CHAPITRE IV

Des tentations contre la pureté

 

 

Les tentations contre la pureté viennent d'une nature faible, dont le feu de la convoitise s'allume par le trop bon traitement du corps, par l'oisiveté, par l'immortification des sens, et particulièrement de la vue, par la mollesse et le luxe des habits, par le trop de conversation et de liberté avec les personnes de différent sexe ; surtout par des amitiés, qui, quoiqu'elles ne soient point déshonnêtes, sont trop dans les sens, et ont trop de considération pour les qualités naturelles, soit du corps, soit de l'esprit : ou bien elles viennent de la trop grande crainte que l'on en a, ce qui sert à en imprimer plus fortement les idées dans l'imagination, ou bien du diable qui les donne, soit pour porter au péché, soit pour troubler l'âme, ou pour lui faire quitter l'oraison et les autres exercices de vertu.

 

Mais Bien tout bon, qui les permet, en tire sa gloire et le bien des âmes. Il fait comme les jardiniers qui font venir des œillets, de la marjolaine et d'autres fleurs odoriférantes, sur le fumier. Les rébellions de l'appétit sensuel, dit le grand saint François de Sales, au livre IX De l'amour de Dieu, tant en l'ire qu'en la convoitise, sont laissées en nous pour notre exercice, afin que nous pratiquions la vaillance spirituelle en leur résistant. Plus l'or est éprouvé dans la fournaise, disait Notre-Seigneur à une sainte âme, plus il est pur ; tout de même, plus la chasteté est éprouvée dans la fournaise du feu de la concupiscence, à laquelle on n'adhère pas, plus elle est pure et belle. Ces tentations sont un réveille-matin qui excite toutes les vertus, savoir : l'humilité, la patience, la soumission à la volonté divine, l'amour de Dieu, la foi, l'espérance et tout le reste des autres vertus. N'est-ce pas ce qui faisait dire à l'Apôtre qu'il était fort dans sa faiblesse ? (II Cor. XII, 10) C'est pourquoi une personne d'une grande sainteté priant la très sainte Vierge qu'elle délivrât une âme qui était affligée des tentations contre la pureté : Non, dit cette Mère de Dieu, je n'en ferai rien, je ne le ferai pas ; ce sera un des plus beaux fleurons de sa couronne : il n'y a point de victoire sans combat ; si on lui ôtait les tentations, on lui ôterait les occasions de combattre, de remporter plusieurs victoires, et de gagner autant de prix.

 

C'est ce qui doit beaucoup consoler les personnes qui sont affligées de ces tentations, qui, quoiqu'elles portent au péché, ne sont jamais pourtant un véritable péché, quelques effets qu'il en arrive, quand le consentement n'y est pas. La boue qui est jetée sur les rayons du soleil ne les salit pas ; de même, l'impureté des pensées ne donne aucune souillure à l'âme, si elle n'y adhère point. Ce serait une erreur, dit saint François de Sales, de s'imaginer que notre sens ou l'appétit sensitif soit péché, et une erreur condamnée par l'Église en l'opinion de certains solitaires anciens, qui pensaient que l'on pouvait tout à fait éteindre les passions, et non seulement les mortifier. Nous ne pouvons donc jamais être coupables, quoique la tentation bouleverse la partie inférieure, et révolte toutes les passions et tous les sens intérieurs et extérieurs, si nous ne cédons à cet orage volontairement.

 

Mais ce qui doit être un motif très puissant d'une consolation singulière à ces pauvres âmes tentées, est que ces sortes d'épreuves n'empêchent pas les plus saints progrès dans les voies spirituelles, mais contribuent beaucoup à s'y avancer. Le vénérable César de Buz, fondateur des Pères de la doctrine chrétienne, s'est élevé à une haute sainteté par ses épreuves, qui l'ont rudement tourmenté durant une grande partie de sa précieuse vie, et qui lui étaient d'autant plus sensibles qu'il était privé de la vue corporelle, étant devenu aveugle, et par conséquent qui s'imprimaient plus vivement et plus fortement dans son imagination. La sainte fondatrice des religieuses de la congrégation de Notre-Dame, la mère Alexis Leclerc, nommée en religion Thérèse de Jésus, a porté sur ce sujet des peines qui font compassion, tant elles sont grandes. Saint Pierre Célestin en a été travaillé jusqu'à consulter le souverain pontife s'il ne cesserait pas de célébrer la messe à cause des effets que produisaient ces tentations ; ce que le chef de l'Église lui défendit, lui ordonnant de continuer toujours à son ordinaire d'offrir le sacrifice redoutable de notre religion. Saint Jérôme en a été persécuté en sa vieillesse, et en la manière qu'il a laissé lui-même par écrit. Mais enfin, Satan a bien osé souffleter un corps aussi chaste et aussi vierge que celui de saint Paul, et dont la pureté est allée jusqu'au troisième ciel. C'est une preuve manifeste que, pour vivre de la vie divine, il n'est pas nécessaire de ne pas sentir les rébellions des sens et de la nature ; puisque cette merveille des apôtres, dont l'Écriture nous assure (Galat. II, 20), qu'il ne vivait plus, et qu'il n'y avait que Jésus qui vivait en lui, était vivement tourmenté de l'aiguillon de la chair (II Cor. 12, 7) (1). La chasteté ne consiste pas dans une grande insensibilité, mais dans la résistance à tout ce qui est contraire à la parfaite pureté ; à raison de quoi, dit un grand prélat, elle est comparée au lis qui croît au milieu des épinés.

