LA CHARITE DE LA VIERGE


La Vierge a été enfant obéissante ; jeune fille mariée sans qu'on lui ait demandé son avis, femme livrée à la suspicion de son époux, aux commérages, aux travaux domestiques ; mère condamnée aux pires inquiétudes, couronnées par la plus immense douleur ; veuve active et bienfaisante, s'occupant encore de tenir le ménage des apôtres ; vie obscure, vie commune, anti-intellectuelle. Ceux donc qui se feront les mieux entendre d'elle seront des gens de la même lignée, de pauvres travailleurs, dont l'existence mesquine se consume entre la fatigue et l'inquiétude de la nourriture quotidienne. Quand ils demandent, c'est avec un cri de leur pauvre vieux coeur épuisé. Ils sont tout près du royaume de la Parole. Le Ciel les écoute.

Quant à elle, depuis la lumière centrale de son âme, depuis les merveilleux organes de son esprit jusqu'aux moindres des molécules de son corps de chair, tout en elle avait été lavé des souillures de l'égoïsme. L'intensité de la vie intérieure modelait son visage ; il était extrêmement mobile et, comme elle faisait toute chose de tout coeur, sa figure exprimait, pour chacune de ses actions, le type idéal de la faculté qu'elle utilisait. Quand elle priait, par exemple, elle aurait été pour un artiste l'incarnation vivante de la Prière ; quand elle faisait l'aumône, celle de la charité.

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La Vierge a réalisé la perfection de la femme. Elle en a expérimenté toutes les douleurs : une enfance solitaire, un mariage prématuré et mal assorti selon la sagesse commune, une pauvreté perpétuelle, une maternité infiniment douloureuse ; dans sa vieillesse, le veuvage, la perte de son fils le plus cher et, toute sa vie, le souci du pain quotidien.

Ainsi, filles, femmes, épouses, mères, elle a connu toutes vos peines ; elle inclinera donc sur vous sa compassion. C'est pour vous qu'elle a langui, c'est pour vous qu'elle a obéi aux convenances sociales, aux ennuyeuses coutumes, aux conseillers grondeurs ; c'est pour vous qu'elle accepta de se lier à un vieil époux, et pauvre ; c'est pour vous qu'elle éleva dans l'angoisse un enfant entre tous adoré, et qu'elle sentait si loin, si différent ; c'est pour vous qu'elle connut l'inquiétude du repas du soir, et du gîte du lendemain ; c'est pour vous qu'elle subit les affres, quand ce Fils, allant et venant, soulevait contre lui les colères, et heurtait les opinions reçues, avec si peu d'opportunisme ; c'est pour vous qu'elle Le vit enfin tomber, suivant Sa chute d'un oeil hagard, comptant Ses blessures, Ses gémissements, et Ses torsions d'agonie ; folle de la plus épouvantable des douleurs, jetant sur le Ciel fermé les plus terribles regards, et gardant, malgré tout, intactes sa foi son humilité et sa prière.

Femmes qui geignez parce que vos proches cassent une assiette, qui savez rendre la vie insupportable à vos maris et à vos enfants, qui exploitez sans pudeur votre couturière, et déchirez votre amie si cela peut agrandir votre vanité ; femmes qui perdez des heures aux églises, et qui n'en rapportez que le venin de la médisance ; femmes ignares qui vous targuez d'un titre et d'une fortune dont vous n'êtes redevables qu'au seul destin ; femmes vertueuses pires que les adultères ; femmes débauchées que la ruine de vos tristes corps n'arrête pas, c'est pour vous toutes, c'est pour chacune de vous personnellement que la Vierge fit toujours seule ses travaux domestiques, qu'elle tissa la laine et le lin, qu'elle n'eut jamais qu'une robe, qu'elle vécut dans le silence, qu'elle s'interdit la consolation d'aller au Temple pour prier, que, fille de roi, elle vécut en ouvrière, qu'elle jeûna, qu'elle veilla, qu'elle pleura.

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Eh bien ! il faut à toute force, il faut absolument qu'un jour ou l'autre nous vivions comme Marie a vécu. Lorsque de malheureuses créatures viendront crier devant nous, ne les repoussons pas, mais ne nous précipitons pas. La compassion à fleur de peau ne vaut rien ; les phrases touchantes ne valent rien. Ecoutons les plaintes en silence, et ne parlons qu'après avoir senti dans le fond de notre coeur nous déchirer le même soc qui déchire ces victimes. Alors, mais alors seulement, les trois paroles que nous dirons agiront avec efficacité. Toute peine est en même temps illusoire et réelle. N'y touchons donc qu'avec des mains pures et d'un coeur respectueux.