CHAPITRE IV
Pratiques de dévotion pour tous les ans, les mois, les semaines et les jours
Nous avons déjà dit que la seule bonne volonté était nécessaire pour être associé au nombre des esclaves de la sainte Mère de Dieu ; que cette dévotion était très facile, en ce qu'elle n'imposait aucune charge, et qu'elle ne demandait aucun autre exercice de piété des esclaves, que ceux que l'obligation de leur état prescrit, ou la prudente conduite d'un sage directeur. Ainsi, cette dévotion n'ordonne aux ecclésiastiques, aux religieux ou religieuses et aux autres personnes dont la conduite est réglée, d'autres exercices que ceux qu'ils pratiquent : mais parce qu'il y en a plusieurs qui sans se gêner, ou sans se trop charger d'exercices, peuvent en pratiquer quelques-uns avec la bénédiction de l'Esprit de Dieu, qui sont spécialement propres aux esclaves de la sainte Vierge ; nous en proposerons pour tous les ans, les mois, les semaines et les jours, que l'on pourra pratiquer autant que l'Esprit de Dieu le demandera d'un chacun ; exhortant seulement de faire une sérieuse attention sur cette vérité, que la gloire de Dieu ne se rencontre pas précisément dans le grand nombre de prières, d'actes et de pratiques, mais dans la ferveur avec laquelle on fait ces choses ; et que Dieu et sa très digne Mère sont plus glorifiés d'un psaume, d'un cantique ou d'une antienne, récités avec dévotion, que de tout le psautier, ou d'un grand nombre d'autres prières que l'on ferait à la hâte et avec négligence ; ce qui est bien à remarquer par plusieurs personnes, qui, mettant leur dévotion dans la multitude des pratiques, s'en acquittent avec précipitation et avec peu de sentiment de la grandeur infinie de la majesté de Dieu, à qui ils les adressent ; c'est pourquoi les saints Pères recommandaient grandement l'usage des oraisons jaculatoires, parce qu'ordinairement elles se font avec plus de vue de Dieu. Oh ! Combien il y en a qui seront châtiés dans les feux redoutables du purgatoire pour la négligence qu'ils ont eue dans leurs exercices, qui souvent ont été des péchés véniels et non pas des actions dignes d'aucune récompense ! Combien y en a-t-il qui, au jour du jugement, se trouveront coupables pour des dévotions qu'ils ont pratiquées par amour-propre, suivant en cela leur inclination naturelle et non pas le mouvement de la grâce ; leurs propres lumières plutôt qu'une conduite réglée ; se rendant propriétaires de leurs exercices, voulant les faire par leur propre volonté, y étant attachés, ne considérant pas qu'il n'y a que Dieu seul qui est la fin de tous les moyens à qui nous devions nous attacher, et non pas aux moyens qui conduisent à lui, que nous ne devons prendre qu'avec une parfaite indifférence, pour nous en servir seulement dans son ordre, n'écoutant nullement les mouvements propres de la nature, ne les quittant pas à la vérité par inconstance ou négligence, mais selon le bon plaisir divin, qui demande des choses en un temps qu'il veut qu'on quitte en d'autres, changeant nos états comme il lui plaît ; et en tout cela la fidélité de l'âme consiste à ne vouloir que ce que Dieu veut, demeurant dans un état et dans les exercices de l'état autant qu'il le veut, et changeant de disposition comme il l'ordonne. Ainsi elle s'arrête à la méditation autant que sa grâce l'y attache ; elle passe à la contemplation lorsqu'elle y est appelée ; elle fait avec soin tous ses exercices de piété, sans en omettre pas un par ennui, par tentation, par dissipation, par infidélité ; mais elle est bien paisible lorsqu'elle ne les peut pas faire, soit par maladie ou par quelques occupations où elle est obligée de se rendre dans l'ordre de Dieu ; car ce qu'elle regarde est de faire la volonté de Dieu, sans se mettre en peine des moyens qui servent à aller à Dieu, sinon en tant qu'ils sont conformes à son bon plaisir.
