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D : N'existe-t'il
pas, dans le domaine de l'édition, des frontières nettes entre
Église et ésotérisme?
RS : Si l'on considère les choses
d'un point de vue tout extérieur, je serais tenté de dire qu'elles
sont effectivement bien séparées; toutefois, la situation n'est
plus tout à fait identique en ce qui concerne les lieux de vente.
D: Passons alors sur cet aspect commercial pour revenir aux différences bien marquées. RS : Encore une fois, ne nous fions pas aux seules apparences : de même qu'en librairie ésotérique j'ai vu acquérir des traités sur l'iconographie ou la symbolique par des religieux, j'ai pu observer par ailleurs des chrétiens qui, une fois hors de l'église paroissiale, oubliaient très vite leurs frères! |
D: Et pour en
venir à l'alchimie proprement dite, que faut-il en penser?
RS : Il faut commencer
par éliminer le vieux cliché du faiseur d'or éclairé
à la chandelle et préparant quelque transmutation dans ses fourneaux
noircis.
Du point de vue historique, on oublie que s'intéressèrent aussi à l'alchimie des religieux et même d'humbles moines. D'autres étaient médecins, chimistes ou minéralogistes célèbres, tels Glauber, Pott, Stahl, Orschal, Glaser, Lémery, Henckel ou Pierre-Jean Fabre. Certains d'entre eux furent à l'origine de découvertes médicales ou chimiques importantes. N'oublions pas non plus leur influence sur la poésie, l'architecture, l'art du vitrail, etc. L'alchimie est d'ailleurs présente au sein de nombreuses autres civilisations : Chine, Inde, Moyen-Orient.
Pour la symbolique et l'iconographie chrétiennes en général, l'auteur incontournable reste Louis Charbonneau-Lassay dont il est grandement conseillé de lire "Le Bestiaire du Christ" ainsi que les travaux consacrés à la symbolique du Sacré-Coeur. On peut encore consulter d'autres sources comme Mgr Barbier de Montault, Cloquet, É. Mâle, G.-J.Witkowski, etc. D: Indiquez-nous maintenant quelques auteurs anciens recommandables. |
RS : Indépendamment
du caractère parfois pseudépigraphique des écrits qui
leur sont attribués, mentionnons le moine anglais Roger Bacon
(1214-1292), Alain de l'Isle qui fut docteur de Paris et moine de Cîteaux
(mort vers 1298), Arnaud de Villeneuve de la faculté de médecine
de Montpellier (1245 -1310), Albert le Grand et Thomas d'Aquin , le Bienheureux
Raymond Lulle (1235-1310), le moine Ferrari (mort en 1280), Dom Belin, évêque
de Belley, mort en 1677, etc. Il faudrait toutefois des pages et des pages pour avoir une idée d'ensemble sur la question. A titre d'exemple, ne serait-ce que pour avoir un aperçu des origines de l'alchimie grecque ou arabe, on peut consulter les six gros volumes de l'Académicien Marcelin Berthelot. Pour un panorama des auteurs anciens, il faut recommander les trois volumes de "L'histoire de la philosophie hermétique" de l'abbé Lenglet Dufresnoy (XVIIIè s.) Ouvrons aussi les bibliographies spécialisées : Dorbon (Bibliotheca esoterica), Caillet (Manuel des sciences psychiques et occultes, 3 vol.), Brunet (Manuel du libraire), Ferguson (Biblioth.chemica, 2 vol). Parmi ceux que l'histoire a longtemps ignorés, malgré leur célébrité dans un autre domaine, prenons encore l'exemple de Newton dont les notes alchimiques, conservées à l'université de Cambridge, ne réapparurent qu'en 1936. |
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D : Quelles
sortes de pièges rencontre-t-on dans le domaine de l'alchimie ?
RS : Méfions-nous
de certains "initiés" qui se targuent d'être "Adepte" ou "Rose-Croix"
et promettent à leurs disciples d'atteindre la maîtrise inhérente
à ces états, tout en n'établissant aucune différence
entre sagesse naturelle et Sagesse divine, bien qu'ils affirment le contraire.
D: Comment, alors, faire la différence dès le départ? |
RS : Je ne m'adresse
pas ici à des gens prévenus, ni à des personnes déjà
revenues de semblables illusions mais plutôt aux non-avertis, dont la
démarche passe d'abord par le sensible et l'émotionnel, notamment
les jeunes, que leur fragilité transforme en proies faciles pour sectes
de tout poil.
