LA DIETETIQUE SELON L'EVANGILE

   L'homme reçoit plusieurs sortes de nourritures. Chacun de ses corps, le physique, l'éthérique, l'astral, le passionnel, le mental, le spirituel, et les dizaines d'autres que personne sur terre ne connaît encore, sont des organismes qui dépensent et qui, par conséquent, ont besoin de récupérer. Tout, dans la Nature, reçoit et donne. Pour les animaux et les végétaux, cela tombe sous le sens; mais les minéraux s'assimilent des substances pondérables et impondérables et rejettent ce qui leur est superflu. De planètes à planètes, de soleils à soleils, de nébuleuses à nébuleuses vibrent sans cesse des absorptions et des rayonnements. Et la Création totale elle-même s'assimile d'une façon continue la Vie du Père, rend quelque chose au néant sur lequel elle flotte et empiète petit à petit sur sa ténèbre infinie.
   Mais ne perdons pas pied. Les seuls interéchanges de l'homme animal sont déjà un phénomène tellement compliqué que la physiologie parvient tout juste à en dénombrer les éléments, sans pouvoir préciser le dernier terme du processus de la digestion.
   L'homme spirituel se nourrit de douleurs; l'intellectuel, d'idées; l'animique, de sentiments; l'astral, de fluides; l'éthérique, de sensations. La volonté grandit par les actes; le corps, par la matière. Chaque créature s'alimente ainsi du milieu qui l'a engendrée.
 

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   C'est de la seule nourriture physique que je veux vous entretenir aujourd'hui et de la façon la plus simple qui me sera possible. Peut-être serai-je même trop simple et trop vague au gré de ceux qui sont des savants et qui connaissent des systèmes d'ésotérisme bien autremENt nets et positifs que les notions un peu flexibles que je vous explique. Je sais que les écoles d'initiation donnent des enseignements précis, prouvant ainsi qu'elles connaissent admirablement la psychologie de la curiosité. L'auditeur avide de mystères a besoin que son avidité s'accroche à des précisions; mais celui qui n'a soif que de Dieu, les mystères de la Création ne le tentent pas.

   Il me serait facile, en faisant un effort de mémoire, de vous dire des choses précises. Je pourrais vous exposer la physiologie des kabbalistes; vous énumérer les six cent treize fonctions physiologiques découvertes par les rabbins; vous dénombrer les animaux purs et impurs; dire quand les purs deviennent impurs, quand les impurs peuvent tout de même être utilisés par l'Israélite fidèle; dire les cas où les fontaines sont souillées et les paroles que l'Israélite doit prononcer en buvant dans le creux de sa main, ou en buvant au moyen d'un récipient, et les paroles qui attirent sur chacun des repas la bénédiction de l'Ancien des jours, et celles pour le lavement des mains et ainsi de suite. je pourrais vous recenser, avec les Brahmanes, les cent huit espèces de substances cosmiques, tous les Akashas, les Apas, les Prithvis et les Lokas et les combinaisons des quarante-neuf fattwas et bien d'autres choses qui ne se trouvent dans aucun livre français ni anglais; je pourrais vous donner la pneumatologie des Taoïstes, inventorier tous les dragons, tous les tigres, toutes les tortues astrales qui vont et viennent au travers des soixante-quatre kouas; mais vous admireriez mon érudition et vous ne retireriez de cet étalage de vocabulaires exotiques aucun fruit pratique et sain.
   On a toujours une tendance à croire que ce qu'on nous dit avec des mots savants et un raisonnement exact doit être vrai. Or, rien n'est plus variable que les systèmes scientifiques, si ce n'est les réalités objectives dont ils prétendent rendre compte. La Vérité, dans l'état actuel du développement de l'homme, lui est inassimilable; il ne peut pas la connaître intégralement, c'est-à-dire totalement en quantité, et purement en qualité. Une science, c'est une moyenne proportionnelle entre un sujet percipient, un objet perçu et un milieu transmetteur. Or, aucun de ces trois termes n'est fixe; ils changent à chaque seconde; de plus, nous ne pouvons pas mesurer la déformation due au milieu transmetteur; en outre, l'instrument de perception : nousmêmes, avec nos sens, notre intelligence, notre intuition, nos nerfs, notre conscience, n'est jamais un miroir parfait. Ne croyez donc pas a priori un savant, un philosophe, un adepte, un révélateur qui vient vous affirmer que les molécules sont composées de telle façon, qu'il y a tel nombre d'éléments, de plans, de races, que tels procédés sont seuls exacts, etc. Acceptez sous bénéfice d'inventaire.

   Un seul parmi les révélateurs a osé dire : « je suis la Voie, la Vérité et la Vie », et il n'est pas possible qu'Il ait proféré là une erreur, car alors Dieu ne serait plus notre Père. En Se présentant comme la Vérité, le Verbe a exprimé une réalité littérale; et Il nous apprend du même coup qu'on ne peut parvenir à la possession de la Vérité qu'en suivant cette Voie et en vivant cette Vie qui sont Lui-même.
   Ainsi ne vous rebutez pas de m'entendre vous parler en langage clair; sachez que le plus haut des initiés ne connaît pas la milliardième partie de la Connaissance intégrale et comprenez enfin que savoir quelque chose, ce n'est pas en saisir la conception, mais c'est l'avoir expérimentée.
   Si vous êtes d'accord avec moi sur ce point, vous ne vous étonnerez pas que la Nature ne nous donne jamais des lumières nouvelles sans que nous ayons d'abord pleinement utilisé celles précédemment reçues.

