CHAPITRE VI


La Maison Spirituelle


Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi les vôtres; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos offenses.


Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air accablé comme les hypocrites qui se composent
un visage exténué afin que les hommes remarquent qu'ils jeûnent; en vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, oins ta tête et lave ton visage afin qu'il ne paraisse pas aux hommes que tu jeûnes, mais seulement à ton Père qui est là, dans le secret; et ton Père qui voit dans le secret te le rendra.


Ne vous amassez point de trésors sur la terre où la teigne et la rouille détruisent et où les voleurs percent et dérobent; mais amassez-vous des trésors dons le ciel où la teigne ni la rouille ne détruisent et où les voleurs ne percent ni ne dérobent; car là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur.

Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumônes.


La lampe du corps, c'est l'oeil; quand ton oeil est sain, ton corps entier est éclairé; mais si ton oeil est en mauvais état, ton corps entier est dans les ténèbres. Prends donc garde que la lumière qui est en toi ne soit pas ténèbres.


Nul ne peut servir deux maîtres; ou bien, en effet, il haïra l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon.


C'est pourquoi je vous dis :
Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez et de ce que vous boirez; ni pour votre corps de quoi vous serez vêtus. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ? Considérez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ni n'amassent dans des greniers; et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux ? Qui d'entre vous pourrait à force de soucis ajouter une coudée à sa taille ? Et quant au vêtement, pourquoi vous en inquiétez-vous ? observez comment croissent les lis des champs; ils ne travaillent ni ne filent; cependant je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n'était pas vêtu comme l'un d'eux.


Si donc Dieu revêt ainsi l'herbe des champs qui est aujourd'hui et qui demain sera jetée dans le four, combien plutôt vous vêtira-t-il, ô hommes de petite foi ? Ne vous inquiétez donc point, disant : Que mangerons-nous ? ou : que boirons-nous ? ou : de quoi serons-nous vêtus ? Car toutes ces choses, les païens les recherchent et votre Père céleste sait que vous en avez besoin . Mais cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice et toutes ces choses vous seront données par surcroît.



Ne vous inquiétez point pour le lendemain; car le lendemain aura soin de lui-même. A chaque jour suffit sa peine...


Ne crains point, petit troupeau, car il a plu à Dieu de vous donner le Royaume...


Ne jugez point et vous ne serez point jugés. Car du même jugement dont vous aurez jugé, vous serez jugés vous-mêmes. Ne condamnez point et vous ne serez point condamnés, pardonnez et il vous sera pardonné. Ne jugez pas sur l'apparence, jugez au contraire suivant la justice. Vous, vous jugez selon la chair; mais moi, je ne juge personne.


Donnez et il vous sera donné, on, vous donnera dans votre sein une bonne mesure pressée, secouée, débordante; car on se servira pour vous de la mesure avec laquelle vous mesurez.


Pourquoi regardes-tu la paille qui est dans l'oeil de ton frère tandis que tu n'aperçois pas la poutre qui est dans ton oeil ? Ou comment dis-tu à ton frère : " Permets que j'ôte cette paille de ton oeil " alors qu'il y a une poutre dans le tien ? Hypocrite ! Ote premièrement de ton oeil la poutre et alors tu verras à ôter le brin de paille de l'oeil de ton frère.


Ne donnez point ce qui est saint aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux; de peur qu'ils ne les piétinent et que, se tournant vers vous, ils ne vous déchirent.


Supposons que l'un de vous ait un ami et qu'il aille le trouver au milieu de la nuit pour lui dire : Mon ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis en voyage est arrivé et je n'ai rien à lui offrir ! L'autre lui répond de l'intérieur : " Ne m'importune pas; ma porte est déjà fermée et mes enfants et moi sommes couchés : je ne puis me lever pour t'en donner ! " Je vous le dis : quand même cet homme ne se lèverait pas pour lui en donner en tant qu'ami, il se lèvera à cause de son importunité et mettra à sa disposition tout ce dont il a besoin.


Et moi aussi je vous dis : Demandez et on vous donnera; cherchez et vous trouverez; frappez et on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit; qui cherche trouve et l'on ouvrira à celui qui frappe.


Est-il un père parmi vous qui donnera une pierre à son fils s'il lut demande du pain ? Ou s'il demande du poisson, lui donnera-t-il un serpent au lieu d'un poisson ? Ou, s'il demande un oeuf, lui donnera-t-il un scorpion ? Si donc vous, tout mauvais que vous êtes, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père céleste donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui le lui demandent.


Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent faites-le-leur aussi vous-mêmes car c'est la Loi et les Prophètes.


Entrez par la porte étroite, car large est la porte et spacieux le chemin qui mènent à la perdition et nombreux sont ceux qui y entrent. Mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mènent à la vie et il y en a peu qui les trouvent.


Gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous déguisés en brebis, mais qui dedans sont des loups rapaces. Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur des épines, ou des figues sur des chardons. Ainsi tout bon arbre produit de bons fruits, mais le mauvais arbre donne de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits ni un mauvais arbre produire de bons fruits. Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. C'est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez.


L'homme bon tire le fruit du bon trésor de son coeur et de son mauvais trésor l'homme mauvais tire le mal; car de l'abondance du coeur la bouche parle.


