CINQUIÈME PARTIE
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CINQUIÈME PARTIE DE L’INTRODUCTION

CONTENANT DES EXERCICES ET AVIS POUR RENOUVELER L’AME ET LA CONFIRMER EN LA DÉVOTION

 

 

CHAPITRE I

QU’IL FAUT CHAQUE ANNÉE RENOUVELER LES BONS PROPOS PAR LES EXERCICES SUIVANTS

CHAPITRE II

CONSIDÉRATION SUR LE BÉNÉFICE QUE DIEU NOUS FAIT NOUS APPELANT A SON SERVICE SELON LA PROTESTATION MISE CI-DESSUS

CHAPITRE III

DE L’EXAMEN DE NOTRE AME SUR SON AVANCEMENT EN LA VIE DÉVOTE

CHAPITRE IV

EXAMEN DE L’ÉTAT DE NOTRE AME ENVERS DIEU

CHAPITRE V

EXAMEN DE NOTRE ÉTAT ENVERS NOUS-MÊMES

CHAPITRE VI

EXAMEN DE L’ÉTAT DE NOTRE AME ENVERS LE PROCHAIN

CHAPITRE VII

EXAMEN SUR LES AFFECTIONS DE NOTRE AME

CHAPITRE VIII

AFFECTIONS QU’IL FAUT FAIRE APRÈS L’EXAMEN

CHAPITRE IX

DES CONSIDÉRATIONS PROPRES POUR RENOUVELER NOS BONS PROPOS

CHAPITRE X

CONSIDÉRATION PREMIÈRE : DE L’EXCELLENCE DE NOS AMES

CHAPITRE XI

SECONDE CONSIDÉRATION : DE L’EXCELLENCE DES VERTUS

CHAPITRE XII

TROISIÈME CONSIDÉRATION : SUR L’EXEMPLE DES SAINTS

CHAPITRE XIII

QUATRIÈME CONSIDÉRATION: DE L’AMOUR QUE JÉSUS-CHRIST NOUS PORTE

CHAPITRE XIV

CINQUIÈME CONSIDÉRATION : DE L’AMOUR ÉTERNEL DE DIEU ENVERS NOUS

CHAPITRE XV

AFFECTIONS GÉNÉRALES SUR LES CONSIDÉRATIONS PRÉCÉDENTES, ET CONCLUSION DE L’EXERCICE

CHAPITRE XVI

DES RESSENTIMENTS QU’IL FAUT GARDER APRÈS CET EXERCICE

CHAPITRE XVII

RÉPONSE A DEUX OBJECTIONS QUI PEUVENT ÊTRE FAITES SUR CETTE INTRODUCTION

CHAPITRE XVIII

TROIS DERNIERS ET PRINCIPAUX AVIS POUR CETTE INTRODUCTION

 

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CHAPITRE I

QU’IL FAUT CHAQUE ANNÉE RENOUVELER LES BONS PROPOS PAR LES EXERCICES SUIVANTS

 

 

Le premier point de ces exercices consiste à bien reconnaître leur importance. Notre nature humaine déchoit aisément de ses bonnes affections, à cause de la fragilité et mauvaise inclination de notre chair, qui appesantit l’âme et la. tire toujours contre-bas, si elle ne s’élève souvent en haut à vive force de résolution: ainsi que les oiseaux retombent soudain en terre, s’ils ne multiplient les élancements et traits d’ailes, pour se maintenir au vol. Pour cela, chère Philothée, vous avez besoin de réitérer et répéter fort souvent les bons propos, que vous avez faits de servir Dieu, de peur que, ne le faisant pas, vous ne retombiez en votre premier état, ou plutôt en un état beaucoup pire; car les chutes spirituelles ont cela de propre, qu’elles nous précipitent toujours plus bas que n’était l’état, duquel nous étions montés en haut à la dévotion. Il n’y a point d’horloge, pour bonne qu’elle soit, qu’il ne f aille remonter ou bander deux fois le jour, au matin et au soir; et puis, outre cela, il faut qu’au moins une fois l’année, l’on la démonte de toutes pièces, pour ôter les rouillures qu’elle aura contractées, redresser les pièces forcées et réparer celles qui sont usées. Ainsi celui qui a un vrai soin de son cher coeur, doit le remonter en Dieu au soir et au matin, par les exercices marqués ci-dessus; et outre cela, il doit plusieurs fois considérer son état, le redresser et accommoder; et enfin, au moins une fois l’année, il le doit démonter, et regarder par le menu toutes les pièces, c’est-à-dire toutes les affections et passions d’icelui, afin de réparer tous les défauts qui y peuvent être. Et comme l’horloger oint avec quelque huile délicate les roues, les ressorts et tous les mouvants de son horloge, afin que les mouvements se fassent plus doucement et qu’il soit moins sujet à la rouillure, ainsi la personne dévote, après la pratique de ce démontement de son coeur, pour le bien renouveler, le doit oindre par les sacrements de confession et de l’eucharistie. Cet exercice réparera vos forces abattues par le temps, échauffera votre coeur, fera reverdir vos bons propos et refleurir les vertus de votre esprit.

Les anciens chrétiens le pratiquaient soigneusement au jour anniversaire du baptême de Notre Seigneur, auquel, comme dit saint Grégoire, évêque de Nazianze, ils renouvelaient la profession et les protestations qui se font en ce sacrement faisons-en de même, ma chère Philothée, nous y disposant très volontiers, et nous y employant fort sérieusement.

Ayant donc choisi le temps convenable, selon l’avis de votre père spirituel, et vous étant un peu plus retirée en la solitude, et spirituelle et réelle, que l’ordinaire, vous ferez une ou deux ou trois méditations sur les points suivants, selon la méthode que je vous ai donnée en la seconde Partie.