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   Or ces règles ne sont point absolues en elles-mêmes ni par rapport à nous-mêmes; elles varient, quant au premier de ces facteurs, suivant les pays, les conditions climatériques, les races et les mœurs. Elles varient, quant au second facteur, selon que l'individu croit à la science médicale ou à une église ou à un système ésotérique ou à la parole du Christ.
   La diététique a fait de nos jours d'immenses progrès; et les manuels abondent qui permettent à chacun de se composer un régime alimentaire selon sa diathèse physiologique. Aussi ne dirons-nous rien de ce point de vue.
   D'autant que la science de l'hygiène, ne connaissant que la matière, ses propriétés physiques et les réactions chimiques du processus de la digestion, n'entre pas dans le cadre de nos causeries.
   Toutefois, ce côté purement physiologique offre à l'amateur d'hermétisme certains enseignements de première importance sur l'une des branches les plus célèbres de ce système. je veux parler de l'alchimie.
   Qu'aperçoit-on dans le dépouillement des légendes alchimiques? Une certaine matière première, convenablement préparée, est soumise à l'action d'un feu secret. Elle passe par des modifications importantes, au bout desquelles « l'artiste » recueille un résidu sans valeur et une substance rouge contenant un dynamisme énorme. je ne veux pas vous fatiguer par une description technique du processus « royal ». Il existe, rien qu'en français et en latin, environ quatre mille ouvrages où vous pourrez suivre ces transformations de la matière; avec quelque constance vous apprendrez ce que sont l'aile de corbeau, la queue de paon, le lait philosophique, le gluten de l'aigle, le lion, le roi, la reine, le mercure, le rebis, et toutes ces appellations nombreuses sous lesquelles les alchimistes ont caché leur secret.

   Cette étude analytique terminée, en faisant la synthèse, vous vous convaincrez que toutes les méthodes de préparation de la pierre philosophale sont des reproductions artificielles de la marche biologique de la Nature. Entre autres, pour rester dans le sujet qui nous intéresse aujourd'hui, que voyons-nous dans la digestion? Une matière première -les aliments- préparée par la cuisine, par le travail des mâchoires et de la salive, arrive dans une cornue, l'estomac. Elle y subit un traitement mécanique et chimique; elle cuit sous l'action du feu gastrique, comme disent les Hindous, à une température constante. Dans cet alambic, dont le tube intestinal est le serpentin, elle subit des distillations minutieuses; des ferments fournis par des appareils accessoires séparent des résidus la portion assimilable.
   Les vieux savants des cryptes égyptiennes et hindoues, inventeurs de l'art hermétique, avaient admirablement saisi l'unité de méthode de la Nature dans ses innombrables opérations. Il y aurait un travail tout à fait neuf à entreprendre pour élucider les interventions des Invisibles dans ces recherches de chimie occulte. Mais ce n'est pas le moment de l'entreprendre. Reprenons plutôt le fil de notre causerie.

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   Nous avons à répondre à trois questions: Que faut-il manger? Comment? Quand?

   Les réponses varient avec le lien spirituel où est placé notre cœur. Car, il faut bien l'avouer, nos opinions diffèrent, non par le système intellectuel que nous avons élaboré pour les défendre, mais par le point de vue invisible où notre esprit est parvenu. Le raisonnement part toujours d'une intuition axiomatique; dans le positivisme expérimental, où le chercheur ne semble que constater des faits, l'aspect de ces derniers comme leur ensemble changent selon le degré de Lumière dont est capable le Moi de l'observateur.
   Celui-ci peut ne saisir que la science médicale des Ecoles, ou la science ésotérique à laquelle il a été initié, ou la science religieuse de sa race. Et encore ces trois plans principaux contiennent-ils une multitude de points de vue différents. Car les ésotérismes ni les religions ne connaissent pas plus cette unité idéale vers laquelle s'efforcent tant d'utopistes contemporains que la science purement syncrétique des expérimentateurs. Il n'existe qu'un seul moyen d'approcher, dans l'étude comme dans l'action, cette Unité suprême dont nous portons en nous-mêmes un reflet inextinguible: c'est de suivre pas à pas la méthode indiquée par le Verbe jésus.
   Les trois questions indiquées plus haut peuvent donc recevoir une réponse matérialiste, une réponse
ésotérique et une réponse religieuse. Les livres qui les contiennent ne manquent pas. Nous chercherons surtout à découvrir la quatrième réponse, celle de l'unité, dans les paroles du Christ où resplendissent toute Vérité et toute Vie.

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   Parmi les observances de Moïse et de Manou, le plus grand nombre ne sont que des règles d'hygiène physiologique; les autres se rapportent à l'hygiène du double, du corps astral et du corps mental. Tout le cérémonial religieux était édicté dans ce dernier but. Les parfums, les boissons, les animaux offerts en sacrifice étaient choisis pour des raisons scientifiques. La grande doctrine des correspondances réglait ces immenses détails, avec celle des signatures. On retrouve dans les livres des occultistes et dans les traditions populaires les ruines de ces vastes monuments. Toutefois chaque religion, avec le système initiatique qui en était la moelle, possédait ses correspondances propres entre son collectif invisible particulier et les créatures matérielles qui en étaient l'incarnation. Mais il faut que les étudiants de l'occultisme sachent bien que, depuis vingt siècles, ces correspondances sont brisées et ces signatures faussées. Le génie éthéré dont le cheval par exemple, l'orge, l'encens ou le diamant étaient les hiéroglyphes vivants, obombre aujourd'hui d'autres animaux, d'autres plantes, d'autres pierres. C'est pour cela que les essais modernes de magie ou de spagyrie réussissent souvent fort mal.
   Il faudra donc, si l'on veut poursuivre l'évolution initiatique des anciens, refaire un nouveau système de correspondances et de signatures. Nous pourrons alors, comme dans les Collèges d'autrefois, faire prédominer à notre choix, en nous, l'instinctif, le passionnel, l'intellectuel ou le volitif. Mais ces essais, qui paraissent merveilleux à celui qui ne fait que d'entrer dans le labyrinthe des sciences occultes, deviennent totalement inutiles au disciple du Christ; ils peuvent même lui nuire.
   Si, par exemple, on s'abstient de viande et de vin pour maîtriser les appétits sensuels, en réalité on ne les maîtrise pas, on les évite. Mais pas pour toujours. Un moment viendra où ces forces se représenteront devant nous, accrues par le repos que notre précaution illusoire leur a procuré, et nous aurons alors bien des chances de succomber sous leur attaque. Telle est, au point de vue spirituel, l'inutilité du végétarisme.