Ces choses supposées, je dis que celui qui prétend à la glorieuse qualité d'esclave de la Mère de Dieu doit choisir quelque jour pour se donner à la souveraine des anges et des hommes en cette qualité, et s'y disposer par une confession générale, si jamais il n'en a fait, prenant garde que la réitération des confessions générales souvent vient de la nature, qui veut se satisfaire en se soulageant de quelques peines, qui ne sont que des scrupules, ce qui n'est suivi d'aucune bénédiction : car ordinairement, dit le grand saint François Xavier, au lieu d'un scrupule que l'on prétend ôter, ces confessions en font regermer dix. Le jour étant arrivé, après la sainte communion, il fera la protestation à sa bonne maîtresse, telle qu'elle est ci-après à la fin de ce livre, se donnant entièrement à elle en qualité d'esclave, et cela non-seulement des lèvres, mais du plus profond du cur, entrant véritablement dans les dispositions que l'on doit avoir en la volonté, et conformément à ce que nous en avons dit particulièrement aux chapitres 2 et 6 de la 1ère partie : c'est pourquoi il sera bon de les lire avec attention, pour savoir en quoi consiste la dévotion de l'esclavage de la très sainte Vierge, dont il est traité au chapitre 2, et être éclairci des difficultés que l'on y peut former, dont il est parlé amplement au chapitre 6.
Si les Romains autrefois achetaient leurs esclaves en présence de cinq témoins, il est bon de se donner à l'auguste impératrice du ciel en cette qualité, prenant pour témoins d'une action si sainte son bon ange, saint Gabriel, saint Joseph, saint Jean l'Évangéliste, et le saint ou la sainte dont on porte le nom.
Il est bon d'acheter une petite chaînette, de la faire bénir auparavant par un prêtre, avec l'oraison qui est pour ce sujet à la fin de ce livre.
Il proposera d'augmenter le nombre des esclaves de la digne Mère de Dieu, autant qu'il le pourra faire, soit en donnant des livres qui traitent de la dévotion de l'esclavage, soit en y incitant par les motifs que l'on peut en suggérer dans les entretiens particuliers, et en public, si c'est une personne qui ait droit d'y parler, soit en procurant que l'association de l'esclavage soit établie, se servant de personnes qui ont quelque pourvoir auprès des prélats de l'Église, pour en obtenir la permission.
Que n'a point fait le dévot P. Barthélemy de los Rios pour cette fin ? Mais ses soins ont reçu une telle bénédiction du ciel, que l'on voit à présent cette confrérie établie en grand nombre de villes, en différentes provinces, et en plusieurs royaumes, et un nombre presque infini de personnes de toutes sortes de qualités et d'états qui font gloire de vivre dans l'esclavage de la reine du ciel, dont la servitude est préférable à toutes les couronnes. Malheur à nous qui voyons ces choses, qui les louons et approuvons, pendant que nous demeurons oisifs à ne rien faire, nous contentant de quelques paroles ! Ô mon Dieu, quelle confusion de voir ce que le zèle d'un seul homme peut faire, et a fait, assisté du ciel, si nous considérons le peu que nous faisons ! En vérité, il faut dire que l'amour de nos curs pour celle que nous regardons comme notre très douce mère et très aimable maîtresse, n'est pas grand'chose, puisqu'il agit si peu ; l'amour étant du naturel du feu qui agit toujours, et qu'on ne peut cacher.
Il faut de plus que l'esclave de la Mère de Dieu sache qu'il doit porter hautement son service dans toutes les occasions, se déclarer hardiment pour son serviteur et dévot contre les libertins, et ne faire jamais rien d'indigne d'une si glorieuse qualité.
Il aura soin de célébrer avec une dévotion très particulière, et avec toute la solennité possible, les fêtes de l'Immaculée Conception, de l'Annonciation, et du précieux cur de la glorieuse Vierge, comme les grandes fêtes de l'Association de l'esclavage de la Mère de Dieu. Il aura aussi une vénération singulière pour le très doux nom de Marie, dont la fête se fait le 22 de septembre, et il ne prononcera jamais ce sacré nom qu'avec un très profond respect ; il l'invoquera avec confiance en tous ses besoins, il aura recours en toutes ses tentations, et il la pourra honorer quelquefois récitant en son honneur cinq psaumes, ou cinq antiennes ou hymnes qui se commencent par les lettres qui le composent : par exemple, récitant le Magnificat ; - Ad Dominum cum tribularer ; - Retribue servo tuo ; - In convertendo Dominus captivitatem Sion ; - Ad te levavi oculos meos ; ou bien, Magnificat ; - Ave maris stella ; - Regina cli laetare ; - Inviolata ; - Ave Regina clorum.