Pourquoi m'appelez-vous : " Seigneur, Seigneur ! " et ne faites-vous pas ce que je dis ? Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : " Seigneur, Seigneur ! " qui entreront dans le Royaume des Cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. Plusieurs m'allégueront en ce jour-là : Seigneur ! Seigneur ! n'est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? en ton nom que nous avons chassé des démons ? en ton nom que nous avons fait plusieurs miracles ? " Alors, je leur dirai hautement :
Je ne vous ai jamais connus. Retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité ! "


Tout homme donc qui entend de moi ces paroles et les met en pratique sera comparé
à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont jetés contre cette maison-là; elle n'est point tombée, car elle avait été fondée sur le roc. Mais quiconque entend ces paroles que je dis et ne les met pas en pratique sera comparé à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et ils ont heurté contre cette maison-là; et elle est tombée et sa ruine a été grande.


Jésus avait fini de parler. Les multitudes étaient extrêmement frappées de son enseignement, car il le donnait comme ayant autorité et non pas comme leurs scribes.


MATTHIEU, ch. 6, v. 14 à 34; ch. 7, v. 1 à 29; LUC, ch. 12 v. 33 , 34; ch. 11, v. 34 à 36; ch. 16, v. 13; ch. 12, v. 22 à 32; ch. 6, v. 37. -- JEAN, ch. 7, v. 24; ch. 8, v. 15. - Luc, ch. 6, v. 41, 42; ch. 11, v. 5 à 13; ch. 13, v. 24; ch. 6, v. 43, 44; ch. 6, v. 46 à 49.


Comme nous traitons nos frères, le Père nous traite (Matthieu VI,14). Par conséquent, pour obtenir de Lui quelque faveur singulière, nous ferons bien, pour Lui exprimer notre souhait, Lui montrer notre bon vouloir, Lui prouver en quelque sorte que nous nous inclinerons tout de même devant Sa décision, quelle qu'elle soit, de nous priver de quelque chose agréable ou utile, au profit d'une tierce personne à qui manque cette chose.


Toutes les religions ordonnent différents jeûnes. Vous en connaissez le mécanisme. La vie, c'est une roue qui tourne et dont chacun des rayons occupe successivement la place de tous les autres. Si l'un de ces rayons voulait accélérer ou retarder, il y aurait rupture du rythme, à moins qu'il ne fournisse une compensation. Ce système d'échanges s'appelle, dans l'économie sociale, le commerce; en physiologie, la thérapeutique; en religion, le sacrifice.


Dans une sphère vivante de rayon et de fonctionnement connus, on pourrait formuler une science des sacrifices; on pourrait déterminer au moyen d'expériences appropriées que la suppression de telle énergie engendre telle autre énergie. La transformation des forces n'est pas une découverte moderne; des initiations préhistoriques ont su que la chaleur peut devenir lumière et que les forces psycho-physiologiques sont convertibles. Telle est la source de l'antique doctrine des correspondances et des signatures, base de toutes les sciences secrètes de l'antiquité. Les fragments qui nous en restent paraissent à nos savants bien vagues et bien hypothétiques, sans doute; mais, tout au moins, cette méthode a-t-elle l'avantage d'habituer l'esprit à rechercher les ressemblances et, par là, permet de parvenir à des synthèses hardies; au lieu que l'analyse, ne collationnant que les dissemblances, multiplie l'accumulation des détails et empêche le philosophe de s'élever aux vues d'ensemble. L'analyse et la synthèse sont deux opérations de la pensée qui ne devraient point s'exclure; ne l'oublions pas. Si la première, en bornant le regard, lui donne de la précision, la seconde fournit des arrêts le long de la rude route du Savoir, qui permettent à l'intellect de reprendre haleine et de s'encourager à repartir après avoir eu la satisfaction de classer les résultats acquis.


Les anciens sages employaient ce double mode d'étude à tous les êtres, tant physiques qu'invisibles, individuels et collectifs, concrets ou abstraits. Ils en réalisaient les données au moyen des arts occultes et avançaient ainsi d'expériences en hypothèses prudentes, puis d'hypothèses en expériences plus hardies. En particulier, pour la psychologie pratique, ils émondaient, par un précepte d'ascétisme précis, telle énergie humaine afin que telle autre croisse plus richement, comme fait le jardinier. Cette marche alternée était possible alors, parce que les roues dynamiques du monde tournaient dans un sens et avec une vitesse connus. Peu à peu les forces supérieures, sollicitées savamment, descendaient plus vite et, en réciproque, faisaient monter plus vite les forces inférieures. On procédait ainsi dans les collèges de Nabis ou de Tongsangs, à Bénarès comme à Ninive, à Thèbes comme à Delphes et dans la Celtide comme chez les Atlantes. Mais toute cette culture artificielle ne s'effectuait que dans l'orbe fermé de la Nature temporelle. Le Christ, en ouvrant un chemin nouveau au travers de cette Nature, depuis le Royaume du Père jusqu'aux lieux inférieurs, a tout bouleversé, multiplié par l'infini la force finie du sacrifice et ouvert aux hommes des issues jusqu'alors inexistantes vers la libération définitive. Toutefois il faut que les hommes suivent la voie qu'Il leur indique.


Dans Sa religion, toute Esprit et Vérité, il n'est plus besoin de temple ni de prêtre ni de victime. C'est Lui, Jésus, qui est le Temple à la fois, et le Prêtre, et l'Holocauste; et chaque disciple, dans la mesure où il imite son Maître, partage cette même extraordinaire prérogative.


Examinons le jeûne corporel. Quand le corps est privé d'un aliment auquel il a droit, les cellules de cet aliment souffrent, parce qu'elles subissent un retard dans leur évolution.


D'autre part, les cellules de réserve dans le corps accourent pour combler les lacunes physiologiques que ce jeûne produit; elles se sacrifient, elles meurent pour le bien général de l'organisme. Les souffrances de ces deux catégories d'éléments, l'intention dans laquelle on s'oblige à ce jeûne, les dirigent dans l'Invisible et elles deviennent des auxiliaires pour la réalisation du désir de l'ascète, elles donnent un corps fluidique à la force supérieure que ce dernier espère attirer.


