LES FANTOMES NOCTURNES 
ET LES VISIONS SURNATURELLES 
( 17 Février 1912 )
 
 « TOUT SE PASSE EN PARABOLES, AFIN QUE, REGARDANT,
ILS REGARDENT ET NE VOIENT PAS; 
 QU'ÉCOUTANT, ILS ÉCOUTENT ET N'ENTENDENT PAS...  ». 
 (MARC IV, 12.)
 
 Pendant le tiers environ de notre existence, notre être conscient est condamné au repos.  Le disciple, qui prend un soin scrupuleux de ne rien déranger dans la Nature et d'utiliser toutes les ressources qu'elle nous offre spontanément, transforme ces heures en travail spirituel.  C'est la méthode de cette transformation que je voudrais vous expliquer aujourd'hui. 

 Les matérialistes enseignent que les rêves sont, ou d'origine physiologique : mauvaise digestion, mauvaise circulation, ou d'origine mnémonique : souvenirs conscients ou inconscients, associations d'idées par séries disparates.  Il y a, en effet, des rêves produits par ces causes, et qui ne possèdent point de valeur spirituelle; mais il en est beaucoup qui ont une origine objective, extérieure à nous et qui contiennent un sens prophétique illuminateur ou thaumaturgique.  Ce sont les songes proprement dits; l'Écriture en est pleine d'exemples. 

 Nous avons tout d'abord à nous rendre compte du phénomène du sommeil, puis du mécanisme du rêve; ensuite, nous chercherons où se déploient les scènes rêvées; nous étudierons les effets des songes, leurs significations et enfin la manière de se préparer à en recevoir de vrais. 
 

* * *

  Il n'est pas utile de détailler tous les systèmes complexes, élaborés par les différentes écoles d'ésotérisme, sur la constitution de l'homme.  Tenons-nous-en aux vues les plus simples. 

 En plus de son corps physique, qui n'est par lui-même qu'une matière inerte, trois principes se réunissent dans le composé humain : la vitalité, l'od, le magnétisme, le double; l'esprit, intermédiaire en partie conscient par les facultés sensorielles et mentales, en plus grande partie inconscient par tous les autres organes de relation avec l'Invisible; c'est le siège du moi, de la volonté, du libre arbitre; 
 l'âme, étincelle éternelle, incréée, lumière du Verbe, actuellement en veilleuse, mais qui prendra toute sa splendeur au moment de notre nouvelle naissance mystique. 

 Pendant le jour, c'est l'esprit conscient qui gouverne au moyen de la force nerveuse cérébro-spinale; pendant la nuit, cette force étant épuisée, le conscient se repose, tandis que les accumulateurs se rechargent par le cervelet; l'esprit inconscient, si l'on peut parler de la sorte, s'éloigne du corps, se divise même parfois; et les actes qu'il effectue dans ces courses, les rencontres qu'il fait, les scènes auxquelles il assiste, ne se transmettent à la conscience que s'il reste dans le corps, et surtout dans le cerveau, assez de force nerveuse pour les enregistrer.  Ainsi, on rêve constamment, mais on ne se souvient que rarement. 

 Cet esprit, intermédiaire entre l'âme et le corps, n'est pas un halo, une aura, un oeuf fluidique; c'est un véritable organisme, bien plus complexe et plus délicat que le corps de chair et dont les nombreuses propriétés siègent dans des localisations différentes.  Il possède des fonctions de nutrition, de respiration, d'innervation; des organes de locomotion et de perception; une intelligence, du libre arbitre; et chacune de ces facultés correspond avec une des parties du corps physique.  De même que le muscle grossit en raison du travail mesuré qu'on lui impose, de même cet esprit se développe par les exercices qui lui sont propres : ambitions, inquiétudes, efforts volitifs, vertus, vices.  Les entraînements artificiels de l'ésotérisme l'accroissent aussi, mais d'une façon hâtive et anormale.  De tous les travaux de l'esprit, seule la lutte contre l'égoïsme l'affine et le purifie. 

 En outre, de même que, dans le corps de chair, entrent par l'alimentation et la respiration des molécules de tout ordre, de même, dans l'esprit, entrent, s'installent, repartent, vivent et meurent toutes sortes d'esprits subordonnés.  Ces visites produisent dans la conscience les intuitions, les idées, les sentiments, les découvertes; elles rendent possibles les événements de l'existence, les maladies, les rencontres; enfin elles participent à la production des songes. 
 

