LA MALADIE   

 Il y a une chose remarquable dans la période que nous traversons: c'est que tout le   monde ou presque continue de se plaindre; et une autre chose plus remarquable encore, c'est que tout le monde, en somme, paraît avoir raison. 
 Parmi tous les sujets de plainte il en est un qui est le plus général, mais aussi le plus difficile à éteindre, c'est la maladie. Si on écoute les médecins quand ils sont en veine   de confidence, on les entend avouer tout bas que tout le monde a une maladie. Quelques-uns disent même que tout le monde porte en soi le germe de toutes les maladies. 

 Quand l'art médical était, non pas dans son enfance, mais dans sa jeunesse, les causes des mala-dies étaient reconnues toutes comme d'ordre phy-siologique, accidentel ou immédiat. A mesure que la science médicale s'est approfondie et que l'art médical s'est perfectionné, on a reconnu une cause plus profonde des maladies, qu'on a appelée l'atavisme ou l'hérédité, ou encore l'influence du milieu. Mais soyez-en certains, à mesure que la science va progresser, d'autres causes plus profondes encore se dévoileront: les causes morales d'abord, les causes spirituelles ensuite. Et la profondeur et la généralité de ces causes se dévoileront dans la proportion de la sincérité des enquêteurs et de la ferveur qu'ils mettront à leurs recherches. 


 Si nous envisageons le problème selon son point de vue le plus intérieur, il vient tout naturellement à l'esprit, quand on regarde marcher le monde, que malgré toutes les inégalités apparentes, toutes les secousses, toutes les perturbations et toutes les erreurs qui semblent exister, il y a cependant une  organisation de ce monde, pour parler comme les moralistes; il y a une justice immanente, pour parler comme les philosophes; il y a une sorte d'administration occulte du monde qui ne permet aux créatures que certains écarts et qui ne néglige jamais de leur faire payer ces écarts quand ils sont devenus des passions trop marquées. Selon le point de vue de Dieu qui est le nôtre, le point de vue religieux, deux théories sont en présence en Occident: 


 La première est celle de l'Église qui croit que l'existence actuelle est unique et qu'elle doit nous conduire à une solution définitive de notre sort après la mort. Pour les théologiens, la maladie, comme toute espèce   d'épreuve, ou de souffrance, est tout  simplement une épreuve dans le sens étymologique du mot, c'est-à-dire un moyen dont Dieu se sert pour expérimenter notre force de résistance, pour élever en nous des vertus spirituelles qui, sans ce réactif, seraient restées endormies. Les mesures selon lesquelles l'homme réagit contre la douleur, physique ou morale, développent en lui une énergie dans le sens radical du mot. Ainsi s'établissent en nous, par l'expérience de la vie elle-même, toutes les architectures spirituelles au bout desquelles s'édifie véritablement la personnalité morale de l'homme, construction en vue de laquelle   surtout il a été mis sur la terre. 


 Et puis il y a l'autre théorie qui nous vient d'Orient, qui a été adoptée par beaucoup d'Occidentaux et qu'on appelle la théorie de la Réincarnation ou de la pluralité des existences ) selon laquelle toutes les   souffrances que nous subissons actuellement ne sont pas autre chose que des réactions à des excès commis dans une existence antérieure, la précédente ou une autre plus éloignée. A mesure que nous essayons de   résister à ces dangers, à ces souffrances ou à ces chagrins, nous ne faisons que rendre à la nature les forces que nous y avons prises indûment. 

 Supposons un homme qui, il y a plusieurs siècles, s'est laissé aller à un vice: il revient sur terre avec un corps qui porte en lui une forme pathologique, conséquence physique de ce vice autrefois purement moral. Voilà quelle est la théorie « réincarnationiste ». 

Utilité de la maladie 

 Pour notre enquête, à nous, l'une et l'autre théorie sont indifférentes. En abordant l'étude des problèmes de l'existence, nous les envisageons dans leur essence, dans leurs racines spirituelles, et nous constatons qu'il y a dans la maladie, comme dans tous les phénomènes de la nature, une utilité. Rien n'existe qui n'ait une cause et un but. L'utilité de la maladie peut être physique, morale ou spirituelle. 

 Son utilité physique c'est d'abord de nous apprendre la tempérance et l'hygiène, et de nous pousser à l'étude de notre propre corps qui est une des merveilles la plus admirable du monde. L'utilité morale de la maladie ressortira quand nous aurons énuméré quelles énergies morales sont nécessaires pour venir à bout de cet adversaire. Quant à son utilité spirituelle, nous la verrons poindre en étendant les fruits de la maladie dans le centre de notre être, dans ce qu'il y a en nous d'essentiellement immortel. 

