Veniet dies Domini sicut fur, in quo cli magno impetu transient.
Le jour du Seigneur viendra comme un voleur, et les cieux passeront avec un grand fracas.
(ii Pet., chap. in, v. 10.)
Saint Paul nous apprend que le monde présent est un vaste laboratoire, où toute la nature est en fermentation et en travail jusquau jour où, affranchie de toute servitude et de toute corruption, elle sépanouira dans un ordre radieux et renouvelé
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Lhomme lui‑même, dans sa course ici‑bas, nest autre chose quun voyageur, voguant sur la mer mobile et orageuse du temps et la terre qui le porte nest que la barque destinée à le conduire au parage dune vie immortelle et sans fin.
Les nations, comme les individus, sont aussi destinés à disparaître un jour.
Lhistoire de lhumanité ne serait quun drame inexplicable, une série de faits isolés sans cohérence et sans but, si tôt ou tard elle navait son terme et son dénouement. Dans lordre naturel présent tout ce qui commence est appelé à finir ; une chaîne serait sans continuité, si elle navait deux anneaux extrêmes.
Le monde actuel, par le fait même quil a été créé, tend nécessairement à sa conclusion et à sa fin.
Comment sopérera cette grande transformation ? Quelles seront les conditions et la forme nouvelle de notre terre, lorsque, détruite et entièrement transfigurée par le feu, elle ne sera plus arrosée par les sueurs de lhomme, et quelle aura cessé dêtre larène agitée et sanglante de nos luttes et de nos passions ? Cest ce que nous dirons prochainement.
Le but que nous nous proposons dans ce premier discours est de rappeler les témoignages des saintes Écritures et spécialement celui de lÉvangile de ce jour, qui nous affirment quà la suite dun espace plus ou moins étendu de siècles, lordre des choses visibles dici‑bas fera place à un ordre nouveau et permanent, et quà lère changeante du temps succédera lère de la stabilité et du repos.
En entreprenant ce sujet délicat et ardu, un des plus importants qui puissent se traiter dans la chaire chrétienne puisquil touche à létat et à lavènement de notre patrie et de nos destinées, nous croyons utile davertir que nous éviterons toute opinion hasardée, que nous ne nous appuierons ni sur des révélations douteuses, ni sur des prophéties apocryphes, et que nous némettrons aucune assertion qui ne soit justifiée par la doctrine des Livres saints, ou sanctionnée par lenseignement authentique des Pères et de la tradition.
Dans les quatre premières conférences, nous rappellerons successivement : dabord quels doivent être les indices et les signes avant‑coureurs de la fin des temps ; secondement, quels seront les traits et les caractères de la persécution de cet homme de péché annoncé par lapôtre, comme le précurseur du dernier avènement du Fils de Dieu ; troisièmement, quelles seront les circonstances de la résurrection et du jugement ; enfin quel sera le lieu de limmortalité et létat du monde après la résurrection.
Aujourdhui, commentant les saintes Écritures et principalement le chapitre xxive de saint Matthieu, nous chercherons à résoudre ces trois questions fondamentales :
Premièrement : La doctrine de la fin des temps est‑elle une doctrine indubitable, fondée sur la raison, et en accord avec les données de la science actuelle ? Secondement : Des paroles de Jésus‑Christ est‑il permis de conclure si la fin des temps est proche ou éloignée ? Troisièmement : Par quel mode sopérera ce cataclysme final, ce grand et suprême changement ?
En face de ces redoutables problèmes qui défient les lumières et la pénétration de lentendement humain, notre parole est hésitante et ne peut que balbutier. Puisse, Monseigneur
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, votre bénédiction laffermir. Puisse lEsprit de Dieu éclairer notre esprit, et mettre sur nos lèvres des accents de vérité, de force, de sagesse et de discrétion !
I
La science matérialiste et athée de notre siècle, celle qui se propage dans les revues, qui senseigne dans la plupart des chaires officielles et quaccréditent les grands courants de lopinion antichrétienne actuelle, sobstine à ne voir que leffet du hasard dans lordre et la perfection de lunivers. Elle affirme léternité de la matière... Niant la création, elle ne saurait logiquement admettre que le monde puisse avoir une fin.
Selon cette fausse science, lunivers actuel subsistera toujours, ou sil va en progressant et en saméliorant, cest uniquement par leffet du génie de lhomme par limpulsion de plus en plus croissante donnée aux arts et aux conquêtes industrielles, la combinaison et le jeu variés des fluides et des éléments, qui se décomposent et se recomposent pour donner naissance à des formes nouvelles ; en un mot, par lapplication et la mise en activité des forces innombrables et encore inconnues, que la nature recèle dans son sein, forces qui par elles‑mêmes sont susceptibles dun essor, dun développement illimité et indéfini. Et de même que le ver, en se perfectionnant, est devenu quadrupède ; de quadrupède, bimane ; de bimane, homme, ainsi lhomme, à laide de la science, parviendra un jour au point culminant de la souveraineté. Il vaincra le temps et lespace, il se créera des ailes pour sélancer jusquaux astres et explorer les merveilles des constellations. Aux yeux de la science athée, le paradis et la vie éternelle, tels que se les figurent les chrétiens, sont une allégorie et un mythe. Le progrès est la fin dernière, la loi et le fondement de la vie de lhomme, le terme, le but où doivent converger toutes ses pensées et toutes ses aspirations. Que lhomme rejette avec courage les liens et les ténèbres des superstitions et des croyances tyranniques et surannées, quil nait plus foi quen lui‑même, et dans un avenir plus ou moins rapproché, il sera investi sur la création et les éléments dune royauté sans mesure et sans entraves. La nature, pleinement soumise par son génie, souvrira alors comme une corne dabondance, pour verser sur une humanité nouvelle la plénitude des biens désirables ; et si les générations actuelles ne parviennent pas à atteindre cet idéal de félicité, elles ont pour se consoler la perspective quil sera lapanage dune postérité reculée, apanage dautant plus glorieux pour celle‑ci quelle laura acquis indépendamment et sans le concours de Dieu, quil sera le fait exclusif et personnel de sa persévérance, de ses efforts et de son habileté.
Ai‑je besoin de dire que ces rêves fantastiques, ces théories grossières et insensées, sont contredites par la raison et la conscience universelle des peuples ?
Elles sont contredites par la raison chrétienne.
En effet, si, comme telle est notre foi et notre conviction à nous chrétiens, la vie du temps a eu son principe et son commencement en Dieu, il faut aussi quelle ait en Dieu sa consommation et sa destination. Lhomme a été créé pour connaître Dieu, laimer et le servir, et sil ne parvenait un jour à le posséder et à lui être irrévocablement uni, le plan du créateur, dénué de toute fin rationnelle, ne serait quune monstruosité et une aberration. Lhumanité, frustrée dans son amour, dans ses tendances, dans ses aspirations, deviendrait un nouveau Sisyphe, sorte de machine de hasard, sagitant dans le vide, condamnée à circuler éternellement sur la roue dune aveugle et fatale nécessité. Où seraient alors la justice, la morale, la sécurité des familles et des pouvoirs publics, dans un système où tout serait inconséquence et contradiction, où lidéal ne deviendrait jamais le réel, où le bien ne serait jamais séparé du mal, et qui noffrirait aucune mesure pour déterminer limportance de la vie morale et la vraie sanction des actes humains ?
« Lhistoire, a dit un auteur sceptique de notre temps, est le juge des peuples, et son jugement, qui se poursuit à travers le temps, rend le jugement dernier inutile et superflu. »
Mais, répondrons‑nous, le jugement de lhistoire nest pas un jugement public, tandis que le mal est public, et quil sélève avec une arrogance qui est un scandale pour les hommes et un outrage incessant contre Dieu. Le jugement de lhistoire est encore un jugement incomplet, parce que toute action bonne ou mauvaise est un principe de bien et de mal, une semence de vie ou de mort, dont son auteur na pu ni prévoir, ni pressentir tous les fruits et tous les résultats. Cest pourquoi, si le jugement universel ne nous avait été prédit, nous devrions le demander, laffirmer, comme une conséquence nécessaire, comme la dernière démarche de cette providence de Dieu qui dirige le mouvement de lhistoire à travers les siècles, comme une dernière mesure pour compléter son uvre et y mettre son sceau.
