Vous êtes actuellement sur le site de :
 
livres-mystique.com
© 1/05/2003
 

L'ÉCONOMIQUE

DES

PREMIERS CHRETIENS
D'après la Médaille du Campo dei Fiori
 

    Un soir de l'hiver dernier, un personnage du Gouvernement de Kiev se présenta chez moi, coiffé du sommaire astrakan et couvert de la gandoura traditionnelle chez les Russes en voyage. Il arrivait, ce soir-la même, de sa lointaine province pour me communiquer expressément une nouvelle qui m'intéresserait, sans doute, à l'heure où les journaux d'Europe publiaient le fac-simile d'une médaille hébraïque, qu'au hasard des fouilles j'avais retrouvées au Campo dei Fiori deRome, dans un lot de vieux sous latins.

- Pensez-vous avoir trouvé dans votre Ghetto romain une pièce unique ? me demanda-t-il, autant des yeux brillants de raillerie ou de curiosité derrière le cercle d'or de leurs lunettes, que de la langue encore mal assurée qui s'exprimait assez couramment en français.

- Je ne sais, lui répondis-je. Et vous?...

- Moi, continua-t-il, j'affirme qu'il en existe d'autres exemplaires dans les pays parcourus par les premiers chrétiens. Mais j'ajoute que votre spécimen d'un document fort répandu, dans la primitive Eglise, a le rare mérite d'être un des mieux conservés qui nous soient parvenus, durant le cours de dix-huit siècles.

- Et vous seriez si exactement renseigné sur cette médaille, que vous lui donneriez pour origine les premiers temps apostoliques ?

- Ceci encore, je l'affirme. Et je viens exprès de Russie, pour vous en apporter la preuve.

    Ainsi parlant, l'étrange voyageur prit dans une bourse débordant de monnaies antiques une pièce d'argent, du même module que la mienne, où je vis le même portrait do Jésus et la même inscription hébraïque.

    La différence consistait dans la facture qui, comparée à celle de ma médaille, en accusait une copie sommaire et si inférieure que l'amateur, la jetant sur ma table :

- Gardez-la comme terme de comparaison, di-il. Depuis que j'ai vu la votre, cette épreuve manquée ne saurait me suffire. Mais son historique vous intéressera, si vous voulez m'accorder encore un instant pour vous le raconter.

    C'était au cours d'un premier voyage en Palestine , qu'il avait acheté cette médaille d'un Arabe judaïsant qui, par dessus le marché, lui avait fait ce rècit. Les premiers Hébreux, convertis au Christianisme, avaient frappé cette pièce, après la mort de Jésus, comme type de la monnaie qui leur servirait à échanger toutes les choses nécessaires à la vie quand le Christ, dont ils attendaient, dans la naïveté de leur foi, le deuxième avènement, reviendrait pour fonder le nouveau royaume, de Jérusalem dont il serait, selon sa parole, le nouveau roi. Telle était donc cette première monnaie des Chrétiens, à leur première origine. Quand l'Esprit Saint, à la Pentecôte, leur apprit plus divinement leur vocation évangélique, ils emportèrent dans les pays étrangers cette pièce qui servirait de signe de ralliement aux membres dispersés de l'Eglise naissante. Et c'est ainsi que cette même médaille s'est retrouvée en Italie, en France, en Pologne, en Irlande, en Russie, dans tous les pays chrétiens qui reçurent, avec l'Evangile parlé, cette représentation matérielle de Jésus et, peut-être, son plus fidèle portrait.

*
* *

    Quelques mois plus tard, je recevais, d'un savant archéologue, la communication suivante : " Un seul écrivain de l'antiquité a parlé de Jésus longuement. C'est Lucien, presque son contemporain, puisqu'il est né au commencement du IIe siècle ; Lucien, le poète satirique, le Voltaire de toutes les religions de son temps. Or, je ne sache pas, que, dans le débat européen qu'a ouvert votre envieuse trouvaille, on ait invoqué le nom de cet auteur ancien. Voici ce qu'il écrit dans son dialogue intilulé la Catéchumène : " J'ai rencontré, dit Triéphon, un Galiléen à tête chauve, au nez aquilin, qui était monté jusqu'au troisième ciel où il avait a appris les plus belles choses du monde. Il nous a renouvelée par le baptême, nous a rachetés des enfers, pour nous faire marcher sur les traces des bienheureux." Après ce portrait au physique, jetez un coup d'oeil sur la médaille du Campo dei Fiori.

    Dans une autre satire, l'Incrédule, Lucien raille les miracles de Jésus, et particulièrement l'expulsion des démons dont il fait un plaisant tableau, pourtant conforme aux Évangiles. Ces passages si remarquables de l'écrivain grec peuvent-ils s'appliquer à d'autres que Jésus ? Des historiens chrétiens veulent y reconnaître Saint Paul. C'est une erreur. Paul n'était pas Galliléein ; c'est un nom que les écrivains d'alors donnent aux Juifs, que les Apôtres donnaient à leur Maitre. Paul, lui, se dit citoyen Romain ; il ne baptisait pas, étant Juif, et i1 nous raconte qu'il avait circoncis lui-même son disciple Timothée. D'ailleurs, rappelez-vous le médaillon du IIe siècle que le musée du Vatican conserve et où l'apôtre Paul figure avec ses cheveux abondamment crépus, en face de l'apôtre Pierre qui se caractérise par une calvitie très accentués.
 

    " Lucien n'a pas connu Jésus ; mais ce Trièphon, qu'il met en scène, a pu le connaitre, au moins par une tradition très rapprochèe, surtout si l'on admet avec quelques Évangiles non orthodoxes que Jésus avait 50 ans, lorsqu'il fut supplicié. On sait, d'ailleurs, que Lucien avait beaucoup voyagé en Asie ; il a dû parcourir la Palestine où la vie et la mort du Réformateur juif étaient encore universellement discutées. Le fac-simile de la médaille du Campo dei Fiori nous donne bien la physionomie d'un sage au regard profond, empreint de bonté et de douceur, comme nous nous représentons le moraliste juif. L'authenticité de ce portrait me parait donc parfaitement établie... " De cette communication d'un lecteur des Dialogues de Lucien, il faudrait surtout retenir que le Jésus du Triéphon aurait été « un Galiléen à tête chauves, et que la médaille du Campo dei Fiori accuserait particulièrement la calvitie du type représenté par elle.

    Que Jésus, évidemment figuré sur cette pièce, ait été chauve par nature ; ou que l'usure des temps soit seule responsable de cette calvitie très apparente sur le brome original de la médaille du Campo dei Fiori ; c'est une double hypothèse sur laquelle il n'est guère facile de porter un jugement certain. Mais la coïncidence du texte de Lucien et du type de Jésus qu'il précise et qu'accentue peut-être l'image du Campo dei Fiori méritait d'être signalée aux chercheurs.

    Cependant une autre communication nous était faite, dont l'importance historique et politique était telle que nous ne pouvions la garder seulement pour nous. C'est une lettre qu'à propos de la médaille du Campo dei Fiori nous adressait un savant, probablement anonyme, sur la constiution du socialisme des premiers Chrétiens et sur le rôle qu'aurait probablement joué, dans l'économique de cette société naissante, cette même médaille du Campo dei Fiori.

    Quand le monde connu fut asservi par les armes de Rome et que les Césars de la conquête eurent entassé dans la ville tout l'or et tout l'argent qu'ils avaient pu y accumuler, des royaumes pillés et de la terre tout à coup appauvrie, cefut, pour l'avènement d'une religion nouvelle et d'un nouvel ordre de politique internationale, une heure d'histoire exceptionnellement choisie. Que le politicien désormais immortel, que le petit peuple juif produisit à cette heure, pour enfanter un monde nouveau de l'ancien, fût un homme et un dieu à la fois, telle n'est pas la question qui peut nous occuper en cette grave affaire. Il s'agit pour nous de savoir seulement comment Jésus, avec la part des moyens humains qu'il dut certainement appeler à concourir dans l'établissement de son oeuvre divine, arriva à résoudre à son époque et pour les siècles futurs la fatale et désormais inéluctable question romaine que les Césars, maîtres de tout l'or du monde, venaient de poser à tout le monde des pauvres gens :

- Comment vivre ?
- Sans argent ! répondit Jésus à César.

    Et voici comment un érudit archéologue le prouve, par une lettre remarquable que les numismates et les philosophes d'Europe se feront scrupule étudier de près, et aux termes de laquelle la simple médaille du Campo dei Fiori ne serait autre chose que la tessera primitive que les premiers Chrétiens adoptèrent pour abolir, entre eux, l'usage de tout autre monnaie romaine et pour se procurer, de l'un à l'autre, toutes les choses nécessaires à la vie et à la mise en acte du socialisme de l'Evangile.


A Monsieur Boyer D'Agen,

        Paris, 69, rue des dames.

    Ayant reçu récemment communication de la brochure (1) où vous avez résumé ce qui vous a été dit au sujet de la médaille du Christ, retrouvée par vous à Rome, je me permets, Monsieur, d'attirer, de nouveau, votre attention sur l'importance de l'inscription héhraïque dont elle est marquée.

    Si on la traduit sans avoir recours à l'adjonction de points-voyelles, cette inscription donne à cette pièce numismatique une date et une signification permettant de saisir le sens pratique de l'Evangile et de montrer quel fut le système économique en usage parmi les premiers chrétiens.

    Vous me direz peut-être, Monsieur, que, chercher un sens pratique à l'Evangile, c'est lui ôter son idéalité ; et que s'occuper d'économique à ce sujet, c'est oublier les paroles du Christ relatives à la poétique insouciance des oiseaux du ciel et du lys des champs. Je me suis fait moi-même cette réflexion lorsque les mots hébreux, gravés au revers de la tessère du Campo dei Fiori me révélèrent soudain, en cette pièce si curieuse, une médaille de change. J'ai même hésité d'abord à vous faire part de la solution qui pourrait être donnée, grâce à cette découverte, au problème d'histoire et d'art qui vous occupe.

