CHAPITRE V

 

VICAIRE À SAINT-OUEN

 

 

« J'ai été à Saint-Ouen parce que les Pères ne voulaient pas se charger de moi quand j'étais malade. La place de vicaire à Saint-Ouen n'était pas courue. On en avait assailli un et on lui avait volé ses boucles de souliers et son bréviaire. Moi, j'y ai été très simplement. »

« J'arrive à Saint-Ouen. J'y passe la journée. Le curé me dit : « Vous ne paraissez pas jouir d'une santé bien solide ? » Je lui dis qu'elle se rétablira, que je viens de faire voyage sur voyage. Il me dit : « Bien. Demain, nous irons à l'archevêché : je vous présenterai comme vicaire. »

 

« M. Delaperche fut curé à Saint-Ouen, M. Lamielle ensuite, enfin M. Macchiavelli, Jules. C'est lui qui a fait l'église du Rosaire, qui est la grande église. Il y a encore l'église du Vieux-Saint-Ouen, et la chapelle du Sacré-Cœur à Cayenne. Avant M. Macchiavelli, il y avait la chapelle de l'Immaculée-Conception, rue Jean. J'y ai dit la messe pendant longtemps. La chapelle a été renversée, et on y a fait le théâtre et l'école paroissiale. La chapelle de la rue Jean touchait aux biffins (chiffonniers). Quelquefois, ça sentait le diable et ses cornes, mais on ne pouvait aérer que par la sacristie. Mais je m'y plaisais. Mon curé me disait : « Vous ferez le catéchisme dans la « rue des Biffins », et je faisais le catéchisme assis sur l'harmonium (riant) : on était ainsi sur une sorte d'estrade et un peu moins à la portée des puces, car il y en avait à foison. J'étais obligé de souffler dans le calice pour fondre la glace. C'était dans la chapelle de secours, qui était couverte en tôle ondulée. L'hiver, on y gelait ; l'été, il y faisait la plus grande chaleur. »

 

« Voilà mes chiffonniers, voilà mes chers biffins ! J'ai plaisir à revoir ce paysage. Que de misères physiques et morales, mais aussi que de cœur quelquefois ! Quand je ne pouvais pas obtenir une confession, souvent il m'est arrivé de revenir avec un litre sous le bras et une livre de pain, et un bon mot, qui faisait rire. Il faut avoir quarante ans ! Maintenant, je serais trop vieux. Quand on les avait fait rire, on obtenait. Il ne fallait pas craindre le langage vert. Ils juraient ; je disais : « Allons, mon bon, tu te confesseras demain. Aujourd'hui, vraiment, tu n'es pas prêt ». Ou bien : « Tu m'apprendras à jurer, si je puis ; mais moi, je vais te rapprendre tes prières ». Ils savaient encore parfois un bout de Pater. Je disais :

— Vous n'avez pas oublié votre bonne Maman du ciel ? »

— E's' fout bien de nous !

— Non, Elle ne se fout de personne »,

et je leur rapprenais l'Ave Maria. »

 

« La salle du Sacré-Cœur était une chambre de marchand de vin. C'était resté presque tel. Un jour, on avait oublié de mettre la trappe, qui était au milieu et qui communiquait avec la cave. Nous allons dire la messe : nous sommes tombés dedans, l'enfant de chœur et moi, et nous ne pouvions plus en sortir ! C'était profond, et les volets de fer s'étaient refermés sur nous. C'est un ancien commandant, un insurgé de la Commune, qui nous a tirés de là. Je n'ai pas pu dire la messe : l'hostie était toute en morceaux et je n'en avais pas d'autre. Tout le devant de la chasuble était arraché. L'enfant pleurait tout ce qu'il savait. J'étais contusionné au possible. J'ai dit : « Je n'ai plus de quoi dire la messe, Mesdames. Nous allons faire ensemble la prière ». Et je suis parti. Nous sommes rentrés, moi tenant le gamin par la main, qui pleurait toujours tout ce qu'il savait. J'étais très ennuyé pour le ramener à sa mère, en me disant : « Elle croira que je l'ai assassiné ! » Il s'appelait Champbalu, un bon gros. Il était très écorché. Je l'ai mené chez les Sœurs. Les Sœurs l'ont pansé, rafistolé. On lui a fait du vin sucré, Les femmes ont crié, mais l'insurgé est venu à mon secours. Les deux portes ont cédé. L'enfant de chœur est descendu d'un seul coup. Moi, je suis tombé assis. C'est le gamin, qui avait cherché le vin pour la messe, qui avait rabattu la trappe sans mettre le bâton. Il avait retourné le bâton, qui portait sur le crochet. »

