LE DEVOIR MYSTIQUE DES CIVILS


La soldat est soutenu par la génie de la bataille, génie vigoureux et actif, et par ces puissants toniques: le danger, la mort proche, l'effort nécessaire, inévitable. Ces durs compagnons l'obligent à rentrer en lui-même, à se regarder, à regarder les choses définitivement, à fond.

Le civil vit dans une atmosphère plus molle; les nécessités immédiates ne lui pèsent pas sur les épaules; il a contre lui le goût tenace du moindre effort, la sécurité physique, l'inaction, l'incertitude. S'il veut agir, ses points d'appui sont mous. Et cependant, il est lui-même le mur sur lequel s'arc-boute la tension du soldat. Il est la réserve de la défense nationale; il est le trésor de l'avenir national.

Il peut aider l'armée, matériellement et moralement. C'est de sa collaboration morale que je veux vous entretenir aujourd'hui.

Elle demande une ferveur patriotique permanente; et puis une maîtrise de soi, pour réaliser cette ferveur; il faut, en d'autres, termes, que nous possédions de l'énergie, de la charité, du sang-froid. Nous avons tous quelques bribes de ces vertus; comment les augmenter,. voilà ce qu'il faut savoir.

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Travailler pour notre pays, c'est travailler pour le Ciel. Or, il est écrit: Le royaume des Cieux est pris par violence, et les violents s'en emparent. » Il faudrait donc que nous déployions de l'énergie dans les sentiments et dans les actes. Il faudrait guérir l'apathie, la routine et l'anémie de la volonté. Ce n'est pas difficile; il ne s'agit que de vouloir. Procédé commode, direz-vous, que de supposer le problème résolu. C'est le vrai procédé; voici pourquoi.

Toute force se compose, en proportions variables, de matière et d'esprit. Dans les forces morales, la proportion d'esprit est la plus grande; elles ont donc, par elles-mêmes, une vie plus intense. plus de ressort, plus de spontanéité que n'importe quelles autres. En outre, elles n'essaient leurs ailes dans le coeur de l'homme que parce qu'elles se sont d'abord magnifiquement envolées de ce coeur de Dieu qui est le Christ Jésus. Que l'un de nous, dès lors, sachant qu'il manque de courage, accomplisse malgré cela un tout petit geste courageux, il aura donné l'impulsion de croître à la sentence de courage que le Père a certainement déposée dans son coeur; et le Jardinier surnaturel la cultivera avec sollicitude.

Ici est le point important, le point où la volonté voit s'ouvrir devant elle deux voies, aboutissant aux antipodes. Qu'elle reste solitaire, elle ira vers l'orgueil et vers les Ténèbres. Qu'elle accepte la collaboration de Dieu, qu'elle la réclame: elle ira vers la Lumière. Que l'homme donne tout son effort; puis, qu'il demande au Ciel le parachèvement de son oeuvre; telle est la méthode de la perfection.

Toutefois, nous autres Français, nous ne savons pas agir froidement; nous abandonnons un travail qui ne nous intéresse pas; nous refusons une besogne si nous n'en apercevons pas la beauté. Nous devrions, en de tels cas, recourir aux forces morales, aux convictions, aux sentiments.

Les forces morales sont les plus hautes et les plus pures; innombrables, elles proviennent toutes d'une source unique, elles retournent toutes à la même source éternelle. Cette source se nomme l'Amour.

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L'Amour est le transmutateur, le transfigurateur universel. Il magnifie les moindres gestes et revêt de splendeur les objets les plus vulgaires sur lesquels il descend. Il est toujours prêt, il ignore la fatigue, il devine les désirs, les exécute et y ajoute toujours quelque chose de plus. Il verse des mesures débordantes et surabondantes. Il ne s'impressionne pas ni ne se décourage. Il ne se rebute jamais, ni ne critique. Il voit la Vérité, il la saisit et la répand à pleines mains autour de soi. Il recrée les êtres en lesquels il habite, et leur infuse sa jeunesse perpétuelle. Il donne en premier lieu ce qui lui appartient, puis ensuite jusqu'au plus intime de lui-même; il célèbre un sacrifice continu où il est à la fois le prêtre et la victime. Et sa vertu divine non seulement réunit et associe les créatures les plus étrangères, mais encore les soulève chacune au-dessus de toute hauteur mesurable, les transporte au delà de toute distance, les enlève de toute durée, pour les confondre corps et âmes en l'Être inaccessible qui, habitant l'Infini, se laisse toutefois saisir par quiconque veut bien se charger de Son joug.