Il faut prendre quelqu'une des susdites fêtes pour le jour de la rénovation du dessein que l'on a pris de vivre et mourir esclave de la très digne Mère de Dieu. Pour ce sujet l'on fera avec une nouvelle ferveur d'esprit la protestation de lui céder tout le droit que l'on a en ses bonnes actions, et que l'on peut lui donner : comme aussi on renouvellera le dessein que l'on a eu de l'honorer en tous les moments de sa vie. L'on fera aussi un sérieux examen (ce qui serait bon de pratiquer tous les mois) de toutes ses actions, pour voir si, dans la vérité, elles sont toutes à la divine Marie : car si elles lui appartiennent (ce qui doit être à raison de la qualité d'esclave) le monde, ni la chair, ni les démons n'y doivent avoir aucune part. C'est ici qu'il faut bien examiner si la profession que l'on fait du saint esclavage est sincère, si elle consiste plus en paroles qu'en effets : et si l'on n'en a pas encore bien pénétré l'obligation, il faut commencer de le faire une bonne fois en la présence de Dieu et des saints anges. L'on considérera les fautes que l'on a commises, comme par exemple en s'appropriant quelques heures ou quelques jours de sa vie, quelqu'une de ses actions (ce qui est une injustice, puisque l'on en a fait cession entre les mains de l'auguste reine du ciel) ou bien en négligeant de travailler puissamment dans le service de sa bonne maîtresse à la pratique des vertus : car enfin la qualité d'esclave dit deux choses. La première, que, mettant la personne en la possession du maitre ou seigneur, tout ce qu'elle a et tout ce qu'elle fait est à lui : la seconde, que toute l'occupation de sa vie est de travailler pour son maître. Ces deux choses bien considérées, il y aura lieu de s'humilier fortement, et en suite de faire quelque pénitence pour demander pardon à notre sainte dame, prenant la discipline, ou jeûnant quelques jours, ou faisant quelque autre action semblable : car c'est le propre des esclaves d'être châtiés quand ils tombent en faute. L'on pourra aussi donner quelques aumônes, pour marque du tribut que l'on doit rendre à l'impératrice du ciel et de la terre, ou bien faire brûler quelques cierges devant ses images, ou contribuer en ce que l'on peut à la décoration de ses temples ou autels, selon le mouvement que l'esprit de Dieu en donnera.
Pline rapporte qu'on a autrefois payé des tributs pour l'ombre : un empereur en a imposé non-seulement pour tout ce que la terre pouvait donner, mais encore pour l'air que l'on respirait. Froton, roi de Danemark, l'exigeait pour toutes les parties du corps, il est bien plus juste que nous le payons à notre Dieu en l'honneur de sa divine Mère. Les Lacédémoniens demandèrent aux Samiens pour tribut un jour de jeûne, c'est-à-dire qu'ils leur payassent autant qu'ils auraient dépensé en ce jour, eux, leurs valets et leurs chevaux. Les personnes riches peuvent en faire autant pour la gloire de la reine du ciel, donnant en aumônes ce qu'ils auraient pu employer dans les repas dont ils s'abstiennent. Louis XI offrit en hommage à la souveraine du ciel le comté de Boulogne ; saint Henri, empereur, fit bâtir ou réparer près de mille églises en son honneur ; saint François jeûnait tous les jours depuis la fête de saint Pierre jusque l'Assomption ; sainte Élisabeth pratiquait le même jeûne, mais c'était au pain et à l'eau ; le savant cardinal Tolet, de la Compagnie de Jésus, jeûnait pendant ces quarante jours qui précèdent la fête du triomphe de la reine du paradis avec la même austérité, ne mangeant que du pain et ne buvant que de l'eau. Il ne faut qu'aimer et faire ; car l'amour est tout plein d'industries, et il inspirera toujours assez de moyens aux véritables esclaves de payer le tribut à leur bonne maîtresse. C'est une excellente pratique, d'avoir une boite où l'on mette tous les jours ou toutes les semaines quelque argent de ce qu'on aura pu épargner, pour l'offrir ensuite comme un tribut. Une tentation que l'on aura surmontée, une occasion dangereuse dont l'on aura été délivré, quelque fâcheux accident dont l'on aura été préservé, un acte de vertu que l'on aura pratiqué, quelques grâces particulières que l'on aura reçues, peuvent servir d'une juste occasion pour faire quelque petite épargne, pour mettre dans ce que l'on amasse pour le tribut de notre glorieuse maîtresse ; mais l'exercice intérieur de la pratique des vertus lui sera sans doute encore plus agréable. Ainsi, le fidèle esclave, devant travailler continuellement dans son service, s'appliquera à lui rendre quelques devoirs plus particuliers, prenant à tâche de surmonter le vice auquel il est le plus sujet, et de dompter l'inclination qui le domine davantage, ou de pratiquer la vertu qui lui est nécessaire ; et tous les actes qu'il fera de la mortification de son inclination, ou de la vertu dont il a plus de besoin, pourront composer un bouquet sacré et mystique qu'il offrira ou tous les mois, ou tous les ans, au jour de la rénovation, à la sainte dame, conférant les mois avec les mois, et les années où il est avec les années précédentes, pour remarquer s'il avance ou recule dans le service de la Mère de Dieu.