 

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CHAPITRE II

CONSIDÉRATION SUR LE BÉNÉFICE QUE DIEU NOUS FAIT NOUS APPELANT A SON SERVICE SELON LA PROTESTATION MISE CI-DESSUS

 

 

1. Considérez les points de votre protestation. Le premier, c’est d’avoir quitté, rejeté, détesté, renoncé pour jamais tout péché mortel; le second, c’est d’avoir dédié et consacré votre âme, votre coeur, votre corps, avec tout ce qui en dépend, à l’amour et service de Dieu; le troisième, c’est que s’il vous arrivait de tomber en quelque mauvaise action, vous vous en relèveriez soudainement, moyennant la grâce de Dieu. Mais ne sont-ce pas là des belles, justes et dignes et généreuses résolutions? Pensez bien en votre âme, combien cette protestation est sainte, raisonnable et désirable.

2. Considérez à qui vous avez fait cette protestation; car c’est à Dieu. Si les paroles raisonnables données aux hommes nous obligent étroitement, combien plus celles que nous avons données à Dieu: « Ah! Seigneur, disait David, c’est à vous à qui mon coeur l’a dit; mon coeur a projeté cette bonne parole ; non, jamais je ne l’oublierai. »

3. Considérez en présence de qui, car ç’a été à la vue de toute la cour céleste: hélas I la Sainte Vierge, saint Joseph, votre bon ange, saint Louis, toute cette bénite troupe vous regardait, et soupirait sur vos paroles des soupirs de joie et d’approbation, et voyait des yeux d’un amour indicible votre coeur prosterné aux pieds du Sauveur, qui se consacrait à son service. On fit une joie particulière pour cela parmi la Jérusalem céleste; et maintenant on en fera la commémoration, si de bon coeur vous renouvelez vos résolutions.

4. Considérez par quels moyens vous fîtes votre protestation. Hélas! combien Dieu vous fut doux et gracieux en ce temps-là! Mais dites en vérité, fûtes-vous pas conviée par des doux attraits du Saint-Esprit ? Les cordes avec lesquelles Dieu tira votre petite barque à ce port salutaire, furent-elles pas d’amour et charité? Comme vous alla-t-il amorçant avec son sucre divin, par les sacrements, par la lecture, par l’oraison ? Hélas! chère Philothée, vous dormiez, et Dieu veillait sur vous et pensait sur votre coeur des pensées de paix, il méditait pour vous des méditations d’amour.

5. Considérez en quel temps Dieu vous tira à ces grandes résolutions, car ce fut en la fleur de votre âge. Ah! quel bonheur d’apprendre tôt, ce que nous ne pouvons savoir que trop tard! Saint Augustin, ayant été tiré à l’âge de trente ans, s’écriait : « O ancienne Beauté, comme t’ai-je si tard connue? Hélas! je te voyais et ne te considérais point. » Et vous pourrez bien dire: « O douceur ancienne, pourquoi ne t’ai-je plutôt savourée ?» Hélas! néanmoins, encore ne le méritiez-vous pas alors; et partant, reconnaissant quelle grâce Dieu vous a faite, de vous attirer en votre jeunesse, dites avec David: « O mon Dieu, vous m’avez éclairée et touchée dès ma jeunesse, et jusques à jamais j’annoncerai votre miséricorde. » Que si ç’a été en votre vieillesse, hélas! Philothée, quelle grâce, qu’après avoir ains abusé des années précédentes, Dieu vous ait appelée avant la mort, et qu’il ait arrêté la course de votre misère au temps actuel, si elle eût continué, vous étiez éternellement misérable !

Considérez les effets de cette vocation: vous trouverez, je pense, en vous de bons changements, comparant ce que vous êtes avec ce que vous étiez. Ne prenez-vous point à bonheur de savoir parler à Dieu par l’oraison, d’avoir affection à le vouloir aimer, d’avoir accoisé et pacifié beaucoup de passions qui vous inquiétaient, d’avoir évité plusieurs péchés et embarrassements de conscience, et enfin, d’avoir si souvent communié de plus que vous n’eussiez pas fait, vous unissant à cette souveraine source de grâces éternelles ? Ah! que ces grâces sont grandes! il faut, ma Philothée, les peser au poids du sanctuaire. C’est la main dextre de Dieu qui a fait tout cela. « La bonne main de Dieu, dit David, a fait vertu ; sa dextre m’a relevé. Ah ! je ne mourrai pas, mais je vivrai et raconterai de coeur, de bouche et par oeuvre les merveilles de sa bonté.

Après toutes ces considérations, lesquelles, comme vous voyez, fournissent tout plein de bonnes affections, il faut simplement conclure par action de grâce et une prière affectionnée d’en bien profiter, se retirant avec humilité et grande confiance en Dieu, réservant de faire l’effort des résolutions près le deuxième point de cet exercice.

 

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CHAPITRE III

DE L’EXAMEN DE NOTRE AME SUR SON AVANCEMENT EN LA VIE DÉVOTE

 