Encore faut-il pouvoir aimer. Et notre pauvre coeur est si dur, si froid: comme la pierre aux entrailles de la montagne. C'est pour nous, la foule, que Jésus a dit: Comme vous voulez que les hommes agissent avec vous, agissez vous-même pareillement avec eux. » Ce n'est que pour l'élite qu'il a ajouté: Comme je vous ai aimés, aimez-vous aussi les uns les autres. » En attendant que l'Amour s'éveille en nos coeurs, Il nous demande d'en faire les gestes. Pour passer du simulacre à la réalité, Il nous a ouvert une voie: C'est la souffrance.

Allons à cette école; apprenons les leçons que le Destin nous indique; imposons-nous des leçons supplémentaires pour regagner le temps perdu. Que jamais une plainte ne s'échappe de nos lèvres; que la résignation avec la patience habitent nos coeurs. Voilà déjà de rudes efforts. Faisons davantage. Demandons chaque matin au Ciel qu'Il nous envoie une épreuve, qu'Il rende la fatigue du jour qui commence équivalente à celle d'un soldat, qu'Il mette sur nos épaules le fardeau spirituel de l'un de nos défenseurs.

Il est possible, d'ailleurs, que ces propositions vous soient inutiles; car plusieurs ont eu d'eux-mêmes ces idées-là. Retenez seulement cette nuance: demandez à Dieu le travail supplémentaire, plutôt que de le choisir de votre propre chef. Et ne craignez pas la fatigue. Les forces morales s'entraînent comme la force musculaire; avec cet avantage en plus, qu'elles disposent de réserves inépuisables, et que leur usure est nulle, lorsqu'elles jaillissent d'une racine pure.

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Le Ciel sait que nous sommes chargés des chaînes de la matière. Ce n'est pas le grand nombre d'oeuvres qu'il nous demande, c'est leur perfection approximative; ce n'est pas de la hâte qu'il attend de nous, c'est de l'intensité.

Agir intensément, ce n'est pas agir avec brusquerie. C'est mettre dans l'oeuvre tout le soin, toute l'adresse, toute l'intelligence, tout l'amour dont on est susceptible. C'est appeler sur le plus petit acte toutes les bénédictions célestes. C'est ne rien entreprendre que pour Dieu, par le Christ. C'est ne rien désirer que l'Ordre divin, puisque, pour nous, Français, l'ordre providentiel c'est l'ordre patriotique. C'est se vouer, une fois pour toute, à la Patrie: et ne plus vivre qu'en vue de la Patrie.

L'intensité de l'acte s'obtient par la concentration des forces, - une concentration vers le dedans, vers le haut: un rassemblement vers ce point intérieur où se réunissent le zénith, le nadir et les bornes cardinales de la Nature; où brûle la flamme primitive qui donne la vie au monde: l'Amour. En purifiant nos mobiles à cette flamme, nous pourrions en emporter une étincelle; grâce à quoi, tous nos actes ensuite seront purs; ils vibreront de l'énergie la plus vivante; nous aurons atteint l'intensité.

Ne cherchons donc que d'obéir à Dieu; ramenons à Dieu, nos plaisirs, nos douleurs, nos affections et nos répugnances; déblayons les égoïsmes; et que le Christ devienne le principe, le but et le moyen de toutes nos oeuvres. Alors nous serons des alchimistes, selon l'Esprit, à l'exemple de ce Christ. Alors tout ce que nous accomplirons, - avec des lacunes sans doute, avec des mains malhabiles, certes, - mais d'un coeur tout dévoré du zèle de l'Amour: le Christ prendra tout cela, le parfera, le créera à nouveau, lui donnera la splendeur de sa Lumière et la fécondité de la Vie éternelle.

C'est là le plus important de tous nos efforts intérieurs. Sans lui, les plus beaux héroïsmes restent stériles; avec lui, les moindres peines portent des fruits nombreux. Nous en regarderons tout à l'heure quelques exemples.

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Un être qui travaille ainsi de tout son coeur et de tout son amour, ne devrait plus pouvoir souffrir de l'inquiétude. Mais une telle entreprise comporte des luttes et des déchirements; c'est alors qu'il faut garder son calme. Si l'on est d'ordinaire fébrile avant d'agir; si, après l'action, on ne se sent jamais satisfait; si l'échec irrite; tout cela, ce sont des fuites de force qu'il faut arrêter.

