MÉDITATION POUR CHAQUE SEMAINE
 

I. La Connaissance de soi-même  
II. La Paresse
III. Les Désirs intempestifs
IV. L'Impolitesse
V. Le Précurseur
VI. Le Gaspillage
VII. Les Revers de Fortune
VIII. L'Apathie
IX. La Vierge
X. Les Querelles Conjugales
XI. Les Peines de Coeur
XII. La Familiarité


I. LA CONNAISSANCE DE SOI-MEME 

« Qui cherchez-vous ? » 
(Jean XVIII, 4)

Jésus est là; Il Se tient en silence devant la porte de mon coeur; Il attend. Les passions, les ambitions, les jouissances viennent à peine de me révéler le goût de leur cendre. Jésus est là; Ses yeux qui voient tout, Il les tient baissés. afin que la profondeur de Son regard ne m'intimide pas; Il Se tait, parce que Sa voix me bouleverserait; Il cache Ses mains miséricordieuses, parce que leur contact allumerait trop tôt dans mon sang l'incendie de l'Amour. 
Il attend parce qu'II me veut tout entier : depuis mon corps, construit par Ses ministres, jusqu'à mon coeur où Ses Anges édifient Son sanctuaire. Il attend, parce qu'II ne veut pas me prendre; Il veut que je me donne; Sa tendresse n'aime que ce que je Lui offre. C'est en vue de ce geste qu'II a disposé sur ma route les fondrières et les mirages; puisque je n'ai pas voulu Le croire, je dois faire mes expériences. La fatigue et la peur me tourneront vers Lui. Je n'ai pas voulu L'écouter. Du même bond que l'homme poursuivi par le fauve se jette au fleuve, quelque nuit, affolé par le remords, je plongerai dans les courants irrésistibles de l'Amour. 
Que j'explore à fond mes déserts intérieurs; que j'étreigne tout les fantômes; que je goûte à tous les fruits; que je me convainque du mirage universel; que je n'attende plus rien de personne, sauf de Dieu ! 
Que cette attente soit, non pas inerte, mais active. Qu'elle soit remplie par l'imploration intime, par les douleurs de mon esprit, par ses inquiétudes, ses hâtes, ses fatigues, ses ressauts... Jusqu'à ce que, ayant préparé en moi une chambre nette, l'ayant ornée des fleurs de l'acte charitable, l'Ange puisse y chanter les cantiques de la reconnaissance, y balancer l'encensoir de l'adoration; et qu'enfin, le Seigneur en personne y descende pour la naissance définitive qui m'introduira aux parvis de l'Éternité.

OBSERVANCE : Faire, chaque soir, un examen de conscience, court, mais précis.
 
 

II. LA PARESSE 

« Quant au serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors. » 
(Matthieu XXV, 30)

Il y a une paresse profonde qui empêche même d'aller au plaisir. Il y a une paresse plus commune qui désire seulement éviter les besognes ennuyeuses. 
La première est presque incurable. La seconde peut se guérir. Beaucoup sont astreints à un labeur machinal et fastidieux qui écrase leurs élans. Ce sont des forçats, sans doute; mais le forçat le plus misérable n'est-il pas celui qui se croit libre ? Et ne serais-je pas ce fou ? 
Je sais cependant que tout travail peut m'être profitable. Mes dégoûts se justifient-ils ? Si je juge ma besogne indigne de moi, n'est-ce pas que j'en comprends mal le sens ? Ai-je voulu vraiment la hausser jusqu'à mon rêve ? Il faut donc que j'ose entreprendre du nouveau; si je n'ai pas cette hardiesse, ou cette confiance, je m'enlève le droit de me plaindre. Se plaindre, c'est s'affaiblir. J'irai donc à l'école de la résignation. 
Suis-je trop vaniteux pour accepter sans murmure le morne piétinement quotidien ? Pour vaincre le mauvais sort, il faut que je me vainque moi-même. Et Toi, ô Christ. Toi, constructeur des mondes, Tu as bien manié la varlope et le rabot; Toi, qui nourris l'univers, Tu T'es assis aux tables des hommes; Toi, qui savais tout, avec quelle patience n'as-Tu pas écouté, n'écoutes-Tu pas encore nos bavardages ? Toi, qui possèdes tout et qui n'as besoin de rien, n'es-Tu pas descendu, n'as-Tu pas peiné, ne recommences-Tu pas sans cesse le même labeur sempiternel à quoi nos volontés mauvaises obligent Ton amour ?