Ce jugement universel nest que le dernier tableau du drame universel : il est lexécution générale de tous les jugements partiels émanés de la justice de Dieu. Cest seulement à cette condition que lhistoire deviendra claire et compréhensible, que nous la verrons, non telle que se la figurent lesprit et les regards troublés de lhomme, mais telle quelle est en vérité, et comme un livre ouvert à tous les yeux.
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Un grand orateur de notre temps a dit : « Lhistoire nest pas faite, elle commencera dans la vallée de Josaphat. »
La raison chrétienne et la conscience universelle des peuples attestent donc que le monde doit finir et quil y aura un ordre nouveau. Cette vérité est également en accord avec la science et lobservation des faits.
Cest un principe constaté, et une loi générale de la nature, que tout ce qui est soumis au mouvement, à la décomposition, emporté par le temps, limité par la mesure, est sujet à suser, à vieillir et finit par disparaître et par périr. La science nous apprend quaucune force vitale, aucun agent créé, na la puissance de déployer son énergie au‑delà dune durée restreinte, et que le champ de son activité, en vertu de la loi créatrice, est circonscrit dans une sphère déterminée dont la limite ne peut être franchie. Les organismes les plus parfaits et les plus solidement constitués ne sauraient être assujettis à un fonctionnement indéfini.
Non seulement les êtres vivants, tels que les animaux et les plantes, mais les minéraux eux‑mêmes, sont sollicités par des forces contraires daffinité et de répulsion, et tendent sans cesse à se désunir pour former de nouvelles agrégations. Ainsi les rochers et les granits les plus durs subissent une action et un travail corrosifs, qui tôt ou tard les fera chanceler. On voit dans le firmament, des astres séteindre et disparaître. Tout mouvement, même celui des cieux, tend à se ralentir. Des astronomes éminents ont observé dans le soleil et dans les étoiles des déperditions de chaleur et de lumière, imperceptibles à la vérité, mais qui, à la suite de longs siècles, ne laisseront pas dinfluer désastreusement sur nos climats et sur nos saisons. Quoi quil en soit, il est certain que notre terre na plus la même fécondité ni la même force végétative quelle avait dans les premiers âges du genre humain. De même que le monde a eu sa jeunesse, ainsi viendra un temps où le monde aura son crépuscule, où il saccélérera vers son soir et vers son déclin.
Ce sont là des vérités dobservation et de sens commun que la raison saisit aisément, mais dont le christianisme est seul parvenu à démontrer la certitude et la haute convenance : « Cest en quoi, a dit un penseur protestant, la doctrine chrétienne se distingue beaucoup des doctrines philosophiques. Elle affirme quune existence nouvelle attend lhomme après cette vie.
Pour que cette existence se réalise, il est absolument indispensable que la nature, qui sest obscurcie pour lhomme et qui lui est devenue impénétrable, sexplique, séclaire dans un état futur, qui établira lharmonie entre le visible et linvisible, le transitoire et le perpétuel, la matière et lesprit. Cest seulement dans cet avenir, dans une telle fin de lexistence humaine, que la conscience de lhomme peut trouver le repos. Nous sommes redevables de cette espérance au Christ, dont la promesse nous autorise à attendre, après la crise suprême, une nouvelle terre et de nouveaux cieux.
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»
Le monde aura donc une fin, mais cette fin est‑elle éloignée ou prochaine ? Cest là une question sérieuse, palpitante, non moins digne de la méditation des âmes chrétiennes.
La sainte Écriture ne nous laisse pas sur ce point dans une ignorance absolue. Sans doute, Jésus‑Christ nous a dit, parlant de la date précise : « Ce jour‑là personne ne le connaît, et il est ignoré même des anges qui sont dans les cieux. ». Mais dautre part, il a voulu nous donner des indices et des signes précis, destinés à nous faire connaître que lavènement des prophéties est proche et que le monde touche à sa fin.
Jésus‑Christ a procédé à légard du genre humain pris collectivement comme à légard des individus : ainsi notre mort est certaine, niais lheure nous est inconnue. Personne dentre nous ne peut dire sil sera en vie dans une semaine, dans un jour, et moi qui vous parle, jignore si jachèverai le discours que jai commencé. Mais, si nous pouvons être surpris à toute heure, il y a cependant des signes qui témoignent que notre dernière heure est imminente, et que nous nous bercerions dune illusion grossière en nous promettant une longue carrière ici‑bas.
«Apprenez, sur ceci, dit le Seigneur, une comparaison prise du figuier : quand ses rejetons commencent à être tendres et quil pousse des feuilles, vous connaissez que lété est proche...
De même, quand vous verrez toutes ces choses, cest‑à‑dire les guerres, les famines, les tremblements, sachez que le Fils de lhomme est à vos portes.
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»
A la vérité, ces désastres publics, ces troubles, et les dérangements dans les éléments et le cours régulier des saisons, qui signaleront le dernier avènement du Fils de Dieu, sont des signes vagues et indéterminés... Ils se sont manifestés, avec plus ou moins dintensité, à toutes les époques néfastes de lhumanité, à toutes les époques de crise et de commotion religieuse.
Au temps des Macchabées, on vit déjà des signes se produire dans le ciel. Pendant quarante jours toute la ville de Jérusalem aperçut dans les airs des hommes à cheval, habillés de drap dor et armés de lances, comme des troupes de cavalerie. Les chevaux rangés par escadrons couraient les uns contre les autres. Les hommes paraissaient armés de dards et dépées nues ; ils avaient des armes dor, leur casque et leur cuirasse étaient tout resplendissants. Le peuple, saisi dépouvante, priait Dieu avec ferveur, afin que ces présages tournassent à sa délivrance et non à sa confusion et à sa ruine
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Pendant le siège de Jérusalem, sous Titus, le Saint des Saints et le Temple étaient agités par de mystérieux tremblements ; on y entendait des bruits étranges, et des voix dêtres invisibles sécriaient : « Sortons dici, sortons dici. » Un grand rabbin, stupéfait de ces manifestations surnaturelles et terrifiantes, sécria : « Ô temple, pourquoi te troubles‑tu et te fais‑tu peur à toi‑même ? » Ainsi Jésus‑Christ, pour ne donner lieu à aucune équivoque, à aucune fausse interprétation, nous dit que les fléaux et les prodiges dans la nature, qui signaleront les derniers siècles de lhumanité, ne sont que le prélude et le commencement de douleurs plus grandes encore : Hc autem omnia initia sunt dolorum
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Ainsi, des désastres et des révolutions actuelles, des désordres moraux, des grands cataclysmes religieux ou sociaux, dont lEurope et le monde sont en ce montent le théâtre, on ne peut tirer aucune déduction concluante sur la fin des temps. Les signes daujourdhui sont les mêmes signes qui se sont produits dans les temps anciens, et lexpérience constate quils sont insuffisants, pour prouver la proximité du jugement.
Il importe pourtant de considérer que Jésus‑Christ, dans sa prophétie (S. Matthieu, ch. xxiv), mêle dans un seul tableau les signes qui ont trait à la fin du monde et ceux qui ont trait à la ruine de Jérusalem. Il le fait premièrement à cause de lanalogie de deux événements... Il le fait secondement, parce que dans Dieu il ny a ni différence ni succession de temps. Les faits rapprochés et les faits plus éloignés sont clairement présents à son esprit, il les voit comme sils avaient lieu au même instant... En outre, Notre Seigneur Jésus‑Christ savait que les Apôtres, avant le jour où ils furent éclairés par lEsprit Saint, étaient imbus des illusions et de tous les préjugés judaïques ; à leurs yeux, Jérusalem était tout lunivers, sa ruine équivalait, pour eux, à la chute du monde. Par suite de ce patriotisme étroit et exagéré qui les dominait, les Apôtres persévérèrent jusquà la ruine de Jérusalem dans une vigilante et continuelle attente. Ces dispositions étaient le but que Jésus‑Christ se proposait datteindre, cherchant plutôt à les instruire et à les détacher des grossières espérances de la terre, quà piquer leur curiosité en leur dévoilant les secrets cachés de lavenir.