Ne veuillez pas aller plus vite que Dieu; quand vous avez loyalement fait tout votre possible, remettez-vous entre les mains du Père: cet abandon donne la paix. Restez attentifs à saisir l'indication divine; elle se découvre dans les circonstances, dans les idées intuitives, dans les conseils reçus d'autrui; aucune conscience droite n'ignore son devoir.

Si le trouble vient de l'excès de souffrances, cela prouve que l'on n'a pas pris la bonne attitude pour souffrir. Supporter l'épreuve est un art; cela consiste dans une répartition sagace des forces psychiques; le débardeur sait comment équilibrer une balle sur ses épaules; il la porte avec aisance, tandis ,qu'elle écraserait un homme plus fort, mais inexpérimenté. Les charges spirituelles pèsent moins sur les coeurs humbles. Quand l'amour-propre, la vanité, l'orgueil, nous raidissent, l'épreuve devient blessante. C'est alors qu'il faut prendre en exemple Celui qui a porté sur Ses épaules le fardeau du monde.

Si le trouble vient de cette maladie de la conscience, appelée le scrupule, il faut refréner notre hâte, et maintenir notre zèle dans les limites de la loi divine, des règlements humains, de la soumission aux supérieurs.

Tout ce que je viens de dire, se résume en quelques'mots: Vivre avec force, avec simplicité, avec sérénité. Nous serons certains de n'omettre alors aucun de nos devoirs. Comme, en définitive, la loi ne s'inscrit jamais mieux dans notre cerveau que lorsqu'elle vit d'abord dans notre coeur, je vous recommande par-dessus tout la contemplation de Jésus: la contemplation la plus intense, la plus passionnée, aussi fréquente que vos travaux vous le permettent. Jetez sur Lui de ces regards brûlants que les artistes attachent sur les chefs d-oeuvre. Scrutez cette figure, si grande et si noble; plongez vos yeux dans ces yeux insondables, qui percent l'infiniment grand et atteignent l'infiniment petit. Voyez ces gestes forts, entendez ces paroles simples, modelez votre coeur sur le calme auguste de ce visage. Etudiez cette majestueuse allure sous laquelle se cache une immense activité; imitez cette affectueuse bonhomie, dont s'enveloppe la force toute-puissante de Dieu; ce Jésus est absolument simple, parce qu'il est infiniment grand; soyez simples, mais parce que vous vous sentez tous petits. Pas d'effervescences extérieures. Brûlez: mais par dedans et en silence.

Celui qui n'est fort que de la force arrachée à des victimes innocentes reste inquiet; il ajoute à sa force la ruse, et ne s'en trouve pas encore rassuré. Mais vous autres, si vous avez déposé vos faiblesses aux pieds de l'Omnipotent; si vous avez jeté vos idoles au brasier de l'Unique; si vous avez remis vos angoisses aux mains bénies du Permanent; à quelles tempêtes ne résisterez-vous pas, et quels obstacles ne renverserez-vous pas?

Donnons-nous donc de toutes nos forces, aune devoir de l'heure présente; de telle sorte, que l'avenir en soit harmonisé, que l'heure du triomphe sonne un peu plus vite, au cadran de l'Éternité.

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Voilà les principes mystiques de la conduite civile. Essayons d'en déduire quelques applications de détail.

Il y a un premier devoir qui s'impose à tous les civils; c'est un devoir mutuel, mais c'est d'abord un devoir des non-combattants envers les combattants, de ceux que n'a pas atteint le cataclysme envers ceux qu'il a touchés. C'est d'être optimistes; optimistes quand même, malgré les mauvaises nouvelles, malgré les fausses nouvelles, malgré nos propres tendances. Combien de fois vous ai-je dit, le terrible pouvoir de la parole; et surtout maintenant, où le malheur multiplie ses coups sur les familles.