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 Pendant le sommeil, l'esprit s'aventure donc plus ou moins loin.  Quand il va dans un pays très inconnu, il s'y trouve étranger, puisque ni ses propres éléments ni les cellules corporelles n'ont d'affinités avec les choses de cette région.  Il a beau regarder, s'instruire, aller et venir, le cerveau ne peut rien rapporter à la conscience de ces enquêtes, puisque ses molécules sont incapables d'enregistrer des messages qui ne les font pas vibrer. 

 Quand la promenade est courte, au contraire, les objets sont plus familiers, l'expérience s'enregistre. 

 Il faut dire que ces excursions peuvent très bien avoir lieu pendant le jour; mais alors on ne s'en aperçoit pas, parce que la force nerveuse est presque tout entière employée aux actes de la conscience, et aussi parce que notre cerveau n'est pas assez robuste pour supporter une double tension, ni notre volonté assez calme pour résister aux désirs nouveaux que ferait naître cette vie seconde. 

 Le songe remplace avantageusement toutes les inventions par lesquelles la science ésotérique établit les rapports volontaires de l'homme avec l'Invisible.  C'est un phénomène normal, sain, à la portée de tout le monde; il ne demande pas un genre de vie spécial.  De plus, la Nature lui prépare avec soin les conditions les meilleures; le milieu est organisé en vue de notre instruction nocturne comme il est organisé pour notre subsistance corporelle.  Pendant la nuit, la circulation magnéto-tellurique change, l'atmosphère est débarrassée de certains éléments trop actifs; la lune remplace le soleil jaune, d'autres ordres de génies s'approchent de la terre; le sol, la mer, les arbres, les animaux émanent une aura spéciale et exercent une influence propice au dégagement de l'esprit. 

 Tout ce qui peut devenir la cause d'un rêve : les anges, les dieux, les démons, les défunts, les clichés, les images de ce qui fut, les fluides en déplacement dans les espaces intérieurs, les esprits des choses et des vivants, les images de ce qui a lieu, à cette heure, et de tout ce qui aura lieu jusqu'à la fin, en un mot, la Vie tout entière peut venir se refléter dans le miroir translucide de l'imagination. 

 Mais les facteurs du songe les plus fréquents sont les clichés du destin personnel et les visites des membres de la famille spirituelle. 

 Notre moi central se rattache, vous le savez, au coeur de l'Univers, au plan du Verbe; nous y sommes groupés par familles.  Chacun de ces groupes, dont tous les membres se ressemblent, même corporellement, et, par suite, ont à faire des travaux identiques, suit la même route.  Ainsi, par exemple, l'aîné de la famille à laquelle j'appartiens possède, en plus parfait, les mêmes facultés que moi-même; il rencontre des clichés divers, mais plus tôt que moi; il se peut qu'il ait reçu le cliché de la tuberculose il y a trente ou cinquante ans et que moi, je ne le rencontre que dans dix ans.  Au point de vue de Sirius, cet écart est insignifiant; mais si j'étais déjà né sur terre quand mon chef de file est devenu phtisique, j'ai pu en rêve ressentir une douleur au poumon, pour me prévenir de l'épreuve encore lointaine. 

  On ne rêve donc que des choses qui possèdent en nous une délégation, une cellule physique ou psychique de même nature.  Pour qu'un cliché m'affecte, il faut qu'il trouve en moi un point où s'accrocher; le rêve est ce contact.  C'est pour cela que le seul fait d'être averti d'une épreuve en diminue la rigueur ou augmente notre résistance; les myriades de petits génies dont le travail nous fait vivre s'inquiètent alors, se préparent à la défense et vont partout chercher du secours. 

 Ainsi l'être de l'homme recèle les germes de tous les bonheurs, de tous les malheurs et de toutes les prérogatives.  Sa dignité est donc très haute, sa mission grave et ses responsabilités lourdes. 
 

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 Le songe, regardé du plan physique, a trois valeurs : l'une de prophétie, l'autre d'instruction, la troisième de thaumaturgie. 