   Les observances religieuses, et en particulier celles du catholicisme, faites pour le commun des mortels, présentent un caractère plus équilibré. Mais, considérées dans l'Absolu, elles n'apparaissent que comme des chemins plus commodes que d'autres.
   Comme il en advient de toute Lumière divine, l'enseignement de Jésus a subi des dénombrements et des réfractions; mais la théologie catholique demeure, de toutes les théologies passées, la plus complète et la plus vraie; les prétendus initiés qui veulent la démolir prouvent par là qu'ils n'ont pas compris la parole du Christ.

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   Comment faut-il manger?
   Pour comprendre la réponse que les anciens sages ont faites à cette demande, il faut regarder d'un peu près la pneumatologie. Nous éclairerons en même temps la troisième question: Quand faut-il prendre sa nourriture?
   Le monde matériel, avec toutes ses formes et toutes ses créatures, est l'image du monde des forces. Chaque pierre, chaque plante, chaque bête, chaque lien, chaque organe, chaque heure constituent l'incarnation, le signe, la vertu d'un esprit, d'un génie, d'un dieu. De même donc qu'en saisissant le rhéostat on sent le courant, en agissant sur le signe on reçoit, on appelle ou on émeut la force qu'il représente.
   Par suite, quant au sujet qui nous occupe, toutes sortes de choses étaient à considérer pour les anciens initiés. A leurs yeux, le circulus physiologique de la vie variait, dans l'individu comme dans l'année, dans la lunaison, dans la journée. Les quatre saisons de la vie cosmique terrestre se reflétaient dans les quatre tempéraments et dans les quatre grandes fonctions physiologiques comme dans les castes de la vie sociale.
   Il fallait donc choisir les aliments selon les saisons, les phases de la lune, les heures du jour; selon la complexion de l'individu, le lieu où il résidait et le travail qu'il avait en vue; il fallait lui indiquer, d'après ces particularités, le rite purificatoire, les dieux à invoquer, les postures à prendre comme déterminant dans son corps tels courants magnétiques opportuns, la matière des récipients, etc.

   Vous voyez que toutes les minuties de Moïse et de Manou, minuties encore accrues lorsqu'elles s'adressent à un membre de la caste sacerdotale, dont l'appareil nerveux avait à être maintenu dans un état de pureté et de sensibilité extrêmes, puisque c'est par là que le prêtre antique percevait l'Invisible et le modifiait, vous voyez que toutes ces règles étaient logiques, utiles et nécessaires.
   Le catholicisme, celle des religions présentes où le formalisme tient le moins de place et où le culte véritable en esprit se sent le plus proche, le catholicisme, parce que son chef spirituel est réellement le Fils de Dieu venu en chair, a laissé de côté le plus grand nombre de ces observances. Il possède cependant son herméneutique et sa liturgie; elles sont plus vraies que celles des autres religions, parce que plus appropriées à l'état actuel de l'Invisible de notre race. Le catholicisme prévoit implicitement et non expressément trois repas par jour, et c'est là une notion d'astrologie que l'on retrouve de tous temps. Si l'année est un circulus de force à quatre périodes, la lunaison obéit à la même loi et la journée aussi. De sorte que le lever et le coucher du soleil, le milieu du jour et le milieu de la nuit sont, ainsi que les Brahmanes l'avaient remarqué il y a soixante siècles déjà, des moments où les courants magnéto telluriques changent de sens et de qualité; et le court intervalle vide pendant lequel se produit ce changement est utilisé pour faire lancer par leurs fidèles un courant d'appel d'une nature plus subtile; par le fait de cette vacuité, ce courant parviendra mieux à son but. C'est à cela que répondent les trois angélus du catholicisme. et les trois sandhyas brahmaniques et les quatre pranayamas des yogis.

   Je ne vous donne ici que l'alphabet de la question; une existence entière ne suffirait pas à l'épuiser. Toutefois on peut dire quelques mots sur la signification organogénique de l'Angélus et du Bénédicité.
   Régulièrement l'Angélus devrait se dire aux crépuscules du matin et du soir et à l'heure astronomique de midi. Cette prière se compose de trois parties principales : l'angélus, le verset et l'orémus. La première
comporte trois versets de l'Evangile séparés chacun par un Ave Maria. Ces versets énoncent l'annonciation, la conception miraculeuse, l'acceptation par Marie et l'incarnation du Verbe. La première partie s' adresse à la Vierge comme intercédante et la seconde à Dieu.
   Ainsi l'Eglise veut que ses fidèles commémorent trois fois par jour la triple incarnation du Verbe qui
s'est produite, se produit ou se produira dans le cosmos, dans le plan physique et dans le cœur de l'individu. Chacun de ces miracles est annoncé par un ange d'une hiérarchie correspondante et reçu, soit par la Vierge de la Sagesse éternelle, dont la Nature-essence des philosophes, la Sophia de Boehme, la Shekinah des kabbalistes sont des aspects entr'aperçus, soit par une femme parfaitement humble, c'est-à-dire parfaitement pure, soit par cette partie de l'esprit humain qui comprend toutes ses facultés passives et surtout la sensibilité, la mémoire et l'imagination. Telles sont les trois vierges qui peuvent supporter la visite fulgurante de l'Esprit de Dieu.