Il faut donner de l'espoir, toujours, à toute force, contre l'évidence même. Il faut prodiguer l'enthousiasme aux soldats; il faut illuminer les rêveries tristes des malades; il faut montrer le Ciel aux deuils douloureux; il faut parler des moissons futures aux réfugiés. Il faut dire en toute occasion comme cette noble femme qui, venant de perdre glorieusement un mari et un fils, répondait aux condoléances avec un calme courage: Je ne me plains pas: il me reste deux fils et le plus jeune ne va partir que dans deux mois. »

Nous manquons d'énergie, nous manquons d'enthousiasme, tontes les fois que nos désirs vont vers l'illusoire. L'ordre de Dieu est qu'on espère. Le découragement est un faux-pas; prenez garde qu'il devienne une chute. L'espoir est un levain d'activité. Le plus faible peut quelque chose; ce quelque chose n'est rien puisque c'est déjà un don; mais c'est immense à cause de l'Amour du Père qui s'y effuse. Déplaçons, une fois. pour toutes, notre point de vue. De l'autre côte du Voile se tient l'Ange du Seigneur perpétuellement occupé de nous.

La Foi appartient au Père; la Charité, à l'Esprit. Quant où Fils, qui demandait la Foi et commandait la Charité, Son domaine, c'est l'Espérance. Relisez Son histoire. Qu'y a-t-il dans le sous-oeuvre de Sa mission? Pourquoi est-il venu? Pourquoi a-t-il parlé, guéri, souffert? Quelle est la leçon essentielle qu'Il nous répète inlassablement avec la force la plus persuasive, avec la force de l'exemple? Quel philtre nous verse à flots Sa compatissante tendresse? C'est l'Espérance.

Le Bien-Aimé arrache nos regards de dessus les marécages et les boues; Il les tire en haut, vers le Soleil de Justice, vers les étoiles rafraîchissantes, vers les anges blancs et beaux. Levons les yeux vers Lui; Il nous invite, Il nous pousse, Il nous rassembles sur cette route si dure le long de laquelle les souffrances sont en embuscade; mais c'est Lui d'abord qu'elles attaquent et qu'elles blessent. Il sait depuis le commencement vers quels martyres Il va; Il travaille tout de même. Il prévoit nos ingratitudes, nos lâchetés, nos gaspillages de ce qu'Il a pris tant de peine à nous apporter: quand même, Sa sollicitude reste entière, minutieuse, parfaite.

Espérons donc, malgré tout. Si même on est convaincu de l'inutilité ou de l'échec de tel effort, il faut le donner de tout coeur. Tout est utile. Ne nous contentons jamais d'à peu près. Toute négligence produit un recul, et prépare une défaite probable pour l'avenir. La vie est à monter, et non pas à descendre. Qu'un désir constant du mieux nous exalte! Tant d'existences arrivent à la mort sans fleurs et sans fruits; que diriez-vous au Jardinier, s'il vous en advenait de même?

Prenons garde à nos discours, à l'atelier, dans la boutique, dans un salon; une plainte qui nous échappe va peut-être enlever la semaine suivante, à quelque soldat inconnu, l'élan dont il aurait besoin.

Car le pays tout entier forme un corps unique, dont chaque cellule est étroitement solidaire de chacune des autres. Cette cohésion s'aperçoit déjà dans l'ordre économique, dans l'ordre politique; mais, bien plus intime encore dans l'ordre spirituel, elle en constitue le caractère distinctif. Le sentiment est la vie même de l'ordre spirituel: là, aucun groupe d'entités ne peuvent subsister si elles ne sont en parfaite harmonie. Chassons donc, n'est-ce pas, de nos coeurs, toute impression décourageante ou même dubitative, pour hâter la venue du Génie de la Victoire.

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Ensuite, ne vous occupez que de ce qui appartient à votre fonction. Notifiez à qui de droit vos compétences et vos capacités; même si, à votre avis, vous êtes mal classé, demandez la place pour laquelle vous vous croyez bon; mais, en attendant, accomplissez la tâche qu'on vous a confiée. Prenez garde à cette tendance invincible de l'humaine nature: enjamber le devoir actuel afin d'en chercher un autre qu'on juge plus utile; ceci est presque toujours une illusion. Pour l'homme qui s'est donné au Ciel, du fond du coeur, ce qui se présente à faire, c'est exactement ce qu'il faut faire; c'est cela la volonté du Ciel; c'est cela même que Jésus attend de vous. Haussons-nous intérieurement; au lieu de nous ajuster aux petitesses quotidiennes, grandissons-les à la mesure de nos coeurs qui s'efforcent vers Dieu.