Ainsi, il leur montre dans sa prophétie comme deux perspectives et deux horizons ayant des traits analogues et se ressemblant par leurs contours, leurs dessins et leur coloris. En saint Matthieu et en saint Marc, les deux événements, la ruine de Jérusalem et la fin du monde, semblent plutôt se confondre. En saint Luc, la séparation des deux faits apparaît très nettement : il y a des traits qui ne se rapportent quà la fin du monde, par exemple ceux‑ci : Et il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles. Et sur la terre les nations seront dans labattement et la consternation, la mer faisant un bruit effroyable par lagitation de ses flots... Et les hommes sécheront de frayeur dans lattente de ce qui doit arriver dans tout lunivers ; car les vertus des cieux seront ébranlées... Et alors ils verront le Fils de lhomme venant sur une nuée avec une grande puissance et une grande majesté
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Le monde existera‑t‑il encore cent ans ? Finira‑t‑il avec notre millénaire actuel ? Lhumanité, sous la loi de grâce du christianisme, parcourra‑t‑elle une mesure dannées correspondant à celle quelle a parcourue sous la loi de nature ou sous la loi mosaïque ? Ce sont des questions sur lesquelles il nest permis de hasarder aucune hypothèse, aucune conjecture. Tous les calculs et les investigations auxquels se sont livrés de savants interprètes sont des recherches oiseuses qui nont dautre intérêt que la satisfaction dune vaine curiosité. La Providence a statué que ce jour est inconnu, et que personne ne parviendra à le découvrir avant le moment même de sa réalisation : De die illa nemo scit
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Et que personne ne nous objecte que si lon ne petit fixer le jour, on peut au moins en déterminer lépoque ou lannée. Non ; car saint Augustin observe que le mot jour, dans la sainte Écriture, doit être interprété dans le sens dune durée quelconque. Le témoignage du saint docteur est daccord avec celui du prophète Malachie qui nous dit : Ecce venit, dicit Dominus exercitum : Et quis poterit cogitare diem adventus ejus. Zacharie est encore plus précis et plus explicite : Et erit in die illa : non erit lux, sed frigus et gelu, et erit dies una, qu nota est Domino, non dies neque nox : et in tempore vesperi erit lux
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La raison en est, que la fin du monde ne sera pas simplement leffet dune cause naturelle, mais elle dépend surtout de la volonté de Dieu, qui ne nous a pas été révélée
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Il est de foi que les destinées humaines seront closes, lorsque la mesure des saints sera remplie, et le nombre des élus consommé. Or, aucun homme ne peut, non seulement par des raisons certaines. mais même en sappuyant sur des conjectures probables, connaître quel est le nombre des prédestinés, et moins encore après quel espace de temps ce nombre sera complet. Qui oserait, par exemple, affirmer sil se sauvera plus ou moins des hommes dans les siècles à venir quil ne sen est sauvé dans les siècles antérieurs ? Et soit que les saints futurs soient en nombre plus considérable, soit quils se trouvent en nombre moindre que les saints passés, comment prévoir dans quelle mesure de temps leur nombre sera consommé ? Nest‑il pas constant que, dans la vie de lÉglise, il y a des temps de stérilité où les saints sont rares et des époques de fécondité où ils abondent ? Cest pourquoi, considérant la cause primordiale du monde, qui nest autre que le mystère caché de la prédestination, personne ne peut conclure si la fin du monde est prochaine ou éloignée
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Cependant, si Jésus‑Christ nous apprend que la fin de ce grand jour est un secret que Dieu sest réservé dans les conseils de sa puissance, tempora et momenta qu Pater posuit in sua potestate, et qui échappe à toutes nos prévisions jusquà lheure même de sa réalisation, toutefois, afin de nous prémunir contre lincurie et une fausse sécurité, il ne cesse de rappeler aux hommes, premièrement que la fin du monde est certaine, secondement quelle est relativement prochaine, troisièmement quelle naura pas lieu avant que ne se soient produits, non pas des signes communs et généraux tels quil sen est accompli dans tous les temps, mais des signes propres et spéciaux quil nous a clairement indiqués. Ces signes ne sont pas seulement des calamités et des révolutions dans les astres, mais des événements dun caractère public, se rattachant à la fois à lordre religieux et social, et sur lesquels il est impossible que lhumanité puisse se méprendre .
II
Le premier des événements précurseurs de la fin des temps est celui que nous indique le Sauveur, en saint Matthieu, ch. xxive, quand il nous dit : « Et cet Évangile du royaume de Dieu sera prêché dans lunivers, donné en témoignage à toutes les nations, et alors seulement arrivera la fin ». Le second de ces faits sera lapparition de lhomme de péché, lAntéchrist
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Le troisième, la conversion du peuple juif, qui adorera le Seigneur Jésus et le reconnaîtra pour le Messie promis
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. « Jusque là, dit saint Paul, que personne ne sabuse comme si nous étions à la veille du jour du Seigneur
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. »
Il est manifeste que les deux derniers événements, indiqués par saint Paul comme devant signaler lapproche de la suprême désolation, ne sont pas accomplis. LAntéchrist na pas encore paru, ainsi que nous létablirons dans le prochain discours. Les juifs, en tant que nation, nont pas encore rejeté lépais bandeau qui les empêche de saluer comme Dieu celui quils ont crucifié. Reste à étudier si, à lheure présente, lÉvangile a été prêché sur toute la terre et offert en témoignage à luniversalité des nations.
Sur ce point les Pères et les Docteurs sont partagés. Les uns disent que les paroles de Jésus‑Christ doivent être interprétées moralement, quil faut les entendre dans le sens dune prédication partielle et sommaire, quil suffit, pour leur vérification, que des missionnaires aient éclairé un certain nombre dintelligences isolées dans les diverses parties de la terre habitable, et que dans chaque désert, sur chaque côte lointaine, la croix ait été arborée au moins une fois. Dautres, en plus grand nombre, tels que saint Jérôme, Bède, veulent que les paroles du Fils de Dieu soient entendues dans le sens le plus strict et le plus littéral.
Cornélius a Lapide, le plus savant des interprètes des Livres saints, émet le sentiment que la fin des temps narrivera pas avant que le christianisme ait été, non seulement divulgué, propagé. mais quil se soit établi, organisé, et quil ait subsisté à létat dinstitution publique chez les hommes de toute race et de toute nationalité : de telle sorte quavant que le cours des siècles soit achevé, il ny aura pas une plage barbare, pas une île perdue dans lOcéan, pas un lieu actuellement inconnu dans les deux hémisphères, où lÉvangile nait brillé dans tout son éclat, où lÉglise ne se soit manifestée avec sa législation, ses solennités, sa hiérarchie comprenant les évêques et les pasteurs de second ordre, où enfin ne se soit pleinement vérifiée la grande prophétie : « Il ny aura plus quun seul troupeau sous la houlette dun seul pasteur
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».
Nous opinons pour ce dernier sentiment. Il est plus conforme au témoignage des saintes Écritures. Il est plus en accord avec la sagesse et la miséricorde de Dieu, qui ne distingue pas entre civilisés et barbares, entre grecs et entre juifs, mais qui, voulant le salut de tous les hommes, nexclut aucun deux de la lumière et du bienfait de la Rédemption. Enfin, il se concilie mieux avec la conduite de la Providence, qui prend une égale sollicitude de tous les peuples et les appelle successivement à la connaissance de sa loi, au temps fixé par ses immuables décrets.
Or, il suffit de jeter les yeux sur une carte géographique pour reconnaître que la loi évangélique est loin davoir été promulguée à tous les peuples, et que dinnombrables multitudes, à lheure présente, restent encore assises dans les ténèbres, et ne possèdent pas la moindre teinture des vérités révélées.