Le mécanisme de la privation, quelle qu'elle soit, est analogue. Plus le besoin ou le plaisir supprimé aurait été intense, plus ce besoin ou cette joie sont subtils ou élevés, plus le dynamisme de l'abstention est actif; plus le but de l'abstinence est idéal, plus certain en sera l'effet. Ainsi la suppression d'un plaisir esthétique dégage plus de forces que la suppression d'un repas; la suppression d'une passion, encore davantage, et ainsi de suite.


Toute abstinence morale, intellectuelle, psychique imposée pour aider un de nos frères, fournit à ce secours spirituel des agents actifs. Mais il convient de ne pas faire de marché avec Dieu; ne Lui disons pas : " Si Tu m'accordes telle faveur, je ferai telle chose ". Il faut Lui offrir d'abord notre privation, et Lui dire : " Si Tu ne m'exauces pas, je ne murmurerai pas ni ne me découragerai, car Tu sais mieux que moi ce qui m'est le meilleur ou ce qui est bon à mon frère pour lequel j'ai jeûné ".


D'autre part, nous devons à notre corps la nourriture et le sommeil dont il a besoin. C'est pour cela que le jeûne n'est licite que si notre intention est dépouillée d'égoïsme. Plus tard, quand nous aurons payé toutes nos dettes, quand nous serons libres, nous pourrons légitimement commander à notre corps comme à toute la Nature.


Ainsi le jeûne évangélique diffère des entraînements occultistes, par l'intention; le vrai disciple s'oublie soi-même et négligerait au besoin le souci de son propre salut pour porter secours à l'un de ses frères.


De plus, le Christ nous le recommande, il ne faut pas publier ce que nous faisons de bien. Que personne ne s'aperçoive de nos jeûnes. Il faut apprendre à ne jamais montrer aux autres qu'un visage souriant, même sous le coup des pires épreuves. Si la tristesse devient insurmontable, cachez-vous pour pleurer, enfermez-vous dans votre chambre, que Dieu seul voie votre sacrifice. C'est là le seul chemin qui conduise à la vraie foi. L'homme ne peut recevoir de récompenses que de deux maîtres : ou du Prince de ce Monde ou du Seigneur du Ciel. Tout ce qui est de ce monde : réputation, éloges, succès et admirations, bonheurs temporels, ce sont là les récompenses du Prince; les récompenses du Seigneur restent secrètes; c'est pourquoi Ses Amis sont en général inconnus et peu estimés des autres hommes. Et, en somme, ne se trouve-t-on pas malheureux, ne se plaint-on pas, parce que notre confiance en Dieu est trop faible, parce que l'on trouve Son fardeau trop pesant, parce que l'on se juge avec trop d'indulgence ? Il devrait nous suffire de savoir que le Père nous voit sans cesse et nous aime (Matthieu VI, 14-18).

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" Les trésors sur la terre " sont les récompenses que distribue le Prince de ce Monde. Les joyaux, les beaux meubles, le luxe comptent parmi ces trésors, sans doute, mais aussi le succès, la réputation, la célébrité, la sympathie publique. Ces trésors-là, des voleurs nous les peuvent ravir; la gloire même d'un homme de génie subit des éclipses. Si l'on cherche un bonheur stable, c'est donc seulement dans la possession du stable, de l'immuable qu'il faut le situer. Or qui est immuable, sauf l'Éternel ?


Comment nous établir dans cette fixité ? C'est la plus difficile des entreprises, plus difficile que la conquête des empires; c'est le geste le plus simple si le Divin brille en nous.


La psychologie de l'Évangile est très simple. Elle indique d'abord un feu central, en l'homme, source du libre arbitre, mobile premier de tous nos mouvements conscients, et de quelques-unes des plus importantes activités de notre vie inconsciente. Ce feu est entretenu par une étincelle de la Lumière incréée qui est le germe du Verbe intérieur; le simple fait de vivre entretient ce feu; vivre selon la Loi du Christ le purifie et le porte au plus haut degré de chaleur et de clarté; de son état dépendent la croissance ou l'arrêt de la personnalité entière. L'unique travail indispensable est donc de se faire un coeur pur; et l'unique méthode de ce travail est de purifier nos mobiles.


Si l'activité d'un homme a un but naturel : fortune, gloire, science, puisque rien ne meurt, en quittant la terre le Moi de cet homme ira dans le monde invisible dont il aura convoité les formes terrestres. Or rien de ce qui fut créé n'est permanent; partout, jusque dans les étoiles les plus merveilleuses, il y a des voleurs et des parasites et des vermines destructrices. Seul le Royaume de Dieu contient et procure l'immutabilité, la certitude et l'innocuité.


L'intention change la qualité de la pensée, du désir et de l'acte; c'est donc en intention du Ciel qu'il faut vouloir et oeuvrer, pour obéir au Ciel et uniquement pour Le servir; car, si on travaille pour gagner le Ciel, le risque fatal de l'égoïsme mystique apparaît aussitôt. Un disciple prendra le contre-pied des coutumes des hommes; au lieu de chercher à gagner de l'argent ou, au moins, au lieu d'entasser de l'or improductif, il cherchera à donner celui qu'il possède (Luc XII, 33); et de même fera-t-il pour tous les genres de richesses que l'on peut acquérir.