Ce second point de l’exercice est un peu long; et, pour le pratiquer, je vous dirai qu’il n’est pas requis que vous le fassiez tout d’une traite, mais à plusieurs fois, comme prenant ce qui regarde votre déportement envers Dieu pour un coup, ce qui vous regarde vous-même pour l’autre, ce qui concerne le prochain pour l’autre, et la considération des passions pour le quatrième. Il n’est pas requis ni expédient que vous fassiez à genoux, sinon le commencement et la fin qui comprend les affections. Les autres points de l’examen, vous les pouvez faire utilement en vous promenant, et encore plus utilement au lit, si par aventure vous y pouvez être quelque temps. sans assoupissement et bien éveillée; mais pour ce faire, il les faut avoir bien lus auparavant. Il est néanmoins requis de faire tout ce second point en trois j ours et deux nuits pour le plus, prenant de chaque jour et de chaque nuit quelque heure, je veux dire quelque temps, selon que vous pourrez; car si cet exercice ne se faisait qu’en des temps fort distants les uns des autres, il perdrait sa force et donnerait des impressions trop lâches. Après chaque point de l’examen, vous remarquerez en quoi vous vous trouvez avoir manqué et en quoi vous avez du défaut, et quels principaux détraquements vous avez ressentis, afin de vous en déclarer pour prendre conseil, résolution et confortement d’esprit. Bien qu’ès jours que vous ferez cet exercice et les autres, il ne soit pas requis de faire une absolue retraite des conversations, si faut-il en faire un peu, surtout devers le soir, afin que vous puissiez gagner le lit de meilleure heure et prendre le repos de corps et d’esprit, nécessaire à la considération. Et parmi le jour il faut faire des fréquentes aspirations en Dieu, à Notre Dame, aux anges, à toute la Jérusalem céleste; il faut encore que tout se fasse d’un coeur amoureux de Dieu et de la perfection de votre âme.

Pour donc bien commencer cet examen: 1. Mettez-vous en la présence de Dieu. 2. Invoquez le Saint-Esprit, lui demandant lumière et clarté, afin que vous vous puissiez bien connaître, avec saint Augustin qui s’écriait devant Dieu en esprit d’humilité: « O Seigneur, que je vous connaisse et que je me connaisse »; et saint François qui interrogeait Dieu, disant: « Qui êtes-vous et qui suis-je « ? Protestez de ne vouloir remarquer votre avancement pour vous en réjouir en vous-même, mais pour vous réjouir en Dieu, ni pour vous en glorifier, mais pour glorifier Dieu et l’en remercier. 3.Protestez que si, comme vous pensez, vous découvrez d’avoir peu profité, ou bien d’avoir reculé, vous ne voulez nullement pour tout cela vous abattre ni refroidir par aucune sorte de découragement ou relâchement de coeur, ains qu’au contraire vous voulez vous encourager et animer davantage, vous humilier et remédier aux défauts, moyennant la grâce de Dieu.

Cela fait, considérez doucement et tranquillement comme jusques à l’heure présente vous vous êtes comportée envers Dieu, envers le prochain et à l’endroit de vous-même.

 

 

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CHAPITRE IV

EXAMEN DE L’ÉTAT DE NOTRE AME ENVERS DIEU

 

 

1. Quel est votre coeur contre le péché mortel ? Avez-vous une résolution forte à ne le jamais commettre, pour quelque chose qui puisse arriver ? et cette résolution a-t-elle duré dès votre protestation jusques à présent ? En cette résolution consiste le fondement de la vie spirituelle.

2. Quel est votre coeur à l’endroit des commandements de Dieu ? Les trouvez-vous bons, doux, agréa. bles? Ah! ma fille, qui a le goût en bon état et l’estomac sain, il aime les bonnes viandes et rejette les mauvaises.

3. Quel est votre coeur à l’endroit des péchés véniels ? On ne saurait se garder d’en faire quelqu’un par-ci par-là; mais y en a-t-il point auquel vous ayez une spéciale inclination ? et, ce qui serait pis, y en a-t-il point auquel vous ayez affection et amour?

4. Quel est votre coeur à l’endroit des exercices spirituels? Les aimez-vous? Les estimez-vous? Vous fâchent-ils point ? En êtes-vous point dégoûtée ? Auquel vous sentez-vous moins ou plus inclinée? Ouïr la parole de Dieu, la lire, en deviser, méditer, aspirer en Dieu, se confesser, prendre les avis spirituels, s’apprêter à la communion, se communier, restreindre ses affections : qu’y a-t-il en cela qui répugne à votre coeur ? Et si vous trouvez quelque chose à quoi ce coeur ait moins d’inclination, examinez d’où vient ce dégoût, qu’est-ce qui en est la cause.

5. Quel est votre coeur à l’endroit de Dieu même? Votre coeur se plaît-il à se ressouvenir de Dieu ? En ressent-il point de douceur agréable? Ah! dit David, je me suis ressouvenu de Dieu et m’en suis délecté. » Sentez-vous en votre coeur une certaine facilité à l’aimer et un goût particulier à savourer cet amour ? Votre coeur se récrée-t-il point à penser à l’immensité de Dieu, à sa bonté, à sa suavité? Si le souvenir de Dieu vous arrive emmi les occupations du monde et les vanités, se fait-il point faire place, saisit-il point votre coeur ? vous semble-t-il point que votre coeur se tourne de son côté, et en certaine façon lui va au-devant ? Il y a certes des âmes comme cela. Si le mari d’une femme revient de loin, tout aussitôt que cette femme s’aperçoit de son retour et qu’elle sent sa voix, quoiqu’elle soit embarrassée d’affaires et retenue par quelque violente considération emmi la presse, si est-ce que son coeur n’est pas retenu, mais abandonne les autres pensées pour penser à ce mari venu. Il en prend de même des âmes qui aiment bien Dieu; quoiqu’elles soient empressées, quand le souvenir de Dieu s’approche d’elles, elles perdent presque contenance à tout le reste, pour l’aise qu’elles ont de voir ce cher souvenir revenu, et c’est un extrêmement bon signe.

6. Quel est votre coeur à l’endroit de Jésus-Christ, Dieu et homme ? Vous plaisez-vous autour de lui? Les mouches à miel se plaisent autour de leur miel, et les guêpes autour des puanteurs: ainsi les bonnes âmes prennent leur contentement autour de Jésus-Christ et ont une extrême tendreté d’amour en son endroit; mais les mauvais se plaisent autour des vanités.

7. Quel est votre coeur à l’endroit de Notre Dame, des saints, de votre bon ange ? Les aimez-vous fort? avez-vous une spéciale confiance en leur bienveillance ? Leurs images, leurs vies, leurs louanges vous plaisent-elles ?