    Cependant, puisque la Providence vous a mis en main ce document précicux, c'est, sans doute, darrs le but de provoquer les recherches et, dans les crises si complexes de notre époque,d'amener à la connaissance du mécanisme économique par lequel est jadis advenu le salut. Le Verbe de Dieu, étant la Sagesse même, a dû fonder son Eglise de manière à ce qu'elle pût matériellement durer. S'il a recornrnandé à ses disciples de se mettre en route sans sac, sans bourse et sans manteau, c'est qu'il n'ignorait pas comment ils se procureraient des ressources en chemin. S'il a dit à la foule : " Demain aura soin de lui-même ! » il. savait comment les fidèles trouveraient, chaque jour, sur terre, au nom du Ciel, non-seulement le pain quotidien, mais les outils de travail et toutes les choses indispensables à la vie.

    Si vous voulez bien me suivre quelques instants et prendre connaissance de cette lettre, j'espère vous en convaincre, Monsieur, que la médaille du Christ indique à merveille ce comment qui reste, - même à notre époque, - un gros point d'interrogation.

*
* *

    L'effigie si pure, estampillée sur la face de la pièce, correspond fort bien à la description de la figure de Jésus-Christ, telle que l'a faite Publius Lentulus, Gouverneur de la Judée, dans la lettre adressée au Sénat romain sous le règne de Tibère César. Ainsi que l'ont pensé plusieurs de vos correspondant, on doit se trouver en présence d'un véritable portrait ; encore que la lettre de Lentulus, qui y correspond si typiquement, ait été révoquée en doute par un groupe d'exégètes auxquels il serait tout aussi difficile de faire la preuve de leur négation gratuite. Nieront-ils aussi bien, aujourd'hui, l'existence de votre médaille pour n'en pas pouvoir expliquer l'énigmatique origine ?

    Ce portrait fut évidemment exécuté par des médailleurs fort experts, très au courant des procédés de fabrication, possédant les outils nécessaires à la frappe et appartenant, par conséquent, à ce corps d'orfèvres, argentiers et monnayeurs, très puissant sous l'Empire romain.

    Cette remarque n'est pas sans importance, car la coutume d'employer des médailles et pièces frappées, comme moyen de promulguer et de propager une ductrine religieuse, fut universelle dans l'antiquité ; et l'on ne comprendrait guère comment le Christianisme, à son origine, aurait pu se soustraire à la loi générale. La frappe de pièces ou médailles d'or, d'argent et de bronze, était, en effet, le plus efficace, sinon un des seuls moyens, de répandre les nouvelles et les opinions, de proclamer partout un règne ou l'ère d'une nouvelle religion.

    Addison regardait avec raison le monnayage romain comme une sorte de " Gazette d'Etat", dans laquelle tous les grands événements de l'Empire étaient périodiquement publiés. L'empreinte d'une image ou d'une effigie sur des pièces mises en circulation, étant l'expression matérielle du pouvoir du dieu ou de l'homme dont les signes particuliers étaient estampillés, donnait à ce dieu ou à cet homme un certain droit de récupérer les médailles ainsi marquées de son sceau.

    On trouve la preuve de ce principe économique dans l'Evangile. " Un jour, y est-il dit, Jésus instruisait dans le Temple, annonçant au peuple la bonne nouvelle du règne de Dieu, lorsque les Princes des Prêtres, les Scribes et les Sénateurs envoyèrent vers lui des gens insidieux chargés de le surprendre en ses paroles, afin de pouvoir le livrer au magistrat et d'obtenir contre lui une sentence de condamnation.

" - Maître, lui diront ces hommes, nous savons que vous n'enseignez rien qui ne soit juste et que, sans acception de personnes, vous montrez la voie de Dieu, selon la vérité. Dites-nous donc votre avis sur ceci : Est-il permis de payer le tribut à César, ou non?

" Voyant leur artifice, Jésus leur dit : - Pourquoi me tentez-vous ? Montrez-moi la pièce qu'on donne pour le tribut.

" Et ils lui présentèrent un denier. Alors il demanda : " - De qui est cette image et cette inscription ?

" - De César ! répliquèrent-ils.

" Et il leur dit : - Rendez donc à César ce qui est de César et à Dieu ce qui est de Dieu."

    Ces paroles si nettes ne supposent-elles pas que l'effigie de Dieu, ou plutôt du Fils de Dieu, devait être opposée à celle de César afin de servir de signe et de moyen de libération ?

    Le mot très caractéristique, accompagnant l'effigie de la médaille du Campo dei Fiori, répond, ce semble, à cette question. Le mot hébrou Aïsh,signifie : homme, époux ; le suffixe "ou" indique un singulier masculin. Le mot Aïshou peut donc se traduire par "l'homme" ou par "l'Epoux" . Si on traduit le mot Aïshou par : "l'Epoux", les textes évangéliques précisent le sens de cette expression.

    Saint Jean-Baptiste parle aux Juifs de " l'Epoux " ou des « amis de l'Epoux ". Jésus s'exprime souvent en se servant des mêmes termes. La parabole des vierges sages et des vierges folles nous les montre attendant la venue de "l'Epoux". Je ne citerai pas tous les textes contenant de semblables allusions ; ils sont trop connus pour qu'il soit nécessaire d'insister, mais je vous ferai remarquer, Monsieur, qu`ils devaient être compris de « ceux qui avaient des oreilles pour entendre » et qui entendaient. Leur emploi si fréquent prouve que le Christ, comme son précurseur, indiquait, par ces mots allégoriques, des choses dont le sens, saisi seulement par les intelligents, échappait à la multitude.

    Si on traduit Aïshou par : " L'Homme ", ce mot permet d'entrevoir mieux encore ce dont il s'agit. Aïsh est le nom donné par Moïse, au deuxième chapitre du Sepher, à l'homme dans l'Eden avant la chute et, comme tel, s'applique admirablement au Rédempteur que les Livres-Saints appellent :«le nouvel homme, le nouvel ,Adam ". Etant donné que le mot Aïshou accompagne, sur la médaille du Campo dei Fiori, l'effigie du Christ, il équivaut à l'Ecce homo de Ponce-Pilage

    Pilate, il n'est pas inutile de le rappeler, était procurateur de la Judée, procurante Pontio Pilato Judaeam, dit Saint Luc qui énumère, avec soin, les noms et les titres des fonctionnaires de Rome dans la Palestine, en l'an quinzième de l'empire d e Tibère. Le procurateur était un magistrat, dont la fonction principale, dans une province, consistait à recouvrer les impôts et à juger les choses fiscales. Livrer Jésus à Pilate, c'était donc le déférer à un juge chargé d'instruire les causes se rapportant au fisc et de rendre, à l'occasion, une sentence sans appel.

    Les Princes des Prêtres ne pardonnaient pas a Jésus d'avoir chassé les vendeurs du Temple et renversé les tables des changeurs, le jour de son entrée solennelle à Jérusalem. Alors que le peuple criait encore : Hosannas Filio David ! le grand conseil des Juifs s'était assemblé et, très inquiets, ses membres se disaient les uns aux autres : « Si nous le laissons faire de la sorte, tous croiront en lui, et les Romains viendront et détruiront notre ville et notre nation. » Caïphe, qui était grand-prêtre cette année-là, leur dit : « Vous n'y entendez rien, et vous ne réfléchissez pas que votre intérêt est qu'un seul homme meure pour le peuple et que toute la nation ne périsse point.» Depuis ce jour, ils cherchaient le moyen de se saisir de lui et de le faire condamner ; mais Jésus déjouait leurs ruses, son heure n'étant pas encore venue. Cependant, disent les Evangiles « Satant séduisit Judas Iscariote, l'un des douze ; et il s'en vint trouver les Princes des Prêtres, pour leur dire : « Que voulez-vous me donner, si je vous le livre ?» Ils s'engagèrent à lui payer trente sicles d'argent, et le marché fut conclu.

    Il faut ici remarquer que Judas était «précisément celui des Apôtres qui avait la bourse et le maniement des finances de la communauté ; il connaissait donc mieux que tous les autres le système économique adopté et, s'il y avait une médaille de change ou une tessera quelconque comme signe de reconnaissance, de passe et de compte, il était à même de le révéler.

    Jésus n'ignorait pas ce que le traître devait faire, aussi dit-il clairement à ses disciples : « L'un de vous me livrera! " Et comme tous se regardaient, ne sachant de qui il parlait :

    " - Seigneur, qui est-ce ? " demanda Jean, se penchant sur la poitrine de son Maître.

    " - Celui à qui je donnerai un pain allongé ", répondit-il à voix basse. Et, prenant un pain, il le tendit à Judas Israriote. Dès que Judas eût pris ce pain, Satan entra en lui. Et Jésus lui dit : « Ce que tu fais, fais-le vite! »

    Mais aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui disait cela ; quelques-uns pensèrent que Judas, ayant la bourse, Jésus avait voulu lui dire pour la fête, ou de donner quelque argent, aux pauvres.

    « Judas sortit aussitôt ; il était nuit. Après qu'il fût parti, Jésus dit: « Nunc clarificatus Filius hominis et Deus clarificatus est in eo. » (St Jean, ch. XIII, v. 31.). Que signifie cette phrase ? sinon que le Fils de l'Homme ou plutôt son secret, est manifesté, rendu clair, éclairci, expliqué et que Dieu est glorifié, manifesté en lui ? N'y a-t-il pas, en cette phrase, une allusion évidente à la révélation que Judas va faire aux Princes des Prêtres servant ainsi, à son insu, le dessein du Maître qu'il a l'intention de trahir ? Cette révélation toutefois fit condamner le Christ par Caïphe lorsque celui-ci ayant dit a Jésus : « Je vous adjure, au nom de Dieu vivant de nous dire si vous êtes le Christ", Jésus répondit : - Vous l'avez dit et je vous déclare que le Fils de l'Homme viendra sur ses nuées avec une grande puissance et majesté.