OBSERVANCE : Lutter contre toutes les inerties, en moi et hors de moi.
 
 


III. -- LES DÉSIRS INTEMPESTIFS

« Jésus répondit : Vous ne savez ce que vous demandez. » 
(Matthieu XX, 22)

La Loi ne réprouve aucun des motifs de science. de gloire ou de beauté qui me sollicitent à l'action. Cependant je devine qu'il en existe de plus purs. Les dieux ont beaucoup d'adorateurs; Dieu n'en a presque point; combien de fois ai-je cherché un demi-dieu, un démon même, disant et croyant ne m'inquiéter que du seul Seigneur ? 
Mais ma faute n'est pas mortelle. Courir après une ombre, c'est encore courir; et la Vie veut que je vive. Qu'au moins je ne retombe plus dans mes illusions; que je voie clair en moi; que l'Esprit darde sur moi ses éblouissantes clartés ! 
Quel homme que celui qui saurait mener ses affaires en alliant la patience orientale et l'initiative américaine et qui ne s'intéresserait pas aux millions conquis ! Quel savant que celui qui connaîtrait son ignorance ! Quel conducteur que celui qui emploierait tout son esprit, toute sa délicatesse au bénéfice du primaire le plus inculte ! 
Devenir indifférent au résultat de l'acte, après m'être passionné pour sa réussite : antinomie insoluble, si au fond de moi-même la petite lueur ne brille pas qui s'allume au seul passage du souffle de Dieu. Ni l'argent, ni le pouvoir, ni la célébrité, ni l'amour, ni l'art, ni la pensée, ni la volonté n'allumeront cette lampe, parce qu'ils ne sont que des reflets. Elle est la flamme originelle subsistant par soi-même, inextinguible, victorieuse; elle est la douceur même, et tout incendie s'abat devant elle; elle éclaire, elle échauffe, sans brûler, et le coeur du plus noir archange éclate et se fond sous son rayonnement mystérieux. 
Je garderai cette lampe dans la chambre la plus secrète de mon moi, et elle me donnera l'humilité; je promènerai cette lampe tout alentour, l'élevant sur les fronts, l'abaissant sur les boues; et ce sera la charité. Ainsi mes désirs du périssable mourront pour renaître dans l'Impérissable.

OBSERVANCE : Ne satisfaire aucun désir personnel.
 
 


 

IV. L'IMPOLITESSE

« En entrant dans la maison, saluez-la. » 
(Matthieu X. 12)

J'ai raison de rester courtois avec un fâcheux; mais il serait meilleur encore que je chasse mon agacement; ma politesse serait sincère, et elle porterait les fruits de la sincérité. Si je ne suis poli que pour produire une bonne impression, je rends un culte aux dieux du respect humain, du mensonge et de la vanité. 
L'impolitesse n'est qu'une défense de mon égoïsme, de mes aises, de mes caprices. Je suis à un travail important, je marche absorbé dans des réflexions graves; un fâcheux fait irruption dans mon bureau, un flâneur m'arrête; pourquoi m'impatienter ? Ces gens sont, comme moi, des signes mobiles de la Force cosmique; ils ont peut-être quelque chose à me dire, sans le savoir. Et, si je n'ai pas entendu leur message secret, ils m'auront tout de même rendu plus fort et meilleur, puisque. grâce à eux, j'aurai dominé mes nerfs et fait un pas vers la sincérité : puisque, peut-être, en leur étant aimable, ils se seront souvenus que la Bonté existe. 
Non, ces petites choses ne sont pas ridicules, ni méprisables. La terre entière est faite d'infiniment petits. Je m'exerce comme le permet ma faiblesse. Il ne tient qu'à moi d'ennoblir, d'enrichir ma vie intérieure, par des magnificences si pures, des somptuosités si hautes, que ma vie extérieure en devienne incapable de petitesses. 
A force d'amonceler les grains de sable de mes petites vertus, je finirai bien par cimenter les fondations de mon Temple.

