lumière prophétique toutes les particularités de la passion de son unique Fils : c'est pourquoi pendant qu'elle lui donnait le lait virginal de ses sacrées mamelles, elle pensait au fiel et au vinaigre dont quelque jour il devait boire ; lorsqu'elle le portait sur son sein, elle considérait que ses bras délicats devaient être percés de clous, et attachés à une croix. Parmi les chastes baisers qu'elle lui donnait, elle se représentait le baiser du traitre Judas. Si elle le voyait dormir, elle pensait à la mort qui devait quelque jour arriver. Cette mère de douleur passait ainsi sa vie très pure, et en cela, dit saint Épiphane, elle était en même temps et le prêtre et l'autel sur lequel la victime était immolée, non pas une fois comme sur la croix, mais autant de fois qu'elle pensait à ce sacrifice. Un savant homme considérant que Notre-Seigneur n'avait fait que goûter un peu de la portion du vin de myrrhe qu'on lui avait présenté, ce n'est pas sans mystère, dit-il, c'est qu'il voulait que sa sainte mère bût le reste de ce calice. Son amour, comme il est déclaré dans les Cantiques, est fort comme la mort, dans les désirs extrêmes qu'elle a d'en souffrir les peines. Mais il est sourd et impitoyable comme l’enfer, n'y mettant aucunes bornes, désirant souffrir à jamais, voulant que son martyre durât toujours. Ses souffrances, que saint Augustin appelle immenses, ne faisaient qu'augmenter ses désirs de souffrir. Elle est comparée avec bien de la justice à une mer ; car comme on ne peut pas compter toutes les gouttes de l'eau de la mer, parce que, comme la mer surpasse en la multitude de ses eaux toutes les eaux des rivières et des fleuves ; de même les souffrances de la Mère de Dieu surpassent celles de tous les saints : comme tous les fleuves s'écoulent dans la mer, de même l'on trouve dans le saint cœur de notre glorieuse Maîtresse toutes sortes de croix : comme l'on ne peut pas trouver le fond de la mer, aussi il n'est pas possible de connaître la grandeur de ses peines. Je ne crois pas, dit le dévot saint Bernard, que les douleurs de la très sainte Vierge puissent jamais être ni expliquées ni connues.

 

Mais souvenons-nous que celle qui souffre de la sorte est notre douce mère, et que nous avons été faits ses enfants au pied de la croix : que c'est pour nous qu'elle est une mère de douleur, une dame de pitié et de compassion, et c'est ce qui nous donne une obligation très étroite à lui compatir, à honorer ses douleurs, et à lui tenir compagnie dans ses souffrances. Autrefois elle s'est plainte à sainte Brigitte du peu de personnes qui l'aimaient, parce qu'il y en avait bien peu qui eussent compassion de ses douleurs : mais pour y compatir, il y faut penser, et il les faut considérer. Il est bon de prendre quelque jour de la semaine pour s'y appliquer particulièrement, saluer ses sept principales douleurs, comme nous l'avons marqué ci-dessus au chapitre quatrième, entrer dans les confréries érigées sous ce titre, et visiter les autels dédiés à Dieu en leur honneur. Sainte Brigitte dont nous venons de parler, priant pour un homme de grande qualité qui se mourait, Notre-Seigneur lui ordonna d'envoyer à ce malade son confesseur, qui n'ayant ou gagner rien sur le cœur de cet homme endurci, à la fin, après plusieurs prières, il fut touché, confessant qu'il s'était donné au diable qui lui avait apparu visiblement. Et Notre-Seigneur fit connaître qui lui avait donné la contrition de ses crimes, à raison de la dévotion qu'il avait eue aux souffrances de sa bénite mère. Mais non-seulement Notre-Seigneur délivre de l'enfer, mais honore de privilèges ceux qui ont dévotion aux peines de sa sainte Mère. Un bon religieux de Saint-François ayant souvent demandé à la très sainte Vierge la pureté de cœur, par le mérite de ses douleurs ; cette mère de miséricorde lui apparut, et lui mettant sa virginale main sur la poitrine, lui dit : Voilà la pureté de cœur que tu demandes, voilà tes souhaits accomplis. C'est une douce consolation pour les personnes crucifiées de se souvenir des croix de la divine Marie, en se désoccupant des choses qui les peuvent faire souffrir. Nous en avons l'exemple, dit un grave auteur, en l'adorable Jésus, qui ayant la tête percée de tous côtés, et le corps tout couvert de grandes profondes plaies, et étant sur le point de rendre l'âme au milieu d'une infinité de douleurs, s'oubliant de lui-même, arrêtait ses regards sur sa très aimante mère, et lui parlait avec des soins d'un amour inénarrable.