" - Vous avez entendu le bhlasphème, dit Caïphe au grand Conseil assemblé. Qu'en pensez-vous? - Il mérite la mort! " Telle fut la sentence unanime.

    Alors on conduisit le Christ à Pilate. Le Procurateur, après avoir interrogé successivement Jésus et ses accusateurs, répéta deux fois : "Je ne trouve rien en cette cause. » C'esl pourquoi, après avoir livré l'accusé aux grossières plaisanteries de la cohorte, c'est-à-dire des subalternes affectés en toute provinces au service d'un magistrat, il le présenta au Juifs en d isant avec une certaine ironie : Ecce homo ! Mais les Juifs crièrent: « Si vous délivrez cet homme, vous n'êtes point ami de César, car quiconque se fait roi, se déclare contre César. » Pilate, ayant entendu ce discours, fit sortir Jésus et, s'installant en son tribunal, s'assit pour juger. Il dit aux Juifs : « Ecce rex vester! Voici votre Roi ! » Mais ils se mirent à crier : " Tolle ! tolle ! crucifige eum " Pilate leur dit : " Faut-il donc crucifier votre Roi ? » Les Pontifes répondirent : « Nous n'avons pas d'autre roi que César! » Alors, il le leur abandonna, pour être mis à mort. Pilate toutefois écrivit une sentence, mise en haut de la croix et ainsi rédigée : « Jesus Nu Nazarenus, rex Judoeorum ». C'était la cause de sa condamnation. Et, parce que le lieu où Jésus avait été crucifié était proche de la ville, beaucoup de Juifs lurent cette inscription qui était en hébreu, en grec et en latin. Les Princes des Prêtres dirent à Pilate : « Ne mettez pas : roi des Juifs, mais : qui s'est dit roi des Juifs. » Pilate leur répondit : « Ce qui cet écrit est écrit. »

    Ce fut donc comme roi, que Jésus fut condamné. Or, une seules des prérogatives de la royauté pouvait faire ombrage à César et tomber sous le coup d'une condamnation fiscale, rendue par le Procurateur : c'était l'empreinte de l'effigie du Christ sur une médaille annonçant son règne, c'était la frappe d'une pièce susceptible d'avoir cours et de manifester son pouvoir. N'est-il pas remarquable que Pilate ne trouve rien en cette cause, tant qu'il dit : « Ecce homo ! » et qu'il s'assied pour juger et condamner lorsque l'accusation l'amène à dire : " Ecce rex ! " t N'a-t-il pas fallu qu'on lui fit comprendre que ces deux expressions ; pour des Juifs, étaient synonyme ; et, afin de le lui prouver, n'a-t-on pas traduit clairement l'inscription gravée au revers de la tessera dont la face porte le mot Aïshou ?
 

Voici littéralement, sans adjonction de points-voyelles, la signification des mots hébreux, lus comme toujours de droite à gauche, sur la médaille du Campo dei Fiori :

M, devant un infinitif, est préfixe et signifie : pour.
Shihè = valoir autant, être de même valeur, représenter, égaler.
Mleh = Souverain, Roi, Empereur.
na = maintenant, actuellement.
eh = préfixe devant un nom , se lit : comme.
shoum = récompense, rémunération, rétribution ou préfixe devant un nom : lorsque.
Arm = la Syrie.
a = signe du futur.
rm = lever.
gshoui = le dixième, la dîme.
hèi = ce qui vit, ce qui est vivant, ce qui existe.
    L'ensemble de la phrase serait donc : Pour égaler celle de l'Empereur actuel, comme rétribution, lorsque la Syrie lèvera la dîme sur les vivants (les fidèles).

    Cette inscription ne montre-t-elle pas clairement que la médaille fut frappée avant le départ des Apôtres de Palestine, dans la Syrie où furent fondées les premières églises qui, à proximité de Chypre et de Jérusalem et se trouvant en outre sur une des grandes voies de commerce entre l'Orient et l'Occident, étaient susceptibles de permettre et de favoriser, le jeu de l'économique chrétienne, telle que la médaille du Campo dei Fiori la révèle.

    Cette médaille, - les mots hébreux qui y sont gravés le prouvent, - dut être effectivement à la fois tessera frumentaria et tessera nummaria.

*
* *

    La tessère,vous le savez, Monsieur, était fort en usage chez les anciens Romains.

    En indiquant son emploi par les premiers fidèles du Christ, on ne s'est guère occupé jusqu'ici, que du sens attaché à la tessera hospitalis, symbole ou signe matériel que ; les hôtes adoptaient pour se reconnaître. Quelques savants, toutefois, voyant des caractères gravés sur ces jetons, ont songé aussi à la tessera militaria, petite tablette, qui, pour les soldats, portait la consigne, le mot d'ordre ou le mot de passe. La conversion de nombreux centurions à l'Évangile expliquerait la présence de cet usage militaires parmi les chrétiens ; et l'expression Aïshou, accompagnant l'image du Christ, pourrait, en effet, avoir servi de mot de passe aux premiers fidèles «amis de l'Epoux».

    Evidemment les disciples de Jésus, lorsque grandit subitement le nombre des prosélytes, se virent obligés de créer une tessera, afin de réserver uniquement à des frères et de régler, avec justice pour ceux-ci, la participation aux agapes et aux assemblées. " Le nombre des disciples se multipliant, dit Saint Luc au chapitreVI des Actes, il s'éleva un murmure des Grecs contre les Hébreux, parce que leurs veuves étaient oubliées dans la dispensation de ce qui se donnait chaque jour. » Les Douze convoquèrent alors la multitude des disciples, et dirent : " Il n'est pas raisonnable que nous abandonnions la parole de Dieu pour administrer les finances. Choisissez donc, frères, sept hommes parmi vous, qui soient d'une probité reconnue ; remplis de l'Esprit Saint et de sa Sapience, à qui l'on confiera ce travail. Pour nous, nous nous appliquerons à la prière et à la parole." Ce discours plut à l'assemblée et on élut : Etienne, Philippe, Prochor, Nicanor, Tinion, Parmenas et Nicolas, prosélytes d'Antioche.

    Est-ce à ce moment, ou avant la mort du Christ, ou un peu plus tard, lorsque s'éleva la première persécution qui dispersa l'église de Jérusalem, que fut créée la tessera métallique dont celle du Campo dei Fiori est un spécimen?
    Il est assez difficile de le dire.

    Si-l'on se reporte à l'Evangile et aux premiers chapitres des Actes, on s'aperçoit toutefois que la véritable tessera hospitalis, le signe de reconnaissance par excellence, fut, d'abord, la fraction du pain. " Ils le reconnurent à la fraction du pain », disent les Evangélistes, parlant de l'apparition du Christ aux disciples d'Emmaüs. On rompait le pain dans les maisons ", disent les Actes des Apôtres. Cette fraction du pain se faisait d'une certaine manière que les canons de plusieurs Conciles ont maintenue, d'après les anciens rites.

    Le canon IIIème du Synode de Tours, en 567, par exemple, ordonne formellement de disposer le pain destiné à la communion «non imaginario ordine, sed sub crucis titulo componatur". non en un ordre imaginaire, mais sous forme de croix portant titre. La " croix portant titre", comme on disait au Moyen-Age, signifiait que Ponce-Pilate fit ajouter, au T (Tau) des Juifs, un morceau de bois destinés à recevoir l'inscription écrite par lui, la croix latine, en un mot. Or, elle a ceci de remarquable, qu'elle est géométriquement le développement du cube. Et remarquez que le mot tessera, pris dans son sens littéral, signifie figurecubique. Le système tesséral est l'ensemble de toutes les figures dérivées du cube, ou possédant les propriétés générales de ce solide.

    La parole de Jésus : " Vendez vos biens, prenez ma croix", aurait un sens économique beaucoup plus clair, si on écrivait " prenez ma tessère",au lieu de " prenez ma croix ". Les deux termes sont synonymes puisque la croix latine, la croix du Christ, la croix « portant titre » est, à proprement parler, une tessera. La tessera hospitalis paraît avoir été effectivement, aux premiers temps apostoliques, cette fraction du pain dont parlent l'Evangile et les Actes, cette disposition tessérale ou réunion des morceaux sub crucis titulo componatur, recommandée par les Conciles.

    Quant au mot de passe, Jésus avait pris soin de l'indiquer lorsqu'il envoya ses soixante-douze disciples dans toutes les ville, où il devait ensuite aller luimême : « Ne portez ni bourse, ni sac, leur dit-il, ne saluez personne dans le chemin. En entrant dans une maison dites d'abord : Pax huic domui! Et s'il s'y trouve quelque enfant de paix, votre paix, reposera sur lui ; sinon, elle vous reviendra ". Voilà bien, n'est-il pas vrai, la consigne , le mot d'ordre ? Après sa résurection, Jésus se fit toujours connaître à ses apôtres par ce salut : " Pax vobis ! " Une tessera militaria ou une tessera hospitalis eussent dû, ce semble, porter une inscription courte et dans ce genre. Mais était-il prudent et nécessaire de mettre l'effigie du Christ sur des médailles uniquement destinées à ces usages ? Empreindre une effigie sur un métal servant ordinairement à faire la monnaie, était un acte hardi, entraînant, pour ceux qui se le permettaient, des conséquences et des châtiements graves. César se réservait la frappe de l'or et, comme Empereur-Pontife, il était fort jaloux de cette prérogative qui constitua, de tous temps, la marque suprême de la Souveraineté.