8. Quant à votre langue, comme parlez-vous de Dieu ? Vous plaisez-vous d’en dire du bien selon votre condition et suffisance? Aimez-vous à chanter les cantiques ?

9. Quant aux oeuvres, pensez si vous avez à coeur la gloire extérieure de Dieu et de faire quelque chose à son honneur; car ceux qui aiment Dieu, aiment avec Dieu, l’ornement de sa maison.

Sauriez-vous remarquer d’avoir quitté quelque affection et renoncé à quelque chose pour Dieu ? car c’est un bon signe d’amour, de se priver de quelque chose en faveur de celui qu’on aime. Qu’avez-vous donc ci-devant quitté pour l’amour de Dieu?

 

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CHAPITRE V

EXAMEN DE NOTRE ÉTAT ENVERS NOUS-MÊMES

 

 

1. Comme vous aimez-vous vous-même? vous aimez-vous point trop pour ce monde ? Si cela est, vous désirerez de demeurer toujours ici, et aurez un extrême soin de vous établir en cette terre ; mais si vous vous aimez pour le ciel, vous désirerez, au moins acquiescerez aisément de sortir d’ici-bas, à l’heure qu’il plaira à Notre Seigneur.

2. Tenez-vous bon ordre en l’amour de vous-même? car il n’y a que l’amour désordonné de nous-mêmes qui nous ruine. Or, l’amour ordonné veut que nous aimions plus l’âme que le corps, que nous ayons plus de soin d’acquérir les vertus que toute autre chose, que nous tenions plus de compte de l’honneur céleste que de l’honneur bas et caduc. Le coeur bien ordonné dit plus souvent en soi-même: « Que diront les anges si je pense à telle chose? »que non pas: « Que diront les hommes? »

3. Quel amour avez-vous à votre coeur ? vous fâchez-vous point de le servir en ses maladies ? Hélas! vous lui devez ce soin, de le secourir et faire secourir quand ses passions le tourmentent, et laisser toutes choses pour cela.

4. Que vous estimez-vous devant Dieu ? rien sans doute. Or, il n’y a pas grande humilité en une mouche de ne s’estimer rien au prix d’une montagne, ni en une goutte d’eau de se tenir pour rien en comparaison de la mer, ni à une bluette ou étincelle de feu de se tenir pour rien au prix du soleil; mais l’humilité gît à ne point nous surestimer aux autres et à ne vouloir pas être surestimé par les autres à quoi en êtes-vous pour ce regard?

5. Quant à la langue, vous vantez-vous point ou d’un biais ou d’un autre ? vous flattez-vous point en parlant de vous?

Quant aux oeuvres, prenez-vous point de plaisir contraire à votre santé? je veux dire, de plaisir vain, inutile, trop de veillées sans sujet, et semblables.

 

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CHAPITRE VI

EXAMEN DE L’ÉTAT DE NOTRE AME ENVERS LE PROCHAIN

 

 

Il faut bien aimer le mari et la femme d’un amour doux et tranquille, ferme et continuel, et que ce soit en premier lieu parce que Dieu l’ordonne et le veut. J’en dis de même des enfants et proches parents, et encore des amis, chacun selon son rang.

Mais, pour parler en général, quel est votre coeur à l’endroit du prochain ? L’aimez-vous bien cordialement et pour l’amour de Dieu ? Pour bien discerner cela, il vous faut bien représenter certaines gens ennuyeux et maussades; car c’est là où on exerce l’amour de Dieu envers le prochain, et beaucoup plus envers ceux qui nous font du mal, ou par effet ou par paroles. Examinez bien si votre coeur est franc en leur endroit, et si vous avez grande contradiction à les aimer.

Etes-vous point prompte à parler du prochain en mauvaise part, surtout de ceux qui ne vous aiment pas ? Faites-vous point de mal au prochain ou directement ou indirectement ? Pour peu que vous soyez raisonnable, vous vous en apercevrez aisément.

 

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CHAPITRE VII

EXAMEN SUR LES AFFECTIONS DE NOTRE AME

 

 

J’ai étendu ainsi au long ces points, en l’examen desquels gît la connaissance de l’avancement spirituel qu’on a fait; car quant à l’examen des péchés, cela est pour les confessions de ceux qui ne pensent point à s’avancer.

Or il ne faut néanmoins pas se travailler sur un chacun de ces articles sinon tout doucement, considérant en quel état notre coeur a été touchant iceux dès notre résolution, et quelles fautes notables nous y avons commises.

Mais pour abréger le tout, il faut réduire l’examen à la recherche de nos passions; et s’il nous fâche de considérer si fort le menu comme il a été dit, nous pouvons ainsi nous examiner, quels nous avons été et comme nous nous sommes comportés:

En notre amour envers Dieu, envers le prochain, envers nous-mêmes.

En notre haine envers le péché qui se trouve en nous, envers le péché qui se trouve ès autres; car nous devons désirer l’exterminement de l’un et de l’autre.

En nos désirs, touchant les biens, touchant les plaisirs, touchant les honneurs.

En la crainte des dangers de pécher et des pertes des biens de ce monde: on craint trop l’un, et trop peu l’autre.

En l’espérance, trop mise peut-être au monde et en la créature, et trop peu mise en Dieu et ès choses éternelles.

En la tristesse, si elle est trop excessive, pour choses vaines.

En la joie, si elle est excessive et pour choses indignes.

Quelles affections enfin tiennent notre coeur empêché ? quelles passions le possèdent ? en quoi s’est-il principalement détraqué? Car par les passions de l’âme, on reconnaît son état en les tâtant l’une après l’autre : d’autant que, comme un joueur de luth pinçant toutes les cordes, celles qu’il trouve dissonantes il les accorde, ou les tirant ou les lâchant, ains après avoir tâté l’amour, la haine, le désir, la crainte, l’espérance, la tristesse et la joie de notre âme, si nous les trouvons mal accordantes à l’air que nous voulons sonner, qui est la gloire de Dieu, nous pourrons les accorder, moyennant sa grâce et le conseil de notre père spirituel.