Ainsi, le centre de lAsie, les montagnes du Tibet ont jusquici défié les tentatives de nos plus intrépides missionnaires. Le Nil nous cache encore ses sources comme au temps de lempire romain. Personne na pu jusquici nous renseigner dune manière exacte sur les usages, létat religieux et social des populations de lAfrique équatoriale, malgré les grands lacs et les hauts plateaux récemment découverts où naguère on ne soupçonnait que des sables et des déserts. LAngleterre et dautres nations ont fondé des stations coloniales sur les côtes de lOcéanie, mais lintérieur de ces vastes continents reste à explorer. Il est évident que lÉvangile na pas encore été offert en témoignage à toutes les nations ! Peut‑on même dire quà lheure présente il ait été prêché avec assez déclat, et de manière à rendre inexcusables ceux qui auront refusé de lui obéir sur la plus grande partie de la terre, dans toutes les provinces de lInde, de la Chine, dans la plupart des archipels ? Que serait‑ce que vingt, que cent, que mille prêtres, si lon veut, pour évangéliser un pays comme la France, y implanter la connaissance de nos divins mystères, y entretenir le feu de la charité ? Or la Chine seule, vu son immense population, est bien loin de la comparaison que nous venons détablir. Parmi les trois cent quarante millions dhabitants que compte ce vaste empire, le plus grand nombre, ou na jamais entendu parler de notre religion, ou nen a quune idée vague et incomplète : ils vivent et meurent sans avoir jamais rencontré un prêtre. LAfrique, si lon en excepte les provinces du nord, ne compte que cinq ou six résidences de missionnaires sur des côtes de plus de deux mille lieues détendue
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. A chaque page des annales de la Propagation de la foi, on retrouve ces douloureux accents qui séchappent du cur des apôtres : « Priez donc le maître de la moisson quil envoie des ouvriers pour recueillir ces immenses récoltes
[18]
. »
Or, il est écrit quà la fin des temps lÉvangile aura été donné en témoignage à toutes les nations.
« Tous les peuples, sécrie David, tous les peuples jusquaux extrémités de la terre, se ressouviendront du Seigneur et retourneront à lui, car cest au Seigneur quappartient lempire, et il gouvernera les nations
[19]
. »
Plus loin David dit encore : « Sa domination sétendra depuis une mer jusquà lautre et depuis le fleuve jusquaux extrémités de la terre ; les habitants de lÉthiopie se prosterneront devant lui : les rois dArabie et de Saba lui apporteront leurs dons
[20]
. »
Le Seigneur sadresse ensuite à lÉglise par Isaïe : « Étends lenceinte de tes pavillons, développe les voiles de tes tentes, népargne rien, allonge tes cordages, affermis tes pieux. Car tu pénétreras à droite et à gauche, ta postérité héritera des nations et tu rempliras les villes de la terre
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. »
Ces textes sont formels, précis, et de leur témoignage il ressort clairement quil adviendra une époque où toutes les hérésies, tous les schismes seront détruits, et où la religion véritable sera unanimement connue et pratiquée dans tous les lieux que le soleil éclaire.
Assurément, cette unité ne se réalisera pas sans peine ; lhumanité ne parviendra pas à cet âge dor par des voies semées de roses : toutes les assises de lÉglise sont cimentées avec le sang des martyrs mêlé à la sueur des apôtres.
Il faut donc sattendre à des luttes et à des résistances acharnées. Il y aura du sang répandu ; lesprit de ténèbres amoncellera de nouveau ses séductions et ses ruses ; on peut prévoir pour lÉglise des persécutions plus terribles que celles quelle a jusquici soutenues. Mais, dautre part, il faut apprendre à scruter les pensées de Dieu et à lire dans les décrets de sa puissance. Toutes les admirables inventions des temps modernes ont leur fin providentielle. Dieu, de nos jours, aurait‑il entrouvert à lhomme les secrets et les trésors cachés de la création, lui aurait‑il mis entre les mains tous ces merveilleux instruments tels que la vapeur, le magnétisme, lélectricité, dans lunique but de fournir un nouvel aliment à son orgueil, dêtre les dociles esclaves de son égoïsme et de sa cupidité ? Ce nétait pas la pensée quil exprimait par la voix du prophète, quand il disait : « Je vais donner des ailes à ma parole, atteler le feu à mes chars, saisir mes apôtres comme dans un tourbillon, et les transporter en un clin dil au milieu des nations barbares. »
Ainsi les temps sont proches où Jésus‑Christ va obtenir un triomphe complet, et où, en toute vérité, il pourra sappeler le Dieu de la terre : Deus omnis terræ vocabitur
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A lheure présente, de nombreux indices nous présagent une grande victoire pour le Christianisme. Nos ennemis nen ont‑ils pas le pressentiment ? un instinct secret ne les avertit‑il pas que les jours de leur force sont comptés, et que le temps où il leur est donné de prévaloir ne saurait être de longue durée ?... Cest pourquoi ils enrôlent dans la guerre impie quils font à lÉglise toutes les corruptions haineuses, toutes les hypocrisies impatientes de jeter leur masque, toutes les sciences hostiles, toutes les politiques ombrageuses et athées. La révolution lève hardiment son étendard contre la religion, la propriété, la famille, elle sape les bases de lédifice social, et nous livre ses assauts simultanément et sur tous les points. La presse, affranchie de tout frein, inocule, par ses mille organes, les doctrines les plus subversives et les poisons les plus meurtriers. Le trône dix fois séculaire du Saint‑Siège, attaqué avec une audace infernale, signalé comme institution dignorance et dobscurantisme, faisant tache au milieu des splendeurs de notre civilisation, a succombé sous cette multitude defforts combinés ; il sest écroulé de fond en comble, sans quhumainement parlant, on puisse nourrir lespérance quil parvienne bientôt à se relever.
On conçoit que, dans une telle situation, les sages se sentent irrésolus dans leurs conseils, et que leur courage et leur fermeté paraissent chanceler. On conçoit quà travers ces nuages et sous ces horizons troublés, ils entrevoient de sombres perspectives, et quils nous annoncent une recrudescence de crimes, de guerres et deffroyables bouleversements. Mais ce qui nous donne lespérance dune nouvelle ère glorieuse pour lÉglise, cest précisément lincroyable audace et la rage sans cesse renaissante de nos ennemis. De nos jours on attaque le Christianisme partout : dans les arts, dans les sciences, dans lÉglise et dans lÉtat, en Europe comme en Asie, dans lancien et dans le nouveau monde. Cest le signe certain quil triomphera partout et en tout lieu.
En quel moment ? Dieu le sait, mais le fait est certain. Le sang des martyrs devient la semence des chrétiens, lÉglise a des promesses immuables. Au sortir de la mer Rouge, elle entre dans la Terre promise. A lheure des ténèbres succède celle de la lumière et du triomphe. A la suite des outrages du Golgotha, elle entend retentir autour delle les bénédictions et les hosannas de la délivrance.
Donc, ne perdons pas courage. Saluons lavenir qui se prépare.
Et si, à lheure présente, notre patrie est en proie aux convulsions, déchirée par les discordes ; si sa fortune et son influence politique sont devenues un enjeu que se disputent les ambitions inassouvies et les médiocrités vulgaires, comme le prodigue de lÉvangile, elle ne tardera pas à se ressouvenir de la paix et de lhonneur des siècles de sa jeunesse ; elle rejettera ses chaînes et le bandeau de son ignominie, il y aura de nouveau des pages brillantes à écrire dans ce livre qui a pour titre : Gesta Dei per Francos.
Mais la fin du monde, dût‑elle être ajournée à de longs siècles, que sont les siècles auprès des années éternelles ? Une seconde, un instant plus fugitif que léclair. Lorsque le Fils de Dieu se fut élevé dans les cieux et assis sur une nuée, les Apôtres ne pouvaient détacher leurs regards de lendroit du Ciel où il avait disparu. Tout à coup, deux anges vêtus de blanc se montrèrent à eux et leur dirent : « Hommes de la Galilée, pourquoi restez‑vous là, contemplant le Ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé davec vous dans le Ciel, en reviendra de la même manière que vous ly avez vu monter
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», ailleurs Jésus‑Christ dit : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus : encore un peu de temps et vous me verrez ; parce que je vais à mon Père
[24]
».
Mais si Jésus‑Christ a voulu nous laisser ignorer le temps précis de la fin du monde, il a jugé utile de nous renseigner en détail sur le mode et sur les circonstances de ce grand événement.