La vénérable Mère de Chantal, très digne première fille du glorieux saint François de Sales, avait ramassé et mis dans une oraison tous les actes de vertu que l'on peut produire, ayant ensuite formé l'intention que toutes les fois qu'elle ferait un certain signe ou dirait de certaines paroles elle entendrait produire tous ces actes. C'est encore une pratique excellente, et qui peut suppléer en peu de temps au pouvoir que l'on n'a pas, de dire et de faire tout ce qu'un bon cur voudrait bien. Celui qui ne fait pas le mal, mais qui le veut faire, ne laisse pas d'être criminel devant Dieu, qui regarde le cur de l'homme ; de même, la bonne volonté de faire le bien en est considérée quand elle est sincère. Le vénérable Alphonse Rodriguez, de la Compagnie de Jésus, étant portier en l'une des maisons de cette Compagnie, avait la volonté lorsqu'il allait à la porte, de s'y rendre comme si Notre-Seigneur et sa sainte M'ère y eussent frappé eux-mêmes, et il en fut récompensé par une faveur admirable, notre débonnaire Sauveur et la glorieuse Vierge paraissant visiblement et l'embrassant avec des tendresses dignes de l'admiration de tout le paradis. Aussi était-il de la grande faveur auprès de cette aimable princesse qui, pendant les ardeurs de l'été, lui essuyait la sueur qui coulait de son visage, par un amour ineffable, avec un linge miraculeux. Ce bon frère jetant un jour du blé d'un lieu en un autre fut tellement transporté du zèle des âmes qu'il disait bonnement à Notre-Seigneur qu'il aurait eu bien le désir de convertir autant d'âmes qu'il jetait de grains de blé ; et l'adorable Jésus eut tellement agréable sa bonne volonté qu'il lui révéla qu'il aurait la même récompense pour ses désirs comme si l'effet en était arrivé.
Il faut avoir une image de la sacrée Vierge en sa chambre ou en quelque lieu de la maison, et l'honorer et faire honorer par tous ceux sur qui l'on a quelque pouvoir, comme l'image de celle qui en est la maitresse, prenant soin qu'un chacun la salue en passant, y faisant brûler quelques cierges, et l'ornant selon son pouvoir.
Sainte Brigitte demandant à Notre-Seigneur quelque prière qui lui fût agréable, il lui révéla que ce serait de bénir et honorer tous les membres du corps virginal de sa très pure Mère ; et la sainte Vierge lui apparaissant ensuite lui dit que c'était elle qui lui avait obtenu la grâce de cette dévotion, et que lorsqu'elle s'en acquitterait elle serait consolée de son Fils. Nous avons déjà parlé de cette dévotion ; mais disons à présent que saint Jean Damascène la pratiquait, et Richard de Saint-Laurens, pénitencier de Rouen, qui vivait il y a plusieurs siècles. Ce grand homme exhortait de bénir tous les membres du corps sacré de la bienheureuse Vierge, pour être bénis en tous les membres de nos corps. Voici sa pratique :
« Je vous bénis, ô pieds aimables de ma bonne maîtresse, qui n'avez jamais marché que pour Notre-Seigneur ; je vous bénis, ô pures entrailles qui l'avez porté ; je vous bénis, ô cur très aimant qui l'avez tant aimé ; je vous bénis, ô glorieuses mamelles, qui l'avez allaité ; je vous bénis, ô mains sacrées qui l'avez servi ; je vous bénis, ô bouche sainte qui lui avez donné des baisers si chastes ; je vous bénis, ô langue divine qui n'avez jamais parlé que pour lui seul ; je vous bénis, ô oreilles fidèles à écouter ses paroles ; je vous bénis, ô beaux yeux qui l'avez regardé uniquement en toutes choses ; enfin je vous bénis, ô corps tout virginal, ô âme toute céleste qui avez été le sanctuaire du divin amour, et le temple auguste de la suradorable Trinité. »
On peut faire une génuflexion à chaque salutation, et pratiquer cette dévotion ou tous les mois, ou au moins une fois l'année.
