LES SÉPULCRES BLANCHIS 

 
  Jésus insiste encore sur l'obéissance qu'il faut avoir envers nos supérieurs civils et ecclésiastiques : « Faites, dit-Il tout ce qu'ils vous diront d'observer, mais ne faites pas comme ils font, parce qu'ils disent et ne font pas ». 

   En réalité, c'est une lourde charge que d'être investi d'une autorité quelconque.  Dans l'invisible, le premier effet du pouvoir est de lier celui qui l'exerce à l'observation la plus stricte de la Loi dont il surveille l'exécution. 

   Si quelqu'un vous dit : Faites l'aumône, il est coupable de ne pas la faire pour le mauvais exemple qu'il vous donne, pour la prostitution qu'il commet d'une parole de la Loi, et pour son omission personnelle.  Heureux donc qui n'a qu'à obéir. 

  Là encore le Messie nous délivre, car dit-Il, « vous êtes tous frères, vous n'avez qu'un Maître et qu'un docteur qui est le Christ, et qu'un Père qui est celui du Ciel ».  Si nous pouvions croire à ces paroles, que de soucis supprimés, que d'efforts inutiles, que de complications qui tomberaient de nos coeurs et de nos intelligences, comme les vêtements incommodes dont le coureur se débarrasse. 
 
  Ainsi, édicter des observances compliquées, prendre de l'argent pour des prières qu'on fait distraitement ou qu'on ne fait pas, convertir par force ou par ruse, empêcher les autres de s'instruire par des défenses ou des cryptographies, altérer le sens vrai des lois du Ciel par des commentaires partiaux, placer les formules au-dessus des actes et des sentiments, ordonner l'hypocrisie de la vertu, voilà sept grands péchés que risquent de commettre les conducteurs religieux de l'humanité.  Il suffit de les examiner un instant pour apercevoir les désordres, les erreurs, les fausses lueurs et les illusions où ils peuvent précipiter. 

   Beaucoup de choses, dans notre civilisation, ressemblent à cela : la politesse fausse, la mémoire sans intelligence, l'intelligence sans moralité, les belles paroles cachant de mauvais desseins, de la façade et, au foyer, des querelles et des dettes, des enfants bien élevés, mais vides et vains, de beaux bâtiments scolaires sans Dieu, des temples magnifiques sans saints, de belles boutiques remplies de camelote, du métier, du trompe-l'oeil et pas d'art probe, de la joliesse et pas de beauté, des savants décorés qui profitent d'obscurs chercheurs, des orateurs sans idées, voilà des plats aux bords nets et des sépulcres souvent recrépis. 

   Rappelons-nous que c'est l'interne qui produit l'externe, et représentons-nous quel paradis serait notre état social, débarrassé de toutes les hypocrisies. 
   La Lumière vient d'en haut, du centre; les ténèbres arrivent d'en bas; purifiant notre corps, notre âme reste souillée : purifiant notre âme, notre corps finit par se guérir. Comment purifier notre âme ?  En purifiant notre coeur, en luttant contre l'égoïsme, en donnant. 
   L'aumône ne se fait pas qu'avec de la monnaie : tout ce qui nous appartient, tout ce qui nous constitue, tout ce que nous croyons être notre propriété, tout cela peut être le sujet de l'aumône.  Notre argent, notre temps, nos muscles, nos affections, nos idées, nos découvertes, notre art, tout cela peut être donné, doit être offert à qui le demande et surtout au pauvre honteux qui n'ose pas demander. 

   Faisant cela, croyez bien que vous ne ferez rien d'extraordinaire.  L'aumône, c'est le cours général de la Nature : aucun être ne continue à vivre que par ce que d'autres êtres lui donnent.  C'est pour cela que l'égoïsme appelle la mort et l'altruisme la vie : c'est pour cela que tout être, homme, ville ou nation, qui se fait vampire dans son milieu, meurt d'une mort horrible.  Ainsi Oudh, Balk et Thèbes et Ninive et Jérusalem et Rome sont mortes : elles étaient devenues, pour le monde habité, d'effrayants cancers rongeurs. 

   Ce n'est pas tout de donner : il y a la manière.  Qu'un philanthrope riche à vingt millions, par exemple, en donne un, il se prive moins qu'un ouvrier qui donne vingt sous.  Ensuite le philanthrope reçoit sa récompense par la presse mondiale qui le célèbre et par les inscriptions sur le marbre, qui rappelleront son bienfait aux générations futures.  Si donc vous voulez que ce soit Dieu Lui-même qui vous récompense, arrangez-vous pour que personne que Lui ne sache votre aumône et tachez ensuite de donner, non seulement votre superflu, mais un peu de ce qui vous semble votre nécessaire.