L'alchimie est trop souvent présentée comme offrant non seulement un pouvoir sur la maladie, les épreuves de l'existence ou la mort, mais encore la maîtrise du passé et de l'avenir : tentation sournoise, semée dès le début du chemin, car rien n'est plus fascinant pour l'être humain que d'entre- voir la possibilité d'obtenir les secrets du ciel et de la terre! |
La difficulté s'accroît
du fait que dans la tradition chrétienne, le Christ et les Apôtres
eux-mêmes annoncent une résurrection dans la gloire, l'incorruptibilité
des corps et promettent aux élus la lumière divine. De plus,
l'Évangile se veut aussi un enseignement donné aux hommes
"égarés en ce monde".
Le Christ, seul vrai homme (mais sans le péché) et vrai Dieu à la fois, puisque de même nature que le Père, reste donc pour nous l'unique incarnation du Divin. Les alchimistes, qui prétendent l'imiter depuis toujours, oublient de préciser que c'est uniquement en Christ et par Christ seul que l'on trouve le chemin. Ils parlent bien d'amour ou de lumière au départ mais pour mieux faire croire par la suite que l'on peut atteindre la maîtrise spirituelle sans l'aide des connaissances chrétiennes ou des paroles du Christ contenues dans les Évangiles. Mieux encore, ils inventent parfois un "Christ ésotérique" dont ils recevraient l'enseignement inté- rieurement tandis que ce qu'ils énoncent est en pleine contradiction avec les paroles de Jésus. De là à croire qu'ils sont devenus celui qu'ils imaginent, il n'y a qu'un pas et l'on connaît de semblables duperies! Aucun Credone s'imposant à eux (la foi en l'incarnation du Christ, en sa résurrection ou en ses préceptes) , ils se méprennent nécessairement sur la nature humaine qui n'aurait jamais connu, selon eux, de chute originelle. Partant de cette idée, ils veulent nous faire retrouver ce divin qu'ils prétendent endormi en chacun de nous. Schématiquement, croire - sous prétexte que l'âme est une étincelle divine - qu'elle constitue pour autant le feu tout entier ou même l'essence du "feu divin", c'est forcément se tromper ou tromper les autres : l'esprit de l'homme n'est pas en lui-même identique à l'Esprit-Saint de Dieu! Sans "catéchèse" ou du moins précautions élémentaires, il ne s'agit plus du même Christ ni du même sens donné à la chute, à la rédemption ou au Divin; pour ce qui est des trois règnes de la nature, les transpositions sont encore plus délicates à établir. Tôt ou tard enfin, ces philosophastres et gourous en viennent, à l'inverse des paroles de Jésus qui enseigne que "le plus grand parmi vous est celui qui se fait le serviteur de tous", à ne parler que de pouvoir, finissant de la sorte par se faire adorer plutôt que de servir. C'est là la "pierre" d'achoppement qui sévit depuis 2000 ans! Car vouloir ignorer le Verbe fait chair, sa vie, sa passion, sa mort et sa résurrection, c'est ignorer le Christ comme seul médiateur. Et pas n'importe quel Christ : celui des Évangiles! D: Certains, pourtant, attribuent à la philosophie naturelle la connaissance d'un élixir doué de vertus curatives, tant physiques que spirituelles?
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RS :
En effet, ils croient pouvoir obtenir un élixir de vie élaboré
à partir de techni- ques secrètes dans quelque laboratoire
inconnu et qui nous conférerait immortalité, science
infuse et sagesse divine. Quelle erreur!
Une certaine alchimie est ici visée; c'est à elle que se rapportent ces passages de Saint Louis-Marie Grignon de Monfort, tirés de "L'amour de la Sagesse Eternelle" : «Cette science, quoique véritable en elle-même, a dupé et trompé une infinité de gens,par rapport à la fin qu'ils se proposaient; et je ne doute point, par l'expérience que j'en ai moi-même, que le démon ne s'en serve aujourd'hui pour faire perdre l'argent et le temps, la grâce et l'âme même, sous prétexte de trouver la pierre philosophale.» «Enfin, pour mieux couvrir du manteau de
la piété leurs tromperies, ils disent que c'est un don de Dieu,
qu'il ne donne qu'à ceux qui l'ont longtemps demandé et qui
l'ont méritéspar leurs travaux et par leurs prières.»
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D:Cependant, vous sembliez dire précédemment
qu'il existait néanmoins d'authentiques adeptes?
RS : Si l'on aborde
l'alchimie et la sagesse du point de vue des adeptes chrétiens, ceux-ci
se fondent sur les Saintes Écritures et parlent d'un art de rédemption,
de l'incorruptibilité des corps ou de la résurrection donnés
par le seul Christ. Différenciant la pierre physique
de la Pierre céleste, ils ne s'attachent pas aux avantages matériels
que peut procurer l'alchimie. Ici encore, je pourrais
reprendre le propos suivant de Saint Louis-Marie Grignon de Monfort :
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