Table des matières

Au Lecteur

 

Cher lecteur,

Il nous a paru qu’un des plus tristes fruits du rationalisme, l’erreur fatale et la grande plaie de notre siècle, la source pestilentielle d’où surgissent nos révolutions et nos désastres sociaux, c’est l’absence de l’esprit surnaturel et l’oubli profond des grandes vérités de la vie future. La terre est désolée d’une épouvantable désolation, parce que la plupart des hommes, fascinés par l’attrait des jouissances passagères, absorbés par leurs intérêts mondains et le souci de leurs affaires matérielles, n’arrêtent plus leurs pensées sur les grandes considérations de la foi, et refusent obstinément de se recueillir dans leur cœur. Il est vrai de dire de nos génération contemporaines ce que déjà de son temps le prophète Daniel disait des deux vieillards de Babylone : « Ils ont détourné leurs yeux, et ont éteint en eux l’intelligence et le sens divin, afin de ne pas voir le Ciel, et ne pas se ressouvenir des justes jugements de Dieu. » Et everterunt sensum suum, et declinaverunt oculos suos, ut non viderent cœlum, nec recordarentur judiciorum justorum.

Cette dédicace a été écrire par sœur Geneviève (« Céline » comme elle l’indique elle-même) au Carmel de Lisieux, le dimanche 10 juin 1956. Elle montre que la sœur de la sainte, alors âgée de 87 ans au moment où pour la première fois était offerte au public la reproduction photographique des écrits de sainte Thérèse, conservait intact le souvenir de la fameuse lecture de mai-juin 1887, suivie des « Dialogues du Belvédère ».

Huit jours plus lard, la même édition des manuscrits autobiographiques était présentée aux cardinaux Ottaviani, Piazza, Tardini, Valerio Valeri et à Mgr del Acqua par le P. François de Sainte‑Marie qui, le 22 juin 1956. remettait à S.S. le Pape l’exemplaire spécialement imprimé pour lui.

Les deux causes de cette effroyable indifférence et de cette profonde et universelle léthargie sont évidemment l’ignorance et l’amour effréné des plaisirs sensuels, qui, obscurcissant l’œil inté–rieur de l’âme humaine, ravalent toutes ses aspirations dans le domaine étroit de la vie présente, et lui interceptent les perspectives des beautés et des récompenses à venir. - Or, puisque les sages ont constaté de tout temps que les contraires se guérissent par l’application des contraires, il nous a paru que le remède le plus efficace pour combattre sûrement le mal invétéré du naturalisme était un exposé clair, net, précis, sans diminution, des vérités essentielles ayant trait à la vie future et à l’inévitable conclusion des destinées humaines.