OBSERVANCE : Que mon Idéal transparaisse sur toute ma personne, sur mon visage, dans mes paroles, dans mon attitude et dans mes gestes.
 
 


V. LE PRECURSEUR

« ...Jean parut dans le désert...» 
(Marc 1, 4)

Le Précurseur est mystérieux comme son Maître. Fils de la vieille repentante longtemps stérile, Elisabeth, et du vieillard assoiffé de Dieu, Zacharie, il est mon Moi purifié; il est l'accomplissement de la promesse divine; il est le premier de tout; il est l'abstinence; il est nu; il est rempli de l'Esprit; il marche droit; il crie dans le désert; il est terrible et il m'attire. 
Je me sens à côté de lui comme une motte de terre auprès d'une montagne; et pourtant il ne m'effraye pas. Quelque chose me dit qu'il a été, lui aussi, une motte de terre et moi, si je le veux (si je le veux !), je serai grandi un jour à la taille du pic gigantesque. Si je le veux : si je veux ce qu'il faut pour cela; si je veux comme il faut. 
Ah ! je le devine : Ram, Fo-Hi, Sésostris, Platon, César, Marc-Aurèle, saint Augustin, Charlemagne, Shakespeare, Napoléon, tous les illustres, aucun ne reste debout devant le Précurseur. S'il est vrai qu'il a précédé le Verbe dans tous Ses sentiers, si c'est lui qui marche devant le Seigneur, s'il a le droit d'appeler les hommes à la pénitence, il est donc le formidable athlète de Dieu, il est donc un des cavaliers de l'Esprit, il est donc un des Témoins perpétuels ? 
Ma pensée, étrangère aux grandeurs spirituelles, s'arrête ici; c'est à mon âme à continuer le chemin. Ma logique bronche; que mon admiration s'élance et ouvre une brèche à l'Amour. Que la dureté du Pénitentiaire m'apprenne à être dur pour moi-même. Que les fatigues et le martyre qu'il affronte m'apprennent à devenir tendre pour les autres. Que son isolement me fasse aimer la solitude. Que son indépendance me fasse chérir la sincérité.

OBSERVANCE : Se priver, chaque jour, d'une commodité, pour s'apprendre à diminuer.
 
 


VI. LE GASPILLAGE

« A celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera ôté. » 
(Matthieu XXV. 29)

Réfléchit-on à la somme de travail, d'essais infructueux, d'ingéniosité qui se dépense pour fabriquer les mille petites choses que je gâche journellement ? Combien d'énergies pour que je puisse goûter un morceau de pain, pour que je boutonne un vêtement, que j'écrive une lettre ? Si je récapitulais le soir combien j'ai fait de gestes et dit de paroles inutiles. combien d'objets jetés, de nourriture perdue, de pas sans motifs, de rêveries sans but, de forces usées ou détruites. par caprice, par désoeuvrement ? 
Je sais cependant comme la Nature tient compte de tout, d'une herbe brisée comme d'un clin d'oeil vaniteux. Je sais être son débiteur; que je mésuse de ses prêts, que je les laisse improductifs ou que je les dilapide, je contracte une même responsabilité. Celui qui jette du pain au ruisseau se condamne lui-même à souffrir de la faim; qui maltraite ou exténue ses animaux se condamne à la ruine; qui dépense, sans motif valable. sa force ou son intelligence, appelle sur lui-même la faiblesse et l'imbécillité. 
Je ne pallierai les suites de mes étourderies qu'en apprenant à me contrôler, à faire chaque chose à sa minute, à utiliser le temps si précieux. Je fais partie intégrante d'un grand tout compact. L'Invisible me relie à toutes les créatures bien plus solidement encore que la vitalité ne retient ensemble les organes de mon corps et leurs cellules. Aucune ne se perd des énergies que j'émets. Rien n'est sans valeur de ce que les hasards apparents mettent à ma portée.