La même sainte Brigitte a eu révélation que la très sainte Mère de Dieu donnerait sa bénédiction à toutes les familles et aux personnes qui, ayant recours à elle avec une confiance filiale, lui réciteraient dévotement par trois fois le verset de l'Ave maris stella : Monstra te esse matrem.
C'est un exercice à établir dans toutes les familles, et particulièrement dans les communautés religieuses, qui attirera sans doute de grandes grâces de la mère de miséricorde.
La glorieuse Vierge a fait aussi connaitre qu'elle prenait plaisir à la dévotion des sept joies principales qu'elle a eues en ce monde, et de celles dont à présent elle est comblée dans l'éternité sainte. C'est donc une louable coutume que de les honorer ; mais il ne faut pas oublier le culte que l'on doit rendre à ses douleurs, dont il y en a sept qui sont les plus remarquables.
La première est celle qu'elle porta en la circoncision de son fils bien-aimé ; la seconde, en la fuite quelle fut obligée de prendre en Égypte ; la troisième, en la perte de Notre-Seigneur dans le temple ; la quatrième, lorsqu'elle dit le dernier adieu à son cher Fils étant sur le point de sa douloureuse mort ; la cinquième, en la rencontre qu'elle en fît portant sa croix ; la sixième, lorsqu'elle l'assista sur le Calvaire ; la septième, le voyant expirer et le tenant mort ensuite entre ses bras.
On peut honorer ces joies et ces douleurs de notre divine maîtresse, récitant sept Pater ou sept Ave, ou faisant sept génuflexions, s'humiliant à même temps avec un profond respect devant la divine Majesté pour la remercier de ses grâces envers la très pure Vierge.
Quand ses restes arrivent, le fidèle esclave doit être tout dans une sainte joie ; il doit s'y préparer plusieurs jours auparavant par quantité de dévotions, conformément à son état ; il doit les célébrer avec tout le respect possible ; il doit en faire l'octave avec tous les sentiments qu'une véritable piété en peut donner ; tous les samedis lui seront des jours de grande dévotion, et dans ces temps, il s'appliquera encore plus particulièrement à la pratique des bonnes uvres.
Il aura une charité spéciale pour les âmes des trépassés, gagnant les indulgences à leur intention, et faisant tout ce qu'il pourra par le sacrifice de la messe, par la communion, jeûnes, austérités, aumônes, prières par lui et par tous ceux à qui il pourra inspirer le même soin, afin que ces âmes, étant délivrées de leurs peines, aillent dans le ciel bénir, louer et aimer celle qui en est laimable princesse ; se souvenant que c'est toujours à elle, comme il a été expliqué, de faire l'application de nos bonnes uvres à qui il lui plait.