Comment se comporter?

 Une fois que la maladie nous a atteints, plusieurs problèmes se posent: d'abord comment s'y comporter?

 Étant donné que la maladie vient de notre corps, d'une part, et que de l'autre notre corps est un serviteur, le devoir apparaît clairement que nous sommes dans l'obligation morale de nous soigner par tous les moyens légitimes. Les conducteurs de l'humanité ont oscillé entre deux méthodes différentes. Les uns magnifient le corps parce qu'il est le chef-d'oeuvre de la  création, et ils le présentent comme un ensemble de forces auquel nous devons tous nos soins et toute notre admiration.

D'autres, au pôle opposé, veulent que l'on considère le corps et la matière comme une émanation directe du mal, et qu'on doit s'en rendre maître par tous les moyens possibles, même par les plus violents. Les uns considèrent le corps comme un   maître, les autres comme un esclave. 


 La vérité est au milieu. Nous devons considérer notre corps comme un serviteur, comme un bon instrument de travail, à la façon de l'ouvrier qui polit ses outils dont il entretient le tranchant et la souplesse, mais dont il reste, lui ouvrier, le maître et non le serviteur. En effet, dans l'être humain, rien ne nous appartient en propre que ce centre infime où siège notre libre arbitre, notre moi. Tout le reste ce sont des organes d'action, des instruments de travail. Notre corps est un prêt que la Providence fait à notre moi, comme notre sensibilité en est un autre, comme notre intelligence un troisième. Toutes nos facultés ne sont réellement que des instruments de travail dont le Père pour-voit chacun de nous afin qu'il les emploie au mieux et pour une collaboration au travail général pour le genre humain. Par conséquent   nous devons avoir envers notre corps les mêmes soins qu'un bon patron a pour ses ouvriers. 


 Une autre précaution à prendre, qui est  d'ordre moral: c'est la résignation. Il y a de plus en plus une morale aujourd'hui que nous appellerons celle de la révolte, selon laquelle on prétend que tout ce qui nous gêne, nous devons l'abattre et passer par-dessus; que l'homme ne conquiert sa véritable nature et   ne développe vraiment sa personnalité qu'en faisant litière de tout ce qui s'oppose à sa marche, que lorsqu'il satisfait, par n'importe quel moyens, les besoins et les désirs qui bouillonnent en lui. Cette école prétend être   seule capable de faire des hommes dignes de ce nom, des hommes de réalisation, des hommes de valeur. 

 Eh bien! une telle école se trompe, parce qu'elle prend l'apparence de l'énergie pour l'énergie elle-même. 

 Regardez, si vous voulez, un homme dans le coeur duquel bouillonne une passion quelconque, supposons l'ambition. Cet homme fait du travail au point de vue général; cet homme déploie des énergies admirables pour réaliser ses ambitions, que ce soit d'argent ou d'honneurs, de célébrité ou de pouvoirs; et chose un peu paradoxale à dire, mais exacte, les hommes chez lesquels les passions sont violentes sont malheureusement les seuls qui fassent quelque chose. Les hommes qu'on appelle ordinairement les gens   de bien ne sont trop sou-vent ainsi que parce   qu'ils n'ont pas eu de passions violentes et alors la modération leur est toute natu-relle et, en ne faisant pas de mal, ils croient faire le bien. 


 Si nous reprenons notre ambitieux qui déploie son énergie, qui concentre toutes ses facultés pour arriver à ses fins; si cet ambitieux sort un moment de lui-même et se place en face de lui en specta-teur, il parvient à concevoir que, pour renoncer à son ambition, il lui faudrait une somme d'énergie plus grande que pour la servir, il lui faudrait faire preuve d'une énergie bien supérieure à la première en qualité et en quantité. 


 C'est pourquoi le Christ a dit « Possédez vos âmes par la patience ». Car l'Évangile n'est pas une école de veulerie et de mollesse, mais au contraire l'école la plus sévère et la plus dure qui soit, d'énergie et de   volonté; et le Christ fait appel à la qualité d'énergie la plus pure qui puisse y avoir en nous. 

 Eh bien! savoir souffrir sans se plaindre et savoir attendre parfois longtemps la guérison sans murmures, sans une impatience, même intérieure, cela dénote des qualités de caractère tellement sur-humaines   que les malades qui en font preuve se conquièrent l'admiration et le respect de leur entourage. 