 Il est prophétique quand il est produit par le cliché d'un événement futur.  A ce que nous avons déjà dit des clichés, ajoutons que notre esprit peut ou les recevoir ou simplement les voir.  Dans le premier cas, il y aura présage personnel; dans le second, une indication fortuite qui n'intéressera le dormeur que de loin. 

 Le songe peut instruire, fournir un renseignement, même de science positive, révéler des secrets naturels, résoudre une difficulté de mécanique, donner une illumination.  Mais un songe ne nous renseigne jamais sur le moral de quelqu'un avant que nous soyons maîtres de nous-mêmes pour conserver malgré tout des sentiments d'indulgence, de justice et de bienveillance.  En effet, la trahison, la duplicité ne nous attaquent que lorsque nous les avons méritées par notre conduite antérieure.  Escamoter une épreuve est un mauvais calcul; il faudra la subir tôt ou tard. 

 L'activité du sommeil se transmet parfois au plan physique.  A force de contrôler les impulsions nerveuses, passionnelles ou mentales, à force de les soumettre à la Loi du Christ, dans la sphère de la conscience, le pouvoir volitif en atteint les racines secrètes, dans la sphère de l'inconscient.  On acquiert de l'autonomie au milieu des songes les plus mouvementés; on peut réfléchir, juger, agir, comme au physique, avec toute sa présence d'esprit. 

  Alors l'homme intérieur devient responsable, il est vrai; mais les limites de son action s'étendent singulièrement.  Et comme cet état psychique n'est accessible que si notre coeur a pénétré le coeur universel : le Verbe, les actes du rêve se répercutent sur le physique, à cause de la puissance que leur confère cette pénétration.  On reçoit les rapports des anges, on les dirige, on commande avec la permission du Ciel; on peut guérir, redonner de la chance, éviter un accident.  Telle est la première école de la théurgie. 

 Le cerveau, l'appareil nerveux tout entier, la vie physique s'affinent progressivement; la matière pèse moins; et le jour arrive où le sommeil n'est plus indispensable à l'enregistrement dans la conscience des activités spirituelles.  L'on finit par percevoir simultanément le monde physique et un des mondes invisibles; on est alors, comme disent les brahmanes, un Dwidjà, un deux fois né, un homme à double conscience.  Toutefois, notez-le bien, seul le disciple parfait de l'Évangile perçoit le royaume central de l'Invisible, celui où habite réellement le Verbe Jésus. 

 L'accomplissement des préceptes chrétiens est l'unique porte de cette demeure mystérieuse; et l'humilité la plus profonde est la seule nourriture qui puisse soutenir l'organisme soumis à cette double tension; aucun régime, aucune drogue, aucune discipline humaine ne permet à la Lumière éternelle de pénétrer l'être du disciple et de le régénérer jusque dans la moelle de ses os.  Néanmoins, quand un avis est urgent, le Ciel S'arrange pour nous le transmettre, même pendant la veille, même dans le tourbillon des affaires, n'importe où.  Tels sont certains phénomènes de télépathie, de clairaudience, d'apparitions. 
 

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 Comment interpréter les songes, j'entends ceux qui viennent de l'Esprit pur ? 

 Ce sont des secours; il faut essayer de les comprendre pour pouvoir les utiliser, ne serait-ce que par déférence. 

 Pourquoi, demandera-t-on peut-être, le Ciel ne nous donne-t-II pas ces renseignements sous une forme plus intelligible ?  Pour nous faire travailler; pour nous faire apprendre une leçon ignorée et qui nous serait indifférente si la curiosité ne nous aiguillonnait; pour nous ramener vers la Vie, dont la tendance orgueilleuse du mental nous détourne insensiblement.  La langue du rêve est la langue universelle, la langue de la vie.  Les simples la comprennent, parce qu'ils sont plus près de la réalité, parce qu'ils se contentent de vivre.  De tous les simples, c'est le mystique qui déchiffre le mieux ce langage, et qui, de plus, le parle, parce que c'est lui qui vit avec le plus de profondeur et le plus d'intensité. 

 Les êtres compliqués, au contraire, d'une culture artificielle, enchevêtrés dans les systèmes, dans les abstractions, dans les jeux métaphysiques, ne perçoivent plus la Vie, mais seulement son reflet mental. 