   Aucun homme ne peut envoyer sa pensée jusqu'au séjour de la Vierge cosmique; et aucun homme non plus, avant d'être rentré dans le Ciel, ne peut comprendre la génération mystique du Verbe en lui. C'est donc seulement la naissance historique de Jésus de Nazareth que nous étudierons pour comprendre quelque chose à l'incarnation du Verbe.
   Que voit-on dans le récit évangélique? Une planète, avec ses quatre règnes de créatures visibles et ses règnes invisibles en nombre indéterminable, se trouve entraÎnée par sa faute vers l'abîme du Néant avec une accélération irrésistible. Elle ne peut s'arrêter, parce qu'il lui faudrait pour cela saisir un point d'appui en dehors d'elle-même. Il est donc nécessaire que son sauveur soit extérieur à elle. Voilà pourquoi il fallut que le Christ ne contienne rien de terrestre, ni dans Son corps ni dans Son esprit. Ce Christ est réellement, physiologiquement, Fils de Dieu. D'autre part, le germe de Son corps humain, corps parfait en soi, aurait anéanti un organisme nourricier impur, comme les autres principes de l'Homme-Jésus, tous parfaits en eux-mêmes, auraient volatilisé les principes correspondants de la femme chez laquelle ils se seraient incarnés, si cette femme n'avait pas été préservée de cette dissociation par l'humilité et la pureté les plus grandes qui puissent subsister sur cette terre.

   Ainsi notre Sauveur ne pouvait naître que par l'opération du Saint-Esprit et dans le sein de la Vierge. Il devait naître dans ce court moment où la terre, suspendue à l'extrémité de la pente, au-dessus de l'abîme, allait subir une transformation soudaine et radicale. Notre religion, qui distribue sur le cadre de l'année liturgique la série des symboles de cosmologie, de psychologie et de théurgie dont l'Evangile contient les types réels, rappelle cette génération du Verbe non seulement à Noël, mais encore aux trois autres époques où la force solaire, par ses changements, détermine la succession des saisons. Et, dans le cycle analogue de la journée, notre religion réitère ce rappel aux intervalles qui séparent la nuit de l'aurore, l'aurore de la matinée, la matinée de la vesprée et la vesprée de la nuit. Ces quatre périodes sont quatre changements dans les roues des forces magnéto telluriques, la minute qui les sépare étant vide de la vague qui s'écoule et pas encore remplie par la vague qui avance. Or le vide ne peut exister dans la Nature; la cloche de dessous laquelle la machine pneumatique a extrait l'air se remplit d'une substance plus subtile. De même l'intervalle où une force succède à une autre force est comblé par une essence supérieure; c'est une descente partielle d'une forme plus haute de la Vie. Cette descente s'effectue dans tous les lieux physiques, éthérés, mentaux et psychiques où s'opère n'importe quelle transformation. C'est pourquoi toutes les liturgies, ésotériques ou exotériques, célèbrent les solstices, les équinoxes, les lunaisons, les périodes du jour et, dans le royaume des âmes, les naissances, les morts et les conversions.

   Voilà pourquoi on dit l'Angélus trois fois le jour et pourquoi cette prière est faite à la Vierge Marie, type humain de toute stase vitale pure, et propre, par cela même, à devenir le point de fixation où s'attache une énergie supérieure. Ainsi le catholicisme place la Vierge à tous les moments où la Nature et l'homme se modifient. En hiver, il célèbre l'Immaculée Conception (8 décembre); au printemps, l'Annonciation (25 mars); en été, la Visitation et l'Assomption; en automne, la Nativité; puis, pour l'individu, la naissance, le mariage et la mort sont spécialement recommandés à l'intercession de la mère du Christ.
   Les trois repas quotidiens, pour revenir à notre sujet, se placent après les trois Angélus. Ils devraient toujours être précédés par la demande de la bénédiction divine sur nous-mêmes et sur notre nourriture. Sur nous, afin que notre être entier puisse recevoir ces aliments avec la plus grande plénitude, quant à leur matière et à leur vie, quant à notre corps et à notre esprit. En effet, le mal peut entrer en nous par la nourriture. Au point de vue de l'Evangile,. tout est vivant; les pierres mêmes ont une intelligence et un libre arbitre; les légumes, les viandes, les boissons peuvent avoir été maudits ou bénis soit de leur propre chef, soit par contamination. Le paysan exerce, sans qu'il le veuille, une influence sur son blé; le berger, le boucher font de même sur leurs bestiaux. La vie qui est en nous peut souhaiter ces aliments pour accomplir la loi divine ou pour renforcer ses convoitises propres. Il est donc prudent de prier le Ciel qu'Il jette un coup d'œil sur tout cet ensemble compliqué.
   Les Grâces sont aussi importantes que le Bénédicité. Nous ne méritons pas, en justice, le pain que nous mangeons. je veux dire que ce pain est le produit d'une somme de travail beaucoup plus importante que la somme de notre travail personnel. Le Christ a dit: « Vous êtes des serviteurs inutiles »; et cette parole sévère est scientifiquement exacte. N'oublions donc jamais de remercier.