 

« Je suis resté deux ans tout seul avec l'abbé Lamielle. Je payais ma pension chez les Oblats. Je logeais à gauche du petit château de Necker (le ravissant château construit par les Rohan-Soubise, acquis sous Louis XVI par son ministre, récemment acheté et rasé par la municipalité communiste), laissé aux Oblats par M. Legentil, dans un bâtiment qui donnait sur la cour des cuisines. La vue s'étendait jusqu'à Clichy. Il y avait vue sur la Seine en profondeur. Je prenais mes repas en communauté, au collège. Il y avait des Saint-Cyriens chez les Frères. Ils les logeaient et on les préparait au concours dans le bâtiment en briques à fenêtres géminées romanes (une annexe horrible, élevée entre le jardin français et le parc anglais). Les Frères avaient cessé de faire cette classe pour grands jeunes gens et on m'avait donné le sous-sol, où j'avais mon patronage. La salle était assez vaste ; malheureusement, il fallait que j'enveloppe les becs de gaz, chaque fois, dans du coton, car l'humidité cassait les verres. J'ai pris possession peu à peu de cette salle. Je m'étais ainsi étendu peu à peu pour le bien des enfants. J'avais demandé de m'en servir seulement quelquefois. J'avais fait un petit théâtre. J'avais un charpentier. Un jeune homme m'avait donné des charnières en quantité : son père était voleur. Cela avait permis de faire des portants pliants. Et aussi des boutons de porte en verre. Ça reluisait ; ça faisait très bien. Ce qui m'encombrait, c'étaient les pupitres. Un jour, je dis aux enfants : « Vous les enlèverez sans bruit. Vous monterez au premier étage et vous en mettrez un dans chaque chambre ». Et ils les ont tous retirés. On les a tous remontés, chacun dans chaque chambre. Une autre chose m'encombrait : des casiers ; mais ils étaient tenus à fer et à clous. Un jour, un de mes gamins me dit : « Ah ! Monsieur, ce qu'on est bien dans les fenêtres, pour regarder dehors ! » Cela me donne une idée. Je me dis : « Ça va bien, on mettra quatre enfants par fenêtre ». Et, au-dessous, je faisais mettre leurs coiffures, quand il y en avait. Ça allait bien avec le directeur. Un jour, il vient me dire : « On m'a dit que vous avez fait disparaître les pupitres des élèves ? » Je lui réponds : « Vous les trouverez tous bien à leur place, dans chaque chambre ». Il me répond : « J'y vais voir ». Il les a vus et m'a dit : « Mais oui, ils sont tous à leur place ». Il les a laissés. Il y avait derrière cette salle une autre pour les leçons de chimie. Il y avait des tableaux. Je fais démonter, comme un malfaiteur, la serrure de la porte, et, sans casse, je ramasse les cornues, tout ça, et je mets, comme planches, les quatre tableaux devant les vitrines. La salle était très propre. Après ça sont venus les bancs, mais c'est une autre histoire. Un jour, je vais chez un marchand de vin qui était dans un état impossible. On lui avait fait un vilain tour, et, par autorité de justice, on vendait son mobilier. Il cherchait à tout liquider ou à tout cacher avant cette vente. Il dit : « Je vends mes « bancs pour 100 sous ». Je lui dis : « Je les prends, et vous pourrez encore cacher chez moi tout ce que vous voudrez ». Je lui dis : « Vous passerez par derrière ». C'est ce qu'il a fait avec sa charrette pleine de verres et trois, quatre bancs par-dessus. Il y avait un attirail ! Je lui donne une petite cave, qu'on m'avait abandonnée tellement elle était humide, pour mettre ses verres, ses tasses, ses soucoupes, ses litres de liqueur. Je lui dis : « Cela restera là. Vous savez que tout cela est à vous ». Il y avait des banquettes à ressorts. Il amène tout cela la nuit. J'étais couché. Il m'appelle : « Hé, l'Abbé ! » Je m'habille, je descends. Il m'arrive quatre belles banquettes, qui avaient servi dans des omnibus, et des tableaux qui n'étaient pas merveilleux. Il me dit : « Je vous ai donné tout cela. Vous êtes un homme de cœur. Je m'en vais ; je leur donne un pied de nez ! » Je monte les liqueurs sous ma douillette, dans mon placard. Le dimanche suivant, je dis aux enfants : « Vous avez été sages, je vais vous payer, une tournée », et je leur donne ainsi à tous un petit rogomme. Il y avait des enfants de Saint-Denis-la-Chapelle, qui venaient aussi pour jouer. Cela a donné au patronage un élan plus grand avec cette goutte. Je me suis débarrassé de l'excédent de vaisselle. J'ai vendu des verres 4 sous, 3 sous, 2 sous. J'ai trouvé presque 40 francs. Cela m'a remonté pour le théâtre, les costumes, etc... Et, avec une dizaine de bancs, il y avait place pour cinquante enfants. Voilà la vie d'un pauvre vicaire ! Avec les biffins, on n'était pas riche ! »