 La science des songes est donc intuitive, une science du coeur, un art à proprement parler.  S'y exercer est un travail excellent pour l'intelligence, pour l'imagination; il nous fait faire des progrès dans la connaissance de nous-mêmes.  Car, si la médecine hippocratique notait soigneusement les rêves des malades, la vie du sommeil éclaire aussi de la façon la plus heureuse les replis de l'être intérieur et les images de l'inconscient. 
 

 Disons tout de suite que les nuits où on ne croit pas avoir rêvé, les rêves que l'on ne comprend pas contiennent presque toujours une force très active.  On ne s'assimile bien que ce qui nous est très proche; ainsi l'union divine est difficile, parce que nous nous tenons loin de Dieu; ainsi le disciple du Christ n'a presque toujours pour se conduire que les ténèbres profondes de la foi. 

 Pour bien juger des rêves divins, il faudrait d'abord vivre dans l'habitude de la Vérité.  Rien en nous n'est pur, ni le coeur, ni les nerfs, ni le principe pensant; aucune perception n'est donc absolument exacte.  De plus, le mal qui émane de nous vicie l'atmosphère seconde autour de nous et en déforme les objets.  Dans l'immense majorité des cas, le dormeur ne voit pas avec exactitude; il n'entend pas bien les paroles de ses visiteurs spirituels; les milieux qui séparent les esprits des hommes du plan de la Vérité donnent toujours des réfringences.  Et nos sens, corporels ou spirituels, ne nous procurent que des certitudes approximatives. 

 Par conséquent, en interprétant les songes, il faut se garder des craintes superstitieuses et se souvenir que nous sommes veillés par le Christ avec la sollicitude la plus tendre et la plus vigilante. 

 En second lieu, il faudrait apprécier la profondeur du sommeil.  De même que, lorsqu'on travaille, quelques parties seulement de l'être travaillent tandis que le reste est distrait, de même le corps ne dort jamais tout entier.  De plus, l'esprit peut se scinder; un de ses organes peut descendre dans les entrailles de la terre, un autre aller en Chine.  L'esprit du corps physique n'est que le corps de l'esprit total; chaque viscère a son esprit; l'esprit d'un bras peut sortir d'un côté, l'esprit de la tête, d'un autre. 
Toutes les rencontres, faites dans des endroits si différents, impressionnent le cerveau, s'il s'y trouve une cellule réceptive; si ces impressions sont simultanées, les rêves se superposent; le dormeur rêve une scène, et, dans cette scène, il fait un deuxième rêve.  J'ai vu jusqu'à dix ou douze rêves ainsi emboîtés.  Si on possède un grand calme, on se souviendra; sinon tout se confondra dans un mélange incohérent.  Il n'est pas facile d'expliquer ses propres rêves; vous voyez combien les rêves d'autrui peuvent être embarrassants. 

 En troisième lieu, il faudrait connaître les relations biologiques du dormeur; discerner les affinités de chacune des parties de son individu avec les trois règnes, avec les autres hommes, avec son pays, sa religion, sa planète.  Cette condition est fort difficile à remplir; mais le commun des hommes peut, sans elle, acquérir une intuition suffisante pour les nécessités ordinaires; dans le cas exceptionnel d'un disciple, destiné à une mission spéciale, il se trouve toujours auprès de lui quelqu'un de plus avancé pour l'instruire. 

 Il y a deux grandes classes de songes : ceux qui proviennent du tempérament et ceux qui répondent à la préoccupation dominante.  L'homme intérieur, en effet, reçoit l'influence des éléments et des planètes, du Spiritus mundi, comme disaient les hermétistes; et sa volonté imprime au tempérament une direction conforme à son idéal : recherche de la fortune, ou des honneurs, ou de la science, ou de la passion. 

 Si un peintre rêve la même scène qu'un chimiste, par exemple, le sens de la vision différera; voir un cours d'eau présage autre chose à un homme politique qu'à une mère de famille.  De plus, chaque personne, à cause de son individualité même, à cause de la qualité centrale de son moi, communique avec un centre différent de l'Invisible.  D'où un troisième facteur à la diversité des symbolismes.
C'est l'évêque Synésius qui mentionne cette particularité importante.  Cela oblige chacun à se construire un dictionnaire personnel.  Mais si l'on suit le Christ de toutes ses forces, la part de la Nature sera réduite au minimum, dans ses rêves comme dans toutes ses activités, tandis que la part du surnaturel augmentera. 