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   Nous venons de parcourir les perfectionnements que la sagesse humaine a cru introduire dans les ordonnances si simples de la Sagesse divine. Si nous avions eu le loisir de feuilleter les innombrables prescriptions du Talmud, les recueils brahmaniques, zoroastriens, confucéens, mahométans on chrétiens, nous aurions été profondément découragés par une telle montagne de règles, de distinctions, d'exceptions et de subtilités. Il vous suffira de relire l'Evangile pour vous convaincre que notre Jésus n'exige point autre chose que la pureté du cœur. Et le simple bon sens est d'accord avec le Maître. 
« Ce n'est pas ce qui entre en l'homme qui le souille. » Rien n'est donc impur pour le disciple, ni une viande, ni une boisson, ni une sensation, ni une idée, ni même une tentation. Ce qui souille, c'est l'emploi de cet aliment physique ou mental après qu'il a été assimilé. C'est l'usage des muscles après qu'ils ont été restaurés, c'est l'usage de la force passionnelle que l'Adversaire est venu mettre en nous par la tentation, c'est l'usage de la pensée après que la sensation ou l'intuition ont nourri notre cerveau. Saint Paul explique longuement ceci.
   Permettez-moi d'ouvrir, à ce propos, une parenthèse. Beaucoup d'entre vous, déjà versés dans les. études initiatiques, peuvent, à bon droit, être surpris du peu de cas que je parais faire des trésors de connaissances sacrées que les diverses traditions nous transmettent. J'admire ces monuments vénérables de la Sagesse antique, tout en lui déniant le titre de «Sagesse divine » qu'on lui a presque constamment décerné. C'est une sagesse humaine et naturelle; humaine, parce que ce n'est pas Dieu qui la dispense immédiatement; naturelle, parce qu'elle ne peut pas sortir des bornes de la Nature créée, si tant est qu'elle les atteigne. je ne méprise pas cet extraordinaire effort intellectuel et volitif par lequel certains hommes ont atteint une stature spirituelle gigantesque; j'admire ces athlètes avec une sincérité d'autant plus grande que j'ai eu la chance de joindre quelques-uns d'entre eux. Mais j'ai eu la plus grande chance, imméritée, inestimable, effrayante aussi à cause des lourds devoirs qu'elle entraîne, de ne pas succomber à la fascination des magnificences occultes et de rencontrer la Lumière du Christ dans toute la splendeur surnaturelle de sa très pure et permanente beauté; Lumière qui apaise à toujours la soif et la faim des cœurs avides d'ineffable, Force insaisissable qui annule l'impossible; Science surintellectuelle; Béatitude plus profonde que toute douleur; Liberté de l'Amour, Esclavage de l'Amour, Absolu de l'Amour.

   Jésus occupe, dans la glorieuse phalange des sauveurs, une position unique; Son titre de Christ est le simple qualificatif d'un état spirituel, comme les noms des autres messies. Les mots : Manou, Rama, Bouddha, Zoroastre, Lao Tse, Dionysos, Orphée, Osiris, Hermès, etc. ne sont pas des noms propres, mais des titres de fonctions spirituelles, comme on dit : un maire, un professeur, un préfet. Le Christ, dis-je, depuis que cette terre existe, est le seul être qui soit descendu du plan de l'Absolu, qui Se soit construit Lui-même des corps pour Son action intellectuelle, amimique et physique, qui ait parlé en maître à toutes les autres créatures, qui ait tout su sans avoir rien appris, qui ait tout pu sans avoir jamais suivi aucun entraînement.
   On a dit que jésus serait un homme ayant reçu, à sept ans, à douze ans ou à trente ans, un principe divin, ou qu'Il Se serait servi des travaux des justes antérieurs à Lui, ou qu'Il aurait appris tels secrets initiatiques de l'un ou de l'autre collège, égyptien, essénien, kabbaliste, brahmaniste, bouddhiste on taoïste. On Le représente comme un rêveur dont le peuple a travesti en faits objectifs les enseignements symboliques, comme un missionné bon seulement pour son temps et que d'autres, postérieurs à lui, remplacent et dépassent, comme un simple agitateur populaire, ou, enfin, comme un personnage mythique, créé de toutes pièces. Tous ces systèmes, dont je m'abstiens de vous donner les noms et les protagonistes pour ne faire de réclame à personne, tous ces systèmes ont été élaborés par des gens presque toujours sincères, souvent très instruits, mais que des obstacles intérieurs que je ne nommerai pas non plus, pour ne pas les juger, ont empêchés d'apercevoir la simple lumière du Vrai.
   Quelle preuve, demanderez-vous, de ces affirmations? Quand un chimiste communique à ses collègues une analyse nouvelle, ceux-ci, pour la vérifier, commencent par reproduire les mêmes conditions. Quand Gabriel Delanne ou le Docteur Breton ont observé un fait psychique certain, que les officiels ne veulent pas admettre, ils leur répliquent: «Mettez-vous dans les conditions nécessaires et suffisantes de ce phénomène. » je vous ferai la même réponse. Vous voulez savoir ce qu'est le Christ? Allez dans le royaume invisible où Il séjourne et, pour cela, employez la méthode que Lui-même nous a donnée : « Si quelqu'un veut venir avec moi, qu'il renonce à lui- même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive. » Celui donc qui, en toute circonstance, a fait le contraire de ce qui lui aurait souri, qui a tout subi sans jamais se plaindre, celui-là, si notre Jésus ne S'est pas manifesté à lui, a le droit de jeter à Dieu la protestation la plus véhémente pour sa confiance déçue.