 

« Une des premières choses que j'ai faites à Saint-Ouen a été de donner assistance à une pauvre vieille fille qui était malade. On l'appelait la Possédée : je ne l'ai jamais cru. On m'avait enseigné un petit remède, et cette bonne femme, qui ne dormait plus depuis des semaines, a dormi un jour et demi. C'était une famille assez nombreuse et très pauvre. On m'y demanda des souliers. J'ai dit que j'avais une vieille paire de souliers qu'on pouvait réparer. Je compte ma bourse : il fallait 1 franc. Je l'avais juste. On me remercie, mais on me dit que ce n'est pas possible, que je n'aurai plus rien pour mon tramway. Je leur dis : « Je retournerai à pied ». On a voulu me rendre 2 sous. Cette pauvre fille est morte à quelques semaines de là. J'ai pu l'administrer, et son frère, qui était photographe, de même, mort dans une crise. J'ai recausé avec son frère, qui était palefrenier : il ne savait pas s'il était baptisé. J'en cause avec la mère ; elle me répond : « Monsieur, nous avons eu tant de curés que je pense qu'il a été baptisé. Alors, sous condition, j'en baptise une quinzaine. Une bonne personne, qui avait perdu un garçon de sept ou huit ans et qui a distribué ses effets par mes soins, leur a été d'un grand secours. Tous en ont eu quelque chose. Elle a vu que tout était placé tout de suite, et la chose l'a incitée à me faire d'autres cadeaux. J'ai fondé alors le Vestiaire de l'Enfant-Jésus. J'ai eu un magasin énorme. Des honnêtes gens, les voleurs des grands magasins, dont il y avait beaucoup dans ma paroisse, tout le monde m'apportait. Je faisais de belles distributions : le matin pour les filles, le soir pour les garçons. Pas un enfant ne manquait la prière. Je leur offrais un crucifix. Cela me coûtait 7 sous à cette époque-là. Au vestiaire, tout y venait, des souliers, etc... Des marchands de rognures de cuir m'en donnaient. Le père Simon réparait ça au plus juste prix. J'achetais des clous, et je recevais quelques pièces de 10 sous, de 20 sous, de 40 sous ; avec ça, j'achetais toute espèce de choses. Le Vestiaire de l'Enfant-Jésus m'a procuré cent cinquante enfants. Quand j'avais touché les enfants, j'avais les mains comme aujourd'hui, avec les raisins noirs que j'ai pressés ces jours derniers, plus noires encore. Alors, une bonne âme a fait mettre une fontaine. J'ordonnais à tous les enfants de se laver. Quand je donnais une paire de chaussures, il fallait avoir les pieds propres. De l'herbe du voisinage servait d'éponge et de serviette ; on cherchait de l'herbe, pour se laver jusqu'aux genoux. J'avais une vénérable dame qui m'aidait dès l'abord. J'avais là une quarantaine de garçons, enfants de verriers. J'avais là une vraie chrétienne, très digne, très pieuse, et une dame très bien, Mme de Saint-Chéron, je crois. Elles avaient tant à faire qu'elles se décourageaient. Elles avaient amené une excellente personne, et je l'avais appelée Mlle de Renfort : le nom lui est resté. Il y avait aussi un brave monsieur ; mais il ne s'occupait que de la tenue. Il m'interrompait jusque dans les offices pour me dire : « Monsieur l'Abbé, tel des enfants a dit ceci, tel a fait cela ! Peut-on croire ? » Il me donnait 10 francs par semaine. Je tenais beaucoup aux 10 francs, avec lesquels je donnais du pain ; mais (riant) j'aurais bien donné le bonhomme pour 2 sous. La distribution du chocolat jouait un grand rôle comme moyen de tenir les enfants. Je les menaçais en disant : « Je le mangerai seul ». Je les voyais du guichet, et ils se battaient sur les berges de la Seine. Je disais : « C'est toi qui as battu l'autre ! C'est toi qui as juré !