 Cette remarque est capitale pour nous, qui nous sommes voués à l'étude de la Lumière évangélique.  Parce que nous cherchons Dieu à travers nos travaux et nos tempéraments individuels, nous nous évadons des domaines de la Nature.  Plus notre quête est ardente, sincère, désintéressée, moins les chaînes de la matière, les roues astrales, les satellites des dieux ont de prise sur nous.  La flamme de notre dévotion au service de Jésus libère tous nos organismes.
Dès lors, durant les nuits, ce ne sont plus les habitants de tel royaume élémentaire, de telle planète qui viennent nous visiter; ce sont les serviteurs invisibles particuliers du Verbe.  Les forces que nous recevons ne descendent plus de tel ordre créé; elles arrivent en droite ligne du monde central vivant de la Lumière, de la Vérité, de la Vie. 

 Par conséquent, l'interprétation de nos songes est spéciale.  Elle découle d'une loi primitive, à savoir que la vie de la Matière est toujours opposée à celle de l'Esprit.  L'une, c'est l'égoïsme, la lutte pour la vie, le terrestre; l'autre, c'est l'amour, le sacrifice, le céleste.  Ainsi, aux yeux du disciple de l'Évangile tout bonheur mondain est un malheur divin, toute souffrance corporelle est une joie spirituelle, et inversement; si on pleure en rêve, si on peine, si on y est blessé, ce seront des plaisirs, des sourires et des succès pour la personnalité extérieure. 

 Le soldat du Ciel est instruit directement par la Vérité, laissez-moi vous le redire.  C'est le Verbe Jésus qui le conforte et qui l'enseigne.  Or aucune graine ne lève sans que la motte de terreau où elle a été semée ne souffre en lui fournissant la nourriture nécessaire.  L'homme naturel est le terreau; l'étincelle du Verbe en nous est la semence.  Pour que cette lueur devienne une flamme, il faut que son enveloppe, la personnalité, se laisse consumer. 

 Pour nous qui ne cherchons à satisfaire ni les convoitises du corps, ni les curiosités de l'intelligence, mais seulement l'instinct sacré de la rencontre divine; pour nous que préoccupent les seuls frémisse- ments silencieux de la régénération mystique; qui nous efforçons de renoncer au moi; qui ne nourrissons plus qu'un seul désir : Jésus et Son Royaume, les songes revêtent de la gravité et de la profondeur, puisque ce sont les visites des amis de notre Ami. 

Pour les sincères disciples que nous voulons être, il est donc très logique que, par exemple, les rêves de chants, de musiques, de danses, présagent des douleurs morales; les rêves funèbres, les morts indiquent une prochaine transformation intérieure, plus ou moins complète; des êtres bas, des objets repoussants indiquent la réussite matérielle; l'école, l'église, le couvent, des prêtres, des moines signifient épreuve purificatrice, initiation pratique.  Voir le Christ, ne serait-ce qu'en effigie, c'est une grande souffrance; celui qui converse en songe avec le Christ, ou qui reçoit quelque chose de Lui, de la monnaie, un verre d'eau peut se réjouir : il va faire un grand pas vers la perfection, il va subir l'une des douleurs que le Christ a subies.  Des actions simples, comme semer, monter une cote, descendre, aller en voiture, en chemin de fer, recevoir de la pluie, se réfèrent au cours journalier de l'existence et s'expliquent d'elles-mêmes.  L'automobile indique un avancement gratuit.  Des animaux ou des hommes de couleur noire sont toujours dangereux, de même que des géants, ou des monstres.  Pour le vrai disciple, le chien est un ami, le cheval un messager, le lion un protecteur. 

 Si le disciple est parvenu, comme je vous le disais tout à l'heure, à garder pleine possession de ses facultés pendant le sommeil, il lui arrive de collaborer à l'un des grands travaux mystiques, à celui du Laboureur ou à celui du Soldat.  Permettez-moi de vous dire quelques mots sur ces deux fonctions importantes, que quelques-uns d'entre vous peuvent un jour être appelés à remplir. 
 

