Une autre lettre de Sédir 4

 
Sédir ne se débarrassait pas des importuns. Ses réponses, jamais en formules, contenaient toujours le meilleur de son âme; le ton pouvait varier, mais le coeur était le même.

 De plus, répondant avec précision à un cas particulier, ses lettres allaient beaucoup plus loin. Alors que l'infirmité actuelle (mais non moderne) tend à noyer l'individu, c'est d'abord à l'homme qu'il pensait et qu'il s'adressait. Et, sans le vouloir, il touchait ainsi l'universalité des êtres.


 Nous avons ici un Sédir, plus  préoccupé (en apparence) d'art que de mystique; ce n'est pas la première fois.


 On m'avait demandé d'écrire pour le Bulletin; je fis part de mes scrupules.

Cette réponse atteint même les étudiants et, par l'esprit même, ceux dont c'est le métier d'écrire (bien qu'elle eût été très différente si elle eût été adressée à un professeur). La bonhomie y voile ici une très grande culture; l'humilité s'y allie à la foi la plus sereine. On comprendra que je n'y ajoute rien, laissant à chacun de transposer pour lui-même.

   Lucien GERNIGON.

   *

   25 août 1924.
     La montagne est bien revêche cette année, mon cher Ami; on y gèle et on y patauge, écrasé par sa puissance colossale, qu'une atmosphère triste accuse davantage qu'un ciel ensoleillé.

    Je vois, par ce que Besson me communique, que vous avez quitté les livres. Il ne faut pas les quitter tout à fait. Le plus sage, quand on n'est pas un littérateur de métier, c'est de s'en tenir aux chefs-d'oeuvre et, parmi les chefs-d'oeuvre, aux plus parfaits: Racine, Pascal, Corneille, Molière, La Fontaine; Homère, dans une traduction où l'allure du grec soit bien rendue, quelques chants du Ramayana, quelques poésies de Shakespeare, de Goethe, de Dante, de Lamartine, de Hugo, de Baudelaire, de Villiers, de Verlaine, de la vieille liturgie des  Xe -  XIIIe siècles  (dans Le Latin mystique de R. de Gourmont), bref une trentaine de volumes, dont on lit chaque jour une page au hasard. Cela suffit; car il faut lire en profondeur, en qualité   plutôt qu'en quantité ou en surface.


    Albalat, oui; bons conseils pour la rhétorique, si je puis dire. Mais ce qu'il faut, c'est n'écrire que lorsqu'on a quelque chose à dire, et le dire avec toute la force, toute la simplicité, toute la clarté qu'on peut.


    Pardonnez-moi de faire le pion et ne prenez pas mes phrases pour des axiomes inattaquables.


    Faites de votre mieux et priez. C'est encore le Christ qui vous enseignera la meilleure littérature.


    Affectueusement à vous,

SÉDIR.