 

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CHAPITRE VIII

AFFECTIONS QU’IL FAUT FAIRE APRÈS L’EXAMEN

 

 

Après avoir doucement considéré chaque point de l’examen, et vu à quoi vous en êtes, vous viendrez aux affections en cette sorte.

Remerciez Dieu de ce peu d’amendement que vous aurez trouvé en votre vie dès votre résolution, et reconnaissez que ç’a été sa miséricorde seule qui l’a fait en vous et pour vous.

Humiliez-vous fort devant Dieu, reconnaissant  que si vous n’avez pas beaucoup avancé, ça été par votre manquement, parce que vous n’avez pas fidèlement, courageusement et constamment correspondu aux inspirations, clartés et mouvements qu’il vous a donnés en l’oraison et ailleurs.

Promettez-lui de le louer à jamais des grâces exercées en votre endroit, pour vous retirer de vos inclinations à ce petit amendement.

Demandez-lui pardon de l’infidélité et déloyauté avec laquelle vous avez correspondu.

Offrez-lui votre coeur afin qu’il s’en rende du tout maître.

Suppliez-le qu’il vous rende toute fidèle.

Invoquez les saints, la Sainte Vierge, votre Ange, votre Patron, saint Joseph, et ainsi des autres.

 

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CHAPITRE IX

DES CONSIDÉRATIONS PROPRES POUR RENOUVELER NOS BONS PROPOS

 

 

Après avoir fait l’examen, et avoir bien conféré avec quelque digne conducteur sur les défauts et sur les remèdes d’iceux, vous prendrez les considérations suivantes, en faisant une chaque jour par manière de méditation; y employant le temps de votre oraison, et ce toujours avec la même méthode, pour la préparation et les affections, de laquelle vous avez usé ès méditations de la première Partie; vous mettant avant toutes choses en la présence de Dieu; implorant sa grâce pour vous bien établir en son saint amour et service.

 

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CHAPITRE X

CONSIDÉRATION PREMIÈRE : DE L’EXCELLENCE DE NOS AMES

 

 

Considérez la noblesse et excellence de votre âme, qui a un entendement, lequel connaît non seulement tout ce monde visible, mais connaît encore qu’il y a des anges et un paradis ; connaît qu’il y a un Dieu très souverain, très bon et ineffable; connaît qu’il y a une éternité, et de plus connaît ce qui est propre pour bien vivre en ce monde visible, pour s’associer aux anges en paradis et pour jouir de Dieu éternellement.

Votre âme a de plus une volonté toute noble, laquelle peut aimer Dieu et ne le peut haïr en soi-même. Voyez votre coeur comme il est généreux, et que, comme rien ne peut arrêter les abeilles de tout ce qui est corrompu, ains s’arrêtent seulement sur les fleurs, ains votre coeur ne peut être en repos qu’en Dieu seul, et nulle créature ne le peut assouvir. Repensez hardiment aux plus chers et violents amusements qui ont occupé autrefois votre coeur, et jugez en vérité s’ils n’étaient pas pleins d’inquiétude moleste et de pensées cuisantes et de soucis importuns, emmi lesquels votre pauvre coeur était misérable.

Hélas ! notre coeur courant aux créatures, il y va avec des empressements, pensant de pouvoir y accoiser ses désirs ; mais sitôt qu’il les a rencontrées, il voit que c’est à refaire et que rien ne peut le contenter, Dieu ne voulant que notre coeur trouve aucun lieu sur lequel il puisse reposer, non plus que la colombe sortie de l’arche de Noé, afin qu’il retourne à son Dieu duquel il est sorti. Ah! quelle beauté de nature y a-t-il en notre coeur ! et donc pourquoi le retiendrons-nous contre son gré à servir aux créatures?

O ma belle âme, devez-vous dire, vous pouvez entendre et vouloir Dieu, pourquoi vous amuserez-vous à chose moindre ? vous pouvez prétendre à l’éternité, pourquoi vous amuserez-vous aux moments ? Ce fut l’un des regrets de l’enfant prodigue, qu’ayant pu vivre délicieusement en la table de son père, il mangeait vilainement en celle des bêtes. O mon âme, tu es capable de Dieu, malheur à toi si tu te contentes de moins que de Dieu! Elevez fort votre âme sur cette considération; remontrez-lui qu’elle est éternelle et digne de l’éternité; enflez-lui le courage pour ce sujet.

 

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CHAPITRE XI

SECONDE CONSIDÉRATION : DE L’EXCELLENCE DES VERTUS

 

Considérez que les vertus et la dévotion peuvent seules rendre votre âme contente en ce monde; voyez combien elles sont belles. Mettez en comparaison les vertus, et les vices qui leur sont contraires: quelle suavité en la patience au prix de la vengeance; de la douceur, au prix de l’ire et du chagrin; de l’humilité, au prix de l’arrogance et ambition ; de la libéralité, au prix de l’avarice; de la charité, au prix de l’envie; de la sobriété, au prix des désordres! Les vertus ont cela d’admirable, qu’elles délectent l’âme d’une douceur et suavité non pareille après qu’on les a exercées, où les vices la laissent infiniment recrue et malmenée. Or sus donc, pourquoi n’entreprendrons-nous pas d’acquérir ces suavités? Des vices, qui n’en a qu’un peu n’est pas content, et qui en a beaucoup est mécontent ; mais des vertus, qui n’en a qu’un peu, encore a-t-il déjà du contentement, et puis toujours plus en avançant. O vie dévote, que vous êtes belle, douce, agréable et souève : vous adoucissez les tribulations et rendez souèves les consolations ; sans vous le bien est mal, et les plaisirs pleins d’inquiétude, troubles et défaillances. Ah ! qui vous connaîtrait, pourrait bien dire avec la Samaritaine: « Domine, da mihi hanc aquam: Seigneur, donnez-moi cette eau »; aspiration fort fréquente à la Mère Thérèse et à Sainte Catherine de Gênes, quoique pour différents sujets.