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 La grande bataille qui se livre depuis le commencement du monde entre la Lumière et les Ténèbres a pour arbitre le Père.  Le chef de la première armée est le Christ; le chef de la seconde est Satan.  L'un et l'autre tiennent du Père leur intelligence, leur puissance, leurs soldats; leurs forces sont égales; mais le Christ a quelque chose de plus que l'Adversaire, quelque chose de bien difficile à concevoir; on pourrait appeler cet avantage : la sagesse, si nous comprenions toute l'étendue de ce mot.  L'arme du Ciel est la douceur; Ses soldats donnent tout ce qu'ils possèdent : argent, amitiés, sciences, jusqu'à leur vie.  L'arme de l'Enfer est la colère; ses soldats blessent, volent et tuent. 

 Cette bataille mystique est connue de toutes les traditions. 

 L'autre aspect du drame cosmique, c'est l'agriculture.  Partout où les soldats des Ténèbres ont fini de détruire, et dans tous les lieux que les soldats du Ciel ont arrosés de leurs larmes et de leur sang, viennent les valets de labour du grand Semeur.  Leur travail est mystérieux; ils préparent l'oeuvre définitif; Jean-Baptiste est leur chef.  Par leurs soins, le Royaume de Dieu s'agrandit insensiblement; les déserts se fertilisent; les buissons d'épines se couvrent de fleurs et de fruits; les sentes à peine visibles dans les brousses deviennent des routes droites et planes.  De sorte que, à l'apaisement final, le Pacifique pourra Se montrer au grand soleil, Lui qui Se tint caché pendant les siècles innombrables où Il fut le courage de tous Ses soldats et la persévérance de tous Ses laboureurs. 

 Ces deux armées, ces deux peuples ont des chefs.  Nous avons dit quels sont leurs monarques; chacun est représenté sur chaque planète : Satan par le Prince de ce monde, Jésus par le Seigneur de ce monde.  Le Prince centralise tout le mal qui se commet ici-bas; le Seigneur récolte toutes les prières et tout le bien qui s'y font.  Quelques hommes, les plus méritants et les plus humbles, reçoivent la visite de ce Seigneur, général parmi les soldats, maître parmi les laboureurs, ami de Dieu et tellement uni au Christ qu'il en prend la ressemblance, parfois même corporellement (I). 

 Car le Seigneur de ce monde, et aussi le Prince, revêtent, quand ils le jugent utile, un corps physique; ils vont et viennent alors dans la vie, comme l'un de nous, et beaucoup les coudoient sans les reconnaître.  Heureux qui découvre l'identité de ce Seigneur sous l'apparence dont il s'est revêtu.  Le plus grand nombre des disciples christiques ne l'approchent qu'en esprit; il se présente alors sous une forme familière, mais avec des attributs dont nulle autre créature ne pourrait se parer; le Ciel ne le permettrait pas.  Il ne prend la figure du Christ que dans des cas excessivement rares; l'immense majorité des apparitions du Christ à des gens éveillés, à des extatiques ou dans le sommeil, ne sont pas véridiques; ce n'est qu'un serviteur qui a pris le manteau de son Maître. 

 Tout ceci ne vous sera sans doute pas d'une utilité immédiate.  Sur les quelques centaines de personnes qui m'auront entendu, je ne me serai peut-être fait comprendre que d'une seule; une seule peut-être se mettra au véritable travail, à l'unique nécessaire; c'est pour celle-là que je donne ces détails, et dussé-je parler dix ans dans le vide, que je le ferais avec joie si, la onzième année, je rencontre un coeur mûr pour l'action. 
 
  Je termine cette longue incursion dans les domaines secrets du mysticisme. 

 Le disciple, pour profiter de ces collaborations célestes, doit être simple et un; il doit habiter le royaume de la Paix.  Le phénomène du rêve ne lui apparaît pas comme quelque chose d'exceptionnel; à ses yeux, c'est un des modes de la Vie; c'est la même chose que la veille; c'en est la contrepartie, le complément, le prolongement.  Il l'interprète comme les circonstances matérielles, puisque tout l'univers n'est pour lui que l'expression de la puissance et de la volonté divines.  Il n'aperçoit pas les divergences, mais les concordances; non pas les similitudes apparentes, mais les identités profondes.  Bien mieux encore que l'occultiste, il sait que tout se correspond; que chaque molécule de son corps possède une affinité avec tel événement, tel génie, telle science, telle planète, telle tentation, telle vertu.  Il sait que les images invisibles peuvent entrer dans le mental par beaucoup de portes : par l'esprit du doigt, de l'os, aussi bien que par celui du cerveau.  Quand il se bat la nuit contre les noirs adversaires, il ne s'étonne pas le lendemain matin de ressentir physiquement la courbature et les contusions; si quelque Ami secret le réconforte par un breuvage ou par une manne, il n'est pas surpris de ne sentir ni la faim, ni la soif, de plusieurs jours peut-être. 

