LES MALADIES


Les maladies sont les aboutissants douloureux de mystères indéchiffrables. Ceux-là seuls en peuvent pénétrer les causes primitives, les causes spirituelles, qui sont devenus également incapables de s'impatienter des exigences d'un malade, si même elles paraissent injustifiées, ou de condamner leur prochain, même s'il semble responsable de ses malheurs. Si l'on nous dévoilait ces causes, nous qui sommes vains, agressifs, jaloux de nos aises, nous en prendrions prétexte pour nous débarrasser de ceux qui souffrent; nous nous montrerions si durs, si peu pitoyables envers ces pauvres êtres encombrants que nous appellerions sur nous les plus cruels destins; les mêmes obstacles, les mêmes ennemis qui ont fait tomber nos frères nous feraient tomber, plus vite encore et plus bas, à cause de notre orgueil; le nombre des malades augmenterait, et des maladies nouvelles naîtraient comme aux époques de jugements. L'ignorance où le Ciel nous maintient est donc juste et bonne. Ainsi, lorsque, sur le trottoir, je vois quelque pauvre homme tomber dans une crise quelconque, si je pense en moi-même : " Tant pis pour lui, il n'avait qu'à ne pas boire ", à l'instant même je change la direction de ma destinée, et mon être se trouve acheminé vers un concours de circonstances tel que, dans un avenir plus ou moins proche, il se trouvera aux prises avec les mêmes faiblesses ou les mêmes chagrins qui ont fait de cet homme un alcoolique. Résisterai-je mieux que lui ? Il est probable que non, parce que j'aurai eu trop confiance en ma force.

Si, devant le même spectacle, je m'abstiens d'acquiescer au mépris qui monte de mon coeur mauvais, par crainte de subir plus tard une tentation semblable, je ne suis pas charitable, mais égoïste avec habileté; et le Destin me mettra sans doute, en quelque jour de désarroi, aux prises avec d'autres égoïsmes calculateurs.

Mais si, n'apercevant dans cette forme roulant à terre parmi les ordures qu'un corps déchiré par la souffrance, qu'un esprit accablé par le chagrin, je m'efforce de les calmer, de les réconforter tous deux, peut-être, parce que je n'aurai pas voulu voir les Ténèbres où gémit ce frère malheureux, Dieu réveillera-t-Il la lumière endormie au fond de son coeur, et ce malade sera guéri. Pour obtenir de tels miracles, il ne faut que l'amour, fraternel et agissant, dépouillé de calculs, d'hésita-tions, de regrets.

Comment faire donc pour ne pas juger ? Tout le monde sait que telle maladie a tel vice pour origine; sans doute; mais il ne faut pas se dire : Moi, je ne suis pas tombé dans ce piège, je n'y tomberai pas. Il faut au contraire savoir que l'on est très capable de tomber. Car, en somme, tous les membres de la grande famille humaine portent en eux les semences de tous les maux et de tous les biens, et ce sont toujours les plus hauts devant Dieu qui se croient les plus petits. Personne ne peut donc condamner personne, d'autant que du mal la Providence sait faire sortir un bien.

Ainsi la soif de connaître nous consume; pour l'étancher, nous nous lançons à l'aventure au lieu d'attendre que Dieu nous apprenne quelque chose, s'Il nous juge prêts. Je vous ai donné tout à l'heure un exemple des situations difficiles où nous jettent nos impatiences. Cependant nos efforts pour nous en dépêtrer, quelque maladroits qu'ils soient, développent nos forces, et nous avançons en somme, malgré que nous nous égarions souvent. La tendre sollicitude divine fait servir nos erreurs à notre progrès.

Disciples dociles de Jésus, vous vous bornerez donc à la seule prière pour obtenir la guérison des malades que votre charité soulagera en même temps. L'observance des maximes évangéliques constitue la seule méthode, le seul entraînement que notre Maître nous propose pour renouveler Ses miracles. Lorsqu'Il rend la santé aux uns, Il leur dit : " Ta foi t'a sauvé ", aux autres : " Tes péchés te sont remis "; mais nous, nous n'avons pas le droit d'exiger la foi ou de rechercher les péchés de ceux vers lesquels nous allons; nous ne pouvons que demander pour eux, avec eux, ou à leur place, que la Miséricorde les sauve, en appuyant notre demande par un sacrifice quelconque, par un jeûne spirituel. D'autant plus, ne l'oublions pas, que certains souffrent pour d'autres motifs que leur expiation personnelle. Toutefois, il se présente des cas si étranges que certaines notions peuvent vous être utiles pour conserver intactes votre confiance en la bonté, en la justice divine, et votre certitude que le Père voit tout, que rien ne se produit sans Sa permission.

Il y a, en l'être humain, deux foyers spirituels dont les flammes brûlent dans deux directions opposées, parce qu'ils sont de nature contraire. L'un est la vie naturelle, le moi, l'égoïsme, le corps et ses instincts; l'autre est la vie surnaturelle, l'amour pur, l'esprit et ses aspirations. Ce que l'un recherche, l'autre le repousse; le bonheur de l'un fait la douleur de l'autre. Or l'un des buts de l'existence, c'est de réunir ces flammes divergentes, de faire descendre l'esprit dans le corps, de monter la vie corporelle jusqu'à la vie spirituelle, de les réunir, de les unir, de les faire vivre en harmonie.

Notre moi, notre libre arbitre encore dans les langes hésite entre ces tiraillements et discerne mal qui, du corps ou de l'esprit, exhale les gémissements qui le troublent. Comme c'est du corps qu'il se trouve le plus près, il inclinera souvent dans son sens, il se rendra bien difficilement aux voeux de l'esprit et mettra en oeuvre toutes les ressources de la Nature pour soulager ce corps, allant même jusqu'à chercher dans les régions interdites des méthodes curatives plus puissantes. La prière et la purification morale pourront seules lui éviter cette double erreur : la révolte contre la souffrance et l'emploi de moyens illicites, interdits parce que dangereux.

Voici quelle est l'origine de cette bataille constante dont notre personne est le théâtre. Avant la naissance, notre moi, qui existe déjà, est informé par certains anges des travaux qu'il devra accomplir pendant l'existence terrestre qui va lui être donnée. Dans quelques cas assez rares, il peut choisir entre divers travaux; mais ce choix ne lui est offert que si la Lumière en lui est assez forte pour lui donner le courage de prendre la carrière la plus pénible, celle où il se purifiera davantage. Pour l'immense majorité des naissances, au contraire, le choix n'est pas proposé; le sujet aperçoit seulement les labeurs qui l'attendent; mais il se trouve, à cet instant, dans la Lumière que ses guides apportent avec eux; il voit les choses du point de vue du Ciel; il se juge lui-même à sa juste valeur et, en général, il accepte d'avance les fatigues qu'on lui montre. Qu'un incurable gémisse et se révolte sur son lit de douleurs : c'est le corps qui regimbe; il se peut que l'esprit lumineux de ce martyr se réjouisse au contraire dans l'exaltation du sacrifice accepté; l'être étendu devant vous ignore ce drame profond; inversement, les heureux, les forts qu'on voit profiter de la vie et triompher, leurs esprits se lamentent et souffrent dans ces ténèbres mortelles que sont les joies de ce monde.

Ainsi, ne jugeons jamais; ne veuillons pas coûte que coûte que nos malades guérissent; que nos prières, d'abord humbles, ne deviennent pas des commandements volontaires à la maladie; c'est une pente où il est facile de glisser.