 

Si l’on demande ce qu’il faut faire dans ces occasions, tous les livres spirituels sont remplis de saints avis et de salutaires remèdes pour remporter la victoire dans ces combats. Nous dirons seulement ici qu’il faut fuir discrètement toutes les occasions de la tentation. Si les saints dans leur vieillesse, et dans les déserts en ont été si exercés, et si quelques-uns y ont succombé, cela marque assez qu'il y a bien à craindre, et qu'il faut extrêmement se défier de soi-même, ne s'appuyant aucunement sur les victoires du passé, et se persuadant que la chasteté est un don de Dieu qui n'est donné qu'aux humbles. Les orgueilleux ordinairement tombent dans le péché d'impureté. On doit veiller à résister au commencement des mauvaises pensées. Figurez-vous un charbon ardent qui tomberait sur votre habit ; hélas ! Tarderiez-vous à le faire tomber ? Ces pensées sont des charbons de feu d'enfer. Saint Ignace, fondateur de la Compagnie de Jésus, avait coutume de dire que le diable était semblable au serpent, qui glisse tout son corps où une fois il a passé la tête ; et le divin Pacôme rapportait que les démons avaient été obligés et forcés de lui avouer qu'ils craignaient beaucoup ceux qui résistaient de prime abord à leurs tentations, et dont ils étaient aussitôt repoussés avec vigueur ; mais qu’ils se jouaient des autres qui y étaient négligents.

 

Cependant il faut dire avec sainte Thérèse, en la 2ème demeure du Château intérieur, que Notre Seigneur permet souvent que de mauvaises pensées nous affligent, sans les pouvoir chasser nous ; pour lors on ne doit ni s’attrister ni s’inquiéter. Il suffit que la volonté n’y soit pas. Il faut recourir à la prière, à la dévotion de la Vierge des vierges, et spécialement au mystère de son immaculée conception, dont on voit arriver des secours miraculeux. Il est bon de bénir et louer saint Joachim et sainte Anne, en leur disant que la très sainte Vierge leur bienheureuse fille est sortie d'eux sans aucune tache originelle. Une âme d'une vertu admirable se sentait extraordinairement assistée des tentations horribles contre la pureté, qui lui étaient causées par les magiciens et sorciers, en honorant la sainte Vierge et ses glorieux parents en cette manière. La dévotion aux saints anges, les amis des chastes, est aussi grandement efficace. Après cela on doit se tenir en repos, à l'exemple du grand Apôtre. Voici comme en parle saint François de Sales, au chap. 7 du liv. IX de L'amour de Dieu : « L'aiguillon de la chair, messager de Satan, piquait rudement saint Paul, pour le faire précipiter au péché. Le pauvre apôtre souffrait cela comme une injure honteuse et infâme : c'est pourquoi il l'appelait un soufflettement et un bafouement, et priait Dieu qu'il lui plût de l'en délivrer. Mais Dieu répondit : Ô Paul, ma grâce te suffit, et la force se perfectionne dans l'infirmité. (II Cor. XII, 9). À quoi ce grand saint acquiesça : Donc, dit-il, volontiers je me glorifierai dans mes infirmités, afin que la vertu de Jésus-Christ habite en moi. » (Ibid., 10) Remarquez que non seulement nous ne devons pas nous inquiéter en nos tentations, mais nous glorifier d'être infirmes, afin que la vertu divine paraisse, nous soutenant en notre faiblesse.

 

 

(1) Il n'est pas sûr que l'aiguillon dont parle saint Paul fût celui de l'impureté. Saint Chrysostome soutient fort le contraire. Les saints docteurs sont partagés sur ce point.