 Ainsi, vous le voyez, il y a une énorme différence entre les visions superficielles, naturelles, qui traversent nos nuits et les activités mystiques qui occupent quelques individus d'élite.  Comment acquérir ces prérogatives connues en théologie sous le nom de visions, d'extases, de ravissements, comment les mériter ?  On ne doit pas chercher à les acquérir, puisque le vrai chrétien s'en remet pour tout à son Maître; on ne peut pas les mériter, puisque tout ce qui vient du Ciel est gratuit, aucun de nos efforts ne pouvant payer les dons de Dieu.  Tout ce qui est possible, c'est de se mettre dans les conditions les moins défavorables à recevoir ces secours. 
 

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 Le sommeil est un phénomène assez important pour être digne de quelque préparation.  Il est le temps de l'activité intérieure la plus haute.  L'esprit de l'homme pieux monte alors aux régions les plus élevées qu'il est capable d'atteindre; il en redescend pour le réveil; mais, sans préparation, il ne montera pas jusqu'à la limite de sa force ascensionnelle. 

 D'abord, comment dormir ? 

 On a le devoir de donner au corps le temps de repos nécessaire.  Le sommeil d'avant minuit est le meilleur.  Le lit doit être disposé la tête au nord ou à l'est.  La couleur générale de la chambre, des tentures, des couvertures donne plus de calme si le bleu ou le mauve y dominent et plus de force si c'est le jaune impérial.  Il est bon que les fenêtres soient ouvertes et les rideaux fermés.  Ne pas dormir avec une lumière donnant directement sur la tête.  Un souper frugal, une grande propreté avant de se mettre au lit, voilà pour le matériel. 

 Quant au spirituel, il y a deux préparations; l'une générale : c'est la bonne conduite selon l'Évangile; l'autre immédiate : c'est la prière à Dieu seul.  L'Oraison dominicale suffit, si l'on veut en modifier la quatrième demande, en disant : « Donnez-nous cette nuit notre pain quotidien ».  Alors le Père, Seigneur de tous les êtres, même de ceux dont l'approche est redoutable, nous écoute. 

 Il nous envoie Sa clémence en nous évitant les contaminations spirituelles que nos fautes de la journée nous attirent.  Il nous envoie Sa protection en écartant les entreprises possibles de certains invisibles parasitaires.  Sa miséricorde et Son secours sont des anges réels qui assurent l'intégrité de notre esprit vital et le commerce avec la Lumière de notre esprit psychique. 
 Le « pain quotidien » comporte toutes les demandes possibles, puisque tout ce que l'on peut recevoir spirituellement nourrit quelqu'un de nos corps invisibles.  Mais, pour que nos songes soient les plus sains, les plus utiles, les plus fructueux, ne les demandez pas extraordinaires, ni ayant trait à des choses mystérieuses.  Demandez qu'on vous éclaire sur vos fautes du jour, sur vos travaux du lendemain, qu'on vous montre les meilleures méthodes pour les mener à bien.  Cela, c'est la sagesse pratique, puisque nous ne sommes ici que pour l'accomplissement du devoir quotidien. 

 Vous avez sûrement remarqué, si vous avez eu des recherches sans issue, si vous avez passé des nuits à trouver la solution d'un problème ou le moyen de tourner un obstacle, et si, ne trouvant rien, vous vous êtes avoué devant vous-mêmes, ou devant Dieu, votre ignorance et votre impuissance, qu'alors la difficulté s'est résolue toute seule, en quelques jours, en quelques heures même.  Vos inquiétudes étaient une prière, prière vivante, donc prière puissante.  Le Ciel y a répondu dès que vous avez bien voulu vous mettre dans le calme nécessaire. 