Quant au monde, dit‑il, la chute du monde aura lieu instantanément et à limproviste : « Veniet dies Domini sicut fur
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. » Ce sera à une époque où le genre humain, plongé dans le sommeil de la plus profonde incurie, sera à mille lieues de songer au châtiment et à la justice. La divine miséricorde aura épuisé toutes ses ressources et tous ses moyens daction. LAntéchrist aura paru. Les hommes répandus sur tous les espaces auront été appelés à la connaissance de la vérité. LÉglise catholique une dernière fois se sera épanouie dans la plénitude de sa vie et de sa fécondité. Mais toutes ces faveurs signalées et surabondantes, tous ces prodiges seront de nouveau effacés du cur et de la mémoire des hommes. Lhumanité, par un abus criminel des grâces, sera revenue à son vomissement. Tournant ses attachements et toutes ses aspirations vers les biens et les grossiers plaisirs de cette terre, elle se sera, comme parlent les Livres saints, détournée de Dieu au point de ne plus voir le Ciel et de ne plus se souvenir de ses justes jugements
[26]
. Toute foi sera éteinte dans les curs. Toute chair aura corrompu ses voies. La divine Providence jugera quil ny a plus de remède.
Ce sera, dit Jésus‑Christ, comme aux temps de Noé
[27]
. Les hommes alors vivaient insouciants, ils faisaient des plantations, ils construisaient des maisons somptueuses, ils se raillaient agréablement du bonhomme Noé, se vouant au métier de charpentier et travaillant nuit et jour à construire son arche ; ils disaient : Quel fou, quel visionnaire ! Cela dura jusquau jour où le déluge survint et engloutit toute la terre : Venit diluvium et perdidit omnes.
Ainsi la catastrophe finale se produira lorsque le monde sera le plus en sécurité ; la civilisation sera à son apogée, largent abondera sur les marchés, jamais les fonds publics nauront été plus à la hausse. Il y aura des fêtes nationales, de grandes expositions, lhumanité, regorgeant dune prospérité matérielle inouïe, naura plus despérance au Ciel ; attachée bassement aux plus basses jouissances de la vie, elle dira comme lavare de lÉvangile : « Mon âme, tu as des biens pour de longues années, bois, mange, amuse‑toi... » Mais, tout à coup, au milieu de la nuit, in media nocte, car ce sera dans les ténèbres, et à cette heure fatidique de minuit où le Seigneur apparut une première fois dans ses abaissements, quil reparaîtra dans sa gloire ; les hommes, réveillés en sursaut, entendront un grand fracas et une grande clameur, et une voix se fera entendre qui dira : « Dieu est là, il faut aller à sa rencontre : Ecce sponsus venit, exile obviam ei
[28]
. »
Nous avons conservé, dans nos annales de Savoie, la mémoire et la tradition dune épouvantable catastrophe, qui nous offre limage et lesquisse de ce qui se réalisera à lépoque où Dieu abandonnera le genre humain et où sa divine patience se sera lassée sans retour.
Cétait il y a sept cents ans, en 1248, le 24 novembre, veille du jour où lÉglise célèbre la fête de sainte Catherine ; ce soir‑là, la saison était douce, lair calme, les étoiles scintillaient au ciel. Toute la vallée où est située actuellement la ville de Chambéry reposait tranquille et en sécurité.
Alors, un personnage impie et pervers exerçait une domination tyrannique sur une ville à jamais disparue, mais qui, à cette époque, était voisine de la cité dont je parle
[29]
.
Ce personnage venait de réunir de nombreux et joyeux convives. Il célébrait par des festins et par des orgies licencieuses la spoliation sacrilège dun monastère quil avait converti en un lieu profane, après en avoir chassé sans pitié les moines et les hôtes sacrés qui en étaient les légitimes possesseurs. Sans doute, comme au temps de Balthasar, le repas était somptueux, et le vin et les liqueurs, mêlés aux blasphèmes et aux rires sardoniques, y coulaient à grands flots. Tout à coup, en un instant, au milieu de la nuit, la terre est agitée par une violente secousse ; des tourbillons horribles, des voix et des mugissements de tempête, que lon eût crus émanés des cavernes de lEnfer, semblent ébranler le firmament et le sol, et avant que les convives aient pu se lever, avant quils aient pu pousser un cri de détresse, ils étaient ensevelis vivants sous léboulement dune montagne gigantesque : une ville, cinq bourgades, toute une région peuplée de six mille habitants, étaient engloutis dans des abîmes, dont les traces sont écrites en caractères indélébiles sur les débris de notre sol, et dont la mémoire légendaire et mêlée dépouvante est demeurée ineffaçable et vivante dans lesprit et le souvenir de nos populations.
Cette image, empruntée à un des événements les plus mémorables et les plus lugubres dont notre histoire ait été le théâtre est en un sens plus vive et plus saisissante que celle de Noé et du déluge.
Car enfin, au temps de Noé et du déluge, les hommes, avant de périr, eurent le temps de se reconnaître et dobtenir la grâce du repentir, le désastre néclata que progressivement ; si tous ne parvinrent pas à se sauver pour la vie présente, saint Pierre nous déclare formellement que le grand nombre revint à Dieu et se sauva pour la vie future. Dans sa 1er Épître, chapitre III, versets 19 et 20, il nous dit que lorsque la sainte âme de Jésus‑Christ eut été séparée de son corps, « elle alla prêcher aux limbes et délivrer ceux qui avaient été incrédules, lorsque aux jours de Noé ils attendaient la patience de Dieu. »
Mais, au jour du jugement, ce sera comme aux abîmes de Myans et au pied de la colline de Saint‑André, tout sy fera avec une promptitude et une impétuosité non pareilles : Cli magno impetu transient.
Jésus‑Christ nous le dit : « Que celui qui sera au haut de la maison ne prenne point la peine de descendre pour emporter quoi que ce soit de sa maison. Et que celui qui est aux champs ne retourne point en arrière pour emporter ses habits. Malheur aux femmes qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours‑là... Alors si quelquun vous dit : le Christ est ici ou il est là, ne le croyez point ; car avec la même rapidité que la foudre court de lorient pour sélancer à loccident, il en sera ainsi de lavènement du Fils de lhomme2. »
Mais, par quelle voie aura lieu cette grande destruction, quelle en sera la cause occasionnelle ou efficiente, lagent principal, linstrument direct et immédiat ? Les saintes Écritures nont voulu omettre aucune des circonstances relatives à cet événement, le plus décisif et le plus solennel de tous ceux qui se sont succédé depuis la création. Elles nous apprennent donc que le monde ne périra pas par une inondation comme au déluge, quil ne sécroulera pas par un tremblement et ne sera pas enseveli sous les cendres et sous les laves, comme le furent, sous le règne de Titus, Herculanum et Pompéï, mais quil sera mis en combustion et exterminé par le feu : Terra autem et qu in ipsa sunt opera exurentur
[30]
. Cétait déjà la croyance antique, celle des Égyptiens et des philosophes persans. Cicéron a dit que le monde finirait par le feu
[31]
.
Mais, ce qui est remarquable, cest que la science actuelle saccorde avec les Livres saints, pour témoigner que le feu sera le grand ouvrier de la justice de Dieu et du renouvellement qui en suivra la manifestation
[32]
.
Ainsi, la science a constaté, comme la Bible, que le feu est la première force créée qui ait déployé son énergie et manifesté son activité. Cest par le feu que la nature a été fécondée, les éléments mis en travail ; cest par lui que se sont opérées les grandes révolutions du monde primitif, que le soulèvement des montagnes a eu lieu, que se sont produits les astres, et que finalement est sorti tout cet ordre, toute cette variété de lunivers tel quil soffre à nos regards et à notre admiration.
« Au commencement, est‑il dit dans la Genèse, chap. 1er, vers. 2 : la terre était vide et sans consistance et les ténèbres régnaient sur toute la face de labîme. » En dautres termes, comme nous lexpliquent les savants et les commentateurs, la matière était volatilisée et à létat de vapeur. Avant que le Créateur lui eût conféré ses propriétés et ses formes diverses, en la classant et en la coordonnant par luvre des six jours, tous ces éléments constitutifs étaient confus, désunis, à létat de chaos.