 

 

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CHAPITRE XII

TROISIÈME CONSIDÉRATION : SUR L’EXEMPLE DES SAINTS

 

Considérez l’exemple des saints de toutes sortes: qu’est-ce qu’ils n’ont pas fait pour aimer Dieu et être ses dévots ? Voyez ces martyrs invincibles en en leurs résolutions : quels tourments n’ont-ils pas soufferts pour les maintenir ? Mais surtout, ces belles et florissantes dames, plus blanches que les lis en pureté, plus vermeilles que la rose en charité, les unes à douze, les autres à treize, quinze, vingt et vingt-cinq ans, ont souffert mille sortes de martyres, plutôt que de renoncer à leur résolution, non seulement en ce qui était de la profession de la foi, mais en ce qui était de la protestation de la dévotion : les unes mourant plutôt que de quitter la virginité, les autres plutôt que de cesser de servir les affligés, et consoler les tourmentés, et ensevelir les trépassés. O Dieu, quelle constance a montrée ce sexe fragile en semblables occurences!

Regardez tant de saints confesseurs: avec quelle force ont-ils méprisé le monde! comme se sont-ils rendus invincibles en leurs résolutions! rien ne les en a pu faire déprendre; ils les ont embrassées sans réserve et les ont maintenues sans exception. Mon Dieu, qu’est-ce que dit saint Augustin de sa mère Monique? Avec quelle fermeté a-t-elle poursuivi son entreprise de servir Dieu en son mariage, en son veuvage! Et saint Jérôme, de sa chère fille Paula? Parmi combien de traverses, parmi combien de variétés d’accidents! Mais qu’est-ce que nous ne ferons pas sur des si excellents patrons ? Ils étaient ce que nous sommes; ils le faisaient pour le même Dieu, pour les mêmes vertus : pourquoi n’en ferons-nous autant, en notre condition et selon notre vocation, pour notre chère résolution et sainte protestation?

 

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CHAPITRE XIII

QUATRIÈME CONSIDÉRATION: DE L’AMOUR QUE JÉSUS-CHRIST NOUS PORTE

 

 

Considérez l’amour avec lequel Jésus-Christ Notre Seigneur a tant souffert en ce monde, et particulièrement au jardin des Olives et sur le mont de Calvaire : cet amour vous regardait, et par toutes ces peines et travaux obtenait de Dieu le Père des bonnes résolutions et protestations pour votre coeur, et par même moyen obtenait encore tout ce qui vous est nécessaire pour maintenir, nourrir, fortifier et consommer ces résolutions. O résolution, que vous êtes précieuse, étant fille d’une telle mère comme est la Passion de mon Sauveur! Oh! combien mon âme vous doit chérir, puisque vous avez été si chère à mon Jésus! Hélas! o Sauveur de mon âme, vous mourûtes pour m’acquérir mes résolutions; eh! faites-moi la grâce que je meure plutôt que de les perdre.

Voyez-vous, ma Philothée, il est certain que le coeur de notre cher Jésus voyait le vôtre dès l’arbre de la Croix et l’aimait, et par cet amour lui obtenait tous les biens que vous aurez jamais, et entre autres nos résolutions; oui, chère Philothée, nous pouvons tous dire comme Jérémie : «  Seigneur, avant que je fusse, vous me regardiez et m’appeliez par mon nom »; d’autant que vraiment sa divine Bonté prépara en son amour et miséricorde tous les moyens généraux et particuliers de notre salut, et par conséquent nos résolutions. Oui sans doute; comme une femme enceinte prépare le berceau, les linges et bandelettes, et même une nourrice pour l’enfant qu’elle espère faire, encore qu’il ne soit pas au monde, ainsi Notre Seigneur ayant sa bonté grosse et enceinte de vous, prétendant de vous enfanter au salut et vous rendre sa fille, prépara sur l’arbre de la Croix tout ce qu’il fallait pour vous votre berceau spirituel, vos linges et bandelettes, votre nourrice et tout ce qui était convenable pour votre bonheur. Ce sont tous les moyens, tous les attraits, toutes les grâces avec lesquelles il conduit votre âme et la veut tirer à sa perfection.

Ah! mon Dieu, que nous devrions profondément mettre ceci en notre mémoire : est-il possible que j ‘aie été aimée, et si doucement aimée de mon Sauveur, qu’il allât penser à moi en particulier, et en toutes ces petites occurrences par lesquelles il m’a tirée à lui? Et combien donc devons-nous aimer, chérir et bien employer tout cela à notre utilité! Ceci est bien doux: ce coeur amiable de mon Dieu pensait en Philothée, l’aimait et lui procurait mille moyens de salut, autant comme s’il n’eût point eu d’autre âme au monde en qui il eût pensé, ainsi que le soleil éclairant un endroit de la terre ne l’éclaire pas moins que s’il n’éclairait point ailleurs et qu’il éclairât cela seul; car tout de même notre Seigneur pensait et soignait pour tous ses chers enfants, en sorte qu’il pensait à un chacun de nous, comme s’il n’eût point pensé à tout le reste. « Il m’a aimé, dit saint Paul, et s’est donné pour moi »; comme s’il disait : pour moi seul, tout autant comme s’il n’eût rien fait pour le reste. Ceci, Philothée, doit être gravé en votre âme, pour bien chérir et nourrir votre résolution, qui a été si précieuse au coeur du Sauveur.