    Les princes, réduits au joug ou même alliés de Rome, les gouverneurs des provinces de l'Empire avaient droit de frapper l'argent sous le contrôle et en employant les insignes et devises réglées par les lois. Eux aussi tenaient beaucoup à cette marque de pouvoir relatif, et défendaient leurs privilèges avec soin contre toute atteinte.

    Le Sénat romain gardait la frappe des pièces de bronze ou d'airain et, sans avoir besoin de l'autorisation expresse du Pontificat impérial, déterminait quel type serait employé pour tel ou tel alliage, tout en se conformant, pour le poids, au rapport établi entre les divers métaux.
 

On ne pouvait donc empreindre une effigie nouvelle sur l'airain, sans léser les droits du Sénat. Ce fait expliquerait peut-être la lettre de Publius Lentulus, gouverneur de la Judée, décrivant minutieusement aux " Pères Conscrits " la figure de Jésus. - Comme procurateur du fisc impérial, PoncePilate n'avait, sans doute, rien trouvé de blâmable dans le fait de mettre le visage du Christ sur une médaille portant une inscription dont le sens était : " Ecce homo ". Car cette médaille n'était point en or. Pour se débarrasser des Juifs, le procurateur renvoya Jésus devant Hérode. Ce prince était tétrarque de Galilée. Le tétrarque était plus qu'un simple fonctionnaire ; il gouvernait, sous la tutelle de Rome, la quatrième partie d'un royaume démembré. C'était donc un roi placé sous le protectorat de l'Empire. Comme tel, il avait droit de frapper l'argent et de percevoir le seigneuriage affecté à ses monnaies. De même que Pilate, en admettant qu'on lui ait présenté la tessère comme preuve de la culpabilité de Jésus, Hérode déclara qu'il ne voyait rien de blâmable en cette cause. Car la médaille n'était point en argent.

    D'après la composition métallique si complexe que vous indiquez, Monsieur, comme étant celle de la pièce du Campo dei Fiori, elle me parait être faite de cet alliage appelé par les monétaires de Rome : premier airain. Le système de frappe, imposé par Auguste et adopté par ses successeurs immédiats, était le suivant :

Rapport de l'argent à l'or 12 pour 1.
4 sesterces de bronze = 1 denier d'argent 58.4 grains.
25 deniers                  = 1 aureus d'or 121.6 grains.
5 aurei                       = 1 livre 608 grains.
Donc 100 sesterces   = 1 aureus.
et 500 sesterces        = 1 livre.
    Ce sont ces sesterces, désignés sous le nom de premier airain, qui remplacèrent et firent disparaître de la circulation le sesterce d'argent, quart du denier, en usage dans les frappes romaines de Sylla et de Jules César (2). Le denier devint ainsi la seule pièce d'argent ayant plein cours légal, et la plus petite monnaie divisionnaire que l'on pût présenter pour acquitter l'impôt. Le sesterce, étant de bronze, dépendait uniquement du Sénat.

    Quelle réponse firent les Sénateurs romains à la lettre de Lentulus ? L'Histoire ne le dit pas, et c'est dommage ; car la décision, prise en cette circonstance par les Pères Conscrits, donnerait peut-être la raison des fureurs de Tibère et de Caligula, ainsi que le motif de la disgrâce de PoncePilate et d'Hérode relégués tous deux dans la Gaule : l'un à Vienne, en l'an 36 ; et l'autre, en l'an 38, à Lyon.

    Quoi qu'il en soit, du reste, la découverte de la médaille du Campo dei Fiori et celle d'autres pièces à peu prés semblables en d'autres lieux du monde chrétien, ainsi que l'alliage dont sont faits ces monuments numismatiques, paraissent prouver que les patriciens sénatoriaux, fort lésés en leurs biens, droits et privilèges, par l'omnipotence croissante de César, ne furent point fâchés de voir s'élever une doctrine et un système économiques, menaçant sérieusement l'autocratie impériale. Les Pères Conscrits firent, sans doute, quelques réflexions dans le genre de celles émises par le pharisien Gamaliel devant le Conseil des Juifs, assemblés pour condamner Pierre et Jean, après les premières prédications à Jérusalem : " Israëlites, disait celui-ci, prenez garde à ce que vous déciderez au sujet de ces hommes. Judas de Galilée, lorsque se fit le premier dénombrement, attira en son parti beaucoup de mondé ; mais il périt, et tous ceux qui s'étaient attachés à lui furent dispersés. C'est pourquoi, voici mon avis : Cessez de tourmenter ces gens, laissez-les ! Si cette oeuvre vient des hommes, elle se dissoudra ; mais si elle vient, vraiment de Dieui, vous ne sauriez la détruire et vous seriez en danger de combattre contre Dieu.» Tous trouvèrent ce conseil fort sage et le suivirent. » Il en fut probablement ainsi des Sénateurs romains, après la lecture de la lettre de Lentulus. Il est à croire qu'ils fermèrent les yeux, lorsqu'on leur signala ces tesserae d'airain portant l'effigie du Christ, et ne prirent aucune mesure pour en empêcher ou en restreindre la frappe. L'économique chrétienne put donc s'établir, au début, sans de trop grandes difficultés de la part des pouvoirs. Jésus, en se livrant à la mort, avait sauvé les siens : " Si c'est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci ! » avait-il dit aux soldats et officiers du Temple qui, sous la conduite de Judas, venaient l'arrêter. Et les disciples s'étaient enfuis, ne comprenant encore ni la pensée, ni l'oeuvre du Maî tre. Il fallut que l'Esprit descendît sur eux, en forme de langues de feu, pour que la vérité leur apparût enfin.

*
* *

    En quoi consistait cette Economique assez puissante pour sauver le monde des serres de l'aigle impérial ?

    Grâce à la médaille du Campo dei Fiori, on peut enfin l'indiqner et, en expliquant, les paraboles évangéliques, se rendre compte que Jésus " n'est pas venu détruire la Loi, mais au contraire la restituer et l'accomplir ». Il suffit, pour en être persuadé, de voir le parti qu'on dut tirer de cette tessère pour réaliser, de façon pratique et infiniment supérieure, le rêve de Platon. Ce rêve, n'était du reste autre chose, au point de vue économique, que la reprise du système nummulaire de Numa et de la pensée de Moïse. faisant, pour son peuple, le Serpent d'airain. " La loi de la Republique idéale, disait Platon, ordonne que nul particulier ne posssèdera ni thésaurisera de lingots d'or ou d'argent, mais aura uniquement de la monnaie pour le service, de la maison, telle que celle nécessaire pour les transactions avec les artisans et les étrangers. Pour cette raison, nos citoyens auront une monnaie courante, ne circulant que parmi eux, mais non acceptable pour le reste de l'humanité. Pour les expéditions à l'étranger, voyages, ambassades, les dépenses des hérauts au déhors et autres choses de même sorte, le Gouvernement doit posséder un fonds de pièces ayant-cours. dans les autres Etats. Lorsqu'un individu a besoin d'aller au dehors de la République, qu'il obtienne le consentement de l'archonte et parte ; mais, à son retour, s'il lui reste quelque monnaie étrangère, qu'il la dépose dans le Trésor et reçoive une somme équivalente de monnaie locale. Si l'on découvre qu'il l'a cachée, qu'elle soit confisquée ; et que celui qui le sait et n'en informe pas, soit sujet à l'anathème et au déshonneur, comme celui qui apporta la monnaie, et aussi à une amende non moins élevée que la somme totale de monnaie qui a été introduite.» Cette dernière disposition n'explique-t-elle pas la sévérité de l'apôtre Pierre envers Ananic et Saphire ? Le système proposé par Platon était une monnaie courante, non exportable. Les promiers Romains avaient compris, de même, les avantages d'une monnaie limitée et n'ayant que peu ou point de valeur en dehors de l'estampille lui donnant efficacité pour mesurer le prix des denrées, marchandises et salaires, pour faciliter les contrats domestiques, les emprunts, prêts et dettes, conclus entre citoyens d'une même République. Pour le commerce étranger et les relations avec le dehors une provision d'or et d'argent, monnayés ou non monnayés, était gardée dans le Trésor.

    Il y a de nombreuses preuves que ce système fut suivi par les premiers rois et repris ensuite par la République romaine, lorsqu'on eût renversé les Tarquins. La décadence de ce système, c'est-à-dire l'époque précise où les nummi ne valurent plus que le poids du métal, est incertaine. Mais si l'on en croit Tite-Live, elle dut être contemporaine de Platon ou précéder un peu les enseignem e nts de ce philosophe.

    Le Serpent d'airain de Moïse n'est-il pas aussi la figure de cette circulation d'une monnaie locale dont les métaux précieux, employés pour la construction du Tabernacle et les trésors déposés en l'arche d'Alliance, étaient la garantie ? Les Juifs, comme les Romains et comme les Grecs, avaient ensuite abandonné ce système ; et Saint Etienne le reproche aux Princes des Prêtres, dans le grand discours qui le fit lapider par ses compatriotes en rage : « Vous avez accueilli le tabernacle de Moloch et la foi au dieu à tête d'aigle, leur disait-il. Nos pères eurent, dans le désert, le tabernacle du témoignage ; comme Dieu, parlant à Moïse, lui avait ordonné de le faire, selon la figure qu'il avait vue...» Le retour à la Loi économique primordiale des Hébreux, des Grecs et des Romains, tel était donc, matériellement parlant, le salut montré par le Christ.