Tous les matins, il se souviendra qu'il n'est plus à lui, mais à la très sacrée Vierge, ainsi, que tout ce qu'il a à faire est de la servir avec fidélité, faisant toutes ses actions purement pour Dieu, et renonçant à tout autre dessein, et tout autre vue, et faisant une sérieuse réflexion que c'est une vérité de foi : qu'il n'y a que cette unique chose nécessaire, servir et être à Dieu. Les moyens qui y conduisent sont à la vérité bien différents : les voies des religieux ne sont pas semblables à celles des séculiers, c'est pourquoi les personnes qui sont dans le siècle n'y doivent pas vivre comme celles qui sont dans les cloitres ; mais toutes, sans réserve, et le savant aussi bien que l'ignorant, le pauvre comme le riche, le roi comme le paysan, l'homme marié comme le religieux tous doivent aller à Dieu, et tous n'ont qu'une seule chose à faire, qui est de le servir. Il faut ici remarquer les artifices du démon, qui tâche de mettre dans la plupart des esprits que de certaines choses sont nécessaires pour aller à Dieu, qui cependant sont incompatibles à leur état, pour ensuite décourager les personnes, et leur faire voir la dévotion comme une chose impossible, à moins que d'être renfermé dans un monastère. Ainsi, il fera que quelques-uns mettront la dévotion dans les jeûnes et austérités, qui n'auront pas la force de les pratiquer ; d'autres, dans la retraite, qui sont obligés à la conversation. Ces gens ne prenant pas garde que le service de Dieu ne consiste pas précisément dans de certaines choses, quoique bonnes, mais dans l'assujettissement à la volonté le Dieu, qui conduit à lui, les uns par une voie, les autres par une autre ; tellement que le prince ne doit pas se servir des moyens qui sont propres aux religieux, ni les religieux ne doivent pas prendre ceux qui sont pour les princes ; mais tous doivent tendre à une seule fin, et celui qui est marié doit avoir Dieu pour but dans son ménage, dans ses affaires, dans ses travaux, dans ses occupations, et n'y rechercher que sa gloire, aussi bien que le religieux dans tous les exercices réguliers. Le fidèle esclave entrera donc à son réveil dans ce dessein, pour le suivre fidèlement en toutes les actions de la journée, en faisant une offrande à Dieu seul en général pour toutes ses actions moins considérables, et en particulier pour celles qui font sa principale occupation ; mais ce n'est pas assez de dire de bouche que l'on ne veut que la gloire de Dieu en tout ce que l'on pense, en tout ce que l'on dit ou fait ; mais il faut en avoir une sincère volonté, et être continuellement par état dans ce dessein, et non pas pour quelques moments pendant que l'on fait ses prières ; en sorte que toutes les fois qu'on fait réflexion sur ses actions, en quelque temps que ce puisse être, à la table aussi bien que dans l'oratoire, dans la récréation aussi bien que dans l'oraison, l'on puisse voir dans le fond de son cur que c'est Dieu que l'on cherche et que l'on veut servie ; de telle manière que, s'il n'était pas glorifié en ce que l'on fait, l'on sen abstiendrait courageusement, quelque inclination que la nature y pût donner.
Si par faiblesse l'on commet des imperfections qui soient contraires à ce dessein, il ne faut pas que ce soit avec une entière connaissance ; mais aussitôt que l'on s'en aperçoit, l'on doit y renoncer pour ce qui regarde la part que la nature y prend, protestant que, malgré les sentiments de la partie inférieure, l'on y veut chercher la gloire de Notre-Seigneur. Heureuses les âmes qui n'y chercheront pas seulement Dieu premièrement, mais qui s'attacheront à lui seul uniquement, qui n'aimeront et ne verront que lui seul en toutes choses. Il n'est pas nécessaire de longues prières ou de grandes directions d'intention, lorsque l'on a une volonté sincère de ne chercher que Dieu en toutes choses, et que ce dessein demeure dans le fond de l'âme par état ; pour lors, une seule ou deux paroles suffisent, comme : « Ô mon tout, je ne veux que vous, je suis tout à vous, Dieu seul », et choses semblables.
L'on ne peut assez recommander le fréquent usage des oraisons jaculatoires, dont chacun se servira selon le mouvement de sa grâce. En voici quelques-unes pour ceux qui n'en ont pas l'habitude : « Ô sainte Mère de Dieu, montrez-vous être ma bonne mère... Ô mon âme, quand serons-nous tout à Marie, pour être tout à Jésus... Sainte Vierge, je vous aime, et vous veux aimer... Ô mon cur ! souvenons-nous bien que nous ne sommes plus à nous, et qu'étant à la reine du ciel, nous ne pouvons plus disposer de nos affections... Mon âme, nous sommes les esclaves de la sainte Vierge, il ne faut donc plus penser avoir aucune liberté de mettre notre joie, ou de nous attrister de ce qui plaît ou déplaît au sang et à la nature... Ô monde, il ne faut plus avoir aucune prétention sur nous, puisque nous ne sommes plus à nous... Ô quelle injustice, ô mon âme, de faire la moindre petite action pour les créatures ! En conscience, peut-on donner ce qui n'est plus à soi ? Tout est à Marie, il n'y a donc plus rien pour aucune autre créature... Ô mes yeux, non, vous ne pouvez plus regarder ; mes oreilles, rien écouter ; ma langue, rien dire ; ma mémoire, vous appliquer volontairement qu'à ce que veut notre bonne maîtresse. »
Un moment passé avec connaissance dans la recherche de nous-mêmes ou de quelque autre créature mérite de grands châtiments, puisque, dans cet instant, nous nous tirons du domaine et de l'empire de l'auguste impératrice du paradis.