C'est par son coeur que l'homme est grand; c'est par son coeur qu'il deviendra un jour le Roi de la Création; c'est par son coeur que l'Adversaire arrive à s'insinuer dans le reste de la Nature; c'est par son coeur que les êtres non humains peuvent parvenir à leur salut propre. Ce coeur est l'oeil de l'âme, le centre du tempérament et de l'entendement et des affections. Il est pour l'esprit ce que l'oeil est pour le corps; et c'est par l'oeil, ou plutôt par la qualité du regard que la dignité spirituelle de l'homme se laisse deviner : sa dignité ou son indignité. Actuellement ce coeur est malade, sa lumière est trouble, car nous nous ingénions à ne lui donner que d'impurs aliments; aussi nos regards sont-ils éteints ou obscurs. Si, comme le demande Jésus, nous parvenions à rendre ce coeur net et splendide, la personne totale, maison encore vide qui attend son mystérieux propriétaire, serait toute resplendissante de la plus douce, de la plus calme, de la plus limpide clarté (Luc XI, 34).


L'homme est un; son coeur spirituel confère à toute sa personne une vivante homogénéité. La vie de l'homme doit aussi être une; son amour doit être un; son idéal doit être un; et son oeuvre doit être une. Puisque nous ne pouvons pas même étendre le bras sans que ce foyer central s'intéresse à ce geste, nous ne pouvons pas non plus poursuivre à la fois plusieurs objectifs spirituels. Toute action de l'homme terrestre se traduit, dans le monde central de l'Au-Delà qui est proprement le monde du Verbe incarné, par une marche de l'homme spirituel vers le lieu invisible où réside l'idéal qui a inspiré cette action. Pas plus que le corps ne peut aller simultanément à Rome et à Berlin, notre esprit ne peut marcher vers deux idéals en même temps. La sagesse populaire dit : Ne cours pas deux lièvres à la fois. Pour qu'un travail soit bien fait, il faut y appliquer toutes nos forces et, s'il nous est impossible de penser à deux objets réellement à la même seconde, à plus forte raison ne pouvons-nous pas accomplir à la perfection deux oeuvres en même temps.


Et puis, il est plus difficile de ruser avec les surveillants invisibles de la Vie que de tromper son chef de bureau ou son patron. Impossible de ménager la chèvre et le chou; impossible également de ne servir personne; ceux même qui ne croient ni à Dieu ni à diable, s'ils vivent pour eux-mêmes seuls, c'est par le fait le Diable qu'ils servent. Ceux même qui, plus métaphysiciens, croient échapper à toute servitude en se réfugiant dans le Non-agir oriental, deviennent a leur insu les plus actifs esclaves du Prince des ténèbres; car le voeu caché par l'Adversaire, c'est qu'il tend à être, c'est qu'il est l'Immobile. Toutes les créatures, même les plus grandes, n'ont été mises au monde que pour apprendre l'obéissance; il faut choisir et, le choix fait, s'y donner totalement.


Nous semblons ici assez loin de cet état d'indolente inertie que beaucoup d'incroyants se figurent être l'état du vrai chrétien (Luc XII, 22 et suiv.). Quand Jésus nous conseille de ne pas nous inquiéter, quand Il nous donne l'exemple des oiseaux et des lis, Il termine Son exhortation, la plus touchante et la plus belle que jamais poète ait adressée à ses frères, en disant : " Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît ". Et, en effet, l'oiseau trouve sa nourriture et celle de ses petits parce qu'il réalise de tout pouvoir sa fonction d'oiseau; le lis, demain jeté au four, reçoit aussi sa nourriture et le plus splendide vêtement, parce qu'il réalise, de tout la force de ses racines et de ses feuilles, sa fonction de fleur. Mais l'homme, sa fonction propre, ce n'est pas de bâtir, de fabriquer, de commercer, de parler; cela, ce sont des formes de sa fonction. Sa fonction caractéristique, c'est de chercher, c'est de réaliser le Royaume de Dieu; c'est d'accomplir la loi de Dieu, c'est d'obéir au Christ. Et quiconque le tente sait combien ce travail-là exige de peines. Que l'homme donc fasse cela justement pour quoi il a été mis sur la terre, et tout le reste lui sera donné en effet par surcroît.


Le devoir du maître l'oblige à subvenir aux besoins de son serviteur; plus celui-là est élevé dans la hiérarchie spirituelle, plus celui-ci peut avoir confiance. Le Maître des maîtres, le Père, nous pouvons donc nous abandonner à Lui aveuglément, pourvu que nous nous fassions Ses Serviteurs. Telle est l'école de la foi. Le doute arrête et la chance terrestre et le secours divin. La foi fraie sa route à travers tous les halliers; elle perce les murs de tous les impossibles; sa culture demande des soins immenses sans doute, mais bien avant d'être parvenue à son développement complet, la foi nous donne des preuves de son pouvoir par les miracles qu'elle sème sous nos pas.


Cette croissance de la foi, aucune culture ne lui est plus efficace que la simple vie quotidienne animée par l'Amour. Notre vie, notre corps en sont les instruments; ne craignez donc pas qu'ils vous fassent défaut; si vous les employez au bon travail, le Maître prendra soin d'eux. L'heure de la mort n'est-elle pas inscrite, à quelques jours près ? Simplifions nos soucis; habillons-nous comme nous pouvons; nourrissons-nous de ce qui se présente. Moins nous mettrons de nous-mêmes dans les détails de notre existence, mieux nous parviendront les forces et les choses que la Providence nous destine précisément. Le mécanisme de ces destinations était recherché par les anciens Sages; le Christ l'a complètement transformé; aujourd'hui, il serait presque impossible de s'en rendre compte et, au surplus, cette science empêcherait l'essor de la foi en nous. Or le Christ est venu surtout pour faire lever la graine de la foi; parce que seule l'adhésion de notre conscience à des faits indémontrables jointe à cette destruction de l'idée d'impossible, qui est l'espérance, et à cette transmutation de l'égoïsme, qui est la charité, seuls, dis-je, ces trois mouvements surhumains permettent à l'homme d'atterrir aux rivages éternels, d'où il appareilla au siècle antérieur.