Peut‑être nous accusera-t-on d’émettre telles et telles de nos affirmations avec une netteté trop rude et trop austère, et d’aborder les points les plus sérieux et les plus redoutables de la doctrine chrétienne sans les accompagner de tempéraments et d’atténuations qui les approprieraient aux préjugés ou à la langueur de certaines âmes peu familiarisées avec d’aussi graves considérations : semblable au médecin qui mesure avec soin la lumière à un ami malade, afin de ne pas blesser par trop d’éclat ses yeux endoloris.- Mais, dans l’ordre religieux et surnaturel, les phénomènes et les effets opérés dans les âmes sont souvent à l’inverse de ceux qui s’offrent dans l’ordre physique et matériel. Dans ce monde visible, une diffusion excessive de lumière aveugle : elle fait naître l’obscurcissement et produit la cécité. Mais aussitôt que l’esprit entre dans les régions intellectuelles, qu’il se transporte dans les vastes sphères de l’invisible et de l’incréé, il n’y a plus à craindre l’excès. Jésus-Christ est le grand soleil de nos intelligences, la nourriture et la vie de nos cœurs : il n’est jamais mieux compris ni plus aimé que quand il se manifeste avec profusion, dans l’intégrité de sa doctrine et les suréminentes splendeurs de sa divine personnalité. - L’exemple des Apôtres annonçant l’Évangile au milieu de la nuit du paga–nisme, et prêchant hardiment Jésus-Christ crucifié devant le Sénat de Rome et au milieu des philosophes de l’Aréopage, nous dit assez que la vérité est attrayante pour les âmes naturel–lement chrétiennes, et qu’elle ne les illumine et ne parvient à les convaincre qu’autant qu’elle leur est présentée dans toute sa force et dans toute sa clarté. La durée de notre épreuve est limitée à l’époque de la vie présente. Si celle-ci, comme le veulent les rationalistes, n’est qu’un anneau de la chaîne de nos destinées, et si la carrière où l’homme est soumis à la lutte, à la tentation, aux séductions des sens et des créatures, doit se poursuivre indéfiniment, alors Jésus-Christ ne sera jamais roi, le bien est sans espérance, et le mal demeurera éternellement triomphant. Il est donc très certain que la scène qui se joue dans ce bas monde arrivera tôt ou tard à son dénouement et à son terme. Alors l’humanité entrera dans une nouvelle phase d’existence, et tout ce que nous estimons, tout ce que nous recherchons en cette vie présente sera moins qu’une ombre et une vaine fumée. C’est là un fait certain, dont nos découvertes et les merveilles de notre génie ne parviendront pas à conjurer l’avènement.- Or, la valeur morale de la vie se détermine par la fin à laquelle elle tend, de la même manière que les commo–dités d’une route ne sont appréciées par le voyageur. qu’autant qu’elles contribuent à le faire arriver plus sûrement et plus directement au terme du voyage qu’il a entrepris. Aussi, traiter de la vie future et des fins dernières, c’est réellement exposer la science et la philosophie de la vie humaine, mettre en relief les principes fondamentaux sur lesquels reposent toute perfection et toute morale.

Le volume de nos conférences que nous publions, fait suite à celui que nous avons fait paraître, il y a trois ans, sur le Règne de Dieu. - Le règne de Dieu s’inaugure, s’accroît, se complète dans le temps ; il ne sera parfait et consommé que dans les siècles à venir. Au lieu donc de donner à notre livre ce titre : la Fin du monde présent et les Mystères de la vie future, nous aurions pu l’appeler avec non moins de justesse : Le Triomphe de Jésus-Christ et de son Église dans la vie future. Nos argumentations et nos maximes sur la vanité de la figure de ce monde qui passe, sur l’inconséquence de toutes les entreprises conçues en dehors des horizons de la foi et n’ayant pas la fin dernière pour but, sur le malheur sans remède réservé aux méchants ; nos autres sujets, sur l’avènement et le règne de l’Anté–christ et le temple de l’immortalité, sur les récompenses destinées aux justes, sur la réintégration de l’homme déchu par la loi du sacrifice et dans le creuset purifiant de la douleur, nous ont paru utiles afin de verser le remède de la consolation sur les cœurs ulcérés et aigris, afin de relever les âmes découragées et abattues, et, dans les jours calamiteux et troublés que nous traversons, d’aider les chrétiens à devenir les hommes du Sur–sum, en leur inspirant la résignation et la patience ; afin encore de les fortifier au milieu des tristesses présentes, en élevant leurs espérances et leurs désirs vers une patrie meilleure.

Nous avons cherché, en puisant aux sources pures de la Tradition et des Pères, en nous éclairant à la lumière des saintes Écritures, à satisfaire les âmes inquiètes et troublées de notre temps, et à leur offrir, telle que le christianisme nous l’enseigne, la vraie solution des mystères de la vie. - Puissions-nous contribuer à faire aimer Notre Seigneur Jésus-Christ et son Église, et inculquer de plus en plus à ceux qui nous liront cette vérité capitale : « Servir Dieu et observer ses commandements, c’est là tout l’homme ! »

Fait à Chambéry,

le jour de l’Apparition de l’archange Saint Michel, 8 mai 1881.