    Outre la tessera hospitalis et la tessera militaria, il existait chez les anciens Romains, ainsi que nousl'apprend Suétone, deux sortes de tessères ordinairement en métal : 1° la tessera frumentaria, distribuée comme bon bon pour avoir du blé ou d'autres denrées et marchandises ; 2° la tessera nummaria, qui remboursait en argent. L'Empire avait gardé l'usage de ces tesserae qui étaient distribuées ou jetées au peuple, à l'occasion des fêtes, des triomphes impériaux, des avènements et autres circonstances où le maître devait assurer à la plèbe panem et circenses, afin de lui faire oublier ou trouver moins rude la servi tude. L'inscription gravée sur la médaille du Campo dei Fiori : « Pour valoir autant que celle de l'Empereur comme rémunération » montre que cette pièce dut avoir, parmi les premiers Chrétiens, le double usage de tessera frumentaria et de tessera nummaria. « Toute la multitude de ceux qui croyaient, est-il dit au IVe chapitre des Actes, n'avait qu'un coeur et qu'une âme. Nul ne considérait ce qu'il possédait comme étant à lui, mais toutes choses étaient communes, entre eux. II n'y avait point parmi eux d'indigents, car tous ceux qui possédaient des fonds de terre les vendaient et en mettaient le prix aux pieds des Apôtres. Ceux-ci le divisaient ensuite, afin que chacun en eût suivant son besoin. » Comment se pouvait faire pratiquement cette division, sinon par l'emploi d'une tessera frumentaria en tant que bon alimentaire, et celui d'une tessera nummaria en tant que bon sur le trésor commun?

    Ce trésor, composé des apports volontaires de tous, devait, sans s'épuiser, pouvoir fournir aux besoins de toute nature : vivres, vêtements, crédits, prêts, achats, etc. II fallait donc, non seulement qu'il fût géré, administré, mais encore qu'on le fit fructifier, tout en échappant aux confiscations et atteintes du fisc impérial. On ne devait plus rendre à César ce qui désormais appartenait à Dieu.

    L'usage d'une tessera nummaria, permettant de supprimer entre fidèles toute monnaie et toute pièce frappée à une autre effigie que celle de la tessère, c'était le système du nummus adopté par la République romaine, c'était aussi celui de la République idéale de Platon, celui de Moïse au désert, quand il donnait la manne et le serpent d'airain à son peuple en détresse. Ce système, qui est aussi de façon très supérieure la base de l'Economique chrétienne, explique pourquoi Jésus disait :

    « Ne vous mettez point en peine d'avoir de l'or, de l'argent ou toute autre monnaie, dans votre bourse.» S'il prohibait l'emploi de l'instrument ordinaire dos échanges, c'est que la circulation d'une tessère représentant des monnaies de compte, des monnaies imaginaires, irréelles, mais permettant de vendre et d'acheter néanmoins sans le signe officiel de César, devait avoir raison de l'universel Empire, du moment qu'un système de change en assurait le cours.

    La monnaie était nécessaire pour l'acquittement des taxes, nécessaire aussi pour les transactions avec les étrangers n'appartenant pas à la République chrétienne. Pour que, la tessera nummaria remplît son but, il fallait qu'avec ce signe on pût se procurer, au besoin, les pièces acceptées par les collecteurs d'impôts. La conversion de nombreux publicains à l'Evangile, la visite faite par Jésus à leur chef Zachée, la veille de l'entrée solennelle du Christ à Jérusalem, donnent à penser que le Maître avait pris les mesures nécessaires pour que la Communauté apostolique obtînt le crédit indispensable à ce fonctionnement libérateur. Quant aux transactions avec les étrangers, elles étaient aussi assurées. Saint Matthieu, qui devait en savoir quelque chose, puisqu'il avait été lui-même publicain avant d'être choisi comme apôtre, raconte, au chapitre XVIIe de son Évangile, le fait suivant : « Jésus et ses disciples, étant venus à Capharnaüm ; ceux qui recevaient le tribut de deux drachmes (prélevé pour l'entretien du tabernacle) vinrent dire à Pierre :
« - Votre Maître paie-t-il le tribut !
« Il leur répondit : - Oui.
« Comme il rentrait dans le logis, Jésus le prévint et lui dit : - Simon, que t'en semble? De qui les rois de la terre reçoivent-ils l'impôt et le cens? Est-ce de leurs fils ou des étrangers?
    « - Des étrangers, répondit Pierre. - Les fils sont donc exempts ? dit Jésus. Cependant, afin que nous ne les scandalisions pas ; va à la mer, jette l'hameçon, crie. Le poisson qui le premier viendra, ouvertement parle-lui ; tu obtiendras un statère (pièce de quatre drachmes), prends-le et donne-le pour toi et pour moi. » Saint Pierre, qui était pêcheur, comprenait l'allusion sans qu'il fût besoin de lui expliquer la parabole ; et Jésus savait bien que le sceau du Maître, figuré par l'hameçon, obtiendrait le statère dont il avait besoin.

    Quiconque lit les paraboles évangéliques avec un peu d'attention ne peut manquer d'être frappé des nombreuses allusions économiques qui s'y trouvent. La parabole de «l'intendant », celle des « talents », celle des « drachmes », combien d'autres encore ont trait évidemment à la question du trafic, du lucre, dé l'agio, du commerce des métaux précieux ; toutes chosesqui intéressaient au plus haut point, non seulement les Juifs, maia tous les peuples à cette époque, comme elles devraient encore être, en la nôtre, mieux connues de ceux qui dirigent les nations. En disant hautement : « Vendez vos biens ? », le Christ n'avait pas prétendu supprimer le travail, prohiber le commerce, interdire l'industrie. Il ne pouvait faire, des Chrétiens, des inactifs et des mendiants. Mais il ordonnait qu'on confiât à chacun. ce qu'il était capable de faire, afin que « le joug fût doux et le fardeau léger ». Le discernement des capacités et des valeurs était donc, avec le crédit nécessaire à la mise en oeuvre de ces capacités et de ces valeurs, quelles qu'elles fussent, le système économique de l'Eglise en tant que Société. Toutefois, - le Maître l'avait montré par les paraboles, - le paresseux, l'incapable, devaient être impitoyablement rejetés dans les ténèbres extérieures, - c'est-à-dire hors de la communion des frères, n'étant pas dignes de participer aux garanties et avantages procurés par celle-ci.

    L'image de la tessera frumentaria, comme bon alimentaire, èxplique pourquoi Jésus avait dit : « Ne vous inquiétez pas de la nourriture ; ne dites point : « Comment mangerons-nous ? Comment boirons-nous ? ainsi que font les païens qui se préoccupent de toutes ces choses : Mais cherchez le royaume de Dieu ; faites prévaloir sa justice et le reste vous adviendra, comme par surcroît. » Qu'était ce royaume de Dieu ? En quoi consistait cette justice ? Les paraboles eurent pour but de le montrer à ceux qui étaient capables de le comprendre. Toute parabole est une allégorie, une comparaison, dont il faut traduire et pénétrer le sens. Aussi le Christ ajoutait-il: « Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre... Il n'y a rien du secret qui ne doive être manifesté, rien d'occulte qui ne doive être découvert... J'ouvrirai la bouche pour dire des paraboles, et je publierai des choses qui ont été cachées depuis le commencement du monde». « Et il ne parlait point sans paraboles, dit Saint Marc, mais lorsqu'il était seul avec ses disciples, il leur expliquait tout.» La Finance est une des énigmes, la plus complexe peut-être, que le Sphynx ait posée devant l'Humanité, depuis l'origine des Sociétés et des Civilisations. La Monnaie, instrument de la Finance, est incontestablement aussi un des importants problèmes qui ont préoccupé les plus grands esprits.

    Le Verbe divin ne pouvait manquer de s'occuper d'une telle question et d'ouvrir, sur sa solution possible, les yeux de ceux qui eurent foi en lui et désirèrent sincèrement, être guéris de leurs maux. A notre époque, il ne manque pas d'aveugles conduisant d'autres aveugles et courant avec eux à l'abîme, sans même se douter du péril. L'Evangile leur peut rendre la vue, s'ils veulent écouter la parole : « Nul ne saurait servir deux maîtres, il faut choisir entre Dieu et Mammon. » Mammon est une expression syriaque signifiant : richesse nourricière, monnaie féconde, l'usure en un mot.

    La Monnaie doit rester instrument de travail. Comme telle, elle est utile, elle est bonne. Mais elle devient pernicieuse lorsque, se reproduisant automatiquement elle-même de manière à supprimer, pour celui qui l'a, tout effort matériel ou intellectuel, elle sert à rendre, pour le faible, le joug plus pesant et le fardeau plus lourd.

    Les riches sont des économes ; le Père céleste leur a « baillé en commende » des talents à faire valoir, non pour leur simple agrément personnel, mais pour le profit de tous : « Faites aux hommes ce que vous voulez qu'ils vous fassent ; voilà la Loi et les Prophètes ! » disait Jésus. Grâce à l'emploi de la tessera nummaria la monnaie retrouvait, pour les Chrétiens, son caractère d'instrument. En dehors de la communion des frères, cette tessère était sans valeur ; mais, entre eux, elle rendait pratique et facile le souhait exprimé, chaque jour : « Donnez-nous notre pain quotidien ; remettez-nous nos dettes, comme nous remettons les leurs à ceux qui nous les doivent.» Ils avait une richesse sociale, assurant la création et le jeu de la civilisation chrétienne ; mais individuellement les disciples du Christ restaient pauperes Spiritu, pauvres par l'Esprit.

*
* *
    Si l'on veut se rendre compte de ce que fut, économiquement parlant, cette bonne nouvelle, cet Evangile annoncé aux hommes comme libération rédemptrice, et aussi pourquoi il fut si vite et si universellement admis, il faut se reporter au temps où naquit Jésus.« En ce temps là, dit Saint Luc, fut publié un édit de César Auguste qui avait pour objet d'etablir le cents, sur toute la terre. Le premier dénombrement se fit par Cyrinus, gouverneur de Syrie. Et, comme chacun allait se faire inscrire dans sa cité, Joseph partit de Nazareth, ville de Galilée, et vint en Judée dans la cite de David appelée Bethléem ; car il était de la maison et de la famille de David.» En chaque province de, l'Empire, tout homme était ainsi obligé de faire connaître aux censeurs sa demeure, sa famille, sa fortune, son état de vie, ses ressources. D'après l'estimation des biens, faite en même temps que le dénombrement des individus, la part contributive de chacun à l'impôt, au service de la guerre et au fisc, était déterminée.

