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Le R. P. Coconnier

 

 

Religieux de Saint-Dominique, le R. P. Coconnier a publié en 1897 un livre intitulé l'Hypnotisme franc ; c'est l'œuvre d'un homme considérable dans son Ordre. Maître en théologie, professeur de dogme à l'Université de Fribourg, il est, en outre, directeur de la Revue thomiste. Le R. P. Franco, jésuite, l'un des rédacteurs de la Civiltà catholica, avait soutenu que l'hypnotisme est au fond immoral, préternaturel, diabolique. Le Père Coconnier s'inscrit contre cette thèse : il innocente l'hypnotisme de la plupart des reproches qu'on lui fait, et le prétend d'ordre entièrement naturel. Aussi l'a-t-il nommé hypnotisme franc, comme s'il était affranchi de tout occultisme et diablerie. Dans l'ouvrage sur La stigmatisation, j'avais pris parti pour le Jésuite romain : ce qui me valut l'admonestation suivante de la Revue thomiste :

« Pourquoi le docteur Imbert est-il si sévère à l'égard de l'hypnotisme ? L'argumentation du Père Franco le ravit, elle n'est pourtant pas extrêmement solide, et par malheur, celle de l'auteur lui-même ne l'est pas beaucoup plus. Sa discussion sur ce point ne nous satisfait nullement, nous devons le dire : ce qu'il appelle la thèse théologique de l'hypnotisme, n'est d'abord pas plus théologique qu'une autre, et elle est moins philosophique à coup sûr.

« Voir le diable ipso facto dans la suggestion hypnotique, est une fâcheuse exagération qui fait tort à la vraie thèse théologique. Laissons le diable là où il est, son rôle est assez grand dans le monde ; ne le faisons pas entrer de force dans les manifestations, fussent-elles obscures, des forces naturelles qui régissent le composé humain. Quand l'auteur nous dit qu'on ne peut mettre que des inepties à la place de sa thèse « théologique », il prononce un mot un peu rude, et qui pourrait bien intéresser, sans qu'il le sache, plus d'une illustre mémoire. Laissons encore ces exagérations que la vérité réprouve ; n'opposons pas, dans nos discussions, radicalisme à radicalisme ; mais tâchons de faire la part du vrai : cette attitude plus digne, plus scientifique, profitera mieux à la cause chrétienne que celles de pourfendeur à outrance. Une tentation contre laquelle les hommes de grande foi et d'humeur belliqueuse doivent se défendre, c'est celle qui consiste à dire aux adversaires : Vous ne voulez pas du surnaturel, on en mettra partout. » (Revue thomiste, novembre 1894)

 

Comme le livre de l'hypnotisme franc est la négation plus ou moins directe de tout ce que j'ai écrit sur ces questions, j'ai tenu à répondre et à juger l'œuvre en trois articles parus dans L'Univers (6, 8 et 9 juin 1898) (1). La campagne du docteur Ferrand, les admonestations de la Revue thomiste, le livre du Père Coconnier m'ont peu inquiété : j'étais sûr de mes dires au point de vue de la science et au regard de la foi. Toutefois, le dirai-je, un instant je me suis cru abandonné des miens et réduit à combattre seul, lorsqu'il m'est survenu du renfort.

Le docteur Charles Hélot (de Bolbec) vient de faire paraître fin 1898, une brochure sur l'hypnotisme franc et l'hypnotisme vrai (2), où il combat sur toute la ligne la thèse du Père Coconnier. Cet opuscule, de soixante pages, est un chef-d'oeuvre de science et de philosophie. Le Coconnisme ne se relèvera pas du coup qui lui est porté. Déjà, l'auteur avait publié l'année précédente un grand ouvrage sur les névroses et les possessions diaboliques (3). Sur toutes ces questions, il a pris d'emblée le premier rang parmi les médecins catholiques. Charles Hélot est un maître.

Le 25 août 1898, le docteur Surbled donnait dans le Correspondant une fort belle étude sur les sueurs de sang, question de stigmatisation. Là, il reproduisait la quintessence de mes articles sur le Père Coconnier et l'hypnotisme. Comme moi, il a été sévère pour le Père dominicain, on en jugera bientôt par quelques citations. Depuis longtemps, M. Surbled a pris bon rang dans l'apologétique chrétienne.

A cette heure, je ne suis plus seul en face du Père Coconnier. D'autres médecins viendront encore : bientôt, nous serons légion.

 

Sous le titre d'hypnotisme franc, le Père dominicain s'est taillé un hypnotisme de fantaisie, élaguant tout ce qui pouvait gêner sa thèse ; le spiritisme comme les phénomènes transcendants de l'hypnose. Ces derniers, quoique admis par tous les observateurs, hommes de science, sont pour lui non avenus. Cet hypnotisme bâtard se trouve réduit au sommeil et à la suggestion hypnotiques, à trois phénomènes reconnus étranges, le dédoublement de la personnalité, les suggestions à échéance et les exsudations sanguines. Le Père Coconnier prétend que tous ces faits, si extraordinaires qu'ils paraissent, peuvent s'expliquer naturellement : il a écrit un livre de 438 pages pour le démontrer. A-t-il réussi ? C'est ce qu'on va juger à la discussion.

Là où l'auteur de l'hypnotisme franc s'est trompé au maximum, c'est dans la question des exsudations sanguines obtenues par hypnose. Ici, l'erreur est des plus graves, parce que la thèse, qui est celle des libres penseurs, est en opposition formelle avec l'enseignement de l'Église sur la stigmatisation divine.

 

 

(1). La Revue du Monde Invisible a dit à ce sujet : – Ces articles de notre savant confrère de Clermont-Ferrand, très remarqués et remarquables, ont droit à une mention spéciale. Le docteur Imbert-Gourbeyre montre avec science et mesure, que le Père Coconnier, dans son livre sur l'hypnotisme, a traité sans compétence la difficile question de l'imagination dans ses rapports avec la sueur de sang et les stigmates. Nous nous associons à ses conclusions, pour tout ce qui ne sort pas du domaine expérimental. (Docteur Surbled, 15 août 1898.)

(2). Paris, Bloud et Barral.

(3). Névroses et possessions diaboliques, Paris, 1897 - Bloud et Barral.