Nous, les civils, ne nous relâchons jamais de la plus forte discipline intérieure. Tout peut servir à la guerre spirituelle. Le moindre sacrifice: d'une commodité, d'un plaisir, d'une parole, d'un peu de repos; - le moindre effort; un sou, une démarche, un mot d'espoir; tout cela ce sont des forces que notre intention patriotique enverra vers l'Ange et que celui-ci distribuera sur notre armée. Combien peu de chose faut-il pour que ce bras qui tient un fusil bouge d'une fraction de millimètre? Et c'est alors un ennemi de moins, ou un Français de plus. Et une panique? Et un plan mauvais ou bon dans la tète d'un général? Et un ordre bien ou mal transmis? Et une panne dans un moteur? Mille riens qui engendrent d'immenses effets. Pensons à tout cela. Ne négligeons aucun détail. Que savons-nous des dynamismes spirituels? Nous savons qu'ils existent, qu'ils sont formidables; - et que, par Jésus, nous pouvons peut-être les mettre en branle.

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Vous parlerai-le de la conduite à tenir envers les blessés?

L'hôpital: quel magnifique théâtre pour le disciple du Christ; et pour les femmes admises à l'honneur de soigner nos soldats, quelles occasions nombreuses de se vaincre! Il y a des héroïnes parmi les infirmières; plusieurs déjà ont été désignées à l'admiration publique. D'autres, restées inconnues, ont, au regard de Dieu, accompli des gestes plus purs: ce sont celles qui n'ont pas refusé de soigner les prosaïques malades, celles qui ont bien voulu se charger de la cuisine, et du lavage et du balayage; celles qui ont encaissé en silence les tracasseries inévitables là où beaucoup d'êtres humains sont réunis; celles qui savent ne pas dormir, et ne pas manger, quand un cas grave réclame leur présence; celles qui, en un mot savent faire les petits sacrifices. De l'héroïsme? toute âme française est capable d'héroïsme, pour peu qu'il soit exceptionnel. Mais le simple, vulgaire et obscur devoir: voilà qui attire l'attention de Jésus. Voilà qui aide la patrie, plus que tout.

Nous le savons, cependant, que chacun de ces blessés, chacun de ces malades, c'est ce Christ que nous faisons profession de servir. Comment oserait-on tutoyer un de ces martyrs, sous prétexte qu'il n'est qu'un simple soldat? Comment oserait-on laisser paraître une répugnance devant l'horreur de leurs plaies sacrées? Comment songerait-on à se défendre d'une injustice ou d'une malveillance, tandis qu'un de ces hommes a peut-être besoin d'une piqûre ou d'une potion? L'infirmière que préoccupent uniquement les soins de ses malades, et pour laquelle rien d'autre au monde ne compte plus, celle -là seule est digne de porter à son bras le noble insigne christique, couleur de sang.

Les règlements interdisent aux femmes trop jeunes, à celles chargées de famille, de soigner les contagieux. C'est juste, selon le bon sens. Mais si une femme est frappée de cette aberration sainte que l'Apôtre appelle: la folie de la Croix, celle-là ne craindra pas la contagion, ni pour elle, ni pour ses enfants; elle sait que c'est là son simple devoir de chrétienne, bien que tout le monde nomme cela de l'héroïsme; elle sait que si elle meurt à ce poste, le Ciel est obligé de pourvoir au sort des orphelins qu'elle laisse; elle a obéi au Christ, elle a sacrifié les siens pour secourir des étrangers, le Christ tiendra Ses promesses.

Voilà ce que plusieurs Françaises ont réalisé; qu'y a-t-il d'autre encore à faire?

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Voici encore des dominations à exercer sur nos douleurs. Quand un des nôtres est mort, nous devons à nous-mêmes, nous devons à la Patrie, nous devons à Dieu, de ne pas succomber au désespoir. Nous devons à nos concitoyens l'exemple.