Si nous voulons être incorporés dans les rangs des Enfants de Dieu, nous ne devons plus vivre que pour accomplir la volonté de ce Dieu, sans aucun espoir de gain personnel; en retour, le Père pourvoit à nos besoins de tout ordre, les matériels aussi bien que les intellectuels. Le véritable enfant de Dieu, celui que Dieu a, pour ainsi dire, créé à nouveau, connaît tout sans étude, et peut tout sans effort.


Aide-toi, dit le proverbe, le Ciel t'aidera. S'aider, c'est faire tout son possible; quant à l'impossible, c'est Dieu qui S'en charge. Pour le disciple, tout vient de Dieu; les gens qu'il rencontre, les actions qui se présentent, les paroles qu'on lui adresse, chaque minute qu'il vit, ce sont des signes de la volonté de Dieu à son sujet, des cadres à de nouveaux devoirs, des occasions à son zèle. Dans cette conformité de son bon vouloir aux formes de la vie se trouve la paix et de ces contacts jaillissent les fontaines de la grâce. L'action divine est là, toujours, partout; plus nous croyons en elle, plus elle nous verse de forces; non point parce que notre croyance la crée, comme le prétendent les panthéistes, mais parce que notre foi perce les roches de la matière et de la mentalité commune. L'Amour divin s'offre à nous par toutes les créatures qui frappent à notre conscience à chaque instant du jour. Ces visions successives des volontés divines successives sont les feux mêmes de la sanctification. Moins on comprend, plus on peut entrer dans la foi; cependant il faut s'efforcer de comprendre, comme si la raison était notre seul guide; mais si on reste plongé dans la plus épaisse ténèbre, notre confiance ne doit pas vaciller d'une ligne. Lassitudes, obscurités, sécheresses, dégoûts, désespoirs, quel qu'en soit le motif ou l'objet, l'unique remède, c'est l'abandon à Dieu.


Que l'on fasse son devoir, l'inquiétude doit cesser puisque le Père est bon (Matthieu VI, 28 et suiv.). " Ne crains point, petit troupeau, il a plu à votre Père de vous donner le Royaume ". Non pas que le disciple hérite du Royaume quoi qu'il fasse en bien ou en mal; mais parce que, si bien qu'il agisse, si héroïquement qu'il travaille, l'héritage éternel est d'un prix tellement inappréciable que la valeur d'aucun effort humain ne peut lui être comparée et il reste toujours un don, une grâce gratuite.

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Pour que le nouvel homme croisse, le vieil homme doit être violenté dans toutes ses inclinations. Or une telle lutte, si âpre, si tenace, incessante, revêtant mille formes déconcertantes, demande que l'on s'étudie à fond; on doit déjouer toutes les manoeuvres de nos défauts et de nos vices; on doit, à chaque instant, inventer une parade ou trouver une énergie nouvelle. Comment faire si, tout d'abord, on ne s'arrache pas délibérément de ce sol au contact duquel le géant de l'égoïsme retrouve à chaque chute une force toute neuve ? Il faut donc avant tout être bon et être humble. La première bonté, c'est de ne pas faire du mal aux autres; la première humilité, c'est de ne pas se croire meilleur que les autres. Jésus nous dit tout cela en trois mots : " Ne jugez point ".


Le plus simple bon sens Lui donne raison. Nous sommes chacun différent de tous les autres; chacun nous avons notre destinée particulière et nos moyens d'actions personnels; chacun nous réagissons à notre angle propre. A la place de notre voisin, n'aurions-nous pas fait encore plus mal que lui ? Nulle entité ne peut en connaître une autre, au sens plénier du mot, que si elle a déjà suivi elle-même la ligne d'évolution de cette seconde. Actuellement, juger, pour nous, ce n'est pas comparer et classer, c'est critiquer et condamner. En jugeant ainsi, nous rétrécissons nos perspectives spirituelles; nous évoquons, nous appelons sur nous les causes de chute qui n'étaient pas sur nous dirigées et contre lesquelles nous ne sommes pas prémunis, nous quittons enfin notre route pour emprunter le chemin de celui que nous accablons. La Justice immanente nous traitera comme nous le traitons, elle nous amènera irrésistiblement à tomber dans le même piège, à commettre la même bévue, à donner dans le même travers. De là des retards, des détours, des souffrances et mille occasions bien superflues de nous tromper encore.


Il faudrait s'interdire même la critique muette que la langue ne formule pas, mais que notre coeur acide engendre en silence. Ce que les autres font ne nous regarde pas; à chacun sa route; nous ne pouvons juger que sur les apparences (Jean VII, 24), puisque, fussions-nous exactement informés du détail matériel de ce qu'a fait notre voisin, nous ne pouvons pas nous installer dans son âme, ni dans sa conscience, ni dans son corps. Nous jugeons selon la chair (Jean VIII, 15). Et Celui-là seul qui pourrait juger selon l'Esprit, c'est-à-dire la Vérité, Il ne juge personne.


