VI

THÉOPHANE  À  STELLA



                Ne cherchez pas de consolation au dehors; les réalités visibles existent mais ne sont pas. Vous croyez trouver le remède de votre mal et l'oubli de votre angoisse dans l'entraînement du luxe et des voluptés; vous sentez bien cependant en vous-même que vous avez vidé la liqueur délicieuse et qu'au fond de la coupe, une lie amère vous reste seule à boire. Ecoutez la petite voix qui murmure imperceptiblement dans votre coeur. Ne vous montrez pas, cachez-vous; ne vous élevez pas, abaissez-vous; ne cherchez pas le soleil, mais la nuit; car vous êtes toute noire, et le feu glacé de l'astre nocturne est le seul élixir qui puisse vous rendre une vie nouvelle.

Rentrez en vous-même et voyez l'enchaînement merveilleux des événements de votre existence, l'invisible sagesse de leur succession. Ce qui est aujourd'hui votre moi a parcouru l'immense cycle d'innombrables existences; il a été le feu latent qui se cache dans le caillou silencieux; puis la molécule de terre où une herbe modeste a puisé un peu de sa sève; joyau précieux, il a brillé pendant des semaines de siècles sur la poitrine d'antiques danseuses ou au front d'hiérophantes majestueux; mais la colère des puissances cosmiques a déchaîné sur l'univers où il vivait des cataclysmes d'eau et de feu; précipité à nouveau dans l'océan confus des germes primitifs, il en est ressorti élevé d'un règne dans la hiérarchie physique; cet atome de feu vital s'est revêtu des formes diverses des racines, des herbes, des fleurs et des fruits; travailleur obscur enfoui dans le sein de la terre, cellule brillante des pétales, grain de pollen parfumé, arbre enfin centenaire et vénérable, des millions de fois il a vu le soleil naître et mourir aux points opposés de l'horizon; pendant des âges sans nombre il a reçu les leçons des fées, des dryades et des faunes. Le voici replongé dans la grande mer végétale, d'où le nouveau souffle de l'esprit le fait ressurgir créature spontanée, libre de ses mouvements, à laquelle furent dévolus successivement la masse profonde des eaux, la surface de la terre verdoyante et l'espace azuré des airs. Votre corps, Stella, est un résumé de la création tout entière; immobile, il est un palmier élégant; votre démarche a emprunté aux serpents sacrés, qui se dressaient près des brûle-parfums, la perfidie de leurs ondulations; vos cheveux sont le duvet soyeux et chaud de quelque cygne d'Australie; Vos lèvres sont une rouge corolle humide de rosée; vos ongles sont des coraux polis par la caresse incessante de la grande Thalassa; vos yeux sont des gemmes affinées dans les creusets souterrains des gnomes; votre voix est l'hymne matinal des oiseaux; au fond de votre coeur, enfin, est tapie quelque voluptueuse et cruelle panthère altérée de luxure et de sang.

Telle est la Stella inférieure, telle est la forme inconsciente qui, jusqu'à ce jour, dispensa sur la foule des germes de crimes et de perversités. Ce petit feu follet ivre de sa liberté et de sa fausse lueur a peuplé sa sphère d'extravagances et de révoltes; il ne sentait pas la main de la grande Harmonie, mesurant ses écarts, et dispensant, selon la norme, les proportions de ses activités; ainsi un feu vivant s'attachait à votre sein, consumant sans relâche les matières viles de votre être et vous faisant peu à peu descendre du royaume joyeux au royaume de la tristesse.

Ainsi, ce monde, que vos multiples beautés subjuguèrent, a secoué peu à peu les chaînes flexibles que vos séductions lui avaient forgées. Plus bas votre charme impérieux fit se prosterner vos frères à vos pieds, plus consumante brûle dans leur coeur la haine inconsciente qu'ils nourrissent contre vous. L'astre qui a rayonné voit son corps réduit en cendres lorsque l'Etre des êtres retire Son souffle de lui,

Lorsque l'Éternel jeta, dans le sein de la Mère céleste, le petit germe, qui est vous-même et qui fut, depuis le commencement des âges, le spectateur toujours jeune de ses propres transformations, il lui donna dans le vaste univers un petit monde à gouverner, et ce monde, c'est votre nom, chère soeur ignorante, qui Vous fut donné au commencement, qui vous a protégé dans toutes ces chutes, et qui sera votre vêtement de gloire lors de votre future exaltation. Ce petit cosmos où vous êtes reine, vous avez reçu la mission de le garder, de le cultiver et d'en surveiller les productions. C'étaient là vos fils mystiques, sur qui devait se pencher la tendre sollicitude d'une mère, et de qui les séductions de l'antique serpent vous ont fait détourner les yeux.