De plus, résistons à l'envie d'obtenir des nouvelles du défunt. C'est aux pratiques spirites que je pense; elles sont beaucoup plus répandues que les non initiés ne peuvent le croire. Elles pourraient devenir facilement un danger pour le spirituel collectif. D'abord, le Christ a dit: Laissez les morts ensevelir leurs morts. Le spiritisme n'est pas un crime; c'est une pépinière d'illusions et de déséquilibres; tel quel, il reste utile à ceux qui ont besoin pour croire, d'apparences de preuves. Et puis, ces chagrins désespérés, qui exigent à toute force des manifestations sensibles, desservent ceux que l'on appelle, que l'on rappelle, aussi indiscrètement; nos regrets les arrêtent, les empêchent de monter, les dérangent dans leurs travaux. Mais vous autres, qui savez que Dieu est sage, juste, et bon, vous devez avoir confiance pour vos morts en Sa sollicitude; vous devez imposer silence à votre chagrin, en continuant de suivre le Christ. Fiez-vous à Lui; Il sait combiner les itinéraires des âmes; Il sait ménager à certains carrefours ces temps de repos où L'on se retrouve et où là douceur des revoirs emparadise les coeurs pour plusieurs siècles ensuite.

Il est naturel que nous désirions retrouver ceux que nous aimons; mais, de même qu'ici-bas, on peut faire la route à pied, en voiture, en chemin de fer, en automobile: plus le moyen de transport est rapide, plus il est dispendieux; de même, dans l'Invisible, plus vite nous voulons retrouver nos morts, plus nous devons avoir de cette monnaie spirituelle qui ne se gagne que par la souffrance et le travail. Un procédé facile, comme le spiritisme, ne procure, en général que des illusions, et expose à bien des mécomptes.

Les créatures tendent à se réunir; évidemment . Mais pour que cette union dure, elle doit s'opérer autour d'un principe: ce doit être une organisation, et pas une simple juxtaposition. Que ce principe soit le Verbe, et l'union deviendra immuable et permanente. Au milieu de nos deuils, encore une fois, Jésus apparaît comme le Consolateur, pourvu que ce soit en Lui seul, qu'on cherche la consolation.

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L'un des grands bénéfices de cette guerre, ce sera la renaissance d'un esprit fraternel entre tous les citoyens. Par la vertu des fatigues communes et de la mort, indistinctement menaçante, des classes sociales jusqu'alors impénétrables ont fusionné. Ce que tant d'efforts philanthropiques, tant de prêches éloquentes n'avaient pu obtenir, quelques semaines dans les tranchées le donnent, sans heurts, sans discours. On voit bien que Dieu a raison d'employer parfois la manière forte.

Les civils doivent appuyer ce mouvement d'unification. Il existe, pour cela, des oeuvres de secours, en grand nombre, me direz-vous. Oui; la charité collective est utile; mais on ne doit pas oublier la charité individuelle; car on peut,. à l'offrande physique ajouter l'offrande psychique; on le doit; l'aumône qui ne s'accompagne pas de sympathie n'est pas complète; elle ne vit pas.

Recherchez donc autour de vous un soldat orphelin, un de ces soldats qui ne reçoivent jamais de lettres ni de gâteries; cherchez un captif, un réfugié, également seuls dans leur détresse. Il se peut que votre budget ne vous permette pas des munificences; mais votre coeur sera toujours assez riche pour offrir une sympathie chaude qui détruise chez ces malheureux l'horrible sensation de l'isolement.

Il faut penser aussi aux petits orphelins. C'est une des charges les plus délicates, mais aussi les plus riches en fruits spirituels que d'adopter les enfants. Donner aux oeuvres de protection, ce n'est pas suffisant; payer les séjours à la campagne, au l'internat à un petit inconnu, ce n'est pas assez. Ce qu'il faut, c'est l'adoption d'orphelins; c'est traiter l'enfant inconnu comme nos autres enfants; sans différences; c'est lui recréer une famille. Les devoirs envers l'enfant sont, pour une nation, d'une importance capitale. Et qui refuse de les envisager, se barre son propre avenir spirituel.

Enfin la Nature ne nous aide que si nous l'aidons. Elle nous a trouvé des parents, grâce auxquels notre esprit, désireux de progresser a pu recevoir un corps pour le travail de l'existence. Le devoir réciproque est donc, qu'à notre tour nous ayons des enfants, le plus d'enfants possibles, pour fournir à beaucoup d'esprits le moyen de venir évoluer ici-bas.

Les paraboles évangéliques des serviteurs habiles qui font fructifier les dépôts de leur maître nous enseignent ces devoirs. Comme disait un mystique du xviiie siècle: Pour recevoir, il faut donner. » On n'atteint pas Dieu en s'abstrayant de la vie, mais en se plongeant dans la vie. On ne sert pas Dieu en détruisant, mais en construisant.