 En effet, nous sommes des tyrans; il faut, coûte que coûte, que nos facultés, notre vie fonctionnent suivant les opinions que nous nous sommes construites.  Il arrive souvent qu'elles ne peuvent pas se plier à ces exigences; pas plus qu'une locomotive ne roulerait sur une route.  Il faut donc laisser du jeu à nos organes psychiques.  Ne veuillez pas à tout prix avoir des rêves; ne tyrannisez rien en vous.  Demandez au Ciel; n'employez jamais de drogues, de talismans, de rites magiques, pour provoquer des songes révélateurs. 
 Nous ne sommes pas maîtres de nous-mêmes pendant la veille, à plus forte raison pendant le sommeil; il nous faut donc du secours contre les ennemis possibles, une direction, un bouclier.  N'essayez pas, sous le louable prétexte d'aider les autres, de sortir en corps astral; ne tendez pas votre volonté vers ces travaux.  Dites à notre Ami : Prenez-moi si je puis être bon à quelque chose; sinon laissez-moi dans mon ignorance et dans ma torpeur. 

 Quand, dans la nuit, quelque génie nous apparait, il faudrait l'accueillir avec cette cordialité que donne la confiance en Dieu; mais cette assurance, déjà rare sur le plan physique, est fort difficile à conserver pendant le sommeil.  Dites surtout à votre visiteur que vous ne l'avez pas appelé, demandez-lui de reconnaître Jésus, Fils de Dieu incarné; et ne suivez son conseil, n'utilisez son renseignement qu'après un soigneux examen.  Car il faut une extrême prudence dans nos rapports avec l'Au-Delà; il s'y trouve encore plus qu'ici des usurpateurs et des simulateurs.  Très souvent les ouvriers des Ténèbres sont beaux et savent séduire.  Le Christ n'a pas craint de nous proposer, avec la simplicité de la colombe, la prudence du serpent.  Et ce conseil même de prudence m'interdit de vous en donner des exemples pratiques : ce serait ouvrir une issue à tels ennemis en embuscade. 

 Si on veut se souvenir de ses rêves, il faut d'abord le demander au Ciel, avant de s'endormir; alors, dès le songe terminé, on sera réveillé les quelques secondes nécessaires pour en prendre note en deux ou trois mots.  Peu à peu la mémoire s'habituera.  Mais, si on est négligent, l'ange ne nous réveillera plus.  Il importe de s'endormir dans la sérénité la plus parfaite possible; on ne peut obtenir que par la prière cet oubli momentané des angoisses, des convoitises, des remords, des souffrances.  Le calme est nécessaire pour bien dormir, pour se souvenir des rêves, et pour les comprendre.  Car, dans le moment que nous les faisons, ne nous semblent-ils pas très naturels et très logiques ?  C'est donc qu'alors nous les comprenons. 

 Ainsi on s'habituera doucement à reconnaître si le songe est personnel ou allégorique, s'il se rapporte à la science, à la religion, à la patrie; s'il a une valeur prophétique ou actuelle; s'il concerne un ami, le passé, ou l'avenir; s'il est une clairvoyance, une télépathie, une vision. 
 

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De ce que je vous ai si longuement parlé d'un sujet qui n'a pas l'air très sérieux, n'en inférez pas que je le considère comme essentiel.  Le Christ aime à nous encourager; qu'II nous donne l'espérance au moyen d'une affection humaine, d'un succès, ou d'un songe, Il est le maître de Son choix.  Considérer les songes comme des niaiseries ou s'en trop préoccuper sont deux erreurs.  Il faut les recevoir avec attention et reconnaissance,  comme des leçons bienveillantes, et en même temps se dire que nos vices et nos défauts nous empêchent d'entendre parfaitement ces explications.  Quand on fait de son mieux pour réaliser l'Évangile, on peut espérer qu'un ou deux par mois de nos rêves seront véridiques, descendus du Royaume éternel.  C'est un petit résultat, mais c'est un résultat.  Nous sommes bien faibles encore; le Ciel ne peut pas nous offrir une nourriture trop riche, nous ne l'assimilerions pas.  Il nous ménage de petites expériences, proportionnées à notre faiblesse, de petits travaux qui ne lassent point notre versatilité.  Tout est admirable au regard pieux du disciple; tout spectacle lui est éloquent, puisqu'il lui parle de Dieu.  Admirons les cortèges des songes; ils nous acheminent vers une adoration plus intelligente et plus profonde. 



(I) On trouve quelque chose d'analogue dans le mysticisme musulman.