    Le fisc était, à Rome, le trésor particulier de l'Empereur, par opposition au trésor de l'Etat. Alimenté, par les revenus des provinces impériales, l'impôt foncier, le produit des confiscations ou des successions en deshérence, le fisc fournissait les fonds nécessaires à la défense et à l'administration du territoire. Il permettait à l'Empereur d'entretenir une foule de fonctionnaires ne dépendant que de lui seul. Auguste avait ainsi créé la charge de procurateur; ce magistrat était choisi parmi les chevaliers ou les affranchis, il était à la fois receveur général des droits du fisc et juge chargé des sentences concernant les causes fiscales, ainsi que je l'ai indiqué plus haut à propos de Pilate. Le cens, portant sur les propriétés immobilières comme sur les richesses mobilières : bijoux, meubles, vaisselle plate, objets de luxe, etc., donnait naturellement de grandes ressources au fisc. Tombé en désuétude pendant les guerres civiles, le cens fut rétabli par Auguste, qui en fit dresser les rôles avec une telle ardeur, qu'à sa mort, il put transmettre à son successeur, avec son testament, le Breviarium totius Imperii. C'était l'abrégé, écrit de sa main, de toutes les ressources de l'Empire. Les taxes furent généralement établies de façon si lourde, que le censitaire était souvent obligé d'abandonner la terre pour le cens et de renoncer à des biens plus onéreux que profitables. Ces biens l'exposaient, en outre, s'il en pouvait supporter les charges, à tomber sous le coup des convoitises de César. Le fisc recueillait les successions en deshérence ; rien n'était donc plus simple et pratique, pour augmenter le trésor de l'Empereur, que de faire tuer, les maîtres des domaines et leurs héritiers naturels, ou d'exiger qu'un testament fût fait préalablement en faveur du Maître qui envoyait aux patriciens l'ordre de s'ouvrir les veines.

    Aussi, lorsque Jésus vint dire hautement : « Vendez vos biens! » fut-il écouté. Et lorsqu'il ajouta: « Donnez-en le prix aux pauvres ! » il fut compris. Les pauvres n'étaient pas alors ce que nous entendons aujourd'hui par ces mots. Quiconque était, à cette époque, tout à fait démuni de ressources, devenait presque fatalement esclave. Donner à des esclaves le prix d'une vente, c'eût été enrichir leurs maîtres sans aucun profit pour la communauté chrétienne.

    Les premiers chrétiens, sur le conseil du Christ, vendaient leurs fonds de terre ; et ils échappaient ainsi au cens, au fisc, aux impôts frappant les domaines, aux dangers de mort menaçant les personnes. Quiconque voulait alors sauver sa vie devait renoncer à attirer sur lui l'attention de César. Mais, en revanche, la communauté apostolique renonçant à la possession des terres, ne pouvait produire ce qui était, chaque jour, consommé par les fidèles. Où trouvait-on du pain pour nourrir tout ce monde ? Comment se procurait-on le blé nécessaire pour faire ce pain ? Avec quoi achetait-on les vêtements et toutes les choses indispensables à la vie des nombreux frères admis en l'Eglise ? Si on eût dépensé, à capital perdu, la monnaie déposée aux pieds des apôtres et provenant du prix des biens, les donataires eussent été bientôt victimes de leur générosité. Grâce à la rapidité et au nombre prodigieux des conversions, les agapes quotidiennes, les besoins journaliers devaient épuiser assez vite le trésor si rien ne l'alimentait. Tous ces premiers fidèles n'apportaient évidemment pas les mêmes ressources, cependant chacun avait accès au partage. L'abnégation des riches, sans une sage prévoyance, eût donc eu pour résultat la ruine générale de l'Eglise. Cependant il n'en fut point ainsi. Non seulement l'Histoire ne nous dit pas que les fidèles manquèrent du nécessaire ; même au temps les plus difficiles ; mais elle nous montre l'Empire bientôt démuni de force par la perte du numéraire lorsque l'Eglise, enfin sortie des persécutions et des catacombes, peut continuer sa propagande au grand jour.

    A la fin de la République, Rome regorgeait de métaux précieux : César et Pompée avaient rapporté une telle quantité d'or et d'argent, l'un de ses guerres de Gaule, l'autre de ses guerres d'Asie, que la valeur intrinsèque des deux métaux eût considérablement baissé si César, par un coup d'audace, n'eût élevé soudain la valeur de l'or en consacrant, comme privilége sacerdotal, le rapport de 12 livres d'argent pour 1 d'or, alors que la République avait successivement admis celui de 9 et celui de 10. Le décret de César obligeait tous les tributaires de Rome à payer 12, au lieu de 10, s'ils voulaient s'acquitter en argent, ou à rechercher l'or dans les contrées où il n'était pas aussi cher.

    L'Inde et l'Extrême-Orient avaient gardé l'antique rapport admis en ces pays, et qui était des 6ou 6 1/2 d'argent pour 1 d'or. Un grand commerce de métaux ayant eu lieu, de temps immémorial, avec ces terres lointaines, le décret de César eut pour effet de l'activer. Au temps de Pline, les Hindous tiraient au moins 50 à 100 millions de sesterces d'argent par an de Rome et, quoique cette somme fût en partie remboursée en marchandises, une certaine part l'était en or, suivant un rapport qui, on le voit ; assurait aux Romains un bénéfice d'environ cent pour cent. Ce trafic des métaux précieux a toujours été une source de grands bénéfices et aussi de rudes querelles, dans les Etats du Levant. Les Juifs n'y pouvaient rester indifférents, car une portion de ce trafic se faisait par Palmyre et, de cette portion, Jérusalem tirait des avantages considérables.

    Dans un de ses plaidoyers, Cicéron parle de ce commerce des Hébreux, et des entraves que les Romains y mirent : « Comme notre or, dit-il, était annuellement emporté d'Italie et de toutes les provinces romaines par les Juifs à Jérusalem, Flaccus, proconsul de Syrie, par un édit public, prohiba son exportation d'Asie.» Cela se passait, une soixantaine d'années avant l'ère chrétienne. Les Juifs achetaient de l'or avec de l'argent, dans les provinces situées entre la Palestine et l'Inde, parce qu'il était moins cher dans ces lieux qu'en Europe. Avec cet or, ils rachetaient de l'argent en Grèce ou en Italie et réalisaient de beaux bénéfices,grâce à cet agio.

    Interdire l'exportation de l'or, d'Asie en Europe, c'était couper court à ce commerce presqu'au moment où, grâce au décret de César, il allait devenir le plus fructueux. Les Romains monopolisaient pour eux-mêmes le pouvoir de gagner cent pour cent. Le fisc se chargea de faire les transactions ; les publicains, c'est-à-dire les fermiers généraux de l'Empire, les sous-fermiers et les commis chargés de lever les impôts, de percevoir les péages et autres taxes, ne m anquèrent pas de profiter des circonstances et de se réserver la plus grosse part des bénéfices de l'agio.

    César avait été assassiné par Brutus, mais Auguste avait réussi à s'approprier la succession et à s'en assurer toutes les prérogatives, y compris celles de la fraplle de l'or, réservée au Souverain Pontificat et à l'Apothéose. Le potentat avait, de son vivant, droit à l'autel ; il était dieu. L'empire débutait avec un numéraire énorme, et il était fiscalement organisé pour accaparer automatiquement tout l'or de la terre. Les pillages et les guerres, d'autre part, lui devaient donner les moyens de récupérer l'argent qui tendait, par contre, à prendre le chemin de l'Inde et à rester en Extrême-Orient. Les Césars, si rien ne venait contrecarrer leur puissance, devaient à bref délai s'enrichir des dépouilles de l'Univers entier, alors connu. Ce fut précisément au moment où l'Autocrate, se croyant sûr du triomphe, rétablissait le cens pour en accabler tout le monde, que Jésus naquit à Bethléem, dans une pauvre grange, tandis que les anges chantaient : « Paix aux hommes de bonne volonté! " A cet humble berceau, l'Eloile, prédite jadis par Jacob, puis par Balaam, conduisait les Mages venant d'Orient pont déposer l'Or aux pieds d'un Enfant qu'en dépit de César ils reconnaissaient ainsi comme le vrai Roi. « Le Peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, et cette lumière éclaire ceux qui étaient assis dans l'ombre de la Mort, avait dit Isaïe. En ce jour-là, le rejeton de Jessé qui est posé en tessère des peuples, in die illa, radix Jesse qui stat in SIGNUM populorum, les Gentils le prieront et son sépulcre sera glorieux. Et levabit SIGNUM in nationes, et la tessère sera un soulagement chez les nations et rassemblera les fugitifs d'Israël et les dispersés de Juda, des quatre plages de la terre».

    La médaille du Campo dei Fiori n'est-elle pas un spécimen de cette tessère prédite par Isaïe ? Suétone donne au mot SIGNUM le sens de tessère et, du reste, ce terme latin signifie, marque, empreinte, effigie, cachet, sceau. De plus, si l'on considère le texte hébreu, radix Jesse se doit traduire par : racine de l'arbre généalogique, souche du vieux tronc. Et le mot Aïsh désignant, dans la Bible, l'homme de l'Eden avant la chute se rapporte bien à cette racine, à cette souche. L'expression Aïshou montrerait alors clairement que le texte d'Isaïe annonce bien une tessera nummaria, marqué de l'effigie du Christ.