Si nous voulons que la France grandisse, faisons-la grande, chacun selon ses moyens. Ne détruisons pas les palais, les villes, les usines, les arts ou les sciences de l'ennemi; construisons des palais plus beaux, des villes plus saines, multiplions nos usines, perfectionnons nos sciences, épurons nos arts. Ce n'est pas la solidité de leur ciment, qui fait résistantes aux siècles les pierres d'une cathédrale, c'est l'esprit qui les pénètre.

A nous de renouveler l'esprit de toutes les choses françaises; nous le pouvons, puisque tant des nôtres versent leur sang pour cela; nous le pouvons, puisque le Maître de l'Esprit s'offre à nous aider. Telle est la leçon essentielle de cette guerre: que chacun de nous sente tomber sur sa tète l'eau régénératrice d'un baptême mystique; et que, fort de cette pureté inédite, chacun de nous recommence sa vie; ou plutôt qu'il la continue en la transfigurant.

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Toutes les batailles ne se livrent pas sur le front; nos coeurs peuvent être le théâtre de luttes tragiques. Et ces combats, si cachés soient-ils, si personnels semblent-ils, si différents du drame militaire, peuvent avoir une influence sur lui. Un homme vraiment digne de ce titre, quelque obscure que soit son existence, quelque modeste que soit son rang social, exerce une action importante quoique indiscernable. En accomplissant la loi du Christ, il est plus utile à sa patrie, que tel génial concitoyen dont le coeur aime d'autres dieux que Dieu.

L'effort individuel est donc indispensable. De sa perfection, de la perfection de nos rapports avec Dieu dépend, en partie, le salut de la nation. Quel que soit le travail confié à nos mains, qu'il devienne une arme pour la victoire! Combattons surtout avec ce glaive dont l'Empereur du monde à glorifié la forme par son sacrifice: par le glaive de la Croix.

Je vous ai dit ce qu'est notre patrie dans le dessein providentiel. Au-dessus de la France physique, plane dans la mémoire des hommes, la France immortelle; mais au-dessus encore, se tient la France éternelle. Lorsque plus tard, dans une contrée que je ne puis désigner, se réalisera sur la terre l'image vivante du Royaume de Dieu, ce séjour de la fraternité vraie, de la liberté la plus sainte, de l'égalité construite sur l'harmonie, ce ciel terrestre se nommera encore la France.

Et tous nous nous y retrouverons dans l'allégresse, puisque nous aurons peiné ensemble dans les larmes.

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Voilà donc presque terminée la série des entretiens qu'il m'a été permis d'avoir avec vous. Il faut maintenant que j'aille à d'autres besognes. Plusieurs fois déjà, en vous quittant, je vous ai dit que, puisque vous étiez venus m'entendre dans l'espoir d'une Lumière, cette Lumière continuerait, malgré mon absence, à nous unir, à grouper nos fatigues, à centraliser nos succès. Aujourd'hui bien plus encore, notre Maître, Celui qui nous guide tous et qui est en même temps l'Ami fidèle de chacun de nous, prendra soin de cette communauté spirituelle, de cette communion vivante.

Gravez cette vérité dans le profond de vos coeurs. Le Christ vous aide, vous surveille et vous aime chacun personnellement. Que cette certitude vous redonne à chaque aurore un courage nouveau, et chaque crépuscule une sérénité grandissante. Laissez les théories et les discussions; faites des oeuvres. Allez chaque jour jusqu'à la limite de vos forces: il faut une telle énergie. Car si beaucoup de soldats ont souffert et sont morts pour la France, combien de civils trouverait--on de qui le coeur ait éclaté de douleur, d'amour et de prière?

Quand nous étions dans le calme, je vous disais les efforts surhumains que demande la conquête de Dieu. Quels efforts ne devrait-on pas maintenant accomplir?

Travaillons donc, mes amis, à coeur perdu. Vous savez que je serai toujours là pour vous indiquer la direction, puisque j'ai reçu l'honneur lourd et immérité de la connaître avec certitude. Considérez-moi, non pas comme votre guide: il n'y a qu'un Guide,- mais comme votre compagnon de route. Un compagnon fidèle et qui restera à vos côtés, jusqu'au jour de béatitude où nous pourrons nous présenter tous ensemble, sans un seul retardataire, devant le Très-Bon, devant le Bien-Aimé de Dieu, devant notre Ami.