Puisque tout ce que l'esclave fait est acquis à son seigneur, celui qui est dans l'esclavage de la divine Marie ne doit pas être oisif, mais travailler avec ferveur pour sa sainte dame. Quels services ne mérite pas une telle maîtresse ? Il faut donc tout faire pour elle, et faire tout ce que l'on fait de bonne grâce et avec une généreuse ferveur. C'est une douce pensée, lorsque l'on est tenté de paresse, d'ennui ou de découragement, de se souvenir que l'on agit pour la digne Mère d'un Dieu. C'est une vue capable de donner une force incroyable parmi toutes les sécheresses, aridités et répugnances que l'on peut avoir dans le service de Dieu. Il y a de certaines bonnes uvres que l'on doit pratiquer plus particulièrement : comme d'accompagner le très saint Sacrement, aller souvent le visiter, faire des pèlerinages aux lieux consacrés sous le nom de la très pure Vierge, aller aux hôpitaux, aux prisons, chez les pauvres honteux, assister les misérables de tout son pouvoir, soit pour ce qui regarde les peines intérieures, soit pour les besoins extérieurs ; réconcilier les ennemis, établir la paix et la charité partout, travailler avec zèle à la destruction du vice et de l'impureté, ruinant les occasions de ce péché, ne permettant jamais des familiarités indécentes, et ne souffrant en aucune façon les paroles équivoques ou trop libres, retirant avec charité les personnes qui y sont engagées, en leur procurant les secours nécessaires, empêchant que celles qui sont dans le péril n'y tombent malheureusement, se servant pour ce sujet de tous les moyens possibles , et n'épargnant rien pour la conservation de la pureté, qui est la chère vertu de la Vierge des vierges ; et c'est un service des plus agréables que l'on puisse rendre à la reine de toute pureté ; avoir un grand soin des tabernacles et des vases sacrés, comme ciboires, calices, et des corporaux, purificatoires et tout ce qui regarde le corps de notre adorable Sauveur, et empêcher de tout son pouvoir les irrévérences qui se commettent en son adorable présence dans nos églises ; procurer, comme il a déjà été dit, avec zèle des missions pour les pauvres gens de campagnes, et faire en sorte que le catéchisme soit fait avec soin dans les paroisses ; mais surtout contribuer, autant qu'il se peut, pour les missions des pays étrangers, pour en faire une conquête glorieuse à l'empire de Jésus et Marie.
Comme l'on doit tenir à gloire d'être chargé des fers de l'esclavage de la reine du ciel, il est bon, de temps en temps, de baiser avec amour et respect les petites chaînes que l'on porte, comme les douces et glorieuses marques de la servitude où l'on est si heureusement engagé ; l'on doit tenir à grand honneur de faire une haute profession d'un si illustre esclavage, se déclarant partout avec une sainte hardiesse l'esclave de la Mère de Dieu, prenant cette qualité en toutes les occasions où l'on pourra s'en servir, comme dans les lettres que l'on écrit, et en d'autres semblables rencontres.
Mais la persévérance est ce qui couronne toutes les pratiques de la vertu. Il y en a beaucoup qui commencent avec une ferveur admirable, plusieurs qui continuent pendant quelques années ; mais il y en a bien peu qui persévèrent jusqu'à la fin. L'on marche facilement dans les voies de la vertu pendant que la consolation dure ; il est aisé d'aller à Dieu lorsque les mouvements qui y portent sont sensibles, qu'on ne trouve rien qui y répugne ; ou si l'on rencontre des difficultés, la douceur que l'on trouve d'autre part les fait surmonter facilement. L'on n'a pas grand'peine quand les occasions où l'on est, les compagnies que l'on fréquente ne servent pas d'obstacles ; mais la difficulté est de ne pas désister dans la privation des douceurs spirituelles, de tenir bon parmi toutes les contradictions qui arrivent, de ne point retourner en arrière lorsqu'il nous semble que le ciel s'éloigne de nous, et que la terre s'en approche de bien près ; lorsque la nature se révolte, que les lumières s'éclipsent, que l'on avait de la beauté de la vertu, des grandeurs des humiliations, des richesses de la pauvreté, du bonheur des mépris, du plaisir de la douleur ; que le rien des créatures disparaît, et qu'on ne voit plus que ce que les sens découvrent ; le monde et ses plaisirs que l'on avait eus en horreur devenant agréables, l'âme étant destituée de tout le sensible, Dieu tout bon la voulant conduire par la pure foi.