Seules les douleurs du prochain devraient nous émouvoir. Laissez donc les sciences divinatoires et les curiosités superflues; appliquez-vous plutôt à vous connaître vous-mêmes à fond, en recherchant en vous les enchevêtrements de l'égoïsme. Cette étude suffit à remplir vos minutes de réflexion; vous laisserez vite vos voisins tranquilles. D'ailleurs, si nous ne possédions pas en nous la colère ou l'amour-propre ou l'avarice, nous ne pourrions pas les apercevoir chez autrui. Les fautes dans lesquelles on tombe le plus généralement sont celles-là mêmes qu'il importe par-dessus tout de combattre; la médisance est au premier rang de ces défauts habituels et le Christ nous l'indique bien puisqu'Il nous en parle si souvent.


Il ne suffit pas de ne pas user mal de la parole; il faut encore en user bien et pour le bien. Toute vérité n'est pas bonne à dire; la discrétion est une qualité importante et à l'acquisition de laquelle on ne s'attache pas assez. Dix fois par jour on raconte ce qu'a fait ou dit le voisin et on ne se rend pas compte du tort qu'on lui porte ou du mal qu'on propage ainsi.


Quant à enseigner les autres, c'est une des tâches les plus délicates; elle réclame plus que du savoir ou de l'éloquence.

Un discours uniquement logique n'atteint pas le centre spirituel de l'auditeur. On devrait être certain que celui-ci possède le germe des vérités profondes pour pouvoir lui en parler sans risque; donner à un esprit une lumière prématurée, c'est lui faire plus de mal que ne lui en ferait une blessure à son corps. Communiquer les choses saintes à ceux qui ne peuvent pas les concevoir, c'est un sacrilège et on risque de les voir pervertir cette lumière en la tournant au mal. On n'a pas à convertir les gens malgré eux. La propagande par l'exemple est bien moins aléatoire et tout le monde peut l'employer à coup sûr. Vous sermonnez un libre penseur; il ne s'entêtera que davantage dans son point de vue; mais, s'il vous voit vous dévouer sans bénéfice personnel, accueillir avec calme les épreuves et les ingratitudes, il se convaincra tout seul de votre sincérité et il se demandera de lui-même quelle est donc la force de l'Idéal qui vous fait agir ainsi; il fera lui-même le travail de réflexion préparatoire et son coeur s'ouvrira par la suite sans heurts et tout naturellement (Matthieu VII, 6).


Notre parole atteint chez ceux qui nous écoutent le même centre psychique que celui dont elle découle chez nous : l'instinct, si elle est instinctive; l'intelligence, si elle est mentale; le coeur, si elle est émotive. Cette dernière est la plus vivante, donc la plus puissante. En tout cas, ne prenez point une attitude de maîtres; ne parlez que de ce dont vous êtes convaincus; ne donnez pas vos hypothèses pour des certitudes; avant de parler, priez; et préparez-vous à la parole par une purification diligente. Alors Dieu fera le reste; Il vous soufflera ce qui sera bon à dire; Il donnera la force persuasive à vos discours. Ainsi vos auditeurs ne perdront pas à vous écouter un temps de l'emploi duquel vous devenez responsables et ils s'assimileront les lumières convenables à leur état.


Vous ne satisferez pas à ces conditions si vous n'êtes humbles. Si notre corps ne dépense pas ses forces, l'appétit fait défaut; si notre intelligence ne comprend pas qu'en somme elle ne sait rien, elle reste fermée aux idées nouvelles que Dieu voudrait lui faire entendre. Dieu est toujours prêt à secourir ceux qui se croient tout petits, ignorants et faibles. Demandez donc pour toute chose et sans cesse. Soyez importuns avec Dieu (Luc XI, 5 à 8), car personne ne sait prier; l'organe spirituel de la prière est atrophié; combien de mois de culture physique ne faut-il pas à un enfant malingre pour qu'il gagne un peu plus de torse ou de muscles ? La croissance de l'homme-esprit demande des soins encore plus persévérants.


Ne demandez point aux dieux, aux intermédiaires; peut-être vous exauceraient-ils plus vite, mais ils prendraient sur vous une créance dont il faudrait tôt ou tard vous acquitter, capital et intérêts. Ne demandez qu'à Dieu, au Christ, à la Vierge. Ceci, c'est " frapper ". Cherchez, en outre; donnez-vous du mal; dépensez vos forces à aider les autres, et votre intelligence à poursuivre le mal dans tous ses replis. Heurtez, c'est-à-dire allez jusqu'au bout de votre effort. Tant que le Père ne nous a pas exaucés, continuez à demander, même pendant des années; car souvent, nous ne savons pas ce que nous demandons; souvent ce que nous désirons obtenir nous ferait du mal; souvent le retard que Dieu impose à nos souhaits n'est que le temps nécessaire à nous mûrir, à nous rendre capables d'apprécier, d'utiliser le don qu'Il brûle d'ailleurs de nous faire. Au surplus, aucune fatigue n'est inutile; le moindre de nos gestes ni la plus petite syllabe de nos prières ne sont perdus; et le Père nous donnera toujours ce qui nous sera le plus profitable (Matthieu VII, II). Il dépend de nous que tout ce que nous Lui demandons devienne pour nous une source de béatitude et de force; à nos supplications les plus ardentes ajoutons toujours la formule de la confiance : " Que votre volonté soit faite, et non la mienne ". Moyennant cela, toutes nos prières, quels que soient leurs objets, leur réponse sera une descente de l'Esprit Saint (Luc XI, 13). Notre vie entière, notre vie complète, toute et toujours tendue vers le Ciel : voilà comment croîtront les pouvoirs et les facultés innombrables dont nous portons les germes. C'est en forgeant qu'on devient forgeron. Non pas que nos peines méritent salaire; en faisant notre devoir, nous rendons strictement à la Nature ce qu'elle nous a prêté. Mais, en faisant notre devoir par amour et par obéissance au Christ, Il nous paie au centuple de cette monnaie incorruptible dont le Père Lui a donné l'entière disposition.