   Jésus vit en nous dans un centre situé en dehors de l'intellect; le raisonnement, bien que beaucoup de théologiens et de philosophes aient cru le contraire, le raisonnement est impuissant à nous prouver quoi que ce soit de Sa divinité. Pour que ceux d'entre vous qui ne sont pas de mon avis sur ce dernier point s'y rangent, il faudrait on bien qu'ils emploient le procédé que je viens de dire tout à l'heure, ou bien que Jésus Lui- même, prenant leur esprit, le transporte une seconde dans le lieu où Il resplendit.
   Celui qui parle confère à ses paroles quelque chose de sa ténèbre ou de sa lumière intérieures. Les paroles de notre Jésus sont donc aussi au-dessus des enseignements des autres sauveurs que Sa personne est antérieure à leurs personnes et Sa résidence intérieure à leurs palais. Les paroles d'un financier agissent dans le domaine de la finance; les paroles d'un conducteur de peuples ont leur répercussion dans tous les plans de la vie sociale; celles d'un adepte, qui est allé visiter, par l'extase un soleil ou une étoile, sont imprégnées de la lumière propre à ce soleil; mais le verbe de Celui qui, habitant l'Absolu, est descendu parmi nous, éveille en nos coeurs attentifs des échos d'éternité.
   C'est ainsi que les mots de l'Evangile expriment l'approximation la plus approchée du Vrai, du Bien et du Beau prototypes qu'il soit possible de nous faire sentir; et telles sont, en bref, les raisons pour lesquelles vous me voyez si souvent en appeler aux paroles et aux actes du Fils de l'Homme.
   Revenons à notre sujet. Nous ne nous en sommes écartés d'ailleurs qu'en apparence.

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   Le simple bon sens nous révèle que, créatures de chair et d'os, vivant dans la matière, ce sont les besoins de l'estomac qui doivent nous indiquer les heures de repas, comme le besoin de dormir nous indique le moment d'aller au lit. je ne saurais vous le redire assez souvent: c'est la perfection de notre vie physique qui importe actuellement et non pas la perfection de notre  vie astrale ou extatique, à condition toutefois que cette perfection soit obtenue par une conformité, une obéissance aussi complètes que possible à la loi organique de cette existence terrestre.
   On a remarqué que, en affaires, le succès accompagne généralement celui qui sait saisir les occasions. L'occasion est le signe matériel que, de l'autre côté du rideau, sont groupés tous les auxiliaires invisibles chargés de faire aboutir un événement, une entreprise encore dans les limbes du futur. De même toutes les sollicitations de la trame extérieure du Destin attendent que nous comprenions leur demande. Ainsi le clairon qui sonne à la caserne pour la soupe indique qu'on a épluché les pommes de terre, que le rata est cuit et que, si on ne descend pas tout de suite le chercher, c'en sera fini jusqu'au lendemain. Il suffit d'écouter les réclamations de l'estomac; elles signifient que, à ce moment, dans notre double et dans notre atmosphère seconde, se tiennent prêts tous les petits génies nécessaires à l'accomplissement mécanique et chimique des fonctions de nutrition.
   L'Evangile ne donne pas de liste d'aliments défendus; on y voit que le Christ Se nourrissait plutôt de pain, de poissons et de fruits, comme le menu peuple au milieu duquel Il vivait. Nous sommes libres de manger ce qui nous plaît, sauf les restrictions indiquées par la charité. Saint Paul expose excellemment la doctrine.

   Le premier devoir est la charité; le second, en l'espèce, est de soigner son corps. Nous pouvons donc suivre le régime qui nous plaît ou que le médecin nous prescrit, dans les limites où cela ne gênera personne et où notre manière de vivre ne provoquera pas la médisance. S'abstenir ou user de viande, d'une viande spéciale, de vin, d'alcool, de café, de tabac, à notre gré si nous sommes seuls; au mieux des convenances et des commodités de ceux qui nous entourent, dans le cas contraire. La paix du Ciel ne dépend pas d'un aliment, quoi qu'en .disent les initiations naturalistes.
   Quand un homme se sent une confiance plénière en la bonté divine, il ne se préoccupe plus du régime alimentaire ni de ses réactions sur le psychique. Il partagera le riz et l'eau de l'ascète, le ragoût et l'alcool de l'ouvrier, la venaison et les vins trop généreux du riche, s'il juge qu'une abstention porterait préjudice au Maître dont il porte la parole.
   Si l'on veut servir Dieu, il faut plus de courage que de crainte de la maladie ou de la tentation. Et puis, nous ne sommes pas ici-bas pour faire notre salut au moyen des œuvres bonnes, mais d'abord pour faire des œuvres de charité. Notre salut, c'est la récompense et non le but: « Qui veut sauver son âme la perd. »
 