Oh ! Qu'il y a peu d'âmes qui soient fidèles dans ces états, qui pratiquent exactement tous leurs exercices dans la privation de tout goût et sentiment, de même qu'elles faisaient dans le temps de la consolation ! Que c'est une chose rare de persévérer dans le dégagement des créatures, lorsque l'on se trouve obligé de converser souvent avec elles, et d'avoir toujours l'esprit mortifié par des gens immortifiés. Où trouvera-t-on des personnes dont la pureté des maximes ne se corrompe pas par les maximes du monde ; qui n'aient que ces mépris pour les richesses, les honneurs et les plaisirs de la vie présente, conversant souvent avec des gens qui n'ont que de l'estime pour ces choses, et qui n'en parlent jamais qu'avec goût et plaisir ? Oh ! Combien ai-je vu d'âmes qui, après avoir mené une vie céleste, se sont toutes plongées dans la vie des sens ! Combien en ai-je connues qui, marchant à grands pas dans les voies des saints, se sont engagées dans les routes fâcheuses des pécheurs ! Ô mon âme ! Que ces expériences nous doivent être terribles ! Mais qu'il est vrai que l'on ne peut jamais assez dire que la fidélité est ce qui est de plus rare au monde ! Je ne puis n'empêcher ici de déplorer l'aveuglement de quelques âmes qui ne voient pas leurs chutes ni leurs infidélités, parce qu'il leur reste quelque désir d'être à Dieu ; qui ne connaissent pas le ciel des voies de la perfection d'où elles sont tombées, parce qu'elles tâchent de se préserver de grands péchés. Oh mon Dieu ! Que de sujets de toutes parts de nous humilier jusque dans le plus profond des abimes en la présence de notre Dieu ! Pour être un véritable esclave, il faut être tellement engagé au service de son maître, que l'on ne puisse pas s'en tirer ; il y faut vivre et il y faut mourir. Cette pensée me donne une estime incroyable et un amour indicible pour la qualité d'esclave de la souveraine du paradis, puisque, nous liant pour toute la vie au service d'une si aimable maîtresse, et nous mettant ensuite sous sa continuelle protection, il n'y a rien à craindre, mais tout à espérer. Être à Marie, c'est être délivré de l'enfer ; mais être toujours à Marie (ce qui est le propre de ses esclaves), c'est être toujours assuré de son bonheur éternel ; mais être tellement à Marie, que l'on ne puisse pas se dégager raisonnablement de son service, c'est ne pouvoir pas être malheureux. Oh mon âme ! Écoutons donc encore une fois un sage conseil, et ne cessons jamais d'en faire état. Mettons-nous ses fers aux pieds et son collier au cou, et n'ayons point de difficultés de porter ses chaînes ; ses liens nous serviront de force et de protection, et son carcan sera pour nous une école de gloire, puisque l'on y trouve le plus grand honneur de la vie, et que ces chaines ne nous attachent que pour nous sauver. C'est donc la fidélité qui est le principal devoir de l'esclave, et les moindres fautes que l'on commet à ce sujet sont dignes de châtiment.
Saint Edmond avait une sainte coutume de réciter tous les jours une prière en l'honneur de la sacrée Vierge et de son cher favori saint Jean l'Évangéliste ; mais y ayant manqué quelques jours, ce grand saint lui parut comme irrité, et donnant quelques signes comme s'il eût voulu le punir. La bonté de cet incomparable saint et son incroyable douceur ne lui permirent pas de le châtier ; il se contenta de lui faire connaître sa faute, et la peine qu'elle méritait. Ce qui doit apprendre à tous les dévots de la très pure Vierge à persévérer constamment dans leurs exercices de piété, et à ne les quitter jamais que dans l'ordre de Dieu.