— Non, Monsieur

— Si, c'est toi

— Oui, Monsieur ».

Mais ils avaient bon cœur. Cette bonne dame payait aussi le pain ; et ils venaient goûter trois fois par semaine, et je leur faisais le catéchisme. Il y en a qui sont devenus de très bons sujets. Ils m'ont donné des souvenirs, des boules en verre, ces pauvres enfants ! J'en ai eu des quantités. Il y en a peut-être encore ici dans la maison, si je les ai pas toutes données. C'était fatigant, mais c'était à l'air et (riant), ça ne sentait pas l'huile. Ça sentait le roussi, tout ce que vous voudrez, le ramona. J'allais les voir dans leurs familles. D'une centaine de premiers communiants, nous étions passés à quatre cents, et j'étais le seul vicaire pour vingt,-trois mille âmes ! La Sainte Vierge a béni ce travail. Elle me l'a dit (à Gray, en 1909). »

 

« Une excellente personne, la comtesse de X., me donnait à Saint-Ouen des layettes complètes. C'était très recherché. Je les donnais quand on m'apportait à baptiser les enfants pauvres. J'étais berné comme tout. C'étaient souvent des Italiennes, des femmes sorties de Saint-Lazare. Comment vérifier que ce n'était pas le même enfant qu'on m'apportait à baptiser ? Elles changeaient de coiffure ; elles mettaient un autre mouchoir ; elles me racontaient des histoires pas vraies. Elles me disaient : « C'est la fille, c'est le fils d'une sœur ou d'un cousin », quand je reconnaissais les mères. Ces pauvres petits enfants n'avaient quelquefois pour tout vêtement qu'un bout de sac ou de gros papier. Bien souvent, les femmes ont vendu les layettes pour s'acheter 2 ou 3 litres de vin. Je me disais : « Laquelle usera bien, laquelle usera mal ? » J'étais dupé du matin au soir. Ces femmes, les Sœurs me les amenaient pour des abjurations, des mariages, des baptêmes. Il fallait toujours signer, et je n'avais pas de temps à revendre. Il m'était impossible de me livrer à des enquêtes sérieuses. Le démon disait (à Gray, en 1909) : « Il s'est fait berner ». La Sainte Vierge a dit : « Il n'avait qu'un objet : la volonté de Dieu. J'aurais fait de même ». Elle m'a dit cependant : « Faites un peu plus attention », mais Elle n'a pas eu un mot de blâme. Si j'avais eu quelque esprit, je Lui aurais demandé qu'Elle m'indiquât dans quel cas donner et dans quel autre refuser ; mais, sur le moment, je n'y ai pas songé. »

 

« Je faisais à Saint-Ouen un arbre de Noël pour les enfants pauvres. On y mettait des souliers, des cravates, des mouchoirs de poche, des bas, des chaussettes en loterie. »

 

« Un jour, je suis allé baptiser ; je monte dans la voiture. Le fond se défonce. Celui qui me conduisait était assis sur son cheval, et moi debout, les pieds sur les ridelles. Ils m'ont amené ainsi depuis les Épinettes jusqu'au Vieux-Saint-Ouen, sur la place. Tous riaient, et cela a plu aux gens. J'ai dit à ceux qui riaient : « Mon carrosse est défoncé ! » Celui qui était venu me chercher dans cette charrette sans fond était un homme de la zone, et il parlait en conséquence. Il m'a dit : « Il faut vous dépêcher. J'ai deux petits : je crois bien qu'ils vont crever ». Et, de fait, les nouveau-nés sont morts peu après leur baptême. Je pouvais aller où je voulais à n'importe quelle heure. »

 