OBSERVANCE : Etre économe pour soi et généreux pour les autres.
 
 


 

VII. LES REVERS DE FORTUNE

« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume des cieux. » 
(Marc X, 25)

La richesse est une faveur du Génie de la Terre; de la part de Dieu, c'est une épreuve, et des plus lourdes. La perdre serait être débarrassé d'un bagage encombrant. Néanmoins les paraboles de l'Évangile me disent que les riches ne doivent pas s'échapper des charges de leur état, ni, non plus, immobiliser leurs richesses, par crainte ou par dégoût de l'effort. Il ne faudrait donc pas qu'un millionnaire se déclasse; il serait préférable que chacun garde son rang, d'abord. au gré des convenances sociales et mondaines; au surplus, une famille riche, mais réellement charitable ne thésaurise pas, bien au contraire. Pourquoi d'ailleurs ne se ruinerait-on pas pour des motifs nobles ? On se ruine si communément pour des motifs honteux. 
Si je me trouve ruiné par ma faute, je n'ai qu'à me remettre au travail avec repentir et courage. Si ce sont mes charités ou mon idéalisme qui me ruinent, la paix de mon coeur me réconforte. Si c'est par un concours de circonstances néfastes, je sais que le malheur est un tonique puissant. Quand l'or afflue, ne croit-on pas trop que c'est à cause de notre mérite, ne devient-on pas trop indulgent à nos ruses profitables, ne méprise-t-on pas les malchanceux ? 
Tout homme accomplit sans le savoir et presque toujours sans le vouloir un dessein providentiel, même le plus cupide brasseur d'affaires, même le plus maladroit des ratés. Toujours il y aura des pauvres et des riches, jusqu'à ce que les hommes sachent s'aimer. Un millionnaire peut être un pauvre selon l'Esprit : s'il ne se reconnaît que pour le simple gérant de sa fortune, il est plus proche de la Vérité que le mendiant haineux et retors.

OBSERVANCE : Ne jamais prendre prétexte que ma bourse se vide pour refuser un service.
 
 


VIII. L'APATHIE 

« Les violents s'emparent du Royaume des Cieux. » 
(Matthieu Xl, 12)

Ces périodes grises où je n'ai plus de goût à rien, même pas au mal, où mon énergie sommeille, où je ne me sens même plus la force de désespérer, les maîtres de la vie intérieure enseignent unanimement qu'elles ne doivent pas m'être inquiétantes. 
Je vois que, dans un système solaire, pendant qu'un certain nombre de planètes sont en activité, un certain nombre d'autres sont en sommeil. L'homme total est un système solaire où l'homme terrestre n'est qu'une planète. 
Et puis, c'est Dieu que je cherche. Si c'est bien Dieu, l'unique, le suprême, le parfait, est-ce que moi, imparfait par essence, je puis l'étreindre ? Non, à moins de ce changement de ma nature qu'on appelle la régénération. Toutes les fois donc que je sens Dieu en moi, c'est qu'Il a rapetissé Sa grandeur à ma petitesse; et, quand je ne Le sens plus, quand seule subsiste en moi une idée lointaine de Lui, c'est qu'II S'approche alors de moi sous un aspect nouveau, avec une force plus grande. C'est donc dans ces moments d'apathie que je dois tenter l'effort le plus intense, que je dois m'accrocher à Lui, que je dois arracher de mes entrailles le cri suprême de la foi obstinée, de la foi qui s'affirme contre toute évidence. 
Que cette somnolence passagère ne m'empêche pas de remplir mes devoirs quotidiens. Quand tout m'écoeure, me parait insipide et plat, dissimuler mes dégoûts et vivre quand même, comme tout le monde : c'est l'acte le plus parfait. 
Si l'enthousiasme m'exalte, souffrir n'importe pas. Mais souffrir tristement, sans courage, sans espoir, c'est difficile; c'est donc cela qu'il faut que je fasse. Et j'y parviendrai par la force toute-puissante de l'humilité, par la faiblesse infinie de mon néant.

OBSERVANCE : Aimer pratiquement tout être et toute chose.
 


