XVI

THEOPHANE A STELLA

       Permettez que je vous appelle mon enfant. Le jour n'est pas loin où je pourrai pour vous quelque chose qui excusera un peu ce que ce titre a de protecteur, car nous sommes tous les enfants du même Père, et nous valons tous autant à Ses yeux. Mon enfant, disais-je, j'avais commencé à vous parler de l'Amour, et son inéluctable épouse, la Mort, est venue aussitôt vous visiter. Car cette tristesse, ce découragement, ces doutes, le désespoir, la morne indifférence pour tout, ce sont les formes d'une des morts les plus douloureuses qu'il soit donné à l'être. humain de subir. Je dis « donné », car ces souffrances sont bénéfiques et salvatrices ; je ne vous dirai ni pourquoi, ni comment vous allez vivre et alors vous comprendrez, tout. Votre, ami, Andréas, avait une recette qui vous aurait aidé « à supporter ces tortures ; il ne vous l'a pas dite, non seulement parce qu'on lui avait ordonné le silence, mais surtout parce qu'il ne vous croyait pas capable de la mettre en pratique.

Cette recette, la voici : elle consiste essentiellement à découvrir dans le fond de notre conscience le piédestal où trône notre vrai moi, à escalader ce piédestal et à regarder de là nos soldats se battre: la pensée qui s'effrite, le cœur qui perd son enthousiasme, la volonté qu'abandonne la foi. Mais cette recette est dangereuse, car on arrive ainsi à ne plus s'interresser à la Vie, et nous péchons gravement toutes les fois que noùs négligeons d'agir. Nous sommes des soldats et des laboureurs, notre devoir est de nous battre contre les ténèbres, et après les avoir vaincues, de défricher les déserts qu'elles habitaient. Les livres sont des instruments de travail, la science n'est pas un but, rnais un moyen.

Votre cœur de femme fait que vous sentez toutes ces choses; il ne faut pas vous borner là. Vous aimez Andréas, votre amour est un ange vivant; envoyez le-lui ; il ne connaît pas les distances; l'Esprit est partout à la fois ; vous aurez à soutenir l'exilé, à le guider peut-être, tout au moins à intercéder pour lui. Vous connaîtrez ainsi, par expérience, quel glaive invincible est l'Amour, pourquoi et comment il est actif. pourquoi la science est passive et de quelles essences se nourrissent les hommes parfaits. Tel est le Grand-Oeuvre qu'il vous sera donné d'accomplir, vous deux.

Déjà maintenant, n'êtes-vous pas secrètement avertie par des touches légères au dedans de vous-même de ce qui arrive d'heureux ou de néfaste au bien aimé? L'Amour grandit dans la mesure où il se donne. Aimez donc tous ceux qui sont autour de vous, et vous aimerez d'autant plus profondément celui avec qui vous serez une seule âme un jour.