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La tombe de Sédir au cimetière Saint-Vincent à Paris
 
(Article publié en 1972 dans le guide des cimetières Parisiens)
 

    Sauf à la Toussaint et le Jour des Morts, il n'y a guère plus de vingt visiteurs, chaque semaine, au cimetière Saint-Vincent. La plupart d'entre eux suivent la grande allée qui prolonge la rue Lucien-Gaulard. Ils s'arrêtent, à gauche, presque contre le mur du nord, devant la tombe de Sédir.

   C'est le seul beau monument de la nécropole : une épaisse dalle verticale de porphyre, timbrée d'une reproduction en bronze de la médaille du Campo dei fiori et portant comme seule inscription : SÉDIR.

   Une petite vieille s'approche en trottinant, dépose un bouquet de quelques francs, joint les mains, marmotte très vite, puis s'en va, ou plutôt s'enfuit. Au bout de quelques pas, elle se retourne, m'aperçoit, précipite sa marche claudiquante, aussi vite que lui permettent ses vieilles jambes.

   Je me dissimule derrière un mausolée proche, celui de la famille de Vadder. Une demi-heure ne s'est pas écoulée que parait une nouvelle Orante. Une jeune femme, sans doute une dactylo ou une vendeuse de Monoprix. Elle touche la dalle, puis le médaillon. Il y a, dans ses yeux verts, une expression si intense que je m'approche. Quand je suis tout prés, elle me sourit :

   Vous venez... vous aussi?... Moi, il a guéri maman... Il fait encore plus de bien mort que vivant. Mais pour un être comme lui, qu'est-ce que cela signifie, la Mort ? Vous venez souvent ? Moi, tous les mois, au moins.

   Elle parle vite, essoufflée, puis me regarde avec surprise, un peu d'inquiétude. Elle s'étonne sans doute de mon silence, après ces propres confidences. Je réponds :
- Je l'ai connu, vivant, et j'ai assisté à son enterrement, ici.

Elle pousse un léger cri, recule d'un pas :
- Seriez-vous ?... vous ne seriez pas ?... Théophane ?
- Non, un simple ami. Un vieil ami. A chaque fois que je vais à Lyon, je m'arrête au cimetière de Loyasse... sur la tombe de qui vous savez.
- Je me nomme Jeanne.
- J'intercéderai pour vous, ici, et à Lyon. Souvenez-vous de ce qu'il recommandait, par dessus tout : ne jamais dire du mal du prochain.
Jeanne baisse la tête, rougit, me quitte...

 
L'enterrement
 

Sédir mourut à Paris chez ses amis, les Graf Denried de Villars. L'enterrement eut lieu le 6 février 1926. Voici le récit d'un témoin :

   «Le 6 février 1926, le cimetière Saint-Vincent fut le théâtre d'une cérémonie extraordinaire, unique sans doute dans les annales funéraires de Paris. Après un service solennel célébré à Notre dame-de-l'Assomption, un cortège magnifique - première classe exceptionnelle - traversa tout Paris. Le corbillard était attelé à quatre chevaux caparaçonnés de noir et d'argent, tenus en brides par des valets funèbres. I1 était suivi d'un grand nombre de voitures de deuil, aux chevaux également caparaçonnés. En se signant ou en saluant, les passants se demandaient quel était ce prince qui allait rendre à la terre son corps périssable.

Au cimetière une bière d'un bois rare, massive, fut tirée du corbillard et posée sur le sol devant une fosse béante. Alors, à la stupeur, à l'effroi des assistants (parmi lesquels je me trouvais), le couvercle fut dévissé. On tira du cercueil magnifique un cercueil de bois blanc -celui des pauvres- qui, seul, fut confié à la terre.» .