 Quel que soit donc le genre de souffrance qui nous échoit, il faudra reconnaître pratiquement, et non plus théoriquement, qu'il y a une justice immanente, et que si nous n'en percevons pas le mobile et la marche, elle n'en existe pas moins et que l'attitude morale la plus digne dans une souffrance c'est d'abord de l'accepter. 


 C'est pourquoi la vraie attitude, à mon sens, est la suivante: acceptation intérieure de la maladie et lutte extérieure contre elle, contre le mal, contre toutes les formes de la douleur par tous les moyens physiques à notre disposition puisque le physique est notre serviteur. 


 Lorsqu'on est arrivé à adopter d'une façon permanente cette façon de se comporter, il s'ensuit pour l'être qui est assez fort dans cet exercice, un développement spirituel dont les écoles de spiri-tualité n'ont   pas toujours une idée exacte. L'homme physique se développe suivant les lois physiques, l'intellectuel suivant celles de la pensée, l'homme social, chacun suivant les lois du monde auquel il a affaire. Mais l'homme profond, l'homme immor-tel si vous voulez, ne peut se développer que suivant les lois de ce monde qui n'a jamais commencé, qui n'a pas de fin et que le Christ appelle le Royaume de Dieu. 


 Si donc on parvient, par l'acceptation, à réaliser en soi une paix profonde, on a plus fait pour son développement réel que l'on aurait fait par les moyens qui sont enseignés dans les écoles de culture morale ou psychique connues. L'homme ayant une âme immortelle, la véritable loi de son développement c'est la loi du monde immortel. 


 Tous les médecins se sont trouvés en face de cas insolubles. Un seul recours nous reste: appeler le secours du Grand Médecin, c'est-à-dire prier. La maladie nous mène ainsi à l'école de la prière qui conduit finalement au Royaume de la Lumière et de la Paix. 


 Dans sa souffrance, le malade est amené à s'examiner, à faire un retour sur son passé et souvent à découvrir l'acte coupable, cause initiale de sa maladie et cet examen le conduit à se repentir, à reconnaître son erreur, à devenir humble. Et l'humilité est la condition indispensable à notre progrès. Comme notre   devoir est de progresser, nous devons la retenir en nous, constante et de plus en plus profonde. 


 Ce n'est pas sans raisons qu'il y a des maladies incurables, car il y a des êtres qui ne peuvent payer leurs dettes que par la souffrance physique parce que la qualité de la souffrance est toujours proportionnée à la qualité de celui qui la subit. Là encore règne une justice que nous constatons mais qui ne doit pas nous empêcher de faire tout notre possible pour diminuer le mal. 


 En outre, ne jamais critiquer le malade qui peut être une occasion de travail pour son   entourage, ne pas le juger, car ce jugement peut appeler sur nous la tare dont souffre notre voisin, et peut-être dans la même situation nous comporterions-nous plus mal que lui. La vie nous envoie malgré nous à une école pratique fertile en résultats d'expérience, Mais subir l'épreuve ou payer la dette, nous ne pouvons le faire seuls et sans aides. 


 La maladie nous porte à retourner à Dieu à qui nous ne pensons jamais, car dans   la vie nous croyons devoir nos réussites à nos   qualités qui ne sont au fond que des dons et,   en examinant la cause de nos insuccès, nous   constaterons qu'ils sont presque toujours dus   à la trop bonne opinion que nous avons de nous-mêmes. 

Comment soigner les malades? 

 Il faut les considérer comme des préfigurations du Christ qui nous a dît: « Tout ce que vous faites à un malheureux, c'est à moi que vous le faites ». Et ceci est une réalité vivante et toujours actuelle. Quand, par compassion, le Père a envoyé Son Fils pour sauver les hommes, Il a voulu que Celui-ci subisse toutes les formes de la souffrance sur terre et dans tous les mondes. Jésus prenait sur Lui presque toutes les souffrances de ceux qu'Il guérissait. Sa présence parmi nous est toujours réelle, et pas un homme ne   souffre sans que le Christ soit près de lui et prenne sur Lui-même un peu de cette souffrance. Donc, tout ce que nous faisons à notre prochain c'est bien à Jésus que nous le faisons. 

 Et le travail pour nous, c'est la compassion; c'est ouvrir notre coeur et c'est notre coeur qui nous donne notre valeur véritable. Voilà donc vers quoi il faut tendre: accueillons avec la même aménité tous les êtres et toutes les choses, parce que tous et toutes sont des ouvriers de Dieu. Notre labeur le plus urgent, c'est d'ouvrir notre coeur à un travail pratique de réelle fraternité. 

   SÉDIR