 

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CHAPITRE XIV

CINQUIÈME CONSIDÉRATION : DE L’AMOUR ÉTERNEL DE DIEU ENVERS NOUS

 

 

Considérez l’amour éternel que Dieu vous a porté; car déjà avant que Notre Seigneur Jésus-Christ en tant qu’homme souffrît en croix pour vous, sa divine Majesté vous projetait en sa souveraine bonté et vous aimait extrêmement. Mais quand commença-t-il à vous aimer? Il commença quand il commença à être Dieu. Et quand commença-t-il à être Dieu? Jamais, car il l’a toujours été sans commencement et sans fin; et aussi il vous a toujours aimée, dès l’éternité: c’est pourquoi il vous préparait les grâces et faveurs qu’il vous a faites. Il le dit par le Prophète: « Je t’ai aimée (il parle à vous, aussi bien qu’à nul autre) d’une charité perpétuelle; et partant je t’ai attirée, ayant pitié de toi. » Il a donc pensé, entre autres choses, à vous faire faire vos résolutions de le servir.

O Dieu, quelles résolutions sont-ce ci, que Dieu a pensées, méditées, projetées dès son éternité! Combien nous doivent-elles être chères et précieuses! Que devrions-nous souffrir plutôt que d’en quitter un seul brin ! Non pas certes si tout le monde devait périr; car aussi tout le monde ensemble ne vaut pas une âme; et une âme ne vaut rien sans nos résolutions.

 

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CHAPITRE XV

AFFECTIONS GÉNÉRALES SUR LES CONSIDÉRATIONS PRÉCÉDENTES, ET CONCLUSION DE L’EXERCICE

 

 

O chères résolutions, vous êtes le bel arbre de vie que mon Dieu a planté de sa main au milieu de mon coeur, que mon Sauveur veut arroser de son sang pour le faire fructifier ; plutôt mille morts, que de permettre qu’aucun vent vous arrache. Non, ni la vanité, ni les délices, ni les richesses, ni les tribulations ne m’arracheront jamais mon dessein.

Hélas! Seigneur, mais vous l’avez planté, et avez dans votre sein paternel gardé éternellement ce bel arbre pour mon jardin : hélas! combien y a-t-il d’âmes qui n’ont point été favorisées de cette façon! Et comme donc pourrais-je jamais assez m’humilier sous votre miséricorde!

O belles et saintes résolutions, si je vous conserve, vous me conserverez; si vous vivez en mon âme, mon âme vivra en vous. Vivez donc à jamais, o résolutions, qui êtes éternelles en la miséricorde de mon Dieu; soyez et vivez éternellement en moi; que jamais je ne vous abandonne.

Après ces affections, il faut que vous particularisiez les moyens requis pour maintenir ces chères résolutions, et que vous protestiez de vous en vouloir fidèlement servir: la fréquence de l’oraison, des sacrements, des bonnes oeuvres, l’amendement de vos fautes reconnues au second point, le retranchement des mauvaises occasions, la suite des avis qui vous seront donnés pour ce regard. Ce qu’étant fait, comme par une reprise d’haleine

et de force, protestez mille fois que vous continuerez en vos résolutions ; et comme si vous teniez votre coeur, votre âme et votre volonté en vos mains, dédiez-la, consacrez-la, sacrifiez-la et l’immolez à Dieu, protestant que vous ne la reprendrez plus, mais la laisserez en la main de sa divine Majesté pour suivre en tout et partout ses ordonnances. Priez Dieu qu’il vous renouvelle toute, qu’il bénisse votre renouvellement de protestation et qu’il le fortifie ; invoquez la Vierge, votre Ange, saint Louis et autres saints.

Allez en cette émotion de coeur aux pieds de votre père sprituel; accusez-vous des fautes principales que vous aurez remarqué d’avoir commises dès votre confession générale, et recevez l’absolution en la même façon que vous fîtes la première fois; prononcez devant lui la protestation et la signez, et enfin allez unir votre coeur renouvelé à son Principe et Sauveur, au très saint sacrement de l’Eucharistie.

 

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CHAPITRE XVI

DES RESSENTIMENTS QU’IL FAUT GARDER APRÈS CET EXERCICE

 

 

Ce jour que vous aurez fait ce renouvellement et les autres suivants, vous devez fort souvent redire de coeur et de bouche ces ardentes paroles de saint Paul, de saint Augustin, de sainte Catherine de Gênes et autres: « Non, je ne suis plus mienne; ou que je vive ou que je meure, je suis à mon Sauveur; je n’ai plus de moi ni de mien : mon moi, c’est Jésus; mon mien, c’est d’être sienne; o monde, vous êtes toujours vous-même, et moi j’ai toujours~ été moi-même, mais dorénavant je ne serai plus moi-même. »Non, nous ne serons plus nous-mêmes; car nous aurons le coeur changé, et le monde qui nous a tant trompés sera trompé en nous; car ne s’apercevant pas de notre changement que petit à petit, il pensera que nous soyons toujours des Esaü, et nous nous trouverons des Jacob.

Il faut que tous ces exercices reposent dans le coeur, et que, nous ôtant de la considération et méditation, nous allions tout bellement entre les affaires et conversations, de peur que la liqueur de nos résolutions ne s’épanche soudainement, car il faut qu’elle détrempe et pénètre bien par toutes les parties de l’âme; le tout néanmoins sans effort ni d’esprit ni de corps.