    Ce sujet ne fut-il pas celui du discours prononcé par les Apôtres, le jour même de la Pentecôte, en une langue universelle ayant, sans doute, quelque rapport avec le langage speranto des Juifs modernes ? « Il y avait alors à Jérusalem, raconte Saint Luc au 2e chapitre des Actes, des Juifs de toutes les nations qui sont sous le ciel. S'étant assemblés, ils furent fort surpris de ce que chacun d'eux entendait les Apôtres parler en sa langue. Ils en étaient tout hors d'eux-mêmes et, dans leur étonement, s'entredisaient : « Ces gens q ui nous parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment doncles entendons-nous parler, chacun en la langue de notre pays ? Parthes, Médes, Elamites, habitants de la mésopotamie, de l'Arménie, de la Cappadoce, du Pont, de l'Asie, d ela Phrygie, de la Pamphylie, de l'Egypte, de la Lybie qui est proche de Cyrène, ceux qui viennent de Rome, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons parler en notre langue des grandes merveilles de Dieu. Que veut dire ceci ?

    Alors Pierre, accompagné des Onze, éleva la voix et leur parla : « O Juifs et vous tous qui demeurez à Jérusalem, considérez ce que je vais dire, soyez attentifs, à mes paroles. Que toute la maison d'Israël sache très certainement que Dieu a fait Seigneur et Christ (maître et sacré) ce Jésus que vous avez crucifié ! »

    « Ayant entendu ces choses, ils furent touchés de compoction et dirent à Pierre et aux autres a postoles : - « Frères, que devons-nous faire ? »

    « Pierre leur répondit : « Ayez regret et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, pour rémission de ses fautes et acceptez le don de l'Esprit Saint. Car la promesse est pour vous et pour vos enfants et pour ceux qui sont éloignés, autant que Dieu en appellera.»

    « Ceux donc qui comprirent son discours furent baptisés et il y en eut environ trois mille ce jour-là.» Pour que ces Juifs fussent revenus ainsi à résipiscence et qu'on les admît au baptême, sans autre préparation, sans autre garantie de leur foi, ne fallait-il pas que l'idéalité de l'Evangile laissât place alors aux préoccupations pratiques et immédiates d'une organisation où le nombre primait peut-être la valeur? « Ephraïm ne sera plus jaloux de Juda, et Juda ne combattra plus Ephraïm, et ils voleront ensemble pardessus les épaules des Philistins, à tràvers la mer; et, en même temps ; ils dépouilleront les fils de l'Orient », avait ajouté Isaïe à la prophétie citée plus haut.

    Les Apôtres qui rêvaient le rétablissement de la puissance d'Israël, Saint Pierre lui-même qui, pour cette raison, s'était attiré cette dure parole du Christ : «Retire-toi de moi, Satan, tu m'es une pierre de scandale ! »durent appliquer, de façon pratique et matérielle, d'abord, les enseignements du Maître. Qui sait même si cette prévision ne fut pas pour Jésus, la cause de sa douloureuse agonie. Il avait dit : « La Reine du Midi s'élèvera contre Capharnaüm, Bethsaïde et Jérusalem » ; et, dès le début de la prédication des diacres, de ces économes spécialement chargés de l'administration des biens de la communauté apostolique, nous voyons Philippe, l'un d'eux, baptisant sur le chemin l'eunuque de Candace, reine d'Ethiopie. Cet eunuque était le surintendant de tous les trésors d'Abyssinie, il était donc à même d'ouvrir aux transactions la route d'Orient par le Midi. Cette route était alors fermée aux Romains. Y passer, permettait de « voler par-dessus les épaules des Philistins à travers les mers » et d'aller acheter; avec de l'argent, l'or de l'Inde et du Cathay.

*
* *

    La médaille de change, la tessera nummaria, ne fut-elle pas pour les premiers fidèles de véritables jetons-monnaies représentant fiduciairement le prix des biens mis aux pieds des Apôtres ? Les hermites au désert, les diacres en les églises, les chrétiens pour l'acquittement des impôts et le négoce avec les étrangers, ne pouvaient se passer de monnaie. Tous cependant avaient de bonnes raisons, pour ne point se servir de celle de l'Empire. Il est même fort probable qu'une fois en leur possession les pièces marquées à l'effigie de César étaient, une partie au moins, dépouillées de l'image et de l'inscription qui eussent donné au potentat un certain droit de les reprendre. Le conseil d'Isaïe: « Tous les butins remportés avec violence et tumulte seront mis en combustion » ne resta point, sans doute, lettre morte. Réduits en lingots, les métaux précieux durent être confiés comme talents à ceux qui savaient s'en servir et doubler leur valeur, grâce à la différence du rapport existant entre l'argent et l'or en Orient et en Occident.

    Ces lois du change, ces conditions financières, les chrétiens ne les avaient point créées ; ils les trouvaient tout établies. S'ils eurent l'intelligence, de s'en servir pour libérer les esclaves, briser le joug despotique de l'Empire, rendre aux hommes la liberté d'âme et de corps, qui pourrait les en blâmer? Ces mêmes lois, ces mêmes conditions, existent encore à notre époque. Pourquoi les fidèles du Christ s'en laissent-ils accabler, au lieu de les utiliser pour améliorer le sort de leurs frères et faire prévaloir la civilisation évangélique? Pourquoi ? Parce qu'en général ils les ignorent et se contentent de faire des voeux pour la solution des questions sociales, sans prendre les moyens pratiques de les résoudre.

    L'emploi du jeton-monnaie, de la tessera nummaria, n'ayant de valeur que pour les membres d'une même collectivité, se continua, non seulement pendant les premiers siècles de l'Eglise mais pendant tout le Moyen-Age. Si l'on regarde les pièces frappées par Saint Louis, par exemple, par ses barons, par les abbés de monastère, par les rois étrangers, on se convainc de la perpétuité de ce fonctionnement dans la Chrétienté presque jusqu'aux temps modernes. Le système £ .s. d. fût en honneur partout où l'Evangile pénétrait. Les £. s. d. étaient des monnaies de compte, monnaies irréelles, dont l'existence n'était que fictive et déterminée seulement par le décret disant que tant de deniers vaudront un sou d'or ; tant de sous d'or, une livre. La monnaie locale avait cours dans l'Etat ou la Province dont le chef l'avait estampillée de son sceau ; mais elle redevenait lingot, c'est-à-dire sans autre valeur que son poids et la valeur intrinsèque de son métal, à la frontière. De cette façon le seigneur, l'abbé, le roi, savaient toujours la quantité des pièces émises et, s'ils étaient honnêtes, de bonne foi et de conscience droite, ils ne mettaient en circulation que là quantité en rapport avec le trésor représenté fiduciairement par ces pièces. Pour les transactions internationales, un système de change et de crédit assurait la réalisation du souhait chrétien : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons les leurs à ceux qui nous doivent. » C'était aux dirigeants, à gouverner le mouvement des métaux précieux, de manière à assurer à leurs peuples la garantie du pain quotidien et l'accroissement de la richesse nationale. Pour cela, ils devaient connaître les routes préférées du commerce, en maintenir la sécurité, s'ingénier à les multiplier, à en créer de nouvelles, â les rendre faciles et sûres.

    Le crédit vit de confiance, le commerce vit de paix ; la richesse sociale ne provient pas tant de la concurrence que de l'émulation, de l'activité de l'intelligence, de l'entente des membres de la Société. Il faut que les nations se partagent la tâche et que chacune fasse ce que son génie, sa situation, la nature de ses ressources comportent ; au lieu de s'annihiler les unes les autres en prétendant faire toutes la même chose, dans les mêmes lieux, par les mêmes moyens. «Je vous laisse un commandement nouveau, a dit le Christ : Aimez-vous les uns les autres ! » C'est par l'union que les premiers chrétiens ont brisé le despotisme et préparé l'évolution vers la fraternité, vers la sympathie, vers la paix. « Voyez comme ils s'aiment ! » disaient les païens étonnés. S'ils avaient bien pu saisir et comprendre le fonctionnement de la primitive Eglise ils eussent ajouté : « Voyez comme ils s'organisent ! »

    Pierre, en effet, sur l'invite de l'Esprit, allait trouver Corneille, le centurion qui appartenait à une grande famille romaine ; et, en accueillant les Gentils, l'apôtre préparait son exode vers Rome. Le diacre Philippe baptisait l'eunuque de la reine Candace et assurait ainsi la route d'Abyssinie aux missionnaires. La tradition nous dit que Saint Thomas alla aux Indes, Saint André en Sarmatie, Saint Marc à Venise, Lazare en Gau le, Luc en Bretagne, Rufus (fils de Simon de Cyrène) en Afrique.

    Dans son Epître aux Galates, l'apôtre Paul nous apprend qu'après avoir entendu, sur le chemin de Damas, la Voix lui disant en langage hébraïque : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?» et s'être converti au Christ, il prêcha l'Evangile du Maître aux incirconcis, sans avoir reçu d'autres instrutions que celles d'Ananie. « Je ne suis point retourné à Jérusalem, affirme-t-il, vers ceux qui étaient apôtres avant moi ; mais je m'en suis allé en Arabie, et puis je suis revenu encore à Damas. Ce fut seulement après trois ans, que je retournai à Jérusalem pour visiter Pierre. Je restai, quinze jours, avec lui ; et je ne vis aucun des autres apôtres sinon Jacques. J'allai ensuite dans la Syrie et la Cilicie. Les églises de Judée ne connaissaient pas mon visage. Quatorze ans après, j'allais de nouveau à Jérusalem avec Barnabé et Tite... Ceux qui avaient connu la grâce, Jacques, Céphas et Jean, nous donnèrent la main droite pour marquer la société et l'union qui étaient entre eux et nous. Ils nous recommandèrent seulement de nous ressouvenir des pauvres, ce que j'ai toujours eu grand soin de faire. » Cette parole de Saint Paul n'expliquerait-elle pas la dernière partie de l'inscription gravée sur la tessère du Campo dei Fiori : « lorsque la Syrie lèvera la dîme sur les vivants.» Saint Paul avait créé un chemin par l'Arabie, comme le diacre Philippe avait ouvert une route par l'Ethiopie vers les Indes. L'Esprit Saint avait, par deux fois, interdit à Saul et Barnabé la pénétration dans la haute Asie ; ils avaient dû revenir vers la Syrie et l'Occident. Plus tard, Saint Pierre alla lui-même à Antioche avant de se rendre à Rome ; mais, en attendant, Saint Paul envoya sans doute aux pauvres cette dîme dont la médaille du Campo dei fiori fait mention et qui devait permettre d'échanger, contre des monnaies ayant cours, la tessera nummaria, lorsqu'on avait besoin d'acquitter des taxes ou de négocier quelques affaires avec les étrangers qui n'appartenaient pas à la république chrétienne.