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   Nous savons maintenant que l'Evangile ne nous oblige à aucun rite avant de prendre nos repas. Toutefois le Christ ne rompait jamais le pain sans avoir remercié Son Père; et si cependant un être au monde a gagné sa nourriture, ce fut bien Lui. J'ai connu un homme qui passait ses jours et ses nuits à travailler pour les autres, à inventer des remèdes, à prier, à exercer les pouvoirs de guérison les plus extraordinaires; sa vie était un miracle incessant; tout son argent allait aux pauvres et tout son cœur aux affligés. Un jour il mangeait debout un morceau de pain sec, et il me dit : « Vois-tu comme le Ciel est bon; je n'ai pas mérité ce pain et pourtant je le mange, et ce soir j'aurai aussi de quoi manger. »
  Voilà dans quels sentiments vivent les êtres de Lumière. N'oublions donc jamais de remercier Dieu pour ce qu'Il nous permet d'avoir sur notre table. Essayons de lutter contre la gourmandise; si notre corps a le droit d'être sustenté, il n'est pas nécessaire qu'il soit suralimenté, sauf en cas de maladie.
   L'Evangile n'indique pas non plus les heures de repas. Le disciple du Christ, ayant son être tout entier en relation avec le plan central du monde, n'a pas besoin d'observer les aspects astrologiques ni les mouvements magnéto-telluriques. Il obéira simplement à l'ordre de son supérieur, à la coutume du pays, aux convenances de ses commensaux et, s'il est seul et libre, à l'appel du besoin physique. Le matérialiste, en effet, n'aperçoit, dans chaque événement, que la chaîne des circonstances; celui qui attribue à l'homme une place prépondérante voit des volontés dans les événements; mais le mystique estime que tout n'est qu'un signe de l'action providentielle. Il laissera tomber ses antipathies, ses sympathies, ses inquiétudes, ses raisonnements, ses désirs et ses craintes et se conduira, dans les cas les plus graves comme dans les plus insignifiants, par cette seule règle : la renonciation à sa volonté personnelle et l'amour du prochain.

   Mais, par-dessus toute prière, l'acte d'amour fraternel et pur sanctifie.
   Comme l'enseigne le Zohar, faites, au festin, la part de Dieu, c'est-à-dire des pauvres, sans quoi l'ange accusateur entrera dans votre maison. Mieux encore, obéissez au précepte évangélique : invitez à votre table non pas tant vos égaux, vos supérieurs, ni ceux dont vous attendez quelque avantage, mais vos inférieurs et surtout ceux qui ne peuvent pas rendre votre politesse. Ainsi vous imiterez notre Maître jésus et, n'espérant pas de votre bonté une récompense visible, vous en obtiendrez une à la Table du Père.

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   Occupons-nous maintenant du jeûne.
   Les religions et les initiations ont toutes considéré cette pratique comme très efficace, et l'Evangile n'omet pas d'en souligner l'importance dans les cas exceptionnels.
   De même que chacun de nos corps se nourrit à sa façon, il y a autant d'espèces correspondantes de jeûne. Pour en traiter, il faudrait d'abord écrire une anthropologie complète, décrire le corps physique, le double, le corps astral, le mental, le spirituel, le volitif, l'âme et les rapports réciproques de ces divers organismes. Ensuite il faudrait faire la bio-chimie des substances nutritives correspondantes : une hyperphysique, une hyperchimie, une hyperpsychique complètes. Je n'ai pas cette présomption. Occupons-nous plus simplement des deux sortes de jeûne que tout le monde conçoit : le jeûne corporel et le jeûne moral.
   Quand un repas est supprimé, le corps répare son usure en faisant appel aux cellules graisseuses de réserve. Le pneumogastrique et ses dérivés ne travaillant pas, puisqu'il n'y a pas de digestion, il se forme un excédent de force nerveuse dont la pensée, la passion on la volonté peuvent se servir. Les liens de la vie animale qui attachent l'esprit au corps se distendent. Les activités psychiques deviennent plus faciles et la méditation plus intense; ce que les occultistes appellent la sortie en corps astral, la télépathie, la télépsychie, la médiumnité, l'effort magique peuvent se produire, soit sous l'influence de la volonté pure, soit sous celle de l'exaltation animique, quelle qu'en soit l'origine, passionnelle ou dévotionnelle.
   D'une façon analogue, toute abstinence engendre sur le plan où elle a lieu une fièvre, avec apport du plan immédiatement inférieur et descente du plan immédiatement supérieur. De plus, les forces et les êtres externes, objectifs du non-moi, envoyés comme collaborateurs naturels à l'acte dont on s'est abstenu, passent au pouvoir de l'intention, de la volonté ou de la passion déterminantes et en deviennent des auxiliaires énergiques, quoique temporaires. Voilà comment le jeûne corporel aide la prière ou la lutte contre la tentation.

   Plus le plan où l'abstinence a lieu est subtil ou profond, plus les dynamismes émis seront actifs. Ainsi le. jeûne du moi est le plus puissant, puisqu'il développe ses réactions dans la sphère centrale de notre être. Toute discipline corporelle, magnétique, mentale et psychique n'est, en somme, qu'une série systématique d'abstinences. Le jeûne du moi constitue la plus haute culture de la volonté; néanmoins soyez attentifs à l'intention dans laquelle vous pourriez entreprendre ces travaux. Souvenez-vous, avant de mettre la main à la charrue, de ces trois sentences éternelles :

« Qui veut sauver son âme la perd; mais qui la perd à cause de moi la trouvera. »

« Cette sorte de démons ne peut être chassée que par la prière et par le jeûne. »

« Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive.»