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Les planètes, les soleils, les étoiles, les paradis, les enfers, tous les mondes concrets ou abstraits communiquent les uns avec les autres par des routes qui constituent comme le squelette de la Création. Ces routes sont immuables; les êtres qui les parcourent seuls changent. Ces voyageurs suivent naturellement les voies qui leur semblent les plus commodes; les routes les plus fréquentées sont donc les plus larges et les plus planes. La créature qui écoute ses préférences, qui veut voyager avec confort, avec le minimum de soucis, prend la grand-route; mais cet amour des aises, cet étalement du Moi conduit au royaume de l'égoïsme. Or, plus on a de commodités, plus on en veut avoir; il n'y a qu'à prendre le train pour observer ce trait. Et, d'exigence en exigence, on en arrive à une espèce d'idolâtrie du bon plaisir qui dessèche le coeur et qui le conduit aux portes de la Mort. Si vous voulez aller vers la Vie, il faut prendre les chemins de traverse, à peine frayés, où les pentes sont raides, où les fondrières abondent, où il n'y a pas d'hôtelleries, où de rares gendarmes vous protègent, de loin en loin. Il faut vous entraîner à la marche, à la faim, à la soif, à la solitude. Cette solitude est excellente parce que rien ne s'interpose entre le voyageur et le Grand Pèlerin des univers; elle est excellente parce que les seuls voyageurs qu'on y rencontre sont des envoyés du Père, parce que où les créatures se font rares, les anges se pressent plus nombreux; parce que, plus la vie matérielle est précaire, plus la vie spirituelle est plantureuse. Il y a de ces chemins perdus où ne passe guère qu'un voyageur par siècle; un temps viendra où vous serez de ces pionniers du Ciel. Mais, pour le moment, contentons-nous, sur la route commune où la Providence nous a lancés, de nous faire tout petits, de ne nous permettre que le strict nécessaire à nos commodités.


Vous ferez cela en saisissant toutes les occasions de vous effacer devant les autres, de prendre la dernière place, de choisir les partis difficultueux, de subir les malveillances et les empiètements. Il faut arriver à aimer le premier venu suffisamment pour le débarrasser de son fardeau dès qu'il le demande et avant même qu'il le demande si vous le voyez timide ou exténué. N'attendez pas que des occasions héroïques se présentent; commencez par les sacrifices les plus vulgaires. C'est par beaucoup de petits efforts qu'on devient capable d'en accomplir de grands (Luc XIII, 24).


Cette doctrine que Jésus enseigne est la seule vraie. Nulle autre part, même dans ces mondes radieux dont rêvent les poètes et où vivent des créatures dont la puissance et la beauté nous frapperaient d'une admiration oppressante, il n'a été promulgué de vérités plus vraies ni plus complètes que celles de l'Évangile. Ne vous précipitez donc pas à la suite des adeptes, des révélateurs, des surhommes avant d'avoir examiné les fruits de leur enseignement. Si vous avez affaire à un serviteur de Dieu, il ne se formalisera pas de votre réserve.


De plus en plus vont surgir des thaumaturges; ils foisonnent aux époques de crises; les sources de leurs pouvoirs sont rarement pures : c'est toujours la lumière de ce monde, l'esprit de ce monde, le prince de ce monde. Qu'aucun miracle ne vous suggestionne ni même ne vous étonne. Le Ciel ne peut-Il pas tout ? Et ne laisse-t-Il pas toujours l'Adversaire le champ le plus libre, puisque de l'excès du Mal sort toujours un Bien plus éclatant ? Voyez au nom de qui ces thaumaturges agissent, voyez s'ils emploient la contrainte; car toute contrainte à la liberté des êtres est illicite. Laissez les entraînements volontaires, l'hypnotisme, la suggestion, les expériences psychiques, la magie; même si l'on y consentait, ne réduisez personne à la position de sujet. Ne savez-vous pas que le monde invisible existe, animé par des milliers de forces inconnues, peuplé d'innombrables hiérarchies ?


Et le monde physique n'offre-t-il pas un champ plus que suffisant à votre activité ? (Matthieu VII, 15)


Si vous entrez dans les pays interdits, vous n'y apporterez que du trouble, vous n'en rapporterez que des maux; et le Destin vous obligera de recommencer votre travail, soit par une incarnation réparatrice, soit par l'expiation que le catholicisme attribue au Purgatoire. A peine si nous nous connaissons dans la partie de notre être dont nous sommes conscients; notre inconscient nous est inconnu. La prudence commande donc de ne pas introduire en nous le désordre sous le prétexte de développer des pouvoirs transcendants. La clairvoyance par exemple, pour être normale et légitime, doit se produire spontanément et non artificiellement. Plus le coeur devient lumineux, plus le corps s'affine, plus l'appareil nerveux devient sensible à des vibrations subtiles, plus le champ de la conscience s'agrandit : telle est la seule voie licite. L'enfant de Dieu, pour voir ou pour agir à distance, n'a pas besoin de se mettre dans un état second; il connaît les choses cachées tout en conservant la pleine conscience du monde physique.


Seule la purification morale fait croître sainement les semences spirituelles; tout dépend du coeur. L'équilibre d'une machine dépend de son centre de gravité. Seul le coeur illumine ou enténèbre nos actes; seul il guérit ou il corrompt alentour; la science, pour importante qu'elle soit, n'est jamais qu'une image des choses; et un ignorant vertueux est plus près du Ciel qu'un savant pervers (Luc VI, 43.)