    Le voyage des prophètes mandés de Jérusalem à Antioche, la prédiction faite par Agabus (l'un d'entre eux) d'une grande famine survenant sur toute la terre, prédiction racontée dans les Actes des Apôtres et à la suite de laquelle, dit Saint Luc, « les disciples résolurent d'envoyer, chacun selon son pouvoir, quelques aumônes aux frères qui demeuraient en Judée, ce qu'ils firent par les mains de Barnabé et de Saul », confirme bien, ce semble, l'existence de cette dîme qui fut, pour ainsi dire, l'origine du denier de Saint Pierre, offrande volontaire destinée à favoriser l'administration matérielle de l'Eglise et la propagation de la Foi.

    Les grands troubles, survenus à Ephèse parmi les orfèvres et argentiers ameutés coutre Saint Paul par un nommé Démétrius, montrent combien la propagande évangélique inquiéta ceux qui connaissaient la question et les avantages du trafic des métaux précieux. « Quelques-uns des Asiarques c'est-à-dire des plus riches et considérables pontifes de l'Asie qui étaient amis de Paul, l'envoyèrent prier de ne passe rendre au théâtre où Démètrius avait rassemblé une grande foule qui, ne sachant guère pourquoi elle était réunie, criait à tort et à travavers . » Saint Paul, le lendemain, quitta Ephése et n'eut plus occasion d'y revenir. Ce fut Saint Jean qui s'y établit et réussit à y faire prévaloir la doctrine évangélique.

    Tous les efforts, du reste, tendaient au même but : combattre Satan, renverser le pouvoir du Prince du Monde, vaincre Moloch et Mammon. Par tous ces noms la primitive Eglise entendait non seulement l'Esprit de Ténèbres, le diable immatériel, celui-dont le nom en hébreu signifie Destruction ; mais l'autocrate Empereur, sous le joug pesant duquel étaient pliés les âmes et les corps.

    On dit que les moutons, menacés par le loup, se défendent en cercle. Les brebis restent au centre et les agneaux demeurent auprès d'elles, les béliers faisant front à la circonférence. On en dit autant des buffles luttant contre le tigre. En ces cas, buffles ou moutons se solidarisent, ils font masse ; chaque élément se met de lui-même où il faut pour aider à la défense commune on ne pas gêner celle-ci. Là est tout le secret de leur force. Les premiers Chrétiens ne firent pas autre chose et c'est pourquoi ils eurent raison de la Bête dont les hommes « petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves devaient porter le charactère en la main droite ou au-front. » Le character, en latin, est le fer enduit de couleur avec lequel on marque les bestiaux, ou encore l'empreinte faite par ce fer. C'était donc, au figuré, le stigmate de servitude. « Et personne ; ajoute Saint Jean dans l'Apocalypse, ne peut ni acheter, ni vendre, s'il n'a le charactère ou le nom de la Bête ou le nombre de son nom.»

    « Ceci est la Sapience. Que celui qui a de l'intelligence compte le nombre de la bête. Son nombre est le nom d'un homme, et son nombre est six cent soixante six. » Or, l'expression syro-hébraïque Kshé-Sar qui signifie le durprince correspond précisément à ce nombre kabbalistique :

K = 100.
sh = 300.
= 5.
s = 60.
a = 1.
r = 200.

-----------
      666.

    C'est donc non seulement, on le voit, le nom d'un homme, mais le nom d'une fonction : celle de l'Universel Empereur que Saint Jean invite les fidèles à connâitre afin de défendre, en tous temps, contre ses atteintes et ses attentats la liberté, et les intérêts des individus et des peuples : « Que celui qui a des oreilles entende ce que l'Esprit dit aux Eglises ! »

    Je m'arrête, Monsieur, sur ce mot de Saint Jean. Il y aurait encore bien d'autres choses a dire sur l'Economique chrétienne si l'on voulait regarder, d'après l'Apocalypse, l'heure qu'il est au cadran providentiel et déduire d'après les leçons de l'Histoire, la solution possible des crises modernes.

    La tessère du Campo dei Fiori indique ce qui fut autrefois la voie de salut en des jours semblables à ceux qui se préparent. Je ne doute pas que vous le compreniez, comme moi, et je me réjouis avec vous de la découverte que vous avez faite et qui me paraît être, pour l'avenir, un gage d'espoir et, pour les peuples, un signe précurseur de la paix.

FRANCIS ANDRÉ.

    Telle est cette lettre d'un correspondant probablement anonyme, dont l'érudition abondante et sûre frappera l'attention des esprits les plus compétents en matière d'archéologie et de politique.

    Parmi les premiers, qui s'occupèrent impartialement de la médaille du Campo dei Fiori, nous avions déjà recueilli les libres hypothèses de MM. Babelon, Müntz, De Latour et Ledrain, concluant trop promptement peut-être à la période du XVIe, pour assigner une date probable à l'origine encore inconnue de cette pièce énigmatique. Il est si commode, en matière de recherches archéologiques, d'arrêter ses Investigations à une date où l'on puisse sûrement rapporter un document. Or, celui du Campo dei Fiori ne se trouvait-il pas déjà classé dans la collection des pièces du célébre médailleur Antonio Rossi, qui, sous le pontificat de Pie V (1565-1572), frappa, pour le compte de ce pape, un portrait de Jésus à peu près semblable au nôtre. Il est vrai que tous les caractères hébraïques de la médaille du Campo dei Fiori avaient disparu dans celle du graveur milanais Antonius Rubens. Il n'y avait plus la légende syro-hébraïque, purement gnostique et par conséquent contemporaine des premiers juifs christianisés, qui affirmait, mieux que verbum incarnatum de l'apôtre Saint Jean, le lumen incarnatum des premiers puritains dissidents. Et surtout le type de la belle Renaissance que l'artiste milanais avait auréolé, comme un dieu, ne rappelait que par une interprétation sommaire et idéalisée le portrait tout personnel qu'accusent, dans la médaille du Campo dei Fiori, les lèvres épaisses du juif et la forme cranienne très développée par où se signale plutôt un philosophe qu'un esthète, un homme réel de pensée supérieure qu'un beau modéle imaginé en atelier. Au reste, comment Rossi aurait-il créé ce type vers 1572, quand nous le retrouvons dans le trésor de Jules II, en 1505, et, dans celui du British Muséum et de l'Académie de Dublin à des dates antérieures encore ?

    Quoi qu'on fasse pour attribuer cette création de Jésus au crayon même de Léonard de Vinci, qui s'en était inspiré maintefois dans ses oeuvres, la critique des numismates se déconcerte par des spécimens de la même médaille qu'on nous signale, d'un jour à l'autre, en Palestine, en Irlande, en France, en Russie, partout où le christianisme naissant a laissé trace de son passage avec cette médaille mille fois reproduite à l'usage du peuple, d'une manière si rudimentaire et si naïve que la commune légende hébraïque en pouvait seulement marquer l'identique et primitive origine. Et la numismatique désappointée en était là, de ses suppositions insuffisantes, quand l'exégèse philosophique a pensé que son heure était venue, de parler à son tour.

    Que répondra la science herméneutique à notre correspondant de la dernière heure ? Et les philosophes du socialisme moderne, qui trouveront peut-être aussi quelque méthode pratique et salutaire à glaner dans cette théorie palpable et presque mathématique du socialisme primitif, voudront-ils retirer quelque enseignement de la manière simple dont les premiers disciples de Jésus conquirent par la pauvreté ce même monde que Rome avait conquis par la richesse ? Nous n'osons pas croire encore qu'à cette poignée de héros antiques dont l'ère nouvelle fut enfantée, entre un berceau sans langes et une croix d'ignominie, une pauvre tessère, qu'à dix-neuf siècles de date l'ironie du hasard nous aura fait trouver et payer deux sous dans la sébille d'un vieux juif, eût suffi pour démonétiser, gràce à ce plomb sans valeur, cet or par lequel tout s'achète, excepté la vertu, et pour rendre à cette pauvre vertu sans prix l'empire même du monde d'où les césars antiques l'avaient chassée et où la réinstallera, - qui sait ! - l'abnégation sainte et savante que nous annonce les prophètes du socialisme prochain.
                           BOYER D'AGEN


 


(1) Notice sur la Médaille du Campo dei Fiori ; Paris, Falize, orfèvre éditeur, 6, rue d'Antin, 1899. La même maison édite, sous divers formats, en or, en argent et en bronze, des reproductions identiquement conformes à la médaille originale, conservée par M. Boyer d'Agen.
N.D.Webmestre : Desormais chez H. Desaguiller, Bijoutier - Joailler : 43, Avenue de la République 75011 Paris. Tel : 0143579170

(2) Voir pour cette importante question « Les systèmes monétaires des principaux Etats du monde » par Al. Del Mar. Traduction par, M. A. Chabry. Bureaux de la Ligue Bimétallique, 14, rue de Grammont, Paris. En lisant cet ouvrage on se rend compte de l'importance immense de la Finance, dans le jeu de l'Histoire.