IX. - LA VIERGE

« Voici la Servante du Seigneur.» 
(Luc 1, 38)

Si les envoyés de l'Esprit se reconnaissent aux haines qu'ils soulèvent, la Vierge appartient certainement à leur cohorte, car, d'après la tradition, peu de femmes ont été, comme elle, humiliées, incomprises et méprisées. 
La Vierge est le premier geste par lequel Dieu indique la noblesse de la femme et son rôle. Dans cette figure inexplicable, dont l'âme fut l'autel des plus grands sacrifices et le sanctuaire des plus mystérieux arcanes, rien de particulier ne se remarque de l'extérieur. Enfant grandie dans une clôture claustrale, chargée dès son adolescence des soins d'un ménage pauvre et des soucis de la plus délicate des éducations, mère trente-trois ans martyrisée par les angoisses quotidiennes et les transes effroyables d'un avenir trop pressenti; veuve obscure et pourvoyeuse sans ressources de la communauté misérable des Disciples, l'épouse de Joseph est la preuve vivante qu'une existence commune voile parfois les travaux les plus méritoires. Le héros conquiert l'admiration par une crise momentanée qui l'exalte au-dessus de lui-même. Mais s'oublier à tout instant, froidement, raisonnablement, parmi toutes les petites platitudes du ménage, de l'atelier, de la rue : cela, c'est difficile. 
L'imitation du Christ est impossible à ma nature livrée à ses propres forces; mais limitation de la Vierge m'est possible; Marie est plus proche de ma pauvre âme et plus pitoyable à ma misère quotidienne. 
Je sais bien qu'un personnage de Vierge se retrouve dans beaucoup de religions, de symbolismes, d'herméneutiques; ce sont là des décors, peut-être même des jeux intéressant l'intelligence et la sensibilité. Je sais que les actes seuls comptent; dans toutes mes lassitudes j'évoquerai donc uniquement la précaire existence de la Mère du Christ, silencieuse et enfouie, vue du dehors, mais éblouissante et ardente, vue par le dedans.

OBSERVANCE : Ne pas se plaindre.
 
 

X. LES QUERELLES CONJUGALES

« L'homme et la femme ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc que, l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. » 
(Matthieu XIX, 6)

Que de dissertations sur le mariage et sur le célibat dorment dans les bibliothèques ! Vu d'En Haut, le problème est cependant bien simple. Notre grande affaire, ici-bas, est d'apprendre la bonté. L'apprendrai-je mieux en me mariant ou en ne me mariant pas ? La réponse reste personnelle. 
La vie conjugale devrait être l'école de l'Amour vrai. Elle seule fournit à mes aspirations les épreuves nécessaires de la réalité quotidienne; elle seule me préserve des expériences dangereuses et des capitulations indignes. Elle seule perce à jour la fantasmagorie des rêves de jeunesse, les débarrasse de leurs brouillards troubles et en fait des lumières vivantes et constantes. 
Il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre, a-t-on dit. Aussi rares sont les vieux époux qui conservent l'un pour l'autre la ferveur admirative du temps des fiançailles. Quels soins ne faut-il pas à la femme comme au mari pour demeurer dignes l'un et l'autre de leur élection mutuelle; quel chef-d'oeuvre qu'un mariage qui conserve jusqu'à la mort la beauté de ses premiers mois ! Toute l'intelligence, toute la délicatesse, toute la volonté trouvent ici leur emploi. 
La vie conjugale seule apprend le service mutuel et l'abnégation dans ces très petites choses qui servent de piédestal aux grandes. Les époux travaillent à un chef-d'oeuvre qui vaut plus, pour eux et pour les autres, que n'importe quel effort exceptionnel; aucun dissentiment, aucune dissonance ne devrait empêcher l'union; les fautes graves même, du mari ou de la femme, ne devraient servir qu'à la rendre plus indestructible. Seul le mariage fournit tous les prétextes à la patience, à la tendresse, à cette inaltérable sérénité, à cette douceur pleine de grâces, à ces pardons si riches d'Infini, qui forment les étapes de la route du Ciel.

OBSERVANCE : Que chaque époux s'applique, en tout ce qui n'est pas du Mal, à donner du bonheur à l'autre.
 