La terre, le soleil, les astres, offraient limage dune vaste mer liquescente ou gazeuse éparse dans limmensité. Mais cette mer nétait pas immobile et inerte. A sa surface et dans ses plus intimes profondeurs elle bouillonnait et était mise en mouvement sous le souffle vivificateur dun agent éternel et tout‑puissant, qui nétait autre que lEsprit de Dieu : Et spiritus Dei ferebatur super aquas
[33]
. LEsprit Saint faisait subir à la substance matérielle une sorte dincubation. Sous laction et par les ardeurs de cette chaleur infinie et souveraine, les éléments étaient soumis à une fonte et à une refonte, ils se perfectionnaient, ils acquéraient leur puissance et leur énergie, ils se dépouillaient de leurs scories, comme lor qui se raffine et se dégage de sa rouille dans le creuset où il est jeté. Et lorsque, ainsi transformés au souffle de cette fournaise du divin Esprit, ils furent rendus aptes à entendre la voix de Dieu, le Créateur les appela successivement et il dit : « Que la lumière soit, et la lumière fut. » Et après quil eut fait la nuit et le jour, quil eut étendu le Ciel, il dégagea la matière solide de la masse vaporeuse qui lenveloppait, et il dit : « Tu tappelleras la terre » et la terre fut consolidée. Il parla aussi aux eaux, et ne laissant sur notre globe, de la partie liquide, que ce qui était nécessaire pour larroser et remplir les bassins des mers, il envoya le reste, à létat de vapeur ou déther, remplir les vastes espaces qui sont au‑dessus de toutes les sphères et de tous les firmaments
[34]
: Divisitque aquas qu erant sub firmamento, ab his qu erant super firmamentum
[35]
.
Ce fut là une grande et sublime scène, qui donnerait lieu à de longs et de magnifiques développements. Qui ne sentirait son esprit sélever et son cur tressaillit au spectacle de lacte créateur, de ce chef-duvre de la puissance et de la sagesse divines, faisant jaillir des flots de lumière et de beauté de cet océan informe et ténébreux, imprimant le mouvement et laction à tous les êtres inertes que le divin Esprit avait investis de sa vertu en les pénétrant de ses ardeurs et de ses radiations ? Et spiritus oris ejus omnis virtus eorum
[36]
. Mais aujourdhui nous ne pouvons parler de ces uvres admirables quaccidentellement et dans la mesure où elles se rattachent au sujet que nous avons entrepris.
Or, ce même Esprit de Dieu, qui a répandu à pleines mains dans lunivers des trésors dharmonie et de perfection, procédera par la même voie quand il sagira dordonner de nouveaux cieux, et de construire ce palais qui devra éternellement servir de demeure à lhomme glorifié.
Ici, nous ne faisons pas de la fantaisie, notre parole nest pas nôtre ; elle est celle de tous les prophètes qui ont parlé, de tous les évangélistes qui ont écrit : « Le feu, est‑il dit, marchera devant la face du Seigneur, il dissipera ses ennemis dans les alentours, il mettra les montagnes en fusion, et les collines sécouleront comme de la cire
[37]
». Devant son éclat le soleil sobscurcira et la lune ne donnera plus de lumière, les étoiles tomberont. Cest‑à‑dire que, dissoutes une seconde fois, elles se dissiperont dans les airs comme des gouttes légères
[38]
Ce feu sera celui qui dévorera les méchants comme de la paille, qui pénétrera leurs os jusquà la moelle et qui les consumera éternellement.
Il sera la dernière épreuve des justes qui vivront dans les derniers jours. Il suppléera pour eux au Purgatoire dont, au moment de la résurrection, les flammes réparatrices séteindront pour ne plus se rallumer. Il sera le creuset où ils déposeront les restes de leur rouille terrestre, afin quaucune souillure nobscurcisse la blancheur de leurs vêtements, lorsquils paraîtront devant le trône de Dieu.
Tous ces événements se réaliseront, nen doutons pas, ils sont certains dune certitude absolue, comme lest Dieu lui‑même, comme lest son esprit de vérité, qui nest sujet à aucune erreur ni à aucun changement.
On peut affirmer, à la vérité, que tous, tant que nous sommes ici, nous aurons quitté ce bas monde avant dêtre les témoins de cette grande scène de désolation et de ruine ; Jésus‑Christ pourtant a jugé utile que nous en soyons renseignés, parce que ces grandes vérités ne sont pas dun ordre spéculatif, mais quelles sont destinées à exercer sur la conduite de notre vie des effets pratiques et immédiats.
En effet, si la terre et tout ce quelle renferme doivent un jour disparaître par le feu, les biens de ce monde ne sont pas plus estimables que le bois et que la paille ; et alors, à quoi bon en faire lobjet de nos désirs et de nos préoccupations ? Pourquoi chercher à bâtir et à laisser des traces de notre génie et de notre puissance, là où nous navons pas de demeure permanente, et où la figure de ce monde sera emportée comme une tente qui na pas de voyageurs à abriter ?
Dirons‑nous que cet effrayant cataclysme ne se réalisera que dans les siècles des siècles ? Mais Jésus‑Christ nous dit que ces siècles des siècles ne sont quun instant auprès de lÉternité, et lorsque le moment sera venu, lorsque des régions de la vie future nous serons les témoins et les acteurs de ce drame suprême, toute la durée de lhumanité nous semblera si courte, que cest à peine si nous jugerons quelle a eu la durée dun jour
[39]
.
Saint Paul, le grand prophète, pour qui le temps navait pas de mesure, ni lespace détendue, sy croyait déjà transporté.
Saint Jérôme dans sa grotte de Bethléem, entendait la trompette du jugement éveillant les morts, et ses cheveux se hérissaient de crainte, sa chair et ses os tressaillaient dun indicible frisson.
Enfin, Jésus‑Christ nous dit de méditer ces grands enseignements, car il est certain que nous serons surpris, et que lheure viendra plus tôt que nous ne le pensons.
A la fin du xive siècle, un personnage extraordinaire parut au fond des Espagnes. Il sappelait Vincent Ferrier. Prophète et thaumaturge dès sa jeunesse, il grandit au milieu de létonnement universel ; lEsprit de Dieu reposa sur lui, il sempara de son cur et lenflamma dun zèle inconnu depuis saint Paul. Il posséda son corps quil soutint malgré son extrême faiblesse au milieu des plus accablantes fatigues et des plus rudes austérités.
Dans ses mains il mit le pouvoir des miracles, enfin il ouvrit ses lèvres à la parole la plus prodigieusement puissante que depuis saint Paul lhumanité ait jamais entendue.
Être surhumain, quoiquil fût homme, il refusa constamment les dignités que le Pape le pressait daccepter. Sa vie fut une prière, un jeûne, une prédication continue. Pendant vingt ans, il parcourut lEurope, et pendant vingt ans lEurope frémit, palpita sous la chaleur et à la flamme de ses accents inspirés
[40]
.
Le jugement dernier était le sujet favori de ses prédications. Lui‑même annonçait au monde quil avait été envoyé spécialement par le souverain Juge pour annoncer lapproche des derniers jours.
Or, cétait un jour à Salamanque, ville par excellence des théologiens et des savants. Un peuple innombrable se pressait pour entendre lenvoyé du Ciel. Tout à coup, élevant la voix au milieu de lassemblée : Je suis, dit‑il lange de lApocalypse que saint Jean vit voler par le milieu du Ciel et qui criait à haute voix : « Peuples, craignez le Seigneur et rendez‑lui gloire, parce que le jour du jugement approche ».
A ces paroles étranges, un murmure indescriptible éclate dans lassemblée. On crie à la démence, à la jactance, à limpiété.
Lenvoyé de Dieu sarrête un instant, les yeux fixés au ciel, dans une sorte de ravissement et dextase puis il reprend, et dune voix plus forte, il sécrie de nouveau : « Je suis lange de lApocalypse, lange du jugement ». Lagitation et les murmures sont à leur comble. Tranquillisez‑vous, dit le saint, ne vous scandalisez pas de mes paroles, vous allez voir de vos yeux que je suis ce que je dis. Allez, à lextrémité de la ville, à la porte Saint‑Paul, vous trouverez une femme morte ; apportez‑la ici, je la ressusciterai en preuve de ce que saint Jean a dit de moi.
De nouveaux cris et une protestation plus grande encore accueillent cette proposition. Cependant quelques hommes se décident à se rendre à la porte indiquée. Ils y trouvent. en effet, une femme morte, ils la prennent et viennent la déposer au milieu de lassemblée.