C'est ici que l'Évangile prononce, pour ceux qui entendent, le grand arcane de l'alchimie, de la macrobiotique et des autres sciences occultes; nous l'entendrons à notre tour, un peu plus tard, quand nous serons devenus incapables d'autre chose que d'accomplir la volonté de Dieu.

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En résumé, les bonnes intentions ne suffisent point; les actes sont indispensables; aucune ascèse n'est viable qui ne soit fondée sur des oeuvres (Matthieu VII, 2I; Luc VI, 46). Combien d'hommes commettent l'iniquité en invoquant le nom du Seigneur ! Tout ce qui naît de la volonté propre, et pas seulement la magie, est faux; la volonté propre prend, au lieu d'attendre que le Ciel lui donne, le bien qu'elle fait n'a que l'apparence du Bien, mais redouble le mal à l'antipode de son geste; et, plus l'homme est intelligent, plus son esprit est profond, plus il peut faire de mal en matérialisant dans des formules les bribes qu'il a pu capter des libres courants de l'Esprit.


Çà et là, à de rares intervalles, Dieu donne tel pouvoir à tel de Ses serviteurs. Parmi ceux qui les regardent, certains, par envie, par cupidité, ou par un zèle indiscret, cherchent les moyens de reproduire artificiellement ces miracles spontanés. Telle est l'origine de tous les arts occultes. Ces téméraires peuvent prendre en vain, je veux dire dans la vanité de leur présomption, le nom du Seigneur, du Christ et par là contraindre des invisibles à leur obéir; le sens de l'Évangile peut être perverti; ses maximes peuvent être inverties et servir à lier des consciences au lieu de les affranchir, à fasciner des naïfs, à assouvir des convoitises. Les enseignements du Christ cachent sous une simplicité parfaite les plus terribles mystères. Ce qu'il m'est permis d'en dire, ce n'est que des commentaires généraux; mais, dans son étude, il faut prendre garde à l'orgueil, il faut plonger à maintes reprises dans les profondeurs toniques de l'humilité. Celui des téméraires auxquels je fais allusion qui se lance dans ces recherches avec sincérité, avec bénévolence, ne parvient tout de même à construire que des mirages ou des fantômes. Nous sommes dans le physique, c'est le physique où il faut travailler, c'est dans le physique qu'est notre école. Si, un jour, notre Moi reçoit un corps plus subtil, s'il naît sur un monde plus éthéré, ce sera cet éther-là qu'il devra brasser; il aurait tort si, à ce moment, il voulait reprendre contact avec la matière terrestre; la même erreur il commettrait que ceux qui, autour de nous, tendent leurs désirs vers la connaissance et la captation de l'Invisible.


C'est en accomplissant, avec le meilleur vouloir et le plus de simplicité, les oeuvres que chaque minute nous apporte que nous nous préparons, pour après la mort, cette maison mystérieuse dont Jésus seul nous parle (Luc VI, 48 et suiv.). Un homme qui ne se soucie pas du Ciel se bâtit aussi une maison; mais dans l'Invisible créé, dans les royaumes de la richesse, ou de la gloire temporelle, ou de la science relative. Seulement, dans le royaume du Christ, il sera sans abri, solitaire, errant comme les démons des lieux néfastes que fuient les êtres vivants. Un homme qui se contente de bonnes intentions se construira bien une demeure dans le royaume lumineux, mais elle sera légère et les épreuves, les orages de l'Invisible la renverseront. Seul l'homme qui agit pour Dieu bâtit sa maison sur un roc, sur le roc éternel, sur ce Christ qui est la Pierre immuable et son avenir sera assuré à jamais. Si l'on admet les existences successives, on comprend que chacune d'elles prépare la suivante et dans sa trame formelle et dans sa qualité essentielle. Si l'on n'admet qu'une existence unique, réaliser en oeuvres l'enseignement du Christ mène à cette vie certaine et indestructible que l'on nomme le Paradis.


S'examiner avant d'agir selon la plus rigoureuse conscience, pour chasser le mal en nous jusque dans ses retranchements secrets, purifier nos mobiles, oeuvrer enfin avec toute la force, toute l'intelligence, tout l'amour que nous possédons : telle est la méthode que l'Évangile nous propose, la seule qu'on puisse appliquer en toutes circonstances avec une entière certitude.


Le compte rendu du Sermon sur la Montagne se termine ici. Le Christ va passer maintenant de la théorie à la pratique. Saint Matthieu souligne pour conclure le ton affirmatif qu'a pris le Maître pour enseigner. Cette autorité souveraine ne laisse pas de place aux subtilités dubitatives; elle impressionne l'auditeur mieux que les périodes éloquentes. Jésus, en effet, le premier, l'unique entre tous les révélateurs religieux, ne raconte pas des choses qu'Il aurait apprises; Il sait tout de toute éternité; rien de ce qui se passe dans l'univers ne peut Lui être inconnu; un coup d'oeil et la créature qu'Il regarde, Il la pénètre de part en part, que ce soit une étoile ou un caillou, que ce soit un infusoire ou le régent d'une constellation. Le Père communique au Christ tous Ses projets, puisque l'infinité de l'action divine, c'est le Verbe. Aussi l'humble disciple se prosterne devant les paroles de son Seigneur que la malveillance ni l'ignorance n'ont pu, quoique prétendent les exégètes, altérer essentiellement. Il les étudie, ou plutôt il les contemple; il adore à travers elles Celui qui les prononça et il en reçoit, par une communication supérieure à l'intelligence, des vertus toujours neuves et toujours surabondantes. Ainsi l'existence de ce serviteur se développe dans des formes variées, mais selon une plénitude croissante de lumières, de forces et de béatitudes.

FIN