« On avait signalé au curé une maison hantée et il m'avait délégué pour les exorcismes en me disant : « Je n'aime pas me mêler de ces choses-là ». Je m'étais enquis auprès de mes gamins et j'avais appris que la maison hantée était simplement habitée par des voleurs. Le soir venu, j'apposte trois de mes gamins près du mur que le voleur escaladait pour rentrer chez lui, avec la consigne de crier : « Coa, coa, coa » quand celui-ci viendra repasser le mur, et je reste moi-même, au guet. Quand le voleur rentre, la nuit, il commence par jeter son sac par-dessus le mur ; mais quand il entend les « coa, coa », il prend la fuite. Aussitôt, je dis à un des gamins de courir vite auprès du commissaire de police. Le sac contenait des lapins, des poules, des bouteilles de liqueurs, et l'exorcisme a fini par un bon temps de prison infligé au possédé. »

 

« Un jour, je marche dans une flaque d'eau, d'où je retire mon pied sans le soulier. Je repêche la chaussure et, pour la remettre plus facilement, j'entre dans une cabane, dont je n'ai eu qu'à pousser la porte. J'y ai été très mal reçu par une meute de petits chiens et un bonhomme qui s'y trouvait. Il avait quatre petits chiens rouges sur son lit, qui faisaient une vie d'enfer. Les chiens aboient furieusement ; l'homme m'agonit d'injures. Une fois l'eau, qui était dans le soulier, vidée, j'ai dû rester un moment, car les cordons étaient cassés. Moi, cependant, je délace mon soulier et le remets bien tranquillement en disant quelques mots, mais sans répondre aux injures. Je porte le saint viatique et, là, je demande qui c'était. On me répond : « N'y allez pas, Monsieur l'Abbé ». Je dis en riant : « Mais, j'y ai été et il m'a très bien reçu ». Quelque temps après arrive une femme : « Je viens voir le vieux vicaire. C'est mon mari qui le demande. Mon mari l'a mal reçu.

— C'est votre mari ?

— Ou nous faisons comme. Bien, nous sommes mariés sans être mariés.

— Le vieux vicaire, c'est moi, Madame ».

Elle vient pour l'homme de la cabane. « Il est très malade, dit-elle, et il a été touché de la façon dont vous avez agi avec lui ». Comme il en faut peu pour toucher une âme ! Quels moyens singuliers que ceux de la Providence ! Ce soulier resté dans la boue ! C'était le Président de la Libre Pensée de la Place Clichy. Bref, ce pauvre homme se confesse. C'était un licencié, un ancien professeur de lycée. C'est par son inconduite qu'il était tombé si bas. La vieille, avec laquelle il vivait, son onzième ménage, ne voulait pas sortir pour la confession. Elle disait : « Mais non ! Ce n'est pas la peine ; je sais ses péchés mieux que lui ». Enfin elle est sortie ; mais, une fois dehors, elle a regardé par le carreau tout le temps. Ça ne me faisait rien. Ce pauvre homme n'a d'abord pas voulu recevoir le Saint-Sacrement par respect, s'en jugeant indigne. Ressentant toute l'indignité de sa vie passée, il refuse, et il a refusé jusqu'au bout de communier par un sentiment extrême de contrition. Quand je venais de finir sa confession, il en arrive un autre, du même bord. Il me voit et il s'écrie : « Un curé ! » Je lui réponds : « A ton service, mon garçon. Je viens d'en confesser un. A ton tour. Mets-toi là, à genoux ».

Il s'est enfui comme s'il avait le diable à ses trousses. Le pauvre homme est mort un mois et demi après. J'ai été le voir toutes les semaines. Il avait toujours les quatre petits chiens. Il me disait : « Les premiers temps que j'ai été malade, j'ai reçu de l'argent des copains ». Il me disait : « Je vous ai volé bien des corps !

— Peu importe, si vous n'avez pas volé les âmes ». Il payait pour les enterrements civils, et cet appât faisait que beaucoup de familles laissaient enterrer leurs morts par cette Société de Libre Pensée. Il était devenu d'une ferveur extraordinaire. Il m'a demandé un crucifix et il passait son temps à le baiser avec un amour admirable. J'en emportais toujours un sur moi ; mais, quand je revenais, je n'en avais souvent plus. »

 

« Nous étions à la fin cinq vicaires à Saint-Ouen. J'étais premier vicaire. Il n'y en avait point quand je suis arrivé. »