Lapôtre, qui na pas quitté un instant le lieu élevé doù il prêchait, sadresse à la défunte : « Femme, dit‑il, au nom de Dieu, je vous ordonne de vous lever ». Aussitôt la morte se soulève, enveloppée de son linceul, elle laisse tomber le suaire étendu sur son visage et se montre pleine de vie au milieu de lassemblée. Vincent ajoute alors : « Pour lhonneur de Dieu et le salut de tout ce peuple, dites, maintenant que vous pouvez parler, si je suis vraiment lange de lApocalypse, chargé dannoncer au monde lapproche du jugement dernier ». : « Vous êtes cet ange, répond la femme, vous lêtes réellement ».
Pour placer ce merveilleux témoignage entre deux miracles, le saint lui dit encore : « Préférez‑vous rester en vie, ou voulez-vous mourir de nouveau ? » « Volontiers je vivrais, dit la femme. »
« Vivez donc, reprend le saint ». Elle vécut en effet un grand nombre dannées encore, témoin vivant, dit un historien, dun étonnant prodige et de la plus haute mission dont jamais homme ait été investi.
Nous ne discutons pas lauthenticité de ce récit. Il a soulevé des doutes auprès de quelques hagiographes, et les circonstances dont il est accompagné ont donné lieu à des critiques et à des discussions. Mais à lappui de notre doctrine, il nous suffit de constater que lÉglise ne la pas déclaré apocryphe, puisque dans la bulle de canonisation du saint, il est dit : « Il eut les paroles de lÉvangile éternel pour annoncer, comme lange qui volait au milieu du Ciel, le royaume de Dieu à toute langue, à toute tribu, à toute nation, et pour démontrer lapproche du jugement dernier. »
Toutefois, il y a près de cinq cents ans que cet événement sest accompli et le jugement annoncé par le thaumaturge du xive, siècle na pas eu lieu. Devons‑nous en conclure que le saint a été induit en erreur, et que le miracle de cette résurrection attesté par des témoins graves et dignes de foi, retracé et transmis par la sculpture et par la peinture, doive être mis au rang des légendes, réputé une allégorie et une simple invention ?
Saint Vincent Ferrier a parlé comme lavaient fait avant lui de saints docteurs, et comme lont fait après lui la plupart des grands hommes apostoliques. Ainsi, saint Jérôme blâme, à la vérité, un certain Juda, écrivain renommé dune Histoire Ecclésiastique, parce quil avait affirmé que la violence des persécutions présageait la fin du monde, et quelle aurait lieu dans un temps rapproché ; mais le même saint Jérôme dans une de ses lettres
[41]
, où il trace avec élégance le tableau des calamités et des désastres dont il a été le témoin. énonce lui aussi presque la même opinion. Saint Cyprien (Ep. 58) écrit ces paroles : « Vous devez être assurés et tenir pour certain que le jour des désolations extrêmes a commencé à se lever sur vos têtes, et que les temps de lAntéchrist sont proches... » Saint Ambroise, dans léloge funèbre de son frère Satyre, sécrie : « Il a été enlevé de la vie afin quil ne fût pas témoin de la fin du monde, et de la destruction totale de lunivers. » Saint Grégoire le Grand, saint Bernard ont exprimé les mêmes sentiments dans leurs livres et dans leurs discours. Ces illustres docteurs et ces grands saints ont ainsi parlé, soit parce quils voyaient la foi séteindre, et les calamités de leurs siècles saccroître chaque jour dans de plus effrayantes proportions, soit parce quils étaient saisis de crainte à la pensée de ce grand jour, et quils voulaient inoculer cette crainte salutaire aux hommes égarés, afin de les ramener à la connaissance de Dieu et à la pratique du bien. Pourtant on ne peut dire quil se soient écartés de la vérité ; ils ont parlé suivant les Écritures, qui, insistant sur cette vérité fondamentale, ne cessent de nous montrer comme imminente la perspective de lavènement du Juge divin : Prope est jam Dominus.
En cela, les Apôtres et les écrivains inspirés ne nous ont pas trompés, par la raison que les temps ne sont rien pour ceux qui ont franchi les confins de la vie terrestre. Toute la mesure des siècles, dit lEsprit Saint, nest pas plus que le jour qui sécoule, tanquam dies hesterna qu prteriit. De même que, dans le firmament, il y a des étoiles séparées par des myriades de lieues et qui, en raison de leur distance, semblent se confondre et ne former quun seul point, quand on les observe de cette terre, ainsi des hauteurs de la vie de Dieu, où nous serons un jour plongés, les temps seront comme sils nétaient pas. Un an, cent mille ans, des millions dannées contemplées du sein de léternité, ne nous apparaîtront que comme de simples points. Nous les estimerons des durées tellement microscopiques, tellement centésimales, quen un sens, elles nauront entre elles aucune différence que notre esprit puisse apprécier.
En conséquence, il est permis en toute vérité dappliquer à la résurrection générale comme aux résurrections partielles opérées par Jésus‑Christ, cette parole de lévangéliste saint Jean : Elle est venue lheure où ceux qui sont dans les mausolées et dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu : Venit hora, et nunc est quando mortui audient vocem Filii Dei, et qui audierint vivent
[42]
.
Du reste, à la mort, notre sort éternel sera irrévocablement fixé, et le jugement particulier qui doit la suivre déterminera prochainement dans quelles conditions nous figurerons aux assises de la justice divine et le rang qui nous y sera assigné.
En face de cette conclusion inévitable des destinées humaines, les agitations de notre politique ne sont autre chose quun vain bruit. Les révolutions, qui font disparaître les peuples et qui précipitent les républiques et les empires, sont moins que ne lest sur un théâtre un renouvellement de scène et un changement de décors. Toutes ces entreprises colossales et ces travaux merveilleux auxquels les hommes occupent leur esprit, et quils conduisent à leur perfection au prix des plus grands sacrifices et des plus périlleux efforts, napparaissent que comme une fumée, et sont des uvres plus fragiles que la toile tissée par laraignée, et qui, le plus souvent na pas la durée dun jour.
Alors il ny aura plus dautre distinction entre les hommes que celle du mérite et de la vertu. Toutes les pensées vaines et ambitieuses auront disparu. La politique aura cessé. La science elle-même sera détruite, scientia destretur
[43]
.
Heureux ceux qui auront entendu la parole divine et lauront gardée fidèlement dans leur cur. Heureux ceux qui, se réveillant de leur sommeil, auront, suivant la recommandation de lApôtre, marché honnêtement et comme de jour. Heureux ceux qui, comme les vierges sages, auront entretenu soigneusement lhuile de leur lampe, et construit leur gerbe pour le jour de léclatante et solennelle moisson !
Ceux‑là seront appelés les prédestinés, parce que, comme parle saint Jean, leurs noms sont écrits dans le livre de vie de lAgneau, qui a été tué depuis lorigine du monde. Puisse cette destinée être la nôtre. Ainsi soit‑il !
[1]
Rom., c. viii, v. 21, 22.
[2]
Mgr Pichenot, archevêque de Chambéry.
[3]
Hettinger, Apologie du Christianisme, t. iv, ch. xvi
[4]
Schelling, Philosophie de la révélation, t. ii, p. 222.
[5]
Mt., xxiv, 32, 33.
[6]
M., ii, 2, 3, 4.
[7]
Mt., xxiv, 8.
[8]
Lc, xxi.
[9]
Mt., xiii.
[10]
Ml., iii.
[11]
Za., xiv.
[12]
Saint Augustin enseigne que les anges connaissent le nombre des prédestinés : il ne sensuit pas pourtant quils connaissent la durée du monde, car ils ne peuvent savoir dans quel temps le nombre des prédestinés sera complet.
Ailleurs, il modifie cette opinion en disant que les anges ne connaissent pas, dune manière absolue, le nombre des prédestinés, mais simplement combien il faut délus pour combler les rangs laissés vides par la chute des mauvais anges. Or, les hommes ne sont pas seulement élevés à la béatitude pour suppléer aux anges déchus, mais daprès un plan et une intention antérieure à la chute des anges, doù il suit quil peut y avoir plus dhommes sauvés quil ny a eu danges tombés. (Suarez, t. xix, p. 1022.)
[13]
Thsal., ii, 2, 3, 4.
[14]
Rom., xi, 14, 15. 16, 17,
[15]
Th., x, 2.
[16]
Cornél. à Lapide, Comment. in Mt., vol. xv, p. 564.
