CHAPITRE XXI

Avoir un respect singulier pour les neuf chœurs des anges

 

Nous ne pouvons ici oublier les saints anges, aussi ce sont ces esprits bienheureux qui, tous les premiers, ont commencé d'honorer notre glorieuse princesse, qui leur fut montrée selon la doctrine de plusieurs grands théologiens (ensuite de Notre-Seigneur), dont elle devait être la très digne Mère. Sainte Brigitte, dans ses Révélations, nous apprend que ces purs esprits aussitôt qu'ils furent créés, dans la vue qu'ils en eurent, furent tellement embrasés de l'amour de cette aimable princesse, que, s'il avait été nécessaire de n'être pas afin qu'elle fût, ils auraient avec joie préféré son être à celui qu'ils avaient reçu. Ce qui est de très particulier à ces esprits tout d'amour, c'est que leur amour est le premier d'entre tous les amours des pures créatures. Il est aussi le plus fidèle. S'ils ont été les premiers à honorer et aimer la très pure Vierge, ils ont été les plus fidèles dans son amour et son service, n'y ayant jamais commis la moindre petite imperfection, ni ne s'étant jamais relâché de leur admirable ferveur, étant le propre de ces esprits immortels de persévérer constamment en ce qu'ils ont une fois entrepris. Ils en ont manifesté les grandeurs qui leur avaient été révélées dès le commencement du monde, aux saints prophètes de l'ancienne loi, n'oubliant rien de tout ce qui se pouvait faire pour en imprimer la vénération et l'amour dans les siècles même qui ont précédé sa sainte naissance. Sainte Brigitte a appris du ciel qu'ils furent remplis d'une joie extraordinaire le jour heureux qu'elle parut en notre terre ; jour fortuné pour eux et pour nous, qui doit être gravé dans la mémoire de tous les hommes avec des caractères ineffaçables. Ces gardes de l'empirée tenaient à grand honneur de lui tenir compagnie dans sa retraite au temple, et ce fut l'un des premiers de leur cour glorieuse, l'archange saint Gabriel, qui fut envoyé du ciel vers cette auguste princesse, en qualité d'ambassadeur, pour lui annoncer qu'elle serait Mère de Dieu. Quelques-uns tiennent que ce saint archange lui a servi d'ange gardien ; mais il y a de grands docteurs qui soutiennent qu'elle n'a jamais eu d'anges gardiens, mais bien des anges servants, qui se rendaient auprès de leur reine et dame à grosses troupes, pour lui rendre leurs respects et leurs services. Saint Bonaventure enseigne que saint Michel, qui est député de Dieu pour assister les âmes à la mort, et leur servir d'avocat au jour de leur jugement, attend les ordres de la Mère de Dieu pour défendre plus particulièrement celles qui lui ont eu une dévotion particulière. Notre-Seigneur a aussi révélé que les anges s'appliquaient avec soin plus spécial à garder les personnes qui se préparaient auparavant les fêtes de la sainte Vierge à les bien célébrer par des jeûnes, oraisons, aumônes, pèlerinages et autres bonnes œuvres. Ces esprits bienheureux en ont quelquefois fait des images admirables, que Dieu a honorées de grand nombre de miracles, pour enflammer les cœurs de plus en plus en l'amour de cette non jamais assez aimée Mère de Notre Seigneur Jésus-Christ.

 

Il y a tant de raisons qui se présentent en foule de toutes parts, et qui nous obligent d'aimer les anges, qu'il faut être tout à fait insensible si l'on est touché de leur amour. Pour moi, je ne vois pas qu'un esprit raisonnable s'en puisse défendre, s'il lui reste encore un cœur capable d'aimer.

Mais entre un si grand nombre de motifs que l'on peut avoir de les honorer, ceux-là sont des plus pressants à un cœur qui aime la Mère de Dieu, que l'on prend des respects extraordinaires, qu'ils ont pour cette Souveraine du firmament. Dans celte vue ses esclaves se souviendront de faire une haute profession de la dévotion des anges, les honorant et les faisant honorer en toutes les manières possibles, soit en procurant qu'il s'établisse des confréries ou associations en leur honneur, soit en distribuant les livres qui traitent de ces esprits d'amour, et ayant soin qu'on en fasse des sermons qui apprennent aux peuples leurs grandeurs et leurs bontés, et les moyens de leur avoir une sincère dévotion, soit en donnant des images aux églises et particulièrement aux pauvres gens de la campagne, les instruisant de ce qu'ils doivent savoirs de leurs anges gardiens, car ordinairement ils ne savent pas qu'ils en ont, et même ignorent entièrement ce que c'est que les anges, travaillant à ce que les pasteurs et les missionnaires leur en fassent des catéchismes, et leur apprenant quelques prières pour les honorer tous les jours ; soit enfin exhortant, si on ne le peut pas soi-même, à bâtir quelques chapelles sous leur invocation. L'on doit aussi se souvenir combien il est juste de converser d'esprit familièrement avec eux, se retirant quelquefois un quart d'heure ou une demi-heure pour les entretenir, pour leur parler à l'aise, pour leur découvrir son cœur, pour leur exposer ses besoins, pour les remercier de leurs charitables bontés. C'est une pratique excellente de les voir intérieurement dans la rencontre des personnes, puisqu'il est certain que tous les hommes ont chacun un ange, et s'accoutumer à les regarder de l'esprit pendant que les yeux de notre corps s'arrêtent aux personnes qu'ils voient extérieurement.