 

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CHAPITRE XVII

RÉPONSE A DEUX OBJECTIONS QUI PEUVENT ÊTRE FAITES SUR CETTE INTRODUCTION

 

Le monde vous dira, ma Philothée, que ces exercices et ces avis sont en si grand nombre, que qui voudra les observer, il ne faudra pas qu’il vaque à autre chose. Hélas! chère Philothée, quand nous ne ferions pas autre chose, nous ferions bien assez, puisque nous ferions ce que nous devrions faire en ce monde. Mais ne voyez-vous pas la ruse? S’il fallait faire tons ces exercices tous les jours, à la vérité ils nous occuperaient du tout; mais il n’est pas requis de les faire, sinon en temps et lieu, chacun selon l’occurence. Combien y a-t-il de lois civiles aux Digestes et au Code, lesquelles doivent être observées! mais cela s’entend selon les occurrences, et non pas qu’il les faille toutes pratiquer tous les jours. Au demeurant, David, roi plein d’affaires très difficiles, pratiquait bien plus d’exercices que je ne vous ai pas marqué. Saint Louis, roi admirable et pour la guerre et pour la paix, et qui avec un soin nonpareil administrait justice et maniait les affaires, oyait tous les j ours deux messes, disait vêpres et complies avec son chapelain, faisait sa méditation, visitait les hôpitaux, tous les vendredis se confessait et prenait la discipline, entendait très souvent les prédications, faisait fort souvent des conférences spirituelles, et avec tout cela ne perdait pas une seule occasion du bien public extérieur qu’il ne fît et n’exécutât diligemment, et sa cour était plus belle et plus florissante qu’elle n’avait jamais été du temps de ses prédécesseurs. Faites donc hardiment ces exercices selon que je vous les ai marqués, et Dieu vous donnera assez de loisir et de force de faire tout le reste de vos affaires; oui, quand il devrait arrêter le soleil, comme il fit du temps de Josué. Nous faisons toujours assez, quand Dieu travaille avec nous.

Le monde dira que je suppose presque partout que ma Philothée ait le don de l’oraison mentale, et que néanmoins chacun ne l’a pas, si que cette Introduction ne servira pas pour tous. Il est vrai, sans doute, j’ai présupposé cela, et est vrai encore que chacun n’a pas le don de l’oraison mentale; mais il est vrai aussi que presque chacun le petit avoir, voire les plus grossiers, pourvu qu’ils aient des bons conducteurs et qu’ils veuillent travailler pour l’acquérir, autant que la chose le mérite. Et s’il s’en trouve qui n’aient pas ce don en aucune sorte de degré (ce que je ne pense pas pouvoir arriver que fort rarement), le sage père spirituel leur fera aisément suppléer le défaut par l’attention qu’il leur enseignera d’avoir, ou à lire ou à ouïr lire les mêmes considérations qui sont mises ès méditations.

 

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CHAPITRE XVIII

TROIS DERNIERS ET PRINCIPAUX AVIS POUR CETTE INTRODUCTION

 

Refaites tous les premiers jours du mois la protestation qui est r en la première Partie, après la méditation; et à tous moments, protestez de la vouloir observer, disant avec David: « Non, jamais éternellement je n’oublierai vos justifications, o mon Dieu, car en icelles vous m’avez vivifiée. » Et quand vous sentirez quelque détraquement en votre âme, prenez votre protestation en main, et prosternée en esprit d’humilité proférez-la de tout votre coeur, et vous trouverez un grand allégement.

Faites profession ouverte de vouloir être dévote; je ne dis pas d’être dévote, mais je dis de le vouloir être; et n’ayez point de honte des actions communes et requises qui nous conduisent à l’amour de Dieu. Avouez hardiment que vous vous essayez de méditer, que vous aimeriez mieux mourir que de pécher mortellement, que vous voulez fréquenter les sacrements et suivre les conseils de votre directeur (bien que souvent il ne soit pas nécessaire de le nominer, pour plusieurs raisons). Car cette franchise de confesser qu’on veut servir Dieu et qu’on s’est consacré à son amour d’une spéciale affection, est fort agréable à sa divine Majesté, qui ne veut point que l’on ait honte de lui ni de sa Croix; et puis, elle coupe chemin à beaucoup de semonces que le monde voudrait faire au contraire, et nous oblige de réputation à la poursuite. Les philosophes se publiaient pour philosophes, afin qu’on les laissât vivre philosophiquement; et nous devons nous faire connaître pour désireux de la dévotion, afin qu’on nous laisse vivre dévotement. Que si quelqu’un vous dit que l’on peut vivre dévotement, sans la pratique de ces avis et exercices, ne le niez pas; mais répondez amiablement que votre infirmité est si grande, qu’elle requiert plus d’aide et de secours qu’il n’en faut pas pour les autres.

Enfin, très chère Philothée, je vous conjure par tout ce qui est de sacré au ciel et en la terre, par le baptême que vous avez reçu, par les mamelles que Jésus-Christ suça, par le coeur charitable duquel il vous aima et par les entrailles de la miséricorde en laquelle vous espérez, continuez et persévérez en cette bienheureuse entreprise de la vie dévote. Nos jours s’écoulent, la mort est à la porte: « La trompette, dit saint Grégoire Nazianzène, sonne la retraite; qu’un chacun se prépare, car le jugement est proche. » La mère de Symphorien, voyant qu’on le conduisait au martyre, criait après lui : « Mon fils, mon fils, souvienne-toi de la vie éternelle; regarde le ciel et considère Celui lequel y règne; la fin prochaine terminera bientôt la brève course de cette vie. » Ma Philothée, vous dirai-je de même, regardez le ciel et ne le quittez pas pour la terre; regardez l’enfer, ne vous y jetez pas pour les moments; regardez Jésus-Christ, ne le reniez pas pour le monde; et quand la peine de la vie dévote vous semblera dure, chantez avec saint François:

 

« A cause des biens que j’attends,

Les travaux me sont passe-temps ».

 

 

VIVE JÉSUS, auquel, avec le Père et le Saint-Esprit, soit honneur et gloire, maintenant et toujours et ès siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

FIN

 

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