 


XI. LES PEINES DU COEUR

« Demeurez dans mon amour. » 
(Jean XV, 9)

L'amour devient le plus illusoire des mirages, si c'est moi que je cherche en lui. Si c'est moi que j'aime en l'être que je préfère, il devrait s'appeler seulement recherche de plaisir ou satisfaction d'égoïsme sentimental. L'amour devient la plus stable des réalités si j'en fais une ferveur de sacrifice. 
La plupart des amours ne sont que des fascinations magnétiques. On ignore tout de ces forces mystérieuses; c'est pourquoi les passions déconcertent souvent le spectateur, et leur psychologie reste toujours spéculative. Incapables de nous donner les uns aux autres par devoir, la Nature nous verse un philtre; et cette ivresse fluidique, qui nous jette de l'exaltation à l'amertume et de la frénésie au dégoût, nous apprend au moins les gestes élémentaires de l'altruisme, ou plutôt nous entraîne à les accomplir. Il n'y a point d exemple, en effet, que deux amants, si bien assortis soient--ils, ne se trouvent bientôt dans l'obligation de se sacrifier l'un à l'autre quelques préférences ou quelques commodités. La somme de ces ennuis en vient d'ailleurs assez vite à dépasser la somme des joies. 
Mais, plus que la débauche, plus que la passion, ce qui empoisonne en nous le pouvoir d'aimer, ce qui dessèche nos sources intérieures les plus profondes, c'est cette perversité du manque de parole, de la tromperie, dont quelques-uns tirent une gloire misérable. 
Qu'un homme convoite une femme, c'est une faiblesse, un manque de tenue; mais qu'il ne s'inquiète pas de ravir le bien d'autrui, de briser un foyer, de rompre un contrat antérieur consenti librement, cela est grave; cela le condamne, cela l'enchaîne pour plusieurs peut-être de ces siècles d'outre-tombe dont la durée nous reste inconnue à jamais ici-bas. 
Et puis, les mariages sont inscrits au Ciel, dès l'origine. Nul homme donc ne devrait désirer une femme, nulle femme ne devrait écouter un homme, sinon en vue du mariage.

OBSERVANCE : Lorsque l'être qu'on aime nous fait souffrir, essayer de l'aimer pour lui, en Dieu, en nous oubliant.
 
 

XII. LA FAMILIARITÉ

« C'est Moi qui vous ai choisis et qui vous ai mis à votre place... » 
(Jean XV, 16)

Lorsque je crains l'exubérance un peu encombrante de certaines gens, je me défends mal d'user à leur égard d'une politesse plus distante et, au besoin, de l'assaisonner de quelques pointes. Toutefois ai-je bien raison ? Si je m'étais tenu à ma place, en toute circonstance, avec tout le monde, je n'aurais pas à subir ces effusions intempestives; à moins que ma réserve n'ait été faite de hauteur et non de modeste discrétion. 
Et puis, n'ai-je réellement jamais gêné personne, soit par étourderie, soit par importunité, soit par vanité ? Il faut, en tout, une mesure juste. Je ne dois pas plus fuir mes voisins que passer des heures chez eux. Je ne dois être ni bavard, ni timide, ni dédaigneux. Je dois conserver toujours un détachement assez libre pour ne rien attendre de personne, puisque, en effet, du point de vue de Dieu, personne ne me doit rien. Je dois aussi conserver une sympathie toujours assez prête pour répondre, avec une sincère cordialité, aux marques que me donnent les autres, même si je crois ces marques banales ou intéressées. Jusqu'à présent j'ai presque toujours abordé quelqu'un avec une politesse extérieure, mais avec une interrogation intérieure sur le profit que j'en pouvais attendre. Il faut, à partir d'aujourd'hui, que j'enlève de mon coeur ce calcul involontaire; il faut que j'aborde n'importe qui avec un regard fraternel; et il faut que j'essaie ensuite que l'interrogation inverse monté de mon coeur à mon cerveau : en quoi puis-je être utile à ce frère ?

OBSERVANCE : Accueillir tout le monde, ne s'imposer à personne.