   Enfin, pour que les pratiques de pénitence, volontaires ou involontaires, les épreuves aient, leur plein effet, pour qu'elles effacent vraiment le péché en nous et hors de nous, pour qu'elles portent du fruit dans l'éternité, il faut obéir au conseil christique : « Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme font les hypocrites, car ils se rendent le visage tout défait pour faire voir aux hommes qu'ils jeûnent. En vérité je vous le dis, ils ont leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, oins ta tête et lave ton visage, afin que les hommes ne voient pas que tu jeûnes, mais seulement ton Père qui est dans le secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. »
   Il faut que cette précaution soit importante pour avoir été transmise d'une façon aussi explicite. En effet, qu'est venu faire le Christ sur terre? Nous a-t-Il apporté le moyen de conquérir l'une des citadelles d'où les dieux nous gouvernent? les secrets de la Nature? le bonheur matériel? Non, mais Il nous a indiqué ta route inconnue, abrupte et solitaire qui mène directement à Dieu. Messager de l'Absolu, le Sauveur nous fait revenir à l'Absolu. Les splendeurs des soleils, des étoiles, des paradis, les ivresses des mystères cosmiques découverts, la beauté des princes invisibles qu'exaltent les prêtres et les adeptes, Jésus désire que nous laissions tout cela. Là n'est pas le Père; ce ne sont que des créatures et Lui-même S'est constitué le trait d'union vivant entre le Père inconnaissable, indicible, ineffable et nous-mêmes. Il importe donc extrêmement que nous ne défassions pas ce que le Sauveur a pris la peine de faire. Veillons à ce que toutes nos pensées, nos sentiments et nos actes soient dirigés, par l'intention, vers le Dieu unique et non vers aucun des dieux qui peuplent l'Invisible, si fascinants soient-ils.
   La nouvelle naissance à la vie éternelle, voilà le terme de nos travaux. C'est le Christ qui nous transplantera dans la terre des vivants, mais c'est nousmêmes qui devons nous arracher de la terre de ce monde. Voilà pourquoi tout athlète spirituel, pour appuyer sa domination, est obligé de sortir des cercles de la Nature, de la vie animale, instinctive, de renoncer à l'argent, aux honneurs, aux formes basses de l'amour. Mais on peut sortir de ce cercles par deux portes. La première est extérieure, par les disciplines alimentaire, respiratoire, passionnelle et mentale, par l'étouffement des désirs, par l'établissement de la volonté dans un état fixe, impassible et immobile. C'est la mauvaise manière. Nous verrons plus tard pourquoi.

   L'autre porte est centrale; on la passe en retirant notre cœur des attraits naturels pour les diriger vers le surnaturel, sans cesser néanmoins d'entretenir la flamme par l'aliment de l'action; en ne s'arrêtant pas de vivre de la vie domestique, familiale, sociale, intellectuelle et artistique. C'est ici la bonne voie. On ne cherche plus, comme tout à l'heure, un abri égoïste, mais on dirige une foule d'êtres et de forces, tant visibles qu'invisibles, vers le centre éternel d'où ils sont partis. Si je jeûne, si je me prive de plaisirs licites pour augmenter la force de ma volonté, j'avance vers le royaume de l'orgueil. Si je fais ces mêmes choses pour donner au Père une marque de soumission, d'amour et de prière, je vais vers le Ciel. Pardonnez-moi d'insister sur cette distinction; elle est essentielle pour bien comprendre la nécessité du secret dans les actes de vertu. Il faut apprendre à être muet dans ce cas; mieux encore, à les oublier; car on peut s'enorgueillir d'avoir réussi à tenir caché le bien qu'on a cru faire; l'orgueil s'insinue dans les replis les plus profonds de la conscience.
   N'oublions pas, enfin, que toutes ces précautions d'intégrité morale n'influent pas seulement sur nous-mêmes, mais aussi sur les témoins invisibles de notre conduite; et ce n'est pas là une des moindres prérogatives du disciple,
   Comme nous l'avons vu en commençant, chacune des enveloppes de l'être humain reçoit sa nourriture propre. Le mot enveloppe n'est pas très exact, parce qu'il n'entraîne pas l'idée d'organisme; le mot corps est meilleur. Il y a, en effet, en dehors de l'homme de chair, un homme de fluide, un homme de matière astrale, un homme de matière mentale, beaucoup d'autres encore, attachés au même moi; à son tour l'âme divine régit souvent plusieurs mois planétaires. Elle est attachée à chacun d'eux par ce cœur spirituel qui est le temple intérieur; et ce temple est localisé dans le coeur de chair.
   Pendant l'existence terrestre, c'est donc le moi terrestre, la personnalité terrestre qu'il importe d'éduquer. Cette éducation consiste essentiellement à plier toutes les énergies des corps prêtés par la terre à la loi de l'homme éternel, de l'âme. Les nourritures physiques, fluidiques, astrales on mentales sont donc bien moins importantes que les nourritures spirituelles; et cependant c'est de celles-ci qu'on se préoccupe le moins.
   L'âme en soi est libre, éternelle, divine. Elle ne peut donc se nourrir que de divin. Or comment le divin se manifeste-t-il dans le monde? Par le sacrifice. Qui l'a manifesté d'une façon parfaite? Jésus. Comme Il a donné Sa vie pour nous, donnons de nous-mêmes à autrui. Cela implique des souffrances constantes, mais c'est le seul moyen de fournir de l'huile à la lampe éternelle dont nous sommes les indignes porteurs.
   Cette charité d'action, le Christ seul en a donné l'exemple. Il ne suffit pas de donner des conseils aux ignorants et aux vicieux; il faut se résoudre à vivre avec eux, à supporter leur sottise et leur grossièreté pour les en guérir lentement; ainsi le Verbe ne S'est pas contenté de nous envoyer des forces du haut de Son trône céleste; Il S'est abaissé à notre niveau biologique, souffrant les promiscuités, les laideurs et les méchancetés des hommes. C'est par là qu'Il surpasse infiniment tous les autres missionnés. Efforçons-nous de faire de même dans le petit cercle de notre existence et nous n'aurons besoin de rien apprendre; le Ciel à Son tour descendra dans notre cœur et transfigurera tout en nous et autour de nous. « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé. »