Il y a de leurs dévots qui dans les villes font quelque tour de rues, dans le dessein de faire la cour à tous les anges des personnes que l'on y rencontre, et il est encore bon de les regarder dans les églises et les assemblées où il y a beaucoup de monde ; mais particulièrement l'on y doit penser passant par les villages où ces glorieux esprits sont presque dans un oubli universel. Il y en a qui font un pacte sacré avec eux, qu'autant de fois qu'ils salueront quelqu'un, ils sont dessein de les saluer, renouvelant de temps en temps ce dessein : il y en a qui, parlant aux personnes qui leur sont familières, disent en les saluant, qu'ils saluent leurs saints anges, et l'on a vu quelquefois une si pieuse pratique s'établir en peu de temps à l'imitation les uns des autres.  Il s'en rencontre qui, écrivant des lettres, n'oublient jamais de saluer les anges de ceux à qui ils écrivent, comme aussi les anges des pays où ils demeurent.

Quelques-uns prennent intention, en célébrant les fêtes des saints, de faire en même temps celles des anges qui les ont gardés, rapportant à leur bonheur tout ce qui se fait en l'honneur des saints dont on célèbre la mémoire, comme les jeûnes, communions et autres dévotions. Il est encore bien juste, lorsqu'on est seul, de les saluer par les exercices des génuflexions, en faisant neuf, par exemple, en l'honneur des neuf chœurs des anges, demandant quelquefois la bénédiction à son saint ange gardien à genoux, en lui demandant pardon du peu d'usage que l'on a fait de toutes ses bontés. Il faut prendre garde de ne se pas contenter de la dévotion aux anges gardiens, mais il faut de plus honorer tous les neuf chœurs des anges, ce qui est une dévotion assez rare ; car comme les hommes sont fort matériels, ils ont de la peine à s'élever aux choses purement spirituelles, à moins qu'il n'y ait quelques rapports sensibles d'intérêt comme aux anges gardiens.

 

Il faut donc avoir de la dévotion pour les Séraphins, ce sont ceux qui obtiennent le pur amour ; les Chérubins, qui ont la grâce de la lumière pour éclairer les esprits ; les Trônes, ils ont le don de la paix pour les âmes qui leur demandent ; les Dominations, qui sont comme les secrétaires d'État du grand roi Jésus et de sa divine Mère, afin que ces esprits glorieux nous expédient nos affaires en la cour du paradis ; les Puissances, pour triompher des diables et résister à leurs tentations ; les Principautés, pour avoir l'empire sur ses passions ; les Vertus, pour obtenir le don de courage et de constance dans les voies de Dieu ; les Archanges, pour mépriser les choses temporelles et ne s'attacher plus qu'au Dieu de l'éternité ; les Anges, pour la pureté, l'humilité, la charité du prochain, la pratique de l'oraison et de toutes les autres vertus. Il est bon de se préparer aux fêtes de la très sacrée Vierge neuf jours auparavant, prenant tous les jours l'un des neuf chœurs à honorer entendant la messe, donnant quelques aumônes faisant quelque mortification, pendant quelque temps du jour au chœur que l'on honore, afin qu'il supplée à nos manquements envers la Mère de Dieu, et qu'il nous obtienne de Dieu tout bon le don d'une véritable et sincère dévotion. L'on peut quelquefois donner neuf aumônes en leur honneur, pratiquer neuf actes de mortification, réciter neuf psaumes, visiter neuf autels et autres choses semblables.

 

Le mardi est un jour consacré particulièrement en l'honneur de tous les anges : le vingt-neuvième jour de septembre, le septième de mai, l'on en fait encore la fête, quoique particulièrement de saint Gabriel. En la province de Normandie, le seizième d'octobre leur est dédié. Le premier jour d'octobre, qui n'est pas empêché par une fête de neuf leçons, se fait la fête des anges gardiens, et le premier jour de mars en quelques églises. L'on fait la fête de saint Gabriel archange, à qui l'on doit avoir une dévotion spéciale, à raison de ce qu'il a été à la très sainte Vierge, le dix-huitième de mars en quelques lieux, et le vingt-quatrième en d'autres. La fête de saint Raphaël se célèbre le vingtième de novembre en quelques endroits, et en quelques autres en l'un des dimanches qui se rencontrent entre Pâques et la Pentecôte : tous ces jours doivent être de grandes solennités pour les esclaves de Notre-Dame, et l'on doit s'y préparer comme aux fêtes de la pus grande dévotion.

 

C'est une pratique assez solide, faisant des pèlerinages, de prendre pour compagnon quelqu'un de ces esprits glorieux et tâcher de converser avec lui pendant le chemin, le priant de saluer la très digne Mère de Dieu de notre part. L'on doit aussi prendre garde à saluer les anges qui prennent le soin des lieux et des églises consacrés à Notre-Dame, les anges des saints qui ont excellé en sa dévotion, afin que nous puissions les imiter.

 

Quand il se rencontre quelque chapelle sous l'invocation des saints anges, il en faut prendre tous les soins possibles, tant pour ce qui regarde l'extérieur que pour l'intérieur, y faisant adorer Dieu en esprit et en vérité. Il y a des villes où plusieurs personnes de piété s'assemblent et prennent un jour tous les mois pour les visiter et y faire leurs dévotions, et l'on tâche d'y faire prêcher de la dévotion à ces esprits si aimables, si aimants et, hélas ! si peu aimés.