[17]
Labbé Soulié, La Fin du Monde, v. Palmé, 1872. ‑ (l fr.).
[18]
Lc, x, 2.
[19]
Ps. xxi.
[20]
Ps. lxxi.
[21]
Isaïe, lxiv, 2, 3, 4.
[22]
Isaïe, xxxiv, 5.
[23]
Viri Galilæi, quid statis aspicientes in clum ? Hic Jesus qui assumptus est a vobis in clum, sic veniet, quemadmodum vidistis eum euntem in clis. (Act., 1, 10, 11.)
[24]
Modicum et jam non videbitis me : et iterum modicum, et videbitis me : quia vado ad Patrem. (Joan., ch. xvi, 16.)
[25]
ii Pet., iii, 10.
[26]
Dan., xiii, 9.
[27]
Mt., xxiv, 77, 38.
[28]
Mt., xxv, 6.
[29]
Cette ville, florissante au XIII, siècle, était la ville de Saint‑André, située à sept kilomètres de Chambéry. Elle était le centre du décanat ecclésiastique de Savoie. Elle possédait un prieuré et un chapitre, dont le doyen avait juridiction sur les paroisses dalentour. Or, il arriva, dans le comté de Savoie, quun conseiller ou avocat du comte, appelé Jacques Bonivard, parvint, à force de mensonges et dintrigues, à se faire adjuger par le comte de Savoie et par le pape Innocent IV le prieuré de Saint‑André, qui lui fut livré en commande. Pour assister à la prise de possession, il invita ses amis, et leur fit grande chère, et comme ils étaient au milieu de la nuit, un rocher denviron huit cents mètres détendue se détache soudainement dune haute montagne appelée le mont Granier, et accable sous ses ruines Bonivard avec ses amis, le prieuré et quinze ou seize villages ou hameaux voisins dans lespace dune grande lieue. ‑ Les moines du prieuré, expulsés violemment par Bonivard, furent les seuls sauvés, ils sétaient réfugiés dans la chapelle de Notre‑Dame de Myans, aujourdhui sanctuaire national de la Savoie, et qui doit sa célébrité à sa préservation miraculeuse, lors de la destruction complète de Saint‑André et des hameaux du décanat. ‑ Cette subversion de cinq paroisses fut si prodigieuse et abîma si profondément la terre, quil nen resta aucune trace, sinon des monticules qui sélèvent çà et là, et plusieurs petits lacs deau vive si profonds, que, pendant plusieurs siècles, on nest pas parvenu à les sonder. (Voir pour plus de détails, le beau livre de M. labbé Trépier, Histoire du décanat de Savoie.)
[30]
1 Le livre dHenoch, bien quapocryphe, semble contenir les principales croyances qui avaient cours en Judée au temps de Jésus‑Christ. ‑ Quand les hommes, est‑il dit, auront comblé, la mesure de leurs iniquités envers Dieu et envers, Israël, alors viendra le grand cataclysme dont le déluge na été que le prélude et comme lavertissement. Cette fois‑ci, la justice divine ira jusquau bout ; le mal sera vaincu à jamais ; la terre sera purifiée par le feu, non plus par ]eau. Sous des cieux nouveaux, sur une terre nouvelle, commencera le règne sans fin de lélu, règne de justice, de fidélité et de paix, véritable règne de Dieu, dans lequel Israël sera le peuple roi.
[31]
Un bûcher commun, dit Lcain, attend le monde, il mêlera les ossements des hommes aux débris des étoiles. « Communis mundo superest rogus, ossibus astra mixturus. » (Phars. xxiii.)
Ovide nous représente Jupiter sur le point de foudroyer la terre, et sarrêtant tout à coup, car, dit‑il : Les arrêts du destin lui arrivent à la mémoire, il se rappelle quun jour la mer, la terre et le palais même du ciel, saisis par la flamme, sembraseront, et la machine du monde, fabriquée avec tant dart, sera détraquée.
Ecce quoque in fatis reminiscitur adfore tempus
Quo marc, quo tellus, corruptaque regia cli
Ardeat, et mundi moles operosa laboret. (Metam, i, 350).
(Voir sur cette tradition et ces diverses citations, le travail du R.P. de Bouniol. ‑ Études religieuses, livraison nov. 1879.)
[32]
1 Cette combustion du monde est un fait commencé, et que les astronomes ont observé. ‑ Le P. Secchi parle dune étoile qui passa en douze jours de la deuxième à la sixième grandeur. Son spectre fut étudié. A ses raies très brillantes on constata quelle passait par toutes les phases de lincandescence et était en proie à un vaste incendie. La même observation a été faite sur dautres étoiles qui en peu de jours se sont éteintes et ont complètement disparu.
[33]
1 Gen., 1, 2.
[34]
2 Les plus savants astronomes de notre siècle, Janssen, Secchi, Angstrm, ont établi par des études et des observations incontestables, et en décomposant la lumière stellaire, lexistence des eaux supérieures dans les régions du firmament, cest‑à‑dire autour du soleil, dans les planètes, et jusque dans les étoiles les plus éloignées. Le 12 mai 1869, Janssen écrivait de lHimalaya à lAcadémie des sciences de Paris : « Certaines conjectures théoriques me portèrent à chercher si la lumière spectrale de certaines étoiles ne présenterait pas les caractères optiques de la vapeur deau. Le fait a vérifié mes prévisions ; on ne peut plus mettre en doute aujourdhui quun grand nombre détoiles ne soient enveloppées dune atmosphère aqueuse. Le soleil lui‑même présente des taches et des rides qui sont dues à la vapeur deau. » Telles sont les eaux supérieures dont parle la Bible. Ainsi la vraie science a‑t‑elle confondu la science hostile et incrédule qui se raillait de Moine, et sinscrivait en faux contre nos Livres saints.
[35]
1 1 Gen., 17.
[36]
1 Ps. xxxiii, 6.
[37]
2 Ps. xcvi, 3, 4.
[38]
Daprès les textes de lÉvangile qui nous disent nettement que les vertus des cieux seront ébranlées : Virtutes Dei commovebuntur,‑ que les étoiles du Ciel tomberont, il faut forcément admettre que ce ne sera pas seulement notre terre, mais les étoiles ou tout au moins la totalité de notre système planétaire qui seront dissous, désorganisés, mis en conflagration. Lastronome Lagrange, dans son traité du mécanisme céleste et dans sa théorie sur la variation des planètes et le déplacement de laxe de leur orbite, en déduit la conclusion, que notre système planétaire est à labri de tout écroulement, et quil est constitué de manière à pouvoir durer des milliards de siècles. La théorie de Lagrange est sans doute très ingénieuse et très belle, mais elle est fondée sur cette hypothèse, quaucune caus2 étrangère et imprévue ne surviendra pour changer lordre actuel et infliger un démenti aux calculs rigoureux de la science. ‑ Or, celui qui a créé les cieux et dirigé leurs mouvements avec une harmonie et un ordre si parfaits et si admirables, peut en un instant et sans miracle aucun défaire son uvre. Par une cause secrète, inconnue à lhomme, il peut produire dans les mouvements célestes, un trouble, une altération, qui instantanément le bouleverseront de fond en comble, et qui neutraliseront et suspendront dans les planètes et la marche de leurs satellites, les forces et les lois dattraction que nos savants réputent invariables et éternelles. ‑ Nous savons que ces choses auront lieu, puisque la Vérité éternelle nous a formellement prédit pour la fin des temps la ruine et la désorganisation des cieux. Et cette ruine est certaine, puisquil est écrit : Cli et terra transibunt, verba autem mea non prteribunt.
Comme disent les Italiens : Scillaba di Dio non si Cancella. Ainsi la fin du monde sera un fait surnaturel, parce quelle est, quant à lépoque, du domaine exclusif de la volonté de Dieu, et quant au mode elle sera un fait de lordre naturel, parce que Dieu, pour lopérer, se servira des causes secondes et naturelles.
[39]
1 Mille anni, ante oculos tuos, tanquam dies hesterna quæ præteriit. (Ps.lxxxix, 4.)
[40]
Mgr Gaume, Où allons‑nous ? no xvii.
[41]
Saint Jérôme, iie lettre à Agéruchie de Monogam.
[42]
Joan., v, 27.